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20/03/1979 | CJUE | N°2/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 20 mars 1979., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 20/03/1979, 2/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 20 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le recours, sur lequel nous nous prononçons aujourd'hui, se rattache étroitement à l'arrêt que la Cour a rendu le 11 juillet 1974 dans l'affaire 8/74, procureur du Roi/Benoît et Gustave Dassonville (Recueil 1974, p. 837). Cette procédure préjudicielle était née de l'article 1 de l'arrêté royal belge no 57 du 20 décembre 1934, relatif à la protection des appellations d'origine des eaux-de-vie (Moniteur b

elge du 4 janvier 1935), qui est aussi au centre de l'actuelle procédure pour violation du trait...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 20 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le recours, sur lequel nous nous prononçons aujourd'hui, se rattache étroitement à l'arrêt que la Cour a rendu le 11 juillet 1974 dans l'affaire 8/74, procureur du Roi/Benoît et Gustave Dassonville (Recueil 1974, p. 837). Cette procédure préjudicielle était née de l'article 1 de l'arrêté royal belge no 57 du 20 décembre 1934, relatif à la protection des appellations d'origine des eaux-de-vie (Moniteur belge du 4 janvier 1935), qui est aussi au centre de l'actuelle procédure pour violation du traité.
Cette disposition est libellée comme suit:

«Il est interdit d'importer, de vendre, d'exposer en vente, de détenir ou de transporter pour la vente ou pour la livraison des eaux-de-vie portant une appellation d'origine Jument adoptée par le gouvernement belge lorsque ces eaux-de-vie ne sont pas accompagnées d'une pièce officielle attestant leur droit à cette appellation.»

En réponse à la question posée par le tribunal de première instance de Bruxelles dans la première procédure qui demandait s'il fallait considérer comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du Traité une disposition nationale qui interdit l'importation d'une marchandise portant une appellation d'origine lorsque cette marchandise n'est pas accompagnée d'une pièce officielle délivrée par le pays exportateur attestant le droit de la marchandise à cette
appellation, la Cour a dit pour droit:

«L'exigence par un État membre d'un certificat d'authenticité plus difficilement accessible aux importateurs d'un produit authentique régulièrement en libre pratique dans un autre État membre, qu'aux importateurs du même produit en provenance directe du pays d'origine constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative incompatible avec le Traité.»

Dès avant le prononcé de l'arrêt dans l'affaire Dassonville la Commission avait exprimé l'opinion à l'égard du gouvernement belge que la prescription en question était susceptible de rendre impossibles les importations des produits concernés en provenance d'États membres autres que l'État membre producteur et que l'objectif légitime visé par les autorités belges, à savoir la protection de l'appellation d'origine de ces produits au titre de l'article 36, pourrait être atteint tout aussi efficacement
par d'autres moyens qui n'empêcheraient pas ces importations. Dans sa réponse de novembre 1974, le gouvernement belge s'est de fait déclaré disposé à adapter sa législation au droit communautaire, en tenant compte de l'arrêt Dassonville.

Après plusieurs entretiens infructueux la Commission a finalement invité les autorités belges, en octobre 1975, à lui faire parvenir dans un délai de 15 jours une réponse satisfaisante à diverses possibilités de solution suggérées par elle. Ce n'est toutefois que par une lettre du 5 mars 1976 que le gouvernement belge a manifesté son intention d'apporter quelques modifications à la réglementation critiquée.

La Commission étant d'avis que la solution proposée ne supprimait pas la situation d'infraction au traité, elle a alors, par une lettre du 14 octobre 1976, mis en demeure le gouvernement belge de présenter dans un délai de 15 jours, qui a ensuite été porté à un mois, ses observations sur la situation juridique. Puis, en l'absence de réaction de la part du gouvernement belge, la Commission a émis, le 8 décembre 1976, un avis motivé au sens de l'article 169 du traité CEE, qui a été notifié
formellement le 16 décembre 1976 et qui invitait la Belgique à prendre les mesures requises dans un délai d'un mois.

