La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/11/1970 | CJUE | N°32-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 11 novembre 1970., Union nationale des mutualités socialistes contre La Marca Stéphanie., 11/11/1970, 32-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 11 NOVEMBRE 1970 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La défenderesse dans l'affaire qui a abouti au renvoi dont vous avez à connaître maintenant est une ressortissante italienne, résidant en Belgique. Du 24 août 1965 au 24 avril 1967 (dont pendant 21 mois au total), elle a travaillé en République fédérale d'Allemagne où elle a été assurée sociale. Par la suite, elle a travaillé en Belgique, du27 avril au 6 mai 1967 (c'est-à-dire pendant 8 jours au total)

. Elle a alors été assurée par la Fédération des mutualités socialistes et syndicales de la
pr...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 11 NOVEMBRE 1970 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La défenderesse dans l'affaire qui a abouti au renvoi dont vous avez à connaître maintenant est une ressortissante italienne, résidant en Belgique. Du 24 août 1965 au 24 avril 1967 (dont pendant 21 mois au total), elle a travaillé en République fédérale d'Allemagne où elle a été assurée sociale. Par la suite, elle a travaillé en Belgique, du27 avril au 6 mai 1967 (c'est-à-dire pendant 8 jours au total). Elle a alors été assurée par la Fédération des mutualités socialistes et syndicales de la
province de Liège, auprès de l'Union nationale des mutualités socialistes de Bruxelles, partie demanderesse dans le litige au principal. Depuis le 8 mai 1967, elle a cessé le travail pour cause de maladie. Elle a donc perçu de l'Union nationale, pendant un an tout d'abord, une indemnité d'incapacité primaire, puis, jusqu'au 29 septembre 1969, une indemnité d'incapacité prolongée (pour cette dernière période, l'indemnité a été de 63738 FB au total), cela, en application de la loi belge du 9 août 1963
qui a été modifiée entre temps par la loi du 27 juin 1969. En ce qui concerne l'indemnité d'incapacité primaire, l'Union nationale estime qu'elle pouvait être accordée, en dépit de la brièveté de la période d'assurance en Belgique de Mme La Marca, compte tenu de la totalisation des périodes d'assurances, applicable en vertu de l'article 17 du règlement no 3 du Conseil concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants. En revanche, pour l'indemnité d'incapacité prolongée, des difficultés
apparaissent, liées au fait que, selon le droit belge, cette indemnité devait apparemment être considérée comme une indemnité d'invalidité. L'article 146 de la loi belge du 9 août 1963 déclare en effet : «Les dispositions de la présente loi ne portent pas préjudice aux dispositions des conventions internationales de sécurité sociale en vigueur en Belgique. Pour l'application des dispositions desdites conventions internationales, l'indemnité d'incapacité prolongée doit être considérée comme indemnité
d'invalidité». Mais, en fait, Mme La Marca ne pouvait pas prétendre à une rente d'invalidité selon le droit allemand et l'Union nationale estime que cette rente ne doit pas non plus lui être attribuée selon le droit belge. La première impossibilité découle des dispositions du droit des assurances sociales de la République fédérale qui prévoit une période d'assurance minimum de cinq ans; cette période ne peut pas être atteinte en l'espèce, même par totalisation. En conséquence, la décision que la LVA
Rheinprovinz, l'office allemand compétent, a adoptée le 13 novembre 1969, après que l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (partie intervenante dans le litige au principal) lui eût transmis le dossier en vue de l'octroi d'une rente, a été négative. Le 12 décembre 1969, Mme La Marca a été informée qu'elle ne pouvait pas non plus prétendre à une rente d'invalidité belge (comme elle l'avait demandé le 8 janvier 1969 à l'Institut national). A cet égard, les instances belges invoquent le
droit belge, selon lequel une période d'assurance de six mois (obtenue en fait par totalisation de toutes les périodes d'assurance) est applicable. Mais, en outre, l'article 28, paragraphe 2, du règlement no 4 a joué un rôle déterminant; selon cet article :

«Si les périodes d'assurance et les périodes assimilées accomplies en vertu de la législation de l'un des États membres n'atteignent pas, dans leur ensemble, six mois, aucune prestation n'est accordée en vertu de ladite législation; dans ce cas, les périodes susvisées sont prises en considération en vue de l'acquisition, du maintien et du recouvrement du droit aux prestations de la part des autres États membres, mais elles ne le sont pas pour déterminer le montant dû au prorata, selon l'article 28,
paragraphe 1er, alinéa b, du règlement. Toutefois, cette disposition n'est pas applicable si le droit aux prestations est acquis en vertu de la législation du premier État sur la base des seules périodes accomplies sous sa législation.»

