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20/11/1980 | CJUE | N°98/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 20 novembre 1980., Giuseppe Romano contre Institut national d'assurance maladie-invalidité., 20/11/1980, 98/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 20 NOVEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire a été déférée à la Cour par une demande de décision préjudicielle formée par le tribunal du travail de Bruxelles.

La partie demanderesse devant cette dernière juridiction est M. Giuseppe Romano, ressortissant italien résidant en Belgique. La défenderesse est l'Institut national d'assurance maladie-invalidité («INAMI») en Belgique.

Le problème posé

au principal est, en substance, de déterminer entre les parties les conditions de prise en charge d'une perte de ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 20 NOVEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire a été déférée à la Cour par une demande de décision préjudicielle formée par le tribunal du travail de Bruxelles.

La partie demanderesse devant cette dernière juridiction est M. Giuseppe Romano, ressortissant italien résidant en Belgique. La défenderesse est l'Institut national d'assurance maladie-invalidité («INAMI») en Belgique.

Le problème posé au principal est, en substance, de déterminer entre les parties les conditions de prise en charge d'une perte de change engendrée par la dépréciation de la lire italienne entre le moment où une pension italienne, à laquelle M. Romano avait droit, était payable et le moment où elle a effectivement été payée.

Les faits sont les suivants:

M. Romano, né le 20 décembre 1910, a été employé successivement en Italie et en Belgique. Il a été atteint d'une incapacité de travail le 29 août 1969. Par suite, il a eu droit, au titre du seul droit belge, à une pension d'invalidité du 29 août 1970 au 31 décembre 1975. Après cette date, il a été admis en Belgique au bénéfice d'une pension de retaite.

La pension d'invalidité belge de M. Romano a été intégralement versée à l'intéressé, étant entendu que ce versement avait un caractère provisionnel, en attendant la détermination de ses droits en Italie. L'avocat de l'INAMI nous a dit à l'audience que M. Romano était en droit de percevoir lesdites indemnités complètes, à titre provisionnel, en vertu de l'article 45, paragraphe 1, du règlement (CEE) du Conseil n° 574/72, mais qu'à défaut d'une telle disposition, il y aurait eu droit en tout état de
cause sur la base du droit belge.

Par ce qui a été appelé une décision, adressée à l'INAMI le 6 avril 1976 et complétée le 1er juillet 1976, l'organisme de sécurité sociale italien compétent — l'INPS — a, conformément aux dispositions des règlements (CEE) nos 1408/71 et 574/72 du Conseil, accordé à M. Romano une pension d'invalidité à partir du 1er septembre 1970. L'INPS n'a toutefois acquitté de versement afférent à cette pension que plus d'un an après.

Entre-temps, le 24 septembre 1976, l'INAMI a adressé à M. Romano une lettre dans laquelle cet organisme l'informait de la décision de l'INPS et lui a fait savoir qu'en vertu de l'article 70, paragraphe 2, de la loi belge du 9 août 1963, instituant et organisant un régime d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité, sa pension belge devait être réduite du montant de sa pension italienne. L'INAMI précisait en outre ce qui suit:

«Toutefois, étant donné qu'en attendant la décision étrangère, votre organisme assureur belge vous a versé les indemnités journalières complètes à titre provisionnel, nous avons calculé le montant qui vous a été versé en trop (voir annexe) et nous avons demandé à l'institution étrangère de verser à notre compte les arrérages de sa prestation dus jusqu'au 31 décembre 1975.

Dans le cas où le versement effectué à notre compte ne couvrirait pas exactement le montant des indemnités servies à titre provisionnel, nous chargerons votre organisme assureur de procéder, en accord avec vous, à la récupération de la différence; si, par contre, il existait un solde en votre faveur, celui-ci vous serait versé par nos soins.»

Il est constant que les montants visés à l'annexe de cette lettre comme ayant été versés en trop — au total 107848 FB — ont été calculés sur la base du taux de change applicable entre la lire et le franc belge au 1er janvier 1975, c'est-à-dire au taux de 0,05784 FB pour une lire.

