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21/09/1978 | CJUE | N°156/77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 21 septembre 1978., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 21/09/1978, 156/77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 21 SEPTEMBRE 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — En introduction aux présentes conclusions, il est nécessaire, croyons-nous, de rappeler les «rétro-actes» de la procédure, car la chronologie revêt, en l'espèce, une importance déterminante.


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 21 SEPTEMBRE 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — En introduction aux présentes conclusions, il est nécessaire, croyons-nous, de rappeler les «rétro-actes» de la procédure, car la chronologie revêt, en l'espèce, une importance déterminante.

1) Le 27 mai 1970, le gouvernement belge, par le canal de sa représentation permanente auprès des Communautés européennes, signalait à la Commission que la Société nationale des chemins de fer belges se proposait d'introduire auprès de l'État concédant une demande de compensation financière en raison du désavantage économique qu'elle subissait, à ses dires, du fait de l'application des tarifs directs internationaux pour le transport par chemin de fer de marchandises couvertes par le traité CECA.

La société évaluait ce désavantage, pour 1971, sur la base des principes définis à l'article 11, paragraphe I, du règlement du Conseil no 1191/69 du 26 juin 1969, pris en vertu des articles 75 et 94 du traité de Rome et relatif à l'action des États membres en matière d'obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, à 500 millions de francs belges.

Les tarifs internationaux en cause ont été introduits en vertu d'un accord conclu le 21 mars 1955 entre les représentants des gouvernements des États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, réunis au sein du Conseil; il a été ultérieurement modifié par trois accords complémentaires des 1er mai 1956, 1er mai 1959 et 1er mars 1974. Il était basé sur l'article 70 du traité de Paris et sur le paragraphe 10 de la convention relative aux dispositions transitoires, annexée à ce
traité.

Le gouvernement belge fondait laconiquement sa demande sur le règlement no 1191/69 du Conseil. En réalité, il faut comprendre qu'il invoquait le caractère «d'obligation inhérente à la notion de service public», au sens de ce règlement, que comportait, à ses yeux, l'application de ces tarifs ferroviaires internationaux CECA.

Prévoyant que de telles demandes seraient également introduites dans d'autres États membres, le gouvernement belge priait la Commission de procéder à une consultation de ces États «pour qu'une attitude identique soit adoptée à ce sujet dans les six pays».

Une réunion d'un groupe d'experts gouvernementaux eut lieu à Bruxelles le 10 septembre 1970. A cette occasion, fut plus spécialement examiné le point de savoir si l'application des tarifs directs internationaux CECA constitue une obligation de service public et, plus particulièrement, une obligation tarifaire au sens de l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69 et si, dans l'affirmative, pareille obligation comporte des désavantages économiques au sens de l'article 5, paragraphe 2, dudit
règlement

Comme les positions prises par les différentes délégations nationales au cours de cette réunion présentaient des différences notables, il fut convenu que le problème ferait l'objet d'une nouvelle réunion avant la fin de l'année 1970.

La suite peut être reconstituée par la correspondance échangée entre le directeur général des transports de la Commission et la représentation permanente belge.

Ce furent les services de la Commission qui procédèrent à l'approfondissement de la question et ce directeur fit savoir à cette représentation permanente, le 2 juillet 1973, que «les dispositions communautaires et intergouvernementales ne comportent … pas l'obligation d'appliquer des prix fixés par l'imposition de mesures tarifaires particulières, qu'elles n'imposent donc pas une obligation tarifaire au sens de l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69, qui pourrait donner lieu à
compensation en application de ce règlement».

Ayant constaté que des compensations s'élevant à 410 millions de francs belges en 1971 et à 520 millions en 1972 avaient été accordées par le gouvernement belge à la SNCB sur la base de ce règlement, la Commission demandait, sous la signature du directeur général des transports, au gouvernement belge de lui «communiquer toutes précisions nécessaires sur les motifs qui l'ont amené à accorder lesdites compensations».

Ici se place un interlude au niveau du Conseil: le 11 octobre 1973, la délégation néerlandaise auprès de cette institution demanda qu'il soit procédé à la révision de l'accord du 21 mars 1955 en vue de l'actualiser et de tenir compte de l'élargissement de la Communauté.

Prenant acte de cette demande, le Conseil, au cours de sa session du 22 novembre 1973, chargea le Comité des représentants permanents de l'examiner.

Le 7 décembre 1973, la représentation permanente belge fit savoir à la Commission, en réponse à la demande de celle-ci du 2 juillet précédent, que le tableau des montants octroyés à la SNCB dans le cadre de la normalisation des comptes, arrêté à titre définitif en ce qui concerne l'exercice 1971 et à titre prévisionnel pour les exercices 1972 et 1973, mentionnait les compensations pour les tarifs CECA comme des aides octroyées en vertu du règlement du Conseil no 1107/70 du 4 juin 1970, pris sur
la base des articles 75, 77 et 94 du traité, règlement relatif aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable.

«Cette décision — écrivait la représentation permanente — lui semblait conforme à l'optique de la Commission en cette matière». Ainsi, le gouvernement belge avait décidé pour l'année 1971, et invisageait pour les exercices 1972 et 1973, de remplacer les compensations accordées en application du règlement no 1191/69 par une aide équivalente couverte par l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70.

