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24/09/1980 | CJUE | N°149/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 24 septembre 1980., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 24/09/1980, 149/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 24 SEPTEMBRE 1980

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

Pour circonscrire exactement l'objet du présent recours en manquement, il convient de rappeler les circonstances dans lesquelles la Commission a été amenée à intervenir.

En 1973, la Société nationale des chemins de fer belges et la Société nationale des chemins de fer vicinaux ont affiché dans les gares des offres d'emploi,

— la première pour des postes d

'ouvriers non qualifiés (chargeurs, poseurs de voies, agents de triage) ainsi que d'élèves-conducteurs de loc...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 24 SEPTEMBRE 1980

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

Pour circonscrire exactement l'objet du présent recours en manquement, il convient de rappeler les circonstances dans lesquelles la Commission a été amenée à intervenir.

En 1973, la Société nationale des chemins de fer belges et la Société nationale des chemins de fer vicinaux ont affiché dans les gares des offres d'emploi,

— la première pour des postes d'ouvriers non qualifiés (chargeurs, poseurs de voies, agents de triage) ainsi que d'élèves-conducteurs de locomotive et signaleurs;

— la seconde pour un poste d'aide à l'imprimerie de l'administration centrale à Bruxelles.

Ces annonces exigeaient, parmi les conditions d'admission, la possession de la nationalité belge. Le recrutement devait se faire avec ou sans examen; dans certains cas, il était prévu que les «titres prioritaires légaux» seraient pris en considération. Dans le cas de la Société nationale des chemins de fer belges, l'attention des candidats était attirée sur la «stabilité de l'emploi dans l'une des plus grandes entreprises du pays».

De même, entre 1974 et 1977, la Ville de Bruxelles et la Commune d'Auderghem ont publié par voie de presse des offres d'emploi,

— la première pour des postes d'infirmières et de puéricultrices pour le service des crèches, d'architectes, de contrôleurs des services généraux et des plantations, de veilleurs de nuit et — à titre définitif — d'aides-jardiniers et de plombiers;

— la seconde pour une réserve de recrutement pour l'emploi d'«ouvrier semi-qualifié» et d'«ouvrier qualifié B» (plombier, menuisier, électricien).

Après avoir attiré, en janvier 1974, l'attention des autorités belges sur le caractère à son avis discriminatoire de la condition de nationalité exigée par ces offres d'emploi, la Commission est revenue à la charge en avril 1977 en soutenant que ces emplois ne pouvaient être exceptés du bénéfice de la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, compte tenu de la portée restrictive qu'il convient, selon votre jurisprudence, de donner aux dispositions dérogatoires contenues à
l'article 48, paragraphe 4, du traité et au règlement no 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.

La Commission faisait ainsi allusion à votre arrêt préjudiciel Sotgiu/Deutsche Bundespost du 12 février 1974 (Recueil p. 153). Elle estimait que la nature des attributions liées aux emplois en cause (absence d'exercice d'un pouvoir de décision à l'égard des particuliers, absence de lien avec l'exercice de l'autorité publique) ne permettait pas de les considérer comme relevant du champ d'application de l'article 48, paragraphe 4; en particulier, des emplois auprès d'entreprises publiques exerçant une
activité industrielle ou commerciale ne répondaient pas à ces critères.

La Commission, sous la signature du directeur général des affaires sociales, donnait un mois au gouvernement belge pour prendre les «mesures immédiates et appropriées pour que les autorités et services compétents... s'abstiennent de toute discrimination envers ‘les travailleurs communautaires’, laquelle est incompatible avec le droit communautaire» et pour les lui faire connaître.

Le 15 juillet 1977, le gouvernement belge répondit, entre autres, que l'article 6, alinéa 2, de la Constitution belge, selon lequel «les Belges sont égaux devant la loi; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers», interdisait aux communes d'engager du personnel statutaire n'ayant pas la nationalité belge.

Le 21 novembre 1978, sous la plume du vice-président Vredeling, la Commission adressa un nouveau rappel au ministre belge des affaires étrangères, M. Simonét: pour que l'exception de l'article 48, paragraphe 4, puisse jouer, il faut qu'il s'agisse d'un «emploi dans l'administration publique»; à cet égard, peu importe la nature (de droit public ou de droit privé) du rapport d'emploi; cette disposition vise les seuls emplois permettant à leur titulaire de détenir un pouvoir de décision à l'égard des
particuliers ou si l'activité liée à ces emplois «met en cause des intérêts nationaux et notamment ceux qui touchent à la sécurité intérieure et extérieure de l'État».

En conséquence, la Commission constatait que la Belgique avait méconnu les dispositions communautaires et n'avait pas pris les mesures nécessaires pour conformer sa législation à l'article 48 du traité et aux dispositions du règlement no 1612/68.

C'était aller un peu vite en besogne puisque l'article 169 prévoit que, si la Commission estime qu'un État membre a manqué à l'une des obligations lui incombant en vertu du traité et si cet État ne se conforme pas à cet avis, elle peut saisir la Cour et c'est celle-ci qui constate ce manquement, l'État membre étant tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour.