Le même 8 décembre 1976, le gouvernement belge a signalé à la Commission, en se référant à la lettre qui lui demandait de présenter ses observations, qu'un arrêté ministériel du 2 décembre 1976, à paraître au Moniteur belge incessamment, apporterait conformément à l'arrêt dans l'affaire Dassonville un nouvel assouplissement au système belge de contrôle des appellations d'origine des eaux-de-vie. Le gouvernement belge ajoutait que l'abrogation de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934 était de
toute manière envisagée dans le cadre d'un projet de loi relatif au contrôle des denrées alimentaires et autres produits, dont la discussion au Parlement était presque terminée.

L'article 1 de ce nouvel arrêté ministériel, qui n'a cependant été publié au Moniteur belge que le 11 février 1977, dispose:

«Sont considérées comme accompagnées, au moment du dédouanement, document prévu à l'article 1 de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934 relatif aux eaux-de-vie:

1. les eaux-de-vie portant une appellation d'origine, importées directement du pays d'origine, en récipients destinés à la vente au consommateur, à condition:

a) que le dispositif de fermeture du récipient soit nécessairement rendu inutilisable par le débouchage et porte le nom ou la marque déposée du fabricant;

b) que le récipient porte sur une étiquette, en caractères clairs et lisibles, les mentions suivantes:

— “embouteillé dans le pays d'origine”,

— le nom ou la marque déposée et l'adresse du fabricant;

2. les eaux-de-vie portant une appellation d'origine, autres que celles visées au point 1 ci-dessus, importées en provenance d'un État membre de la CEE, à condition qu'elles soient accompagnées d'une des pièces officielles suivantes:

a) le document relatif au produit, délivré par les autorités du pays d'origine, attestant du droit à l'appellation d'origine;

b) la copie ou photocopie du document visé sous a) certifiée conforme à l'original par les autorités du pays de provenance à condition que ces autorités mentionnent sur la copie ou la photocopie du document d'origine la quantité d'eaux-de-vie exportée vers la Belgique si celle-ci diffère de la quantité mentionnée sur le document original;

c) un document relatif au produit, délivré par les autorités du pays de provenance, attestant du droit à l'appellation d'origine.»

Comme ce texte ne dépassait pas, de l'avis de la Commission, les propositions formulées par le gouvernement belge dans sa lettre du 5 mars 1976, qui avaient déjà été jugées insuffisantes à l'époque, la Commission a formé, le 28 décembre 1977, un recours devant la Cour de justice en concluant ce qu'il lui plaise:

«déclarer qu'en subordonnant l'importation des eaux-de-vie portant une apellation d'origine régulièrement en libre pratique dans les États membres autres que le pays d'origine à des conditions plus difficiles à remplir que celles prévues à l'article 1, paragraphe 1, de l'arrêté ministériel du 2 décembre 1976 à l'égard des mêmes produits importés directement du pays d'origine, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.»

Dans son mémoire en défense, le royaume de Belgique a signalé que l'arrêté ministériel visé par le recours avait intégralement été abrogé par l'arrêté ministériel du 27 février 1978, paru au Moniteur belge du 15 avril 1978, de sorte que la seule réglementation belge désormais applicable était de nouveau l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934. Et le gouvernement belge d'en déduire que dans ces conditions, du fait que cette dernière réglementation ne représentait pas une mesure d'effet équivalant à
une restriction quantitative au sens des articles 30 et suivants du traité CEE, le recours devait être rejeté comme non fondé.

A la procédure sont intervenus la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, tous deux à l'appui de l'opinion juridique soutenue par le gouvernement belge.

La Commission n'ayant pas modifié ses conclusions, ni dans sa réplique ni dans ses observations sur les mémoires des deux parties intervenantes, le royaume de Belgique a conclu dans sa duplique à ce que le recours soit rejeté comme irrecevable et en tout cas comme non fondé.

I — S'agissant de procéder maintenant à l'appréciation juridique de ces faits, nous devons nous prononcer d'abord sur la question de recevabilité.

La défenderesse soutient à ce sujet que l'abrogation de l'arrêté ministériel litigieux du 2 décembre 1976 a privé le recours d'objet, en le rendant ainsi irrecevable. D'après elle, il manque de plus un intérêt à obtenir la constatation demandée, car la réglementation belge correspond à son avis à celles des États membres qui protègent sur leur territoire les appellations d'origine.

A cette argumentation il faut répondre tout d'abord que l'intérêt de la Commission à obtenir la constatation d'une prétendue violation du Traité ne disparaît pas du seul fait que d'autres États membres maintiennent une situation juridique qui correspond à la réglementation critiquée.