Cette disposition porte que:

«Les États membres … n'imposent de servitudes inhérentes à la notion de service public, comportant l'octroi d'aides au titre de l'article 77 du traité, que dans les cas et conditions suivantes:



2) en matière de remboursement de servitudes inhérentes à la notion de service public:

jusqu'à l'entrée en vigueur de réglementations communautaires les concernant, lorsque les versements sont faits à des entreprises de transports par chemin de fer … pour compenser les obligations de service public qui leur sont imposées par l'État ou les collectivités publiques et visant:

— … des obligations tarifaires non reprises à l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69 …»

Après avoir fait examiner de manière approfondie cette nouvelle mesure par ses services, en collaboration tant avec les experts belges qu'avec le Comité consultatif pour les aides en matière de transports, créé par le règlement no 1107/70 précité, la Commission fit savoir, sous la signature du directeur général, à la représentation permanente, le 24 juin 1974, qu'«il ne pouvait être envisagé de considérer comme compatible avec le marché commun, en application de l'article 3, paragraphe 2, du
règlement no 1107/70, une aide qui aurait pour but de couvrir les mêmes charges», c'est-à-dire les charges résultant d'une prétendue obligation tarifaire imposée au sens de l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69.

Subsidiairement, la Commission faisait observer que, «de toute manière, une aide accordée en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70 devait … faire l'objet d'une information de la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE».

C'est à cette date qu'il est fait mention, pour la première fois, de cette disposition du traité.

En conclusion, la Commission priait le gouvernement belge de bien vouloir lui faire connaître, si possible avant la fin de juillet 1974, son point de vue à ce sujet et les dispositions qu'il comptait prendre pour régulariser cette situation.

Le 29 novembre 1974, soit près de six mois plus tard, la représentation permanente belge fit savoir au directeur général, en réponse à sa lettre du 24 juin précédent, qu'«on peut, en effet, arriver à la conclusion que toutes les conditions pour l'application “à la lettre” du règlement no 1191/69 ne sont pas réunies» et que «ce point de vue a été admis par la Belgique»; qu'en revanche, elle considérait qu'«il s'agit bien d'une obligation de service public de nature tarifaire, mais pas d'une
obligation tarifaire visée par le règlement no 1191/69, ce qui justifie l'application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70». En somme, si le gouvernement belge avait bien cessé d'octroyer la compensation au titre du premier de ces règlements, il continuait de l'accorder au titre de cette disposition du second.

Pour appuyer sa thèse, cette représentation permanente se référait à l'arrêt du Conseil d'État français du 22 décembre 1961, SNCF/Ministère des travaux publics, des transports et du tourisme, faisait observer que l'accord du 21 mars 1955«dépassait le prescrit de l'article 70 du traité» et ajoutait que les États membres avaient le pouvoir de provoquer une révision dudit accord aux termes de son article 17.

Quant au rappel de la Commission, selon lequel une aide accordée en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70 doit faire l'objet d'une information de la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité, le représentant affirmait que la formalité en question avait été accomplie par une lettre no 28.103/G.12.123 du 21 janvier 1974 (nous citons) «qui vous a été adressée par mon prédécesseur; cette lettre mentionnait notamment, pour l'année 1974 une aide au sens
du règlement no 1107/70 du 4 juin 1970, de 530 millions de francs au titre des tarifs CECA» (fin de citation). En terminant, le représentant permanent transmettait à la Commission la demande du gouvernement belge de revoir sa position.

Nous n'avons pas trouvé trace, Messieurs, de cette lettre au dossier, mais il ressort de la correspondance ultérieurement échangée que la Commission reconnaît avoir été informée que l'aide accordée par le gouvernement belge s'élevait à 410 millions de francs pour l'année 1971, 441,5 millions pour l'année 1972, 489 millions pour l'année 1973 et que les prévisions budgétaires pour 1974 et 1975 étaient estimées respectivement à 530 et 525 millions de francs.

C'est donc cette date du 21 janvier 1974 qu'il faudrait, à première vue, retenir pour rechercher si, conformément à l'article 93, paragraphe 3, la Commission a été «informée en temps utile pour présenter ses observations» du projet tendant à instituer une aide pouvant être considérée comme compatible avec le marché commun aux termes de l'article 92 ou de l'article 77 du traité et si, «estimant que ce projet n'était pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 92», la Commission a
«ouvert sans délai la procédure prévue au paragraphe 2 de l'article 93».

A cet égard, si l'on peut admettre que la notification a bien eu lieu en temps utile pour les montants relatifs aux exercices 1974 et 1975, nous considérons également que, compte tenu de la complexité du problème et de l'échange antérieur de correspondance, la lettre adressée le 24 juin 1974 à la représentation permanente belge par le directeur général de la Commission constitue l'ouverture sans délai de la procédure de l'article 93, paragraphe 2, en tout cas pour le montant qui devait être
accordé au titre de l'exercice 1975.

2) Il faut ici à nouveau ouvrir une parenthèse «législative» pour rappeler que, le 20 mai 1975, le Conseil a arrêté une décision «relative à l'assainissement de la situation des entreprises de chemin de fer et à l'harmonisation des règles régissant les relations financières entre ces entreprises et les États», décision dont l'article 13 porte:

«L'État établit, en collaboration avec l'entreprise de chemin de fer, un programme financier visant à réaliser l'équilibre financier de l'entreprise.

Dans le cadre de ce programme, l'État peut accorder à l'entreprise de chemin de fer des subventions d'équilibre qui doivent être distinctes:

a) des compensations pouvant être accordées au titre des catégories d'obligations de service public prévues à l'article 2 du règlement no 1191/69 ou des catégories de normalisations des comptes prévues à l'article 4, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1192/69,

b) des aides pouvant être accordées au titre des catégories d'aides prévues à l'article 3 du règlement no 1107/70 et à l'article 9, paragraphe 2, de la présente décision,

c) des interventions financières prévues à l'article 5, paragraphe 1, de la présente décision.»

