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15/03/1979 | CJUE | N°179/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 15 mars 1979., Procureur de la République contre Michelangelo Rivoira et autres., 15/03/1979, 179/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 15 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire a été portée devant la Cour par une demande de décision à titre préjudiciel émanant du tribunal de grande instance de Montpellier. Elle fait suite à l'affaire 52/77 Cayrol/Rivoira 1977 (Recueil p. 2261). Les faits de l'espèce vous sont connus et nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de les répéter, si ce n'est pour rappeler qu'ils ont donné lieu à deux séries de procédures.<

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Tout d'abord, ils ont donné lieu à des poursuites pénales devant le tribunal de grande instance d...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 15 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire a été portée devant la Cour par une demande de décision à titre préjudiciel émanant du tribunal de grande instance de Montpellier. Elle fait suite à l'affaire 52/77 Cayrol/Rivoira 1977 (Recueil p. 2261). Les faits de l'espèce vous sont connus et nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de les répéter, si ce n'est pour rappeler qu'ils ont donné lieu à deux séries de procédures.

Tout d'abord, ils ont donné lieu à des poursuites pénales devant le tribunal de grande instance de Montpellier, sur la base desquelles M. Cayrol, les trois associés de la firme Rivoira Giovanni & Figli s.n.c. et la firme elle-même ont été prévenus d'importation de marchandises prohibées en France au moyen de fausses déclarations quant à leur origine. A l'époque où l'affaire 52/77 est venue devant la Cour, les défendeurs dans ces procédures avaient tous été reconnus coupables de l'infraction en
question et avaient été condamnés conjointement et solidairement à des amendes (i) de 1000 FF, (ii) de 532435 FF représentant la valeur des marchandises en question et (iii) de 1064870 FF représentant deux fois cette valeur. Toutefois, comme les défendeurs autres que M. Cayrol (nous les appellerons «consorts Rivoira») avaient été condamnés par défaut, une instance était pendante devant le tribunal aux fins de faire annuler les condamnations qui les frappaient au motif que la procédure ne leur avait
pas été dûment notifiée. M. Cayrol pour sa part avait conclu une transaction avec les autorités douanières françaises en vertu de laquelle il acceptait de payer une amende réduite d'un montant de 175000 FF.

En deuxième lieu, M. Cayrol avait introduit une instance au civil contre les consorts Rivoira devant le tribunal de Saluzzo aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, au motif que c'était l'usage que les consorts Rivoira avaient fait de la marque et du certificat ICE qui était à l'origine de sa condamnation en France. Dans cette action, l'affaire 52/77 était une demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de Saluzzo.

L'arrêt de la Cour relatif à cette demande est daté du 30 novembre 1977.

La suite, dans la mesure où elle nous intéresse ici, peut être résumée très brièvement.

Le 20 décembre 1977, le président du tribunal de Saluzzo, au vu de l'arrêt de la Cour du 30 novembre 1977, a rejeté l'action de M. Cayrol.

Le 5 juin 1978, le tribunal de grande instance de Montpellier, après les débats dans l'action des consorts Rivoira tendant à faire annuler leur condamnation, a rendu le jugement de renvoi dans la présente espèce.

Par ce jugement, le tribunal demande à la Cour de trancher deux questions.

La première consiste à savoir

«Si, d'après les dispositions communautaires applicables dans les années 1970 et 1971, le fait que la France avait fixé d'une façon légitime un contingent bilatéral pour le raisin espagnol importé en France entre le 1er juillet et le 31 décembre de chacune de ces années donnait à la France le droit d'interdire pour les mêmes périodes l'importation du même raisin espagnol en provenance de l'Italie où celui-ci se trouvait en libre pratique sans que la France ait auparavant demandé et obtenu
l'autorisation de la Commission de la CEE de Bruxelles sur la base de l'article 115 du traité.»

La réponse à cette question est manifestement négative. Nous nous abstiendrons de répéter ce que nous avons dit à ce propos dans l'affaire 52/77 (Recueil, 1977, p. 2288-2289).

