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13/07/1977 | CJUE | N°27-77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 13 juillet 1977., Compagnie Cargill contre Office national interprofessionnel des céréales (ONIC)., 13/07/1977, 27-77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 13 JUILLET 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire vous est soumise sur renvoi préjudiciel du tribunal administratif de Paris. Le demandeur dans la procédure devant ce tribunal est la compagnie Cargill, qui exerce son activité à Paris notamment comme exportatrice de céréales (nous l'appellerons «Cargill»). La défenderesse est l'Office national interprofessionnel des céréales (ou «ONIC»), qui est l'organisme français responsable de l'appl

ication de la législation communautaire relative à l'organisation commune des marchés des cé...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 13 JUILLET 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire vous est soumise sur renvoi préjudiciel du tribunal administratif de Paris. Le demandeur dans la procédure devant ce tribunal est la compagnie Cargill, qui exerce son activité à Paris notamment comme exportatrice de céréales (nous l'appellerons «Cargill»). La défenderesse est l'Office national interprofessionnel des céréales (ou «ONIC»), qui est l'organisme français responsable de l'application de la législation communautaire relative à l'organisation commune des marchés des céréales,
y compris celle concernant les montants compensatoires, dans la mesure où ils s'appliquent au commerce des céréales.

L'affaire a fait l'objet d'une assez longue et très savante discussion. Au nom de Cargill, on a allégué qu'elle soulevait des questions de grande portée. A notre avis, toutefois, il s'agit d'une affaire très simple et les considérations qui revêtent de l'importance pour sa solution sont étroitement limitées.

L'affaire concerne essentiellement la validité du règlement CEE no 2042/73 de la Commission du 27 juillet 1973«portant mesures transitoires en vue de l'application du nouveau système des montants compensatoires monétaires valables à partir du 4 juin 1973».

Ce n'est pas la première fois que la Cour a à examiner ce règlement et la législation qui a introduit le «nouveau système» de montants compensatoires monétaires auquel il se réfère. Dans les affaires 95 à 98-74 et 15 et 100-75 Union nationale des coopératives agricoles de céréales et autres/Commission et Conseil (Rec. 1975, volume 21, p. 1615, les «Affaires des coopératives agricoles»), elle était saisie d'un certain nombre de recours intentés en vertu de l'article 178 du traité CEE par des
exportateurs français de céréales qui prétendaient qu'ils avaient subi un dommage susceptible de donner lieu à une action judiciaire à la suite de l'introduction de ce nouveau système, dommage qui, disaient-ils, était insuffisamment compensé par les mesures transitoires contenues dans le règlement no 2042/73. Dans chaque cas, les recours ont tous échoué sur les faits.

Dans ces conditions nous pouvons, nous l'espérons, être relativement brefs dans la description de la législation en question.

Dès le début en 1971 jusqu'à l'indroduction du nouveau système en 1973, les montants compensatoires monétaires ont été calculés, conformément à l'article 2, paragraphe 1, du règlement du Conseil (CEE) no 974/71, «en appliquant aux prix le pourcentage représentant l'écart entre la parité de la monnaie nationale de l'État membre en cause déclarée auprès du Fonds monétaire international et reconnue par celui-ci» d'une part, et le cours de change au comptant de cette monnaie par rapport au dollar des
États-Unis d'Amérique, d'autre part. Pendant les mêmes périodes, les prélèvements sur les importations de la Communauté et les restitutions sur les exportations en provenance de la Communauté payables en vertu de la législation régissant l'organisation commune des marchés agricoles (dans le cas des céréales en vertu des articles 13 et 16 du règlement du Conseil no 120/67/CEE) étaient calculés en référence aux prix mondiaux établis en dollars des États-Unis d'Amérique convertis au pair, bien que,
depuis la suspension de la convertibilité du dollar en or en août 1971, la valeur réelle ou marchande du dollar ait été inférieure à sa parité. En général, cela n'avait aucune conséquence parce que les montants compensatoires compensaient la différence entre les prélèvements ou les restitutions ainsi calculés artificiellement et ce qu'auraient été leurs montants s'ils avaient été calculés sur la base de la valeur réelle du dollar.

