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10/01/1980 | CJUE | N°94/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 10 janvier 1980., Procédure pénale contre Pieter Vriend., 10/01/1980, 94/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 10 JANVIER 1980

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

Le juge de police économique du tribunal d'arrondissement d'Alkmaar a condamné, le 14 avril 1978, à une peine d'amende ou, à défaut, d'emprisonnement un commerçant établi dans la commune d'Andijk du chef d'avoir vendu, en mai et juin 1975, dans cette même commune ou du moins aux Pays-Bas, plusieurs lots de pieds (stekken) de chrysanthème (Chrysanthemum morifolium Ram.) sans être affilié à l'organisme

dénommé «Office général néerlandais de certification des plantes ornementales» dont le siège est...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 10 JANVIER 1980

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

Le juge de police économique du tribunal d'arrondissement d'Alkmaar a condamné, le 14 avril 1978, à une peine d'amende ou, à défaut, d'emprisonnement un commerçant établi dans la commune d'Andijk du chef d'avoir vendu, en mai et juin 1975, dans cette même commune ou du moins aux Pays-Bas, plusieurs lots de pieds (stekken) de chrysanthème (Chrysanthemum morifolium Ram.) sans être affilié à l'organisme dénommé «Office général néerlandais de certification des plantes ornementales» dont le siège est à
La Haye (Nederlandse Algemene Keuringsdienst voor Siergewassen, en abrégé NAKS).

Selon l'article 87 de la loi sur les semences et plants du 6 octobre 1966 (Zaaizaad- en Plantgoedwet), la revente de boutures est réservée aux membres d'un organisme de certification dans les conditions déterminées par une mesure générale d'administration publique (Algemene Maatregel van Bestuur) pour la plante cultivée (gewas) concernée. La création de cet organsime a été homologuée le 22 décembre 1967 par le ministre de l'agriculture. Il compte environ 400 membres. Cinq fonctionnaires du Service
général d'inspection (Algemene Inspectiedienst) sont chargés d'exécuter des contrôles pour le compte de l'Office. Il existe aux Pays-Bas d'autres groupements du même genre pour les légumes et les fleurs (Nederlandse Algemene Keuringsdienst voor Groenten en Bloemzaken) ainsi que pour les arbustes de pépinière (Nederlandse Algemene Keuringsdienst voor Boomkwekerijgewassen). A l'époque des faits, le secrétaire de l'Office assurait également le secrétariat de ces autres groupements.

Le 5 avril 1967, un arrêté royal (Aansluitingsbesluit NAKS, pris en application de l'article 87, paragraphe 1, de la loi susmentionnée, avait introduit, pour les chrysanthèmes, entre autres, le régime d'affiliation obligatoire à l'Office en question et (article 1, a), l'interdiction pour les personnes non affiliées «de se livrer, à titre professionnel, à la production à d'autres fins qu'en vue de l'utilisation dans leur propre entreprise, à la commercialisation, la revente, l'importation,
l'exportation et l'offre en vue de l'exportation de matériel de multiplication (teeltmateriaal) des cultures (gewassen) énumérées dans le présent arrêté ...».

Selon les constatations du juge national, cette réglementation a pour but de garantir la bonne qualité du matériel commercialisé. Cette garantie est fournie par la preuve de l'affiliation à l'organisme en question: le fait que le matériel satisfasse par ailleurs aux critères de qualité fixés par l'Office est indifférent. En outre, l'affiliation au groupement professionnel est réservée à ceux qui acceptent que les arbitrages rendus par la «commission d'appel» (raad van beroep) de l'Office, relatifs
aux décisions d'un de ses organes, à l'exception de celles portant sur la certification du matériel, aient un caractère obligatoire pour leurs destinataires.

C'est en raison de la violation de cette interdiction que le commerçant intéressé a été condamné. Il achetait bien ses boutures à des «éleveurs» (telers) membres du même organisme, mais il les revendait à des détaillants sans être lui-même affilié. S'il avait voulu, dans le cadre de sa profession, importer des boutures de chrysanthème aux Pays-Bas, il n'aurait de même pu le faire que s'il avait été lui-même membre de l'Office. Le matériel de multiplication importé par un affilié aux Pays-Bas et
destiné à y prendre racine (aan de wortel gebracht worden) doit être déclaré à l'Office; ce matériel fait l'objet d'une inspection pendant une période déterminée chez l'affilié.

L'objectif du système est donc de contrôler rigoureusement, du point de vue de la qualité et de la provenance, le matériel de reproduction, plants-mères et boutures mulitpliées à partir de ces plants (moederplanten en de daarvan gekweekte stekken) à tous les stades, depuis l'obtenteur (kweker) jusqu'au détaillant. A l'importation ou à l'exportation, ce contrôle est exercé par le service phytosanitaire (Plantenziektenkundigedienst), tandis que l'Office se charge du contrôle du matériel après son
entrée aux Pays-Bas jusqu'au moment où il est vendu au client.

