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04/04/1979 | CJUE | N°236/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 4 avril 1979., Fonds national de retraite des ouvriers mineurs (FNROM) contre Giovanni Mura., 04/04/1979, 236/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 4 AVRIL 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour est saisie de cette affaire pour la seconde fois par une demande de décision à titre préjudiciel formée par la cour du travail de Mons. La première fois elle portait le numéro 22/77 et l'arrêt de la Cour a été rendu le 13 octobre 1977. Il est reproduit dans le Recueil 1977, à la page 1699.

Les faits, comme vous vous en souvenez, Messieurs, sont les suivants.

M. Mura, qui

est né le 28 octobre 1937, a travaillé comme ouvrier mineur en France pendant environ quatre années, de 19...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 4 AVRIL 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour est saisie de cette affaire pour la seconde fois par une demande de décision à titre préjudiciel formée par la cour du travail de Mons. La première fois elle portait le numéro 22/77 et l'arrêt de la Cour a été rendu le 13 octobre 1977. Il est reproduit dans le Recueil 1977, à la page 1699.

Les faits, comme vous vous en souvenez, Messieurs, sont les suivants.

M. Mura, qui est né le 28 octobre 1937, a travaillé comme ouvrier mineur en France pendant environ quatre années, de 1957 à 1962, et en Belgique pendant onze ans, de 1962 à 1973. Il a ensuite été frappé d'incapacité de travail.

La législation belge en cause est la législation relative au régime de pension d'invalidité des ouvriers mineurs, qui est géré par le Fonds national de retraite des ouvriers mineurs (le «FNROM»). Elle est en substance contenue dans un arrêté royal du 19 novembre 1970 (Moniteur Belge 26. 11. 1970).

Aux termes de l'article 1 de cet arrêté royal, un ouvrier mineur a droit à une pension d'invalidité si, après avoir été employé comme tel pendant au moins dix ans, il est frappé d'incapacité de travail normal. Selon l'article 4, le montant de la pension est fixé à une somme annuelle exprimée en francs belges, qui varie seulement selon que le mineur concerné travaillait au fond ou en surface et selon qu'il est marié ou non. Le montant ne varie pas en fonction de la durée des périodes d'assurance.
L'article 23 contient une série de dispositions relatives au cumul de prestations. Le paragraphe 1 de cet article dispose en particulier qu'une pension d'invalidité accordée en vertu de l'arrêté royal ne peut être cumulée avec une ou plusieurs pensions de retraite ou d'invalidité que jusqu'à concurrence du montant annuel de la pension fixé à l'article 4 pour les mineurs de fond, mariés ou non, selon les cas. Cette disposition est interprétée par les juridictions belges comme s'appliquant à toutes
les autres pensions de retraite ou d'invalidité, qu'elles soient payables en vertu de la législation belge ou en vertu d'une quelconque législation étrangère. L'article 23, paragraphe 4, énonce des dispositions limitant la proportion dans laquelle des pensions d'invalidité payables aux termes de l'arrêté royal peuvent être cumulées avec des prestations accordées au titre d'accidents du travail ou de maladies professionnelles.

En application de l'arrêté royal, le FNROM a accordé à M. Mura une pension d'invalidité intégrale avec effet au 1er novembre 1973. M. Mura n'a pas eu à invoquer le droit communautaire pour ouvrir son droit à cette pension.

M. Mura a également bénéficié, à partir de la même date, d'une pension d'invalidité française au titre de la période d'assurance qu'il a accomplie en France. Il avait droit à cette pension grâce à la totalisation et à la proratisation effectuée en application des articles 45 et 46, paragraphe 2, du règlement CEE no 1408/71 du Conseil.

Informé de l'attribution de la pension française à M. Mura, le FNROM a réduit sa pension belge en application de l'article 46, paragraphe 3, de ce règlement. Les chiffres étaient compliqués du fait que M. Mura avait également droit en Belgique à des prestations au titre des maladies professionnelles au regard desquelles l'article 23, paragraphe 4, de l'arrêté royal s'appliquait. En tout cas, la décision formelle du FNROM, qui était datée du 24 mars 1975, stipulait que M. Mura était tenu de
rembourser une somme de 10181 FB représentant les paiements indus de pensions dont il avait bénéficié.