De plus, un recours est seulement privé d'objet lorsque ce dernier a disparu totalement. Or, depuis mars 1974 jusqu'à ce que la Commission émette, en décembre 1976, son avis motivé au titre de l'article 169, alinéa 1 du traité CEE, la Commission a toujours dirigé ses griefs contre l'article 1 de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934 en soutenant que cette disposition constituait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité CEE
parce que, en exigeant un certificat qu'un importateur appelé parallèle, contrairement à l'opérateur qui importe le même produit en provenance directe du pays de production, peut seulement se procurer très difficilement, elle empêchait ou du moins entravait les importations des produits concernés en provenance d'États membres autres que l'État producteur. C'est donc cette opinion, conformée par la Cour dans l'affaire Dassonville, qui a expressément fait l'objet de la procédure préliminaire au
titre de l'article 169 du traité CEE, et c'est seulement après avoir émis son avis motivé que la Commission a appris que le gouvernement belge venait de prendre, en rapport avec l'arrêté royal no 57 critiqué, un arrêté ministériel prévoyant que lorsque certaines conditions étaient remplies, les produits en question devaient être traités comme s'ils étaient accompagnés du certificat d'authenticité exigé par l'arrêté royal. Cet arrêt ministériel ne représentait pas une réglementation autonome,
mais seulement un texte complémentaire de l'arrêté royal no 57, destiné à adapter celui-ci aux articles 30 et suivants du traité CEE, compte tenu de l'interprétation donnée par la Cour dans l'affaire Dassonville. Cela découle du reste aussi de la lettre de la défenderesse du 8 décembre 1976, où elle a quasiment annoncé, la publication de l'arrêté ministériel à la demanderesse en tant que réglementation transitoire, tout en exprimant simultanément l'intention du royaume de Belgique d'abroger
bientôt l'arrêté royal no 57.

L'article 1, paragraphe 1, de l'arrêté ministériel n'exigeait plus de certificat d'authenticité pour les eaux-de-vie importées directement du pays d'origine dans des bouteilles lorsque celles-ci étaient pourvues d'un certain dispositif de fermeture et d'une étiquette indiquant certaines mentions. En revanche, pour les eaux-de-vie portant une appellation d'origine, importées d'un État membre autre que l'État producteur, la réglementation continuait d'exiger, conformément au paragraphe 2,
certaines pièces officielles d'accompagnement. Cette règle concrétisait par conséquent la réglementation de base critiquée depuis le début, et cela de manière telle que la différence entre les conditions à remplir pour l'importation des mêmes produits selon qu'il s'agissait d'importations directes ou d'importations parallèles transitant par d'autres États membres n'était plus seulement maintenant une différence de fait mais était prévue expressis verbis. C'est donc très logiquement que dans sa
requête la Commission a analysé l'entrave aux importations parallèles exprimée dans l'arrêté ministériel comme une infraction aux obligations découlant des articles 30 et suivants du traité CEE.

Comme cet arrêté ministériel a toutefois été abrogé après l'introduction du recours, celui-ci peut seulement être dirigé encore, dans une interprétation sensée, contre la réglementation de base de l'arrêté royal no 57. Cette idée est du reste exprimée clairement par la demanderesse qui remarque dans sa réplique que dès le début ce n'est pas l'arrêté ministériel comme tel qui a constitué une violation du Traité, mais l'arrêté royal de base que l'arrêté ministériel n'a fait que préciser. En
réponse à des questions, le représentant de la demanderesse a de plus, à la fin de la procédure orale, rectifié les conclusions de la requête dans le sens de ce qui précède. Cette rectification aussi était licite, puisqu'elle ne modifiait pas l'objet du recours.

Celui-ci est donc recevable.

II — Pour l'examen du bien-fondé du recours, nous nous proposons d'examiner d'abord si la disposition en question constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation et, en cas de réponse affirmative, si une pareille restriction peut éventuellement être justifiée par l'article 36 du traité CEE.

1. Ainsi que nous l'avons signalé, déjà dans l'arrêt Dassonville la Cour a élaboré des critères qui permettaient au tribunal belge de renvoi de décider si l'article 1 de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934, dont les termes sont demeurés les mêmes, était ou non compatible avec les dispositions des articles 30 et suivants du traité CEE. La situation juridique ne s'est pas non plus modifiée dans la mesure où il manque toujours une réglementation communautaire uniforme, qui garantirait aux
consommateurs l'authenticité des appellations d'origine d'un produit, avec cette conséquence que la protection de ces appellations est encore toujours réglée, dans les divers États membres, de manière différente.

