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26/01/1978 | CJUE | N°92/77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 26 janvier 1978., An Bord Bainne Co-Operative contre Ministre de l'Agriculture., 26/01/1978, 92/77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 26 JANVIER 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire offre certaines analogies avec le renvoi préjudiciel sur lequel la Cour a statué en audience plénière le 3 mars 1977 (Kerry Milk, Recueil p. 425). Elle a trait aux problèmes juridiques d'application dans le temps posés par les variations du montant d'une aide communautaire, variations découlant tant d'une modification du prix d'intevention libellé en unités de compte que de la modification du tau

x applicable pour la conversion de ces unités en une monnaie nationale. Le litige met
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 26 JANVIER 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire offre certaines analogies avec le renvoi préjudiciel sur lequel la Cour a statué en audience plénière le 3 mars 1977 (Kerry Milk, Recueil p. 425). Elle a trait aux problèmes juridiques d'application dans le temps posés par les variations du montant d'une aide communautaire, variations découlant tant d'une modification du prix d'intevention libellé en unités de compte que de la modification du taux applicable pour la conversion de ces unités en une monnaie nationale. Le litige met
en cause la validité d'un règlement de la Commission qui se rattache étroitement à l'interprétation d'un règlement du Conseil et nous regrettons que cette institution n'ait pas jugé bon de faire connaître sa manière de voir.

Par ailleurs, comme nous le disions dans nos conclusions sous l'affaire Lührs, il est difficile de se prononcer, sans entrer dans la matérialité des faits, à l'occasion d'un examen en interprétation ou en validité effectué dans le cadre de l'article 177, sur la «confiance légitime» que le requérant pouvait avoir, à titre individuel, dans le maintien d'une situation juridique donnée, découlant en l'occurrence de contrats passés avec un organisme d'intervention officiel. Nous essaierons néanmmoins
d'indiquer au juge national les éléments qui pourraient lui être utiles en vue de résoudre le litige dont il est saisi.

I — 1. Il convient tout d'abord de rappeler dans quel contexte est intervenu le règlement no 2517/74 de la Commission du 3 octobre 1974.

La campagne de commercialisation des produits laitiers débute le 1er avril de chaque année pour se terminer le 31 mars de l'année suivante. En principe, les décisions concernant les prix «communs» ainsi que les prix et montants «différenciés» pour les nouveaux États membres pour chaque campagne sont prises au mois de mars. Tel fut le cas en mars 1974 (règlement no 663/74 du Conseil du 28 mars 1974); le prix «différencié» d'intervention pour le beurre en Irlande a été fixé à 163,40 unités de
compte par 100 kg, soit — au «taux vert» applicable depuis le 1er février 1973 — 75,49 livres irlandaises par 100 kg (règlement no 222/73 du Conseil du 31 janvier 1973).

A titre exceptionnel et par dérogation au principe de la fixation annuelle des prix, le Conseil a décidé, par son règlement no 2496/74 du 2 octobre 1974, une nouvelle augmentation générale des prix agricoles pour la campagne de commercialisation 1974/1975 ou pour la partie restante de cette campagne: le prix «différencié» d'intervention applicable au beurre pour l'Irlande à compter du 7 octobre 1974 a été fixé à 170,43 unités de compte par 100 kg, soit une augmentation de 4,3 % par rapport à
l'ancien prix.

En fait, par le jeu du «taux représentatif de conversion» à appliquer dans le secteur agricole pour la livre irlandaise, cette augmentation était beaucoup plus importante en monnaie nationale réelle, car le règlement no 2498/74 du Conseil, de la même date, a décidé que le taux de change à appliquer pour la conversion des prix et autres montants visés aux actes concernant la politique agricole commune serait, à compter du 7 octobre 1974 également, d'une livre pour 1,9485 unité de compte, alors
qu'auparavant il était d'une livre pour 2,1644 unités de compte.

Il en est résulté, en monnaie nationale, une augmentation de 15,9 % du prix d'intervention du beurre en Irlande, qui est passé de 75,49 livres à 87,47 livres par 100 kg (soit 4,3 % au titre de l'augmentation du prix d'intervention en unités de compte et 11,6 % au titre de la dévaluation de la livre «verte»).