L'article 70, paragraphe 2, de la loi belge du 9 août 1963, sur lequel se fonde l'INAMI, s'énonce, dans sa version modifiée de 1971 et pour autant qu'il importe, comme suit:

«Les prestations prévues par la présente loi ne sont accordées que dans les conditions fixées par le Roi, lorsque le dommage pour lequel il est fait appel aux prestations est couvert par le droit commun ou par une autre législation. Dans ces cas, les prestations de l'assurance ne sont pas cumulées avec la réparation résultant de l'autre législation; elles sont à charge de l'assurance dans la mesure où le dommage couvert par cette législation n'est pas effectivement réparé. Dans tous les cas, le
bénéficiaire doit recevoir des sommes au moins équivalentes au montant des prestations de l'assurance.

L'organisme assureur est subrogé de plein droit au bénéficiaire.»

Il est constant, à notre connaissance, que les termes «une autre législation» employés dans ce contexte sont susceptibles de se rapporter tant à une autre législation belge qu'à une législation étrangère.

Le raisonnement de l'INAMI par lequel ce dernier justifie ou tente de justifier le choix du taux de change applicable entre la lire et le franc belge au 1er janvier 1975 est, semble-t-il, le suivant: M. Romano avait droit à une pension d'invalidité belge au titre du seul droit belge. Il n'y avait pas lieu dès lors d'appliquer la deuxième phrase de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71. Partant, eu égard au quatorzième attendu de l'arrêt rendu par la Cour dans la première affaire Mura
(affaire 22/77, Recueil 1977, p. 1699) et au dixième attendu de l'arrêt dans l'affaire 33/77 Greco (Recueil 1977, p. 1711), la première phrase de l'article 12, paragraphe 2, doit être considérée comme s'appliquant en relation avec l'article 70, paragraphe 2 de la loi belge, ce qui entraîne l'application de l'article 107 du règlement n° 574/72, concernant certains taux de change, modifié par le règlement n° 2639/74 du Conseil et, partant, l'application de la décision 101 de la commission
administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (JO C 44 du 26. 2. 1976, p. 3), dont le point 5 s'énonce comme suit:

«Pour les pensions dont l'ouverture du droit est antérieure au 1er janvier 1975, et qui n'avaient pas encore été liquidées à la date d'effet de la présente décision [c'est-à-dire au 1er mars 1976], le taux de conversion à prendre en considération est celui applicable le 1er janvier 1975 ...».

Le 7 octobre 1976, M. Romano a formé un recours contre la décision de l'INAMI, telle qu'elle résulte de la lettre de ce dernier du 24 septembre 1976, devant le tribunal du travail de Bruxelles. Tout en admettant que le montant de sa pension italienne devait être déduit de sa pension belge, il contestait le taux de change retenu par l'INAMI. Il a fait valoir que l'INAMI pouvait simplement exiger le montant qui lui serait versé par l'INPS, ni plus ni moins.

Le 29 juillet 1977, alors que l'affaire était en instance, l'INPS a versé à l'INAMI les arriérés de la pension italienne de M. Romano jusqu'au 30 juin 1977. Or, vous vous rappellerez, Messieurs, que la pension d'invalidité belge, pour laquelle l'INAMI était responsable, avait pris fin le 31 décembre 1975. Il nous a été dit que le versement avait été effectué par l'INPS en application de l'article 111 et de l'annexe 6 du règlement n° 574/72. Quoi qu'il en soit, le montant total, converti en francs
belges au taux de change en vigueur au jour du paiement, c'est-à-dire 0,040355 FB pour une lire, s'est élevé à 125491 FB, soit 17643 FB de plus que le montant réclamé par l'INAMI, de sorte que ce dernier a versé le surplus à M. Romano. Toutefois, ce montant de 17643 FB était inférieur à la fraction du montant total versé (à savoir, 125491) représentant la pension italienne de M. Romano pour la période du 1er janvier 1976 au 30 juin 1977; l'INAMI avait donc en fait privé M. Romano d'une partie de sa
pension italienne afférente à cette période.

M. Romano a par conséquent reformulé sa demande au cours de l'instance pendante devant le tribunal, en concluant, en substance, à ce que l'INAMI soit condamnée à lui verser l'équivalent en FB, au taux de change du 29 juillet 1977, des prestations dues par l'INPS pour la période du 1er janvier 1976 au 30 juin 1977, sous déduction des 17643 FB déjà perçus par lui.

