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20/09/1977 | CJUE | N°112-76.

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Warner présentées le 20 septembre 1977., Renato Manzoni contre Fonds national de retraite des ouvriers mineurs., 20/09/1977, 112-76.


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 20 SEPTEMBRE 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

La particularité commune à ces quatre affaires (affaires 112-76, 22-77, 32-77 et 37-77) est qu'elles soulèvent toutes des questions relatives aux conséquences et à la portée du principe défini par les arrêts que la Cour a rendus dans une longue série d'affaires dont les trois plus récentes sont l'affaire 24-75, Petroni/ONPTS, Recueil 1975, p. 1149, l'affaire 50-75, CPEP/Massonet,

ibidem p. 1473, et l'affaire 62-76, Strehl/NPVM, Recueil 1977, p. 211. Elles ont plus particul...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 20 SEPTEMBRE 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

La particularité commune à ces quatre affaires (affaires 112-76, 22-77, 32-77 et 37-77) est qu'elles soulèvent toutes des questions relatives aux conséquences et à la portée du principe défini par les arrêts que la Cour a rendus dans une longue série d'affaires dont les trois plus récentes sont l'affaire 24-75, Petroni/ONPTS, Recueil 1975, p. 1149, l'affaire 50-75, CPEP/Massonet, ibidem p. 1473, et l'affaire 62-76, Strehl/NPVM, Recueil 1977, p. 211. Elles ont plus particulièrement trait aux
conséquences des arrêts rendus par la Cour dans les affaires Petroni et Strehl aux termes desquels l'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 du Conseil est incompatible avec l'article 51 du traité, dans la mesure où il impose une limitation de cumul de deux prestations acquises dans différents États membres par une diminution du montant d'une prestation acquise en vertu de la seule législation d'un de ces États. Nous pensons, Messieurs, que ces arrêts et l'article 46 vous sont si familiers
qu'il n'y a pas lieu de les rappeler.

Parmi les quatre espèces présentes, trois sont déférées à la Cour par des demandes de décision à titre préjudiciel présentées par des juridictions belges. Dans chacune d'elles, l'institution belge de sécurité sociale concernée est le «Fonds national de retraite des ouvriers mineurs» (ou «FNROM») qui, sous son nom néerlandais («Nationaal Pensionfonds voor Mijnwerkers»), était la partie défenderesse dans l'affaire Strehl. Dans chacune d'elles, la question litigieuse porte sur le montant de la pension
d'invalidité due par le FNROM à un travailleur italien qui a été à une certaine époque employé comme mineur en Belgique. Ces trois affaires sont l'affaire 112-76 Manzoni/FNROM, déférée par le tribunal du travail de Charleroi, l'affaire 22-77 FNROM/Mura, déférée par la cour du travail de Mons et l'affaire 37/77, Greco/FNROM, également déférée à la Cour par le tribunal du travail de Charleroi. Dans la suite de nos conclusions, nous proposons de désigner, lorsqu'il y a lieu, MM. Manzoni, Mura et Greco
collectivement comme «les requérants dans les affaires belges» ou simplement comme «les requérants».

La quatrième affaire est l'affaire 32-77, Giuliani/Landesversicherungsanstalt Schwaben, dont la Cour a été saisie par une demande de décision à titre préjudiciel présentée par le Sozialgericht de Augsburg. Là encore, le travailleur concerné est un ressortissant italien. Cette affaire se distingue des trois autres non seulement parce qu'elle provient de la république fédérale d'Allemagne au lieu de la Belgique, mais également pour deux autres raisons. D'abord, le Sozialgericht de Augsburg ne se
contente pas de demander à la Cour de définir les conséquences des arrêts qu'elle a rendus dans les affaires Petroni et Strehl. Il l'invite à reconsidérer ces arrêts. En second lieu, la disposition du règlement no 1408/71 au regard de laquelle la Cour est invitée par le Sozialgericht à établir les conséquences de ses décisions dans ces affaires, en admettant qu'elle les maintienne, est différente: cette disposition est l'article 10 alors qu'il s'agit de l'article 12 dans les affaires belges.

Si l'on en juge par le nombre des interventions des États membres, les affaires belges suscitent davantage d'intérêt que l'affaire Giuliani. Des observations ont été présentées dans une ou plusieurs des affaires belges par les gouvernements belge, néerlandais, italien et britannique. En revanche, dans l'affaire Giuliani, seules la Commission et la Landesversicherungsanstalt Schwaben (que nous appellerons ci-après, par souci de brièveté, Landesversicherungsanstalt) ont déposé des observations.

Nous estimons néanmoins qu'il convient d'examiner d'abord l'affaire Giuliani.

Affaire Giuliani

Les faits et les questions soulevées

Afin de comprendre cette affaire, il est nécessaire d'avoir présents à l'esprit les articles 1315 à 1319 de la «Reichsversicherungsordnung». Si nous avons bien compris, ces articles ont été insérés par l'article 2 de la «Fremdrenten- und Auslandsrenten-Neuregelungsgesetz», une loi que vous connaissez bien pour avoir eu à l'examiner récemment dans l'affaire 79-76, Fossi/Bundesknappschaft (Recueil 1977, p. 667).

L'article 1315 dispose, en bref et pour autant qu'il nous intéresse ici, que, lorsqu'une personne qui n'est pas un ressortissant allemand a droit à une pension allemande, le paiement de cette pension sera suspendu tant qu'elle résidera volontairement et de façon habituelle à l'étranger. L'article 1316 habilite le gouvernement fédéral à déroger, par la voie législative, à l'application de l'article 1315 lorsqu'il s'agit de territoires étrangers bordant les frontières de l'Allemagne («ausländische
Grenzgebiete») et d'Etats étrangers qui font bénéficier les ressortissants allemands d'arrangements réciproques. L'article 1317, si nous l'avons correctement compris, dispose que, sous réserve des dérogations visées aux articles 1318 et 1319, le paiement d'une pension due à un ressortissant allemand sera également suspendu tant qu'il résidera à l'étranger. La dérogation prévue à l'article 1318 vise les droits à pension acquis par l'accomplissement de périodes d'assurance (ou de certaines périodes
d'assurance assimilées) en application de la Reichsversicherungsordnung elle-même, tandis que celle qui est prévue à l'article 1319 concerne la résidence temporaire à l'étranger.

Vous constatez, Messieurs, qu'il peut ainsi y avoir, aux termes du droit communautaire, deux sortes de discrimination inhérentes à ces deux articles de la Reichsversicherungsordnung: une discrimination en raison de la résidence et une discrimination en raison de la nationalité.

Ces deux sortes de discrimination font l'objet de dispositions différentes dans le règlement no 1408/71 (JO no L 149 du 5. 7. 1971).

La discrimination en raison de la nationalité est visée à l'article 3, paragraphe 1, aux termes duquel:

«Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement.»

Pour apprécier l'effet de cette disposition, il est, pensons nous, nécessaire de se rappeler que le règlement no 1408/71 est, comme ses considérants l'indiquent, fondé tant sur l'article 7 que sur l'article 51 du traité.

La discrimination en raison de la résidence est visée à l'article 10 du règlement. Celui-ci dispose, pour autant qu'il nous intéresse en l'espèce:

«A moins que le règlement n'en dispose autrement, les prestations en espèces d'invalidité … acquises au titre de la législation d'un ou de plusieurs États membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d'un État membre autre que celui où se trouve l'institution débitrice.»

Un aspect surprenant de l'affaire Giuliani est que, abstraction faite d'une référence brève et assez tardive à l'article 7 du traité faite par l'agent de la Commission lors de l'audience, toute l'affaire a été discutée comme si seul l'article 10 du règlement no 1408/71 était en cause. L'ordonnance de renvoi du Sozialgericht ne contient, autant que nous puissions en juger, aucune référence à l'article 7 du traité et ne mentionne qu'en passant l'article 3 du règlement.

Certes, la compétence de cette Cour dans le cadre de l'article 177 du traité se limite à une décision sur les questions qui lui sont déférées par la juridiction nationale concernée et c'est en fonction de cela que nous devons examiner cette affaire. Mais nous pensons qu'il convient de faire in limine une réserve, à savoir que nous serons forcé dans notre exposé de laisser de côté l'importance que l'article 7 du traité et l'article 3 du règlement peuvent revêtir pour l'affaire, même s'il est
concevable que ces dispositions puissent entraîner une issue sensiblement différente. D'autre part, il se peut que cette réserve ne soit pas nécessaire et que la situation de M. Giuliani au titre du droit allemand serait en fait exactement la même s'il était un ressortissant allemand au lieu d'être un ressortissant italien.

Les faits de l'espèce sont, en bref, les suivants. M. Giuliani, qui est né le 26 mars 1921, a travaillé à différentes époques en Italie et en Allemagne. Il réside actuellement en Italie. Il est titulaire de pensions d'invalidité à la fois en Italie et en Allemagne. Sa pension italienne s'élève à 507030 Lit par an. En Allemagne, abstraction faite de l'article 1315 de la Reichsversicherungsordnung, il a droit, au titre de la seule législation allemande, c'est-à-dire sans totalisation et proratisation,
à une pension mensuelle de 102,60 DM. L'application à son cas des opérations de totalisation et de proratisation en Allemagne ne lui donnerait pas droit à une pension plus importante dans ce pays. Au contraire, il en résulterait une somme de seulement 81,30 DM par mois. Le total de sa pension italienne et de la pension de 102,60 DM par mois auquel il a droit prima facie en Allemagne est de 3117,69 DM par an. Son «montant théorique de prestation le plus élevé» aux fins des dispositions de
l'article 46, paragraphe 3 (qui constitue en fait le «montant théorique» allemand) est de 2747,38 DM par an. Ainsi, en application ou en prétendue application de l'article 46, paragraphe 3, la Landesversicherungsanstalt a réduit sa pension allemande sur la base de la différence entre 3117,69 et 2747,38 DM et lui a accordé, en conséquence, une pension de 64,80 DM par mois. M. Giuliani a saisi le Sozialgericht d'Augsburg de cette décision. Il soutient, en se fondant sur les arrêts rendus par la Cour
dans les affaires Petroni et Strehl, que sa pension n'aurait pas dû subir une telle réduction.