Le 3 octobre 1974, le lendemain de l'adoption des deux règlements précités, la Commission a arrêté le règlement no 2517/74 relatif à l'ajustement de l'aide au stockage privé du beurre en cas de modification du prix d'achat; ce texte est entré en vigueur le 1er octobre 1974.

Une première remarque nous paraît devoir s'imposer: ces textes forment un ensemble et leur interprétation ne peut être scindée; la Commission était au courant de ce que déciderait le Conseil puisque c'était elle qui avait proposé les projets qui sont devenus les règlements nos 2496/74 et 2498/74, et le Conseil était au courant du règlement de la Commission no 2517/74 puisque ses propres règlements ne sont entrés en vigueur que le 7 octobre.

2. Avant d'exposer l'incidence de ces modifications sur le régime de stockage privé du beurre, nous rappellerons encore brièvement les finalités et les modalités de ce régime à l'époque des faits de la cause.

Le règlement no 804/68 du Conseil du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, maintes fois modifié, mais toujours en vigueur, prévoit un régime d'intervention pour ces produits. A côté de l'intervention des organismes officiels (en Irlande, le ministère de l'agriculture) qui achètent au prix d'intervention (dans des conditions définies conformément au paragraphe 6 de l'article 6) le beurre produit dans le Communauté qui leur est
offert (stockage public), ce même article 6 prévoit que des aides sont accordées pour le stockage en entrepôts frigorifiques privés (stockage privé) de beurre et de crème produits dans la Communauté, toujours dans des conditions définies conformément au paragraphe 6 ainsi libellé:

«Le Conseil arrête, selon la même procédure (c'est-à-dire sur proposition de la Commission et selon la procédure de vote prévue à l'article 43, paragraphe 2), les règles générales régissant les mesures d'intervention visées au présent article, et notamment les conditions de mise en application de ces mesures».

Mais le paragraphe 7 prévoit une compétence concurrente de la Commission. Il dispose, en effet:

«Les modalités d'application du présent article et, notamment, le montant des aides accordées pour le stockage privé sont arrêtés selon la procédure prévue à l'article 30», c'est-à-dire selon la procédure du comité de gestion «produits laitiers».

Ce libellé quelque peu ambigu était de nature à provoquer des interprétations divergentes; il est, pour partie, à l'origine du litige au principal.

Les règles générales régissant les mesures d'intervention sur le marché du beurre et de la crème de lait visées à ce paragraphe 6 ont été arrêtées par règlement du Conseil no 985/68 du 15 juillet 1968.

L'article 9 de ce règlement fixe les dispositions cadre des contrats de stockage passés par les détenteurs de beurre avec des organismes privés.

L'article 10 détermine les modalités de calcul du montant des aides acordées pour le stockage privé de beurre et de crème. Son paragraphe 1, alinéa 2, dispose que, «dans le cas où, lors du déstockage, le marché a évolué dans des conditions défavorables qui n'étaient pas prévisibles, le montant de l'aide peut être majoré», c'est-à-dire, si l'on rapproche cette disposition du paragraphe 7 de l'article 6 du règlement no 804/68, que la Commission, assistée du comité de gestion, a compétence pour
procéder à cette majoration.

Selon les considérants du règlement no 804/68, «les mesures d'intervention (y compris pour le beurre et la crème fraîche) doivent être telles que la recette de l'ensemble des ventes de lait tendent à assurer le prix indicatif commun franco-laiterie pour le lait» et, comme le dit le règlement du Conseil no 985/68, «le régime d'intervention (stockage public ou privé) doit permettre de suivre l'évolution de la situation du marché … il est nécessaire de prévoir un calcul uniforme du montant des
aides en fonction des frais de stockage et de l'évolution du marché … le stockage privé doit contribuer à la réalisation de l'équilibre du marché». L'analyse des composantes de l'aide, telles qu'elles ont été explicitées par les règlements de la Commission, montre qu'à part les éléments destinés à compenser la dépréciation de qualité du produit en raison de son séjour en entrepôt, tous les autres éléments ont trait au facteur «prix d'achat» appliqué par l'organisme d'intervention le jour de
la conclusion du contrat.