Devant le tribunal du travail, l'avocat de M. Romano a soutenu, entre autres, que la décision 101 de la commission administrative était incompatible avec l'article 7 du règlement n° 574/72. Il s'agit-là d'un article plutôt long et complexe concernant l'application de l'article 12 du règlement n° 1408/71. Vous vous souvenez, Messieurs, à la lumière de précédentes affaires, que cet article a trait notamment, en son paragraphe 1 a), à la situation qui se produit lorsque des dispositions anti-cumul
prévues par des législations nationales de plusieurs États membres s'appliquent concurremment.

Dans ces conditions, le tribunal a soumis à la Cour la question de savoir si la décision 101 est légale et, dans ce cas, quelle interprétation il convenait de lui donner «eu égard aux dispositions de l'article 7 du règlement (CEE) n° 574/72 qui» — ajoute le tribunal — «prévoit en substance que les récupérations ne peuvent être supérieures au montant effectivement perçu en vertu d'une autre législation».

L'INAMI et la Commission ont estimé l'une et l'autre que l'article 7 du règlement n° 574/72 n'était pas en cause. Nous nous proposons de repousser à plus tard la discussion sur ce point (par Commission, nous entendons bien entendu la Commission des Communautés européennes, à laquelle nous nous référerons comme d'habitude sous le simple terme de «Commission», pour la distinguer de la «commission administrative» qui est l'auteur de la décision 101).

La Commission s'est posé la question de savoir si une disposition quelconque du droit communautaire pouvait être en cause dans la présente affaire. Elle a fait remarquer que la demande de l'INAMI était fondée sur le droit belge (l'article 70, paragraphe 2, de la loi du 9 août 1963) et elle a suggéré que la quantification de cette demande devait, par suite, également relever du droit belge.

Dans une certaine mesure, la réponse à donner sur ce dernier point serait fonction de ce que la Cour a précisément entendu dire par ses attendus dans les affaires Mura et Greco, auxquels nous nous sommes déjà référé. Il est certain, en tout cas en ce qui concerne l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 3, précurseur de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71, que la première phrase de cette disposition peut uniquement être opposée à une personne revendiquant le bénéfice d'une
prestation au titre du droit communautaire et qu'elle ne saurait être invoquée à l'encontre d'une personne revendiquant le bénéfice d'une prestation en vertu du seul droit national — voir affaires 34/69 Duffy (Recueil 1969, p. 597) et 83/77 Naselli (Recueil 1978, p. 683). La Cour n'a pas pu vouloir dire, dans les affaires Mura et Greco, qu'il en serait autrement sur la base de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71, car il n'y a en principe aucune raison pour qu'il en soit ainsi. Dans
les conclusions que nous avons présentées dans l'affaire Naselli, nous avons tenté d'expliquer ces attendus (voir p. 695 et 705 du Recueil). Il nous semblait qu'ils devaient signifier que, dans une affaire comme celle présentement en cause, la première phrase de l'article 11, paragraphe 2, avait pour principal effet d'ouvrir une faculté, en ce sens que le droit communautaire n'interdisait pas, en pareil cas, l'application d'une disposition anti-cumul nationale; mais nous avions également discerné un
deuxième effet, à savoir que si on se trouvait en présence de clauses nationales anti-cumul concurrentes, l'application, dans le sens proposé, de la première phrase de l'article 11, paragraphe 2, pourrait faire jouer l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 4, qui correspondait à l'article 7, paragraphe 1, lettre a), règlement n° 574/72. Personne bien sûr, dans l'affaire Naselli, ne s'était posé la question de savoir si un autre effet secondaire ne pouvait pas être de mettre en jeu les
dispositions du règlement n° 4, qui correspondaient à l'article 107 du règlement n° 574/72. Nous serions enclin à penser que s'il fallait répondre à cette question, la réponse devrait être recherchée à la lumière d'un principe de base qui vous est familier, à savoir que puisqu'il s'agit en l'espèce d'un droit à prestations acquis en vertu du seul droit national, le droit communautaire ne saurait avoir pour effet de le réduire.

Pour compliquer encore le problème, l'INAMI nous a dit qu'à l'époque où la pension d'invalidité belge de M. Romano était payable, il n'y avait pas de législation belge en vigueur en ce qui concerne les taux de change. Une telle réglementation a été introduite pour la première fois par un arrêté royal du 2 juin 1976, entré en vigueur le 1er juillet 1976. C'est pourquoi l'INAMI a affirmé — si nous avons bien compris — qu'à supposer qu'il ne fût pas applicable directement, le droit communautaire devait
être appliqué par analogie, afin de combler cette lacune du droit belge. Le point de savoir s'il entre dans les attributions de la Cour, sur la base de l'article 177 du traité, de contribuer à combler des lacunes en droit national est un sujet qui n'a pas été discuté.