Quoi qu'il en soit, la Commission donnait un nouveau délai d'un mois à la Belgique pour lui faire connaître ses observations, faute de quoi elle se réservait d'émettre un avis motivé.

Après avoir reçu le 15 janvier 1979 une réponse non satisfaisante du représentant permanent de la Belgique, la Commission adopta, le 2 avril 1979, un avis motivé aux termes duquel, «en imposant ou en permettant d'imposer la possession de la nationalité belge comme condition de recrutement dans des emplois (de collectivités ou d'établissements publics) non visés par l'article 48, paragraphe 4, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CEE et
du règlement no 1612/68».

Le 27 septembre 1979, la Commission vous a saisis en reprenant dans les conclusions de sa requête les termes de cet avis motivé.

II —

Ce n'est donc pas pour une fois par le biais de l'article 177 que vous êtes saisis et l'on peut s'étonner que, si l'article 48, paragraphe 4, a bien un effet «direct», aucune juridiction d'un État membre ne vous ait déféré de questions préjudicielles à ce titre, hormis le cas Sotgiu précité.

Il n'est point nécessaire de souligner l'importance du litige, tant au point de vue des principes de droit communautaire que des intérêts concrets en jeu: l'intervention de trois États membres aux côtés de la Belgique en est le témoignage.

Dans ces États, certains emplois ne sont accessibles qu'aux ressortissants nationaux. C'est ainsi qu'en France l'article 19 (1o) de la loi du 28 avril 1952 exige des candidats aux emplois communaux la possession de la nationalité française depuis cinq ans au moins, sauf s'ils ont été naturalisés français au titre de l'article 64 du Code de la nationalité française.

Selon l'article 16 de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, «nul ne peut être nommé à un emploi public: 1o) s'il ne possède Ja nationalité française ...»; toutefois, selon l'article 1 de cette ordonnance, cette disposition ne concerne que les nominations à un empoi permanent de personnes titularisées dans un grade de la iérarchie des administrations centrales de l'État, des services extérieurs en dépendant ou des établissements publics de l'État.

Certains statuts d'entreprises publiques (SNCF, EDF, GDF, RATP), les statuts des agents communaux et des hôpitaux publics imposent expressément la nationalité française pour la titularisation dans un emploi. L'étranger naturalisé ne peut, pendant un délai de cinq ans à partir du décret de naturalisation, être nommé à des «fonctions publiques rétribuées par l'État» (article 81 du Code de la nationalité).

En république fédérale d'Allemagne, le paragraphe 7, alinéa 1, no 1, de la loi fédérale sur les fonctionnaires (Bundesbeamtengesetz) réserve la fonction publique aux nationaux.

Cependant, dans votre arrêt Commission/République française du 4 avril 1974 (Recueil p. 360), vous avez jugé (attendu 35, Recueil p. 371) que «les dispositions de l'article 48 du traité et du règlement no 1612/68 étant applicables dans l'ordre juridique de tout État membre et le droit communautaire ayant la primauté sur le droit national, ces dispositions engendrent dans le chef des intéressés des droits que les autorités nationales doivent respecter et sauvegarder. Dès lors, toute disposition
contraire du droit interne leur est, de ce fait, devenue inapplicable». Par conséquent, même une disposition d'ordre constitutionnel serait inopposable à un ressortissant communautaire, au cas où elle serait incompatible avec le traité ou le droit communautaire dérivé.

III —

En ce domaine, il convient d'être précis: il faut se garder d'opérer un amalgame entre les «emplois auprès d'établissements publics exerçant une activité industrielle ou commerciale» et, par exemple, des emplois auprès de collectivités publiques locales. Il ne s'agit pas de déclarer indistinctement qu'en refusant aux ressortissants communautaires autres que les nationaux l'accès aux emplois dans les administrations de l'État, des provinces, des communes, de même que dans les établissements publics
en général ou dans les «régies directes» un Etat membre manque à ses obligations. C'est dans ce sens que vous vous êtes vous-mêmes orientés en demandant à la Commission de produire le texte des offres d'emploi litigieuses.

A cette occasion, il est apparu que l'emploi offert par la Société nationale des chemins de fer vicinaux concernait un poste non pas d'ouvrier non qualifié, mais d'«aide à l'imprimerie de l'administration centrale». Pour faire bonne mesure, la Commission a également produit une annonce concernant la constitution de «réserves de recrutement» de la Commission d'assistance publique de Bruxelles concernant notamment des «contrôleurs de travaux en constructions civiles au service des travaux» et des
«assistantes ou assistants sociaux», ainsi qu'une offre en vue du recrutement d'un sous-directeur et de professeurs à l'académie de musique de la Ville de Bruxelles. Mais ces dernières offres n'étaient pas visées par l'avis motivé et elles doivent rester en dehors du débat, car on ne saurait, en ce domaine, se contenter d'expressions «tels que» ou «etc.».