Les modalités d'application des interventions sur le marché du beurre et de la crème de lait, visées à l'article 6, paragraphe 7, du règlement no 804/68, ont été arrêtées par règlement no 685/69 de la Commission du 14 avril 1969, lui aussi maintes fois modifié.

Le beurre ou la crème faisant l'objet d'une demande de contrat de stockage doivent avoir été fabriqués au cours d'une période de 14 jours précédant le jour du stockage (article 23). Le contrat de stockage ne peut être conclu avant l'entrée en stock du beurre (article 2 du règlement no 603/70 de la Commission du 31 mars 1970). Le paiement de l'aide au stockage privé de beurre (et de la crème de lait) peut être effectué par acompte (article 24, paragraphe 2). Selon l'article 26, l'aide au
stockage privé ne peut être accordée que si la durée du stockage est de quatre mois au minimum. Selon l'article 28, la période de stockage commence le 1er avril et se termine le 15 septembre de la même année. La période de déstockage commence le 16 septembre et se termine le 31 mars de l'année suivante. Ce calendrier était valable à l'époque des faits qui sont à l'origine du litige au principal, mais, au cours des années, ces dates en ont été fréquemment modifiées.

L'article 29 dispose, après les modifications apportées par l'article 2 du règlement de la Commission no 1064/69 du 10 juin 1969 et par l'article 2 du règlement no 603/70 de la Commission du 31 mars 1970, que, «dans les cas où une modification du prix d'achat du beurre par les organismes d'intervention a lieu, l'aide visée à l'article 24 (c'est-à-dire l'aide au stockage privé prévue à l'article 6, paragraphe 2, du règlement no 804/68) pour les quantités de beurre et de crème de lait exprimées
en équivalent beurre, ayant fait l'objet de contrats de stockage, entrées en stock avant la date d'application de . la modification du prix d'achat et se trouvant encore en stock au moment de la modification de prix,

a) sera majorée d'un montant égal à celui de la diminution éventuelle du prix d'achat,

b) sera diminuée d'un montant égal à celui de l'augmentation éventuelle du prix d'achat».

Par conséquent, la Commission a compétence, non plus seulement pour majorer, mais encore pour réduire le montant de l'aide.

3. Il a été tenu compte de ces modalités dans une série de contrats conclus entre la requérante au principal, société ayant pour activité la commercialisation du lait et des produits laitiers, formée de coopératives de fermiers, et le ministre irlandais de l'agriculture. Ces contrats portaient sur un tonnage très important de beurre et de crème; ces produits avaient été placés en entrepôt entre le 1er juin et le 14 septembre 1974; le déstockage, qui peut commencer à partir du 16 septembre, a eu
lieu en fait avant le 6 février 1975.

D'après le paragraphe 10 de ces contrats, les montants composant l'aide étaient fixés selon la parité de 2,1644 unités de compte pour 1 livre irlandaise; ils étaient sujet à ajustement dans l'hypothèse de toute variation du taux de conversion de l'unité de compte (ce taux «vert» était de 100 unités de compte pour 46,2023 livres depuis le 1er février 1973). Le paragraphe 12 de ces contrats reproduisait les termes de l'article 29 du règlement no 685/69 de la Commission.

Selon le paragraphe 13, le montant de l'aide ne devait être payé qu'après que les quantités pour lesquelles cette aide était prévue auraient quitté l'entrepôt. Cependant, un paiement par acompte était possible pour les périodes d'entrepôt effectivement accomplies.

Puisque l'aide ne peut être accordée que pour une durée minimum d'entrepôt de quatre mois et que la requérante au principal a demandé à retirer sa marchandise après le 1er octobre 1974, les tonnages en cause étaient encore en stock au 7 octobre 1974, date d'entrée en vigueur du nouveau prix d'achat d'intervention.

