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22/05/1980 | CJUE | N°803/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 22 mai 1980., Procédure pénale contre Gérard Roudolff., 22/05/1980, 803/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 22 MAI 1980

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire préjudicielle, qui vous est renvoyée par l'un des juges d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, concerne l'interprétation des règlements de la Commission qui, pour la période comprise entre le 27 août 1974 et le 8 avril 1975, ont fixé les restitutions à l'exportation dans le secteur de la viande bovine.

I —  Durant cette période, la société Multi-Agra, dont le siège est à

Paris, a effectué trente-et-une exportations de viande bovine désossée congelée vers la Grèce. Tre...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 22 MAI 1980

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire préjudicielle, qui vous est renvoyée par l'un des juges d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, concerne l'interprétation des règlements de la Commission qui, pour la période comprise entre le 27 août 1974 et le 8 avril 1975, ont fixé les restitutions à l'exportation dans le secteur de la viande bovine.

I —  Durant cette période, la société Multi-Agra, dont le siège est à Paris, a effectué trente-et-une exportations de viande bovine désossée congelée vers la Grèce. Trente des trente-et-une déclarations afférentes à ces exportations portaient dans leur spécification complémentaire qu'il s'agissait de «morceaux désossés, à l'exception des joues, des abats, du flanchet et du jarret emballés séparément». Ces exportations ont donné lieu à l'obtention des restitutions correspondant à la spécification
retenue, prévues par les règlements successifs.

Après contrôle auprès des fournisseurs, l'administration des douanes a constaté qu'une partie, des lots exportés contenaient de la noix de joue ou des jarrets ou à la fois des jarrets et des flanchets. Elle a estimé que la fraction des restitutions correspondant à ces morceaux n'était pas due à Multi-Agra et n'avait pu être perçue qu'au moyen de fausses déclarations ayant eu pour but ou pour effet d'obtenier un avantage à l'exportation, infraction définie par l'article 426 du Code des douanes
et passible des peines prévues à l'article 414 du même Code.

Aussi a-t-elle prié le parquet, qui a déféré à cette demande, de requérir l'ouverture d'une information contre M. Roudolff en tant que président-directeur général de la société exportatrice. Pour sa défense, ce dernier soutient que la thèse de l'administration se fonde sur une interprétation erronée de la réglementation communautaire.

Cette contestation a conduit le magistrat instructeur saisi à vous demander, en application de l'article 177, alinéa 2, du traité CEE, de trancher entre les deux thèses qui sont défendues devant lui. Votre arrêt lui permettra de déterminer si les faits reprochés à l'inculpé sont ou non délictuels.

La question qu'il vous pose se lit ainsi:

«Les termes de la position du tarif douanier commun ex 02.01 A II a) 2 dd) ex 22 ccc) permettaient-ils, en 1974 et 1975, de considérer comme répondant à cette définition des exportations de cartons contenant des morceaux d'avants de viande bovine désossée congelée, y compris certains morceaux dénommés: noix de joue, flanchets et jarrets, dès lors que ces derniers n'étaient pas emballés séparément, et dc leur attribuer le bénéfice des restitutions à l'exportation, telles que prévues par les
règlements nos (CEE) 805/68 et 885/68 du Conseil des Communautés européennes?»

II —  Ainsi que l'a noté à juste titre la Commission, le libellé de cette question appelle une observation préalable, concernant la référence qui y est opérée au tarif douanier commun.

En effet, les règlements de la Commission indiquant les produits pour lesquels une restituion est octroyée et le montant de celle-ci, s'ils se réfèrent bien à la nomenclature du tarif douanier commun pour désigner les produits bénéficiaires, font souvent appel à des critères spécifiques, plus précis. Les définitions spéciales à la réglementation agricole sont matérialisées par le signe «ex» qui précède le numéro du tarif douanier commun. Vous aurez constaté que les produits litigieux faisaient
l'objet d'une telle définition. C'est pourquoi nous pensons qu'il convient de reformuler la question posée de la façon suivante:

La désignation des marchandises relevant de la sous-position ex 02.01 A II a) 2 dd) ex 22 à l'annexe des règlements de la Commission fixant les restitutions à l'exportation dans le secteur de la viande bovine permettait-elle, pour la période d'août 1974 à avril 1975 inclus, de considérer comme entrant dans cette position des exportations de cartons contenant des morceaux d'avants de viande bovine désossée congelée, y compris certains morceaux dénommés: noix de joue, flanchet et jarrets, dès
lors que ces derniers n'étaient pas emballés séparément, et de leur attribuer le bénéfice des restitutions à l'exportation, telles que prévues par les règlements du Conseil nos 805/68 et 885/68?.

