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11/03/1970 | CJUE | N°65-69

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Roemer présentées le 11 mars 1970., La Compagnie française commerciale et financière, SA, contre Commission des Communautés européennes., 11/03/1970, 65-69


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 11 MARS 1970 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans les trois affaires (affaires 63-69, 64-69 et 65-69) qui nous occupent aujourd'hui, il s'agit de mesures de la Commission qui ont été prises dans le cadre des organisations communes des marchés agricoles après la dévaluation du franc français en août 1969, afin d'empêcher une hausse des prix en France.

A ce sujet, il faut se rappeler que le système des prix agricoles communs repose sur l'unité de compt

e. En conséquence, il est évident que la modification de la parité monétaire d'un État membre...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 11 MARS 1970 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans les trois affaires (affaires 63-69, 64-69 et 65-69) qui nous occupent aujourd'hui, il s'agit de mesures de la Commission qui ont été prises dans le cadre des organisations communes des marchés agricoles après la dévaluation du franc français en août 1969, afin d'empêcher une hausse des prix en France.

A ce sujet, il faut se rappeler que le système des prix agricoles communs repose sur l'unité de compte. En conséquence, il est évident que la modification de la parité monétaire d'un État membre peut entraîner de graves perturbations du système commun. Le règlement du Conseil no 653/68 du 30 mai 1968«relatif aux conditions de modification de la valeur de l'unité de compte utilisée pour la politique agricole commune» (JO 1968, no L 123; p. 4) a été adopté en considération de la possibilité de ces
modifications de rarité. Son article 4 prévoit que «la valeur de l'unité de compte … est suspendue, à partir de l'annonce officielle faite par l'État membre qui, le premier, annonce une modification de la parité de sa monnaie, jusqu'au jour inclus de la publication de la valeur désormais applicable». Il précise en outre que :«le règlement des opérations relatives aux produits agricoles ou marchandises résultant de leur transformation, pour autant que ces opérations, réalisées pendant la période de
suspension, soient soumises à des dispositions de la politique agricole commune ou des régimes spéciaux d'échange applicables à ces marchandises, n'intervient qu'après la publication prévue à l'alinéa précédent de la valeur de l'unité de compte désormais applicable en utilisant celle-ci et compte tenu des adaptations prises en vertu des articles 5 et 6». En conséquence, immédiatement après l'annonce de la décision du gouvernement français relative à la modification de la parité du franc, une
communication de la Commission relative à la suspension de la valeur de l'unité de compte a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 8 août 1969. A la suite de cette communication, le Conseil n'ayant pas décidé de modifier la valeur de l'unité de compte dans le délai prévu, la Commission a dû publier au Journal officiel du 12 août 1969 une autre communication indiquant que l'unité de compte applicable à partir du 11 août 1969 restait inchangée. Comme les prix agricoles communs,
eux non plus, n'ont pas été modifiés, il se serait nécessairement ensuivi en France une hausse du prix à la production et à la consommation en fonction du taux de dévaluation. Mais, pour des raisons de politique conjoncturelle, cela ne paraissait pas souhaitable. Le règlement du Conseil no 1586/69 (JO 1969, no L 202, p. 1) a donc été adopté le 11 août 1969 en vertu de l'article 103 du traité CEE. Il excluait les hausses de prix inévitables sur le marché français en ordonnant, à l'article 1 une
diminution du prix d'intervention ou d'achat à payer par la France en francs français, conformément aux règlements portant organisation commune des marchés agricoles, en raison des interventions sur le marché intérieur et en prescrivant, à l'article 2, une diminution des montants à payer par la France conformément aux règlements portant organisation commune des marchés agricoles, en raison des autres interventions sur le marché intérieur. Étant donné que, par rapport aux autres États membres, les
différences existant dans les prix d'intervention se trouvaient ainsi accrues, des mesures compensatoires aux frontières étaient devenues simultanément nécessaires. C'est pourquoi l'article 3 du règlement no 1586/69 précise que, «pour autant qu'il est nécessaire de compenser les effets des mesures visées aux articles 1 et 2 en ce qui concerne les produits agricoles soumis à l'organisation commune des marchés ou faisant l'objet d'une réglementation spécifique au titre de l'article 235 du traité», la
France octroie des subventions à l'importation en provenance des États membres et des pays tiers et perçoit des montants compensatoires à l'exportation à destination des États membres et des pays tiers. Le cadre des mesures à prendre était ainsi tracé. Conformément à l'article 8 du règlement, les modalités d'application, c'est-à-dire le montant des diminutions visées à l'article 2 ainsi que les subventions à l'importation et les montants compensatoires à l'exportation visés à l'article 3, devaient
être fixées dans des règlements d'application pris par la Commission. — Le règlement de la Commission no 1670/ 69 (JO 1969, no L 214, p. 7) relatif à «certaines mesures à prendre dans les secteurs des céréales et du riz à la suite de la dévaluation du franc français» a été adopté le 22 août 1969 sur la base dudit article 8. Pour les produits qui sont soumis aux organisations de marché des céréales et du riz, ce règlement a prévu les mesures nécessaires pour que le niveau des prix d'intervention en
francs français demeure inchangé. En outre, il a fixé les subventions que la France octroie à l'importation et les montants compensatoires qu'elle perçoit à l'exportation. Il l'a fait pour les différents produits dans une annexe au règlement. Dans la présente affaire, les éléments importants sont le montant de 58,49 FF par tonne de froment tendre et de méteil de la position tarifaire no 10.01 A et celui de 81,87 FF par tonne de farine de froment et de méteil de la position tarifaire no 11.01 A. En
outre, c'est également sur la base du règlement no 1586/69 qu'a été adopté le règlement de la Commission no 1660/ 69 du 22 août 1969«relatif à certaines mesures à prendre dans le secteur agricole à la suite de la dévaluation du franc français» (JO 1969, no L 213, p. 1), dont l'article 2 revêt également de l'intérêt pour cette affaire. Selon cet article, dans les échanges avec les pays tiers, le montant compensatoire est diminué d'un montant déterminé lorsque l'exportateur démontre que les
exportations ont fait l'objet d'un contrat conclu avant le 11 août 1969 et que le prix de vente a été exprimé en francs français. Dans les cas où la restitution peut être fixée à l'avance, cette disposition ne s'appliquait que s'il a été fait usage de cette possibilité.

