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20/11/1980 | CJUE | N°1322/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 20 novembre 1980., Gaetano Vutera contre Commission des Communautés européennes., 20/11/1980, 1322/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 20 NOVEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire de fonctionnaire porte sur l'indemnité de dépaysement prévue à l'article 69 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et qui a déjà fait l'objet d'une série d'arrêts de la Cour. Ses conditions d'octroi sont régies par l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut. Aux termes de cette disposition, l'allocation est accordée, entre autres,

«a)

au fonctionnaire: ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 20 NOVEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire de fonctionnaire porte sur l'indemnité de dépaysement prévue à l'article 69 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et qui a déjà fait l'objet d'une série d'arrêts de la Cour. Ses conditions d'octroi sont régies par l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut. Aux termes de cette disposition, l'allocation est accordée, entre autres,

«a) au fonctionnaire:

— qui n'a pas et n'a jamais eu la nationalité de l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et,

— qui n'a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l'application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération.»

Le règlement n° 912/78 du Conseil du 2 mai 1978, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (JO n° L 119 du 3 mai 1978, p. 1), a ajouté à l'article précité un deuxième paragraphe qui est libellé comme suit:

«Le fonctionnaire qui, n'ayant pas et n'ayant jamais eu la nationalité de l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, ne remplit pas les conditions prévues au paragraphe 1, a droit à une indemnité d'expatriation égale à un quart de l'indemnité de dépaysement.»

En application de cette disposition, le requérant, un fonctionnaire de nationalité italienne qui exerce ses fonctions à la Commission, perçoit lui aussi ce qu'il est convenu d'appeler une indemnité d'expatriation. Il est né en Sicile en 1944 et il a rejoint son père en 1947 en Belgique où il a résidé depuis sans interruption, y faisant ses études et y occupant divers emplois avant son recrutement par la Commission, le 17 mars 1975. Le 1er avril 1978, il fut nommé fonctionnaire stagiaire dans le
grade D 3 par décision du chef de la division «Recrutements, nominations, promotions», puis il fut titularisé dans ce grade avec effet au 1er octobre 1979.

Étant donné que le requérant a conservé sa nationalité italienne et qu'il est toujours inscrit sur les listes électorales italiennes, que son épouse est également italienne et que ses enfants fréquentent l'école italienne à Bruxelles, il estime avoir droit à une indemnité de dépaysement au titre de l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires.

Celle-ci ne lui ayant pas été accordée, il a formé, le 19 juin 1979, une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut et, la décision de rejet lui ayant été notifiée le 25 septembre 1979, il a introduit le présent recours parvenu au greffe de la Cour le 21 décembre 1979 dans lequel il conclut à ce que la Cour déclare le recours receivable et fondé et annule, en conséquence, la décision notifiée au requérant le 25 septembre 1979 par laquelle la Commission a rejeté la réclamation
formulée le 19 juin 1979 par le requérant au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires et agents des Communautés en vue d'obtenir le paiement de l'indemnité de dépaysement prévu à l'article 4 de l'annexe VII du statut, et, par ailleurs, condamne la Commission aux dépens.

Ce recours appelle de notre part les conclusions suivantes:

Dans son recours, qu'il a introduit dans les formes et les délais prescrits, le requérant invoque l'illégalité de l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires sur lequel se fonde la décision attaquée, sans mettre en cause l'application de cette disposition. Comme dans l'affaire Hochstrass (affaire 147/79, René Hochstrass/Cour de justice des Communautés européennes, arrêt rendu le 16 octobre 1980), qui présente à cet égard des analogies, nous retrouvons ici aussi — cela
n'est cependant pas contesté par la Commission — dans le cadre de l'examen de la recevabilité, la question de savoir si le requérant peut justifier d'un intérêt à agir, étant donné que, même si la Cour devait déclarer la disposition litigieuse inapplicable, le requérant n'aurait pas droit pour autant à l'indemnité de dépaysement. Compte tenu de la constatation que la Cour a faite dans l'arrêt rendu dans l'affaire Hochstrass, il nous semble cependant également justifié en l'espèce que nous passions
directement à l'examen de la dernière question en raison du lien étroit entre la question de l'intérêt à agir et l'argumentation des parties sur le bien-fondé du recours.

