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02/07/1980 | CJUE | N°152/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 2 juillet 1980., Commission des Communautés européennes contre République française., 02/07/1980, 152/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 2 JUILIET 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'affaire de violation du traité dans laquelle nous présentons aujourd'hui nos conclusions a pour objet la compatibilité de la réglementation française de la publicité pour les boissons alcooliques avec l'interdiction, prévue à l'article 30 du traité CEE, de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation.

Le code français des débits de boissons et des mesures contre l

'alcoolisme (décret du 8. 2. 1955, ordonnance 59-107 du 7. 1. 1959, à son titre 1, article L1) ré...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 2 JUILIET 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'affaire de violation du traité dans laquelle nous présentons aujourd'hui nos conclusions a pour objet la compatibilité de la réglementation française de la publicité pour les boissons alcooliques avec l'interdiction, prévue à l'article 30 du traité CEE, de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation.

Le code français des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme (décret du 8. 2. 1955, ordonnance 59-107 du 7. 1. 1959, à son titre 1, article L1) répartit les boissons en cinq groupes, en vue de la réglementation de leur fabrication, de leur mise en vente et de leur consommation.

Le premier groupe comprend les boissons non alcooliques. Le deuxième groupe, ajouté par l'ordonnance 60-1253 du 29 novembre 1960, englobe les boissons non fermentées telles que le vin, la bière le cidre, le poiré, l'hydromel. Sous ce groupe entrent également les vins doux naturels bénéficiant du régime fiscal des vins ainsi que les crèmes de cassis et les jus de fruits ou de légumes fermentes comportant de 1 à 3° d'alcool. Font partie du troisième groupe les vins doux naturels autres que ceux
appartenant au deuxième groupe, les vins de liqueur, les apéritifs à base de vin et liqueurs de fraises, framboises, cassis ou cerises, ne titrant pas plus de 18° d'alcool pur. Dans le quatrième groupe ajouté par la loi 57-725 du 27 juin 1957 sont classées les catégories de boissons suivantes: les rhums, les tafias, les alcools provenant de la distillation des vins, cidres, poirés ou fruits ou ne supportant aucune addition d'essence ainsi que les liqueurs édulcorées au moyen de sucre, de glucose ou
de miel à raison de 400 grammes minimum par litre pour les liqueurs anisées et de 200 grammes minimum par litre pour les autres liqueurs et ne contenant pas plus d'un demi-gramme d'essences par litre. Enfin, le cinquième groupe comprend toutes les autres boissons alcooliques.

A son chapitre II, notamment dans les articles L 17 et L 18, le code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme réglemente la publicité des boissons. Selon ces dispositions, aucune restriction à la publicité n'existe pour les boissons énumérées dans les groupes 1, 2 et 4, pour les boissons du troisième groupe, la publicité est limitée de telle manière que seule la désignation du produit, sa composition, le nom et l'adresse du fabricant et des négociants peuvent être cités. Enfin,
toute publicité est interdite pour toutes les boissons classées dans le cinquième groupe, donc pour toutes les boissons alcooliques qui ne sont pas expressément mentionnées dans la loi.

Cette réglementation a déjà été critiquée dans la recommandation de la Commission 70/125/CEE du 22 décembre 1969 adressée à la République française et concernant l'aménagement du monopole national à caractère commercial des alcools (JO n° L 13 du 19. 1. 1970, p. 29), parce qu'elle défavorisait notamment certains produits qui peuvent être traditionnellement considérés comme produits d'autres États membres. Dans un échange de lettres ultérieur entre la Commisison et le gouvernement français, celui-ci
a soutenu en revanche que cette réglementation de la publicité pour les boissons alcooliques, qui ne fait aucune distinction selon l'origine de ces produits, sert à lutter contre l'alcoolisme et est donc utile à la santé publique. En revanche, la Commission a persisté dans son opinion selon laquelle les articles L 17 et L 18 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme sont de nature à entraver l'importation en France de boissons alcooliques d'autres États membres et constituent
par conséquent une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité CEE, non justifiée par l'article 36 de ce dernier.