Le 11 mars 1973, le Conseil a accepté l'institution de ce qui devait être appelé «le serpent», c'est-à-dire le système en vertu duquel le plus grand nombre des monnaies des États membres flottent ensemble par rapport à d'autres monnaies, tout en maintenant entre elles une variation maximale de 2,25 % dans leurs cours de change au comptant à un moment donné. Au début, les seules monnaies communautaires se trouvant en dehors du serpent étaient la livre irlandaise, la lire italienne et la livre
sterling. Chacune d'entre elles continuait de flotter indépendamment.

Le 12 mars 1973, le Conseil a demandé à la Commission d'émettre des propositions en vue d'une réforme du système des montants compensatoires pour tenir compte de la nouvelle situation ainsi créée. Ces propositions ont été présentées et publiées par la Commission le 21 mars 1973. Elles ont abouti à l'adoption par le Conseil, le 30 avril 1973, du règlement CEE no 1112/73, qui a amendé l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 974/71, de manière à rendre les montants compensatoires calculables non
plus en référence au dollar des États-Unis d'Amérique, mais en référence à des «taux centraux» des monnaies se trouvant dans le serpent. L'effet de ces dispositions, pour autant qu'elles aient de l'importance en l'espèce, a été d'éliminer les montants compensatoires sur les exportations en provenance de France.

L'article 3 du règlement no 1112/73 a prévu que ce règlement serait applicable «à partir du jour où entreraient en vigueur les modalités nécessaires à son application». En fait, ces modalités ont été fixées par le règlement de la Commission (CEE) no 1463/73 du 30 mai 1973. En vertu de l'article 19 de ce règlement, elles sont entrées en vigueur le 4 juin 1973, qui a été aussi la date de leur publication au Journal officiel. Dans le même temps, le mode de calcul des prélèvements et des restitutions en
référence à la parité officielle du dollar des États-Unis d'Amérique a été abandonné en faveur d'un système en vertu duquel ils étaient calculés en référence aux taux de change réels.

Le règlement no 2042/73 (JO no L 207 du 28 juillet 1973), (dont la validité est en cause dans cette affaire) a été, comme nous l'avons dit, adopté par la Commission le 27 juillet 1973. Son préambule expose notamment que:

«l'une des conséquences de l'instauration du nouveau régime des montants compensatoires monétaires avec effet au 4 juin 1973 est que le montant compensatoire monétaire d'un État membre n'exprime plus la relation de sa monnaie par rapport au dollar des États-Unis; … la fluctuation du dollar et de toute autre monnaie par rapport aux monnaies des États membres flottant ensemble est prise en considération pour le calcul du prélèvement et de la restitution; … le nouveau système oblige donc les opérateurs
à se couvrir eux-mêmes des risques de change alors que, dans l'ancien système, le risque de change par rapport au dollar était couvert par le montant compensatoire monétaire;

… les opérateurs ont été mis au courant du changement de réglementation à intervenir dans les parités par le règlement (CEE) no 1112/73 du Conseil, du 30 avril 1973, modifiant le règlement (CEE) no 974/71 …;

… toutefois, la date d'application du nouveau système a été fixée seulement par le règlement (CEE) no 1463/73 de la Commission, du 30 mai 1973, portant modalité d'application des montants compensatoires monétaires, au 4 juin 1973; … lorsqu'un opérateur avait fixé à l'avance un prélèvement ou une restitution avant cette date, il peut subir un dommage, compte tenu de l'évolution du dollar intervenue au moment du passage d'un système à l'autre.

… vu l'entrée en vigueur du nouveau régime le 4 juin 1973, il paraît dès lors équitable de prévoir que, pour toutes les opérations d'importation ou d'exportation pour lesquelles la préfixation du prélèvement ou de la restitution a été demandée avant cette date, le montant compensatoire monétaire applicable est celui valable le 3 juin 1973».