4. La mesure qui fait grief à la requérante au principal consiste en ce que, pour des quantités de beurre et de crème conservées en entrepôt du 10 juin 1974 au 5 février 1975, le ministre irlandais de l'agriculture a considéré qu'en application du règlement no 2517/74 de la Commission aucune aide n'était due. Tandis que jusqu'alors, selon l'article 29 du règlement no 685/69, seule était prévue l'hypothèse d'une modification du montant de l'aide résultant de l'incidence d'une modification en
cours de campagne du prix d'intervention exprimé en unités de compte, le règlement de la Commission, se fondant sur l'article 6, paragraphe 7, du règlement no 804/68, a posé le principe de l'ajustement du montant de l'aide accordée au stockage privé également dans le cas où ce montant se trouve modifié par suite d'une modification du taux représentatif de conversion du prix d'intervention en monnaie nationale (ou du taux de change visé à l'article 2 du règlement no 129 du Conseil). Dans le
cas où la conjonction de ces deux modifications (hausse du prix «différencié» d'intervention en unités de compte, hausse supplémentaire du prix résultant du nouveau taux représentatif) aboutit à une augmentation du prix d'intervention supérieur au montant de l'aide, aucune aide ne peut être octroyée.

La requérante au principal ne conteste pas que le montant de l'aide subisse une réduction conformément aux dispositions de l'article 29 du règlement no 685/69 du chef de l'augmentation du prix d'intervention exprimé en unités de compte, mais elle s'oppose résolument à ce qu'il soit tenu compte de l'augmentation supplémentaire du prix d'intervention résultant de sa conversion en monnaie nationale au nouveau taux de a livre «verte» et que le montant de l'aide qu'elle comptait légitimement
percevoir au moment du stockage soit ainsi «écrémé». Elle réclame en conséquence le paiement d'un solde de 457475,87 livres (au taux en vigueur à compter du 7 octobre 1974), dont nous ne connaissons pas la ventilation exacte.

II — Nous pensons, pour notre part, que le règlement no 2517/74 de la Commission doit bien être interprété comme l'a fait le ministre irlandais de l'agriculture, c'est-à-dire dans le sens d'un nouvel «ajustement» de l'aide, sinon ce texte n'aurait aucun sens et n'ajouterait rien au texte antérieur de l'article 29.

Il nous faut donc aborder à présent les critiques que font valoir la requérante ou le juge national à l'encontre de ce règlement, interprété comme nous venons de l'indiquer. Nous examinerons, en premier lieu, les moyens touchant à la légalité externe du règlement (défaut de motivation, incompétence de la Commission), puis les moyens relatifs à sa légalité interne (violation du traité et des principes généraux de droit) et, plus particulièrement, le moyen tiré de la «violation de la confiance
légitime».

1. La motivation du règlement de la Commission no 2517/74 doit être appréciée dans le cadre de l'ensemble de la réglementation dont cet acte fait partie: nous avons déjà rappelé que les préambules des règlements du Conseil n os 804/68 et 985/68 font ressortir tant le but des opérations d'intervention que l'objectif particulier de l'aide au stockage privé. Replacé dans le cadre du système à l'intérieur duquel il est intervenu, l'«ajustement» de l'aide poursuit de toute évidence le but envisagé par la
réglementation du Conseil. Ainsi rattaché aux critères qui régissent la modification de l'aide en cours de campagne, le règlement de la Commission motive de façon suffisante, bien que succincte, l'«ajustement» de l'aide par rapport à cet autre élément de référence que constitue la hausse du prix d'achat exprimé en monnaie nationale et, pour ce qui est de l'exactitude de cette motivation, nous nous permettons de renvoyer aux explications données sous l'angle de la violation du traité.

