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20/09/1978 | CJUE | N°26/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 20 septembre 1978., Institut national d'assurance maladie-invalidité et Union nationale des fédérations mutualistes neutres contre Antonio Viola., 20/09/1978, 26/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 20 SEPTEMBRE 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour a été saisie de la présente affaire par une demande de décision préjudicielle de la cour du travail de Mons.

M. Antonio Viola, intimé dans la procédure pendante devant la cour du travail, est né au mois d'avril 1908. Si l'on peut en juger par le dossier, il a travaillé en Italie de 1930 à 1935, en Allemagne pour une courte période en 1938 et en 1939 et en Belgique de 1947 à

1960. Ensuite il est tombé malade. Il réside toujours en Belgique. En 1961 il a été reconnu apte à bé...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 20 SEPTEMBRE 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour a été saisie de la présente affaire par une demande de décision préjudicielle de la cour du travail de Mons.

M. Antonio Viola, intimé dans la procédure pendante devant la cour du travail, est né au mois d'avril 1908. Si l'on peut en juger par le dossier, il a travaillé en Italie de 1930 à 1935, en Allemagne pour une courte période en 1938 et en 1939 et en Belgique de 1947 à 1960. Ensuite il est tombé malade. Il réside toujours en Belgique. En 1961 il a été reconnu apte à bénéficier d'une pension d'invalidité à la fois en Belgique et en Italie. Il n'a jamais été reconnu apte à bénéficier d'une telle pension
en Allemagne.

Le montant de la pension qui lui est due en Belgique a donné lieu dans ce pays à un procès complexe et très long entre lui-même et les institutions belges de sécurité sociale intéressées, à savoir l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (ou «INAMI») et l'Union nationale des fédérations mutualistes neutres (ou «UNFMN»), qui sont les parties appelantes devant la cour du travail de Mons.

Nous n'estimons pas nécessaire de vous importuner avec tous les détails de ce procès. La situation de l'intimé au regard du droit belge a été sensiblement clarifiée par un arrêt de la cour du travail de Mons du 25 juin 1976 et les points litigieux ont été de ce fait ramenés à l'intérieur de limites extrêmement précises.

L'arrêt en question s'est référé largement à l'article 70 (2) de la loi belge du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité. Pour abréger, nous proposons d'appeler cette loi la «loi belge de 1963» ou simplement la «loi de 1963». Vous avez eu à vous pencher sur l'article 70 (2) de cette loi à l'occasion d'au moins deux affaires antérieures: l'affaire 75/76 Kaucic/INAMI, (Recueil 1977, p. 495) et, plus récemment, dans l'affaire 83/77
Naselli/ CAAMI et INAMI (Recueil 1978, p. 683).

Dans la mesure où il nous intéresse directement en l'espèce, l'article 70 (2) prévoit:

«Les prestations prévues par la présente loi ne sont accordées que dans les conditions fixées par le Roi, lorsque le dommage pour lequel il est fait appel aux prestations est couvert par le droit commun ou par une autre législation. Dans ce cas, les prestations de l'assurance ne sont pas cumulées avec la réparation résultant de l'autre législation; elles sont à charge de l'assurance dans la mesure où le dommage couvert par cette législation n'est pas effectivement réparé …»

Dans son arrêt du 25 juin 1976, la cour du travail de Mons a estimé:

1) que l'intimé avait droit à sa pension d'invalidité belge en vertu de la seule législation belge applicable (cette législation étant du «type A»), de sorte qu'il n'avait pas besoin d'invoquer le droit communautaire pour établir son droit à pension;

2) que, au regard du droit belge, et en particulier en vertu de l'article 70 (2) de la loi de 1963, les montants reçus par l'intimé au titre de sa pension italienne étaient déductibles de la pension en question, parce que l'expression «une autre législation» contenue à l'article 70 (2) visait une législation étrangère;

3) que, en conséquence, dans la mesure où l'intimé avait bénéficié de sa pension belge sans que celle-ci ait fait l'objet d'une déduction, il était de prime abord tenu de restituer l'équivalent en francs belges des montants dont il avait bénéficié au titre de sa pension italienne;

4) que, quoi qu'il en soit, le droit des appelantes à une telle restitution faisait l'objet d'une prescription en ce qui concernait toute période antérieure au 1er mai 1969.