La thèse de la Landesversicherungsanstalt est simple et aisément compréhensible. Elle estime que les arrêts que vous avez rendus dans les affaires Petroni et Strehl sont fondés sur la thèse, établie dans vos arrêts antérieurs, selon laquelle l'article 51 du traité ne confère pas au Conseil le pouvoir de prescrire une déduction des prestations auxquelles une personne a droit en vertu de la législation d'un État membre, indépendamment du droit communautaire. Mais, prétend la
Landesversicherungsanstalt, rien n'interdit au Conseil d'imposer des limites aux prestations qu'une personne peut réclamer en invoquant le seul droit communautaire. En effet, souligne-t-elle, la Cour a explicitement jugé qu'il en était ainsi dans l'affaire 34-69, l'affaire Duffy (Recueil 1969, p. 597 — voir en particulier le huitième attendu de l'arrêt) et dans l'affaire Massonet (déjà citée — voir en particulier le onzième attendu de l'arrêt). Ce principe est en outre implicitement reconnu dans un
certain nombre d'autres arrêts de la Cour. Nous l'avons nous-même évoqué dans nos conclusions sur les affaires Petroni et Strehl. En l'espèce, déclare la Landesversicherungsanstalt, M. Giuliani n'a droit, en vertu de la seule législation allemande, à aucune pension, du fait que l'article 1315 de la Reichsversicherungsordnung est applicable. Étant par conséquent amené à invoquer le droit communautaire sous la forme de l'article 10 du règlement no 1408/71 pour faire valoir un droit au paiement de sa
pension, M. Guiliani ne peut en jouir que sous réserve des limitations imposées par l'article 46, paragraphe 3 du même règlement.

Comme nous l'avons indiqué, le Sozialgericht ne se borne pas à demander à la Cour si cette thèse est exacte. Il pose les quatre questions suivantes:

«1. La Cour de justice maintient-elle, au regard du principe de l'égalité de traitement, sa jurisprudence (arrêt rendu le 21 octobre 1975 dans l'affaire 24-75, Petroni) selon laquelle l'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 du Conseil est incompatible avec l'article 51 du traité dans la mesure où il impose une limitation de cumul de deux prestations acquises dans différents Etats membres par une diminution du montant d'une prestation acquise en vertu de la seule législation nationale?

2. L'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 du Conseil est-il, le cas échéant, valide dans la mesure où il impose une diminution de droits qui n'existeraient pas sans le droit communautaire?

3. Existe-t-il des droits à prestation en dehors du droit communautaire ou bien ces droits ont-ils été acquis en vertu de la seule législation d'un État membre lorsqu'ils ne peuvent être réalisés, en application des dispositions suspensives nationales pour un travailleur migrant résidant dans un autre État membre, que par la levée des clauses de résidence visées à l'article 10 du règlement no 1408/71?

4. Quelle réponse appelle la dernière question lorsque des conventions bilatérales ou multilatérales conclues entre les États membres concernés ont déjà prévu une réglementation correspondante à l'article 10 du règlement no 1408/71?»

Au sujet de la première de ces questions, le Sozialgericht se réfère, dans l'exposé des motifs de son ordonnance, non seulement au «principe de l'égalité de traitement» mais également, de façon incidente, à celui de la séparation des pouvoirs. Au sujet de la deuxième question, il soulève un problème qui a été très discuté en doctrine, à savoir quelle est l'étendue de l'effet obligatoire d'un arrêt rendu par cette Cour en application de l'article 177 du traité CEE? Le Sozialgericht demande en
particulier si un tel arrêt a force de loi à l'instar de certains arrêts rendus par le Bundesverfassungsgericht sur la base de l'article 31, alinéa 2 de la Bundesverfassungsgerichtsgesetz. D'après ce que nous avons compris, l'article 31, alinéa 2, a pour effet que lorsqu'il s'applique, par exemple dans le cas où le Bundesverfassungsgericht juge qu'une loi est incompatible avec la Constitution de la république fédérale d'Allemagne (la «Grundgesetz»), cet arrêt vaut in rem, de sorte que, erga omnes,
la loi est réputée nulle et non avenue. L'idée du Sozialgericht semble être que si l'arrêt rendu par cette Cour dans l'affaire Petroni produisait le même effet à l'égard de l'article 46, paragraphe 3, il serait trop tard pour que la Landesversicherungsanstalt puisse invoquer cette disposition en l'espèce. Pour notre part, nous doutons que, même en admettant ces prémisses, il en résulte une telle conséquence. Toutefois nous partageons l'avis de la Commission selon lequel, logiquement, le problème, si
tant est qu'il existe, surgit à l'égard de la première question, parce que, si l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Petroni produisait l'effet suggéré par le Sozialgericht, il ne saurait être question, même pour la Cour elle-même, de reconsidérer actuellement cet arrêt. En fait, cela a été un argument avancé au nom du gouvernement italien lors de l'audience dans l'affaire Mura au cours de laquelle il a été fait référence à l'analogie des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle italienne sur
la constitutionnalité de lois italiennes.

Non seulement le Sozialgericht, mais également la Commission et le gouvernement italien ont déclaré qu'à leur avis, il serait bon que la Cour clarifie à présent le droit en ce qui concerne l'effet obligatoire des arrêts qu'elle rend en application de l'article 177.

L'effet obligatoire des arrêts rendus en application de l'article 177

Comme nous l'avons dit, ce sujet est l'un de ceux qui ont fait l'objet de discussions très savantes. Le Sozialgericht cite en particulier Bleckmann, «Europarecht» (Carl Heymanns Verlag KG) 1976, p. 154.

La Commission ajoute des références à d'autres auteurs et en particulier à des articles publiés par deux anciens avocats généraux de cette Cour dans la Revue Trimestrielle de Droit Européen pour 1974: «L'effet “erga omnes” des décisions préjudicielles rendues par la Cour de justice des Communautés européennes» par Alberto Trabucchi, page 56, et «L'action préjudicielle dans le droit interne des Etats membres et en droit communautaire» par Maurice Lagrange, page 268 (voir en particulier les pages 294
à 296) La Commission mentionne également les conclusions de l'avocat général Gand dans l'affaire 16-65, Schwarze EVSt für Getreide und Futtermittel (Recueil 1965, p. 1109 et 1110). Nous partageons respectueusement l'avis de M. Lagrange, du professeur Trabucchi et de l'avocat général Gand selon lequel on ne saurait considérer qu'un arrêt de la Cour déclarant, en application de l'article 177, qu'un acte d'une institution communautaire est incompatible avec le Traité, produit le même effet qu'une
décision de la Cour déclarant un tel acte nul et non avenu sur la base des articles 173 et 174 du traité. Une telle conception rendrait pratiquement inefficaces les limitations prévues par l'article 173 quant au délai dans lequel des recours peuvent être formés en application de cet article et quant aux personnes habilitées à saisir la Cour. En fait, il nous semble que, comme l'a exposé la Commission, l'arrêt que vous avez rendu dans l'affaire Schwarze, qui suit les conclusions de M. l'avocat
général Gand, reconnaît qu'il existe une différence entre l'effet produit par une déclaration en vertu des articles 173 et 174 et celui qu'engendre un arrêt rendu en application de l'article 177 (voir Recueil 1965, p. 1094).

Cela ne veut pas dire qu'à notre avis un arrêt rendu en application de l'article 177 n'a aucun effet obligatoire en dehors de l'affaire dans laquelle il est prononcé. Selon nous, il est fondamental de distinguer dans ce contexte entre la portée de la res judicata et celle du stare decisis. (Nous craignons qu'il s'agisse-là d'un contexte dans lequel l'utilisation de phrases latines est inévitable). A l'exception du professeur Trabucchi, la plupart de ceux qui ont écrit sur ce sujet nous semble avoir
concentré leur attention exclusivement sur l'effet que l'arrêt produit en tant que res judicata. A cet égard, nous partageons l'opinion selon laquelle son effet est limité au cas particulier auquel il s'applique. Nous noterons simplement que dans la mesure où les procédures engagées en application de l'article 177 revêtent la nature, comme on l'a dit, «d'un dialogue entre juridictions» et qu'elles ne se déroulent pas, strictement parlant, inter partes, il est plus juste de dire que l'arrêt lie la
juridiction qui présente la demande préjudicielle plutôt que d'affirmer qu'il constitue une res judicata seulement inter partes. Voilà, en effet, comment la Cour a posé le principe dans l'affaire 29-68, Milch-, Fett- und Eierkontor GmbH/Hauptzollamt Saarbrücken (Recueil 1969, p. 165 — voir le troisième attendu de l'arrêt) et, de nouveau, plus récemment dans l'affaire 52-76, Benedetti/Munari Fratelli s.a.s (Recueil 1977, p. 163). Comme l'ont toutefois souligné un certain nombre d'auteurs, et
notamment le professeur Trabucchi, le fait de considérer qu'une décision rendue par la Cour en application de l'article 177 n'a aucun effet obligatoire sinon dans le cas auquel elle s'applique, porterait atteinte à la véritable finalité de l'article 177 qui est celle d'assurer l'uniformité de l'interprétation et de l'application du droit communautaire dans tous les États membres. Il rendrait également absurdes les dispositions du protocole sur le statut de la Cour de justice aux termes desquelles
les institutions communautaires et tous les États membres peuvent présenter des observations dans une affaire relevant de l'article 177. L'application de ces dispositions équivaudrait à utiliser un marteau-pilon pour casser une noix. C'est là, nous semble-t-il, que la doctrine du stare decisis doit entrer en jeu. Cette doctrine est évidemment flexible par nature. Les modalités de son application varient largement selon les liens particuliers existant entre les différentes juridictions. Mais nous ne
pensons pas qu'il puisse y avoir beaucoup de doutes sur les modalités de son application au cas présent. Cela signifie que toutes les juridictions de l'ensemble de la Communauté, à l'exception de la Cour elle-même, sont liées par le ratio decidendi d'un arrêt rendu par cette Cour. (Nous parlons du ratio decidendi d'un tel arrêt plutôt que de son dispositif parce qu'il y a lieu de tenir compte des cas auxquels la décision énoncée dans le dispositif s'applique à première vue mais qui, en réalité,
peuvent être distingués du cas dans lequel cette décision a été rendue). Nous parvenons ainsi, encore que par une voie légèrement différente, à la même conclusion que le professeur Trabucchi. Comme lui, nous sommes frappé par l'idée que si cette conclusion était rejetée, on serait amené à accepter que des juridictions inférieures des États membres puissent n'attacher qu'une valeur persuasive aux arrêts de la Cour, alors que les juridictions supérieures (les juridictions «dont les décisions ne sont
pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne») ne le peuvent pas. En revanche, l'acceptation de cette conclusion signifie que toutes les juridictions des États membres sont, à cet égard, dans la même position. Si elles éprouvent un doute sur l'exactitude d'une décision de cette Cour, elles ont la faculté soit de l'appliquer néanmoins à l'affaire pendante devant elles, soit de renvoyer cette affaire devant la Cour en l'invitant à reconsidérer sa décision — comme le Sozialgericht l'a,
en effet, très bien fait en l'espèce.