2. La requérante au principal soutient que la manière normale de procéder eût été que le Conseil, s'il désirait qu'un changement dans le taux «vert» de conversion eût le même effet qu'un changement du prix d'achat du beurre, arrêtât lui-même des dispositions générales pour l'avenir. Il aurait fallu un règlement spécial du Conseil pour permettre une telle interprétation de l'article 29 du règlement no 685/69, qui ne vise que le cas d'une modification du prix commun exprimé en unités de compte. En
septembre 1973, dans l'hypothèse inverse d'un relèvement du taux central d'une monnaie nationale (en l'espèce, le florin néerlandais), entraînant une baisse du prix d'intervention en monnaie nationale perçue par les producteurs néerlandais (mais sans instauration de montants compensatoires), seule une mesure spéciale du Conseil (règlement no 2544/73 du 19 septembre 1973) avait permis l'octroi d'une aide occasionnelle et partielle de la Communauté pour financer la perte de valeur qu'entraînait, à
partir du 17 septembre, cette modification du taux «vert» pour les détenteurs néerlandais de beurre se trouvant, au 15 septembre, sous contrat de stockage privé. Ce raisonnement ne convainc guère. La mesure en question avait été insérée en dernière minute (article 149-2o) dans le cadre plus général des «mesures à prendre dans le secteur agricole à la suite du relèvement du taux central du florin néerlandais», qui ne pouvaient être arrêtées que par le Conseil, après consultation du Parlement
européen. Son adoption prouve seulement qu'une telle modification en hausse du taux «vert» s'est accompagnée d'une modification en sens inverse du montant de l'aide et que le gouvernement irlandais n'a pas demandé ou n'a pas obtenu, pour ses détenteurs de beurre, la dérogation que le gouvernement néerlandais avait obtenue pour les siens en 1973 ou celle que le gouvernement allemand obtint en mars 1976 (règlement du Conseil no 557/76 du 15 mars 1976) pour les vendeurs de lait écrémé en poudre aux
organismes d'intervention allemands.

Le pouvoir de fixer des prix et certains montants concernant la politique agricole commune est attribué tant au Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, que, dans certains cas, à la Commission agissant dans le cadre des pouvoirs dont elle dispose en vertu des actes arrêtés par le Conseil sur la base de l'article 43 du traité ou des dispositions prises en application de ces actes, après avis du comité de gestion concerné. C'est le Conseil qui arrête le prix
d'intervention, tandis que c'est la Commission qui fixe le montant de l'aide, mais, contrairement à ce que soutient la requérante au principal, la rédaction de l'article 6 du règlement no 804/68 n'emporte pas que les conditions d'octroi de l'aide soient uniquement arrêtées selon la procédure de l'article 43, paragraphe 2, c'est-à-dire par le Conseil statuant sur proposition de la Commission; il n'exclut pas que ces conditions relèvent concurremment du paragraphe 7 de ce même article, c'est-à-dire
que les conditions d'octroi de l'aide puissent être fixées par la Commission assistée du comité de gestion. Selon le paragraphe 7, la Commission fixe, selon cette procédure, notamment mais pas exclusivement, le montant de l'aide; la preuve en est que les règlements ultérieurs adoptés par la Commission, que nous avons cités, c'est-à-dire les règlements n os 1064/69 et 603/70, ont prévu une modification en baisse de l'aide et la requérante n'a pas excipé de l'illégalité de ces textes.

D'autre part, en vertu de l'article 4 du règlement du Conseil no 2496/74 «les modalités d'application de l'article 1 (modifiant en cours de campagne le prix d'intervention “différencié” du beurre pour l'Irlande) ainsi que les modifications à apporter, suite au présent règlement, à d'autres prix et montants fixés dans le cadre de la politique agricole commune, sont arrêtées selon la procédure du comité de gestion concerné, le cas échéant par dérogation aux règles de fixation prévues par les
règlements en la matière dans la mesure et pour la durée strictement nécessaire pour tenir compte du présent règlement».

Si le règlement du Conseil no 2496/74 prévoyait que les mesures qu'il édicte ne seraient mises en application qu'à partir du 7 octobre 1974, il portait cependant qu'il entrerait en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel des Communautés, soit le 3 octobre 1974. Depuis cette date, la Commission avait compétence pour édicter, en vertu des pouvoirs à elle conférés par I article 4 du règlement, des mesures d'exécution. Certes, l'entrée en vigueur du règlement de la Commission est fixée
au 1er octobre 1974, tandis que le règlement du Conseil no 2498/74 n'est entré en vigueur que le 7 octobre 1974, mais cette rétroactivité apparente n'a eu aucune conséquence en l'espèce puisque la marchandise se trouvait encore en stock au 7 octobre 1974.