Il est assez compréhensible cependant que le tribunal de Montpellier ait souhaité obtenir à cet égard une décision claire de la Cour, en premier lieu à cause de la façon dont l'arrêt de la Cour dans l'affaire 52/77 est formulé et en deuxième lieu à cause d'un aspect particulier de l'argumentation présentée devant le tribunal dans la présente espèce au nom des douanes françaises. L'arrêt de la Cour dans l'affaire 52/77, bien que sa formulation mène inévitablement à la conclusion que la France ne
pouvait pas, sans avoir obtenu l'autorisation requise en vertu de l'article 115, restreindre de façon légitime l'importation de raisin espagnol mis en libre pratique en Italie ne contient nulle part cette proposition en termes catégoriques. L'argumentation présentée devant le tribunal au nom des douanes françaises avait ceci de particulier que, bien que soulignant le fait que la Cour avait reconnu dans l'affaire 52/77 le droit à la France (en vertu du règlement du Conseil CEE no 2513/69 et en dépit
de l'accord du 29 juin 1970 existant entre la Communauté et l'Espagne) de restreindre les importations de raisin de table en provenance d'Espagne dans les périodes entrant en ligne de compte, elle méconnaissait totalement le fait tout aussi important que (comme il était constant entre les parties dans l'affaire 52/77 et comme les observations présentées par le gouvernement français dans la présente espèce le reconnaissent expressément) la France n'a jamais cherché ou obtenu, pour les périodes
entrant en ligne de compte, une quelconque recommandation ou autorisation de la Commission sur la base de l'article 115 du traité CEE lui permettant de prendre des mesures concernant l'importation de raisin espagnol mis en libre pratique dans d'autres pays membres.

La deuxième question que le tribunal demande à la Cour de trancher est formulée de la façon suivante:

«En cas de réponse négative à la question no 1, si le fait que le raisin espagnol importé en France de l'Italie dans les périodes susmentionnées ait été déclaré comme italien donnait à la France le droit de considérer cette déclaration comme une violation à la loi douanière française avec application des sanctions pénales prévues par le Code des douanes pour les fauses déclarations qui sont faites pour exécuter les importations interdites.»

Il est clair que la Cour ne peut pas répondre directement à cette question, parce qu'il ne vous appartient pas, sur la base de l'article 177 du traité, d'interpréter la législation douanière française, qu'elle soit contenue dans le Code des douanes ou ailleurs, encore moins de dire à un tribunal français quand cette législation doit ou non s'appliquer. Dans le cadre d'une telle procédure de renvoi, le rôle de la Cour se borne à statuer sur le droit communautaire applicable.

Il appartient alors au juge national d'appliquer sa propre législation d'une façon qui soit compatible avec cette décision.

Toutefois, la formulation de la question déférée à la Cour par le tribunal s'explique encore ici si l'on examine l'argumentation présentée devant le tribunal, cette fois-ci pour le compte des consorts Rivoira. Cette argumentation, prenant comme point de départ le fait que les poursuites étaient basées sur certains articles du Code des douanes français, suggérait qu'une distinction entre une infraction douanière et une infraction à la loi commerciale ou une infraction en matière de protection des
consommateurs pouvait être discernée dans les arrêts de la Cour susceptibles d'être invoqués, et en particulier l'arrêt rendu dans l'affaire 52/77. L'argumentation aboutissait à la conclusion que, dans un cas comme celui-ci, le droit communautaire fait obligation au juge national de se limiter à appliquer des sanctions de nature administrative et lui interdit d'appliquer une quelconque sanction d'ordre douanier.

Nous pensons que cette argumentation est totalement erronée dans sa conception même, bien qu'elle ait pu être suscitée par les références à «la nature purement administrative de la contravention» qui sont faites dans l'attendu no 36 de l'arrêt de la Cour dans l'affaire 41/76 Donckerwolcke/Procureur de la République (Recueil 1976, p. 1921 et dans l'attendu no 37 de l'arrêt dans l'affaire 52/77).

Il n'appartient pas à la Cour de classer dans de telles catégories ni les infractions ni les sanctions que connaissent les droits nationaux des États membres. Il n'y a pas de raison de supposer que les systèmes juridiques de tous les États membres connaissent les mêmes catégories ou que, si tel était le cas, chaque catégorie a le même contenu dans chacun de ces systèmes. Le rôle de la Cour est de se borner à dire dans quelles limites les juges nationaux peuvent, en harmonie avec le droit
communautaire, admettre l'existence d'infractions du genre de celles dont il est question ici et punir leurs auteurs. C'est aux juges nationaux de chaque État membre qu'il appartient de décider quelles sont les dispositions législatives de cet État membre qui permettent, à l'intérieur de ces limites, de reconnaître l'existence d'une infraction et de la réprimer.