Les entreprises françaises qui ont intenté les présents recours critiquent ces mesures. En sa qualité de société commerciale qui, en son propre nom et pour son propre compte, exporte de la farine pour certains moulins français, la requérante des affaires 63 et 64-69 estime que le montant compensatoire applicable à la farine de froment et de méteil n'a pas été fixé correctement. Il ne tiendrait compte que de la non-augmentation du prix du blé en France et, en revanche, ne prendrait pas en
considération l'augmentation des frais non agricoles qui doivent être payés en devises (transport et emballage); d'où un dommage pour la requérante. En outre, cette dernière fait valoir qu'elle est lésée par la restriction contenue à l'article 2, paragraphe 1, a, alinéa 2, du règlement no 1660 parce qu'elle a, certes, conclu des contrats d'exportation avant le 11 août 1969, mais n'a pas demandé que la restitution soit fixée à l'avance. Cela constituerait une infraction au principe de l'égalité de
traitement. La requérante de l'affaire 65-69 qui, en tant que société commerciale, importe du blé pour certains moulins français en son propre nom et pour son propre compte, estime que le montant de la subvention établi pour le froment et le méteil est critiquable, parce qu'il ne tient compte également que de la non-augmentation du prix français du blé et ne prend pas en considération les hausses de prix pour le blé importé; d'où un dommage pour la requérante, puisque ce blé doit être payé à des
prix élevés.

Les requérantes ont donc introduit des recours devant la Cour de justice les 20 et 22 octobre 1969. Elles demandent en particulier :

— dans l'affaire 63-69, d'annuler le règlement no 1670/69, dans la mesure où, dans son annexe, il fixe un montant compensatoire de 81,87 FF par tonne pour la farine de froment et de méteil figurant sous la position tarifaire no 11.01 A et dans la mesure où son article 6 décide que les dispositions de l'article 2 prennent effet à partir du 11 août 1969;

— dans l'affaire 64-69, d'annuler le règlement no 1660/69, dans la mesure où son article 2, paragraphe 1, a, alinéa 2, dispose que, dans les échanges avec les pays tiers, le montant compensatoire ne peut être diminué que s'il a été fait usage de la possibilité de fixer à l'avance la restitution et dans la mesure où l'article 3 de ce règlement décide que les dispositions de l'article 2 prennent effet à partir du 11 août 1969;

— dans l'affaire 65-69, d'annuler le règlement no 1670/69, dans la mesure où dans son annexe, il fixe un montant de subvention de 58,49 FF par tonne pour le froment tendre et le méteil figurant sous la position tarifaire no 10.01 A.