Nous sommes satisfait de constater que le point de vue que le professeur Trabucchi et nous-même avons soutenu est partagé par le Bundesverwaltungsgericht (voir son arrêt du 2 juillet 1975 dans l'affaire I C 20.73, 49 BVerw.Ge, (1977) 2 C.M.L.R. 255). Peut-être est-il également intéressant de noter que dans l'un des États membres, le Royaume-Uni, les juridictions nationales sont obligées par la loi d'agir conformément à cette opinion. La section 3, (1), de la «European Communities Act 1972» dispose,
entre autres, que «aux fins de toutes les procédures juridiques, toute question relative au sens ou à la portée de l'un des traités, ou relative à la validité, le sens ou la portée de tout acte communautaire, devra … si elle n'est pas déférée à la Cour de justice des Communautés européennes, être tranchée … conformément aux principes définis par la Cour de justice des Communautés européennes et conformément à ses décisions pertinentes …»

Nous ne sommes pas convaincu qu'il soit utile ici de dresser des analogies entre la position de cette Cour et celle des juridictions particulières des différents États membres. En fait dans l'affaire Benedetti, la Cour a refusé toute comparaison entre son propre rôle et celui de la Corte di Cassazione. Le rôle de la Cour est à maints égards sui generis. Mais nous pensons que, dans la mesure où une analogie quelconque revêt de l'importance en l'espèce, celle de la House of Lords est plus proche de
celle du Bundesverfassungsgericht ou de la Cour constitutionnelle italienne. Une décision de la House of Lords, en vertu de la doctrine du stare decisis, est obligatoire et doit être respectée par toutes les juridictions du Royaume-Uni (dans la mesure bien entendu où le droit qu'elle affirme est applicable à l'ensemble du Royaume-Uni), mais la House of Lords elle-même — et elle seule — peut dans un cas ultérieur reconsidérer sa décision et s'en écarter. Si elle le fait, c'est la nouvelle décision de
la House of Lords qui devient obligatoire pour les autres juridictions.

Nous en arrivons ainsi au problème soulevé par le Sozialgericht en ce qui concerne le «principe de l'égalité de traitement» et la doctrine de la séparation des pouvoirs.

Le «principe de l'égalité» et la doctrine de la séparation des pouvoirs

Nous pensons qu'il y a lieu ici de rappeler immédiatement que la Landesversicherungsanstalt a souligné, tant dans ses observations écrites qu'à l'audience, qu'elle ne partageait pas le point de vue du Sozialgericht selon lequel la décision de la Cour dans l'affaire Petroni pourrait être erronée. La Landesversicherungsanstalt a affirmé que la Cour devait maintenir cette décision mais qu'elle devait la considérer comme inapplicable à la présente espèce pour les raisons que nous avons exposées.

Il n'en est pas de même pour les gouvernements belge et britannique qui, dans leurs observations sur les affaires belges, ont estimé que l'affaire Petroni avait donné lieu à une décision erronée.

Une grande partie du raisonnement du Sozialgericht est, comme l'expose son ordonnance de renvoi, ouvertement fondée sur le droit constitutionnel allemand. C'est ce qui a amené la Commission à inviter la Cour a réitérer ce qu'elle a déclaré dans l'affaire 11-70, Internationale Handelsgesellschaft/EVSt für Getreide und Futtermittel (Recueil 1970, p. 1125), à savoir que la validité de règles particulières de droit communautaire ne saurait être appréciée en fonction de concepts du droit national, fût-ce
du droit constitutionnel.

Pour notre part, nous pensons qu'à cet égard des considérations quelque peu différentes s'appliquent en ce qui concerne le principe de l'égalité de traitement d'une part et la doctrine de la séparation des pouvoirs d'autre part.

Dans l'affaire Internationale Handelsgesellschaft, la Cour a été confrontée avec une situation dans laquelle il s'agissait de savoir si une disposition particulière du droit communautaire pouvait être considérée comme inapplicable en Allemagne au motif qu'elle portait atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution allemande. La Cour a naturellement déclaré que le droit national ne pouvait pas primer le droit communautaire. Mais, tant dans cette affaire que, par la suite, dans
l'affaire 4-73, Nold/Commission (Recueil 1974, p. 491), la Cour a souligné que les droits fondamentaux faisaient partie intégrante des principes généraux du droit dont elle a le devoir d'assurer le respect et qu'il en était ainsi en particulier dans le cas des droits fondamentaux reconnus et protégés par les constitutions des États membres. En d'autres termes, de tels droits sont protégés par le droit communautaire lui-même. Dans l'affaire 7-76, IRCA/Amministrazione delle finanze dello Stato
(Recueil 1976, p. 1237), nous avons exprimé l'opinion qu'un droit fondamental reconnu et protégé par la constitution d'un État membre quelconque doit être reconnu et protégé également par le droit communautaire parce qu'aucun État membre ne peut être censé avoir transféré à la Communauté le pouvoir de légiférer en violation de droits protégés par sa propre constitution — et que le droit communautaire doit, de par sa nature, être le même dans tous les États membres. Nous pensons, cependant, qu'il
n'est pas nécessaire de poursuivre davantage ici l'examen dé cette question parce que, comme nous l'avons souligné dans l'affaire 28-76, Milac/Hauptzollamt Freiburg (Recueil 1976, p. 1664), il est indubitable que le principe de l'égalité de traitement est reconnu en droit communautaire. Dans le cadre de celui-ci, il se manifeste le plus soumit sous la forme de dispositions explicites interdisant la discrimination, mais, même lorsqu'une telle disposition explicite ne s'applique pas, le droit
communautaire exclut incontestablement la discrimination arbitraire ou l'injustice entre individus. La question soulevée par le Sozialgericht vise donc davantage l'application du principe que son existence.

Si nous avons bien compris son raisonnement, le Sozialgericht estime que les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Petroni et Strehl peuvent aboutir à deux sortes de discriminations.

La première est une discrimination entre les travailleurs migrants et les travailleurs sédentaires dans la mesure où un travailleur migrant peut, du fait qu'il a travaillé successivement dans différents États membres, obtenir au total des prestations de sécurité sociale plus importantes qu'un travailleur qui a passé toute sa vie active dans l'un de ces États. Cela peut indubitablement se produire. Les exemples fournis dans l'annexe aux observations écrites de la Commission sur l'affaire Mura en sont
les illustrations les plus frappantes. C'est un problème qui, manifestement, préoccupe grandement le FNROM et le gouvernement belge. D'autre part, il convient de ne pas oublier que, comme la Commission l'a relevé, la situation inverse peut se produire: un travailleur migrant peut, en dépit des décisions rendues dans les affaires Petroni et Strehl, avoir droit à un montant total moins élevé que s'il était resté toute sa vie chez lui. En outre, nous a rappelé la Landesversicherungsanstalt; un
travailleur migrant peut par l'application des procédés de totalisation et de proratisation bénéficier dans un État membre de prestations plus importantes que celles qu'il obtiendrait en application de la seule législation de cet État.

La deuxième sorte de discrimination discernée par le Sozialgericht est une discrimination entre travailleurs migrants en ce sens qu'un travailleur migrant qui est resté assez longtemps dans un certain État membre pour acquérir un droit à prestation en vertu de la seule législation de cet État peut, de ce fait, obtenir un montant total de prestations plus important que le travailleur migrant qui ne l'a pas fait. (Bien sûr, ici encore l'inverse est aussi virtuellement possible.)

Sauf le respect que nous devons au Sozialgericht, il nous semble que les critiques qu'il a formulées (et qui ont été reprises par d'autres) reposent sur deux idées fausses.

La première a trait à ce qui constitue une discrimination. Comme la Cour l'a souligné à maintes reprises, la discrimination consiste soit à traiter des situations identiques de manière différente, soit à traiter des situations différentes de manière identique. Quoi que l'on puisse dire encore au sujet des travailleurs migrants et des travailleurs sédentaires, on ne saurait affirmer que leurs situations sont identiques. Comme la Commission l'a souligné, un travailleur migrant se heurte à toutes
sortes de difficultés sociales, linguistiques et financières qu'un travailleur qui reste dans son pays ne rencontre pas. Au nom des parties requérantes dans les affaires belges, on a mis en évidence les difficultés spécifiques auxquelles se heurtent les travailleurs migrants lorsqu'il s'agit de bénéficier de prestations de sécurité sociale. Parmi celles-ci figure notamment l'incidence des fluctuations des taux de change, un problème sur lequel nous avons attiré l'attention dans l'affaire Petroni
(Recueil 1975 à la page 1167), et qu'illustrent les faits de l'affaire Greco: en partie, par suite des différentes dispositions relatives à l'indexation applicable en Belgique et en Italie et, en partie, par suite de la chute de la valeur de la lire italienne par rapport au franc belge, M. Greco, qui réside en Belgique et qui est titulaire d'une pension belge intégrale au titre de la seule législation belge mais dont la pension belge a. été réduite par le FNROM au regard de sa pension italienne de
la manière que nous décrirons lorsque nous évoquerons son affaire, perçoit actuellement, moins au titre de ses pensions combinées belge et italienne que ce qu'il obtiendrait au titre de la seule pension belge intégrale.

Bien que cela ne nous ait pas été dit explicitement, nous supposons que la même situation pourrait se produire dans les affaires Manzoni et Mura. D'autre part, M. Giuliani bénéficie probablement de la hausse du DM par rapport à la lire italienne.

Aussi, puisqu'il est impossible de considérer les situations des travailleurs migrants et des travailleurs sédentaires comme identiques, la question de savoir dans quelle mesure il est légitime de les traiter d'une manière différente ne peut être qu'une question d'opinion. Il n'existe pas de critère objectif permettant d'apprécier cette question et susceptible de constituer le fondement d'une décision juridique, à moins évidemment de démontrer que le traitement de l'une ou l'autre catégorie est
arbitraire à certains égards.

Quant à la prétendue discrimination entre les travailleurs migrants en fonction de la durée de leur séjour dans un État membre particulier, la réponse doit, là encore, à notre avis, être que leurs situations ne sont pas identiques. Après tout, la même différence de traitement, inhérente à la législation de l'État membre concerné, est appliquée entre les travailleurs qui ne quittent jamais leur territoire, selon qu'ils accomplissent ou non la période de stage.

La seconde idée fausse, à notre avis, est de supposer qu'il est possible, nonobstant les régimes de sécurité sociale largement divergents des États membres, de prévoir une situation dans laquelle toutes les différences entre les travailleurs, migrants et sédentaires, seraient supprimées. Les affaires examinées devant la Cour ont montré, l'une après l'autre, que ce n'était pas possible et, certes, les débats dans les quatre affaires présentes l'ont à nouveau démontré avec éclat

Sauf erreur de notre part, c'est eu égard à la reconnaissance de ce dernier fait, qui a été fréquemment exprimée par la Cour, que le Sozialgericht évoque la doctrine de la séparation des pouvoirs. Le raisonnement du Sozialgericht semble être que la Cour, en soulignant ce fait dans un grand nombre de ses arrêts, a montré qu'elle entendait inciter les organes législatifs de la Communauté et des États membres à créer un régime de sécurité social uniforme. Ce faisant, déclare le Sozialgericht, la Cour a
empiété sur le pouvoir d'appréciation qui appartient exclusivement à ces organes législatifs. Nous sommes certain que le Sozialgericht n'a pas réalisé toutes les conséquences de ce raisonnement. En l'évoquant, la Commission a préféré supposer que le Sozialgericht n'a pas tenu compte des dispositions du traité qui prévoient que la Cour statue sur la légalité des actes pris par les autres institutions de la Communauté (articles 164, 173, 174, 177 et 184). Mais peut-être le Sozialgericht a-t-il
simplement négligé le fait que la fonction d'une juridiction n'est nullement de fermer les yeux sur la réalité, y compris sur les imperfections de la législation.