C'est pourquoi nous pensons que le problème sur lequel nous devons nous pencher aujourd'hui ne se distingue pas fondamentalement de la problématique que la Cour devait examiner dans le cadre de la procédure préjudicielle Dassonville. La question posée dans cette procédure n'avait pas pour objet, comme M. l'avocat général Trabucchi l'a observé à juste titre dans ses conclusions, la conformité au Traité des législations nationales visant à protéger les appellations d'origine, mais seulement la
légalité du moyen particulier employé par la législation belge relative à la preuve que le produit est conforme à la définition légale et qui consiste à exiger un certificat d'origine délivré par les autorités du pays où les marchandises ont été produites, même dans le cas où celles-ci ont déjà été régulièrement admises en libre pratique dans un autre État membre. Dans l'actuelle procédure aussi, c'est seulement cette question qui doit être résolue.

Dans l'affaire Dassonville la Cour n'a pas mis en cause, comme nous le savons, le fait même de l'exigence d'un certificat d'origine, mais elle a uniquement mis en doute la possibilité égale pour tous de se procurer un pareil document, puisqu'elle a déclaré qu'il y avait mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative incompatible avec le traité lorsqu'un État membre exige «un certificat d'authenticité plus difficilement accessible aux importateurs d'un produit authentique régulièrement
en libre pratique dans un autre État membre, qu'aux importateurs du même produit en provenance directe du pays d'origine». D'après la définition de la mesure d'effet équivalent que la Cour a donnée dans cet arrêt et qu'elle a toujours répétée dans les affaires suivantes (voir par exemple les arrêts rendus dans les affaires 190/73, procédure pénale contre J. W. J. van Haaster, arrêt du 30. 10. 1974, Recueil 1974, p. 1123; 31/74, Filippo Galli, arrêt du 23. 1. 1975, Recueil 1975, p. 47; 4/75,
Rewe-Zentralfinanz eGmbH/Chambre d'agriculture, arrêt du 8. 7. 1975, Recueil 1975, p. 843; 65/75, Tasca, arrêt du 26. 2. 1976, Recueil 1976, p. 291; 88 à 90/75, SADAM, arrêt du 26. 2. 1976, Recueil 1976, p. 323, et 104/75, De Peijper, arrêt du 20. 5. 1976, Recueil 1976, p. 613), «toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire» est à considérer comme une pareille mesure. De toute
évidence la Cour a vu dans la réglementation de l'article 1 de l'arrêté royal no 57 une mesure de cette nature.

Dans la présente procédure nous devons donc vérifier seulement si les sérieux obstacles critiqués à l'époque, et que pratiquement seuls les importateurs directs étaient en mesure de surmonter, ont entre-temps été supprimés ou sensiblement diminués.

Sur une série de points qui ont aussi été avancés par les parties à l'instance dans l'affaire Dassonville et qui ont été répétés dans la procédure actuelle, nous ne devons plus nous prononcer puisque ces arguments ont déjà été appréciés par la Cour.

En revanche nous devons examiner si les mesures de libéralisation mises en œuvre par le gouvernement belge depuis 1974 facilitent l'obtention du certificat d'authenticité par l'importateur parallèle. Nous avons entendu que l'importation n'est plus subordonnée maintenant à la présentation d'un document délivré par le pays d'origine, indiquant obligatoirement le nom de l'importateur belge et donnant d'autres renseignements sur sa personne. En outre le royaume de Belgique reconnaît aussi entre-temps
les documents délivrés par les autorités britanniques dont il ressort que la livraison est destinée à un pays autre que la Belgique. Enfin il a encore été allégué que les lots d'eaux-de-vie portant une appellation d'origine qui ne sont pas accompagnés des documents prévus, ne sont plus refoulés à la frontière mais que les importateurs ont dans ces cas la possibilité de produire le certificat dans un certain délai.

