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29/03/1979 | CJUE | N°132/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 29 mars 1979., SARL Denkavit Loire contre État français, administration des douanes., 29/03/1979, 132/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 29 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire est déférée à la Cour, à titre préjudiciel, par le tribunal d'instance de Lille.

Le demandeur dans le procès pendant devant cette juridiction est la Sàrl Denkavit Loire, laquelle exerce ses activités commerciales à Montreuil-Bellay dans le département du Maine-et-Loire en tant que fabricant d'aliments pour animaux. Le défendeur au principal est l'État français, en

la personne de l'administration des douanes.

Le 7 octobre 1977, la demanderesse a importé de républi...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 29 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire est déférée à la Cour, à titre préjudiciel, par le tribunal d'instance de Lille.

Le demandeur dans le procès pendant devant cette juridiction est la Sàrl Denkavit Loire, laquelle exerce ses activités commerciales à Montreuil-Bellay dans le département du Maine-et-Loire en tant que fabricant d'aliments pour animaux. Le défendeur au principal est l'État français, en la personne de l'administration des douanes.

Le 7 octobre 1977, la demanderesse a importé de république fédérale d'Allemagne et dédouané à Lille un lot de 22400 kg de saindoux destiné à la fabrication d'un produit utilisé principalement pour l'alimentation des jeunes veaux. Le saindoux est classé dans le tarif douanier commun sous la position 15.01, laquelle comprend le «saindoux, autres graisses de porc et graisses de volailles, pressés fondus ou extraits à l'aide de solvants».

La demanderesse a été invitée à payer à l'importation un montant de 672 francs, représentatif de la taxe de protection sanitaire et d'organisation des marchés des viandes instaurée par la loi française no 77-646 du 24 juin 1977. Dans le procès pendant devant le tribunal d'instance, la demanderesse demande le remboursement de cette somme assorti des intérêts légaux, au motif que la perception de cette taxe sur le saindoux importé d'un autre État membre est contraire au droit communautaire. Le montant
litigieux est peu élevé certes, mais la demanderesse nous a fait savoir qu'elle considérait cette affaire comme un cas dont la solution fera jurisprudence pour d'autres procédures présentes et à venir.

Il apparaît que la taxe en cause a été instituée en remplacement de deux taxes précédemment perçues en application de la législation française, à savoir une taxe sanitaire et une taxe de visite et de poinçonnage, dont la compatibilité avec le droit communautaire avait été contestée par la Commission au titre de l'article 169 du traité CEE.

L'article 1 de la loi no 77-646 dispose que cette taxe est perçue pour le compte de l'État dans les abattoirs privés et à l'importation; dans les abattoirs publics par contre, la taxe est perçue pour le compte de l'État et des collectivités locales propriétaires de ces abattoirs suivant une clef de répartition précisée par la loi.

L'article 2 dispose que le tarif de la taxe est fixé annuellement par kilogramme de viande net sur la base de prix directeurs définis par la loi.

L'article 3 concerne la perception de la taxe sur les viandes provenant d'animaux abattus en France. Il dispose que la taxe est due par le propriétaire ou pour le compte du propriétaire de chaque animal au moment de l'abattage. Il dispose également que le fait générateur de la taxe est constitué par l'opération d'abattage et que la taxe est constatée et recouvrée comme en matière de TVA.

De son côté, l'article 4 envisage les importations. Il dispose à cet égard que la taxe frappe à l'importation les viandes préparées ou non, que la taxe est due par l'importateur ou par le déclarant en douane lors du dédouanement pour la mise à la consommation et qu'elle est assimilée aux droits de douane en ce qui concerne le recouvrement et les poursuites judiciaires.

Le décret no 77-899 du 27 juillet 1977 fixe certaines modalités d'application de la loi.