II —

La cour d'appel d'Amsterdam, devant laquelle s'est pourvu le commerçant intéressé, vous demande en substance si la réglementation néerlandaise en cause est compatible avec les articles 30 à 37 du traité CEE (notamment les dispositions relatives à l'élimination des restrictions quantitatives entre États membres), avec les articles 38 à 47 de ce traité (relatifs à l'agriculture), ainsi qu'avec le règlement no 234/68 du Conseil du 27 février 1968 portant établissement d'une organisation commune des
marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture. Bien entendu, la réponse donnée à ces questions dans le cadre d'une procédure de l'article 177 ne saurait préjuger du résultat d'un examen que pourrait engager la Commission en vue de faire établir que les mesures nationales en cause sont incompatibles avec le traité.

III —

Les chrysanthèmes relèvent du chapitre 6 du tarif douanier commun et de l'organisation de marché établie par le règlement no 234/68. L'article 1 de ce texte dispose que l'organisation commune en question comporte un régime de normes de qualité et des échanges dans le secteur concerné.

En vue d'améliorer la qualité des produits, l'article 3 prévoit la fixation de normes de qualité. Ceci a été fait pour les bulbes, les oignons et les tubercules à fleurs par règlement no 315/68 du Conseil du 12 mars 1968 et, pour les fleurs coupées fraîches et les feuillages frais, par règlement no 316/68 du Conseil, de la même date.

L'article 2 du règlement de base prévoyait l'adoption de mesures communautaires d'encouragement des initiatives professionnelles et interprofessionnelles en vue de promouvoir une meilleure organisation de la production, et l'article 12 disposait, sans fixer de délai à cet effet, que le Conseil arrêterait les mesures nécessaires en vue de compléter les dispositions du règlement «en fonction de l'expérience acquise». Hormis les règlements de la Commission relatifs aux prix minimaux à l'exportation
vers les pays tiers de certains bulbes, oignons et tubercules à fleurs, aucune mesure n'avait, à l'époque des faits de la cause, été prise, à ce titre, au plan communautaire.

En contrepartie, l'article 10 interdit, en vertu d'une disposition que l'on retrouve d'ailleurs dans les autres organisations communes de marché, dans le commerce intérieur de la Communauté, non seulement la perception de tout droit de douane ou taxe d'effet équivaient, mais toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent.

Toutefois, selon le paragraphe 2 :

«le maintien des restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent ... reste autorisé

— pour les boutures non racinées et greffons de vigne ... et les plants de vigne, greffés ou racines, ... jusqu'à la date fixée pour la mise en application, dans tous les États membres, des dispositions à arrêter par le Conseil en matière de commercialisation du matériel de multiplication végétative de la vigne;

— pour les plantes en pots et les plants fruitiers, de la position 06.02 C II, jusqu'à la date du 31 décembre 1968.

En ce qui concerne les plantes en pots et les plants fruitiers de la position 06.02 C II, le Conseil arrête les mesures qui seraient éventuellement nécessaires dans le cadre des articles 3, 12 ou 18 du présent règlement.»

En ce qui concerne la commercialisation du matériel de multiplication végétative de la vigne, le Conseil a adopté, le 9 avril 1968, une directive no 68/193, dont l'article 19 disposait:

«Les États membres mettent en vigueur, le 1er juillet 1969 au plus tard, les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de la présente directive et en informent immédiatement la Commission.»

Ce délai a été reporté au 1er juillet 1972 par l'article 11 de la directive 71/140 du Conseil du 22 mars 1971, puis au 1er juillet 1976 par l'article 9 de la directive 74/648 du Conseil du 9 décembre 1974.

IV —

Du rapprochement de ces diverses dispositions il convient de tirer, à notre avis, deux conséquences:

En premier lieu, une réglementation nationale du type de celle qui est ici en cause comporte une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent.

En second lieu, une telle restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent n'était, dans le domaine concerné, plus justifiée à l'époque des faits de la cause.

Nous nous référons ici à votre arrêt Van Haaster du 30 octobre 1974 (Recueil p. 1123), qui avait trait à la compatibilité avec l'article 10 du règlement no 234/68 de la réglementation néerlandaise en matière de restrictions à la production de bulbes de jacinthe, d'où il ressort que le pouvoir des États membres d'intervenir dans les matières régies par une organisation commune de marché est limité dans la mesure où son exercice serait contraire aux objectifs de cette organisation.

Le règlement no 234/68 est notamment basé sur un système communautaire de standards de qualité, dont l'application vise à écarter du marché les produits de qualité insuffisante. Toute autre restriction de la production découlant de mesures nationales nous paraît exclue. Si, au plus tard à la fin de la période de transition et compte tenu de l'expérience acquise (article 12), le Conseil n'a pas arrêté, en application de l'article 3, de normes de qualité pour les produits visés à l'article 1
(c'est-à-dire, en l'espèce, les boutures de chrysanthème), l'article 3, alinéa 2, ne leur est pas applicable et ces produits peuvent, en conséquence, être exposés en vue de la vente, mis en vente, vendus, livrés ou commercialisés de toute autre manière. Il n'est pas exclu que la Commission soit amenée, dans un proche avenir, à proposer au Conseil un aménagement des normes destinées à garantir la qualité des plantes vivantes et des fleurs commercialisées dans les États membres, mais, en attendant, le
législateur communautaire a clairement opté pour un système basé sur la liberté des échanges commerciaux, ne laissant aucune place à des dispositions nationales (voir Bollmann, 18 février 1970, Recueil p. 69; Commission/Italie, 7 février 1973, Recueil p. 101).

