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04/05/1972 | CJUE | N°44-71

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 4 mai 1972., Antonio Marcato contre Commission des Communautés européennes., 04/05/1972, 44-71


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 4 MAI 1972 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant, dans l'affaire sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui, est entré au service de la Communauté économique européenne le 12 novembre 1958 en qualité de veilleur de nuit. Nommé agent qualifié au gradé D 2 avec effet au 1er janvier 1962, il a été promu chef de groupe, (grade D 1), le 1er septembre 1963. Du 19 octobre au 28 novembre 1962, le requérant a apparemment pris part à u

n cours de formation organisé par la Société des machines Bull, en Belgique, à l'issue
duquel...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 4 MAI 1972 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant, dans l'affaire sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui, est entré au service de la Communauté économique européenne le 12 novembre 1958 en qualité de veilleur de nuit. Nommé agent qualifié au gradé D 2 avec effet au 1er janvier 1962, il a été promu chef de groupe, (grade D 1), le 1er septembre 1963. Du 19 octobre au 28 novembre 1962, le requérant a apparemment pris part à un cours de formation organisé par la Société des machines Bull, en Belgique, à l'issue
duquel un certificat lui a été délivré, attestant qu'il avait acquis la formation et les aptitudes requises pour l'exercice des fonctions d'opérateur. Par la suite, il a été nommé commis au grade C 3, avec effet au 1er octobre 1963, et affecté au centre de calcul de la Commission en qualité d'opérateur mécanographe.

C'est dans ce service que la Commission a publié, par l'avis de concours COM 484-487/70, la vacance de 4 postes de la carrière B 5/B 4, à pourvoir par voie de concours interne sur titres. Les fonctions correspondant à ces emplois étaient décrites dans les termes suivants: «effectuer, sous contrôle, des travaux de bureau courants, et notamment: gestionnaire d'une série de travaux administratifs ou statistiques; pupitreur à l'ordinateur et passage des travaux en “Operating System” sur ordinateurs de
la 3e génération». Les candidats intéressés devaient remplir les conditions suivantes: «Connaissances du niveau de l'enseignement secondaire, sanctionnées par un diplôme, ou expérience professionnelle d'un niveau équivalent; expérience de travaux sur ordinateur en multiprogrammation; notions de programmation Cobol ou Assembler souhaitées; une certaine expérience appropriée à la fonction.

Le requérant figurait parmi les candidats à ce concours. La direction générale «Personnel et administration» lui a toutefois communiqué par lettre du 8 février 1971 que sa candidature n'avait pas pu être prise en considération. Sur sa demande le chef de la division «Recrutements, nominations et promotions» lui a précisé par la suite, dans une lettre datée du 16 février 1971, que le jury d'examen n'avait pas retenu sa candidature, parce qu'il ne remplissait pas l'une des conditions de l'avis de
concours.

Mécontent de cette décision, le requérant a adressé une réclamation administrative au président de la Commission le 25 mars 1971. Dans ce document, enregistré le 29 mars 1971, il protestait contre son exclusion du concours et demandait l'annulation de ce dernier pour plusieurs motifs. Sa réclamation étant restée sans réponse, il s'est adressé à la Cour par requête du 23 juillet 1971.

Le requérant vous demande de statuer de la manière suivante:

— dire qu'un avis de concours doit spécifier le niveau d'expérience requis pour les emplois à pourvoir;

— dire que le requérant possède l'expérience professionnelle de niveau équivalent dont il est question dans l'avis de concours;

— dire qu'un autre candidat déterminé ne remplissait pas les conditions de l'avis de concours.

Sur la base de ces constatations, il vous demande, en outre, d'annuler:

— l'avis relatif au concours précité;

— la procédure du concours;

— les décisions du 8 février 1971, du 16 février 1971 et la décision implicite de rejet concernant sa réclamation administrative, ainsi que, enfin,

— la nomination d'un autre candidat déterminé à l'un des emplois vacants.

Le requérant a renoncé dans la réplique et au cours de la procédure orale à celtes de ces conclusions ayant trait à la constatation qu'un autre candidat déterminé ne remplissait pas les conditions de l'avis ainsi qu'à celles ayant pour objet la nomination de ce dernier à l'un des postes vacants.

Voyons donc ce qui doit être dit des conclusions que le requérant a maintenues.