Par lettre du 4 juin 1976, la Commission a engagé une procédure formelle en application de l'article 169 du traité CEE. Le gouvernement français, par lettre de sa représentation permanente du 9 juillet 1976, ayant persisté dans son point de vue, la Commission, par lettre du 25 janvier 1978, a émis un avis motivé à l'égard de la République française conformément à l'article 169, paragraphe 1, du traité CEE. Par une lettre de sa représentation permanente du 29 mars 1978, le gouvernement français a
alors fait savoir à la Commission qu'il consacrerait une attention particulière à cet avis et qu'il reprendrait contact avec elle dans le plus bref délai, afin de l'informer de ses intentions. La Commission, n'ayant plus rien reçu du gouvernement français, a alors décidé d'intenter le recours introduit devant la Cour de justice le 6 juillet 1978, dans lequel elle demande de déclarer que le gouvernement français, en réglementant la publicité des boissons alcooliques d'une façon discriminatoire et en
maintenant ainsi des obstacles aux échanges intracommunautaires, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité; elle demande en outre de condamner la République française aux dépens.

En revanche, la République française demande de rejeter le recours de la Commission et de condamner la requérante aux dépens.

1.  Lorsque l'on porte une appréciation sur cette affaire, il faut tout d'abord clarifier la question, que la Cour de justice n'a pas traitée jusqu'à présent, qui est de savoir si une limitation nationale de la publicité pour certaines boissons alcooliques, sans se rattacher au fait de l'importation, peut être une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité CEE. Le but de cette disposition est de garantir la liberté des échanges
commerciaux entre les États membres dans des conditions normales de concurrence. Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour de justice a clairement établi que toute réglementation commerciale ou mesure des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives (voir à ce sujet les arrêts du 11. 7. 1974, affaire 8/74, Procureur du Roi/Benoît
et Gustave Dassonville, Recueil 1974, p. 837; du 8. 7. 1975, affaire 4/75, Rewe-Zentralfinanz eGmbH/Landwirtschaftskammer, Recueil 1975, p. 843; du 20. 5. 1976, affaire 104/75, Adriaan de Peijper, Recueil 1976, p. 613; du 15. 12. 1976, affaire 35/76, Simmenthal SpA/Ministère des finances italien, Recueil 1976, p. 1871, et du 15. 12. 1976, affaire 41/76, Suzanne Donckerwolcke et Henri Schou/Procureur de la République au tribunal de grande instance de Lille et directeur général des douanes et
droits indirects, Recueil 1976, p. 1921). De cette formulation déjà, il résulte que les articles 30 et suivants entrent en ligne de compte non seulement lorsque le franchissement de la frontière par une marchandise est rendu plus difficile, mais également lorsque son écoulement dans l'État d'importation se trouve entravé par rapport aux produits nationaux. Comme on le sait, les mesures interdites ainsi décrites peuvent apparaître sous les formes les plus diverses.

La jurisprudence de la Cour de justice relative aux mesures nationales de contrôle des prix nous paraît revêtir une importance particulière pour la solution de la présente affaire. Dans ses arrêts du 26 février 1976 dans l'affaire 65/75 (Riccardo Tasca, Recueil 1976, p. 291) et dans les affaires jointes 88 à 90/75 (Société SADAM et autres/Comité interministériel des prix et ministre de l'industrie du commerce et de l'artisanat et autres, Recueil 1976, p. 323) dans lesquelles il s'agissait de
statuer sur une disposition nationale en matière de prix, la Cour a tout d'abord confirmé l'interprétation, mentionnée précédemment, de la notion de mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, puis elle a déclaré :

«Si un prix maximal indistinctement applicable aux produits nationaux et importés ne constitue pas en lui-même une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, il peut cependant sortir un tel effet lorsqu'il est fixé à un niveau tel que l'écoulement des produits importés devient, soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux.»

L'arrêt du 24 janvier 1978 dans l'affaire 82/77 (Ministère public du royaume des Pays-Bas/Jacobus Philippus van Tiggele — prix minima de genièvre — Recueil 1978, p. 25) s'exprime dans le même sens.