L'idée qui se cache derrière cela est, à notre avis, évidente. Comme la Cour l'a reconnu ultérieurement dans l'affaire 74-74 CNTA/Commission (Rec. 1975, volume 20, p. 533 et 1976, volume 21, p. 797), les montants compensatoires, bien qu'ils n'aient pas été destinés à cette fin, assuraient en pratique aux opérateurs une certaine protection contre le risque de fluctuation des taux de change, particulièrement lorsqu'ils passaient des contrats en vertu desquels les prix étaient fixés en dollars. Ainsi
l'existence de montants compensatoires pouvait inciter un opérateur, même prudent, à omettre de se couvrir d'une autre manière contre ces risques. Jusqu'au 4 juin 1973, la forme future que le système des montants compensatoires allait prendre à la suite des événements des 11 et 12 mars était, jusqu'à un certain point, incertaine. Compte tenu de cette situation et du lien entre la méthode de calcul des montants compensatoires et le mode de calcul des prélèvements et restitutions avant le 4 juin, il a
semblé équitable à la Commission d'offrir aux opérateurs, qui avaient effectué après cette date des importations ou des exportations pour lesquelles ils s'étaient engagés auparavant, en vertu de certificats fixant a l'avance les prélèvements ou restitutions, une protection contre les fluctuations des taux de change qui s'étaient produites jusqu'à cette date. Mais à partir du 4 juin, les modalités du nouveau système étaient connues, et il appartenait aux opérateurs de se couvrir eux-mêmes contre le
risque, par exemple, en vendant les dollars à terme, s'ils avaient passé des contrats en vertu desquels les prix étaient exprimés en cette monnaie. Comme la Commission nous l'a décrit d'une manière vivante dans le cours de son argumentation, les négociants en produits agricoles visés par le règlement no 974/71 (c'est-à-dire, en gros les produits couverts par des mesures d'intervention et les produits qui en dérivent) devaient être placés, en ce qui concerne la période postérieure au 4 juin 1973,
dans la même situation que les négociants en d'autres produits agricoles et en produits non agricoles.

Ainsi l'article 1 du règlement no 2042/73 a prévu que:

«sur demande de l'intéressé, le montant compensatoire … valable le 3 juin 1973, est appliqué au lieu de celui valable le jour de l'importation ou de l'exportation à toute opération effectuée après cette date et pour laquelle le prélèvement ou la restitution a été fixé à l'avance avant le 4 juin 1973».

(Le texte anglais tel qu'il a été publié dans le Journal officiel parle de «toute opération effectuée avant» le 3 juin 1973, mais, il ressort clairement du texte dans les autres langues officielles de la Communauté, qu'il s'agit d'une erreur: au lieu de «before» (avant), il faut lire «after» (après). Autrement, le règlement n'aurait pas de sens).

L'article 2 a disposé que le règlement serait applicable avec effet au 4 juin 1973.

Revenons aux faits de cette affaire.

Le 26 novembre 1973, Cargill a écrit à l'ONIC en demandant le paiement de montants compensatoires dus pour des exportations d'orge qu'elle avait effectuées entre le 4 juin et le 31 juillet 1973. Ces exportations avaient été faites en vertu de certificats obtenus par Cargill le 5 avril 1973, dans lesquels les restitutions avaient été fixées à l'avance. Cargill avait joint à sa lettre un tableau indiquant, pour chacune de ces exportations, le total des montants compensatoires dus conformément au
règlement no 2042/73, celui des montants compensatoires qui aurait été dû en vertu de la législation en vigueur avant le 4 juin 1973 si cette législation avait continué d'être applicable après cette date, celui de la différence. Le total des montants indiqués comme étant dus en vertu du règlement no 2042/73 s'élevait à 464754,94 francs français, celui des montants calculés conformément à la législation antérieure s'élevait à 1244407,13 et la différence totale à 779652,19 francs français. Cargill a
déclaré que sa réclamation se rapportait au total de 1244407,13 francs. Elle a expliqué, qu'à son avis, le règlement no 2042/73 était illégal du fait que, parmi les exportateurs qui avaient obtenu la fixation à l'avance de prélèvements avant le 4 juin 1973, il faisait une discrimination en faveur de ceux qui avaient effectué leurs exportations avant cette date et au détriment de ceux qui n'avaient pas été en mesure de les réaliser jusqu'après cette date. Ainsi ces derniers, disait Cargill, devaient
supporter seuls les conséquences de la diminution sévère de valeur du dollar des États-Unis d'Amérique qui s'est produite en juin et juillet 1973, en dépit du fait que les règlements n'avaient pas été adoptés jusqu'au 27 juillet 1973, date à laquelle cette diminution s'est produite. Cargill ajoutait que si toutefois l'ONIC s'estimait tenue de se conformer au règlement no 2042/73, elle demanderait le paiement d'un total de 464754,94 francs français et réserverait son droit de saisir la juridiction
compétente pour lui réclamer le solde.

A cela l'ONIC a répliqué, le 13 décembre 1973, que selon son «ordinateur», les montants compensatoires monétaires auxquels Cargill avait droit en vertu du règlement no 2042/73 s'élevaient à 467583,21 francs français, et que des dispositions avaient été prises pour le paiement de cette somme à Cargill. L'ONIC ne fit aucun commentaire sur les critiques de Cargill à l'égard du règlement ou sur sa réclamation d'une somme plus importante.