Une dernière considération, qui pourrait présenter de l'intérêt dans d'autres circonstances, nous paraît prouver de façon déterminante que la Commission n'a pas excédé sa compétence en décidant que les détenteurs de beurre stocké au moment de l'application du nouveau taux de conversion seraient exclus du bénéfice de l'augmentation supplémentaire du prix d'achat résultant de cette fixation.

Comme nous l'avons fait observer, le règlement no 2517/74 de la Commission n'a pu être adopté sans que le Conseil ait connaissance de sa teneur. Du moment que le comité de gestion n'avait «pas émis d'avis dans le délai imparti par son président», euphémisme consacré pour dire qu'une majorité suffisante ne s'était pas trouvée pour approuver le projet de la Commission, les mesures arrêtées par la Commission devaient être aussitôt communiquées par celle-ci au Conseil. Or, celui-ci n'a pas pris de
décision différente, alors qu'il pouvait le faire selon le dernier alinéa du paragraphe 3 de l'article 30 du règlement no 804/68, et qu'il ne s'est pas privé de cette possibilité en d'autres circonstances, par exemple en matière de préfinancement des restitutions à l'exportation de malt.

3. Le prix d'intervention du beurre constitue un moyen et non une fin en soi; il est destiné à contribuer à la réalisation du prix indicatif du lait, l'idée sous-jacente au règlement de base du Conseil no 804/68 est que le producteur de lait bénéficie intégralement de toute augmentation du prix d'intervention. La thèse de la Commission consiste à dire que, du moment que le montant de l'aide au stockage privé doit suivre exactement l'évolution du prix d'intervention (lui-même étroitement lié au prix
de marché) en vigueur au moment du déstockage, si la différence entre le prix d'intervention, converti en monnaie nationale, en vigueur au moment du stockage et le niveau de ce prix au moment du déstockage est supérieure au montant de l'aide exprimé en monnaie nationale, aucune aide n'est accordée, le stockage — privé ou public — n'étant pas une opération de production et les «intérêts légitimes» des entités qui, comme la coopérative requérante au principal, recourent à cette facilité n'étant pas
aussi dignes de protection que ceux des producteurs de lait ou de beurre; ceux-ci, au surplus, ne toucheraient pas un penny du bénéfice qui profiterait ainsi inopinément à l'entité qui procède au stockage. Cette thèse nous paraît exacte et le règlement incriminé ne viole pas l'article 10, paragraphe 1, du règlement du Conseil no 985/68, selon lequel «le montant de l'aide au stockage privé est fixé, pour la Communauté, compte tenu des frais de stockage et de l'évolution prévisible des prix du
beurre frais et du beurre de stock».

Le règlement ultérieur de la Commission no 837/75 du 26 mars 1975 procède de la même idée: l'achat, par les organismes d'intervention, de beurre fabriqué au cours de la période de deux mois précédant le jour de prise en charge par ces organismes est exclu pendant une période de deux mois suivant la date d'application d'une modification du prix d'achat (c'est-à-dire du prix d'intervention) du beurre afin de ne pas permettre aux détenteurs de beurre d'utiliser cette possibilité à des fins
spéculatives.

4. Invoquant la «violation du principe de la confiance légitime», la requérante au principal se plaint, enfin, d'un empiètement de la Communauté (plus précisément de la Commission) sur les arrangements contractuels qu'elle avait conclus avec le ministre irlandais de l'agriculture avant l'entrée en vigueur du règlement no 2517/74, arrangements d'après lesquels elle aurait en quelque sorte «préfixé» l'aide à laquelle elle prétend avoir droit.

a) Tout d'abord, le simple fait de la mise en entrepôt ne confère, à lui seul, aucun droit défini au paiement d'une aide d'un montant déterminé. Pour acquérir ce droit, il faut que le beurre (ou la crème) ait séjourné en entrepôt privé pendant une durée minimum déterminée et qu'il ait quitté l'entrepôt, ce qui ne peut se faire qu'après avoir prévenu par écrit l'organisme d'intervention (paragraphe 8 des contrats).