1.  Le requérant invoque en premier lieu la violation de l'article 1, alinéa 1, d, de l'annexe III du statut des fonctionnaires. Il affirme qu'un avis de concours doit décrire avec précision les titres ainsi que la nature et la durée de l'expérience professionnelle exigée. Ce n'est qu'ainsi qu'il serait possible d'exclure tout choix arbitraire et de vous permettre d'exercer votre contrôle juridictionnel. C'est parce que la Commission n'aurait pas respecté ces exigences dans le cas d'espèce que vous
devriez annuler l'avis de concours litigieux.

Il ne faut pas perdre de vue qu'aux termes de la disposition du statut, invoquée par le requérant, l'avis de concours doit spécifier «les diplômes et autres titres ou le niveau d'expérience requis pour les emplois à pourvoir». De plus, les postes à pourvoir appartenant à la carrière B 5/B 4 dans le cas d'espèce, il faut également tenir compte de la disposition de l'article 5 du statut des fonctionnaires, selon laquelle la catégorie B correspond «à des fonctions d'application et d'encadrement
nécessitant des connaissances du niveau de l'enseignement secondaire ou une expérience professionnelle d'un niveau équivalent».

Nous voyons donc qu'il serait difficile de révoquer en doute la conformité de l'avis de concours litigieux avec les exigences légales minimales. Par ailleurs, les fonctions liées aux emplois à pourvoir ont été spécifiées — nous l'avons déjà indiqué lorsque nous avons exposé les faits de l'espèce — et il est incontestable que ces précisions permettaient de mieux saisir le niveau d'expérience professionnelle demandé. Les États membres reconnaissent, en effet, un si grand nombre de titres donnant
accès aux fonctions correspondant aux emplois à pourvoir et les critères à appliquer pour apprécier les qualifications professionnelles des candidats étaient donc à ce point nombreux qu'on ne saurait guère exiger de la Commission qu'elle fournisse encore plus de précisions que celles figurant dans l'avis de concours. La Commission a d'ailleurs largement basé son argumentation en la matière sur votre jurisprudence et, en particulier, sur l'arrêt que vous avez rendu dans les affaires jointes 18 et
19-64 (Recueil, 1965, p. 984). Dans ces affaires il s'agissait aussi de «l'expérience d'un niveau équivalent» dans le cadre d'un avis de vacance d'emploi. A la question de savoir comment constater l'existence d'une expérience professionnelle équivalente chez des candidats non diplômés de l'université (à l'époque, le litige portait sur un poste de ce niveau), vous vous êtes bornés à répondre en termes généraux qu'à cette fin, «il suffit d'exiger une expérience professionnelle ayant résulté de la
promotion aux activités et tâches normalement résérvées aux diplômés d'université».

Nous croyons pouvoir dire dès lors en ce qui concerne le premier moyen du requérant que l'avis de vacance d'emploi attaqué ne saurait être critiqué pour manque de précision et que son annulation, de même qui l'annulation de la procédure qui s'y rapporte, ne sauraient dès lors être prononcées sur la base des motifs invoqués.

2.  Le deuxième moyen comprend tout un groupe de griefs. Le requérant souligne tout d'abord l'absence de motivation suffisante et, partant, invoque une violation de l'article 25 du statut des fonctionnaires. D'autre part, les constatations opérées par le jury au sujet de l'expérience professionnelle du requérant ne correspondraient pas aux faits et il y aurait eu, en outre, détournement de pouvoir.

a) En ce qui concerne tout d'abord le prétendu défaut de motivation, vous n'ignorez pas que le requérant a été exclu uniquement parce qu'il ne possédait pas de connaissances du niveau de l'enseignement secondaire ni d'expérience professionnelle d'un niveau équivalent, l'une des conditions de l'avis de concours.

Il est certain que cette motivation est très laconique. Elle suffisait cependant aux fins de la procédure de concours. Votre jurisprudence ne laisse subsister aucun doute sur ce point. En effet, vous avez estimé dans votre arrêt 23-64 (Recueil, 1965, p. 216) que les travaux du jury d'examen étant secrets, l'indication du fait que «le jury a procédé à un premier choix des candidats dont les titres ont été les plus nettement supérieurs» constituait une motivation suffisante.