L'article 9, paragraphe 2, de la décision auquel il est ainsi fait référence dispose:

«Les obligations tarifaires imposées à l'entreprise ferroviaire et non visées par le règlement no 1191/69 peuvent, conformément à l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70, faire l'objet de compensations. Le Conseil harmonisera, sur proposition à présenter par la Commission avant le 1er janvier 1978, les modalités selon lesquelles ces compensations seront accordées.»

Par suite de l'adoption de cette décision, l'article 4 du règlement no 1107/70 n'était plus d'application pour les entreprises nationales de chemin de fer; désormais, les États membres pouvaient, d'une part, procéder en faveur de ces entreprises à des interventions financières dans le cadre des programmes d'activités desdites entreprises, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la décision et, d'autre part, leur accorder des subventions d'équilibre, conformément à l'article 13 de la même
décision.

Il était donc nécessaire de modifier l'article 4 du règlement no 1107/70, ce qui fut fait par règlement du Conseil no 1473/75 du 20 mai 1975, publié au Journal officiel du 12 juin 1975, le même jour que la décision du 20 mai dont nous venons de parler, mais avant celle-ci, bien que ce dernier texte en soit la conséquence. La nouvelle rédaction de l'article 4 était la suivante:

«§ 1. Jusqu'à l'expiration du délai qui sera fixé pour la réalisation de l'équilibre financier, conformément à l'article 15, paragraphe 1, de la décision du Conseil du 20 mai 1975 … et sans préjudice des règlements nos 1191/69 et 1192/69, l'article 3 ne s'applique pas aux interventions financières auxquelles il est procédé en faveur des entreprises de chemin de fer dans le cadre de leurs programmes d'activités, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de cette décision, et aux subventions
d'équilibre qui leur sont accordées conformément à l'article 13 de la même décision.

§ 2. En l'absence de réglementations communautaires relatives à l'harmonisation des règles régissant les relations financières entre les États et les entreprises de chemin de fer autres que celles visées à l'article 1 de la décision du 20 mai 1975 et sans préjudice des règlements nos 1191/69 et 1192/69, l'article 3 ne s'applique pas aux versements des États et des collectivités publiques à ces entreprises, effectués du fait de la non-réalisation de cette harmonisation.»

Mais le règlement précisait bien dans ses considérants qu'«en raison du caractère particulier de ces mesures financières, il paraît indiqué, en application de l'article 94 du traité, de maintenir la procédure spéciale pour l'information de la Commission prévue à l'article 5, paragraphe 2, du règlement no 1107/70».

Ce règlement no 1473/75 constitue donc l'un des «règlements utiles en vue de l'application des articles 92 et 93», adopté par le Conseil sur la base de l'article 94 et «fixant notamment les conditions d'application de l'article 93, paragraphe 3, et les catégories d'aides qui sont dispensées de cette procédure».

L'article 5, paragraphe 2, du règlement no 1107/70 fixe comme suit la procédure spéciale pour l'information de la Commission;

«Les aides visées à l'article 4 (c'est-à-dire les subventions d'équilibre et les versements des États et des collectivités publiques aux entreprises de chemin de fer, effectués du fait de la non-réalisation de l'harmonisation des règles régissant les relations financières entre les entreprises de chemin de fer et les États en vue d'assurer l'autonomie financière de ces entreprises, par opposition aux aides en matière de remboursement de servitudes inhérentes à la notion de service public, visées
à l'article 3 sont dispensées de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité; elles sont communiquées à la Commission à titre prévisionnel au début de chaque année, puis, à titre de compte rendu, après la fin de l'exercice budgétaire.»

Il faut encore noter que le règlement no 1473/75 ne modifiait pas l'article 7 du règlement no 1107/70, aux termes duquel:

«Les dispositions prévues à l'article 3 (du règlement no 1107/70) ne s'appliquent pas aux mesures d'application qui sont prises par un État membre dans le cadre d'un régime d'aides qui a déjà fait l'objet d'une prise de position de la Commission en application des articles 77, 92 et 93 du traité.»

Les montants communiqués à la Commission à titre prévisionnel au début de l'année 1974 par le gouvernement belge ne constituaient pas des «mesures d'application» prises dans le cadre d'un régime d'aides ayant déjà fait l'objet d'une prise de position de celle-ci, ou, en tout cas, des «mesures d'application» étaient «provisoirement incompatibles» avec le marché commun puisque, dès juillet 1973, la Commission avait clairement marqué son opposition à l'institution de ce que le gouvernement belge
qualifiait, après le 7 décembre 1973 ou le 29 novembre 1974, d'aides octroyées sur la base de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70, mais traitait, du point de vue de l'information de la Commission, comme des aides visées à l'article 4.

Il en résulte, et ceci nous paraît fondamental, que les aides octroyées par le gouvernement belge sont visées à l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70 et qu'elles n'étaient pas dispensées de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité qui reste intégralement d'application en ce qui concerne les aides à instituer sur le fondement de cette disposition.

3) Le 9 octobre 1975, la Commission, cette fois sous la signature de l'un de ses membres, s'adressant au ministre belge des affaires étrangères, déclarait qu'elle avait pris note de la position du gouvernement belge (telle qu'exposée dans la lettre de la représentation permanente du 29 novembre 1974) qu'elle résumait comme suit:

«L'accord … du 21 mars 1955 doit être assimilé à l'imposition d'une obligation tarifaire émanant d'un État membre et a créé une obligation tarifaire non reprise à l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69. Si les prix de transports en question ne sont pas fixés directement par l'autorité, il n'en reste pas moins que le mode de formation de ces prix est imposé par une structure tarifaire obligatoire qui a pour conséquence que la SNCB subit une perte effective du fait qu'en l'absence de
tout relèvement du niveau des tarifs intérieurs — exclu pour des raisons de compétitivité — et de toute modification des coefficients de dégressivité applicables en Belgique les dispositions tarifaires résultant de l'accord de 1955 ont pour effet de réduire les prix de transports internationaux de produits CECA par rapport à celui normalement appliqué aux transports intérieurs.»