M. Mura a introduit Un recours contre cette décision devant le tribunal du travail de Mons qui, en se conformant à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire 24/75, Petroni contre ONPTS (Recueil 1975, p. 1149), a annule la décision et déclaré qu'il avait droit, sans réduction, à sa pension belge.

Le FRNOM a donc interjeté appel devant la cour du travail de Mons. Cette cour a déféré à la Cour de justice la question de savoir si l'article 12 du règlement no 1408/71 empêchait l'application, dans de telles circonstances, d'une règle nationale contre le cumul de prestations.

Dans son arrêt, la Cour a dit pour droit:

«Tant que le travailleur reçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, les dispositions du. règlement no 1408/71 ne font pas obstacle à ce que la législation nationale lui soit appliquée intégralement, y compris les règles anticumul nationales, étant entendu que si l'application de cette législation nationale se révèle moins favorable que celle du régime de totalisation et de proratisation, ce dernier doit en vertu de l'article 46, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 être
appliqué».

(Voir Recueil 1977, p. 1709).

La Cour a statué dans les mêmes termes dans l'affaire 37/77, Greco contre FNROM (Recueil 1977, p. 1711), dont l'arrêt a été rendu à la même date.

Il n'est pas clair pourquoi la Cour s'est référée dans ces arrêts au «régime de totalisation et de proratisation». Le véritable principe, à notre avis, est celui qui est établi dans les arrêts rendus dans l'affaire 98/77, la première affaire Schaap (Recueil 1978, p. 707) et dans l'affaire 105/77, l'affaire Boerboom, ibidem, p. 717. Ces arrêts sont libellés comme suit:

«Tant que le travailleur reçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, les dispositions du règlement no 1408/71 ne font pas obstacle à ce que la législation nationale lui soit appliquée intégralement, y compris les règles anticumul nationales, étant entendu que, si l'application de cette législation se rélève moins favorable que celle du régime de l'article 46 du règlement no 1048/71, les dispositions de cet article doivent être appliquées.»

(Voir Recueil 1978, aux pages 715 et 723.)

Le raisonnement suivi dans les arrêts rendus dans les affaires Schaap et Boerboom, considéré à la lumière des faits de ces affaires, montre, à notre avis, que la référence faite dans ces arrêts au «régime de l'article 46» est une référence à cet article comme un tout et à l'ensemble des dispositions qui lui sont accessoires. Ces dispositions accessoires comprennent la deuxième phrase de l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, qui exclut l'application de règles anticumul nationales
lorsque des prestations d'invalidité sont accordées en application de l'article 46. Lorsqu'elles sont ainsi accordées, la seule disposition anticumul susceptible d'application est le paragraphe 3 de l'article 46 lui-même — parce que la règle définie dans l'affaire Petroni n'exclut pas l'application de ce paragraphe lorsqu'une pension est accordée non pas au titre de la seule législation nationale mais en application de l'article 46.

La Commission conclut, et, selon nous, à juste titre, que, dans les affaires Schaap et Boerboom, la Cour a retenu le point de vue que nous avions exposé dans nos conclusions dans ces affaires et selon lequel, dans des circonstances telles que celles qui nous intéressent en l'espèce, la personne en question a droit dans chaque État membre, à la prestation la plus élevée entre, d'une part, celle à laquelle il peut prétendre au titre de la législation de ce seul État membre dans son intégralité y
compris toute disposition anticumul qu'elle peut contenir, et, d'autre part, la prestation à laquelle il peut prétendre en application des dispositions du règlement no 1408/71 dans leur intégralité. Comme la Commission le souligne, cela signifie que, conformément à l'arrêt rendu dans l'affaire Petroni, si la législation d'un État membre confère à cette personne le droit à une prestation plus élevée que celle à laquelle il pourrait prétendre dans cet État en application de l'article 46, il conserve
ce droit, mais que les dispositions de la législation nationale ne peuvent pas avoir pour effet de réduire le montant total de ses droits à un niveau inférieur à celui voulu par les auteurs du règlement no 1048/71, c'est-à-dire inférieur «au montant théorique le plus élevé de la prestation». La Commission estime — de nouveau, nous semble-t-il, à juste titre — que la Cour devrait adhérer à ce point de vue.