L'arrêt van der Hulst's Zonen du 23 janvier 1975 (Recueil p. 79), qui avait trait au régime néerlandais de retrait des bulbes excédentaires, confirme que le règlement no 234/68 repose essentiellement sur un système de standards de qualité et ne prévoit pas de mécanisme d'intervention. La possibilité d'adopter des mesures complémentaires est expressément réservée au Conseil. Si vous avez jugé qu'en définitive les mesures néerlandaises étaient compatibles avec le droit communautaire, cela s'explique
peutêtre, comme on l'a noté, par le fait que la production communautaire des bulbes est concentrée aux Pays-Bas et que le système d'intervention néerlandais pouvait, au plan communautaire, promouvoir la commercialisation rationnelle de la production et stabiliser le marché. Mais il n'en va pas de même pour les chrysanthèmes, pour lesquels il existe une production importante dans certains autres États membres, même si, aux Pays-Bas, cette production est localement très concentrée.

V —

Il est une autre raison qui pourrait amener à considérer que le droit communautaire ne saurait s'accommoder d'une réglementation telle que celle qui est décrite dans les questions du juge national. L'affiliation au groupement en cause est réservée aux personnes qui acceptent que les arbitrages de la «commission d'appel» de l'Office (prévue par l'article 26 de ses statuts, tels qu'approuvés par le ministre de l'agriculture le 22 décembre 1967, commission dont les modalités de fonctionnement ont fait
l'objet d'un «règlement» du Conseil d'administration, homologué par le ministre le 12 décembre 1977), relatifs aux décisions qu'un organe de cet organisme a prises à leur égard et qui ne portent pas sur la certification du matériel de multiplication, constituent des décisions obligatoires (article 90, 1), de la loi sur les semences et plants).

En effet, l'Office en question n'est pas couvert par les dispositions du règlement no 1360/78 du Conseil du 19 juin 1978 concernant les groupements de producteurs et leurs unions. De tels groupements n'ont été autorisés que dans des secteurs limités, par exemple, pour les fruits et légumes, par règlement du Conseil no 1035/72 du 18 mai 1972 et par le règlement précité no 1360/78 pour les produits (notamment plantes à parfum et lavande) et pour les pays ou régions énumérés à ce règlement. En ce qui
concerne le secteur des chrysanthèmes, aucune règle générale concernant les mesures communautaires prévues à l'article 2 du règlement no 234/68 (mesures tendant à améliorer la qualité et à développer l'utilisation des produits visés à l'article 1 ainsi qu'à promouvoir une meilleure organisation de leur production et de leur commercialisation) n'a été arrêtée par le Conseil.

Par conséquent, au moins dans les secteurs ayant spécifiquement fait l'objet d'une organisation commune de marché, l'interdiction de l'article 85 du traité s'applique de plein droit aux groupements professionnels ou interprofessionnels, sous réserve de l'article 2 du règlement no 26 du Conseil du 4 avril 1962.

VI —

Enfin, si le moyen employé par la profession et cautionné par les autorités est sans doute fort efficace, on peut se demander s'il n'est pas disproportionné par rapport au but recherché. Dans le secteur considéré, aucun texte communautaire n'autorise des contrôleurs, même assermentés, à pénétrer dans les propriétés privées ou les magasins pour vérification, à la différence de ce qui est prévu par le règlement no 17/62 en matière de concurrence.

En l'absence de toute disposition expresse justifiant pareil régime, l'adoption de sanctions pénales (amende ou emprisonnement) pour la mise en œuvre des dispositions nationales paraît contraire au droit communautaire. Si les pouvoirs aux fins de vérification ont été donnés dans le cadre d'engagements contractuels, la question se pose, ici encore, de la compatibilité de tels engagements avec l'interdiction de l'article 85 du traité.

En réponse aux questions posées, nous concluons à ce que vous disiez pour droit que:

Les dispositions du règlement (CEE) no 234/68 comportent la suppression d'un système par lequel les États membres, directement ou par l'intermédiaire d'organes créés ou homologués par eux, interdisent la vente, la revente, l'importation, l'exportation et l'offre en vue de l'exportation, à titre professionnel, de pieds de chrysanthème, alors que par ailleurs ce matériel de multiplication satisfait aux normes nationales de qualité.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 94/79
Date de la décision : 10/01/1980
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof Amsterdam - Pays-Bas.

Libre circulation des plantes vivantes et des produits de la floriculture.

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Agriculture et Pêche

Plantes et floriculture

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Pieter Vriend.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:8

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