Après avoir motivé en détail son point de vue, la Commission poursuivait en constatant que l'aide ainsi accordée par le gouvernement belge à la SNCB «relève des articles 92 et 93 du traité CEE et qu'elle ne peut être justifiée ni par les dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 92 du traité, ni par celles de l'article 3 du règlement no 1107/70».

Toutefois, elle n'excluait pas que, «si la suppression de la compensation litigieuse devait entraîner une aggravation du déficit de la SNCB, ce déficit supplémentaire puisse, le cas échéant, être légitimement pris en charge par l'État belge au titre de l'article 4 du règlement no 1107/70», pour permettre à la SNCB d'atteindre son équilibre financier en application de l'article 13 de la décision du Conseil du 20 mai 1975.

Se plaçant toujours dans le cadre de l'article 93, paragraphe 3, la Commission invitait le gouvernement belge, conformément à la procédure prévue au paragraphe précédent, c'est-à-dire à l'article 93, paragraphe 2, à lui présenter des observations avant le 15 novembre 1975.

L'on ne saurait faire grief à la Commission d'avoir, une nouvelle fois, «ouvert» la procédure prévue au paragraphe 2 ou de ne l'avoir fait que tardivement, compte tenu de la modification introduite par la décision du Conseil du 20 mai 1975 et par le règlement no 1473/75 de la même date, publiés le 12 juin 1975 au Journal officiel, alors que c'est sur la base de la version antérieure du règlement no 1107/70 que la notification de l'aide, à supposer qu'elle fût intervenue dès le 21 janvier 1974,
avait eu lieu à la diligence du gouvernement belge. En réalité, en présence de cette modification «législative», le gouvernement belge aurait dû lui-même procéder à une nouvelle notification.

A cette même date du 9 octobre 1975, la Commission notifia aux autres États membres qu'elle avait décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, à l'égard du régime belge d'aides à la SNCB pour les tarifs internationaux CECA en les invitant à présenter leurs observations éventuelles dans un délai d'un mois. Figurent au dossier les observations en réponse du gouvernement néerlandais (lettre du 17 novembre 1975) ainsi que du gouvernement français (lettre du 3 décembre 1975).

Il apparaît ainsi que la Commission s'est exactement placée dans le cadre de l'article 93, paragraphe 3, en mettant, conformément à l'article 93, paragraphe 2, les «intéressés» (la Belgique et les autres États membres) en demeure de présenter leurs observations.

Le 14 novembre 1975, le ministre belge fit connaître ses observations en réponse au président de la Commission: le gouvernement belge confirmait qu'il était au courant, à la suite de la correspondance antérieure, de ce que la Commission excluait toute possibilité d'application du règlement no 1191/69 et qu'il avait accepté l'interprétation «étroite» de la Commission de la notion d'obligations tarifaires au sens de ce règlement; il estimait toutefois que l'application du tarif CECA constituait bel
et bien sinon une obligation tarifaire au sens du règlement no 1191/69, du moins une obligation de service public de nature tarifaire, ce qui justifiait à ses yeux l'application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70.

Il reprenait ensuite longuement l'argumentation déjà exposée dans la lettre de sa représentation permanente du 29 novembre 1974 à propos de l'arrêt du Conseil d'État français, de la convention relative aux dispositions transitoires et de l'accord du 21 mars 1955; en particulier, il invoquait le fait que, contrairement à ce que prévoyait l'alinéa 3, 2), du paragraphe 10 de la convention, l'accord de 1955 n'avait pas procédé à la «répartition des taxes entre les entreprises de transports
intéressées». Pour clore ses observations expressément présentées dans le cadre de l'article 93, paragraphe 2, le gouvernement belge exprimait l'espoir qu'«une décision équitable serait prise à son endroit sur la base de l'article 93 du traité».

Il nous faut à présent revenir un moment à cet accord de 1955. Conformément au mandat qui lui avait été imparti en janvier 1974, la Commission a élaboré et présenté, le 2 février 1976, aux représentants des gouvernements des États membres de la CECA, réunis au sein du Conseil, un projet de nouvel accord relatif à l'établissement de tarifs directs internationaux ferroviaires pour les transports de charbon et d'acier. Ce projet a fait l'objet, le 23 mars 1976, d'un premier échange de vues entre les
délégations des États membres, réunies au sein du groupe des questions de transports du Conseil, échange au terme duquel le représentant de la Commission a déclaré qu'il s'efforcerait d'élaborer, dans un délai de quatre semaines, un «document de réflexion sur le fond du problème».

4) Entre-temps, la procédure de l'article 93, paragraphe 2, suivait son cours et aboutissait à une décision arrêtée par la Commission le 4 mai 1976«relative à l'aide du gouvernement belge à la SNCB pour les tarifs internationaux ferroviaires de charbon et d'acier».

Conformément à l'article 191 du traité, cette décision a été notifiée le 6 mai 1976 à son destinataire, le gouvernement belge, et publiée le 20 août 1976 au Journal officiel des Communautés (no L 229, p. 24 à 26).

