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10/02/1971 | CJUE | N°48-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 10 février 1971., Giorgio Bernardi contre Parlement européen., 10/02/1971, 48-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 10 FÉVRIER 1971 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui est au service du Parlement européen en qualité de traducteur adjoint, depuis octobre 1966. D'abord agent temporaire, il a été ensuite titularisé dans le grade LA/7 à partir du 1er mai 1969. Au début de l'année passée, il a cru avoir découvert quelques irrégularités dans la section italienne du service linguistique du Parlement européen. C'est pourquoi, le

6 avril 1970, il a saisi l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 10 FÉVRIER 1971 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui est au service du Parlement européen en qualité de traducteur adjoint, depuis octobre 1966. D'abord agent temporaire, il a été ensuite titularisé dans le grade LA/7 à partir du 1er mai 1969. Au début de l'année passée, il a cru avoir découvert quelques irrégularités dans la section italienne du service linguistique du Parlement européen. C'est pourquoi, le 6 avril 1970, il a saisi l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation
formelle, conformément à l'article 90 du statut des fonctionnaires. Dans cette lettre, parvenue à l'autorité investie du pouvoir de nomination le 10 avril 1970, il traitait de deux questions: d'une part, de la réglementation des missions à Strasbourg et, d'autre part, de l'attribution temporaire de deux postes de traducteur, en application de l'article 7, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires. Sur le premier point, il faisait valoir que seule une catégorie de fonctionnaires privilégiés
bénéficiaient en permanence de ces missions, tandis que d'autres (parmi lesquels le réclamant) étaient envoyés à Strasbourg plus rarement et seulement à tour de rôle, bien qu'ils ne soient pas moins qualifiés pour assumer les tâches afférentes à ces missions. En outre, le réclamant critiquait le fait que, parmi les personnes toujours envoyées en mission, figurait également un agent temporaire qui, dans un concours, avait été moins bien noté que lui. Sur le second point, il alléguait que l'article 7,
paragraphe 2, du statut des fonctionnaires était parfois appliqué dans le but de procurer des avantages personnels. La preuve en était que, dans la section italienne du service linguisti que, une collègue, également classée dans le grade LA/7, s'était vu confier deux fois l'occupation par intérim d'un poste de traducteur, bien qu'en ce qui concerne les capacités, les titres et l'expérience, elle n'atteignit pas le niveau du réclamant. En outre, cette collègue aurait déjà été favorisée par le fait
que son mari était également fonctionnaire au Parlement européen et classé dans le grade A/5. — De plus, les décisions en question n'ayant pas été publiées, elles seraient donc critiquables du point de vue de la forme. Pour ces motifs, le réclamant a saisi l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une demande portant sur les points suivants :

1) remplacer par un fonctionnaire d'un grade plus élevé ou d'une ancienneté supérieure l'agent temporaire continuellement envoyé en mission à Strasbourg ;

2) subsidiairement: revoir les critères applicables aux missions à Strasbourg, de manière à assurer une alternance plus équitable ;

3) annuler ex tunc les deux décisions prises en application de l'article 7, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires et relatives à l'attribution d'un poste de traducteur ad intérim ;

4) subsidiairement, appliquer l'article 85 du statut des fonctionnaires.

Par lettre du 25 juin 1970, le secrétaire général du Parlement européen a répondu négativement à ces demandes. Il rappelait que les ordres de mission étaient des décisions discrétionnaires qui étaient prises exclusivement dans l'intérêt du service. Des agents temporaires pouvaient également en bénéficier, lorsqu'ils devaient être considérés comme les plus aptes à remplir certaines fonctions, comme c'était le cas dans l'affaire soulevée par le requérant. Il n'était donc pas possible de voir dans ce
fait une discrimination du requérant. Quant aux nominations ad intérim, l'article 25 n'en prescrivait pas la publication: toutefois, elles auraient été publiées par voie d'affichage pendant 10 jours, les 19 décembre 1968 et 22 janvier 1970 respectivement. Au reste, les décisions en question étaient justifiées du fait qu'à la suite de deux concours qui avaient eu lieu en 1967 et en 1968 (dont l'un concernait un poste de traducteur), il était apparu que la fonctionnaire chargée de l'intérim présentait
de meilleures qualités que le requérant. Par conséquent, la réclamation devait être intégralement rejetée.