La Commission n'a réagi à ces recours que par des demandes fondées sur l'article 91 du règlement de procédure, c'est-à-dire tendant à faire déclarer les recours irrecevables, sans engager le débat au fond. Après les répliques ainsi limitées des entreprises requérantes, seule la recevabilité des recours a été discutée au cours des débats oraux du 17 février. Nos conclusions se limiteront donc également à la question de la recevabilité.

1.  Dans la présente affaire, qui n'a certainement pas pour objet des décisions adressées aux requérantes ou à une autre personne selon le texte de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, le seul point à considérer en ce qui concerne cette disposition est de savoir si les parties attaquées des actes que la Commission qualifie tous de règlements, sont véritablement des règlements ou plutôt des décisions et si ces décisions concernent directement et individuellement les requérantes.

Avant d'entreprendre les investigations nécessaires, il convient de remarquer qu'il s'agit ici de conditions qui doivent être remplies cumulativement. Contrairement à ce que pensent les requérantes, il ne suffit donc pas de prouver que l'acte les concerne individuellement et directement, mais la nature juridique des mesures critiquées revêt, elle aussi, de l'importance. En effet, l'affaire 40-64 (Recueil, XI-1965, p. 295) ne permet pas de tirer une conclusion contraire. La Cour de justice a
alors limité ses investigations à la question de savoir si l'acte concernait individuellement et directement la requérante, parce qu'ainsi elle pouvait parvenir dans la question de la recevabilité à un arrêt négatif pour cette dernière, mais, en revanche, elle n'avait pas à déclarer que ces considérations suffisent dans tous les cas pour la recevabilité du recours. En suivant votre jurisprudence plus récente, telle qu'elle s'est développée dans les affaires 30-67 et 6-68 (Recueil, XIV-1968,
p. 179 et 604) et en tenant compte par ailleurs des règles de la logique, nous nous efforcerons donc, dans les recherches suivantes, de déterminer tout d'abord la nature juridique des actes attaqués, puis, si cela est nécessaire, nous aborderons la question de savoir s'ils concernent les requérantes individuellement et directement.

Avant de procéder à cet examen, il convient peut-être encore de remarquer que la recherche de la nature juridique d'un acte ne peut évidemment pas se faire en prouvant qu'il présente en général un caractère réglementaire. Il faut plutôt entreprendre les recherches en considérant tous les éléments d'une mesure, en d'autres termes, il faut procéder de façon sélective, même s'il ne faut pas perdre de vue l'ensemble du contexte. Votre jurisprudence l'a nettement mis en évidence, notamment dans les
affaires 16 et 17-62 (Recueil, VIII-1962, p. 918). De plus amples développements sont donc superflus.

2.  Après ces remarques préliminaires, déterminons tout d'abord la nature juridique des mesures qui prévoient en France le paiement d'une subvention de 58,49 FF par tonne lors de l'importation de froment tendre et de méteil, et en vertu desquelles un montant compensatoire de 81,87 FF par tonne doit être versé lorsque de la farine de froment et de méteil est exportée hors de France. Nous pouvons procéder simultanément à cet examen, parce que lesdits montants s'appliquent aussi bien aux importations
qu'aux exportations et qu'ainsi une appréciation distincte ne se justifie pas.

En ce qui concerne ce point de notre affaire, disons tout de suite que les explications de la Commission font clairement apparaître que nous ne rencontrons pas de difficultés spéciales. Nous pouvons donc résumer assez brièvement. En présentant les faits, nous avons déjà indiqué quelles sont les fonctions de ces mesures, conjointement avec le règlement de politique conjoncturelle no 1586/69 adopté par le Conseil. Il s'agissait de maintenir en France le niveau des prix d'intervention et des autres
garanties de prix en francs français qui existait avant la dévaluation, c'est-à-dire d'empêcher des hausses de prix que les organisations communes de marché auraient nécessairement entraînées, vu la modification de la valeur de l'unité de compte. Étant donné le niveau des prix d'intervention existant dans les autres États membres, ce résultat ne pouvait être obtenu qu'au moyen de mesures compensatoires aux frontières, c'est-à-dire en diminuant le prix des produits plus chers importés (ou en les
subventionnant) et en grevant les exportations françaises. De même, il est évident que les mesures à prendre ne pouvaient pas se limiter aux produits de base (dans notre cas, le froment tendre et le méteil), mais qu'elles devaient, au contraire, englober également les produits transformés qui sont soumis à des organisations de marché (dans notre cas, la farine), parce que les prix pratiqués pour les produits de base exercent naturellement une influence sur ceux des produits transformés. Enfin,
il faut se rappeler que les mesures prises devaient tout d'abord rester en vigueur pendant une campagne (c'est-à-dire l'année 1969-1970).