Après avoir visé l'article 93 du traité ainsi que les observations présentées par les États membres intéressés et rappelé, beaucoup plus brièvement que nous venons de le faire, l'historique de l'affaire, les considérants de cet acte explicitaient le point de vue de la Commission qui l'amenait à décider «que l'aide accordée par l'État belge à la SNCB pour lesdits tarifs au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement du Conseil no 1107/70 (tel que modifié par le règlement no 1473/75 du 20 mai
1975) n'est compatible avec le marché commun que dans la mesure où elle serait accordée au titre de l'article 4 dudit règlement».

Le royaume de Belgique avait trois mois, soit jusqu'au 6 août 1976 au plus tard, pour mettre fin à l'aide en cause ou pour l'octroyer au titre et dans les conditions de l'article 4 du règlement no 1107/70.

En clair, cela signifiait que la SNCB devait commencer par réclamer au gouvernement belge une majoration des tarifs de transport des produits CECA; ce n'est qu'au cas où ce gouvernement se serait opposé à une telle majoration qu'il pourrait demander et obtenir de la Commission l'autorisation d'octroyer à la Société nationale une subvention temporaire d'équilibre au titre de l'article 4 du règlement no 1107/70, destinée à compenser l'insuffisance des recettes de la Société due au trafic
ferroviaire international des produits CECA.

Il nous paraît, sans nul doute, qu'il s'agit là de la «décision finale» dont question à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Cependant, le gouvernement belge a totalement ignoré cette décision, qui est donc devenue définitive à l'expiration du délai de deux mois visé au troisième alinéa de l'article 173 (deux mois à compter de la notification, c'est-à-dire le 6 juillet 1976) ou, en tout cas, à l'expiration du délai de trois mois qui lui avait été imparti par la décision, c'est-à-dire le 6 août
1976.

Faisant encore preuve de patience, la Commission attendit jusqu'au 11 novembre 1976 pour, sous la signature du directeur général des transports, faire savoir au représentant permanent belge qu'elle constatait que le délai de trois mois s'était écoulé sans qu'elle eût reçu aucune information et pour prier ce représentant permanent de lui faire connaître, dans les meilleurs délais, les dispositions que le gouvernement belge avait prises pour se conformer à cette décision. Entre-temps, ce
gouvernement a continué de verser cette aide en en communiquant le montant à la Commission selon la procédure prévue à l'article 5, paragraphe 1, du règlement no 1107/70, comme s'il s'agissait d'une aide visée à l'article 4.

Par requête du 19 décembre 1977, enregistrée le 21 décembre, la Commission a décidé, au lieu de recourir à la procédure plus complexe de l'article 169, de vous saisir directement conformément aux dispositions de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, en concluant à ce que vous déclariez que le royaume de Belgique, en ne s'étant pas conformé à la décision du 4 mai 1976 dans les délais impartis par celle-ci, a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité et à ce que vous le
condamniez aux dépens.

II — Nous nous excusons, Messieurs, de vous avoir ainsi promenés parmi les méandres de cette procédure, mais nous pensons que la suite de nos explications s'en trouvera facilitée.

Vous avez déjà eu à connaître du cas où la Commission, constatant qu'une aide accordée par un État membre n'était pas compatible avec Je marché commun, avait décidé que l'État intéressé devait la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle déterminait, lorsque l'État destinataire avait formé un recours en annulation de l'article 173 contre cette décision.

Dans l'affaire qui a été portée devant vous sous le no 47/69, la Commission avait constaté, par décision du 18 juillet 1968, qu'un régime d'aides institué par le gouvernement français au profit de l'industrie textile était incompatible avec le marché commun et avait enjoint à ce gouvernement de ne plus l'appliquer à compter du 1er avril 1970. Le gouvernement français avait introduit, le 26 septembre 1969, un recours contre cette décision, recours que vous avez rejeté le 25 juillet 1970
(Recueil, p. 489).

Dans la procédure qui a donné lieu à l'affaire no 73/73 (allocations familiales dans le secteur textile), le gouvernement de la République italienne avait attaqué une décision de la Commission du 25 juillet 1973 condamnant l'octroi d'une aide dans ce secteur. Vous avez rejeté, le 2 juillet 1974 (Recueil, p. 710), le recours formé par le gouvernement italien contre cette décision.

La situation à laquelle vous êtes confrontés aujourd'hui est celle où l'État membre «fait le mort», laissant passer le délai de l'article 173 et le délai que la décision détermine (article 93, paragraphe 2). C'est de la suite de la procédure qui est réglée par l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, que vous avez à connaître à présent. C'est dire, indépendamment de l'intérêt que revêt votre décision pour le secteur proprement dit des transports, son importance sur le plan des principes.

La procédure qui a donné lieu à l'affaire no 70/72 ressemble, par certains côtés, au présent litige: la Commission avait, conformément à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, enjoint, le 17 février 1971, à la république fédérale d'Allemagne de mettre fin à un régime d'aides à la reconversion des régions minières institué par cet État. Comme le gouvernement allemand ne s'était pas conformé à cette injonction, tout en s'abstenant de vous en demander l'annulation, la Commission avait porté
l'affaire devant votre Cour. Vous avez rejeté cette requête par arrêt du 12 juillet 1973 (Recueil, p. 814), mais aux motifs que la Commission (citation) «n'avait pas fait usage des pouvoirs que lui confèrent les phrases 2 et 3 du paragraphe 3 de l'article 93, mais s'était bornée, dans une communication datée du 1er août 1969, à formuler des remontrances et à demander de plus amples informations» (fin de citation) (Recueil, p. 826) et qu'elle avait omis d'indiquer à l'État membre concerné les
éléments de l'aide reconnus incompatibles avec le traité et sujets à suppression ou à modification (Recueil, p. 831).