Il n'est cependant pas nécessaire, selon nous, de mener à leur terme l'examen de ces questions pour la raison suivante: s'il s'avérait que le droit à prestations détenu par M. Romano en vertu du seul droit belge est inférieur au droit qu'il détient en vertu de l'article 46 du règlement n° 1408/71 et ses dispositions d'application, ce dernier droit constituerait son droit minimal. C'est ce qui résulte clairement de la jurisprudence de la Cour qui comprend notamment les affaires 98/77 Schaap (Recueil
1978, p. 707), 105/77 Boerboom-Kersjes (id. p. 717) et 236/78 la deuxième affaire Mura (Recueil 1979, p. 1819). Il appartient donc au tribunal de considérer ce que serait le droit à prestations de M. Romano sur la base de l'article 46. Comme l'a souligné l'avocat de l'INAMI à l'audience, l'article 107 du règlement n° 574/72 modifié est libellé de façon à s'appliquer en relation avec le paragraphe 3 de l'article 46 exactement au même titre qu'avec l'article 12, paragraphe 2. Il suit de là que la
question soumise à l'appréciation de la Cour par le tribunal est au minimum pertinente sous ce dernier aspect.

Nous nous proposons donc à présent d'examiner cette question.

Il se pose immédiatement un problème de nature constitutionnelle, à savoir, s'il est compatible avec le traité que le Conseil confère un pouvoir normatif à la commission administrative. Cette question se pose, compte tenu de ce qu'en adoptant la décision 101, la commission administrative a agi ou entendu agir en vertu du paragraphe 4 de l'article 107 du règlement n° 574/72, modifié par le règlement n° 2639/74, et qui s'énonce comme suit:

«La commission administrative fixe sur proposition de la commission des comptes la date à prendre en considération pour la détermination des taux de conversion à appliquer ...»

La commission administrative n'est évidemment pas une création du traité. Elle a été créée par l'article 80 du règlement n° 1408/71, qui dispose qu'elle est «instituée auprès de la Commission», qu'elle ... «est composée d'un représentant gouvernemental de chacun des États membres, assisté, le cas échéant, de conseillers techniques», qu'«un représentant de la Commission ... participe, avec voix consultative, aux sessions de la commission administrative» et que son secrétariat est assuré par les
services de la Commission. L'article 81 définit les tâches de la commission administrative comme suit:

a) traiter toute question administrative ou d'interprétation découlant des dispositions du présent règlement et des règlements ultérieurs ou de tout accord ou arrangement à intervenir dans le cadre de ceux-ci, sans préjudice du droit des autorités, institutions et personnes intéressées de recourir aux procédures et aux juridictions prévues par les législations des États membres, par le présent règlement et par le traité;

b) faire effectuer, à la demande des autorités, institutions et juridictions compétentes des États membres, toutes traductions de documents se rapportant à l'application du présent règlement, notamment les traductions des requêtes présentées par les personnes appelées à bénéficier des dispositions du présent règlement;

c) promouvoir et développer la collaboration entre les États membres en matière de sécurité sociale, notamment en vue d'une action sanitaire et sociale d'intérêt commun;

d) promouvoir et développer la collaboration entre les États membres en vue d'accélérer, compte tenu de l'évolution des techniques de gestion administrative, la liquidation des prestations, dues notamment en matière d'invalidité, de vieillesse et de décès (pensions) en application des dispositions du présent règlement;

e) réunir les éléments à prendre en considération pour l'établissement des comptes relatifs aux charges incombant aux institutions des États membres en vertu des dispositions du présent règlement et d'arrêter les comptes annuels entre lesdites institutions;

f) exercer toute autre fonction relevant de sa compétence en vertu des dispositions du présent règlement et des règlements ultérieurs ou de tout accord ou arrangement à intervenir dans le cadre de ceux-ci;

g) présenter des propositions à la Commission des Communautés européennes en vue de l'élaboration de règlements ultérieurs et d'une révision du présent règlement et des règlements ultérieurs.