En tout état de cause, il nous semble qu'aucune des thèses soutenues dans l'une de ces affaires n'est de nature à vous convaincre, Messieurs, de vous écarter de notre jurisprudence antérieure.

Nous en revenons ainsi au problème soulevé dans les questions 2 et 3 du Sozialgericht.

L'article 10 du règlement no 1408/71

Nous avons déjà résumé — et nous n'avons pas besoin de recommencer — les arguments de la Landesversicherungsanstalt selon lesquels les décisions rendues dans les affaires Petroni et Strehl ne s'appliquent pas ici. Pour nous cette thèse semble simple et aisément compréhensible. Elle est à première vue également incontestable (abstraction faite, bien sûr, de l'article 7 du traité et de ce qui peut en découler).

Cependant, la Commission considère que cette thèse est erronée. Elle attire l'attention sur le fait que l'article 51 du traité comporte deux alinéas, a) et b).

Comme vous le savez, Messieurs, cet article dispose:

«Le Conseil, …, adopte dans le domaine de la sécurité sociale les mesures nécessaires pour l'établissement de la libre circulation des travailleurs, en instituant notamment un système permettant d'assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit:

a) la totalisation, pour l'ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales;

b) le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des États membres.»

Les décisions de la Cour dont les plus importantes sont les arrêts rendus dans les affaires Petroni et Strehl portaient toutes, affirme la Commission, sur l'interprétation de l'alinéa a). En effet, un grand nombre d'entre elles concernait les circonstances dans lesquelles il y a lieu d'appliquer le procédé de totalisation visé à cet alinéa et le principe selon lequel, lorsqu'une telle totalisation ne s'impose pas, la proratisation n'est pas nécessaire non plus. Selon la Commission, c'est dans ce
contexte, à savoir dans le contexte de l'acquisition d'un droit à prestation, qu'il est exact d'affirmer que si un travailleur doit recourir au droit communautaire, il doit accepter ce droit tel qu'il le trouve: il ne saurait exiger davantage que ce que les mesures adoptées par le Conseil en application de l'article 51 lui donnent le droit d'obtenir. Ici, au contraire, déclare la Commission, l'alinéa de l'article 51 qui entre en ligne de compte est l'alinéa b). Celui-ci oblige le Conseil à assurer
le paiement des prestations, dont le bénéfice a été, par hypothèse, acquis ailleurs, à ceux qui y ont droit, quel que soit l'endroit où ils résident dans la Communauté. Cette disposition ne saurait être interprétée comme conférant au Conseil le pouvoir de prescrire une réduction du montant d'une prestation parce que l'intéressé réside dans un État membre plutôt que dans un autre.

C'est un argument puissant et attrayant et nous vous avouons, Messieurs, avoir hésité, au cours de l'examen de cette affaire, sur la question de savoir s'il fallait ou non l'accepter. En définitive, nous sommes cependant parvenu à la conclusion qu'il devait être rejeté.

Vous vous souvenez que, dans l'affaire 19-76, Triches/Caisse de compensation pour allocations familiales de la Région liégeoise (Recueil 1976 p. 1243), la question de la validité de l'article 42 du règlement du Conseil no 3 tel qu'il a été modifié par le règlement no 1/64/CEE a été soulevée. Cet article définissait un régime pour déterminer les allocations familiales auxquelles le bénéficiaire d'une pension aurait droit. Il constituait la deuxième tentative du Conseil pour résoudre un problème qui
trouvait son origine dans les divergences entre les systèmes d'allocations familiales des différents États membres. La solution consistait à désigner la législation d'un État membre particulier comme la législation applicable dans le cas de n'importe quel titulaire de pension, dans certaines circonstances sur la base de sa résidence. (Un système similaire mais plus compliqué est actuellement en vigueur en application de l'article 77 du règlement no 1408/71.) L'effet de l'application du système dans
le cas de M. Triches, un ressortissant italien qui avait travaillé en Belgique et s'était retiré en Italie, était en substance qu'à partir de la date de son retour en Italie, il n'avait plus droit aux allocations familiales belges mais bénéficiait à leur place de suppléments de sa pension italienne (moins élevés). Le représentant de M. Triches a fait valoir, entre autres, que le règlement no 1/64 était incompatible avec l'article 51 b) du traité dans la mesure où il le privait, en raison de sa
résidence en Italie, de son droit aux allocations familiales belges. Il était constant que, ne résidant pas en Belgique, il n'avait pas droit aux allocations au titre de la seule législation belge. Sa nationalité ne jouait aucun rôle. La Cour a rejeté sa thèse. Elle a estimé (voir le dix-huitième attendu de l'arrêt) que

«Si les mesures prises par le Conseil conformément à l'article 51 ne doivent pas avoir pour effet de priver un travailleur migrant d'un droit acquis selon la seule législation de l'État membre où il a travaillé, aucune des dispositions du traité précité ne porte atteinte à la liberté reconnue au Conseil par l'article 51 de choisir à cet effet toute modalité objectivement justifiée, même si les dispositions prises n'aboutissent pas à l'élimination de tout risque d'inégalité entre travailleurs due aux
disparités des régimes nationaux en cause».

L'acceptation de la thèse de la Commission dans le cas présent vous amènerait, à notre avis, à vous écarter de la décision rendue dans l'affaire Triches parce que nous ne pensons pas qu'il soit judicieux d'établir une distinction avec cette décision. Soit l'article 51 b) habilite le Conseil à déterminer la prestation dont doit bénéficier une personne qui, en raison de sa résidence dans un État membre, n'a pas droit à la prestation dans un autre État membre en vertu de la seule législation de ce
dernier État, soit il ne lui confère pas ce pouvoir.

A notre avis, ce fait constitue en lui-même une raison importante pour rejeter la thèse de la Commission: dans l'affaire Strehl nous avons exposé les raisons qui nous font croire qu'il n'est en général pas souhaitable pour cette Cour, particulièrement dans le domaine de la sécurité sociale, d'adopter des décisions contradictoires. Mais nous pensons que ce n'est pas le seul motif. Il nous semble que le fait pour la Cour d'admettre en l'espèce la thèse de la Commission créerait la confusion, pour ne
pas dire la chaos, non seulement dans le domaine des allocations familiales pour les bénéficiaires de pensions (qui faisait l'objet de l'affaire Triches), mais également dans tous les domaines dans lesquels, en vertu du règlement no 1408/71, le droit aux prestations ou leur montant est déterminé par rapport au lieu de résidence.

En définitive, nous pensons que le point de départ de l'argumentation de la Commission est erroné. L'article 51 ne comporte pas deux parties. Il confère au Conseil l'unique pouvoir (accompagné d'un devoir) qui est «d'adopter dans le domaine de la sécurité sociale les mesures nécessaires pour l'établissement de la libre circulation des travailleurs». Les alinéas a) et b) prévoyent que dans l'exercice de ce pouvoir le Conseil doit instituer «notamment» un système poursuivant deux objectifs. Mais ils
ne constituent pas une définition exhaustive ou une description de ce pouvoir. Ce pouvoir ne va pas jusqu'à habiliter le Conseil à priver une personne d'un droit qu'elle a acquis en vertu de la seule législation nationale: c'est en ce sens que la Cour a statué. Mais à notre avis (toujours en faisant abstraction de toute question concernant la discrimination pour des raisons de nationalité), la restriction ne va pas plus loin et n'est pas autrement complexe.

Nous ne négligeons pas non plus le fait que dans l'affaire Triches la Cour a estimé que la liberté du Conseil dans le cadre de l'article 51 était limité à l'adoption de mesures «objectivement justifiées». A notre avis, cependant, rien ne permet d'affirmer que, dans des circonstances semblables aux faits des présentes affaires, l'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 ne remplit pas cette condition.

En conséquence nous retiendrons la thèse de la Landesversicherungsanstalt.

Nous en arrivons à la quatrième question du Sozialgericht.

Le rôle des conventions bilatérales et multilatérales

Le Sozialgericht ne précise pas dans son ordonnance de renvoi quelles sont les conventions bilatérales ou multilatérales qu'il considère comme éventuellement importantes en l'espèce. Il ressort toutefois des observations, tant écrites qu'orales, de la Landesversicherungsanstalt ainsi que des observations orales de la Commission qu'il en existe deux, à savoir une convention du 5 mai 1953 conclue entre la république fédérale d'Allemagne et la République italienne et les accords intérimaires européens
concernant les régimes de sécurité sociale du 11 mai 1953 conclus entre les États membres du Conseil de l'Europe. Il existe un certain désaccord entre la Landesversicherungsanstalt et la Commission quant à l'interprétation des dispositions de ces conventions pour autant qu'elles sont susceptibles de revêtir de l'importance en l'espèce. Nous nous garderons de nous prononcer à cet égard parce que la Cour n'est pas compétente dans le cadre de l'article 177 pour interpréter de telles conventions — voir
affaire 75-63, Hoekstra/Bestuur der Bedrijfsvereniging voor Detailhandel en Ambachten (Recueil 1964, p. 353 à 365), et l'affaire 28-68, Caisse régionale de sécurité sociale du Nord de la France/Torrekens (Recueil 1969, p. 125, 6e et 22e attendus de l'arrêt). Il suffira de dire que ces deux conventions ont été incorporées dans la législation allemande par des lois fédérales et que l'une comme l'autre, telles qu'elles ont été incorporées, pourraient conférer à M. Giuliani, indépendamment de la
législation communautaire, des droits en ce qui concerne le payement de sa pension allemande, cela en dépit du fait qu'il est un ressortissant italien résidant en Italie. Il apparaît que l'article 59, paragraphe 2, de la Constitution allemande exige que les accords internationaux soient ainsi reçus dans l'ordre juridique national afin d'être applicables en République fédérale.

Les articles 3, paragraphe 3, 6, 7 et 46, paragraphe 4, du règlement no 1408/71 contiennent des dispositions relatives au rapport entre de telles conventions et le règlement.

En ce qui concerne la convention germano-italienne du 5 mai 1953, les dispositions pertinentes sont celles des articles 3, paragraphe 3, 6 a) et 7, paragraphe 2 c). Aux termes de ces dispositions, la convention est remplacée par le règlement sous réserve de ce qui est stipulé à l'annexe 2 du règlement. En fait, cette annexe précise seulement quelques dispositions de la convention et, si nous avons bien compris, elle ne comprend pas celles qui pourraient revêtir le plus d'importance dans le cas de M.
Giuliani. Dans l'affaire 82-72, Walder/Bestuur der Sociale Verzekeringsbank (Recueil 1973, p. 599), la Cour a jugé que dans une telle situation les dispositions de la convention sont remplacées par celles du règlement, même si les précédentes étaient plus avantageuses pour l'intéressé. Cependant, dans ce cas la Cour s'est uniquement souciée d'interpréter le règlement. Aucune question relative à sa validité ou à la portée éventuelle de la réception de la convention dans la législation nationale par
une loi nationale n'a été soulevée ni prise en considération.