En tout cas, la requérante ne saurait se prévaloir d'un droit acquis ou d'une confiance légitime en ce qui concerne la partie de l'aide qui correspond à une hausse du prix d'intervention entièrement étrangère aux objectifs de la réglementation du Conseil, hausse imprévisible au moment où le montant de l'aide a été «préfixé» par contrat de stockage et dont il est, dès lors, constant qu'elle n'aurait pu entrer en ligne de compte dans les motifs qui ont incité la requérante à placer sa
marchandise en entrepôt privé. S'il empêche l'attribution d'avantages en cas d'augmentation du prix d'intervention exprimé en monnaie nationale, le règlement incriminé écarte également le risque d'un préjudice en cas de réduction de ce prix. Il paraît donc difficile de considérer la modification d'une disposition qui, du fait de sa rigidité, était susceptible de conduire les intéressés à des préjudices ou à des avantages, comme portant atteinte à une position établie de ces intéressés. Vous
avez eu à connaître des situations analogues en matière de certificats de préfixation des restitutions à l'exportation.

b) La requérante ne se plaint pas d'une perte, mais d'un manque à gagner, de la privation du bénéfice supplémentaire bien connu que procure aux opérateurs une dévaluation du taux «vert»: elle savait que la livre «verte» irlandaise n'a cessé de se déprécier depuis l'adhésion de l'Irlande aux Communautés européennes et il n'est pas exclu qu'elle ait tenu compte de cette tendance lorsqu'elle a entreposé ses produits. La Commission a clairement montré que, même si son règlement est appliqué à la
requérante au principal, cette dernière conservera un bénéfice net de 4,10 livres, égal à la différence entre le montant de l'augmentation du prix d'intervention intervenue le 7 octobre 1974, d'une part, et le montant de l'aide au taux en vigueur jusqu'au 7 octobre 1974, d'autre part, ce qui couvre largement les frais inhérents au stockage proprement dit.

c) Le marché laitier de la Communauté se caractérise par un excédent structurel persistant, qui a obligé la Communauté, dans le passé, à prendre d'importantes mesures d'intervention concernant le beurre ou la poudre de lait écrémé. Dès 1973, les stocks de beurre s'élevaient à environ 300000 tonnes (pour ne pas parler de la poudre de lait écrémé) et ces mêmes stocks se montaient encore à 164000 tonnes en décembre 1974. Le coût supporté par les contribuables européens pour ces exédents augmente
constamment.

La relation étroite qui existe entre le prix de vente du beurre frais sur le marché ou du beurre stocké en entrepôts publics ou privés et le prix d'achat minimum payé par les organismes d'intervention a été clairement démontrée: comme pour le sucre: c'est le prix d'intervention qui «fait» le prix du marché, qu'il pèse sur ce prix à la hausse ou à la baisse, de sorte qui même le beurre que les détenteurs préfèrent stocker en entrepôts privés suivra les cours du marché par le biais du prix du
beurre d'intervention.

Le but de tout le mécanisme est que le détenteur qui recourt au stockage privé reçoive à la fin du stockage un prix au moins égal à celui qu'il percevrait s'il avait préféré vendre à l'intervention ou directement sur le marché au moment où il a entreposé son beurre ou sa crème. Tout le reste n'est que gain supplémentaire.

Faire droit aux prétentions de la requérante au principal aboutirait à la traiter de façon différente des détenteurs de beurre qui ont recours au stockage public. Il paraît que les opérateurs ne font pas usage de ce mode de stockage en Irlande, mais le règlement concerne l'ensemble des nouveaux États membres et non pas seulement l'Irlande.

Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de répondre à la quatrième question.

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que:

1) le règlement no 2498/74 du Conseil a eu pour effet d'augmenter le prix d'achat du beurre au sens de l'article 29 du règlement no 685/69 de la Commission;

2) les dispositions du règlement no 2517/74 n'ont fait que tirer les conséquences de cette situation au plan de l'ajustement de l'aide au stockage privé du beurre et l'examen des questions posées n'a pas révélé d'élément de nature à en affecter la validité;

3) ce règlement est applicable à des contrats qui ont été conclus avant la mise en application des règlements nos 2498/74 et 2517/74.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 92/77
Date de la décision : 26/01/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande.

Aide au stockage privé.

Produits laitiers

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : An Bord Bainne Co-Operative
Défendeurs : Ministre de l'Agriculture.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:15

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