Les articles 1 à 6 de ce décret prévoient les modalités de calcul du poids de viande net aux fins de la perception de la taxe dans les abattoirs français. Pour les animaux de l'espèce porcine, l'article 3 dispose que le poids net est celui de l'animal abattu, saigné et éviscéré, sans la langue, les soies, les abats et les organes génitaux mais avec la tête et les pieds. L'article 6 dispose que la pesée doit être effectuée dans l'heure qui suit l'étourdissement de l'animal et précise certaines
réfactions à admettre en déduction du poids de viande net.

Les articles 9 et 10 du décret concernent les importations. L'article 9 énumère, en se référant à des positions du tarif douanier commun, les produits importés assujettis à la taxe. Cette liste comprend, outre les viandes fraîches, réfrigérées et congelées, salées ou en saumure, séchées ou fumées, les graisse de porc et graisse de volaille non pressées ni fondues ni extraites à l'aide de solvants (là encore: fraîches, réfrigérées, congelées, salées ou en saumure, séchées ou fumées), ces produits
étant tous compris dans différentes positions extraites du chapitre 2 du tarif douanier commun (intitulé «Viandes et abats comestibles». Cette liste comprend en outre les produits de la position tarifaire 15.01, auxquels nous nous sommes déjà référé, et certains produits des positions tarifaires 16.01 et 16.02 tels que les saucisses, saucissons et autres préparations et conserves de viandes. L'article 10 dispose que la taxe est perçue sur le poids net de la viande, déduction faite du poids des abats
et, en ce qui concerne les produits repris des positions tarifaires 16.01 et 16.02, dans la composition desquels entrent des viandes d'espèces animales taxées à des taux différents, sur le taux de taxation applicable à la viande la moins fortement taxée.

Le décret no 77-899 a été lui-même suivi d'un arrêté ministériel du 9 août fixant les taux de la taxe pour 1977. Pour la viande de porc, le taux devait être de 0,034 FF le kilo. En l'occurrence, le taux effectivement appliqué à l'importation par le service des douanes à Lille n'a été que de 0,03 FF le kilo; cette erreur est toutefois sans importance en l'espèce.

Les questions soumises à votre appréciation par le tribunal d'instance — qui font écho aux arguments invoqués par la demanderesse dans l'instance principale — sont les suivantes:

«1. Est-il contraire à l'interdiction de taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation au sens des articles 9, 12 et 13 du traité instituant la CEE d'appliquer une taxe frappant les importations de saindoux destiné à l'utilisation dans les aliments des animaux et provenant d'un autre État membre, pour compenser la perception d'une taxe intérieure à l'abattage des animaux de l'espèce porcine?

2. En cas de réponse négative à la première question: la perception de la taxe visée sous 1) contrevient-elle à l'interdiction de discrimination fiscale selon l'article 95 du traité?

3. En cas de réponse négative aux questions 1) et 2): la perception de la taxe visée sous 1) doit-elle être jugée contraire au règlement no 2759/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc?»

La Commission vous a demandé d'envisager la question de savoir si la taxe instituée par la loi no 77-646 était dans son ensemble compatible avec le droit communautaire. Il s'agit là cependant d'une question beaucoup plus vaste que celle qui vous a été soumise par le tribunal d'instance et qu'il n'est d'ailleurs pas nécessaire de résoudre aux fins de la présente affaire. Nous vous proposons en conséquence de ne pas l'envisager et de considérer simplement la compatibilité de la taxe grevant le
saindoux importé d'autres États membres avec le droit communautaire.

A cet égard, le fait décisif, selon nous, est que la taxe n'est pas perçue sur le saindoux fabriqué en France.

Le gouvernement français a fait valoir que le fait était sans importance au motif que le saindoux français était extrait de carcasses ayant déjà supporté la taxe dans les abattoirs, de sorte que la taxe devait en réalité être considérée comme une seule et unique taxe perçue uniformément sur les produits nationaux et les produits importés. Dans les deux cas, le taux et l'assiette (le poids de viande net) étaient identiques. Le gouvernement français estime pour conclure que cette taxe fait partie d'un
régime général d'impositions intérieures en France et qu'elle ne peut être considérée comme une taxe ayant un effet équivalant à un droit de douane.