Ces emplois se sont encore réduits au cours de la procédure puisque, sauf erreur de notre part, la Commission ne met plus en cause les offres relatives aux emplois d'architectes, de contrôleurs des services généraux, d'infirmières et de puéricultrices auprès de la Ville de Bruxelles. Lors des débats oraux, la discussion ne s'est utilement nouée qu'autour des offres de la Société nationale des chemins de fer belges ainsi que de certains emplois offerts par la Ville de Bruxelles (veilleurs de nuit,
aides-jardiniers, plombiers) et par la Commune d'Auderghem (ouvrier semi-qualifié et ouvrier qualifié B: plombier, menuisier, électricien).

C'est donc au regard de ces emplois très précisément qu'il convient d'examiner le manquement reproché à la Belgique.

IV —

La principale difficulté de la présente affaire tient à ce que les textes communautaires «directement applicables» sont extrêmement concis.

Reprenant le principe de l'article 7, alinéa 1, l'article 48, paragraphe 2, du traité énonce que la libre circulation «implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail».

Aux termes du paragraphe 3 (qui correspond au paragraphe 1 de l'article 56 relatif aux indépendants), cette abolition «comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique: a) de répondre à des emplois effectivement offerts...».

Le paragraphe 4 précise que «les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique».

On n'a peut-être pas assez souligné jusqu'ici que la version allemande de cette dernière disposition, qui fait également foi, parle non pas des emplois dans l'administration publique, mais du «fait d'être occupé» dans l'administration publique ou d'y exercer une activité (Beschäftigung; voir également le texte de l'annexe VII prévue à l'article 133 de l'acte d'adhésion, 4o): Zulassung zu einer unselbständigen Erwerbstätigkeit). Beaucoup plus qu'un terme technique, c'est là une notion de fait,
différente de l'expression «emplois effectivement offerts» (tatsächlich angebotene Stellen), utilisée à l'article 48, paragraphe 3, a.

En tout cas, ce paragraphe 4 ne fait pas double emploi avec la paragraphe 3; il comporte une réserve supplémentaire. C'est pourquoi il nous paraît inexact d'affirmer, commer le fait la Commission, que «seuls seraient visés ... notamment (les emplois) qui touchent à la sécurité intérieure et extérieure de l'État», car la sauvegarde de la «sécurité publique» est déjà visée à l'article 48, paragraphe 3. Dans l'esprit des auteurs du traité, l'exclusion des «emplois dans l'administration publique»
rendait superflu, pour cette catégorie d'emplois, le recours aux «limitations justifiées pour des raisons d'ordre public et de sécurité publique», bien qu'il existe sans doute une certaine relation entre ces deux expressions.

Quoique l'article 49 prévoie que, «dès l'entrée en vigueur du présent traité, le Conseil arrête, sur proposition de la Commission et après consultation du Comité économique et social, par voie de directives ou de règlements, les mesures nécessaires en vue de réaliser progressivement la libre circulation des travailleurs, telle qu'elle est définie à l'article précédent», plus aucun texte n'a été adopté depuis le règlement du Conseil no 1612/68 du 15 octobre 1968 et depuis la directive du Conseil no
68/360 du même jour, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté.

De même, alors que l'article 56, paragraphe 2, prescrit l'adoption de directives en vue de coordonner les dispositions nationales prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (ont été prises à ce titre la directive du Conseil no 64/221 du 25 février 1964 et la directive précitée no 68/360), aucune directive n'a été arrêtée au titre spécifique de l'article 48, paragraphe 4.

Ainsi que l'exposent les gouvernements intervenants, on peut légitimement en déduire qu'aucune disposition du traité ne prévoit l'harmonisation des structures administratives nationales, sauf pour la Commission à user des pouvoirs que lui confère le chapitre 3 du titre 1 de la troisième partie sur le rapprochement des législations (articles 100 à 102); l'exception de l'article 48, paragraphe 4, se réfère donc à l'administration publique telle qu'elle existe dans les différents États membres. Faute
d'uniformisation dans le domaine de la nationalité au plan communautaire, des réglementations nationales différentes sont et resteront possibles et légitimes et il subsistera toujours une inégalité de traitement résultant de différences de fait dans un secteur non intégré.

Sous le titre «de l'accès à l'emploi» (Zugang zur Beschäftigung, en allemand), l'article 1, paragraphe 1, du règlement no 1612/68 dispose:

«1) Tout ressortissant d'un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre État membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux de cet État.

2) Il bénéficie notamment sur le territoire d'un autre État membre de la même priorité que les ressortissants de cet État dans l'accès aux emplois disponibles (Zugang zu den verfügbaren Stellen, en allemand).»