En conséquence, la cour du travail a ajourné la procédure afin de permettre aux parties de préciser le montant des sommes payées à l'intimé par les autorités italiennes entre le 1er mai 1969 et le 30 avril 1971 — cette dernière date étant celle à partir de laquelle l'UNFMN a déduit du montant de la pension belge versée à l'intimé, le montant de sa pension italienne.

En conséquence, les appelantes ont produit une lettre du 31 mai 1977 émanant de l'institution italienne compétente, l'Istituto nazionale della previdenza sociale (ou «INPS»), indiquant les chiffres en question. Ceux-ci ont fait apparaître qu'en Italie l'intimé avait droit à deux majorations de pension, une majoration mensuelle pour une épouse à charge et une majoration à l'occasion des fêtes de Noël, celle-ci étant égale à un douzième du montant annuel de sa pension (désignée comme la «treizième
mensualité»).

Après de nouveaux débats, la cour du travail a rendu le 10 février 1978 une ordonnance par laquelle elle a demandé à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur les deux questions suivantes:

«1) La majoration pour conjoint à charge accordée par la législation italienne en vigueur entre le 1er mai 1969 et le 30 avril 1971 constitué-t-elle partie integrante de la pension d'invalidité italienne dans la perspective de l'application des règles de cumul inscrites aux articles 11 du règlement no 3 et 9 du règlement no 4?

2) La treizième mensualité versée à l'intéressé par l'INPS en 1969 et en 1970, en vertu de la législation italienne du 4 avril 1952, doit-elle être incorporée dans la pension, lorsqu'il s'agit d'appliquer les règles de cumul inscrites dans les règlements européens no 3 et no 4?»

L'ordonnance de renvoi a bien sûr été rendue avant que la Cour ne se prononce dans l'affaire Naselli. A notre avis, ce jugement fait clairement apparaître que, comme la Commission l'a d'ailleurs soutenu, les questions qui vous ont ainsi été déférées par la cour du travail ne sont pas pertinentes.

L'article 11 du règlement no 3 (JO no L 30 du 16. 12. 1958) comporte deux paragraphes.

Le premier paragraphe est rédigé dans les termes suivants:

«Sauf en ce qui concerne l'assurance vieillesse-décès (pensions), d'une part, et l'assurance invalidité lorsqu'elle donne lieu à répartition de la charge entre les institutions de deux ou de plusieurs États membres, d'autre part, les dispositions du présent règlement ne peuvent conférer ni maintenir le droit de bénéficier, en vertu des législations des États membres, de plusieurs prestations de même nature ou de plusieurs prestations se rapportant à une période d'assurance ou période assimilée.»

Il est clair que cette disposition n'est pas pertinente en l'espèce, ne serait-ce que parce que l'intimé avait droit à sa pension d'invalidité belge en vertu de la seule législation belge et non pas en vertu des dispositions du règlement no 3, de sorte qu'aucun droit ne lui était conféré par «les dispositions du présent règlement».

Le second paragraphe de l'article 11 prévoit que:

«Les clauses de réduction ou de suspension prévues par la législation d'un État membre, en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale ou avec d'autres revenus, ou du fait de l'exercice d'un emploi, sont opposables au bénéficiaire, même s'il s'agit de prestations acquises sous un régime d'un autre État membre ou s'il s'agit de revenus obtenus, ou d'un emploi exercé, sur le territoire d'un autre État membre. Toutefois, cette règle n'est pas applicable aux cas où des
prestations de même nature sont acquises conformément aux dispositions des articles 26 et 28 du présent règlement.»

Ce paragraphe ainsi que la disposition correspondante du règlement no 1408/71, l'article 12, paragraphe 2, ont été examinés par la Cour dans un certain nombre d'affaires, en particulier dans l'affaire 34/69, l'affaire Duffy, (Recueil 1969, p. 597), dans l'affaire 184/73, l'affaire Kaufmann, (Recueil 1974, p. 517), dans l'affaire 22/77, l'affaire Mura (Recueil 1977, p. 1699), dans l'affaire 37/77, l'affaire Greco, (ibidem, p. 1711), dans l'affaire 98/77, affaire Schaap (qui n'a pas encore été
publiée), dans l'affaire 105/77, l'affaire Boerboom (qui n'a pas encore été publiée), et, bien entendu, dans l'affaire Naselli.