Le 8 février 1974, Cargill entama la présente procédure devant le tribunal administratif de Paris, en lui demandant (1) d'annuler la «décision» de l'ONIC contenue dans sa lettre du 13 décembre 1973, (2) d'ordonner le paiement par l'ONIC de la somme de 779652,19 francs français augmentée des intérêts de droit et (3) des dépens. Comme les mémoires de Cargill dans cette procédure le font apparaître, la demande d'annulation est purement formelle. La demande substantielle est celle du paiement.

Dans ces mémoires, Cargill a émis deux allégations. La première était celle que sa lettre à l'ONIC laissait prévoir selon laquelle le règlement no 2042/73 était discriminatoire. A l'appui de cet argument, Cargill a invoqué en particulier les articles 7 et 40 du traité CEE. La seconde allégation de Cargill était que le règlement no 2042/73 était illégal parce qu'il rendait rétroactif le règlement no 1112/73 (c'est-à-dire, vous vous en souvenez, le règlement du Conseil instituant le nouveau système de
calcul des montants compensatoires monétaires). Cette allégation était fondée sur l'idée, qu'à part le règlement no 2042/73, le règlement no 1112/73 et de même le règlement no 1463/73 (le règlement de la Commission fixant des règles détaillées pour l'application de ce système) auraient pu être interprétés comme n'étant applicables qu'aux négociants qui avaient passé des contrats après le 3 juin 1973. Une telle interprétation aurait garanti que ces règlements ne portaient pas atteinte aux droits
acquis. Mais le règlement no 2042/73 l'a rendu impossible. (En fait, ainsi qu'il ressort de l'information fournie à la Cour, sur sa demande, par Cargill, et à laquelle nous nous référerons d'une manière plus détaillée dans un moment, la plupart des contrats en vertu desquels Cargill a effectué les importations en question ont été passés après le 3 juin 1973, mais le tribunal administratif ne semble pas avoir eu connaissance de cette information).

Devant le tribunal administratif, l'ONIC a allégué entre autres que, si Cargill avait raison de dire que le règlement no 2042/73 était illégal, la législation communautaire applicable à l'affaire devait être non pas comme le suggère Cargill celle qui était en vigueur avant le 4 juin 1973, mais celle qui était en vigueur après cette date autre que le règlement no 2042/73 lui-même, avec la conséquence que Cargill n'avait droit à aucun montant compensatoire monétaire.

Ces allégations des parties se reflètent dans les trois questions posées à la Cour par le tribunal, dont l'ordonnance de renvoi est datée du 9 février 1977. Ces questions sont les suivantes:

«1. Le règlement communautaire no 2042/73 en date du 27 juillet 1973 est-il entaché d'illégalité pour avoir opéré une discrimination entre les exportateurs en violation des règles de non-discrimination posées par les articles 7 et 40 du traite de Rome, illégalité qui aurait eu pour effet de placer les opérateurs ayant préfixé restitutions avant le 4 juin 1973 dans une situation différente selon que les exportations ont été effectuées avant le 4 juin 1973, les premières bénéficiant de l'intégralité
des versements compensatoires et les autres étant affectées par l'obligation pour les opérateurs de se couvrir eux-mêmes des risques de change, et subissant les effets de la dévaluation du dollar;

2. Ce même règlement communautaire no 2042/73 est-il affecté d'une illégalité en tant qu'il confère un effet rétroactif au règlement no 1112/73 pris par le Conseil des Communautés européennes le 30 avril 1973 et porte ainsi atteinte aux droits acquis;

3. Quelle serait la réglementation applicable en l'espèce, plus favorable à la société, dans l'hypothèse où serait constatée par la Cour l'illégalité du règlement no 2042/73?»

Tandis que la procédure qui a abouti à cette ordonnance suivait son cours devant le tribunal, les affaires CNTA et Coopératives agricoles étaient plaidées devant vous. Dans la mesure où elle revêt de l'importance pour la présente affaire, la jurisprudence que vous avez alors établie peut, à notre avis, être résumée de la manière suivante:

(1) Du fait que les montants compensatoires monétaires ne peuvent pas être fixés à l'avance et que la législation qui s'y rapporte ne confère aux négociants aucun droit au maintien d'une méthode particulière pour les calculer, il n'existe aucun droit a un montant compensatoire monétaire tant que l'importation ou l'exportation particulière qui y donne droit n'est pas effectuée. L'abolition ou la modification de montant compensatoire monétaire ne peut donc jamais constituer une atteinte à des droits
acquis.