Rien de tel dans la présente espèce: on ne peut taxer la Commission de lenteur, ainsi que nous croyons l'avoir montré; l'aide en question n'est pas devenue une aide «existante» du paragraphe 1 de l'article 93, au sens de votre arrêt Lorenz du 11 décembre 1973 (Recueil, p. 1482), puisque la Commission n'est pas restée «silencieuse». Par ailleurs, cette aide a été jugée en totalité incompatible avec le marché commun; sa suppression ne nécessitait qu'une simple mesure administrative, à savoir la
non-inscription du subside ou de la subvention au tableau de l'exercice comptable à titre prévisionnel ou à titre de compte rendu, à moins que le gouvernement belge n'accepte la novation du titre auquel elle était accordée. La décision du 4 mai 1976 contenait toutes les indications suffisantes pour déterminer quelle était l'obligation imposée au royaume de Belgique.

1) Le gouvernement belge, sans trop y insister, commence par taxer la requête de la Commission d'«irrecevable». Il allègue que les compensations dont il est question à l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69, à l'article 3, paragraphe 2, et à l'article 4 du règlement no 1107/70 ne tombent pas dans le champ d'application de l'article 77 du traité qui porte:

«Sont compatibles avec le présent traité les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public.»

Selon le gouvernement belge, la. réserve «sauf dérogations prévues au présent traité», par laquelle débute l'article 92, aurait pour effet que son intervention, qui trouve son fondement dans le règlement no 1107/70, lui-même pris en application, notamment, de l'article 77 du traité, serait soustraite à l'application des articles 92 à 94 du traité.

Nous ne pouvons partager cette façon de voir: en effet, si le règlement no 1107/70 vise bien l'article 77, il vise aussi l'article 94; son article 1 dispose que: «le présent règlement s'applique aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer … pour autant que ces aides soient spécifiques à l'activité de ce secteur».

Son article 2 énonce que:

«Les articles 92 à 94 du traité sont appliqués aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer …»

Il est clair, par conséquent, que les compensations octroyées par le gouvernement belge tombent dans le champ d'application des articles 92 et 94 et, plus précisément, compte tenu de la base juridique sur laquelle elles sont accordées, des articles 92 et 93.

2) Le gouvernement belge n'allègue pas qu'il se soit conformé à cette décision. Il ne fait pas non plus grief à la Commission de ne pas lui avoir indiqué clairement les mesures à prendre pour se conformer à son dispositif, de ne pas lui avoir fixé de délai à cet effet ou d'avoir poursuivi avec mollesse le manquement allégué. Assurément, le délai de trois mois imposé par la décision du 4 mai 1976 au gouvernement belge pour mettre fin à l'aide en cause pouvait sembler superflu, puisque l'aide
concernée ne pouvait être «mise en exécution» à partir du moment où la Commission avait ouvert la procédure de l'article 93, paragraphe 2, sauf recours à la procédure exceptionnelle de l'article 93, paragraphe 2, 3e alinéa. Mais l'octroi d'un tel délai peut s'expliquer par le fait que l'aide en question avait été entretemps «instituée»de facto et que la Commission ne voulait pas s'exposer à certaines critiques. Il était en tout cas justifié si le gouvernement belge optait pour l'alternative que
lui laissait la décision et, de toute façon, il ne lui fait pas grief.

Par ailleurs, le gouvernement belge ne reproche pas à la Commission d'avoir tardivement saisi la Cour. Le traité n'exige de la Commission qu'elle introduise sans délai la procédure contradictoire prévue au paragraphe 2 de l'article 93 que si elle ne s'est formé qu'une opinion provisoire sur la nature de l'aide projetée. En l'espèce, la procédure contradictoire avait eu lieu, l'État membre avait eu largement le temps de présenter ses observations. La constatation exprimée dans la décision du 4 mai
1976 était définitive et cette décision était «finale», sous réserve de recours devant vous. La rapidité n'est exigée de la Commission que dans l'hypothèse d'un projet d'aides.

Le gouvernement belge se borne à affirmer que la décision du 4 mai 1976«manque de fondement juridique et qu'elle doit être considérée comme inexistante».

Il reconnaît qu'il n'a pas attaqué dans les délais la décision du 4 mai 1976, mais, selon son argumentation, lui interdire de faire valoir les moyens qu'il aurait pu opportunément invoquer directement à l'encontre d'une décision dont il affirme qu'elle «manque de fondement juridique et qu'elle doit être considérée comme inexistante» serait faire preuve de formalisme et d'inéquité. Et de citer l'article 184 qui prévoit la possibilité, nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 173, alinéa
3, pour toute partie, à l'occasion d'un litige mettant en cause un règlement du Conseil ou de la Commission, de se prévaloir des moyens prévus à l'article 173, alinéa 1, pour invoquer devant la Cour de justice l'inapplicabilité de ce règlement.

Il invoque ensuite le précédent que constituerait votre arrêt du 10 décembre 1969, dans les affaires jointes Commission/République française et République française/Commission (Recueil, p. 525), et la compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel sur la validité des actes pris par les institutions de la Communauté. Selon le gouvernement belge, il vaudrait mieux que le problème soit vidé dans le cadre du présent litige plutôt qu'à l'occasion d'un recours éventuel en interprétation ou en
appréciation de validité dans le cadre de l'article 177.

Ces arguments nous paraissent devoir être rejetés pour les raisons que nous allons exposer et dont la principale est qu'admettre la recevabilité des moyens invoqués par le gouvernement belge dans le cadre du présent recours à l'encontre de la décision du 4 mai 1976 reviendrait à renverser complètement le «système» du traité.