Ce texte d'application n'est pas d'un grand secours pour l'exégèse de l'article 48, paragraphe 4, et l'intérêt — voire la nécessité — de l'adoption de mesures communautaires d'application de cet article n'en sont que plus grands. Mais il est tout d'abord évident qu'il n'y a pas lieu, comme le suggérait le 17 janvier 1972 à la tribune du Parlement européen M. Broeksz, de procéder à une révision de l'article 48, paragraphe 4, du traité, sous prétexte que «cet article serait incompatible avec l'esprit
du traité»! Les États membres ne seraient guère disposés à une telle révision, sauf à accentuer encore le caractère restrictif de cette disposition. Mais une chose est de «réviser» cet article, une autre d'élaborer des textes d'application.

Pour réduire autant que possible le nombre des recours en manquement et des recours préjudiciels nécessairement présentés en ordre dispersé, il conviendrait de régler le problème autant que possible par des mesures communautaires d'ordre général, chaque État membre fixant ensuite des normes aussi précises que possible pour délimiter ce qu'il convient d'entendre par «emplois dans l'administration publique» au sens du traité.

La rôle de proposition de la Commission ne nous paraît pas épuisé en ce domaine, sous prétexte que la libre circulation aurait dû être intégralement réalisée bien avant 1980. Rien n'empêcherait non plus le Conseil, même s'il ne paraît pas très enclin à le faire pour le moment, de demander à la Commission de lui transmettre une proposition de règlement ou de directive aux fins d'application de l'article 48, paragraphe 4.

Il est d'autant plus regrettable que la Commission déclare qu'elle n'a même pas l'intention de formuler des propositions en cette matière, sous prétexte qu'elle serait d'une extrême complexité en raison de l'éventail très vaste de situations fort diverses que recouvre la notion d'«emplois dans l'administration publique»: la complexité est au moins aussi grande pour les tribunaux nationaux et pour votre Cour.

Pour régler les innombrables litiges individuels qui surgissent, force est donc de se limiter à une tactique au coup par coup, alors qu'une solution globale s'imposerait.

V —

En vue de définir de façon positive le domaine d'application de l'article 48, paragraphe 4, on aurait pu, en premier lieu, être tenté de se référer à des critères touchant à la nature de droit public ou de droit privé des rapports d'emploi.

Selon l'exposé des motifs du projet de ratification du traité (document no III/3600 du Bundestag, deuxième législature 1953, p. 25) «la notion d'administration publique doit être interprétée dans un sens restrictif. En aucun cas, on ne doit entendre par cette expression l'emploi dans les établissements publics à caractère industriel et commercial».

Le commentaire de E. Wohlfahrt, U. Everling, H. J. Glaesener, R. Sprung (1960, p. 160) précise, sous la plume de M. U. Everling, que l'exception du paragraphe 4 de l'article 48 vise, en république fédérale d'Allemagne les fonctionnaires, employés et ouvriers et que l'administration publique englobe les personnes morales de droit public, en particulier les communes.

Dans son ouvrage sur le droit d'établissement dans le marché commun (Das Niederlassungsrecht im Gemeinsamen Markt, 1963, p. 46), M. Everling écrit: «pour les travailleurs, et donc les employés de l'administration publique, la limite est clairement tracée: toutes les personnes occupées (alle Beschäftigten) dans l'administration publique sont exclues».

Selon le commentaire de Quadri-Monaco-Trabucchi (vol. I, 1965, p. 391), sous la signature du professeur Levi Sandri, on doit comprendre par les termes de l'article 48, paragraphe 4, non seulement les emplois dans l'administration directe de l'État, mais encore ceux qui sont crées par les personnes morales de droit public, qui forment L'«administration indirecte»: entreprises ou établissements publics nationalisés ou «parasta-taux», collectivités locales, territoriales ou entreprises connexes
provincialisées ou municipalisées. A propos de ces dernières, il est dit qu'«elles doivent être comprises dans cette disposition, malgré la nature industrielle de l'activité exercée, étant donné qu'elles sont dépourvues de personnalité morale et que le rapport d'emploi s'instaure directement avec l'organisme public».

Dans le commentaire de J. Mégret, Le Droit de la CEE (vol. III, 1971, p. 6), M. J. V. Louis écrit: «aux termes d'une réponse faite à une question parlementaire par le ministre belge des affaires étrangères (session extraordinaire 1968, Sénat, Bull. Quest, et Rép., 30 juillet 1968, no 6, question de M. Bascour du 27 juin 1968), l'expression ‘administration publique’ implique le pouvoir directement exercé par l'État. Sont donc visés les ministères, les organismes parastataux et les administrations
communales. L'exception du paragraphe 4 doit donc recevoir une interprétation restrictive. Il est, dès lors, généralement admis qu'elle ne couvre pas les entreprises publiques à caractère commercial, industriel ou financier, ni les organismes privés chargés de la gestion d'un service public. L'accès à l'enseignement officiel doit être réglé en application du même principe. A noter toutefois — ajoute le ministre — que diverses considérations (connaissance de la langue, équivalence des diplômes) font
qu'en fait l'accès aux emplois dans l'enseignement officiel demeure habituellement réservé aux nationaux. Le gouvernement belge semble, dès lors, ajoute ce commentateur, ne pas exclure, en principe, l'application de la libre circulation à certains agents de l'État qui ne sont pas fonctionnaires d'autorité».