Le réclamant ne s'est pas déclaré satisfait de cette réponse. Il a donc saisi la Cour de justice d'un recours introduit le 6 août 1970. Selon les termes de la requête introductive, l'objet du litige était, d'une part, le rejet tacite de la réclamation formelle (effectivement le requérant n'a reçu aucune réponse dans le délai de deux mois prévu à l'article 91 du statut des fonctionnaires) et, d'autre part, la réponse expresse du secrétaire général du Parlement européen, du 25 juin 1970. — Toutefois,
les conclusions visaient tout d'abord uniquement l'annulation des deux nominations ad intérim (le requérant ayant expressément renoncé aux demandes subsidiaires contenues dans la réclamation). Quant au premier point de la réclamation, le requérant déclarait qu'il s'en remettait à la «sagesse de la Cour». C'est seulement dans la réplique qu'en réponse à des remarques faites en ce sens par la partie défenderesse, il a expressément demandé à la Cour de déclarer que les mérites des fonctionnaires
devaient être pris en considération lors de l'attribution des missions et qu'un ordre permanent de mission ne pouvait pas être accordé à un agent temporaire (étendant ainsi l'objet de la demande au premier point de sa réclamation administrative).

Il nous faut maintenant nous prononcer sur ces demandes. A notre avis, elles appellent les remarques suivantes.

I — Sur la recevabilité

Examinons tout d'abord les objections soulevées par le Parlement européen au sujet d'une série de questions qui concernent la recevabilité des demandes. Elles ont trait en particulier à la formulation de ces dernières, au respect du délai pour l'introduction du recours et à l'existence d'un intérêt à agir.

1. Formulation des demandes

Comme nous l'avons déjà dit, la réclamation administrative contenait quatre demandes, dont deux à titre subsidiaire (celles-ci ont été expressément éliminées dans la requête). Seule une des demandes principales a été reprise dans la requête introductive (celle visant à l'annulation des nominations ad intérim). En revanche, dans la requête, le requérant a laissé l'autre (remplacement d'un agent temporaire lors des missions) à l'appréciation de la Cour, sans formuler de conclusions expresses. Il
s'agit donc de savoir si un problème peut faire ainsi l'objet d'un litige ou — dans la négative — s'il est du moins possible de formuler expressément une demande au stade de la réplique.

La Commission estime que ce procédé est irrégulier et demande en conséquence de rejeter comme irrecevable la demande qui a été formulée dans la réplique uniquement. A notre avis, nous devons nous rallier à cette appréciation, même si elle peut paraître formaliste. Il résulte en effet des dispositions du statut sur ce point (article 19 des statuts CEE et CEEA, article 22 du statut CECA) et notamment de l'article 38, paragraphe 1er, du règlement de procédure que la requête doit contenir les
conclusions du requérant. C'est une condition essentielle car un litige ne peut être circonscrit que de cette manière. Selon notre système de procédure, il importe que les conclusions soient formulées dans la requête. C'est ce qui ressort clairement du fait qu'elles ne sont pas citées au paragraphe 7 de l'article 38 du règlement de procédure, c'est-à-dire dans la disposition qui autorise à procéder à une régularisation, sur invitation du greffier, lorsque certaines conditions exigées pour
l'introduction d'un recours n'ont pas été observées, et cela, d'après ce que prévoit le statut, même après l'expiration du délai de recours. Pour ce qui est de la formulation des conclusions, il n'existe donc aucune possibilité de régularisation, en ce sens que des conclusions qui n'ont pas été formulées dans la requête, pourraient être présentées a posteriori et il est évident qu'à cet égard, ce sont surtout des considérations liées au respect du délai de recours qui sont déterminantes. Mais,
puisque, comme nous l'avons déjà dit, le requérant n'a formulé la demande en question que dans la réplique et qu'à cette date, le délai de recours était déjà expiré, la seule possibilité qui reste est de l'exclure de l'examen juridique, pour irrecevabilité. De plus, la réserve contenue dans la requête ne modifie en rien cette conclusion, car même si elle avait une importance juridique, il faudrait néanmoins considérer qu'elle ne se rapporte expressément qu'aux «moyens de fait et de droit» et non aux
conclusions elles-mêmes. Dans la suite de notre examen, nous laisserons donc de côté toutes les questions qui se rapportent à la réglementation des missions à Strasbourg.

2. Observations du délai de recours

Quant aux conclusions visant à l'annulation des nominations ad intérim, il n'existe, certes, de l'avis du Parlement européen, aucune objection touchant l'observation du délai de recours, du moins pour ce qui est de la seconde nomination, car elle a été adoptée le 5 janvier 1970 et publiée seulement le 22 janvier 1970. En revanche, selon le Parlement, il n'est pas possible d'en dire autant de la première nomination — ad intérim —, car elle a été prise dès le 4 décembre 1968.