Les paragraphes 1 et 2 de l'article 46 concernent trois situations différentes:

(1) La situation dans laquelle la personne concernée a droit à une pension dans un État membre déterminé sans recourir à la totalisation et à la proratisation et dans laquelle l'application à son cas du procédé de totalisation et de proratisation lui ferait obtenir une pension moindre ou non différente;

(2) La situation dans laquelle cette personne a droit à une pension dans cet État sans recourir à la totalisation et à la proratisation, mais dans laquelle l'application de ce procédé à son cas lui permet d'obtenir une pension plus élevée; et

(3) La situation dans laquelle cette personne a droit à une pension dans cet État uniquement par l'application du procédé de la totalisation et de la proratisation.

Le paragraphe 1 de l'article 46 vise une personne placée dans la première ou la deuxième situation. Il prévoit en effet que cette personne est «prima facie» habilitée à percevoir la pension la plus élevée, que ce soit celle établie par référence à la législation du seul État membre concerné (que l'on désigne parfois d'une manière appropriée comme le «montant autonome» des prestations) ou la pension établie par application des procédés de totalisation et de proratisation (parfois désignée comme le
«montant proportionnel» des prestations). Nous disons «prima facie» en raison de l'existence de l'article 46, paragraphe 3.

Le paragraphe 2 de l'article 46 envisage le cas d'une personne se trouvant dans la troisième hypothèse décrite.

Nous ne voyons aucune raison valable pour considérer qu'une personne qui se trouve dans la première de ces situations dans un État membre particulier devrait voir les droits qu'elle tire «prima facie» de l'article 46 réduits par l'application à son cas des procédés de totalisation et de proratisation, simplement parce qu'il se trouve que la législation de cet État contient une disposition anticumul. Aux termes de la deuxième phrase de l'article 12, paragraphe 2, l'existence d'une disposition
anticumul nationale n'a pas d'incidence sur les calculs qui doivent être faits au titre de l'article 46.

Monsieur Mura, alors qu'il se trouve, en France, dans la troisième des trois situations que nous avons décrites, est placé, en Belgique, dans la première d'entre elles. Il doit en être ainsi puisqu'il est «prima facie» habilité à percevoir en Belgique, au titre de la seule législation belge, une pension complète dont le montant ne dépend pas de la durée de service ou des périodes d'assurance, bien que ce droit à la pension soit subordonné à une période de stage de dix ans — qu'il a accomplie.
L'application à son cas du procédé de totalisation et de proratisation ne pourrait pas accroître ses droits en Belgique, mais seulement les réduire ou, au mieux, les laisser inchangés. A notre avis, il n'y a donc pas lieu d'appliquer ce procédé à son cas en Belgique.

En conséquence, toute question détaillée relative au mode d'application de ce procédé doit être considérée comme sans objet.

Lorsque, toutefois, après que la Cour de justice avait statué sur la première demande préjudicielle de la cour du travail de Mons, cette affaire est revenue devant la Cour aux fins d'un nouvel examen, une telle question a été soulevée en raison d'un argument avancé au nom de M. Mura. En supposant que les procédés de totalisation et de proratisation étaient applicables, il semblait, à première vue, en résulter une réduction de ses droits «prima facie» aux 11/15 du montant de la pension complète, du
fait qu'il avait travaillé quatre années en France et onze en Belgique. L'argument avancé en son nom pour tenter d'échapper à ce résultat était fondé sur le paragraphe 2 c) de l'article 46 qui dispose:

«Si la durée totale des périodes d'assurance accomplies, avant la réalisation du risque, sous les législations de tous les États membres en cause est supérieure à la durée maximale requise par la législation d'un de ces États pour le bénéfice d'une prestation complète, l'institution compétente de cet État prend en considération cette durée maximale au lieu de la durée totale desdites périodes, pour l'application des dispositions du présent paragraphe; cette méthode de calcul ne peut avoir pour effet
d'imposer à ladite institution la charge d'une prestation d'un montant supérieur à celui de la prestation complète prévue par la législation qu'elle applique».