En France, le Conseil d'État s'inspire assez largement de la notion de participation plus ou moins importante à une activité mettant en jeu des prérogatives de puissance publique, du moins lorsqu'il s'agit d'un lien contractuel (de Robert Lafrégeyre, 26 janvier 1923, Recueil p. 67).

Toutefois, après nos conclusions du 5 décembre 1973, vous avez nettement écarté, dans votre arrêt préjudiciel du 12 février 1974 (Recueil p. 162), l'approche basée sur le caractère de l'organisme employeur ou sur la nature du rapport d'emploi.

Il convient de rappeler le texte de certains attendus de cet arrêt (la version allemande faisant foi):

«4. attendu que, compte tenu du caractère fondamental dans le système du traité, des principes de libre circulation et d'égalité de traitement, des travailleurs à l'intérieur de la Communauté des dérogations (le texte allemand porte ‘Ausnahmen’, c'est-à-dire exceptions) admises par le paragraphe 4 de l'article 48 ne sauraient recevoir une portée qui dépasserait le but en vue auquel cette clause d'exception (le texte allemand porte ‘Bestimmung’, c'est-à-dire disposition) a été insérée;

que les intérêts que celle-ci permet aux États membres de protéger sont satisfaits par la possibilité de restreindre l'admission (le texte allemand porte ‘Zugang’ accès) de ressortissants étrangers à certaines activités dans l'administration publique;...

5. attendu qu'il convient encore de préciser si la portée de l'exception prévue par l'article 48, paragraphe 4, peut être déterminée en fonction de la qualification du lien juridique entre le travailleur et l'administration qui l'emploie;

qu'en l'absence de toute distinction dans la disposition citée il est sans intérêt de savoir si un travailleur se trouve engagé (le texte allemand porte ‘beschäftigt’, c'est-à-dire occupé ou employé) en qualité d'ouvrier, d'employé ou de fonctionnaire, ou encore si son lien d'emploi relève du droit public ou du droit privé:

que ces qualifications juridiques sont, en effet, variables au gré des législations nationales et ne sauraient, dès lors, fournir un critère d'interprétation approprié aux exigences du droit communautaire;

6. attendu qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'article 48, paragraphe 4, du traité doit être interprété en ce sens que l'exception prévue par cette disposition concernce exclusivement l'accès à des emplois relevant de l'administration publique (‘Beschäftigungen in der öffentlichen Verwaltung’) et que le caractère du lien juridique entre le travailleur et l'administration est indifférent à cet égard; ...»

Enfin, le dispositif de votre arrêt porte (Recueil p. 366), pour ce qui nous intéresse:

«l'article 48, paragraphe 4, du traité doit être interprété en ce sens que l'exception prévue par cette disposition concerne exclusivement l'accès à des emplois relevant de l'administration publique (‘Beschäftigungen in der öffentlichen Verwaltung’). Le caractère du lien juridique entre le travailleur et l'administration est indifférent à cet égard ...»

Si l'on doit accorder aux mots leur importance, il en résulte que:

1) l'article 48, paragraphe 4, constitue une dérogation ou une clause d'exception;

2) les intérêts dont la protection justifie cette dérogation sont satisfaits par la possibilité de restreindre l'admission des ressortissants étrangers à «certaines activités dans l'administration publique» ou à «des emplois relevant de l'administration publique», mais ne sauraient plus justifier des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou d'autres conditions de travail à l'encontre de travailleurs une fois admis au service de l'administration; l'expression «emplois dans
l'administration publique» couvre les conditions dans lesquelles le travailleur, après son recrutement, est occupé du début jusqu'à la fin de sa carrière de salarié;

3) à cet égard, peu importe que le lien d'emploi relève du droit public ou du droit privé. Le fait que, dans certains États membres, les litiges concernant les emplois en cause puissent relever de la juridiction administrative ne change rien à l'inopposabilité de l'article 48, paragraphe 4, si les conditions d'application de cette disposition ne se trouvent pas réunies.

Le critère ne paraît pas non plus pouvoir être recherché dans la nature — économique ou non — du but poursuivi. Certes, comme le souligne le gouvernement allemand, le bénéfice du droit d'établissement n'est pas prévu pour les associations en tant que telles, pourtant assimilées par l'article 58 aux personnes physiques, et les sociétés ne poursuivant pas de but lucratif en sont clairement exceptées. Mais ces sociétés peuvent elles-mêmes être employeurs et avoir besoin de salariés. C'était le cas de
l'Église de Scientologie dans l'affaire Van Duyn.

Par conséquent, contrairement à ce que soutiennent les États membres qui ont participé à la présente procédure, ne doit pas être nécessairement reconnu comme relevant de l'administration publique tout emploi reconnu comme tel par l'État membre concerné, indépendamment du contenu des activités exercées dans le cadre de cet emploi. La détermination de ce contenu et la portée de cette réserve ne sauraient incomber exclusivement aux États membres, sans contrôle des institutions communautaires, et
notamment de votre Cour. Abandonner à ceux-ci le droit de délimiter souverainement le domaine de l'administration publique aboutirait à donner aux obligations découlant pour eux du principe de la libre circulation, c'est-à-dire d'une des libertés fondamentales prévues par le traité, une portée très différente d'un État à l'autre.