Face à cette situation juridique, le service des indemnisations de l'Institut national a estimé que l'indemnité d'incapacité prolongée avait été versée à tort à Mme La Marca et devait lui être réclamée. L'Union nationale en a été informée le 22 septembre 1969. Elle a obtempéré à cet ordre le 23 décembre 1969, mais sans succès. Elle s'est donc finalement adressée, le 20 janvier 1970, à la Commission de réclamation en matière d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité, afin d'obtenir un
titre pour le recouvrement de la somme en question. Au cours de la procédure principale ainsi engagée, le représentant de la défenderesse a manifestement suggéré de vous soumettre, à titre préjudiciel, une question concernant l'interprétation de l'article 28, paragraphe 2, du règlement no 4. Par décision du 3 juin 1970, la Commission de réclamation a suivi cette suggestion et c'est ainsi que nous avons à examiner la question suivante :

Les dispositions de l'article 28, paragraphe 2, du règlement no 4 sont-elles applicables au travailleur qui, soumis dans un État membre à la législation du type A, perfectionne dans cet État, en l'occurrence la Belgique, son droit aux prestations de l'assurance maladie-invalidité en faisant appel aux périodes d'assurance accomplies dans un autre État membre conformément aux dispositions des articles 16 et 17 du règlement no 3, et devient ensuite invalide avant d'avoir totalisé six mois de travail
dans l'État où il est soumis à la législation du type A, compte tenu qu'aucune prestation ne peut être accordée par l'autre État membre, en l'occurrence la République fédérale d'Allemagne, pour insuffisance de périodes d'assurance?

1.  Sur cette question, seule, tout d'abord la Commission a pris position (par écrit) et, en outre, l'Institut national, mais seulement au cours des débats oraux. Il en est résulté une controverse que le contenu de l'ordonnance de renvoi ne fait pas ressortir de la même manière. A notre avis cependant, il est possible de montrer, sans une étude approfondie, que sa solution ne se heurte pas à des difficultés excessives.

Avant toute considération, il faut partir du fait que le règlement no 4, dont l'article 28 est aujourd'hui en cause, ne renferme en principe que des dispositions d'exécution, de nature principalement procédurale, du règlement no 3. Sous cet angle, il est à priori extrêmement invraisemblable que le règlement no 4 puisse également contenir des dispositions d'une importance décisive pour le fond. En particulier, ce n'est pas dans le règlement no 4, mais à la rigueur dans le règlement no 3, qu'on
pourrait s'attendre à trouver une disposition qui — comme le pense l'Institut national — stipulerait l'exclusion d'un droit à prestation, lorsque certaines conditions sont remplies, et constituerait, le cas échéant, un empiètement grave sur le droit national, à supposer que, conformément au système général des règlements et étant donné la fonction que le traité leur a attribuée, une telle disposition puisse constituer un élément du droit européen de la sécurité sociale des travailleurs migrants.