Sur le bien-fondé du recours, le requérant soutient que l'illégalité de l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires résulte de la violation d'une règle supérieure de droit, à savoir le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination. Il y aurait violation des principes précités en ce que la disposition litigieuse n'accorde pas d'indemnité de dépaysement au fonctionnaire qui, n'ayant pas et n'ayant jamais eu la nationalité de l'État sur le territoire duquel est
situé le lieu de son affectation, a, de façon habituelle, pendant une période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire dudit État. L'indemnité de dépaysement serait en revanche accordée à trois catégories de fonctionnaires qui, du point de vue du «dépaysement», se trouveraient en fait dans une situation comparable. Bénéficieraient en effet de l'indemnité, d'une part, les fonctionnaires qui auraient, de
façon habituelle, pendant une période inférieure à cinq années avant leur entrée en fonctions, habité ou exercé leur activité professionnelle principale sur le territoire européen de l'État concerné. L'indemnité reviendrait ensuite également aux fonctionnaires, qui, indépendamment de la durée de leur résidence dans l'État membre concerné, ont exercé une activité au service d'un autre État ou d'une organisation internationale. L'indemnité serait enfin également accordée sans limitation de durée aux
fonctionnaires qui exercent depuis plus de cinq ans et demi leur activité au sein des Communautés. Mais les fonctionnaires précités seraient tous soumis, en ce qui concerne leurs liens avec leur pays d'origine, aux mêmes sujétions matérielles et morales. La différence de traitement serait donc injustifiée et inadéquate compte tenu, en particulier, des exigences du service.

La Commission, en revanche, considère le recours comme non fondé, en particulier au regard de la jurisprudence de la Cour.

A notre avis, il y a lieu de se rallier à ce point de vue en partant des réflexions suivantes. Aux termes de la jurisprudence constante de la Cour, le principe d'égalité de traitement ou de non-discrimination interdit simplement la différenciation objectivement injustifiée. Un traitement inégal des fonctionnaires est en revanche admissible dans la mesure où il existe des éléments objectifs particuliers qui justifient une différenciation.

En conséquence, il y a lieu de vérifier si le traitement différencié que l'article 4, paragraphe 1, lettre a), de l'annexe VII au statut prévoit pour les fonctionnaires au regard de l'indemnité de dépaysement est objectivement justifié. La réponse à la question de savoir si une différenciation est objectivement justifiée est à son tour étroitement liée à la nature et à la finalité de l'indemnité de dépaysement.

Ainsi que la Cour l'a souligné en dernier lieu dans l'affaire Hochstrass, à la lumière des arrêts rendus dans les affaires 21/74 (Airola/Commission, arrêt du 20 février 1975, Recueil 1975, p. 221) et 37/74 (Van den Broeck/Commission, arrêt du 20 février 1975, Recueil 1975, p. 235), l'indemnité de dépaysement a pour objet «de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonctions auprès des Communautés pour les fonctionnaires qui sont de ce fait obligés de changer de
résidence» (voir à cet égard également les arrêts rendus dans l'affaire 20/71 — Sabbatini/Parlement, arrêt du 7 juin 1972, Recueil 1972, p. 345 — et dans l'affaire 32/71 — Bauduin/Commission, arrêt du 7 juin 1972, Recueil 1972, p. 363).

A cette finalité, la Cour oppose explicitement dans l'affaire Hochstrass la fonction de l'indemnité d'expatriation dont l'octroi est prévu par l'article 4, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut en vue de «compenser les désavantages que les fonctionnaires subissent en raison de leur statut d'étranger». Comme le souligne à juste titre le requérant, tous les fonctionnaires qui ne possèdent pas la nationalité de l'État sur le territoire duquel ils exercent leur activité subissent ces inconvénients. En
conséquence, la Cour a également dit pour droit dans son arrêt rendu dans l'affaire Hochstrass que le Conseil avait, en tant que législateur communautaire, agi dans le cadre de son pouvoir d'appréciation discrétionnaire en subordonnant l'octroi de l'indemnité d'expatriation au seul critère de la nationalité.

L'existence de l'indemnité d'expatriation qui, comme nous l'avons montré, est accordée pour d'autres raisons que l'indemnité de dépaysement ne permet donc pas, contrairement à l'opinion du requérant, de conclure à l'illégalité des éléments objectifs dont l'existence commande l'octroi de l'indemnité de dépaysement. Ainsi qu'il résulte de l'économie générale de l'article 4 de l'annexe VII, et comme la Cour l'a affirmé à plusieurs reprises dans la jurisprudence précitée, «la résidence habituelle du
fonctionnaire antérieure à sa nomination» constitue en effet le critère primordial pour le paiement de cette indemnité, alors que «la nationalité du fonctionnaire n'est envisagée qu'à titre secondaire».