Il est incontestable que ces mesures, en particulier les deux premières, sont propres à conduire à une certaine libéralisation des échanges interétatiques. Leur défaut réside toutefois selon nous dans le fait qu'elles sont simplement contenues dans des circulaires adressées aux services belges des douanes. Ces circulaires représentent seulement des directives aux autorités compétentes sur la manière dont l'article 1 de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934 doit être appliqué en pratique. Elles
ne présentent aucunement le caractère de normes. Comme de pareilles directives administratives peuvent à tout moment être modifiées ou abrogées sans procédure formelle, la garantie qu'elles offrent à un importateur parallèle, qui est tributaire de ces prescriptions, par rapport à une modification législative ne nous paraît pas suffisante.

Enfin il demeure que l'importateur, qui n'importe pas la marchandise directement du pays d'origine et qui ne peut pas produire un certificat d'origine, n'est pas autorisé, d'après l'article 1 de l'arrêté royal no 57, à vendre les produits en cause tant qu'il n'est pas en mesure de présenter un certificat d'origine. Sous cet angle, ainsi que la Commission aussi l'a remarqué à bon droit, la situation n'est pas différente selon que la marchandise est arrêtée à la frontière ou qu'elle repose, jusqu'à
l'obtention du document, dans les magasins du négociant sans pouvoir être vendue.

Ce qui plus est, c'est surtout de l'intermédiaire établi dans un autre État membre, qui réexporte seulement une partie de la marchandise en question, qu'il ne peut pas être exigé, pour des motifs évidents, qu'il se désaisisse de l'original du certificat d'origine. Or, contrairement à l'arrêté ministériel abrogé du 2 décembre 1976, l'article 17 en liaison avec l'article 6 de la circulaire aux autorités douanières belges du 4 août 1978 prescrit de nouveau expressément que les services des douanes
ne peuvent accepter que des certificats originaux et doivent refuser des photocopies. De même, et pareillement en opposition avec la réglementation abrogée, les certificats d'authenticité émanant d'États non producteurs ne sont pas reconnus. La principale difficulté pour l'importateur parallèle continue donc de résider dans l'obtention de l'attestation d'origine.

Le gouvernement du Royaume-Uni nous a signalé à ce sujet que des assouplissements étaient aussi intervenus de ce côté. Ainsi, un intermédiaire établi dans un État membre, qui voudrait réexporter une partie de la marchandise vers un troisième pays communautaire, pourrait obtenir à cet effet des autorités compétentes du Royaume-Uni, sur présentation de preuves documentaires, un certificat rétroactif. De plus, l'importateur parallèle lui-même pourrait obtenir un certificat d'origine directement des
autorités britanniques sur une base de confiance, si sa situation commerciale l'exige. A l'audience le représentant du gouvernement britannique a toutefois déclaré sous ce rapport qu'il était nécessaire d'indiquer les numéros de série des bouteilles et de donner d'autres détails suffisants pour permettre aux autorités douanières britanniques de vérifier la transaction. Le représentant du gouvernement belge nous a certifié qu'un pareil document était alors accepté aussi par les autorités
douanières belges.

Le gouvernement français a donc parfaitement raison de souligner que même en cas d'importations indirectes, il n'existe pas un obstacle absolu à obtenir un certificat d'origine. D'après la jurisprudence constante de la Cour on se trouve toutefois en présence de mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation non seulement lorsque les importations sont rendues impossibles mais aussi lorsque les mesures étatiques ont pour effet de les rendre plus difficiles ou plus
onéreuses. Même si l'accès d'un importateur parallèle à un certificat d'authenticité est donc peut-être facilité par les autorités britanniques, la procédure décrite n'en est pas moins incompatible avec la célérité habituelle aujourd'hui du déroulement des opérations commerciales. Les lourdes et souvent longues formalités prévisibles sont de nature à dissuader, surtout de plus petits importateurs, d'importer les produits en question à partir d'États non producteurs. Comme il demeure que c'est
toujours des autorités britanniques que dépend la rapidité avec laquelle elles délivrent un pareil certificat, surtout le négociant belge qui a importé une marchandise sans pouvoir présenter un certificat d'origine continue à courir le risque de ne pas pouvoir produire le certificat dans le délai qui lui a été fixé par les autorités belges. Peut-être est-ce du reste en raison de ces difficultés que la possibilité décrite ci-dessus n'est pas utilisée souvent, d'après ce qui nous a été dit par le
représentant du gouvernement britannique et que, selon les indications qui nous ont été données par la Commission, les importations parallèles de cognac ne jouent aucun rôle tandis que les importations parallèles de whisky ne jouent pas un rôle significatif.