Le litige est donc circonscrit à la question de savoir si les produits en cause sont exclus du bénéfice des restitutions quel que soit leur mode d'emballage, suivant la thèse de l'administration des douanes, reprise par la Commission, ou seulement s'ils sont emballés séparément, si bien qu'ils en bénéficieraient lorsqu'ils sont emballés en vrac, comme le prétend M. Roudolff.

III —  Ce dernier se fonde sur l'analyse des termes mêmes du texte litigieux, qui lui paraissent aller clairement dans le sens qu'il propose. Inversement, pour la Commission, la même analyse littérale conduit sans nul doute à l'adoption de sa position.

Devant ces évidences contradictoires, nous ne pouvons que nous pencher, à notre tour, sur le texte contesté et considérer à cette fin tous les règlements de la Commission pris pendant la période des exportations, que nous envisagerons dans les six langues de la Communauté qui font foi, comme il sied s'agissant d'une disposition de droit communautaire.

a) Au cours de la période considérée, la formule à examiner a connu deux versions successives.

Dans les règlements no 2010/74 du 30 juillet 1974, fixant les restitutions pour la période débutant le 1er août 1974, et no 2243/74 du 29 août 1974, ayant le même objet pour la période débutant le 1er septembre 1974, cette formule était libellée comme suit:

«Morceaux désossés, à l'exception des joues, des abats, du flanchet et du jarret, emballés séparément:

— pour les exportations à destination des États-Unis

— pour Ics exportations à destination des pays tiers européens, ...»

Dans les autres langues de la Communauté, la description est identique:

«Boned or boneless, excluding the chaps, the offals, tlie thin flanks and the skin, packaged separately», en anglais;

«I'eilstiickc ohne Knochen, mit Ausnahme von Kopffleisch, Schlachtabfällen, Fleisch- und Knochendünnung und die Hesse, getrennt verpackt», en allemand;

«Pezzi disossati, esclusi le guance, le frattaglie, la pancia, la tibia e il muscolo aderente, confezionati separatamente», en italien;

«Delen, zonder been, met uitzondering van kopvlees, slachtafvallen, de vang en de schenkel, afzonderlijk verpakt», en néerlandais;

«Udbenet med undtagelse af kæber, slagteaffald, slag og skank, stykkerne emballeret hver for sig», en danois.

Ensuite, pour la période allant du 7 octobre 1974 au 30 avril 1975, qui fut couverte par neuf textes successifs (les règlements nos 2538/74, 2645/74, 2943/74, 3084/74, 3205/74, 180/75, 494/75 et 735/75), la formule litigieuse devint:

«Morceaux désossés:

— à l'exception des joues et des abats pour les exportations à destination des États-Unis

— à l'exception des joues, des abats, du flanchet et du jarret, emballés séparément, pour les exportations à destination des pays tiers européens, ...»

Iille subit la même transformation dans les autres versions linguistiques. A titre d'esemple, son texte anglais était alors:

«Boned or boneless:

— excluding the cheeks and the offals, for export to the United States of America

— excluding the cheeks, the offals, the thin flanks and the skin, packaged separately, for export to European third countries, ...»

b) Quel jugement peut-on porter sur ces textes?

Dans l'une et l'autre de ses versions successives, la formule française ne fait pas, à notre sens, apparaître de façon déterminante si «emballés séparément» se rapporte à «joues, abats, flanchet et jarret» ou à «morceaux désossés». Notre opinion est qu'il s'agit d'un texte ambigu et, à vrai dire, mal rédigé.