En ce qui concerne les accords intérimaires européens du 11 décembre 1953, la disposition pertinente du règlement est l'article 7, paragraphe 1 b). Celui-ci dispose que le règlement «ne porte pas atteinte aux obligations découlant» de ces accords. Ceux-ci ne soulèvent donc aucun problème. Si M. Giuliani a droit à davantage en vertu des accords qu'en vertu du règlement, il peut faire valoir une prétention en ce sens. La Commission a attiré notre attention sur l'affaire 187-73, Callemeyn/Belgique
(Recueil 1974, p. 553) dans lequel la Cour a considéré que lorsque la situation inverse se présentait, c'est-à-dire lorsqu'une personne avait droit à davantage en vertu du règlement que sous le régime des accords intérimaires européens, le règlement prévalait. Sauf erreur de notre part, la Commission a suggéré qu'il en résultait que, lorsque la personne concernée avait droit à davantage en vertu des accords qu'aux termes du règlement, les accords prévalaient. Nous ne pensons cependant pas qu'il soit
nécessaire de recourir à cette jurisprudence pour parvenir à une telle conclusion. Elle découle des termes mêmes de l'article 7, paragraphe 1 b). Il est peut-être intéressant de rappeler que l'article 46, paragraphe 4, qui dispose que lorsqu'une personne a droit en application des dispositions d'une convention multilatérale à un montant total de prestations d'invalidité inférieur à celui qui serait dû en vertu de l'article 46, paragraphes 1 et 3, l'intéressé bénéficie de ce dernier montant, ne
s'applique pas aux prestations dues en vertu des accords intérimaires européens.

Pour en revenir à la convention germano-italienne, la question soulevée par le Sozialgericht peut être définie comme suit A supposer qu'aux termes de la législation allemande ayant reçu la convention, M. Giuliani avait droit à davantage qu'en application du règlement, compte tenu de l'article 46, paragraphe 3, le Conseil avait-il le pouvoir d'adopter des mesures le privant de cette situation plus favorable?

Le Sozialgericht se réfère à cet égard à l'article 234 du traité. Mais à notre avis cet article n'entre pas en ligne de compte parce que, selon ses propres termes, il ne s'applique qu'aux «conventions conclues … entre un ou plusieurs États membres d'une part, et un ou plusieurs États tiers d'autre part». Le Sozialgericht se réfère également à un arrêt du Bundessozialgericht du 29 mars 1973 (Az. 4 RJ 351/71). Mais à notre avis, bien que cet arrêt soit sans aucun doute correct, il n'entre pas non plus
en ligne de compte. Il avait pour objet une convention bilatérale conclue entre l'Allemagne et la France mais l'intéressé dont les droits étaient en cause, bien qu'il ait travaillé tant en Allemagne qu'en France, était un ressortissant américain de sorte qu'il se situait en dehors du champ d'application du règlement no 1408/71 aux termes de l'article 2 de ce règlement qui limite son application aux ressortissants des États membres.

L'idée sur laquelle se fonde la question du Sozialgericht nous semble néanmoins pertinente. Le raisonnement suivi dans les arrêts rendus par cette Cour dans les affaires Petroni et Strehl est que l'article 51 du traité confère au Conseil le pouvoir (et l'obligation) «d'adopter dans le domaine de la sécurité sociale les mesures nécessaires pour l'établissement de la libre circulation des travailleurs» mais qu'il n'habilite pas le Conseil à légiférer au détriment des travailleurs qui exercent leurs
droits de libre circulation. Ce raisonnement doit être également applicable, peu importe que l'avantage que la législation du Conseil tente de retirer aux travailleurs découle de la seule législation nationale ou de la législation nationale ayant reçu une convention internationale, et, ajouterons-nous, peu importe que cette réception soit effectuée à l'aide d'une loi nationale ou simplement parce que la constitution de l'État membre concerné est «moniste». Nous réalisons que cette conclusion est,
par son résultat, en contradiction avec la décision rendue par la Cour dans l'affaire Walder mais nous la considérons comme inévitable, et nous avons déjà indiqué les raisons pour lesquelles cette décision n'est pas péremptoire à cet égard. L'arrêt rendu dans l'affaire Duffy (déjà citée) nous semble plus pertinent: dans cet arrêt la Cour a explicitement assimilé, au neuvième attendu, «les conventions particulières entre les États membres» à la législation nationale en énonçant la règle selon
laquelle les règlements communautaires ne sauraient réduire les droits que les travailleurs ont acquis en application d'une telle législation.

Les conclusions sur l'affaire Giuliani

En conséquence, nous vous suggérons, Messieurs, de répondre aux questions déférées à la Cour par le Sozialgericht en statuant comme suit:

1) L'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 du Conseil est incompatible avec l'article 51 du traité dans la mesure où il impose une limitation de cumul de deux prestations acquises dans différents États membres par une diminution du montant d'une prestation acquise en vertu de la seule législation d'un État membre.

2) A cette fin

a) une prestation ne doit pas être considérée comme acquise en vertu de la seule législation d'un État membre si le bénéficiaire ne peut en demander le paiement qu'en invoquant l'article 10 du règlement;

b) une prestation doit être considérée comme acquise en vertu de la seule législation d'un État membre si le bénéficiaire peut en demander le paiement en vertu de cette législation pour autant que celle-ci a reçu une convention bilatérale à laquelle l'article 6 a) du règlement est déclarée applicable.

3) Le règlement ne porte pas atteinte aux obligations des États membres découlant des accords intérimaires européens du 11 décembre 1953 concernant la sécurité sociale, conclus entre les États membres du Conseil de l'Europe, lorsque les dispositions de ces accords sont plus favorables aux travailleurs concernés que celles du règlement.

Nous en arrivons aux affaires belges.

Affaires belges

La question qu'elles soulèvent

Vous vous souvenez, Messieurs, que, dans l'affaire Strehl, la Cour a invité le Conseil et la Commission à lui fournir les informations dont ils disposaient quant aux effets de l'arrêt rendu dans l'affaire Petroni sur l'application du règlement no 1408/71 par les institutions nationales compétentes en matière de sécurité sociale. Le Conseil n'a pas répondu à cette invitation mais la Commission l'a fait. Abstraction faite du problème concernant les affaires antérieures, il résultait de cette réponse
que:

1) tous les Etats membres avaient donné à leurs institutions l'instruction de ne plus appliquer l'article 46, paragraphe 3;

2) la discussion au sein de la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (instituée par l'article 80 du règlement no 1408/71) avait révélé que l'on considérait que l'arrêt rendu dans l'affaire Petroni ne soulevait aucune difficulté lorsque les législations en cause dans une affaire particulière relevaient toutes du (type B (c'est-à-dire subordonnaient le montant des prestations à la durée des périodes d'assurance) sauf lorsque l'une d'entre elles tenait compte de
périodes d'assurance fictives;

3) dans une affaire où les législations appliquées étaient une combinaison du type B et du type A (le montant de la prestation dans ce dernier cas étant indépendant de la durée des périodes d'assurance), les représentants des États membres appliquant une législation du type A avaient fait valoir que finapplicabilité de l'article 46, paragraphe 3, donnait lieu à un cumul injustifié de prestations, qu'il serait, à leur avis, légitime d'empêcher en introduisant des dispositions appropriées dans leur
législation. La Commission a contesté cette thèse au motif qu'elle serait incompatible avec l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71.

Parmi les documents produits dans l'affaire Mura figure une note datée du 5 mai 1976 préparée par le secrétariat du comité consultatif pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (institué par l'article 82 du règlement) qui confirme les informations ainsi données à la Cour par la Commission. La note mentionne en particulier que les États membres qui souhaitent recourir à des dispositions anticumul dans la législation nationale se fondent sur l'énoncé des arrêts rendus dans l'affaire 12-67,
Guissart/Belgique (Recueil 1967, p. 552 à 563), dans l'affaire 140-74, l'affaire Mancuso (Recueil 1973, p. 1449, à la page 1456 — dix-huitième attendu de l'arrêt), et à l'affaire Massonet (déjà citée, voir les vingt-sixième et vingt-huitième attendus de l'arrêt). Dans l'affaire Strehl, nous avons exprimé l'opinion selon laquelle, au regard de cette jurisprudence, il était clair qu'un État membre appliquant une législation de type B permettant de créditer un travailleur de périodes d'assurance
fictives aurait la faculté d'empêcher par la même législation le cumul de ces périodes avec des périodes d'assurance réelles accomplies par le même travailleur dans un autre État membre. Nous n'avons pas examiné la question de savoir si cette jurisprudence s'étendait au cas d'un État membre appliquant une législation de type A. C'est, Messieurs, dans un sens la question que vous devez trancher en l'espèce. Nous disons «dans un sens» parce que cette jurisprudence portait sur l'interprétation de
article 11 du règlement no 3 alors que la disposition qui est ici en cause est la disposition qui lui a succédé, l'article 12 du règlement no 1408/71. Cependant, il ne nous semble pas que les dispositions pertinentes de l'article 12, c'est-à-dire celles du paragraphe 2, diffèrent de manière sensible de celles du paragraphe (paragraphe 2) correspondant de l'article 11.

L'article 12, paragraphe 2, dispose:

«Les clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation d'un Etat membre en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale ou avec d'autres revenus sont opposables aux bénéficiaires, même s'il s'agit de prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre ou de revenus obtenus sur le territoire d'un autre État membre. Toutefois, il n'est pas fait application de cette règle lorsque l'intéressé bénéficie de prestations de
même nature d'invalidité, de vieillesse, de décès (pension) ou de maladie professionnelle qui sont liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres conformément aux dispositions des articles 46, 50, 51 ou de l'article 60, paragraphe 1, alinéa b).»

Pour les présentes affaires, il n'y a pas lieu de se préoccuper des références aux articles 50, 51 et 60, paragraphe 1, alinéa b).