Cette idée doit également s'appliquer à la limitation nationale de la publicité pour certaines boissons alcooliques. A cet égard, il faut tout d'abord relever que, comme la Cour de justice l'a affirmé dans son arrêt du 20 février 1979 dans l'affaire 120/78 (Rewe-Zentral AG/Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, Recueil 1979, p. 649), en l'absence d'une réglementation commune de la production et de la commercialisation de l'alcool et des boissons spiritueuses, il appartient aux États membres de
régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne cette production et cette commercialisation. Des obstacles à la circulation intracommunautaire résultant de disparités des législations nationales relatives à la commercialisation des produits en cause doivent être acceptés, à la condition que ces dispositions, indépendamment du fait qu'il s'agit de mesures applicables indistinctement ou non, soient nécessaires pour satisfaire à des exigences imperatives comme par exemple la protection de
la santé publique.

Comme autre condition — cette idée peut être déduite des arrêts de la Cour de justice cités plus haut relatifs à des dispositions nationales en matière de prix — il faut exiger qu'une réglementation nationale — peut-être nécessaire — de la commercialisation, comme par exemple une limitation de la publicité, ne puisse pas aboutir à défavoriser les produits importés par rapport aux produits nationaux similaires. Il est évident qu'une limitation de la publicité pour certains produits, qui s'étend
principalement à des produits importés, alors qu'elle ne concerne pas des produits nationaux similaires, est potentiellement de nature à avoir, pour les importateurs, un effet restrictif de la concurrence. En pareil cas, il s'agit d'une discrimination arbitraire ou d'une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres au sens de l'article 36, paragraphe 2, du traité CEE avec cette conséquence que les dispositions en question doivent être considérées comme des mesures d'effet
équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation.

2.  En l'espèce, il faut encore examiner si la réglementation de la publicité pour les boissons alcooliques, prévue dans le code français des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme est nécessaire et propre à satisfaire à l'exigence imperative de la protection de la santé publique et si cette réglementation concrète ne défavorise pas les produits importés par rapport aux produits nationaux similaires. Les deux parties reconnaissent qu'il est nécessaire de combattre l'alcoolisme qui
constitue un danger pour la santé publique. Elles s'accordent également pour penser qu'une limitation de la publicité en faveur des boissons alcooliques est en principe de nature à lutter efficacement contre ce danger. La contestation porte uniquement sur le point de savoir si la publicité en faveur des boissons alcooliques est réglementée en France de manière discriminatoire, donc si le traitement différent de ces boissons en fonction du degré de leur nocivité respective est objectivement
justifié.

A cet égard, la Commission estime que la répartition est effectuée sur la base de motifs non pertinents et sert en premier lieu à limiter la commercialisation des boissons non françaises. Seule la teneur en alcool et, à titre complémentaire, la teneur en sucre et en essence pourraient être retenues comme critères objectifs de la nocivité. Toutes les boissons qui, compte tenu de ces critères, présentent les mêmes qualités, devraient donc être considérées comme similaires et donc comme également
nocives.

En revanche, selon le gouvernement français, outre ces critères, toute une série d'autres facteurs doivent encore intervenir dans la nocivité de certaines boissons pour la santé. Ici, il faudrait notamment citer les différentes compositions non alcooliques qui déterminent le goût des boissons et par conséquent aboutissent à des habitudes de consommation différentes de pays à pays, dont il faudrait tenir compte en luttant contre l'alcoolisme. En outre, il faudrait considérer qu'une boisson peut
être utilisée comme apéritif ou comme digestif. Chez les consommateurs, on pourrait observer un fort penchant pour les apéritifs parmi lesquels il y aurait lieu de nouveau de distinguer entre les apéritifs qualifiés de doux, fabriqués principalement à partir du vin, et ceux qui proviennent d'un autre alcool et qui seraient consommés purs ou mélangés à de l'eau. Cette distinction ferait apparaître comme justifié de classer les apéritifs à base de vin parmi les boissons du troisième groupe, pour
lesquelles la publicité n'est que limitée, et d'autre part, de faire entrer les apéritifs à base d'autres alcools tels que les eaux-de-vie anisées, le whisky et le korn dans le cinquième groupe pour lequel toute publicité est interdite. La législation française constituerait à cet égard une réglementation d'ensemble cohérente, qui correspondrait aux habitudes différentes de consommation. Les boissons du troisième et du quatrième groupe auraient des effets différents du point de vue sanitaire et
seraient donc logiquement classées sous des groupes différents. Enfin, le fait précisément que les deux groupes pour lesquels la publicité est limitée ou interdite comprennent également des boissons d'origine française prouverait que l'intention n'était pas de désavantager les boissons non françaises.