D'après les informations que nous avons recueillies, il en est de même dans chacune des autres langues. L'ambiguïté est particulièrement nette en langue allemande. Si la Commission a raison d'indiquer que la position de M. Roudolff s'imposerait s'il avait été écrit: «Teilstücke ohne Knochen, mit Ausnahme von getrennt verpacktem Kopffleisch, ...», avec le texte en cause, sa propre analyse est loin d'être certaine. Il n'en aurait été autrement qu'en présence de l'une ou l'autre des deux
formules suivantes: «getrennt verpackte Teilstücke ohne Knochen, ...» ou «Teilstücke ohne Knochen, getrennt verpackt, ...».

Les défauts de la formulation utilisée d'août 1974 à avril 1975 se révèlent aussi à la lecture de formulations utilisées antérieurement et ultérieurement. Ainsi, dans les règlements no 1444/74 du 10 juin 1974 et no 1631/74 du 27 juin 1974, qui étaient applicables dans la période immédiatement antérieure à celle des exportations litigieuses, on lit:

«Morceaux désossés, à l'exception des joues et des abats:

— potir Ics exportations ã destination des Ktats-Unis

— à l'exception du flanchet et du jarret emballés séparément, pour les exportations à destination des pays tiers européens, ...»

D'un strict point de vue grammatical, il ressort de ce texte que l'absence de virgule entre «emballés séparément» et «flanchet et jarret» n'autorise, pour ces produits, que l'interprétation avancée par M. Roudolff.

lin revanche, avec le texte actuel, ainsi qu'il ressort du règlement no 897/80 du 14 avril 1980, il ne fait pas de doute que, quel que soit leur mode d'emballage, le flanchet et le jarret ne peuvent donner lieu à restitutions. La formulation est en effet à présent:

«Morceaux désossés, à l'exception du flanchet et du jarret, chaque morceau emballé individuellement».

Ainsi l'interprétation littérale ne permet pas de répondre de façon certaine à la question du juge de renvoi.

IV —  Il en est de même, nous semble-t-il, de l'argument de la Commission tiré de l'économie de la réglementation des restitutions à l'exportation clans le secteur de la viande bovine.

a) La Commission constate que la subdivision analysée (ex 02.01 A II a) 2 dd) ex 22), contenue dans les règlements fixant les restitutions à l'exportation, qui sont des textes pris dans le cadre de la politique agricole commune, vise les abats, à côté des joues, du flanchet et du jarret. Or, si les abats sont bien mentionnés dans la position 02.01 du tarif douanier commun (viandes et abats comestibles), ils ne le sont plus dans la sous-position agricole ex 02.01 A II a) 2 (viandes comestibles
de l'espèce bovine domestique, congelées). Dès lors, pour la Commission, en raison de l'ordre logique des textes, la volonté que manifeste cette omission d'exclure les abats des restitutions ne peut être contredite par le libellé d'une simple subdivision.

Il en résulte que, selon elle, il ne fait aucun doute que, quel que soit leur mode d'emballage, les abats sont exclus du bénéfice des restitutions. Dès lors, par analogie, il doit en être de même pour les produits d'une qualité tout aussi inférieure que sont les joues, le flanchet et le jarret.

b) Ce raisonnement ne nous semble pas échapper à toute critique.

Les abats étant spécifiquement visés par la sous-position 02.01 B du tarif douanier commun, il s'ensuit qu'ils ne sauraient faire l'objet de restitutions au titre d'une sous-position agricole dérivée de la sous-position douanière 02.01 A. La Commission s'en est d'ailleurs aperçue puisque, depuis le 1er septembre 1975, les abats — ainsi que les joues — ne figurent plus clans le libellé litigieux. Selon ses. propres termes, «il était en effet erroné cl superflu de mentionner, comme cela avait
été fait auparavant, l'exception pour les joues et les abats dans la designation des marchandises de la sous-position» en cause.

De sureroit, il n'est peut-être pas inutile de noter que les préparations et conserves d'abats, visées par la sous-position ex 16.02 B III b) I des règlements fixant les restitutions à l'exportation, bénéficiaient de celles-ci à l'époque des faits litigieux et qu'elles en bénéficient toujours aujourd'hui, comme le montre l'annexe au règlement no 897/80 du 14 avril 1980.