Lorsqu'on examine cette objection, il faut tenir compte de ce que les actes en question n'ont pas été directement attaqués devant la Cour de justice, mais seulement après une réclamation administrative (ce qui, comme nous le savons, est tout à fait souhaitable, selon votre jurisprudence constante). Comme la réclamation administrative n'est parvenue à l'autorité investie du pouvoir de nomination que le 10 avril 1970 (et puisque l'observation des délais qui ont commencé à courir ultérieurement ne pose
manifestement pas de problèmes, étant donné que le recours a été introduit le 6 août 1970), tout dépend de la question de savoir si la réclamation administrative a été présentée pendant le délai imparti pour l'introduction du recours ou si ce dernier (calculé à partir du 10 avril 1970) n'a pas commencé à courir avant le 11 janvier 1970. Toutefois, disons-le tout de suite, il est difficile de prouver qu'il en est réellement ainsi. Selon l'article 91 du statut des fonctionnaires, dans le cas de
mesures de caractère individuel, le délai commence à courir du jour de la notification à l'intéressé. S'il s'agit de mesures qui sont adressées à quelques fonctionnaires, mais qui, en outre, en intéressent un grand nombre, il n'est assurément pas nécessaire de les notifier individuellement à chacun d'eux; c'est assez de la publication qui donne une connaissance suffisante du contenu des mesures. En l'espèce, d'après les indications du Parlement européen, pour ce qui est de la nomination ad intérim
prise le 4 décembre 1968 et entrée en vigueur le 15 décembre 1968, cette publication a eu lieu par voie d'affichage le 19 décembre 1968 (pendant 10 jours). Le requérant le conteste, il est vrai, mais comme aucun procès-verbal de ces faits n'a été dressé au Parlement, nous pouvons admettre que celui-ci a fourni la preuve nécessaire au moyen des listes qui ont été produites en annexe à la duplique et dans lesquelles le service compétent a réuni les différentes affiches d'une manière nettement
reconnaissable, d'après le nom, l'objet, les dates etc. A tout le moins peut-on voir dans ces listes un commencement de preuve que le requérant aurait dû réfuter (ce qu'en réalité il n'a pas fait). — Si toutefois on ne veut pas admettre ce point de vue, motif pris par exemple, de ce que l'affichage a eu lieu en partie pendant une période de congé, il est pour le moins certain que la décision en question a également fait l'objet d'une communication dans le Bulletin mensuel du personnel et cela —
selon le Parlement — dans un numéro distribué le 20 juin 1969 ou — selon le requérant — dans un numéro qui est parvenu à sa connaissance presque un an après l'adoption de la décision, soit au début de décembre 1969. Cette communication renfermait tous les éléments essentiels de la décision (le nom du bénéficiaire et le poste occupé par intérim) ; elle était donc suffisamment explicite pour quiconque avait intérêt à introduire un recours. En conséquence, nous pouvons dire que, dans ce cas, le délai
de recours a déjà commencé à courir avant la date précédemment indiquée (le 11 janvier 1970) et non pas seulement, comme le requérant le pense, à la réception de la lettre du directeur général de l'administration du Parlement européen, du 25 mars 1970, par laquelle il a été, à sa demande, informé des dates des nominations ad intérim l'intéressant. La demande visant à l'annulation de la première nomination ad intérim doit donc être rejetée comme irrecevable, pour inobservation du délai de recours.

Au reste, il n'est pas possible non plus d'aboutir à une conclusion différente en arguant que du fait qu'elle a été prise non pas par l'autorité investie du pouvoir de nomination compétente, mais par le secrétaire général du Parlement européen, cette décision est absolument nulle pour inobservation des règles de compétence en vigueur et qu'il ne serait donc pas nécessaire de l'annuler, mais simplement de constater sa nullité. Abstraction faite des doutes quant à la pertinence de cet argument (en
fait la nullité d'un acte ne peut être admise qu'en cas d'incompétence manifeste), il faudrait dire aussi que, même en cas de nullité, le requérant n'aurait pas intérêt à la faire constater. Cela paraît indubitable: le même problème — l'observation des règles de compétence — se pose à propos de la seconde nomination ad intérim et son examen peut nous éclairer. En consé quence nous pouvons en rester à cette constatation et en conclure que la suite de notre examen devra se limiter à la seconde
nomination ad intérim.