La notion d'«emplois dans l'administration publique» peut, à cet égard, être rapprochée de celle d'«ordre public» dont vous avez jugé, par arrêt du 28 octobre 1975, Rutili (Recueil p. 1231), que:

«27. cependant, dans le contexte communautaire et, notamment, en tant que justification d'une dérogation aux principes fondamentaux de l'égalité de droit et de la liberté de circulation des travailleurs, cette notion doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté.»

En outre, bien qu'il ne soit pas prévu que les limitations justifiées pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (article 48, paragraphe 3) et que l'exception de l'article 48, paragraphe 4, ne «doivent pas constituer un moyen de discrimination arbitraire», comme le prévoit l'article 36 en matière de libre circulation des marchandises, «cette notion ne saurait être détournée de sa fonction propre par le fait qu'elle soit invoquée à des fins économiques ou pour porter
atteinte à l'exercice des droits syndicaux», ce qui est d'ailleurs confirmé par l'article 8 du règlement no 1612/68 (dans la version du règlement no 312/76 du Conseil du 9 février 1976):

«1) Le travailleur ressortissant d'un État membre occupé sur le territoire d'un autre État membre bénéficie de l'égalité de traitement en matière d'affiliation aux organisations syndicales et d'exercice des droits syndicaux, y compris le droit de vote et l'accès aux postes d'administration ou de direction d'une organisation syndicale; il peut être exclu de la participation à la gestion d'organismes de droit public et de l'exercice d'une fonction de droit public. Il bénéficie, en outre, du droit
d'éligibilité aux organes de représentation des travailleurs dans l'entreprise».

Enfin, l'atteinte portée, en vertu de l'article 48, paragraphe 4, aux droits garantis par l'article 48, ne saurait dépasser le cadre de ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de l'administration publique «dans une société démocratique» (attendu 32 de l'arrêt Rutili).

Ce n'est point le simple fait d'être occupé dans l'administration publique qui déclenche l'application de l'article 48, paragraphe 4: seule l'admission à certains emplois relevant de l'administration publique ou l'accès à certaines activités dans l'administration publique sont visés par cette disposition.

Nous pensons que, sur ce point, la rédaction de votre arrêt Sotgiu témoigne d'une certaine imprégnation par les dispositions de l'article 55, alinéa 1 :

«Sont exceptées de l'application du présent chapitre, en ce qui concerne l'État membre intéressé, les activités (‘Tätigkeiten’ en allemand) participant dans cet État, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique.»

A l'origine de cette dernière disposition se trouve une proposition française du 3 janvier 1957 ainsi conçue:

«Sont exceptées de l'application des dispositions du présent article les activités pouvant comporter l'exercice, même occasionnel, d'une fonction ou d'une charge publique, ou celles inhérentes à l'exécution d'un service public ainsi que les associations à but non lucratif de droit public ou privé, qui demeurent soumises aux législations nationales.»

Le comité des chefs de délégation s'était ensuite mis d'accord pour excepter de l'application du droit d'établissement «les activités exercées par des fonctionnaires de l'État et les pouvoirs publics qui lui sont subordonnés ainsi que celles des avocats et des personnes investies d'une charge publique».

Est-il possible, pour serrer d'un peu plus près ce qu'il faut entendre par «emplois dans l'administration publique» au sens de l'article 48, paragraphe 4, de se référer purement et simplement à cette disposition de l'article 55, alinéa 1?

Même si ces deux dispositions présentent une certaine analogie, elles n'ont pas le même champ d'application. Le chapitre (les travailleurs) dont fait partie l'article 48 concerne exclusivement les activités salariées, tandis que le chapitre (le droit d'établissement) où figure l'article 55 ne concerne que les activités non salariées.

La Commission soutient que le seul but que les États puissent légitimement poursuivre est de réserver à leurs nationaux les fonctions dont la nature implique que leurs titulaires participent à l'exercice de l'autorité publique. Pourtant, dans ses observations sous l'affaire Sotgiu, elle exposait elle-même qu'une telle interprétation ne tiendrait pas compte des différences, apparemment voulues, existant entre ces deux dispositions; elle négligerait, d'autre part, le fait que l'article 55 concerne les
fonctions publiques accessoires exercées par des indépendants ou des titulaires de professions libérales; c'est-à-dire des personnes qui n'exercent de telles foncitons que de façon occasionnelle et dans un domaine généralement bien délimité, alors que l'article 48, paragraphe 4, concernce des personnes qui occupent à plein temps un emploi salarié dans l'administration publique.