En réalité, ces indications, et notamment la connaissance du contexte dans lequel s'insèrent les mesures prises et de leur incidence sur l'ensemble du Marché commun, font apparaître qu'il s'agit d'actes normatifs. La catégorie des personnes qu'elles concernent est complexe. Elle comprend les organismes d'intervention, les producteurs des produits de base et des produits transformés, mais aussi les négociants installés dans les États membres et les États tiers et qui sont intéressés par des
opérations commerciales avec la France, par conséquent tous ceux qui, pendant la durée de la validité de ces mesures, participent au marché en question. En utilisant les critères dégagés par votre jurisprudence (notamment dans les affaires 16 et 17-62), nous pouvons ainsi parler d'une portée générale des actes adoptés et dire qu'ils s'appliquent à des «catégories envisagées abstraitement» (Recueil, VIII-1962, p. 918; voir aussi affaire 30-67, Recueil, XIV-1968, p. 181).

En revanche, si l'on objecte, comme les requérantes essaient de le faire, que les personnes intéressées par les mesures étaient identifiables lorsque les actes ont été adoptés et qu'ainsi il a été possible de parler d'une catégorie déterminable de personnes, nous devons répondre que, rapporté à la date à laquelle les actes ont été adoptés, cela s'applique logiquement à tout acte, même à tout acte nettement normatif. Mais ce serait certainement une erreur de scinder pour ainsi dire des mesures
uniformes en adoptant cette manière d'envisager les choses et de qualifier différemment leur nature juridique selon la période de validité en question.

De même, nous considérons que la remarque des requérantes, selon laquelle elles n'attaquaient pas le principe de la subvention aux importations et de l'imposition des exportations, mais uniquement le niveau des montants fixés, n'est pas pertinente. En réalité, cette indication ne nous fournit aucun élément pour apprécier différemment la nature juridique des mesures attaquées, bien qu'il faille reconnaître que les différentes entreprises françaises qui font partie de la catégorie des intéressés
ne sont pas concernées de la même manière, en raison de leur situation géographique et des frais de transport qui s'y attachent. En effet, la détermination de la nature juridique des mesures que vous avez à apprécier ne dépend pas de ces nuances, mais uniquement du fait qu'au moment où elles ont été adoptées, il n'était pas possible de dire qui elles concerneraient pendant la durée de leur validité. Donc, même si nous n'envisageons que le niveau des montants critiqués et non pas le principe de
leur fixation, nous ne pouvons pas manquer de constater qu'elles s'appliquent à des catégories de personnes définies abstraitement, c'est-à-dire qu'elles ont un caractère normatif.

Eu égard au fait que les montants visés par les requérantes ne s'appliquent pas seulement à un nombre limité de personnes, comme l'exige la notion de décision, nous pouvons déclarer à propos du premier point de notre examen que le recours en annulation en application de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE n'est pas possible. Cette conclusion rend, en même temps, superflue l'étude du point de savoir si les mesures attaquées concernent individuellement et directement les requérantes.

3.  En second lieu, il faut déterminer la nature juridique de la disposition de l'article 6 du règlement no 1670/69, la seule qui soit attaquée dans l'affaire 63-69. Comme nous le savons, elle a fixé la date d'entrée en vigueur du règlement (à savoir le 25 août 1969) et elle a en outre décidé que les dispositions des articles 2 à 4, donc également le montant compensatoire de la position tarifaire no 11.01 A, prendraient effet à partir du 11 août 1969.