Si nous gardons cette considération présente à l'esprit, nous pouvons, en partant du texte de l'article 28 du règlement no 4, constater sans difficulté que la finalité exacte de ladite disposition est celle dont la Commission a parlé dans son mémoire. En réalité, l'idée que l'article 28 a surtout pour fonction de simplifier la procédure administrative et d'épargner des frais, dans les cas où, en raison des périodes d'assurance très brèves accomplies dans un État membre, l'institution d'assurance
de ce dernier n'aurait à fournir qu'une part très minime de la prestation, est convaincante. On a voulu exclure cette dernière hypothèse, parce que la portée du droit à prestation serait disproportionnée à la charge administrative. Selon les principes fondamentaux qui gouvernent le droit de la sécurité sociale des travailleurs migrants, cela ne peut se produire, il est vrai, que si on évite que les assurés perdent leurs droits, donc si les périodes d'assurance sont néanmoins prises en
considération. C'est la raison pour laquelle l'article 28 prévoit expressément que «les périodes susvisées (donc les périodes d'assurance de moins de six mois) sont prises en considération en vue de l'acquisition, du maintien et du recouvrement du droit aux prestations de la part des autres États membres» et il ajoute «qu'il n'en est pas ainsi pour déterminer le montant dû au prorata, selon l'article 28, paragraphe 1er , alinéa b, du règlement». Dans les États membres qui connaissent des
périodes d'assurance plus longues, on en arrive donc, comparativement au système de l'article 28 du règlement no 3, à une majoration du droit à prestation. La Commission l'a exposé en détail dans son mémoire. Par conséquent, nous pouvons déclarer que l'idée fondamentale, évidente, de l'article 28 du règlement no 4 est, en réalité, celle d'une compensation pour les nécessités de la simplification administrative.

Mais, d'autre part, nous devons également en déduire que, lorsqu'une possibilité de compensation n'existe pas dans d'autres États membres qui connaissent des périodes d'assurance plus longues (lorsque, par exemple, comme en l'espèce, la période d'assurance minimum nécessaire pour constituer le droit n'est pas atteinte, malgré la totalisation), il est impossible de songer à appliquer l'article 28, paragraphe 2, phrase 1, du règlement no 4, donc de ne pas accorder une rente pour les périodes
d'assurance de moins de six mois. En agissant autrement, on aboutirait à la perte du droit des assurés, ce qui ne serait pas conforme aux principes du règlement no 3. S'il faut respecter le principe de l'article 51 du traité CEE, que les règlements servent à appliquer, il ne reste donc rien d'autre à faire, dans les cas comme celui-ci, où l'ordre juridique de l'État membre, qui connaît des périodes d'assurance plus longues, ne permet pas de constituer le droit, qu'à appliquer la règle
fondamentale de la totalisation au pays qui possède des périodes d'assurance plus brèves. Dans cet État membre, il faut alors calculer la rente sur la base des dispositions du règlement no 3, donc en tenant compte de toutes les périodes d'assurance, et déterminer ultérieurement, selon les principes de la proratisation, la part de prestations que son organisme d'assurance doit fournir. Selon les développements de la Commission, c'est manifestement la solution qui a été adoptée également dans
d'autres litiges dont la Commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants avait eu à s'occuper et telle a été apparemment l'interprétation qui a prévalu au cours des négociations en vue de la révision des règlements nos 3 et 4.

Selon les explications données par la Commission, qui sont dans l'ensemble convaincantes et conformes au système, il faut donc répondre négativement à la question posée et relever que l'article 28, paragraphe 2, du règlement no 4 n'intervient pas, lorsque, dans des États membres qui connaissent des périodes d'assurance plus longues, la constitution du droit est exclue; en pareil cas, c'est le premier État membre qui, bien que les périodes d'assurance accomplies chez lui soient inférieures à six
mois, doit déterminer, par la totalisation et la proratisation, le droit à prestation, venu à échéance.

2.  De l'avis de la Commission, cela n'épuise cependant pas toutes les questions soulevées par cette affaire. Ainsi qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi, la question posée part de l'idée qu'il s'agit d'une indemnité d'invalidité, donc d'actes qui ressortissent à l'assurance invalidité. Cela s'explique, nous l'avons déjà mentionné en exposant les faits, par le point de vue de la juridiction qui a rendu l'ordonnance de renvoi, selon lequel, d'après le droit belge, l'indemnité d'incapacité prolongée
qui est réclamée à la défenderesse doit être considérée comme une indemnité d'invalidité et non pas comme une indemnité de maladie. A cet égard, la Commission estime opportun de faire quelques remarques supplémentaires, en d'autres termes, de répondre aux questions complémentaires qui, d'après les faits connus, doivent être considérées comme implicitement soulevées.