En ce qui concerne l'article 184, il suffira de faire observer que cet article n'a trait qu'à hypothèse d'un règlement du Conseil ou de la Commission, alors qu'en l'espèce nous avons affaire à une décision individuelle de la Commission.

Ensuite, le précédent des affaires jointes 6 et 11/69 (Recueil 1969, p. 523) invoqué par le gouvernement belge n'est pas comparable: il s'agissait de la balance des paiements. Le gouvernement français, requérant dans l'affaire 11/69, soutenait que la décision de la Commission aurait été prise dans un domaine relevant de la seule compétence des États membres (article 104). Même dans le cas où la décision de la Commission du 4 mai 1976 pourrait prêter à critique quant au fond, il est incontestable
que son adoption rentrait dans la comptétence de la Commission. On ne saurait donc la qualifier d'inexistante ou de «nulle de plein droit».

Pour ce qui est de l'éventualité que la Cour ait de nouveau un jour à interpréter la décision de la Commission ou à en apprécier la validité sur renvoi préjudiciel d'une juridiction nationale, ce n'est pas tellement en raison du caractère improbale d'un tel renvoi qu'il convient de rejeter cette considération qu'en raison du fait que l'article 177 parle de compétence et non de recevabilité.

Un tel renvoi supposerait d'ailleurs que la décision de la Commission ait une existence légale, qu'elle ait créé des droits ou des obligations dans le chef des particuliers — ce que reconnaît expressément le gouvernement belge — mais alors, il est contradictoire de dire que vous risquez de connaître un jour de cette décision par la voie du renvoi préjudiciel et d'affirmer en même temps qu'elle est inexistante, à moins de confondre légalité et validité. En réalité, comme le répète le gouvernement
belge, cette décision est «constitutive de la règle de droit dont la violation est invoquée par la Commission» et c'est là une raison de plus qui aurait dû inciter le gouvernement belge à l'attaquer en temps opportun.

3) Invoquant enfin un argument qu'il n'avait jamais soulevé avant l'adoption de la décision de la Commission du 4 mai 1976, le gouvernement belge fait valoir que, même si l'aide accordée était incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92, paragraphe 1, il y aurait eu lieu d'appliquer l'article 90, paragraphe 2, selon lequel «les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général … sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence,
dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté».

La SNCB étant une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général, la suppression de l'aide qui lui est octroyée ferait échec à sa mission; donc, selon le gouvernement belge, elle n'est pas soumise à l'application de l'article 92.

Mais, ceci nous paraît jouer sur les mots: en vertu de l'article 90, paragraphe 1, les règles de concurrence du traité (articles 85 à 94) sont expressément applicables à la SNCB et l'examen de la compatibilité de l'aide qui pourrait lui être accordée au titre de l'article 90, paragraphe 2, relève bien, quant à la procédure, de l'article 93.

III — Pour le reste, nos explications pourront être brèves.

1) Alors que la Commission est d'avis que l'aide ne peut être accordée qu'au titre de l'article 4, le gouvernement belge a octroyé et continue d'octroyer cette aide au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1107/70 en tant que compensation tarifaire; il considère que «ceci est une simple question d'interprétation du règlement no 1107/70, ni plus ni moins». Mais la qualification de l'aide en cause, au regard du règlement no 1107/70, n'est pas qu'une simple question d'interprétation. Elle
a des conséquences sur la procédure qui régit son octroi et sur son «statut juridique»: si elle relève de l'article 3, paragraphe 2, la procédure de l'article 93, paragraphe 3, lui est applicable. Si elle relève de l'article 4, elle est effectivement dispensée de cette procédure, avec les conséquences que cela entraîne: elle doit simplement être communiquée à la Commission à titre prévisionnel au début de chaque année, puis, à titre de compte rendu, après la fin de l'exercice budgétaire. La
Commission ne peut critiquer l'octroi ou l'application abusive de cette aide que dans les conditions applicables aux régimes d'aides existants. Il ne tenait qu'au gouvernement belge d'opter pour cette dernière qualification, comme la décision du 4 mai 1976 lui en laissait le choix. Mais, il en résulte une différence fondamentale: dans le premier cas, l'aide ne peut être versée avant la décision «finale» de la Commission; dans le second cas, elle serait «provisoirement valide».

En juger autrement serait compromettre gravement l'effet utile des dispositions du traité en matière d'aides et substituer, comme en matière d'ententes, le régime de la «validité provisoire» au principe de l'interdiction. Or, comme le disait M. l'avocat général Roemer, «l'idée de base du traité, c'est une interdiction de principe des aides accordées par les États, l'accent étant nettement mis sur leur incompatibilité avec le marché commun» (conclusions dans l'affaire République
française/Commission, recueil 1970, p. 500). Ou encore, «le droit communautaire des aides exige donc un acte de l'exécutif communautaire et c'est là précisément un élément qui commande d'exclure l'applicabilité directe, conformément à votre jurisprudence» (conclusions dans l'affaire Capolongo, Recueil 1973, p. 629). Ceci souligne toute l'importance de l'«acte» de l'exécutif communautaire: ce n'est qu'à partir de son adoption que les particuliers peuvent éventuellement se prévaloir de
l'interdiction de principe des aides. L'intervention de la Commission est fondamentale, parce que le système général de l'article 92 n'est pas directement applicable; si on enlève toute portée à la décision de la Commission, l'article 92, paragraphe 1, ne sera jamais applicable.