En résumé il faut donc constater que l'importateur parallèle éprouve normalement, comme avant, plus de difficultés à se procurer un certificat d'origine que l'importateur qui importe le même produit en provenance directe du pays d'origine. L'article 1 de l'arrêté royal no 57 constitue par conséquent sous cet angle une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, qui est incompatible avec le Traité. Pour la Cour il n'y a dès lors aucun motif de s'écarter de ce qu'elle a déclaré dans
l'arrêt Dassonville.

2. Il y a certes l'article 36 du traité CEE qui permet aux États membres de prévoir, dans un but de protection des biens juridiques que l'article cite, des exceptions à l'interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent. Il ne suffit toutefois pas de se prévaloir d'un des biens juridiques que la disposition cite, mais il doit être prouvé que la réglementation arrêtée est «justifiée», c'est-à-dire qu'elle est nécessaire pour protéger le bien juridique prétendument en
péril. D'après l'article 36, deuxième phrase du traité CEE, une restriction n'est en tout cas pas justifiée lorsqu'elle constitue un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

En rapport avec la protection des indications d'origine, la Cour a précisé dans l'affaire Dassonville:

«que, tant que n'est pas institué un régime communautaire garantissant aux consommateurs l'authenticité de l'appellation d'origine d'un produit, si un État membre prend des mesures pour prévenir des pratiques déloyales à cet égard, c'est cependant à la condition que ces mesures soient raisonnables et que les moyens de preuve exigés n'aient pas pour effet d'entraver le commerce entre les États membres et soient, par conséquent, accessibles à tous les ressortissants;

que, sans même avoir à chercher si de telles mesures relèvent ou non de l'article 36, elles ne sauraient de toute manière, en vertu du principe exprimé à la deuxième phrase de cet article, constituer un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.»

Or, une réglementation commerciale constitue une discrimination arbitraire et une restriction déguisée dans le commerce lorsque, pour reprendre les termes de la directive 70/50 du 22 décembre 1969 (JO no L 13 du 19. 1. 1970, p. 29), «les effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises sont hors de proportion par rapport au résultat recherché» ou lorsque «le même objectif peut être atteint par un autre moyen qui entrave le moins les échanges».

Il faut donc se demander si le but recherché par la preuve de l'origine d'un produit peut tout aussi bien être atteint par d'autres formalités, auxquelles peuvent satisfaire non seulement les importateurs directs mais aussi les importateurs parallèles. L'exigence de la présentation d'un certificat d'origine, qui est prévue à l'article 1 de l'arrêté royal no 57, ne constitue pas une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce seulement lorsqu'il n'existe pas d'autre
moyen efficace de protéger les indications d'origine, qui aurait des effets moindres sur la libre circulation fondamentale des marchandises.

Les appellations d'origine — il nous semble que sur ce point toutes les parties à l'instance sont d'accord — caractérisent toujours un produit qui provient d'une certaine zone géographique et qui, par l'effet de certains facteurs, présente réellement des propriétés et des caractéristiques particulières qui sont de nature à l'individualiser. Leur raison d'être et la justification d'une éventuelle entrave aux échanges susceptible d'en résulter découle du but visé, qui est de protéger les
producteurs contre des falsifications et d'offrir aux consommateurs une garantie de qualité (voir aussi à ce sujet l'affaire 12/74, Commission/république fédérale d'Allemagne, arrêt du 20. 2. 1975, Recueil 1975, p. 181).

Ainsi que nous l'avons vu au cours de la procédure, il n'existe aucun moyen parfait d'atteindre totalement cet objectif. Le système des certificats d'origine accompagnant les marchandises offre en effet au fabricant — et sur ce point aussi les parties à l'instance semblent être d'accord — un moyen absolument praticable de garantir l'âge et une technique particulière de production. L'importateur parallèle peut certes rencontrer naturellement de plus grandes difficultés à obtenir un tel document
que l'importateur direct, mais une pareille entrave au commerce n'est certainement pas justifiée lorsque ce certificat est aussi exigé d'une personne qui n'est pas en mesure de se le procurer aisément, dans des cas où la conformité et l'authenticité de la marchandise ne sauraient pas raisonnablement faire de doute.