La législation nationale visée en l'occurrence est la législation belge relative aux pensions d'invalidité des ouvriers mineurs qui est gérée par le FNROM. Pour autant qu'elle revêt de l'importance dans ces affaires, cette législation est en substance contenue dans un arrêté royal du 19 novembre 1970 (Moniteur belge du 26. 11. 1970). Elle est complexe et son incidence à certains égards a fait l'objet de certaines discussions. Toutefois, les points suivants semblent être généralement admis: aux
termes de l'article 1 de l'arrêté royal, un ouvrier mineur a droit à une pension d'invalidité si, après avoir été employé comme tel pendant au moins 10 ans, il est frappé d'incapacité de travail normal. La période de stage de dix ans est réduite à 5 ans dans le cas d'un mineur de fond, cela, dans certaines circonstances. Selon l'article 4, le montant de la pension est fixé à une somme annuelle exprimée en francs belges qui varie seulement selon que le mineur concerné travaillait au fond ou en
surface et selon qu'il est marié ou non. Le montant ne varie pas en fonction de la durée de son service ou selon la durée des périodes d'assurance. L'article 23 contient une série de dispositions relatives au cumul de prestations. Le paragraphe 1 de cet article dispose en particulier qu'une pension d'invalidité accordée en vertu de l'arrêté royal ne peut être cumulée avec une ou plusieurs pensions de retraite ou d'invalidité que jusqu'à concurrence du montant annuel de la pension fixé à l'article 4
pour les mineurs de fond, mariés ou non, selon les cas. Il apparaît que, selon le droit belge, cette disposition doive être interprétée comme s'appliquant à toutes les autres pensions de retraite ou d'invalidité, qu'elles soient en vertu de la législation belge ou en vertu d'une quelconque législation étrangère. L'article 23, paragraphe 4 énonce des dispositions limitant la proportion dans laquelle des pensions d'invalidité payables aux termes de l'arrêté royal peuvent être cumulées avec des
prestations accordées au titre d'accidents du travail ou de maladie professionnelle.

Le droit à une pension en vertu de l'arrêté royal ne dépend en aucune manière de la nationalité ou de la résidence du travailleur concerné, de sorte qu'il ne surgit dans ces affaires aucun problème de la nature de ceux qui sont soulevés par l'affaire Giuliani. En fait, les trois requérants résident en Belgique.

En substance la question ainsi soulevée dans ces affaires est de savoir si l'article 12, paragraphe 2 du règlement no 1408/71 empêche ou non l'application par le FNROM de l'article 23, paragraphe 1 de l'arrêté royal aux pensions payables en vertu de la législation d'autres États membres.

Affaire Manzoni

Les faits de l'affaire Manzoni peuvent être résumés comme suit

M. Manzoni est né le 5 octobre 1930. Il a travaillé en Italie du mois de septembre 1944 au mois de juillet 1950 (c'est-à-dire lorsqu'il était âgé de moins de 20 ans) et en Belgique, comme mineur de fond, de 1952 à 1972 lorsqu'il a été frappé d'incapacité de travail. Le FNROM lui a octroyé à partir du 1er décembre 1972 une pension intégrale en application de l'arrêté royal au titre de la seule législation belge. En novembre 1974, l'institution italienne compétente a achevé l'examen de son cas et lui
a accordé une pension d'invalidité italienne avec effet rétroactif au 1er décembre 1972. Il apparaît que la législation italienne en cause relève du type B et que M. Manzoni a acquis son droit à pension sur la base de la totalisation et de la proratisation, conformément aux dispositions des articles 45 et 46, paragraphe 2, du règlement no 1408/71. Ayant été informé de l'octroi à M. Manzoni de sa pension italienne, le FNROM a procédé à la révision de son dossier et, en prétendue application de
l'article 46, paragraphe 3, il a réduit en principe sa pension belge à concurrence du montant de sa pension italienne. Nous disons «en principe» parce que les calculs étaient compliqués du fait de la nécessité de tenir compte, conformément à l'article 23, paragraphe 4 de l'arrêté, des prestations dont M. Manzoni bénéficiait également en Belgique au titre de sa maladie professionnelle (silicose). Pour cette raison nous nous abstiendrons d'énumérer tous les chiffres entrant en ligne de compte. Ils
sont expliqués dans une «note complémentaire» préparée au nom de M. Manzoni et présentes au greffe le 29 mars 1977. Cette note indique que le résultat net était une réduction de la pension de M. Manzoni de 3562 FB, mis à part l'effet de l'indexation. La décision formelle du FNROM procédant à la réduction était datée du 9 décembre 1975 et elle exigeait de M. Manzoni le remboursement de 12523 FB au titre de paiements indus de pension effectués dans le passé. M. Manzoni a introduit un recours contre
cette décision auprès du tribunal du travail de Charleroi en se fondant sur l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Petroni.

L'ordonnance de renvoi du tribunal ne pose aucune question sur l'article 12, paragraphe 2 du règlement no 1408/71. La défense de M. Manzoni nous a indiqué qu'elle avait suggéré une telle question au tribunal mais que sa suggestion n'avait pas été retenue. L'explication réside, pensons-nous, dans la nature des arguments qui ont été avancés devant le tribunal par le FNROM. Pour les comprendre, il faut se rappeler que le tribunal a examiné l'affaire Manzoni avant que la Cour ne rende son jugement dans
l'affaire Strehl. De fait, la plus grande partie de la procédure écrite devant la Cour avait alors déjà eu lieu. Cependant, à l'issue de l'audience devant la Cour, il a été admis, ou en tout cas il est devenu évident, par suite de questions posées au Conseil par deux d'entre vous, Messieurs, et par nous-même, que la véritable question dans l'affaire était celle de l'effet de l'article 12, paragraphe 2. Toutefois nous devons bien entendu examiner, bien qu'aussi brièvement que possible, les questions
concrètes qui sont déférées à la Cour par le tribunal et les raisonnements du FNROM (soutenu par le gouvernement belge) dont elles s'inspirent.

Le FNROM a fait valoir deux arguments qui, bien qu'ils se rejoignent, sont différents. Le premier est que l'affaire Petroni pouvait faire l'objet d'une distinction parce qu'elle avait pour objet une pension de retraite, alors qu'ils s'agissait en l'espèce d'une pension d'invalidité. Le second était fondé sur l'affirmation (que le tribunal semble endosser) selon laquelle une pension d'invalidité accordée en vertu de l'arrêté royal correspond à la pension de retraite payable à un ouvrier mineur en
vertu de la législation belge pertinente aux termes d'une carrière complète de 30 ans. Sur cette base le FNROM a affirmé que lorsque, comme en l'espèce, le bénéficiaire avait été employé dans les mines belges pendant moins de 30 ans et qu'il avait, pendant une partie de la période de trente ans précédant son incapacité, été employé et assuré ailleurs, la période pendant laquelle il avait été employé et assuré ailleurs devait être considérée comme une période d'assurance active se superposant à une
période d'assurance fictive qui lui est reconnue en vertu de la législation belge. Dans de telles circonstances, a déclaré le FNROM, le raisonnement suivi par la Cour dans un certain nombre d'affaires a montré que le principe sur lequel l'arrêt rendu dans l'affaire Petroni était fondé, ne s'appliquait pas. Ces affaires, comme le révèle l'ordonnance de renvoi, étaient l'affaire 1-67, Ciechelski (Recueil 1967, p. 235), l'affaire Guissart (déjà citée), l'affaire Duffy (déjà citée), l'affaire 27-71,
Keller (Recueil 1971, p. 885) et l'affaire 191-73, Niemann (Recueil 1974, p. 571 — sixième attendu de l'arrêt).

Les questions déférées à la Cour par le tribunal et qui reflètent, comme nous l'avons dit, ces arguments, sont libellées comme suit:

«1. Dans le régime de pension d'invalidité des ouvriers mineurs tel qu'il résulte actuellement de l'arrête royal du 19 novembre 1970 et des arrêtés modificatifs subséquents, la réduction de la pension accordée par la Belgique en raison d'avantages servis par d'autres États membres, réduction opérée en exécution de l'article 46, paragraphe 3 du règlement CEE no 1408/71, est-elle conforme à l'article 51 du traité de Rome?

2. Les institutions compétentes peuvent-elles réduire leurs prestations sur le pied de l'article 46, paragraphe 3, lorsque le cumul des prestations accordées par les différents États membres conduit à l'octroi d'avantages alloués en fonction des périodes d'assurance superposées?»

En ce qui concerne la première question, la Commission n'a bien sûr pas manqué de souligner que l'affaire Strehl portait sur une pension d'invalidité et en fait une pension accordée en vertu du régime qui est justement en cause en l'espèce. Il y a cependant lieu de dire, en toute équité, que dans l'affaire Strehl la question de savoir si cette affaire pouvait pour cette raison être distinguée de l'affaire Petroni n'a jamais été soulevée ou examinée. Cependant, la Commission et la défense de M.
Manzoni ont également invoqué l'affaire Mancuso (déjà citée). Le point de vue soutenu par le FNROM, en tout cas tel qu'il a été développé devant la Cour, était précisément la thèse, fondée sur les différentes caractéristiques des pensions de retraite d'une part et des pensions d'invalidité d'autre part, qui a été si énergiquement exposée par l'avocat général Trabucchi dans l'affaire Mancuso, mais que la Cour a dans ce cas néanmoins rejetée. Le FNROM (et le gouvernement belge) ont fait valoir que
l'affaire Mancuso pouvait être distinguée parce qu'elle était résolue en application du règlement no 3 qui ne contenait aucune disposition semblable à l'article 46, paragraphe 3 et parce qu'elle avait trait à l'applicabilité des procédés de totalisation et de proratisation qui ne sont pas en cause en l'espèce. Cependant, le raisonnement de la Cour, dans la mesure où il a refusé de distinguer entre les pensions de retraite et Tes pensions d'invalidité, ne se fondait pas sur de telles considérations.
Et peu importe quelles sortes de prestations sont en cause si les arrêts rendus dans les affaires Petroni et Strehl se fondent, comme nous l'avons suggéré, sur le principe que le Conseil n'est pas habilité par l'article 51 du traité à décider une réduction d'une prestation octroyée par la seule législation nationale.

En ce qui concerne la deuxième question, nous avons assisté à un débat approfondi sur la question de savoir s'il existait, dans le cadre de l'actuelle législation belge, urne corrélation entre le montant de la pension d'invalidité d'un ouvrier mineur et le montant de la pension de retraite qu'il percevrait aux termes d'un emploi de 30 ans ou de toute autre période. Si nous avons bien compris, il a été admis par la défense de M. Manzoni et par la Commission qu'une telle corrélation avait existé sous
l'empire de la législation antérieure. C'est en effet ce qui résulte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation belge dans l'affaire Vittorino/FNROM (2 octobre 1974, no R.G. 5059) auquel nous avons été renvoyés. Il a cependant été rappelé que la législation sur laquelle cet arrêt était fonde avait été abrogée et que la situation était différente dans le cas des pensions octroyées en application de l'arrêté royal du 19 novembre 1970. Nous ne proposons pas, Messieurs, d'examiner la législation belge
assez complexe sur laquelle le débat a porté, bien que nous soyons reconnaissant à l'agent de la Commission et à la défense de M. Manzoni de l'avoir exposée. Pour ce qui est du problème relevant de la législation belge, nous ne saurions exprimer une opinion quelconque à cet égard. Nous supposons, en suivant le FNROM, que l'effet produit par cette législation est celui qu'il a décrit. Il nous semble néanmoins que la thèse du FNROM n'est pas fondée. La position adoptée par la Cour dans les affaires
citées dans l'ordonnance de renvoi ne saurait certainement pas l'étayer. Elles concernaient toutes, pour autant qu'elles revêtent une importance quelconque à cet égard, le cumul éventuel de périodes d'assurance dans une situation ou la durée de celles-ci est déterminante pour le calcul d'une prestation. Comme nous l'avons relevé, le droit à prestation est en l'espèce seulement subordonné à l'accomplissement de la période de stage de dix ans et, ce droit ayant été acquis par l'accomplissement de
cette période, le montant de la prestation ne dépend en aucune manière de la durée des périodes d'assurance. M. Manzoni a en fait travaillé dans les mines belges pendant 20 ans et la période au cours de laquelle il a travaillé en Italie pendant son adolescence ne se superpose pas à ces années. Le fait que cette période n'entre pas en ligne de compte a été clairement mis en évidence par la défense de M. Manzoni lorsqu'il nous a indiqué, lors de l'audience, (sans être contredit pas la défense du FNROM
ni par l'agent du gouvernement belge) qu'aux termes de la législation belge applicable, les périodes d'emploi accomplies avant l'âge de 20 ans ne sont pas prises en compte.