Or, la Cour a jugé que pour qu'une imposition puisse être considérée comme faisant partie d'un régime général d'impositions intérieures d'un pays membre et non — en tant qu'elle affecte les importations — comme une taxe ayant un effet équivalant à un droit de douane, elle devait nécessairement appréhender les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères et au même stade de production. Le fait que les produits nationaux soient grevés d'une charge similaire à celle frappant les
produits étrangers, par le biais d'autres taxes, n'est pas suffisant. Cf., en particulier, affaire 87/75, Bresciani (Recueil 1976, p. 129 — attendu no 11 de l'arrêt). Or, il est évident que le saindoux obtenu par pressage ou fondu, ou extrait à l'aide de solvants, ne se situe pas au même niveau de production que la carcasse d'un porc fraîchement abattu.

Nous estimons donc que la demanderesse et la Commission ont raison lorsqu'elles affirment que la taxe présentement en cause, frappant les importations de saindoux en provenance d'autres États membres, est incompatible avec les dispositions du traité interdisant les taxes d'effet équivalant à des droits de douane dans le commerce intracommunautaire.

Cette conclusion nous dispense d'examiner le moyen auxiliaire présenté par la demanderesse selon lequel, du fait de l'existence dans la plupart des États d'une charge pécuniaire pour le contrôle sanitaire officiel dans les abattoirs, l'extension de la taxe aux produits importés aboutit selon toute probabilité à une double imposition.

Cette conclusion nous dispense également de porter une appréciation sur les conclusions présentées à titre subsidiaire par la demanderesse relativement à cette question, et faisant fond sur le principe dégagé d'un certain nombre d'arrêts de la Cour, selon lequel une taxe relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant les produits nationaux et les produits importés peut être considérée comme taxe d'effet équivalant à un droit de douane dès lors que le produit de la taxe est
complètement et exclusivement destiné au financement d'activités au profit du produit national taxé. La demanderesse a fait valoir, en se fondant sur l'exposé des motifs de la loi no 77-646 et sur les débats parlementaires ayant précédé l'adoption de cette loi au Parlement français, que le produit de la taxe envisagée en l'espèce était destiné complètement et exclusivement au financement d'activités profitant spécifiquement à la production française de viande, notamment: l'identification du cheptel
bovin en France par la création d'un fichier détaillé de l'espèce bovine, le classement et le marquage des carcasses ainsi que le contrôle des abattoirs par l'État. La Commission a exprimé des doutes sur la justesse de l'argumentation, eu égard au fait que, d'une part, quelles qu'aient été les informations fournies au législateur français, il n'existe aucune obligation juridique pour l'exécutif de consacrer le produit de la taxe à des activités de ce genre, et que, d'autre part, celles-ci
apparaissent davantage comme des activités conformes à l'intérêt général de la collectivité qu'à l'intérêt spécifique des producteurs de viande.

Quoi qu'il en soit, nous considérons pour les raisons indiquées auparavant qu'il y a lieu de répondre à la première question posée dans l'ordonnance de renvoi en ce sens que l'application d'une taxe frappant les importations de saindoux en provenance d'un autre État membre pour compenser la perception d'une taxe intérieure à l'abattage des animaux de l'espèce porcine est contraire à l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane au sens des articles 9, 12 et 13 du traité CEE.

S'il en est bien ainsi, les questions 2 et 3 n'appellent pas de réponse.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 132/78
Date de la décision : 29/03/1979
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Lille - France.

Taxes d'effet équivalent.

Union douanière

Libre circulation des marchandises

Viande de porc

Agriculture et Pêche

Fiscalité

Taxes d'effet équivalent

Impositions intérieures


Parties
Demandeurs : SARL Denkavit Loire
Défendeurs : État français, administration des douanes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Mertens de Wilmars

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:99

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