3. L'intérêt à agir

Enfin, à propos de la demande visant à l'annulation de la deuxième nomination ad intérim, le Parlement, partie défenderesse, a encore une fois contesté l'intérêt à agir. Et cela, motif pris de ce qu'en aucun cas le requérant ne peut désormais bénéficier lui-même d'une décision analogue. En outre, il a fait état de l'argument du requérant selon lequel il n'était nullement nécessaire d'adopter cette décision. S'il en était réellement ainsi, dit le Parlement, le requérant n'aurait donc eu aucun
avantage, même si la mesure adoptée avait été annulée en temps utile, c'est-à-dire qu'il n'aurait pas pu espérer occuper par intérim le poste en question, de sorte que l'absence d'intérêt à agir est manifeste.

A ces objections, nous estimons possible de répondre tout d'abord qu'elles concernent pour la plupart des problèmes de fond, donc des questions qui ne rentrent pas dans le cadre de l'examen de la recevalibité. En outre, même si l'argumentation du requérant était exacte, il ne serait pas possible de nier purement et simplement qu'il ait un intérêt à agir. Nous estimons, en effet, que, dans des cas comme celui-ci, il y a lieu d'admettre un tel intérêt, non seulement lorsque le requérant cherche à
devenir le destinataire d'une semblable mesure, à la place du fonctionnaire auquel s'applique la décision attaquée, mais encore lorsqu'un autre fonctionnaire a bénéficié d'une décision qui peut jouer un rôle lors de l'appréciation de situations administratives futures, c'est-à-dire — ce point a été particulièrement souligné — lors de l'adoption de décisions de promotion. Dans ces conditions, le requérant a donc bien intérêt à l'annulation de la nomination ad intérim attaquée, en tant que celle-ci
importe pour sa carrière future, et cela bien qu'il n'ait lui-même aucune chance de devenir le destinataire d'une semblable décision.

C'est pourquoi, nous estimons que de ce point de vue il y aurait lieu de ne pas exclure complètement la recevabilité du recours, mais au contraire qu'il existerait des raisons d'examiner le fond, c'est-à-dire le bien-fondé de la demande relative à la deuxième nomination ad intérim.

II — Sur le fond

1. Défaut de compétence

Le requérant conteste la légalité de la décision par laquelle une de ses collègues s'est vu confier ad intérim, à partir du 5 janvier 1970, un poste de traducteur (dont la titulaire était en congé de maternité), et cela, compte tenu tout d'abord des règles de compétence applicables. Comme vous le savez, la décision a été prise par le secrétaire général du Parlement européen. Or, le requérant estime qu'elle aurait dû être prise par le bureau du Parlement ou, suivant l'opinion qu'il a soutenue
oralement, par le président du Parlement en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination, compétente.

Il nous faut donc examiner quelle est, dans le cadre du Parlement européen, l'autorité investie du pouvoir de nomination, conformément à l'article 2 du statut du personnel, pour ce qui est de l'adoption des mesures prévues à l'article 7, paragraphe 2. La décision portant détermination de l'autorité investie du pouvoir de nomination, adoptée le 12 décembre 1962 par le bureau du Parlement européen et versée au dossier, à la demande de la Cour, est importante à cet égard. Nous en déduisons que les
pouvoirs dévolus à l'autorité investie du pouvoir de nomination par le statut des fonctionnaires sont exercés par le président du Parlement européen (et non, par conséquent, par son secrétaire général), dans la mesure où il s'agit de fonctionnaires du service linguistique de grade supérieur au grade LA/6 inclus et, ce qui nous intéresse notamment ici, dans la mesure où il s'agit d'appliquer l'article 7 du statut du personnel. Par contre, le Parlement, partie défenderesse, a fait valoir que
l'article 7, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, applicable à l'intérim, ne parle pas d'autorité investie du pouvoir de nomination. Il serait donc possible d'en déduire, en liaison avec la décision du bureau du Parlement du 12 décembre 1962, déjà mentionnée, qu'il s'agit ici de l'exercice de pouvoirs administratifs normaux qui sont dévolus au secrétaire général en tant que chef du secrétariat du Parlement.