En conséquence, nous estimons que le véritable problème dans cette affaire est de savoir si l'article 12, paragraphe 2 du règlement no 1408/71 empêche le FNROM d'invoquer l'article 23, paragraphe 1 de l'arrêté royal. Mais cette question n'est pas soulevée par l'ordonnance de renvoi bien qu'elle le soit par l'ordonnance de renvoi de l'affaire Greco qui, comme nous l'avons dit, a également été rendu par le tribunal du travail de Charleroi.

En conséquence, nous suggérons de répondre comme suit aux questions déférées à la Cour par le tribunal dans l'affaire Manzoni:

1) L'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 du Conseil est incompatible avec l'article 51 du traité dans la mesure où il impose une limitation de cumul de deux prestations d'invalidité acquises dans différents États membres par une diminution du montant d'une prestation acquise en vertu de la seule législation nationale.

2) Le fait que la prestation précitée peut être acquise en vertu de la législation nationale de l'État membre concerné par l'accomplissement d'une période de stage plus courte que celle qui serait requise en vertu de la législation du même État membre pour l'acquisition d'une pension de retraite d'un montant correspondant est sans importance.

Nous abordons, enfin, les affaires Mura et Greco.

Affaires Mura et Greco

Dans l'affaire Mura, les faits sont les suivants.

M. Mura est né le 28 octobre 1937. Il a travaillé comme ouvrier mineur en France de 1957 à 1962 et en Belgique de 1963 à 1973, date à laquelle il a été frappé d'incapacité de travail. Le FNROM lui a accordé, avec effet au 1er novembre 1973, une pension d'invalidité intégrale en application de l'arrêté royal du 19 novembre 1970, au titre de la seule législation belge. Il a également bénéficie, à partir de la même date, d'une pension d'invalidité française au titre de sa période d'assurance accomplie
en France. Il avait droit à cette pension grâce à la totalisation et à la proratisation effectuées en application des articles 45 et 46, paragraphe 2. Il semble que la législation française relative aux pensions d'invalidité des ouvriers mineurs soit du type B, à la différence de la plupart des législations françaises en matière de prestations d'invalidité. Informé de l'attribution de la pension française à M. Mura, le FNROM a réduit sa pension belge prétendument en application de l'article 46,
paragraphe 3. Là encore les chiffres sont compliqués du fait que M. Mura a également droit en Belgique à des prestations au titre des maladies professionnelles au regard desquelles l'article 23, paragraphe 4 de l'arrêté royal s'applique. La décision formelle du FNROM était datée du 24 mars 1975 et elle stipulait que M. Mura était tenu de rembourser une somme de 10181 FB représentant les paiements indus de pensions dont il avait bénéficié. M. Mura a introduit un recours contre cette décision devant
le tribunal du travail de Mons qui, en se conformant à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Petroni, a annulé la décision et déclaré que M. Mura avait droit, sans réduction, à sa pension belge. Le FNROM a donc interjeté appel devant la cour du travail de Mons. Devant cette cour, le FNROM a soutenu sa thèse fondée sur l'idée selon laquelle, aux termes de la législation belge, une pension d'invalidité dun ouvrier mineur correspond à une pension de retraite accordée pour 30 années de services. La
cour du travail ne semble pas avoir été impressionnée par cet argument. D'autre part, cette cour disposait d'une copie de la note que nous avons déjà mentionnée du secrétariat du Comité consultatif pour la sécurité sociale des travailleurs migrants. La cour du travail déclare, dans son ordonnance de renvoi:

«La véritable question soulevée dans cette affaire est de savoir si l'article 12 du règlement no 1408/71, autorisant le cumul des prestations, doit prévaloir à l'égard des règles internes “anticumul” dans Te cas où les règles communautaires ont pour résultat d'avantager le travailleur migrant par rapport au travailleur sédentaire.»

Et c'est la question sur laquelle l'ordonnance vous invite à vous prononcer.

Dans l'affaire Greco, les faits sont les suivants:

M. Greco est né le 9 août 1932. Il a travaillé en Italie dans l'industrie du bâtiment de 1949 à 1956 et en Belgique, comme ouvrier mineur, de 1956 à 1970, date à laquelle il a été frappé d'incapacité de travail. Le FNROM lui a accordé, avec effet au 1er avril 1971, une pension d'invalidité intégrale en application de l'arrêté royal du 19 novembre 1970. Par la suite l'institution compétente italienne lui a octroyé une pension d'invalidité au titre de sa période d'emploi en Italie. Il a été admis à
celle-ci grâce à la totalisation et à la proratisation. Sur ce, le FNROM a décidé de réduire sa pension belge mais, dans son cas, il l'a fait en s'appuyant purement et simplement sur les dispositions de l'article 23, paragraphe 1 de l'arrêté royal. Le FNROM a reconnu qu'il ne pouvait recourir à l'article 46, paragraphe 3 du fait de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Petroni. La décision du FNROM, qui était datée du 9 novembre 1976, fixait, à l'instar de ses décisions dans les affaires Manzoni
et Mura, les paiements indus de pensions que le FNROM souhaitait voir rembourser par M. Greco, mais il les a chiffrés séparément selon qu'ils concernaient la période antérieure ou la période postérieure au 1er octobre 1972, date à laquelle le règlement no 3 a été remplacé par le règlement no 1408/71. Pour la période antérieure à cette date, ils ont été chiffrés à 10260 FB, pour la période postérieure à 41433 FB. M. Greco a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal du travail de
Charleroi. Dans son ordonnance de renvoi, le tribunal est d'avis que des considérations différentes s'appliquent aux deux périodes. Il affirme de façon énigmatique qu'aucun problème ne se pose pour la période antérieure au 1er octobre 1972 puisque la réduction appliquée à la pension de M. Greco pour cette période est conforme à la jurisprudence de la Cour et à l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans l'affaire Vittorino. Bien entendu, nous n'avons pas pour tâche de chercher à résoudre cette
énigme. Pour ce qui est de la période postérieure, le tribunal défère à la Cour la question suivante:

«L'article 12, paragraphe 2 du règlement (CEE) no 1408/71 est-il compatible avec la réduction d'une pension d'invalidité accordée par un État membre dans le cadre de l'article 46, paragraphe 1 en raison d'avantages de même nature liquidés par l'institution d'un autre État membre et ce en exécution des dispositions de droit interne du premier État membre?»

La question posée à la Cour dans l'affaire Greco est donc en substance la même que celle qui lui est posée dans l'affaire Mura.

A notre avis, il s'agit purement d'une question d'interprétation de l'article 12, paragraphe 2 et nous l'aborderons en ce sens.

Notre attention a été attirée sur deux précédents qui, a-t-on dit, avaient un rapport avec la question, à savoir l'affaire Duffy (déjà citée) et l'affaire 184-73, Bestuur van de N.A.B./Kaufmann (Recueil 1974, p. 517). Ces deux affaires avaient pour objet l'interprétation de la première phrase de l'article 11, paragraphe 2 du règlement no 3 qui correspond à la première phrase de l'article 12, paragraphe 2 du règlement no 1408/71. Vous vous souvenez, Messieurs, que la première phrase dispose que «les
clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation d'un État membre en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale … sont opposables aux bénéficiaires, même s'il s'agit de prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre …»

Le point débattu dans l'affaire Duffy était l'effet d'une disposition législative française qui, comme on l'a admis, empêchait seulement, selon le droit français, le cumul de prestations accordées par la législation française. La question était de savoir si l'article 11, paragraphe 2 étendait l'effet de cette disposition de manière à empêcher qu'une prestation accordée par la législation belge se superpose à une prestation octroyée par la législation française. La Cour a estimé que l'article 11,
paragraphe 2 ne pouvait pas être invoqué à cette fin lorsque le bénéficiaire avait droit à chaque prestation au titre de la seule législation nationale pertinente et qu'il n'avait donc pas besoin de recourir au droit communautaire pour revendiquer l'une ou l'autre d'entre elles. Cette jurisprudence ne peut pas porter directement sur l'espèce présente dans laquelle le FNROM invoque l'article 23, paragraphe 1 de l'arrêté royal en se fondant sur ce que, selon le droit belge et sans qu'il soit fait
appel à l'article 12, paragraphe 2, cette disposition concerne tant les prestations accordées par une législation étrangère que les prestation octroyées par la législation belge. Mais l'affaire Duffy peut, à notre avis, présenter un rapport indirect avec la présente affaire pour la raison que nous indiquerons dans un instant

L'affaire Kaufmann avait pour objet une disposition législative néerlandaise qui, par elle-même, visait seulement à empêcher le cumul de prestations de sécurité sociale néerlandaises. Mais M. Kaufmann ne pouvait demander son admission aux prestations néerlandaises qu'en invoquant le droit communautaire. En conséquence, l'affaire a été débattue et tranchée au regard du fait que l'article 11, paragraphe 2 étendait l'effet de cette disposition néerlandaise de manière à empêcher dans son cas que la
prestation néerlandaise ne se superpose à une prestation allemande. Cette jurisprudence n'a pas non plus de rapport direct avec le cas présent puisqu'en l'espèce chacun des requérants a droit à sa pension belge sans faire appel au droit communautaire. Le seul intérêt de l'affaire Kaufmann est, à notre avis, de fournir un contraste avec l'affaire Duffy.

Les affaires présentes ont trait non pas à l'interprétation de la première phrase de l'article 12, paragraphe 2, mais à l'interprétation de la deuxième qui exclut l'application de la première, lorsque, pour autant qu'il nous importe ici, «l'intéressé bénéficie de prestations de même nature d'invalidité, … qui sont liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres conformément aux dispositions des articles 46,…»

A notre avis, cette disposition ne peut pas être appliquée dans les présentes affaires, et ce pour deux raisons.