L'arrêt de la Cour dans l'affaire 52/77, dont il n'est pas nécessaire que nous répétions les termes, fait apparaître clairement quelles sont ces limites dans des circonstances telles que celles de l'espèce.

Dans les observations écrites qu'il nous a soumises, le gouvernement français reconnaissait que cet arrêt disait correctement le droit. Il faisait valoir principalement qu'une fausse déclaration quant à l'origine devrait conduire à des pénalités plus lourdes lorsqu'elles étaient faites dans une intention frauduleuse que lorsqu'elles étaient faites de bonne foi. A cela, les consorts Rivoira avaient répondu à l'audience en faisant valoir que de toute évidence une déclaration sincère quant à l'origine
aurait conduit en l'espèce les douanes françaises à interdire les importations en question, ce qui aurait été illégal de leur part. En vertu de la jurisprudence de la Cour, les douanes françaises auraient été en droit de chercher à obtenir une déclaration sincère quant à l'origine uniquement si elles avaient cherché à contrôler les importations de raisin espagnol en France à travers d'autres États membres, en vue de saisir éventuellement la Commission d'une demande sur la base de l'article 115, ou
si elles avaient cherché à appliquer la législation communautaire sur les normes de qualité. Toutefois, ainsi poursuivaient les consorts Rivoira, il est clair que les douanes françaises n'avaient aucun de ces objectifs en vue.

Nous pensons que de tels arguments, bien qu'ils soient peut-être de nature à être présentés de façon pertinente par les parties devant le tribunal de grande instance de Montpellier lorsque celui-ci en viendra à considérer les éléments lui permettant de rendre sa décision finale dans la présente espèce, n'ont absolument aucune portée en ce qui concerne les questions que votre Cour est appelée à trancher sur la base de la présente demande (voir et comparer (i) l'arrêt de la Cour dans l'affaire 53/76
Procureur de la République/Bouhelier, Recueil 1977, p. 197, et (ii) le jugement du tribunal de grande instance de Besançon du 29 septembre 1978 que en est résulté et qui constitue également le jugement de renvoi dans l'affaire 225/78).

Nous concluons à ce qu'en réponse à ces questions, vous disiez pour droit:

1) D'après les dispositions communautaires applicables dans les années 1970 et 1971, le fait que la France avait fixé de façon légitime un contingent pour le raisin espagnol importé en France entre le 1er juillet et le 31 décembre de chacune de ces deux années ne donnait pas à la France le droit d'interdire, pour les mêmes périodes, l'importation de raisin d'origine espagnole en provenance d'autres États membres de la Communauté où celui-ci était en libre pratique, sans avoir préalablement demandé
et obtenu l'autorisation à cet effet de la Commission européenne sur la base de l'article 115 du traité CEE.

2) Le fait que le raisin espagnol ait été importé en France à partir d'un autre État membre dans les périodes susmentionnées et ait été déclaré comme originaire de cet État membre n'autorisait pas une juridiction française à considérer cete déclaration comme une violation de la loi française et de la réprimer, sauf dans les limites suivantes:

a) La France avait le droit, durant ces périodes, de contrôler les importations de raisin espagnol sur son territoire en vue de saisir éventuellement la Commission d'une demande sur la base de l'article 115 du traité; elle avait le droit, à cet effet, de demander aux importateurs de raisin l'indication de son origine dans la mesure où ils la connaissaient ou pouvaient raisonnablement être censés la connaître; toutefois, le fait pour ces importateurs de ne pas se conformer à l'obligation de
déclarer l'origine véritable du raisin ne pouvait pas donner lieu à l'application de pénalités disproportionnées, telles que la confiscation du raisin ou une quelconque amende pécuniaire fixée en fonction de sa valeur.

b) En vertu de l'article 8 du règlement du Conseil no 158/66/CEE, la France avait le droit et était tenue de prendre toute mesure appropriée afin de sanctionner les infractions aux dispositions de ce règlement; cependant, les mesures prises en vertu de cet article ne doivent pas entraîner une quelconque discrimination entre les infractions concernant des produits domestiques et celles concernant des produits provenant d'ailleurs.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 179/78
Date de la décision : 15/03/1979
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Montpellier - France.

Libre circulation des marchandises

Fruits et légumes

Mesures d'effet équivalent

Agriculture et Pêche

Restrictions quantitatives

Mesures de sauvegarde


Parties
Demandeurs : Procureur de la République
Défendeurs : Michelangelo Rivoira et autres.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:73

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