La Commission reconnaît par ailleurs que le texte de l'article 48, paragraphe 4, est moins limitatif que celui de l'article 55, alinéa 1. Un indépendant peut ne pas occuper un emploi dans l'administration publique, tout en participant néanmoins à l'exercice de l'autorité publique; un travailleur peut occuper un tel emploi sans que cela entraîne nécessairement l'exercice de tels pouvoirs. Inversement, même un salarié recruté par une personne ou un organisme privés, chargés d'une mission de service
public ou associés à un tel service, pourra, le cas échéant, compte tenu de la nature de cette mission ou de ce service, être considéré comme «occupé dans l'administration publique».

Mais la nature publique de la rémunération ne suffit pas pour qualifier un emploi d'«emploi dans l'administration publique».

Il arrive enfin que, dans certains services industriels exploités en régie, l'État emploie des ouvriers rémunérés par référence aux salaires pratiqués dans la même branche d'industrie du secteur privé. C'est ce que l'on appelle, en France par exemple, le «personnel civil des établissements militaires» ou le «personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine». Dans ces secteurs, la puissance publique se trouve en situation soit de concurrence, soit de monopole vis-à-vis des entreprises
privées. Néanmoins, dans ce cas, l'article 48, paragraphe 3, pourra trouver à s'appliquer.

Tout en nous gardant de vouloir faire œuvre de «législation juridictionnelle», pour reprendre l'expression de M. l'avocat général Warner dans ses conclusions du 10 juillet 1980 sous l'affaire Paschek, nous retiendrons les critères suivants:

1) d'une manière positive, aux fins d'application de l'article 48, paragraphe 4, ce qui importe c'est la nature administrative de l'activité réellement exercée; ainsi, une activité dans un établissement public gérant un service administratif relève de l'article 48, paragraphe 4;

2) l'exception de l'article 48, paragraphe 4, couvre en tout cas les emplois qui sont en rapport direct ou indirect avec l'exercice — même simplement occasionnel — de prérogatives de puissance publique exorbitantes du droit commun;

3) d'une manière négative, la seule participation, même directe, à la gestion ou à l'exécution d'un service public ne suffit pas pour exclure un emploi du champ d'application normal des articles 48 à 51. Relèvent de ces articles les emplois dans les services publics à caractère industriel et commercial, même confiés à des établissements publics nationalisés.

Reste l'objection soulevée par les gouvernements intervenants, tirée de la difficulté de concilier, dans la thèse de la Commission, l'admission d'étrangers à un emploi «dans l'administration publique» avec leur exclusion — légitime — des postes supérieurs dans la hiérarchie: d'une part, la possibilité de promotion à de tels postes découle du «principe de la carrière», consacré dans plusieurs États membres, d'autre part l'exercice des responsabilités que comportent ces postes justifie clairement
l'application de a réserve de l'article 48, paragraphe 4.

Il nous semble possible de répondre à cet argument sérieux en proposant de distinguer selon qu'il s'agit de l'entrée dans une carrière comportant normalement l'accès à un poste d'autorité: en pareil cas, l'exclusion serait justifiée a limine. En effet, l'article 48, paragraphe 4, ne veut pas dire que l'accès aux emplois «dans l'administration publique», quels qu'ils soient, échappe à l'interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité, édictée par l'article 7. Le second alinéa
de ce dernier article permet au Conseil de prendre «toute réglementation en vue de l'interdiction de ces discriminations». Tout comme le second alinéa de l'article 55, cette disposition habilite ainsi cette institution à «légiférer» en la matière en assurant la conciliation entre l'égalité d'accès aux emplois en cause et la sauvegarde des droits souverains des États membres. Les distinctions nécessaires pourraient ainsi être établies selon les critères que nous proposons et les agents occupant, même
dans l'administration publique, des emplois de «travailleurs» seraient soumis à l'article 48, paragraphe 4, par une simple référence à cette disposition contenue dans la réglementation adoptée en vertu de l'article 7.

Au reste, aucun des emplois visés dans les offres en définitive incriminées par la Commission ne nous paraît comporter de telles perspectives de carrière. Un cheminot, poseur de voies, par exemple, même fonctionnaire, ne saurait avoir vocation à devenir directeur général.

VI —

L'application de ces critères aux offres d'emploi de la Société nationale des chemins de fer belges nous conduit à estimer que la condition de nationalité exigée par ces offres est contraire au traité.

Elle l'est au surplus en vertu de votre arrêt Commission/République française du 4 avril 1974. En effet, dans l'attendu 33 (Recueil p. 371), vous avez jugé que «l'application au domaine des transports (et donc aux transports par chemins de fer) des articles 48 à 51 constitue pour les États membres une obligation».

Cette constatation n'est pas infirmée par le fait qu'une fois admis à ces emplois les ressortissants des États membres peuvent être élus aux postes d'administration ou de direction d'une organisation syndicale (article 8, paragraphe 1, du règlement no 1612/68) et que cette éligibilité entraîne la possibilité de participer à la direction des entreprises, tout au moins selon la législation en vigueur dans certains États membres.