La Commission a usé du pouvoir que lui confère l'article 93, paragraphe 3, troisième phrase, en ouvrant sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent et «en mettant les intéressés en demeure de présenter leurs observations», c'est-à-dire non seulement le royaume de Belgique, mais les autres États membres. Elle a ainsi «bloqué» la procédure administrative belge et la Belgique était légalement empêchée de mettre à exécution les mesures projetées jusqu'à ce que cette procédure ait abouti à
une décision finale. L'aide belge n'est pas devenue, de ce fait, une aide existante: elle a continué, certes, d'exister, mais en contravention avec le traité, au moins sur le plan de la procédure qui revêt ici toute son importance.

A la différence des décisions prises sur la base de l'article 93, paragraphe 2, en matière de «régimes d'aides existants», le système de l'article 93, paragraphe 3, implique, pour la Commission, le pouvoir de prendre, en cas de besoins, des mesures immédiates et provisoires. Vous avez admis ce principe dans votre arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (Recueil, p. 1472):

«L'objectif poursuivi par le paragraphe 3 de l'article 93, qui est de prévenir la mise en vigueur d'aides contraires au traité, implique que cette interdiction (et donc la décision prise sur cette base par la Commission) produise déjà ses effets pendant le cours de la phase préliminaire.»

L'effet des décisions prises au titre de cette disposition ne peut être suspendu que si l'État membre recourt à la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, troisième alinéa, ou si, ayant attaqué en annulation la décision sur la base de l'article 173, il demande à la Cour et obtient de celle-ci qu'elle ordonne le sursis à l'exécution de l'acte attaqué, conformément à l'article 185.

Le gouvernement belge n'a pas cru devoir ou pouvoir recourir à cette possibilité exceptionnelle. La demande du 11 octobre 1973 de la délégation néerlandaise, tendant à la révision de l'accord de 1955, ne saurait constituer la demande visée à l'article 93, paragraphe 2, troisième alinéa. La décision du Conseil du 20 mai 1975, non plus que son règlement de la même date, n'ont changé quoi que ce soit à la procédure d'information de la Commission en ce qui concerne les aides accordées au titre de
l'article 3, paragraphe 2, de ce règlement. Enfin, le projet de nouvel accord relatif à l'établissement de tarifs internationaux, présenté par la Commission au Conseil le 2 février 1976, n'a pas encore abouti. Le cas envisagé par le quatrième alinéa du paragraphe 2 de l'article 93 ne se présentait donc pas. Par conséquent, c'est le régime de droit commun de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, qui doit s'appliquer, avec la particularité essentielle que la Commission peut saisir
directement la Cour sans avoir à émettre un avis motivé qui ferait double emploi avec sa décision du 4 mai 1976. L'effet de la décision attaquée s'est trouvé consolidé à l'expiration du délai de recours de l'article 173 et ne peut être remis en question, pour l'avenir, que par un nouvel acte de la Commission ou du Conseil. La thèse contraire est inconciliable avec le principe de la sécurité juridique aussi bien qu'avec celui de l'application uniforme du droit dans la Communauté.

2) Le gouvernement belge réaffirme que la charge résultant de l'application de l'accord de 1955 constituerait une obligation de service public de nature tarifaire, non reprise à l'article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69.

Si vous nous suivez, Messieurs, vous n'entrerez pas plus avant dans une discussion qui a déjà donné lieu au long échange de correspondance que nous avons analysé, discussion qui revient finalement à mettre en cause cet accord. Les critiques à peine voilées formulées par le gouvernement belge ne laissent pas, du reste, d'étonner: s'il estime à présent que la «forme simplifiée» dans laquelle cet accord a été conclu constituait en réalité une irrégularité, on se demande pourquoi son représentant y a
apposé sa signature. Assurément, il est possible que ce texte se soit révélé, dans la conjoncture actuelle, moins favorable à la Belgique que celle-ci ne l'escomptait au moment de sa signature, ou même qu'il se trouve en partie dépassé et qu'il ait besoin d'être aménagé. Des négociations sont en cours à ce sujet. Une solution partielle au problème de la SNCB réside sans doute dans une modification de ce texte; mais les travaux de révision ne sauraient être invoqués pour obtenir de la Cour une
interprétation de cet accord. Il est exclu de remettre en cause, par la présente procédure, tant les conditions dans lesquelles il est intervenu que sa substance même, et le gouvernement belge ne saurait, en vue de forcer pour ainsi dire la révision de ce texte, continuer de verser unilatéralement une aide dont non seulement la base juridique, mais encore le montant ont été contestés par la Commission.

Reprendre cette discussion «reviendrait à admettre que les États membres peuvent empiéter sur les compétences de la Commission, qu'ils peuvent tourner les règles de l'article 93, paragraphe 3, et obtenir que la compatibilité d'une aide nouvelle avec le marché commun soit examinée après que celle-ci a été instituée. Ce qui se ramène en fait à placer l'État membre qui viole les dispositions de l'article 93, paragraphe 3, dans une position plus avantageuse que celui qui les respecte» (conclusions de
M. l'avocat général Jean-Pierre Warner dans l'affaire République italienne/Commission, Recueil 1974, p. 726).

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit qu'en ne suspendant pas l'octroi de l'aide condamnée par la décision de la Commission du 4 mai 1976, à défaut de tout recours contentieux contre cette décision ou de toute demande basée sur l'article 93, paragraphe 2, troisième alinéa, et en l'absence de toute modification de l'accord du 21 mars 1955 et de tout règlement du Conseil pris sur la base de l'article 94 (à l'exception du règlement no 1473/75 du 20 mai 1975 qui ne dispense de la procédure de
l'article 93, paragraphe 3, que les catégories d'aides visées à l'article 4 du règlement no 1107/70, dans sa version modifiée par ce règlement), le gouvernement belge a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 93, paragraphe 3, et de ladite décision de la Commission.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 156/77
Date de la décision : 21/09/1978
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Transports

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:168

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