De l'avis de la Commission, un pareil doute est certainement exclu lorsque l'embouteillage est effectué dans le pays d'origine et lorsque les bouteilles sont pourvues d'un dispositif de fermeture que le débouchage rend inutilisable. Les gouvernements de la Belgique, de la France et du Royaume-Uni estiment en revanche que ce système n'offre pas une possibilité satisfaisante d'empêcher des pratiques déloyales ni d'exclure des actes frauduleux, susceptibles d'avoir des effets nuisibles pour la santé
des consommateurs. Le représentant du Royaume-Uni, en particulier, observé que les dispositifs de fermeture consistant en une capsule offraient une certitude moindre d'absence de falsification que les documents qui garantissent l'appellation d'origine. A cela le représentant belge a encore ajouté que la falsification d'un document était de plus sanctionnée plus sévèrement, par les lois pénales belges, que la simple contrefaçon d'une capsule. Enfin, les représentants de chacun des trois
gouvernements ont évoqué le problème résultant du fait que précisément le whisky, par exemple, est exporté non seulement dans des bouteilles mais aussi dans des fûts. Or, dans le cas où le whisky serait embouteillé à partir de fûts dans un autre État membre, le système de fermeture proposé par la Commission ne serait pas de nature à offrir une garantie suffisante, dès lors que tous les pays n'exercent pas un contrôle également strict. Contrairement aux spiritueux, il existerait dans le secteur du
vin une organisation uniforme du marché, qui assurerait des contrôles similaires dans tous les États membres. Ce serait uniquement pour ce motif qu'il pourrait être renoncé, à l'importation de vin contenu dans des bouteilles, à la présentation d'un certificat d'origine. La Commission elle-même, ajoute le gouvernement belge, ne se fie du reste pas au système de fermeture proposé par elle, puisque pour les spiritueux importés de pays tiers elle exige également des documents d'accompagnement
conformes.

Si, pour apprécier ces arguments, nous pouvons commencer par celui que nous avons rappelé en dernier lieu, il convient d'observer à son sujet que l'interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives ne joue que pour les échanges intracommunautaires, et non pas pour le commerce avec les pays tiers. Comme la règle de la libre circulation des marchandises ne s'applique pas dans ce dernier cas, la Commission a bien sûr toute faculté de prescrire n'importe quel moyen qui soit
propre à empêcher des actes de tromperie sur la qualité du produit. Les échanges intracommunautaires en revanche sont régis, comme nous l'avons déjà dit, par le principe fondamental de la libre circulation des marchandises, avec comme conséquence que seules sont permises les mesures qui sont le moyen le moins radical d'écarter la menace.

En rapport avec l'argument tiré de la possibilité de falsification et des différences existant entre les sanctions pénales, il nous semble opportun — sans toutefois vouloir entrer dans des considérations de fait comme la question du degré de la garantie offerte contre des contrefaçons — de souligner spécialement quelques points qui nous montrent que le royaume de Belgique et les deux parties qui sont intervenues à ses côtés aussi pourraient imaginer une solution du genre de celle proposée par la
Commission. C'est ainsi qu'à l'article 1, paragraphe 1, de l'arrêté ministériel entre-temps de nouveau abrogé, la Belgique a jugé suffisant que les récipients importés directement du pays d'origine, qui sont destinés à la vente au consommateur, soient pourvus d'un dispositif de fermeture que le débouchage rend inutilisable, et que les étiquettes portent le nom et l'adresse du fabricant ainsi que l'indication que le produit a été embouteillé dans le pays d'origine. Si ces conditions ont été jugées
suffisantes pour les importations directes, il ne nous apparaît pas pourquoi elles ne seraient pas propres à remplir la même fonction de garantie en cas d'importations parallèles. En déclarant que le capsulage dans un État membre autre que l'État de production lui semble insuffisant, le gouvernement belge reconnaît simultanément que cette garantie est jugée suffisante en cas d'embouteillage au lieu d'origine. Au surplus, l'objection fondée sur la garantie insuffisante contre des actes de
contrefaçon et sur les différences existant entre les sanctions pénales perd encore davantage de son poids du fait que le gouvernement belge concède qu'il serait d'accord avec le système de fermeture décrit si l'embouteillage était contrôlé dans tous les États membres de la même manière. Le représentant du gouvernement français nous a finalement confirmé, lui aussi, que pour certaines boissons comme le cidre, la bière ou le vin, la France avait remplacé le système des certificats d'origine par un
système correspondant de fermeture des récipients et que c'était seulement pour les spiritueux que ce système n'avait pas encore été introduit, mais cela, surtout, pour des motifs de contrôle fiscal.