D'abord elle constitue une dérogation aux dispositions de la première phrase de l'article 12, paragraphe 2 et ne peut donc s'appliquer que si la première phrase s'applique prima facie. A notre avis, la première phrase ne s'applique pas en l'espèce parce que les requérants au principal ont droit à leur pension belge indépendamment du droit communautaire.

Les cas présents sont à cet égard analogues à l'affaire Duffy. Nous négligeons pas le fait que dans l'affaire Duffy intéressé avait droit à ses prestations tant en France qu'en Belgique, indépendamment du droit communautaire, alors qu'en l'espèce les requérants ont droit à leurs pensions italiennes ou française au titre du seul droit communautaire mais nous ne pensons pas, eu égard à d'autres décisions rendues par cette Cour, que cela puisse affecter leur situation en Belgique.

En second lieu, et quoi qu'il en soit, les pensions belges des requérants ne leur ont pas été accordées «conformément aux dispositions de l'article 46». Ils en ont bénéficié au titre de la seule législation belge. Soutenir une thèse différente, comme l'ont fait les représentants des requérants, de la Commission et du gouvernement italien, serait chercher à ressusciter le raisonnement erroné sur lequel était fondée la thèse essentielle qui a été soutenue au nom de l'ONPTS et du Conseil dans l'affaire
Petroni (voir à cet égard Recueil 1975, p. 1167). Il est vrai que le premier paragraphe de l'article 46, (1), demande à l'institution compétente d'un État membre de déterminer, en effet, comme première étape dans le calcul prescrit par cet article, le montant de la prestation, s'il y a lieu, auquel l'intéressé a droit au titre de la seule législation de cet État membre. Mais cela ne signifie pas que cette personne acquiert le droit à cette prestation en vertu de l'article 46. En effet, s'il en était
ainsi, il n'y aurait aucune raison pour que la prestation ne soit pas assujettie à la réduction en application de l'article 46, paragraphe 3. On ne saurait affirmer en même temps que la prestation est acquise indépendamment de l'article 46, de sorte que l'article 46, paragraphe 3 ne peut pas être appliqué, et qu'elle est acquise «conformément aux dispositions» de l'article 46, aux fins des dispositions de l'article 12, paragraphe 2.

Nous trouvons quelque satisfaction dans le fait que nos conclusions sont en accord avec celles du gouvernement néerlandais, et bien sûr également avec les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Guissart, Mancuso et Massonet, et particulièrement en ce qui concerne les deux derniers.

Les gouvernements de Belgique et du Royaume-Uni ont l'un et l'autre abordé le problème en considérant que les dispositions de l'article 12, paragraphe 2 s'appliquaient en l'espèce. Mais les conclusions qu'ils en ont tirées étaient divergentes.

Le gouvernement belge en a conclu que si l'article 46, paragraphe 3 était incompatible avec le traité, l'article 12, paragraphe 2 devait l'être également, car autrement rien n'empêcherait ce que le gouvernement belge considère comme un cumul «injustifiable» de prestations à l'avantage des travailleurs migrants. Comme, à notre avis, l'article 12, paragraphe 2 ne produit pas l'effet que le gouvernement belge envisage, il ne nous semble pas nécessaire d'approfondir cette question.

Le point central des observations du gouvernement du Royaume-Uni semble être que l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Petroni doit être erroné, ou en tout cas entaché d'erreur dans la mesure où il s'applique à un cas dans lequel le travailleur concerné a droit à une prestation dans un État membre au titre de la seule législation de cet État mais a droit à une prestation dans un autre État membre, en raison seulement de la totalisation et de la proratisation en application des articles 45 et 46,
paragraphe 2, du règlement no 1408/71. L'idée qui est à la base de cette thèse est suffisamment claire mais il est beaucoup trop tard pour en tirer la conclusion que le Conseil peut prévoir, dans ce cas, une réduction de la prestation exigible au titre de la seule législation nationale. Comme nous nous sommes appliqué à le souligner dans l'affaire Petroni (voir Recueil 1975, p. 1166-1167) et dans l'affaire Strehl (voir Recueil 1977 aux pages 221-222), la conclusion est que le Conseil a la
possibilité, s'il le juge utile, de prescrire une réduction de la prestation exigible au titre de la seule législation communautaire. Le Conseil n'a cependant pas utilisé ce pouvoir. Cela est peut-être dû au fait que, comme les exemples contenus dans l'annexe aux observations de la Commission dans l'affaire Mura le révèlent, les cas les plus extrêmes de cumul de prestations en faveur de travailleurs migrants se produisent lorsqu'un tel travailleur a droit aux prestations dans chaque État membre
concerné au titre de la seule législation de cet État. La thèse du gouvernement du Royaume-Uni ne serait évidemment pas pertinente au regard de cette situation.

Le gouvernement du Royaume-Uni soulève cependant un point important qui est très proche d'une observation faite par la Commission, à savoir que si, dans une situation telle qu'elle existe dans les présentes affaires, les seules dispositions applicables en ce qui concerne le cumul de prestations sont celles que prévoient les législations nationales, il est inévitable qu'il y ait une absence d'uniformité dans le traitement des travailleurs migrants entre un État membre et un autre, dans la mesure où
la législation d'un État membre peut ne pas contenir de telles dispositions tandis que, dans ceux des États où de telles dispositions existent, leur effet est susceptible de varier. Le point connexe évoqué par la Commission est qu'un problème peut surgir lorsque, dans un cas particulier, les dispositions anticumul prévues dans les législations de plusieurs États membres s'appliquent prima facie. Laquelle alors, demande la Commission, doit prévaloir?

Ces points appellent de notre part les commentaires suivants, tout en notant au préalable que la fonction de la Cour est d'interpréter les actes communautaires, en l'occurrence l'article 12, paragraphe 2 du règlement no 1408/71, et non de les modifier. Si ces actes, correctement interprétés, aboutissent à ce qui est considéré comme des résultats fâcheux, le remède est entre les mains du Conseil et non pas dans celles de la Cour. Néanmoins,

1) il n'y a rien de singulier ou d'inhabituel dans le fait que les travailleurs migrants soient traités d'une manière différente dans les divers États membres. Comme la Cour l'a si souvent souligné, c'est, n'en déplaise au Sozialgericht de Augsburg, le résultat inévitable du fait que le droit communautaire ne cherche pas (en tout cas jusqu'à présent) à faire davantage que coordonner, sans les harmoniser, les différents régimes de sécurité sociale des États membres. Les observations très approfondies
et pertinentes de la Commission dans l'affaire Mura démontrent que, faute d'une telle harmonisation, il n'existe pas de solution possible qui puisse éliminer toutes les anomalies.

2) Le fait que dans des circonstances telles que celles des espèces présentes l'article 12, paragraphe 2 n'exclut pas, si nous avons raison, l'application de dispositions anticumul nationales, a pour résultat tangible que, comme le gouvernement néerlandais l'a souligné dans de tels cas, un travailleur migrant aura droit dans chaque État membre à la prestation la plus avantageuse dont il est titulaire soit en application du règlement no 1408/71, en tenant dûment compte de l'article 46, paragraphe 3,
soit en application de la seule législation de cet État membre, compte tenu de toute disposition anticumul qu'elle est susceptible de contenir.

3) Ainsi que le rappelle la note, préparée par le secrétariat du Comité consultatif pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, que nous avons mentionnée, on peut soutenir qu'il existe actuellement une lacune dans l'article 7 du règlement no 574/72, dans la mesure où cet article ne résoud pas certains problèmes qui découlent de l'incidence simultanée de différentes dispositions anticumul nationales sauf lorsque les dispositions de l'article 12 du règlement no 1408/71 s'appliquent.

Nous devons enfin évoquer un problème fondamental que la Commission a soulevé, à savoir que s'il est exact que, comme le gouvernement néerlandais le soutient et comme nous le pensons, l'article 12, paragraphe 2 n'interdit pas l'application, dans des cas tels que ceux des espèces présentes, de dispositions anticumul nationales, les États membres ont la voie libre pour parvenir à l'aide de leurs propres législations précisément au résultat que, selon la Cour, le Conseil n'était pas habilité à obtenir
au moyen des dispositions de l'article 46, paragraphe 3. La question est de savoir si un tel résultat est compatible avec le traité.

Nous pensons qu'il l'est. Le traité ne vise pas à déterminer quelles prestations de sécurité sociale peuvent être accordées aux travailleurs par les législations des États membres. Ce que la Cour s'est bornée à constater est que le traité ne confère pas au Conseil le pouvoir de priver un travailleur de droits qui lui ont été accordés par la législation d'un État membre. Comme nous l'avons souligné dans l'affaire Strehl (Recueil 1977 aux pages 223-224) la question de savoir ce qui constitue un cumul
de prestations «injustifiable» est une question d'ordre moral ou politique qui ne saurait être appréciée sur la base de critères juridiques objectifs. Ce n'est pas une question que les auteurs du traité ont cherché à résoudre et nous estimons qu'il n'y a rien de choquant à conclure qu'il s'agit d'une question dans laquelle les organes législatifs des États membres conservent une certaine liberté d'appréciation.

Cependant, ce qui nous a été dit sur les effets pratiques de l'application de l'article 23, paragraphe 1 de l'arrêté royal dans l'affaire Greco, nous incite à exprimer une réserve. Il serait clairement incompatible avec le traité qu'un État membre applique une disposition de sa législation nationale de façon à créer une situation dans laquelle une personne, qui a travaillé dans cet État membre et dans un autre, perçoive au total moins qu'elle ne recevrait en fait si elle n'avait jamais travaillé
ailleurs que dans cet État membre. Cela constituerait en effet une discrimination à l'encontre d'un travailleur migrant. Comme cet aspect a été à peine discuté, nous nous abstiendrons de l'examiner davantage mais nous pensons que l'arrêt que vous rendrez, Messieurs, dans les affaires Mura et Greco, devraient y faire allusion.

En conséquence nous estimons qu'il y a lieu de statuer en ce sens que lorsqu'une prestation est acquise au titre de la seule législation nationale d'un État membre, l'article 12 du règlement no 1408/71 n'interdit pas l'application d'une disposition de cette législation aux fins de la réduction de cette prestation dans la mesure où elle se superpose à une prestation acquise au titre de la législation d'un autre État membre, pour autant que l'application de cette disposition n'entraîne pas une
discrimination à l'égard des travailleurs migrants.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 112-76.
Date de la décision : 20/09/1977
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi - Belgique.

Affaire 112-76.

Fonds national de retraite des ouvriers mineurs contre Giovanni Mura.

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons - Belgique.

Affaire 22-77.

Fernando Greco contre Fonds national de retraite des ouvriers mineurs.

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi - Belgique.

Affaire 37-77.

Antonio Giuliani contre Landesversicherungsanstalt Schwaben.

Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Augsburg - Allemagne.

Affaire 32-77.

Sécurité sociale des travailleurs migrants.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Renato Manzoni
Défendeurs : Fonds national de retraite des ouvriers mineurs.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1977:133

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