L'argument avancé au nom de M. Mura était que, puisque la période requise par la législation belge entrant en ligne de compte pour le paiement de la prestation complète était de dix ans, la première partie du paragraphe 2 c) exigeait que 10 soit substitué à 15 comme dénominateur de la fraction, alors que la deuxième partie exigeait que 10 soit substitué à 11 comme numérateur. M. Mura restait ainsi habilité, en tout cas «prima facie», à percevoir le montant complet de la pension.

Pour réfuter cet argument, le FNROM a soutenu que le paragraphe 2 c) n'était applicable que dans un cas relevant exclusivement du paragraphe 2, c'est-à-dire dans un cas où il est nécessaire de recourir à la totalisation et à la proratisation pour ouvrir à la personne concernée un quelconque droit à pension. A l'appui de cette affirmation, le FNROM a renvoyé aux termes du paragraphe 1 de l'article 46, qui se réfère uniquement aux «règles prévues au paragraphe 2, alinéas a) et b)».

Au vu de ces arguments, la cour du travail a formé la présente demande préjudicielle, dans laquelle elle invite la Cour de justice à statuer sur la question de savoir si le paragraphe 1 de l'article 46 exclut l'application du paragraphe 2 c). La cour du travail observe, dans son ordonnance de renvoi, que cette question se pose d'autant plus en raison des termes de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Schaap.

Sur la question limitée qui est ainsi déférée à la Cour, nous partageons de nouveau le point de vue de la Commission. Le paragraphe 1 de l'article 46 n'exclut pas l'application, dans un cas qui relève de cet article, du paragraphe 2 c). Ce dernier sous-paragraphe n'est qu'accessoire au paragraphe 2 a) et b) et il n'est pas nécessaire qu'il soit expressément mentionné partout et toutes les fois qu'il y est fait référence. Il serait, en outre, tout à fait illogique et inéquitable qu'une personne
puisse prétendre bénéficier de l'article 2 c) si elle n'est pas en mesure d'établir un droit quelconque à pension dans un État membre sans recourir à la totalisation et à la proratisation, mais soit empêchée de le faire si elle a droit, dans cet État, à une pension quelconque sans recourir à ce procédé.

La cour du travail ne demande pas à la Cour de justice de statuer sur la question de savoir, si, dans le cas où le paragraphe 2 c) peut s'appliquer dans un cas relevant du paragraphe 1, la législation belge en cause est d'un type visé au paragraphe 2 c). Tant le FNROM que la Commission estiment que ce n'est pas le cas, parce que la période de dix ans prévue par cette législation est une période minimum et non pas une période maximum. Toutefois, il n'est pas nécessaire de se prononcer à cet égard
dans nos conclusions sur la présente affaire.

En conséquence, nous concluons à ce que vous répondiez à la question posée par la cour du travail comme suit:

Les termes du paragraphe 1 de l'article 46 du règlement no 1408/71 ne doivent pas être interprétés en ce sens qu'ils excluent l'application éventuelle, dans un cas relevant de ce paragraphe, du paragraphe 2 c) de ce même article. Toutefois, conformément aux dispositions de l'article 46, paragraphe 1, le procédé de totalisation et de proratisation, dans lequel le paragraphe 2 c) joue un rôle accessoire, ne devrait pas être appliqué de manière à réduire le montant de la pension qu'une personne est
«prima facie» habilitée à percevoir au titre de la législation de l'État membre concerné.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 236/78
Date de la décision : 04/04/1979
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons - Belgique.

Sécurité sociale.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Fonds national de retraite des ouvriers mineurs (FNROM)
Défendeurs : Giovanni Mura.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:102

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