De même, bien que, dans certains États membres, les cheminots soient fonctionnaires et qu'ils puissent être de plein droit placés en état de réquisition en cas de guerre ou de menace de guerre, les emplois salariés dans ce mode de transport ne sont pas couverts par l'article 48, paragraphe 4.

Malgré le caractère public du service assuré par une entreprise chargée — en vertu d'un contrat de droit privé — par une municipalité de l'enlèvement des ordures ménagères au moyen de ses propres véhicules, vous avez refusé (arrêt Nehlsen du 6 décembre 1979, Recueil p. 3639) de considérer ces véhicules comme utilisés par d'autres autorités publiques pour des services publics, ne concurrençant pas les transporteurs professionnels.

Cependant, pour éviter que l'admission des ressortissants des autres États membres ne puissent s'accompagner d'un «statut au rabais» ou d'une dégradation des conditions de rémunération des nationaux, vous avez ajouté (attendu 45 de votre arrêt Commission/République française, Recueil 1974, p. 373) «que le caractère absolu de l'interdiction de l'article 48, paragraphe 2, a pour effet également, conformément au but visé à l'article 117 du traité, de garantir aux ressortissants nationaux qu'ils ne
subiront pas les conséquences défavorables qui pourraient résulter de l'offre ou de l'acceptation, par des ressortissants des autres États membres, de conditions d'emploi ou de rémunération moins avantageuses que celles qui sont en vigueur dans le droit national, pareille offre ou acceptation étant interdite».

En ce qui concerne ceux des emplois offerts par la Ville de Bruxelles et par la Commune d'Auderghem qui font l'objet du litige, ils ne se distinguent en rien d'emplois auprès d'entreprises ou d'établissements exerçant une activité industrielle et commerciale.

Comme il s'agit cependant d'administrations communales, il convient de tenir compte d'un arrêt plus récent rendu en matière préjudicielle par votre deuxième chambre le 8 mars 1979, Lohmann (Recueil p. 854) sur conclusions de M. l'avocat général Capotorti.

L'affaire au principal mettait en cause un ancien fonctionnaire communal ou assimilé aux Pays-Bas.

A propos de l'article 4, paragraphe 4, du règlement du Conseil no 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, selon lequel ce règlement «ne s'applique ni à l'assistance sociale, ni aux régimes de prestations en faveur des victimes de la guerre ou de ses conséquences, ni aux régimes spéciaux des fonctionnaires ou du personnel assimilé», vous avez dit (attendu 3, Recueil p. 860) que «cette exclusion n'est d'ailleurs que la conséquence logique de l'article 48,
paragraphe 4, du traité qui exclut ‘les emplois dans l'administration publique’ de l'application des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté».

Cette jurisprudence pourrait remettre en cause la jurisprudence Sotgiu, dans la mesure où celle-ci excluait toute référence au caractère juridique du lien d'emploi ou à la nature de l'employeur. Dans la mesure où les emplois dont il est question dans les offres litigieuses seraient couverts par un régime spécial de sécurité sociale ne tombant pas dans le champ d'application du règlement no 1408/71, on devrait logiquement en déduire qu'il s'agit d'«emplois dans l'administration publique» au sens de
l'article 48, paragraphe 4.

Toutefois, l'agent du royaume de Belgique n'a ni prouvé ni même offert de prouver que les emplois en question relevaient d'un régime spécial au sens de l'article 4, paragraphe 4, du règlement no 1408/71. Il n'a pas, par conséquent, comme il lui appartenait de le faire, renversé la présomption du caractère non administratif des emplois en question.

A vrai dire, il pourrait être exigé des candidats aux emplois communaux qu'ils jouissent de leurs droits civiques (droit d'électorat et d'éligibilité), comme le fait l'article 19, 2o, de la loi française du 28 avril 1952, d'autant qu'ils peuvent être amenés, dans le cadre de ces emplois, à participer à la gestion d'organismes de droit public et à l'exercice d'une fonction de droit public.

Or, les ressortissants communautaires autres que nationaux ne jouissent pas d'emblée de ces droits, de telle sorte que la condition de jouissance des droits civiques viendrait restreindre la portée de l'accès à de tels emplois. Mais les offres litigieuses ne posent aucune exigence à cet égard, même pas la possession d'un «certificat de bonne conduite, vie et moeurs».

Nous concluons à ce que vous reconnaissiez qu'en permettant d'imposer la nationalité belge comme condition de recrutement dans les emplois suivants:

— ouvriers non qualifiés, élèves-conducteurs de locomotives, signaleurs auprès de la SNCB, veilleurs de nuit, aides-jardiniers, plombiers auprès de la Ville de Bruxelles,

— ouvrier semi-qualifié et ouvrier qualifié B auprès de la Commune d'Auderghem,

le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 paragraphe 4, du traité CEE et du règlement du Conseil no 1612/68.

Nous concluons également à ce que le royaume de Belgique soit condamné aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 149/79
Date de la décision : 24/09/1980
Type de recours : Recours en constatation de manquement - ajourné

Analyses

Libre circulation des travailleurs.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:220

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