Il est probable que le pouvoir conféré à la commission administrative par le Conseil, au moyen de l'article 107, paragraphe 4, du règlement n° 574/72, modifié, entendait l'être dans le cadre du paragraphe f). Il n'en résulte pas pour autant qu'une telle délégation — en tout cas si elle impliquait un pouvoir normatif — fût valide.

Le dernier alinéa de l'article 155 du traité habilite le Conseil à conférer à la Commission des compétences normatives. Par contre, on ne trouve dans le traité aucun élément permettant de supposer que le Conseil puisse déléguer un pouvoir normatif à un organe tel que la commission administrative. En outre, l'article 173 du traité donne compétence à la Cour pour contrôler la légalité des actes du Conseil et de la Commission, cependant que l'article 177 lui confère la compétence de statuer sur la
validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté. La commission administrative n'est pas une institution de la Communauté, au sens du traité (article 4 et cinquième partie du traité). Dans ces conditions, il semblerait que la Cour n'ait pas compétence pour se prononcer, si ce n'est indirectement, sur la légalité d'un acte de la commission administrative — et qu'elle n'a donc en vérité aucune compétence pour répondre directement à la question que le tribunal lui a
soumise dans la présente affaire. L'idée que puisse être institué au sein de la Communauté un organe administratif habilité à prendre des décisions ayant force obligatoire, lesquelles cependant seraient par elles-mêmes insusceptibles de recours devant la Cour, nous paraît incompatible avec le système du traité. Il nous semble également que le concept d'un organe administratif dont les décisions ne seraient pas susceptibles d'être contrôlées par des tribunaux ne saurait se concilier avec les
principes constitutionnels reconnus dans tous les États membres et, croyons-nous, dans n'importe quel autre Etat civilisé.

Nous considérons dès lors, sans même qu'il soit besoin de s'appuyer à cet égard sur une jurisprudence, que le Conseil n'était pas en droit de conférer une compétence normative à la commission administrative. Cependant, la jurisprudence ne fait pas entièrement défaut dans ce domaine.

Dans l'affaire 19/67 Van der Vecht (Recueil 1967, p. 445), la Cour avait été amenée à considérer une décision d'un organe qui, en droit strict, constituait le précurseur de la commission administrative, à savoir l'organe correspondant institué par le règlement n° 3. Seule était en cause en l'espèce une décision interprétative de cet organe, prise en application de l'article 43 a) du règlement n° 3, qui était la disposition de ce règlement correspondant à l'article 81a) du règlement n° 1408/71. La
Cour n'a eu aucune peine à reconnaître que l'autorité de cette décision était définie par le texte même dudit article 43, à savoir qu'elle s'appliquait «sans préjudice du droit des autorités, institutions et personnes intéressées, de recourir aux procédures et aux juridictions prévues dans les législations des États membres, dans le présent règlement et dans le traité». La Cour a ajouté cependant que toute autre interprétation de l'article 43 ne serait pas conforme au traité, notamment à son article
177, lequel — soulignait la Cour — «institue une procédure pour assurer l'interprétation judiciaire uniforme des règles de droit communautaire». Il serait difficilement compatible avec cet arrêt d'admettre que la commission administrative puisse se voir conférer le pouvoir d'arrêter des règles de droit communautaire.

On peut également rappeler à cet égard les affaires 25/70 Koster (Recueil 1970, p. 1161) et 30/70 Scheer (ibid., p. 1197). Dans ces affaires, la Cour avait à examiner si la «procédure du Comité de gestion» instituée par des règlements du Conseil portant création d'une organisation commune des marchés agricoles était compatible avec les dispositions du traité. La Cour a considéré qu'il en était ainsi, compte tenu, tout bien considéré, du rôle exclusivement consultatif dévolu, dans le cadre de cette
procédure, au Comité de gestion. Le véritable pouvoir normatif était réservé à la Commission ou, le cas échéant, au Conseil, de sorte que la procédure en cause n'avait pas pour effet de violer l'article 155 ni de porter atteinte à la compétence détenue par la Cour elle-même au titre des articles 173 et 177. Là encore, il ne serait pas conforme à ces arrêts de supposer qu'un organe tel que la commission administrative puisse avoir été investi par le Conseil de compétences normatives.

En définitive, nous tenons l'article 107, paragraphe 4, du règlement n° 574/72, modifié par le règlement n° 2639/74, pour nul, de sorte que la décision 101, qui se fonde à tort sur ce règlement, est nulle et de nul effet.