(2) Toutefois, du fait que les montants compensatoires monétaires, bien qu'ils aient été destinés à un autre but, offrent en pratique aux négociants une protection contre les fluctuations des taux de change de sorte qu'ils peuvent être incités à compter sur eux à cette fin, la Communauté peut être responsable des dommages envers ces négociants, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 215 du traité, en ce que leur confiance légitime aurait été déçue, si, en l'absence d'un intérêt public péremptoire, le
Conseil ou la Commission supprime, avec effet immédiat et sans avertissement, l'application des montants compensatoires dans un secteur déterminé sans prendre de mesures transitoires permettant à ces négociants soit d'éviter des pertes en vertu de contrats par lesquels ils se sont engagés soit d'être dédommagés de ces pertes. Toutefois, sur la base de ce principe, la Communauté ne peut pas être responsable à la requête d'un négociant qui, en fait, n'a couru aucun risque de change, par exemple un
exportateur français, qui en vertu du contrat en question, doit être payé en francs français; ou à la requête d'un commerçant qui a passé un contrat à une époque où il ne pouvait pas légitimement avoir confiance dans le maintien en vigueur du système courant de calcul des montants compensatoires monétaires, par exemple un commerçant qui a agi ainsi après le 30 avril 1973 (c'est-à-dire après l'adoption du règlement du Conseil no 1112/73 mais avant qu'il soit entré en vigueur); ou bien,
semble-t-il, à la requête d'un négociant qui a passé un contrat dont les termes excluent toute attente de sa part de la perception de mécanismes compensatoires, par exemple un contrat pour la vente «d'orge européenne», susceptible d'être exécuté soit par la vente d'orge communautaire (donnant droit à des montants compensatoires monétaires) ou par la vente d'autre orge européenne. La portée étroite de cette voie de droit a de nouveau été récemment soulignée par la Cour dans l'affaire 97-76,
Merkur Außenhandel GmbH & Co./Commission (8 juin 1977, non encore publiée).

La Cour a demandé à Cargill des informations au sujet des contrats en vertu desquels elle a effectué les exportations en question, en spécifiant en particulier leurs dates et les monnaies dans lesquelles les prix à payer étaient fixés. Vous êtes en possession, Messieurs, de la réponse de Cargill datée du 18 juin 1977, avec en annexe notamment les copies des contrats. En bref, il y a eu six contrats, pour un total de 779500 tonnes d'orge, bien que Cargill explique que, sur cette quantité, seules
40338 tonnes ont été exportées de France et font ainsi l'objet de la présente affaire. Le reste a été exporté d'autres États membres de la Communauté. Nous ne savons pas comment les 40338 tonnes ont été réparties entre les six contrats. En tout cas, sur ces six contrats, les quatre derniers comportaient des prix exprimés en francs français, et, de plus, avaient été conclus à des dates allant du 15 juin au 13 août 1973. On n'a pas expliqué comment des exportations effectuées avant le 31 juillet 1973
pouvaient être couvertes en partie par un contrat conclu aussi tard que le 13 août. Quoiqu'il en soit, il est difficile d'apercevoir comment certains de ces quatre contrats pourraient constituer la base d'une action, intentée en vertu des articles 178 et 215 du traité, à propos du changement dans le système de calcul des montants compensatoires monétaires qui a été effectué le 4 juin 1973. Les eux premiers contrats étaient datés du 24 avril 1973 et du 27 avril 1973 et portaient respectivement sur
10000 et 20000 tonnes. En vertu de ces contrats, les prix étaient exprimés en dollars, mais leur objet était décrit comme «de l'orge européenne». Nous nous abstiendrons de tout commentaire à propos de ces contrats, car nous n'estimons pas devoir préjuger l'issue d'une action que Cargill pourrait intenter à leur sujet en vertu de l'article 178.