S'il en était ainsi dans ce cas d'espèce, il ne reste effectivement plus qu'à conclure que le requérant ne saurait pas non plus aboutir dans son recours en invoquant l'article 25 du statut des fonctionnaires.

b) En ce qui concerne la question de l'expérience professionnelle de niveau équivalent, le principal problème que soulèvent les déclarations des parties au litige est celui des critères applicables. La Commission estime que le concours ayant pour objet de pourvoir à la vacance d'un poste de la catégorie B, l'expérience professionnelle exigée ne pouvait être qu'une expérience de ce niveau; le requérant soutient en revanche qu'un tel critère était inadéquat et qu'une expérience professionnelle de
longue durée, acquise dans un poste de grade C, devait également suffire.

Ici aussi, il est relativement aisé cependant de découvrir la solution de ce problème dans votre jurisprudence antérieure. Il nous faut de nouveau revenir à votre arrêt dans les affaires jointes 18 et 19-64 et rappeler que selon celui-ci, l'expérience professionnelle de candidats non diplômés d'université peut être considérée comme équivalente, lorsqu'elle résulte «de la promotion aux activités et tâches normalement réservées aux diplômés des universités». Si nous appliquons cette solution
jurisprudentielle au cas de l'espèce, il apparaît clairement qu'une expérience professionnelle équivalente ne peut être acquise que par la promotion à des activités et tâches normalement réservées aux titulaires d'un diplôme de l'enseignement secondaire. Ce qui est déterminant, c'est donc l'expérience qui a pu être acquise dans un poste de grade B. Cette solution est d'ailleurs logique puisque, dans le cas contraire, la notion d'équivalence, visée à l'article 5 du statut des fonctionnaires,
n'aurait plus aucun sens. D'autre part, elle n'enlève nullement aux fonctionnaires de grade C la possibilité d'accéder à la catégorie B, comme le craint le requérant. Une telle promotion est en effet possible, par exemple pour les candidats qui avaient acquis une expérience professionnelle de niveau plus élevé avant d'entrer au service des Communautés, mais se sont contentés tout d'abord d'une nomination dans une catégorie inférieure ou pour les fonctionnaires de grade C qui se sont vu
confier des fonctions du niveau de la catégorie B à l'occasion d'un afflux de travail ou de la réorganisation du service, pendant un laps de temps suffisant pour acquérir une expérience adéquate de ces fonctions.

En accord sur ce point avec la Commission, il nous faut considérer dès lors pour la suite de notre discussion juridique que les critiques du requérant ne sauraient aboutir que s'il réussit à produire les preuves adéquates, c'est-à-dire s'il parvient à démontrer à suffisance de droit qu'il a acquis une expérience professionnelle du niveau de la catégorie B.

c) Or, si nous examinons ce que le requérant a déclaré à ce sujet sous la rubrique «contrariété avec faits acquis en cause et dénaturation», nous voyons ce qui suit.

Le requérant allègue tout d'abord qu'il a participé en décembre 1966 à Milan à un cours de perfectionnement pour les ordinateurs de la troisième génération, à l'issue duquel la firme IBM lui a délivré un diplôme. Depuis lors, il se serait perfectionné en effectuant des travaux sur ordinateur, fait qui est souligné dans le certificat que lui a délivré un directeur de IBM à Bruxelles. Il serait constant, en outre, que le requérant et ses collègues ont rempli à tour de rôle, depuis 1966, les
fonctions de pupitreur et de gestionnaire et que le requérant remplissait même ces fonctions, lesquelles faisaient l'objet du concours, au moment où le concours a eu lieu. Enfin, le requérant peut faire état de lettres de remerciement émanant de fonctionnaires de la Commission pour lesquels il a effectué des travaux sur ordinateur. Que faut-il retenir de cette argumentation pour l'appréciation de la requête? Nous observerons tout d'abord avec la Commission que le diplôme de IBM et le
certificat délivré par un directeur de cette firme, pièces dont le requérant fait état, ne sauraient être reconnus comme étant des diplômes au sens de l'article 5 du statut des fonctionnaires et de l'avis de concours, puisqu'ils ne sont pas des titres officiels. Nous pourrions leur reconnaître tout au plus une certaine valeur d'indice (dont l'importance ne doit en tout cas pas être exagérée) en examinant si le requérant possède l'expérience professionnelle de niveau équivalent requise dans
l'avis de concours. En outre, nous estimons avec la Commission que les documents émanant d'autres fonctionnaires de la Commission et qui contiennent, semble-t-il, une appréciation positive du travail du requérant, n'ont guère de force probante. Il n'est pas possible, en effet, à des personnes étrangères au service du requérant de reconnaître qui a effectué les travaux en question, de savoir si leur accomplissement a effectivement été confié au requérant ni de dire, au cas où il en a été
ainsi, si le requérant a accompli immédiatement un travail parfait ou s'il a dû s'y reprendre à plusieurs fois pour atteindre le résultat désiré.