Vous devrez à cet égard, Messieurs, envisager la question de savoir si une décision en ce sens peut correctement être rendue par une chambre de la Cour, ou s'il vous incombe, en application de l'article 95, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour, de renvoyer l'affaire devant la Cour plénière. Nous estimons, quant à nous, que la réponse est suffisamment claire pour qu'il n'y ait pas lieu de renvoyer devant la Cour plénière.

Cela étant, l'affaire n'est pas terminée pour autant.

Considération prise de ce que la décision 101 pourrait être privée d'effet juridique, la Commission a estimé qu'elle pourrait être considérée, à défaut, comme une décision de caractère administratif, arrêtée d'un commun accord entre les États membres, venue utilement combler un vide juridique. La Commission a cependant opéré une distinction entre le cas normal, dans lequel il est nécessaire qu'une institution de sécurité sociale d'un État membre calcule à l'avance le montant de la prestation auquel
une personne donnée aurait droit et le présent cas d'espèce, dans lequel l'institution cherchait à récupérer des montants précédemment versés en trop. Dans la première série d'hypothèses, la Commission a soutenu que si le calcul nécessitait de prendre en compte un montant auquel le bénéficiaire pourrait avoir droit dans un autre État membre, il y avait lieu d'appliquer à ce montant un certain taux de change, qui ne serait pas nécessairement le taux de change en vigueur au moment du versement de
chacun des termes de la prestation. Par contre, dans un cas tel qu'en l'espèce, dans lequel il s'agissait de procéder à un ajustement, à titre rétroactif, il n'y avait aucune nécessité de s'écarter du taux de change auquel le montant reçu d'un autre État membre a été réellement converti.

Il n'est pas nécessaire, selon nous, d'examiner en l'espèce si la Commission a raison dans l'hypothèse qu'elle envisageait comme étant le cas normal. La Commission a manifestement raison de dire qu'en l'espèce il n'y avait aucune nécessité de recourir à un taux de change artificiel. L'INPS n'a pas en réalité fait connaître sa décision avant que la pension belge d'invalidité de M. Romano ait pris fin. Il n'y avait donc aucune nécessité pour l'INAMI de calculer le montant que cet organisme belge était
en droit de recouvrer avant réception du versement y afférent de l'INPS, et il n'y avait aucune obligation pour l'organisme belge, après réception du versement, de le considérer comme de valeur plus élevée ou moins élevée qu'il ne l'était en réalité.

Cette considération suffit selon nous aux fins de la réponse à donner à la question soumise à la Cour par le tribunal, sans qu'il y ait lieu d'examiner si l'article 7 du règlement n° 574/72 est pertinent en l'espèce. Nous partageons cependant le point de vue de l'INAMI et de la Commission selon lequel cette disposition n'est pas véritablement en cause. Ce qui est en cause, c'est le principe fondamental consacré à l'article 51 du traité et dans un grand nombre d'arrêts de la Cour, selon lequel un
travailleur migrant ne saurait, autant que possible, subir de préjudice du fait de sa qualité de travailleur migrant. En l'espèce, s'il n'avait jamais été employé en Italie, M. Romano aurait eu droit à bénéficier de la totalité de sa pension d'invalidité belge. Il est peut être juste qu'il ne doive pas bénéficier de prestations supplémentaires du fait qu'il a travaillé en Italie. Mais aucune raison valable ne nous a été donnée pour qu'il touche des prestations moins élevées.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous estimons qu'en réponse à la question posée à la Cour par le tribunal vous disiez pour droit que l'article 107, paragraphe 4, du règlement n° 574/72, modifié par le règlement n° 2639/74, est privé de validité, et partant, qu'une décision de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, prise sur sa base, ne saurait avoir un effet juridique quelconque.

Pour être exhaustif, nous devrions peut-être mentionner que l'article 107 du règlement n° 574/72 a à nouveau été modifié, à compter du 28 novembre 1979, par le règlement du Conseil n° 2615/79. A cette occasion, le paragraphe 4, introduit par le règlement n° 2639/74, a été maintenu. Cela ne saurait toutefois, selon nous, affecter la solution à donner dans la présente affaire.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 98/80
Date de la décision : 20/11/1980
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique.

Sécurité sociale - Taux de change applicable.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Giuseppe Romano
Défendeurs : Institut national d'assurance maladie-invalidité.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:267

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