Étant donné que l'indemnité de dépaysement est destinée à compenser les inconvénients qu'entraîne le changement de résidence résultant de la prise de fonctions auprès des Communautés, il est logique et non contraire au principe d'égalité de traitement que l'octroi de cette indemnité soit subordonné à la condition de la résidence habituelle des fonctionnaires avant leur nomination. Il en résulte, en revanche, que l'indemnité de dépaysement ne doit pas être accordée lorsqu'un fonctionnaire habitait
déjà de façon nabituelle avant sa prise de fonctions sur le territoire de l'État d'affectation puisque la prise de fonctions auprès des Communautés ne constitue pas, dans ce cas, la cause des charges et inconvénients particuliers qu'entraîne le nécessaire changement de résidence. A cet égard, les fonctionnaires qui n'ont pas résidé dans l'État d'affectation avant eur prise de fonctions se trouvent, en fait, également dans une situation différente de celle des fonctionnaires qui, indépendamment de
leur prise de fonctions auprès des Communautés, y résidaient déjà de façon habituelle.

A cet égard, il appartient en principe au Conseil, en tant qu'organe législatif, de déterminer dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, les critères dont l'existence laisse supposer une «résidence habituelle», étant entendu que la détermination de ces critères ne doit pas porter atteinte au principe d'égalité de traitement.

Mais, contrairement à l'opinion du requérant, on ne saurait parler en l'espèce d'une différence de traitement arbitraire. Pour déterminer si une personne a résidé de façon habituelle dans un endroit donné et pendant une période donnée, il y a lieu en effet d'établir, entre autres, comme l'avocat général Warner l'a indiqué dans ses conclusions présentées le 3 février 1976 dans l'affaire Delvaux (affaire 42/75, Recueil 1976, p. 174), dans quelle mesure elle y a été présente au cours de cette période
et quels étaient les motifs de cette présence.

Le Conseil s'est manifestement aussi laissé guider par de telles réflexions en partant, dans la disposition litigieuse, de l'idée que l'on ne pouvait pas parler d'une résidence habituelle lorsque le fonctionnaire concerné a, pendant une période inférieure à cinq ans avant son entrée en fonctions, habité dans le pays où il exerce ses fonctions ou lorsque ce séjour était imputable au service effectué pour un autre État ou une organisation internationale.

Il n'est donc pas contestable que, malgré un séjour prolongé dans le pays de leur affectation ultérieure, les fonctionnaires qui effectuent des services pour un autre État ou une organisation internationale n'y ont pas eu, avant leur prise de fonctions, une résidence habituelle au sens d'un lien durablement établi avec ce pays. En règle générale, ils ne sont envoyés dans un pays déterminé que pour une période limitée et ils conservent pendant cette période leurs liens étroits avec l'État d'origine.
A titre de compensation des charges et inconvénients particuliers que comporte le service à l'étranger, les fonctionnaires concernés bénéficient, à notre connaissance, en général également d'une indemnité de dépaysement.

Compte tenu de ce qui précède, on ne peut pas non plus reprocher au Conseil d'avoir subordonné l'octroi de l'indemnité de dépaysement à la durée du séjour. Ainsi que la Commission le souligne à juste titre, il convenait de ne pas désavantager les fonctionnaires qui n'avaient séjourné, antérieurement à leur entrée en service, que pendant une période relativement courte dans le pays de leur affectation ultérieure et qui n'y avaient pas encore établi une résidence habituelle. Ce n'est que l'entrée en
service auprès des Communautés qui amène également ces fonctionnaires à résider de façon habituelle «dans un pays étranger», résidence dont les inconvénients doivent être compensés par l'indemnité de dépaysement.

Mais il appartient en définitive au Conseil d'apprécier quelle doit être la durée de la période à l'intérieur de laquelle on ne peut pas encore parler de l'établissement d'une résidence habituelle. Nous ne percevons aucun indice permettant de considérer le délai prévu de cinq ans et demi comme entaché d'excès de pouvoirs.

Au reste, on ne peut pas non plus, en l'espèce, reprocher au Conseil — ainsi que la Cour l'a également souligné dans l'affaire Hochstrass — d'avoir eu recours, dans l'intérêt d'une réglementation générale et abstraite, à des catégories générales, même lorsque l'application de la disposition en question aboutit dans des cas particuliers à des inconvénients, dans la mesure où la disposition en tant que telle n'est pas discriminatoire au regard du but poursuivi. Mais, comme nous l'avons montré, ce
n'est pas le cas de l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires puisque cette dispostion prévoit pour des raisons objectivement justifiées un traitement dînèrent pour des fonctionnaires qui se trouvent dans une situation différente.

Étant donné que le requérant n'a pas démontré qu'il remplit des conditions de fait auxquelles l'article précité subordonne l'octroi de l'indemnité de dépaysement, la décision de rejet de l'autorité investie du pouvoir de nomination n'est entachée d'aucun vice. Dans ces conditions il n'y a pas lieu non plus d'examiner la question d'un manque d'intérêt à agir. Nous proposons donc de rejeter le recours et de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens, en application de l'article 70 du
règlement de procédure.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1322/79
Date de la décision : 20/11/1980
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Indemnité de dépaysement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Gaetano Vutera
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Touffait

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:265

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