Cette argumentation du gouvernement français n'est cependant pas convaincante pour plusieurs raisons. En effet, dans la question de savoir si l'on est en présence d'une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, l'élément important n'est pas que l'on a eu l'intention, par la mesure en question, d'entraver le commerce, mais plutôt que la réglementation est de nature à constituer une entrave au commerce. En outre, le fait que les produits nationaux sont eux aussi
atteints par l'effet d'une mesure entravant le commerce n'a pas pour effet d'éluder la gêne causée à l'importation. Comme nous l'avons montré au début de ces conclusions, on est, au contraire, en présence d'une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, dès que les produits importés sont défavorisés par rapport aux produits nationaux similaires ou se trouvant en concurrence avec eux et que de ce fait ces derniers acquièrent un avantage concurrentiel.

Lorsque l'on examine la question de savoir dans quelle mesure les différentes boissons sont similaires ou en concurrence les unes avec les autres, on doit tout d'abord constater que, selon la réglementation française, la publicité pour les alcools de vin, de fruits, de céréales et de canne à sucre n'est soumise à aucune limitation, tandis que, par ailleurs, aucune publicité ne peut être faite pour les alcools, qui sont fabriqués à partir de la mélasse, de la pomme de terre et d'autres produits
de base. Comme le montre l'arrêt du 27 février 1980 rendu dans l'affaire 168/78 (Commission/République française), dans laquelle il s'agissait de la taxation française différente de l'eau-de-vie de vin et de fruits d'une part et de genièvre et d'autres eaux-de-vie de céréales d'autre part, la France a une production importante de produits qui peuvent être classés dans le premier groupe cité, comme, par exemple, le cognac, l'armagnac ou le calvados. En revanche, la France n'a pas une production
importante de genièvre et d'autres eaux-de-vie de céréales telles que l'aquavit, le genièvre, le gin, le korn et le whisky qui sont en majeure partie importés. Dans l'affaire citée, le gouvernement français avait également tenté de justifier la différence de régime fiscal par le fait que la réglementation, en se rattachant à des habitudes de consommation et à des buts d'utilisation différents, favorise la protection de la santé publique. Dans son arrêt du 27 février 1980, la Cour de justice a
rejeté cette argumentation et a clairement affirmé que la distinction qui est à la base de la pratique fiscale française ne revêtait aucune valeur objective pour l'article 95 du traité CEE déterminant dans cette affaire. Elle a notamment relevé que les produits en question, indépendamment de leurs caractéristiques respectives, appartiennent à une espèce qui se distingue des autres boissons alcooliques par une teneur relativement élevée en alcool. Les eaux-de-vie de céréales, y compris le
genièvre, en tant que produits de la distillation, ont en commun, avec les autres eaux-de-vie, suffisamment de propriétés pour constituer, du moins dans certaines circonstances, une alternative de choix pour le consommateur. En raison de leur qualité, les eaux-de-vie de céréales et les genièvres sont susceptibles d'être consommés dans les circonstances les plus diverses et de concurrencer simultanément les boissons qualifiées d'«apéritifs» et de «digestifs» selon la pratique fiscale française,
tout en servant à des usages qui n'entrent dans aucune de ces deux catégories. Cette multiplicité d'utilisation permet de considérer que ces boissons sont similaires ou du moins en concurrence les unes avec les autres. Tels étant les rapports de concurrence et de substitution entre les boissons en cause, la nature protectrice du système fiscal critiqué par la Commission apparaît clairement.