Aussi bien un seul point revêt-il sans doute une importance déterminante. C'est de savoir si la circonstance — qui est d'ailleurs admise par la Commission — que le requérant a exercé occasionellement et temporairement — tout comme ses collègues — pendant quelques années (c'est-à-dire pendant la période de réorganisation au cours de laquelle la Commission manquait de fonctionnaires de grade B) des fonctions de niveau B au centre de calcul implique nécessairement qu'il possède une expérience
professionnelle de niveau équivalent. Le litige portant sur des problèmes d'appréciation, il ne saurait évidemment s'agir pour vous de rechercher dans le cadre de la procédure judiciaire une appréciation à substituer à celle du jury d'examen. Votre jurisprudence constante vous interdit de le faire dans des cas comme celui de l'espèce (cf., par exemple, affaires 35-62 et 16-63, Recueil, 1963, p. 420). Il ne peut s'agir que d'examiner si le requérant a fourni des éléments suffisamment forts
pour étayer sa thèse, selon laquelle l'appréciation de son expérience professionnelle par le jury d'examen est entachée d'erreurs flagrantes.

L'examen des arguments qui ont été avancés sur ce point nous montre que cette allégation du requérant n'est guère fondée. Particulièrement importante à cet égard nous paraît être l'affirmation de la Commission que le requérant n'a pas donné satisfaction dans l'exercice temporaire des fonctions de pupitreur et de gestionnaire et qu'après n'avoir déjà plus été que très peu utilisé en 1970 en cette qualité, il ne lui a plus été confié aucun travail de ce niveau à partir de mars 1971.
Effectivement, des allusions en ce sens figurent déjà dans le rapport sur les activités du requérant pendant la période 1967 à 1969, dont le jury d'examen a également eu connaissance. En outre, les membres de ce jury d'examen qui appartenaient en majeure partie au centre de calcul, ont probablement eu connaissance par eux-mêmes d'autres détails. Or, le requérant n'a rien pu opposer de décisif à cette argumentation pour démontrer que le jury d'examen aurait émis une appréciation véritablement
erronée en refusant de lui reconnaître l'expérience professionnelle de niveau équivalent.

Par conséquent, le requérant ne saurait pas non plus aboutir sur le moyen de «contrariété avec faits acquis en cause et dénaturation».

d) En ce qui concerne, enfin, le grief de détournement de pouvoir, nous pourrons être brefs. Le requérant le fonde essentiellement sur le fait que d'autres candidats appartenaient également à la catégorie C, qu'ils ne possédaient, pas plus que lui-même, les diplômes prescrits pour accéder à la catégorie B et qu'ils accomplissaient grosso modo les mêmes tâches que lui. Or, ces candidats ont été admis au concours; ils ont même été promus par la suite aux emplois vacants. La Commission n'a pas
contesté l'essentiel de ces faits. Ce qui est cependant déterminant pour la discussion juridique, c'est que le problème qui se pose dans le présent contexte est également en dernier ressort un problème d'appréciation. Il n'est pas exclu, en effet, que le traitement différent réservé au requérant remonte au fait que le jury d'examen ait apprécié de manière divergente les prestations et l'expérience professionnelle des candidats. Toutefois, comme celui-ci n'a pas réussi — ainsi que nous l'avons
vu — à démontrer l'existence d'indices graves permettant d'ébranler cette appréciation, il ne nous reste plus qu'à conclure aussi à la non-pertinence du grief de détournement de pouvoir.

3.  En conclusion, nous vous proposons de rejeter le recours comme non fondé et de mettre les frais à la charge de chacune des parties, conformément à l'article 70 du règlement de procédure.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44-71
Date de la décision : 04/05/1972
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Antonio Marcato
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1972:35

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