V —  Dans ces conditions, seules des considérations tirées de la finalité de la réglementation relative à l'octroi de restitutions à l'exportation de viande bovine peuvent nous indiquer quelle réponse apporter à la question posée.

a) Les restitutions à l'exportation sont destinées à faciliter l'écoulement sur le marché mondial, à des prix compétitifs, de produits pour lesquels les débouchés sont insuffisants sur le marché communautaire. Tel n'est pas le cas des produits litigieux: les joues, le flanchet et le jarret sont avant tout des viandes de transformation, expression par laquelle on désigne des produits qui ne sont pas destinés à être consommés en l'état, mais sous forme de produits transformés: saucissons, viandes
en boîte, y compris pour l'alimentation animale, ... Or, ces viandes de transformation bénéficient traditionnellement de larges possibilités d'utilisation à l'intérieur de la Communauté. Par suite, l'octroi de restitutions à l'exportation ne se justifie pas à leur égard.

L'exception que l'on aura remarquée pour les exportations de flanchet et de jarret, quel que soit leur mode d'emballage, à destination des Etats-Unis en 1.974-1975 s'explique par des circonstances particulières. L'octroi de ces restitutions tient au souci de maintenir un courant d'échange traditionnel entre les États-Unis et certaines régions, exemptes de fièvre aphteuse, du Royaume-Uni, du Danemark et surtout d'Irlande. La suppression de la condition relative à l'emballage séparé s'explique
par la sévérité du contrôle américain, qui permet d'éviter les risques de fraude, et le faible niveau des restitutions accordées, de nature à empêcher tout détournement de trafic.

S'agissant d'exportations dans un pays tiers européen, il reste que les joues, le flanchet et le jarret doivent être exclus du bénéfice des restitutions, quel que soit leur mode d'emballage.

b) Par ailleurs, l'illogisme de la thèse de l'inculpé au principal est démontré lorsque l'on prend en compte la nécessité de faciliter le contrôle des exportations, objectif d'une particulière importance en la matière.

Dans le système qui découle de l'interprétation proposée par M. Roudolff, tous les morceaux désossés autres que les joues, les abats, le flanchet et le jarret recevraient des restitutions à l'exportation, sans que l'on impose qu'ils soient emballés séparément. De même, comme nous l'avons dit, les joues, les abats, le flanchet et le jarret en recevraient dès lors qu'ils sont emballés en vrac.

L'adoption de cette thèse rendrait illusoire tout contrôle de la qualité des produits exportés. Les morceaux désossés sont de petite taille et pratiquement indissociables à In suiti ile leur congelation. Si Ics morceaux n'étaient pas emballés individuellement, la congélation ayant eu pour effet de les agglomérer, rien ne garantirait, à moins de les dégeler à chai|uc contrôle, qu'ils n'ont pas été mélangés avec quelque autre viande dont l'exportation ne donnerait pas lieu à restitutions.

Vous mesurez, Messieurs, l'absurdité d'une thèse qui subordonne l'octroi de restitutions pour les produits litigieux a l'absence d'un emballage séparé ci, par conséquent, à l'impossibilité d'un contrôle de la nature et de la qualité des produits exportés.

C'est pourquoi nous pensons, avec la Commission, que la condition relative à l'emballage séparé est limitée aux morceaux désossés qui peuvent bénéficier de restitutions, à l'exclusion de ceux dénommés joue, flanchet et jarret.

Nous concluons dès lors à ce que vous répondiez en ces termes à la question que vous a soumise un des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris:

La désignation des marchandises relevant de la sous-position ex 02.01 A II a) 2 dd) ex 22 à l'annexe des règlements de la Commission fixant les restitutions à l'exportations dans le secteur de la viande bovine, applicables entre août 1974 et avril 1975, doit être interprétée comme réservant le bénéfice des restitutions à l'exportation aux morceaux de viande congelée, désossés et emballés séparément, à l'exclusion des joues, des flanchets et des jarrets.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 803/79
Date de la décision : 22/05/1980
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Paris - France.

Restitutions à l'exportation - Viande bovine congelée.

Agriculture et Pêche

Viande bovine


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Gérard Roudolff.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:135

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