Comme la Commission l'a souligné à juste titre, ces conclusions doivent s'appliquer non seulement à l'article 95 mais également aux articles 30 et 36 du traité CEE. Puisque toutes les eaux-de-vie se caractérisent par une teneur en alcool et en sucre à peu près égale, elles constituent dans la même mesure un danger pour la santé publique. La multiplicité d'utilisation que nous avons indiquée montre précisément que, selon des points de vue objectifs, il n'est pas justifié non plus de soumettre les
boissons en question à un régime différent sous le rapport de leur nocivité en invoquant la protection de la santé publique. La nature protectrice de la réglementation différente de la publicité pour les diverses catégories d'eaux-de-vie, que la Commission a critiquée, réside dans le fait qu'une part importante de la production nationale, c'est-à-dire les eaux-de-vie de vin, de fruits et de canne à sucre, sont soumises à un régime de faveur par rapport aux autres produits qui sont presque
entièrement importés d'autres États membres. D'autre part, les spiritueux anisés, bien qu'ils constituent un danger particulièrement grave pour la santé publique, en raison de leur teneur en anéthol, sont assimilés aux autres eaux-de-vie.

Enfin, l'argument du gouvernement français selon lequel le whisky a pu accroître sa part de marché malgré le désavantage exposé ne prouve pas, lui non plus, que l'effet de protection n'existe pas. A cet égard, il suffit de constater qu'une entrave potentielle au commerce est suffisante pour que l'on se trouve en présence d'une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation et qu'en outre, comme nous l'avons dit dans nos conclusions relatives à l'affaire 168/78 citée en
dernier lieu, une telle tendance peut avoir d'autres causes.

A ce propos, nous voudrions encore mentionner l'argument de la Commission selon lequel, en ce qui concerne les spiritueux anisés pour lesquels la publicité n'est pas admise, un avantage concurrentiel existe par rapport aux autres eaux-de-vie entrant dans le cinquième groupe, du fait que la publicité n'est pas limitée pour les liqueurs d'anis qui appartiennent au quatrième groupe. Les fabricants de spiritueux anisés bien connus en France auraient ainsi la possibilité, en ajoutant les termes
«liqueur» ou «anisette», de faire indirectement de la publicité pour les produits pour lesquels elle est par ailleurs interdite. Le consommateur établirait un rapport entre les noms des fabricants, sur la base notamment de la longue tradition de ces firmes, avec les eaux-de-vie correspondantes à base d'anis. Une telle possibilité de publicité indirecte n'existerait cependant pas pour les fabricants de whisky par exemple.

A notre avis, cet argument ne pourrait être convaincant que si, du point de vue des consommateurs, les liqueurs d'anis en question sur le marché français n'étaient effectivement pas considérées comme une catégorie de boissons indépendante classée parmi les liqueurs et s'il existait ainsi une possibilité de confusion. Si les consommateurs français n'étaient réellement pas en mesure de distinguer entre des liqueurs d'anis et des spiritueux anisés, les producteurs non français d'eau-de-vie,
notamment, qui ne peuvent pas disposer de cette possibilité indirecte de publicité soit pour des raisons de fait, soit parce que le nom de leur firme sur le marché français n'est pas suffisamment connu, seraient désavantagés par rapport aux producteurs français.

Enfin, en-prenant pour base les critères élaborés par la jurisprudence de la Cour de justice, le classement des autres boissons alcooliques dans les divers groupes n'est pas objectivement justifié et aboutit à ce que des produits étrangers sont défavorisés par rapport à des produits nationaux similaires ou concurrents.

On doit donc retenir que les liqueurs d'une teneur en alcool supérieure à 18°, qui sont édulcorées au moyen de sucre, de glucose ou de miel, par exemple les produits typiquement français tels que le Cointreau, le Grand Marnier, la Chartreuse entrent dans le quatrième groupe, pour lequel aucune limitation de la publicité n'est prévue. En revanche, les liqueurs de fraises, de framboises, de cassis ou de cerises, ne titrant pas plus de 18° d'alcool pur, sont classées dans le troisième groupe de
boissons pour lesquelles la publicité ne peut être faite que dans une mesure limitée. Ces dernières liqueurs, qui ont incontestablement une teneur en sucre à peu près égale et qui sont également produites en grande quantité dans d'autres États membres, sont donc soumises à un régime plus strict que des liqueurs d'une teneur en alcool plus élevée. Comme nour le savons par l'arrêt rendu dans l'affaire 120/78 (Rewe), cette différence de régime ne peut pas non plus se justifier du point de vue de la
protection de la santé publique. Dans l'affaire mentionnée, l'autorisation d'importer un lot de cassis de Dijon, de France en république fédérale d'Allemagne, a été refusée par l'administration fédérale du monopole des eaux-de-vie par référence notamment à la protection de la santé publique. A ce sujet, le gouvernement allemand a soutenu que la détermination d'une teneur minimale en alcool par la législation nationale aurait pour fonction d'éviter la prolifération de boissons spiritueuses sur le
marché national, spécialement de boissons spiritueuses à teneur alcoolique modérée, de tels produits pouvant, à son avis, provoquer plus facilement l'accoutumance que des boissons à titre alcoolique plus élevé. La Cour de justice a expressément rejeté cette considération pour le motif que le consommateur peut se procurer sur le marché une gamme extrêmement variée de produits faiblement ou moyennement alcoolisés et qu'au surplus une partie importante des boissons alcoolisées à fort titre
alcoométrique, librement commercialisées sur le marché allemand, est consommée couramment sous forme diluée. Cette considération doit sans aucun doute s'appliquer également à la présente affaire.