Toutefois, nous ne sommes pas tout à fait convaincu que cette défense soit pertinente. Un certain nombre de considérations s'imposent en l'occurrence. — Tout d'abord, s'il est vrai que, selon l'article 2 du statut du personnel, «chaque institution détermine les autorités qui exercent en son sein les pouvoirs dévolus par le présent statut à l'autorité investie du pouvoir de nomination», toutefois, selon une juste interprétation, cette définition englobe non seulement les articles du statut du
personnel, qui parlent expressément de l'autorité investie du pouvoir de nomination, mais encore l'ensemble de tous les pouvoirs que le statut confère à l'autorité investie du pouvoir de nomination. C'est ce qui explique que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'est pas mentionnée dans tous les articles dont l'application est réservée au président du Parlement. Nous nous bornerons à renvoyer à l'article 16 du statut des fonctionnaires qui parle de «l'institution». En outre, nous pensons
avec Euler (Europäisches Beamtenstatut 1966, tome I, p. 36) que les délégations de pouvoirs sur la base de l'article 2 du statut du personnel doivent être interprétées de façon restrictive. Par conséquent, les pouvoirs de décision restent de la compétence de l'autorité de nomination supérieure, lorsque leur délégation à des autorités inférieures n'a pas été clairement prévue. Cela importe en l'espèce, parce que, dans la décision du bureau du Parlement du 12 décembre 1962, l'application de l'ensemble
de l'article 7 du statut des fonctionnaires a été réservée au président du Parlement, pour autant qu'il s'agit de fonctionnaires du service linguistique de grade supérieur au grade LA/6 inclus. S'il avait été question d'une application seulement partielle de l'article 7, par exemple uniquement de son paragraphe 1er , il est certain que la décision du 12 décembre 1962 l'aurait déclaré expressément, comme elle l'a fait pour d'autres articles du statut des fonctionnaires, par exemple pour l'article 28
dont elle se borne à citer le point a), ou pour l'article 59 dont elle cite seulement le paragraphe 1er. Mais, comme il n'en est pas de même pour l'article 7 du statut des fonctionnaires, nous devons admettre en fait que son application à des emplois de grade LA/6 est réservée dans sa totalité au président du Parlement. — Enfin, il faut également envisager l'importance des mesures adoptées conformément à l'article 7, paragraphe 2. Comme vous le savez, l'intérim dans un emploi peut durer relativement
longtemps, et, en outre, il est certain que des décisions de cette nature jouent un rôle considérable pour la carrière des fonctionnaires qui en ont bénéficié (par exemple, pour la promotion). Pour cette raison également, il n'est certainement pas possible de dire que des nominations ad intérim sont des mesures administratives d'importance secondaire que le secrétaire général du Parlement pourrait prendre, sans délégation expresse, même pour des emplois supérieurs.

Si nous interprétons, comme il se doit, la décision du bureau du Parlement du 12 décembre 1962 à la lumière des dispositions du statut, nous devons donc admettre que la nomination ad intérim qui nous intéresse ici, ne pouvait pas être prise par le secrétaire général, mais seulement par le président du Parlement, et qu'en conséquence elle doit être annulée pour incompétence.

2. Violation de l'article 7 du statut des fonctionnaires

A vrai dire, le résultat auquel nous a conduit l'examen de la compétence rend superflue toute autre analyse. Toutefois, afin de donner à notre appréciation une base plus large, nous examinerons encore tout au moins un argument: la ques tion de savoir si la nomination ad intérim était légale.

Il est certain que cette question ne présente pas de difficultés, dans la mesure où l'article 7 prévoit que l'emploi occupé par intérim doit être d'une carrière supérieure à la carrière à laquelle appartient le fonctionnaire chargé de l'intérim. Cette condition est remplie en fait, car la fonctionnaire chargée de l'intérim appartient à la carrière LA/8 — LA/7, alors que le poste qui lui a été confié relève de la carrière LA/6 — LA/5.