Nous ne voyons pas d'objections de principe à élargir ainsi notre examen. Contrairement à l'opinion du représentant de l'Institut national, pas plus que dans d'autres affaires soulevant des problèmes analogues, on ne peut parler d'une décision ultra petitum, et cela notamment, parce que la solution des questions abordées par la Commission s'impose, d'après l'exposé des faits. Nous pouvons au reste être relativement bref sur ce qu'il faut en dire.

Comme nous l'avons dit, l'élément déterminant pour la thèse de la juridiction qui a rendu l'ordonnance de renvoi est l'article 146 de la loi belge. Nous l'avons déjà cité au début, mais nous insisterons encore une fois sur le paragraphe 2 qui est décisif et aux termes duquel : «Pour l'application des dispositions desdites conventions internationales, l'indemnité d'incapacité prolongée doit être considérée comme indemnité d'invalidité». Or, manifestement, le tribunal a rangé les règlements 3 et 4
sur la sécurité sociale des travailleurs migrants parmi les «conventions internationales» citées. Sans nous immiscer dans l'interprétation du droit national, nous pouvons toutefois affirmer que la disposition mentionnée pourrait difficilement englober les règlements de droit communautaire cités. Nous pouvons l'affirmer sans plus en nous plaçant du point de vue du droit communautaire, car, selon ce droit, il ne s'agit pas d'accords internationaux, mais de règlements. D'après les déclarations de
la Commission, il semble en être de même dans le cadre du Conseil de l'Europe. Une telle mise au point semble indiquée en l'espèce, car elle pourrait inciter le tribunal qui a rendu l'ordonnance de renvoi à considérer l'indemnité litigieuse non comme une indemnité d'invalidité, mais comme une indemnité de maladie, ce qui est important, non seulement pour la demande de remboursement qui fait l'objet du recours, mais aussi pour le cas de l'octroi ultérieur d'une rente.

Indépendamment de cela, selon l'avis de la Commission, il convient de faire une autre constatation: l'article 146 a manifestement pour but d'établir une différenciation selon la nationalité des ayants droit. En effet, selon cet article, l'indemnité d'incapacité prolongée accordée sur la base de la situation légale antérieure (elle a disparu après la loi de 1969) n'est assimilée à l'indemnité d'invalidité que pour les ressortissants d'autres États, mais non pas pour les ressortissants belges.
Dans la mesure où il s'agit de ressortissants d'autres États membres, nous pouvons voir là une violation des principes fondamentaux du règlement no 3, plus exactement une violation du principe d'égalité de traitement que comporte le droit de la sécurité sociale des travailleurs migrants. En effet, l'attention de la juridiction qui a rendu l'ordonnance de renvoi devrait être attirée sur ce fait, car il peut inciter, eu égard à la primauté des principes du droit communautaire, à modifier la
qualification de l'indemnité litigieuse tenue jusqu'ici pour exacte et à résoudre le litige en conséquence.

Dans l'ensemble, nous estimons donc que les considérations complémentaires de la Commission sont parfaitement fondées et de nature à permettre une solution correcte du litige au principal. En tant qu'objet de la procédure de renvoi, nous estimons qu'elles méritent d'être reprises sous une forme quelconque dans votre décision préjudicielle.

3.  Il convient donc de répondre comme suit à la question posée par la juridiction belge :

a) Les dispositions de l'article 28, paragraphe 2, du règlement no 4 ne sont pas applicables au travailleur qui a accompli dans un État membre des périodes d'assurance et des périodes assimilées inférieures à 6 mois, lorsqu'il est établi que, malgré la totalisation de toutes les périodes d'assurance, le droit à prestation ne peut pas être constitué dans un autre État membre. En pareil cas, il faut tenir compte dans le premier État membre des règles générales de la totalisation des périodes
d'assurance et de la proratisation.

b) Les règlements nos 3 et 4 ne peuvent pas être considérés comme des accords internationaux. Selon ces règlements, le principe applicable est qu'un État membre n'accorde pas aux travailleurs migrants, ressortissants d'autres États membres, un traitement moins favorable que celui accordé à ses nationaux.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 32-70
Date de la décision : 11/11/1970
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Commission de réclamation de Liège en matière d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Union nationale des mutualités socialistes
Défendeurs : La Marca Stéphanie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Monaco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1970:91

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award