Ces quelques exemples démontrent selon nous que pour le royaume de Belgique aussi, il doit être possible d'imaginer un système qui entrave moins les échanges en ce qu'il mettrait l'importateur, qui n'acquiert pas directement la marchandise dans le pays d'origine, en mesure de prouver l'authenticité du produit en utilisant le moyen décrit, qui apparaît suffisamment propre à faire une pareille preuve.

Au gouvernement belge et aux parties qui sont intervenues à ses côtés, il faut cependant concéder que la situation se présente différemment lorsque les spiritueux sont exportés dans des fûts, puis embouteillés dans un État membre qui n'est pas le pays de production, pour être ensuite réexportés. Tant que les contrôles ne sont pas uniformisés, il faut en particulier donner raison au gouvernement britannique qui souligne que le système de fermeture ne garantit pas alors que le contenu des
bouteilles correspond à celui des fûts, ni que l'embouteillage a été effectué en respectant les conditions minimales d'hygiène. Pour donner cette garantie, nous aussi nous ne voyons que la possibilité de joindre aux spiritueux une pièce d'accompagnement officielle dont il ressort que la mention de l'appellation d'origine est justifiée. Pour la protection des valeurs juridiques qui sont citées à l'article 36, il devrait toutefois suffire d'admettre aussi, comme le paragraphe 2 de l'article 1 de
l'arrêté ministériel du 2 décembre 1976 le prévoyait, outre l'original du certificat d'origine, une photocopie ou un document des autorités du pays d'expédition attestant le droit à l'appellation d'origine du produit. Ainsi que nous l'avons entendu, seulement une fraction des spiritueux est toutefois exportée dans des fûts; pour le whisky par exemple il s'agit d'environ 25 %.

Ainsi donc, il apparaît en définitive que la réglementation de l'article 1 de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934, dans sa version actuelle et telle qu'elle est interprétée dans des prescriptions administratives, n'est pas non plus justifiée par un but de protection des valeurs juridiques énumérées à l'article 36. Quant à la question de savoir si une de ces valeurs juridiques citées à l'article 36 est en fait mise en péril, et si oui laquelle, elle ne doit plus dès lors, conformément à la
jurisprudence de la Cour, être examinée.

Comme surtout la défenderesse et le gouvernement du Royaume-Uni ont toutefois basé leur argumentation non seulement sur le but de protection de la propriété industrielle et commerciale mais aussi sur le besoin de protection de la santé publique, une dernière observation s'impose à ce sujet. Nous avons entendu que rien ne s'oppose en Belgique à l'importation et à la commercialisation de whisky non accompagné d'un certificat d'origine, dans la mesure où ce produit est simplement désigné par
l'appellation «Whisky». D'un autre côté, l'appellation «Scotch whisky» présente une consonnance qualitative qui est de nature à augmenter la valeur marchande de ce produit. A supposer maintenant que la Belgique soit d'avis que le whisky sans appellation d'origine présente un risque pour la santé publique, elle pourrait rendre l'importation d'un pareil produit plus difficile, ou même l'interdire, en invoquant l'article 36. Comme elle ne l'a pas fait, l'importation d'un produit qualitativement
supérieur ne peut pas être entravée en alléguant un but de protection de la santé publique.

III — En conclusion, nous vous proposons donc de déclarer qu'en subordonnant, à l'article 1 de l'arrêté royal no 57 du 20 décembre 1934, l'importation des eaux-de-vie portant une appellation d'origine, qui sont en libre pratique dans les États membres autres que le pays d'origine, à des conditions plus difficiles à remplir que celles qui sont prévues pour l'importation directe des mêmes produits à partir du pays d'origine, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de
l'article 30 du traité CEE.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2/78
Date de la décision : 20/03/1979
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Certificats d'authenticité.

Agriculture et Pêche

Alcool

Libre circulation des marchandises

Mesures d'effet équivalent

Restrictions quantitatives

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:74

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