A notre avis, les arrêts que vous avez rendus dans ces affaires ont posé, entre autres, les principes suivants:

Lorsque la législation d'un État membre contient une disposition destinée à prévenir le cumul de prestations de sécurité sociale mais lorsque cette disposition s'applique d'elle-même uniquement aux avantages conférés par la législation de cet État lui-même, l'article 11, paragraphe 2, du règlement no 3 (ou l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71) ne peut pas être invoqué de façon à rendre cette disposition applicable également en ce qui concerne un avantage conféré par la législation
d'un autre État membre, si la personne concernée a droit à la prestation en cause dans le premier État membre en vertu de la seule législation de cet État et sans faire appel au droit communautaire. C'est ainsi que dans l'affaire Duffy, une clause anti-cumul contenue dans la législation française qui, d'après le droit français, était seulement applicable aux autres avantages conférés par la législation française, ne pouvait pas, lorsque la personne concernée avait droit à une pension au titre de la
seule législation française, être invoquée en vertu de l'article 11, paragraphe 2, du règlement no 3 en vue de réduire sa pension eu égard à un avantage auquel elle avait droit en vertu de la législation belge. L'article 12 paragraphe 2, du règlement no 3 (ou l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71) ne peut être invoqué en vue d'étendre la portée d'une telle clause prévue par la législation d'un État membre que lorsque la personne concernée doit recourir au droit communautaire pour
établir son droit à bénéficier de prestations dans cet État membre. C'est pourquoi dans l'affaire Kaufmann, dans laquelle la personne concernée devait recourir au règlement no 3 pour établir son droit à bénéficier d'une prestation aux Pays-Bas, l'article 11, paragraphe 2, de ce règlement pouvait être invoqué en vue d'étendre la portée d'une clause anti-cumul néerlandaise de façon à ce qu'elle s'applique eu égard à une prestation due en Allemagne.

D'autre part, lorsqu'une clause anticumul contenue dans la législation d'un État membre, si on l'interprète selon le droit de cet État membre, s'applique tant en ce qui concerne les avantages conférés par une législation étrangère qu'en ce qui concerne d'autres avantages conférés par la législation propre de cet État membre — comme tel est le cas, selon l'avis de la cour de travail de Mons, pour l'article 70 (2) de la loi belge de 1963 si on l'interprète comme il doit l'être conformément au droit
belge — l'article 11, paragraphe 2, du règlement no 3 (ou le cas échéant l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71) a seulement, en premier lieu, l'effet d'une disposition facultative, lorsque le droit de bénéficier d'un avantage a été acquis en vertu de la législation de cet État membre sans recourir au droit communautaire: cela signifie que le droit communautaire n'interdit pas dans un tel cas l'application de la clause nationale anti-cumul conformément à ce que prévoit celle-ci. Tout ce
que fait alors le droit communautaire est déclarer que si l'application de la clause anti-cumul nationale à l'avantage acquis en vertu de la seule législation nationale a pour conséquence de rendre cet avantage inférieur à celui auquel aurait droit la personne concernée en vertu du règlement communautaire applicable, cette personne doit bénéficier pour le moins de ce dernier avantage.

Il s'ensuit à notre avis que la question de savoir si la pension à laquelle a droit en l'espèce l'intimé au titre de la législation belge seule peut être réduite non seulement à concurrence du montant de base de sa pension italienne mais aussi à concurrence des montants des majorations liées à cette pension par la législation italienne (la majoration mensuelle pour l'épouse qui est à sa charge et la «treizième mensualité») est une question qui concerne non pas le droit communautaire, mais
l'interprétation de l'article 70 de «la loi belge de 1963». Le droit communautaire n'interviendra pour ainsi dire que si l'effet de l'article 70 (2) tel qu'il doit être interprété conformément à la législation belge est de réduire la pension belge de l'intimé à un montant inférieur à celui de la pension à laquelle il aurait droit en Belgique sur la base des dispositions applicables du droit communautaire. Toutefois, la cour du travail de Mons ne vous a posé aucune question en ce qui concerne le
calcul de ce dernier montant.