Toutefois, selon la jurisprudence la plus récente, qui nous paraît convaincante, il ne suffit pas d'adopter une optique aussi formelle; pour appliquer de façon judicieuse l'article 7, il faut, au contraire, envisager également les fonctions respectives. Nous devons donc nous demander si les fonctions afférentes à l'emploi occupé par intérim comportent une plus grande responsabilité, si elles diffèrent sensiblement de l'activité propre du fonctionnaire chargé de l'intérim et s'il existe sur ce point
des différences marquées (affaire 5-70, arrêt rendu le 16 décembre 1970). Le requérant conteste expressément que tel soit le cas en fait. Il allègue notamment que la nomination ad intérim attaquée n'a pas confié à sa collègue des tâches différentes, que cette dernière a continué d'exercer les fonctions de traductrice comme auparavant et que ses traductions nécessitaient toujours une révision. Afin d'y voir plus clair sur ce point, la Cour a adressé un certain nombre de questions au Parlement. A la
suite de quoi, le Parlement a produit les avis de vacance d'emploi, qui décrivent tant les fonctions afférentes à l'emploi occupé par intérim que les fonctions exercées par la fonctionnaire à laquelle il a été confié. Or, ces avis de vacance d'emploi ne laissent apparaître en fait aucune différence dans les conditions exigées des fonctionnaires intéressés pour occuper les postes en question. Dans les deux cas, les conditions requises étaient des études universitaires, une connaissance parfaite de
l'italien, une connaissance approfondie d'au moins deux langues officielles des Communautés et des connaissances juridiques, économiques et techniques. La seule différence, c'est qu'au sujet des fonctions afférentes à l'emploi de traducteur de la carrière LA/8 — LA/7, il était question de «traduction en italien à partir d'au moins deux langues officielles de la Communauté», alors que pour l'emploi de la carrière LA/6 — LA/5 il est question de «traduction en italien de textes compliqués à partir d'au
moins deux des langues officielles». En outre, le Parlement a déclaré que la différence n'était pas tant dans la nature des fonctions que dans la qualification des fonctionnaires auxquels elles étaient confiées, en ce sens que, dans le cas de l'emploi relevant de la carrière LA/5 — LA/6, la révision pouvait être moins approfondie. — Que pouvons-nous en conclure? S'il n'est pas possible de nier que l'emploi occupé par intérim comportait pour la fonctionnaire qui en avait été chargée une
responsabilité plus grande que celle dont elle devait faire preuve dans l'emploi auquel elle avait été affectée, toutefois, nous pouvons difficilement admettre qu'il existe une différence marquée au sens de l'arrêt 5-70, à l'égard des fonctions exercées par intérim et leur degré de difficulté. Selon la jurisprudence la plus récente, il est donc extrêmement douteux que le Parlement ait été justifié à prendre une décision conformément à l'article 7, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires. Dans ces
conditions, la décision attaquée devrait également être annulée, parce qu'elle ne remplit pas la condition de fond exigée par l'article 7 du statut des fonctionnaires.

3. Étant donné le résultat de notre examen, nous ne poursuivrons pas l'étude des autres arguments du recours, c'est-à-dire du grief de détournement de pouvoir (à propos duquel le requérant a fait valoir que la fonctionnaire chargée de l'intérim a été personnellement favorisée), du grief de violation des formes substantielles (qui existerait eu égard à l'article 25, alinéa 2, du statut des fonctionnaires, du fait que l'intérim n'a pas été affiché et du fait que le comité du personnel n'a pas
participé à la procédure) ; nous n'examinerons pas non plus l'argument selon lequel il eût été nécessaire de procéder à un examen comparatif des mérites des fonctionnaires entrant en ligne de compte (à l'occasion duquel le requérant aurait été mieux placé que la fonctionnaire chargée de l'intérim), ni enfin l'argument selon lequel la pratique adoptée par le Parlement serait discriminatoire, parce que les fonctionnaires entrant en ligne de compte n'ont pas tous été pris en considération pour
l'intérim, conformément à l'article 7. Quant à savoir ce qu'il faut penser de ces griefs, cette question peut être laissée de côté maintenant, même si, après un examen sommaire, on peut penser que le recours aurait eu difficilement gain de cause sur la base de ces arguments.

III — Résumé

Après tout ce qui précède, nos conclusions seront donc les suivantes :

Les conclusions par lesquelles le requérant demande à la Cour d'annuler la nomination ad intérim prise en décembre 1968 et de dire qu'un agent temporaire ne peut se voir confier à titre permanent des missions à Strasbourg doivent être rejetées comme irrecevables. Par contre, dans la mesure où le recours vise l'annulation de la nomination ad intérim décidée en janvier 1970, il apparaît non seulement recevable mais encore fondé, d'où il s'ensuit que la décision implicite de rejet de la réclamation du
requérant, qui est réputée résulter du silence de l'administration à l'expiration d'un délai de deux mois, doit être annulée sur ce point. Dans ces conditions, nous estimons opportun de condamner le Parlement, partie défenderesse, à supporter la moitié des frais exposés par le requérant au cours du procès.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48-70
Date de la décision : 10/02/1971
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours de fonctionnaires - irrecevable

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Giorgio Bernardi
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Monaco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1971:14

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