En outre, selon la réglementation française, les vins de liqueur, tels que le Porto, le Malaga, le Sherry et le Madère, doivent être classés dans le troisième groupe des boissons, pour lequel la réglementation est limitée, tandis que les produits typiquement français tels que l'Avèze et la Suze, qui ont incontestablement une teneur en alcool et en sucre équivalente et qui sont destinés à satisfaire les mêmes habitudes de consommation, entrent dans le quatrième groupe et ne sont donc soumis à
aucune limitation en ce qui concerne la publicité. Même si ces catégories de boissons sont différentes par le goût, ce critère n'offre pas une base de distinction suffisante quant à la nocivité des boissons en question puisque, comme la Cour de justice l'a déclaré dans l'affaire 168/78, il est trop variable dans le temps et dans l'espace, pour pouvoir fournir à lui seul une base de distinction suffisamment sûre pour permettre une délimitation.

Enfin, la Commission attire, avec raison, l'attention sur le fait que dans le deuxième groupe des boissons, pour lequel aucune limitation de la publicité n'est prévue et qui est réservé en général aux boissons alcooliques, qui sont obtenues à la suite d'un procédé de fermentation, comme la bière et le vin, on trouve également les vins doux naturels, qui sont soumis à la réglementation fiscale française des alcools. Cela signifie qu'une publicité illimitée peut être faite pour des vins de liqueur
d'origine exclusivement française, tandis que les autres vins de liqueur qui, sur la base de tous les critères pertinents doivent être considérés comme similaires ou tout au moins concurrents, sont classés dans le troisième groupe et sont donc soumis à une limitation. Cela s'applique également aux crèmes de cassis, parmi lesquelles, comme on peut le déduire d'un décret du 28 juillet 1908, qui réglemente la composition et la désignation de cette boisson, entrent exclusivement les cassis dits de
Dijon, donc aussi des boissons nationales uniquement. En revanche, pour les produits concurrents similaires du point de vue des consommateurs, tels que les liqueurs de fruits en provenance d'autres États membres, qui sont classés dans le troisième groupe, une publicité ne peut être faite que de manière limitée avec cette conséquence, qu'en ce qui concerne leur commercialisation, ces produits se trouvent défavorisés par rapport aux produits nationaux, sans qu'une différenciation paraisse
justifiée pour des raisons tenant à leur nocivité pour la santé publique.

Sur la base de toutes ces considérations, nous avons la conviction que le code français des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme, qui prévoit une réglementation différente de la publicité pour diverses boissons alcooliques, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdite par l'article 30 du traité CEE, puisque la répartition qu'il opère est de nature à défavoriser les boissons étrangères par rapport aux produits nationaux, bien
que les unes et les autres doivent être considérées comme similaires ou concurrentes quant à leur nocivité pour la santé publique.

3.  En conclusion, nous vous proposons donc de déclarer que la République française, en réglementant la publicité des boissons alcooliques d'une façon discriminatoire et en maintenant ainsi des obstacles aux échanges intracommunautaires, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE. Étant donné l'issue de cette affaire, la République française doit également être condamnée aux dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 152/78
Date de la décision : 02/07/1980
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Publicité des boissons alcooliques.

Restrictions quantitatives

Agriculture et Pêche

Mesures d'effet équivalent

Libre circulation des marchandises

Alcool


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:174

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