Nous avons dit il y a un moment que l'effet primaire de l'article 11, paragraphe 2, dans un cas tel que celui de l'espèce, est seulement celui d'une disposition facultative. Ce faisant, nous avions en vue un effet secondaire que cette disposition peut avoir dans certains cas. Cet effet a été mis en évidence par les arrêts que vous avez rendus dans les affaires Mura et Greco et nous nous y sommes référé dans les conclusions que nous avons présentées dans les affaires Naselli, Schaap et Boerboom:
lorsque l'article 11, paragraphe 2, s'applique, quoique de façon essentiellement facultative, les dispositions de l'article 9 du règlement no 4 peuvent devenir applicables.

L'importance de cette circonstance eu égard au cas d'espèce est, bien entendu, que dans les questions auxquelles elle vous a demandé de répondre, la cour du travail de Mons s'est référée non seulement à l'article 11 du règlement no 3, mais également à l'article 9 du règlement no 4.

Nous avons l'intention de vous épargner une lecture de l'article 9 du règlement no 4 qui est assez long et de nous borner à faire observer ce qui suit:

— Manifestement le paragraphe 1 de cet article s'applique uniquement lorsqu'il existe des clauses anticumul concurrentes contenues dans la législation de plusieurs États membres — ce qui n'est pas le cas ici; en effet aucune suggestion n'a été faite en ce sens qu'il existerait dans la législation italienne une clause anti-cumul applicable;

— le paragraphe 2 de l'article 9 a été examiné par la Cour dans l'affaire Naselli; vous avez estimé que cette disposition était conçue de telle façon qu'elle pouvait s'appliquer seulement lorsque la prestation en question avait été octroyée grâce à l'application des processus de totalisation et de proratisation, ce qui de nouveau n'est pas le cas ici;

— le paragraphe 3 de l'article 9 concerne l'échange d'informations entre les institutions des États membres;

— le paragraphe 4 traite des allocations familiales dues pour les enfants; et

— le paragraphe 5 traite du droit aux allocations familiales d'un travailleur qui a résidé dans deux États membres durant le même mois.

Par conséquent, l'article 9 ne peut pas être applicable ici.

La Cour s'est imposé comme règle générale de ne pas chercher à savoir si les questions qui lui sont déférées en vertu de l'article 177 du traité CEE par une juridiction nationale sont ou non pertinentes. Nous ne mettons pas en doute le caractère salutaire d'une telle règle générale, mais cette règle souffre des exceptions. Une exception est que cette règle ne s'applique pas lorsque la juridiction nationale intéressée a déféré à la Cour une question d'interprétation d'une disposition de droit
communautaire qui est manifestement inapplicable au litige pendant devant elle — voir affaire 14/68 Salgoil/Italie (Recueil 1968, p. 672). De même, la Cour ne rendra pas une décision sur ce qui est véritablement une question de droit national, sous le couvert d'une décision portant sur une question de droit communautaire. En particulier, la Cour n'a pas compétence pour statuer à titre préjudiciel sur la question de la qualification, au regard de la législation d'un État membre, d'une prestation
accordée en vertu de la législation d'un autre État membre: voir affaire 93/75 Adlerblum/Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Recueil 1975, p. 2147).

Par conséquent, nous proposons qu'en réponse aux questions qui vous ont été déférées par la cour du travail de Mons, vous disiez que ni l'article 11 du règlement no 3 ni l'article 9 du règlement no 4 ne limitent le pouvoir d'un État membre d'adopter des dispositions ayant pour effet de réduire les droits à pension d'un travailleur migrant lorsqu'il fait valoir de tels droits dans l'État en question sur la base de la seule législation de cet État, sans recourir au droit communautaire.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26/78
Date de la décision : 20/09/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons - Belgique.

Pension d'invalidité.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Institut national d'assurance maladie-invalidité et Union nationale des fédérations mutualistes neutres
Défendeurs : Antonio Viola.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:165

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