Toutefois, il n'est guère surprenant que les avocats de Cargill se soient appliqués à souligner, dans leur argumentation devant la Cour, que leur cliente n'invoquait pas les articles 178 et 215, mais l'article 184 du traité (et, incidemment, que cela étant, l'information concernant les contrats de Cargill était sans importance). Sur ce point, on nous a fait une étude très savante et très intéressante sur les différents caractères en droit français du «contentieux de la responsabilité» d'une part, et
du «contentieux de la légalité» d'autres part, et en particulier sur la différence entre «préjudice» dans le contexte du premier et «intérêt» dans celui du second. A cet égard, j'espère que nous ne serons pas taxes de manque de courtoisie à l'égard des avocats si nous nous bornons à deux observations. La première est que, dans ces matières, le droit communautaire n'est pas à tous égards le même que le droit français: voir par exemple l'affaire 90-74 Deboeck/Commission (1975) Recueil 1975, Volume 20,
page 1123 et les précédents auxquels nous nous sommes alors référés (aux pages 1141-1143). En second lieu, dans cette affaire, vous n'avez pas, Messieurs, à statuer sur la recevabilité de l'action intentée par Cargill devant le tribunal administratif de Paris, et celle de l'ordonnance de renvoi de ce tribunal ne fait aucun doute. Cette affaire relevant de l'article 177, votre compétence se limite à statuer sur les questions posées dans l'ordonnance de renvoi du tribunal. Il est néanmoins pardonnable
de penser qu'il serait étrange que du fait d'avoir choisi la procédure qu'elle a suivie, Cargill puisse indirectement se rendre titulaire d'un droit à paiement, sur les fonds de la Communauté, du montant total des montants compensatoires monétaires qu'elle aurait reçus si le système n'avait pas été modifié — car c'est là ce qu'elle réclame en fait, ainsi qu'on l'a admis de sa part.

Revenons aux questions posées à la Cour par le tribunal de Paris.

A propos de la première, il nous semble, avec tout le respect dû à ceux qui ont argué d'une autre manière, que la thèse selon laquelle le règlement no 2042/73 opère une discrimination entre les négociants qui ont effectué leurs importations ou exportations avant le 4 juin 1973 et ceux qui les ont réalisées après cette date est tout simplement insoutenable. Le règlement ne s'appliquait pas du tout aux opérations effectuées avant le 4 juin 1973. Il les laissait être régies à tous égards par la
législation antérieure alors en vigueur. Il s'appliquait uniquement aux opérations effectuées après cette date et, pour elles, il accordait aux négociants intéressés le choix de demander l'application du montant compensatoire monétaire qui aurait été applicable si les opérations avaient été effectuées immédiatement avant cette date. Cargill a bénéficié de ce choix. Il est clair naturellement que l'effet combiné des règlements no 1112/73 et no 1463/73 a été de traiter différemment les négociants pour
des opérations effectuées avant le 4 juin et pour des opérations effectuées ultérieurement et que le règlement no 2042/73 n'a que partiellement atténué la différence. Mais, avec raison à notre avis, les avocats de Cargill ont expréssement renoncé à tout argument fondé sur cette considération.

Sur la seconde question nous aurons encore moins à dire, parce que la prétention qu'elle reflète a été expressément abandonnée par les avocats de Cargill à l'audience. Cette prétention, elle aussi, était, à notre avis, insoutenable ne serait-ce que parce que, comme vous l'avez déclaré dans l'affaire Coopératives agricoles, il ne peut pas exister de droit acquis à un montant compensatoire monétaire avant que l'importation ou l'exportation qui y donne lieu ait été effectuée. Il n'est pas douteux que
le règlement no 2042/73 était en lui-même rétroactif mais, puisque son seul objet a été de conférer un avantage à des particuliers sa rétroactivité ne pouvait pas à notre avis entraîner son illégalité.

Sur la troisième question nous n'aurons rien à dire du tout, parce qu'elle ne se pose que si une réponse affirmative a été donnée soit à la première soit à la seconde question. Nous estimons cependant, qu'il est permis de rappeler l'incapacité des avocats de Cargill d'émettre une proposition quelconque quant à ce qu'aurait été la réponse, incapacité qui nous semblait souligner le caractère désespéré de la thèse qu'ils étaient chargés de soutenir quant à la première question.

En conclusion, nous estimons que vous devriez répondre aux questions qui vous sont posées par le tribunal administratif de Paris en déclarant que leur examen n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter la validité du règlement no 2042/73.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27-77
Date de la décision : 13/07/1977
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Paris - France.

Montants compensatoires monétaires.

Mesures monétaires en agriculture

Céréales

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Compagnie Cargill
Défendeurs : Office national interprofessionnel des céréales (ONIC).

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1977:125

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