Sur ce point également, nous n'avons pas beaucoup à dire. Certes, nous devons reconnaître qu'au moment où la disposition a été adoptée (c'est-à-dire le 22 août 1969), il était possible de dire pui serait concerné à partir de son entrée en vigueur, c'est-à-dire pendant une période d'environ 11 jours. Avec la Commission, nous estimons cependant que la nature juridique de la disposition ne peut pas être déterminée en se fondant sur cet argument, mais qu'elle dépend plutôt d'autres considérations.
Comme la Commission le dit avec raison, l'article 6 du règlement no 1670/69 contient une réglementation relative à son applicabilité dans le temps. En réalité, ces dispositions participent au caractère juridique des dispositions dont elle concerne l'applicabilité. Votre jurisprudence l'a affirmé, il n'y a pas très longtemps dans l'affaire 6-68 (Recueil, XIV-1968, p. 605), bien qu'il s'agisse d'un cas qui ne corresponde pas complètement à la présente affaire. En réalité, nous pouvons dire qu'à
propos de mesures qui revêtent nettement un caractère normatif, il paraîtrait artificiel de faire une distinction selon leur champ d'application dans le temps et de parler d'une décision, dans l'autre cas. La référence aux affaires 106 et 107-63 (Recueil, XI-1965, p. 532), n'a pas de valeur pour la simple raison que, dans ces affaires, il s'agissait d'un acte de la Commission qui déployait ses effets exclusivement dans le passé.

Par conséquent, dans le cas de l'article 6 du règlement no 1670/69, nous pouvons admettre également qu'il s'agit d'un acte normatif. Ainsi, la requérante n'a pas le droit de demander l'annulation et cela une fois encore sans qu'il soit nécessaire d'aborder la question de savoir si cet acte la concerne individuellement et directement.

4.  Dans l'affaire 64-69, il s'agit d'un problème de recevabilité posé à propos de la disposition de l'article 2 du règlement no 1660/69 qui a été mise en application avec effet rétroactif. Comme vous le savez, selon cette disposition, le montant compensatoire pour les exportations dans les pays tiers qui font l'objet d'un contrat passé avant le 11 août 1969 et rédigé en francs français ne peut être diminué que si, lorsque la fixation à l'avance de la restitution est possible, il a été fait usage de
cette possibilité.

Si nous nous demandons comment il convient de qualifier cette disposition, la réponse ne paraît pas aussi évidente que dans les cas dont nous nous sommes occupés jusqu'à présent. A ce sujet, la Commission a déclaré qu'il s'agissait d'une disposition transitoire et qu'il fallait admettre par conséquent qu'elle participe du caractère des dispositions dont elle régit l'application. En outre, dans le cas de cette mesure, il s'agit de la limitation d'une exception à la règle générale, de sorte que
nous pouvons dire que la règle générale elle-même, c'est-à-dire l'imposition des exportations françaises par des montants compensatoires, est en jeu. A première vue, cette appréciation nous paraissait absolument convaincante. En effet, il semble possible d'affirmer que le grief de la requérante vise en réalité la réglementation générale, précisément parce qu'elle fait valoir que c'est à tort que la réglementation transitoire de l'article 2 du règlement no 1660/69 ne l'engloberait pas. Toutefois,
il nous paraît maintenant douteux que l'on puisse argumenter de la sorte et c'est pourquoi nous préférons ne pas porter d'appréciation sur la question de la recevabilité du recours 64/69 en nous fondant uniquement sur des considérations relatives à la nature juridique de l'acte attaqué.

En effet, si, comme le fait la requérante, nous mettons l'accent sur la réglementation du règlement no 1660/69 et sur le fait que les exceptions qu'elle prévoit n'ont pas une portée suffisante, précisément parce qu'elles n'englobent pas les contrats conclus par la requérante, il est difficile de parler d'un acte normatif, étant donné qu'il s'agit d'une mesure qui concerne exclusivement le passé. En fait, cette mesure n'englobe que certains faits passés, à savoir les contrats d'exportation
conclus avec des négociants de pays tiers avant le 11 août 1969 et qui, conformément à l'article 2, paragraphe 2, du règlement, ont été enregistrés auprès des autorités françaises avant le 18 août 1969. De cet acte, nous pouvons donc dire avec certitude qu'il ne concerne qu'une catégorie limitée d'intéressés déterminables. Du point de vue du droit administratif, cet acte peut, par conséquent, être considéré comme un acte général («Allgemeinverfugung» au sens du droit allemand). Mais, puisque,
selon votre jurisprudence, l'élément essentiel pour la notion de règlement est non seulement la validité générale, mais encore le fait qu'il englobe des catégories de personnes envisagées abstraitement, qui ne sont pas encore identifiables au moment où il est adopté, il nous semble exclu en fait, eu égard à sa nature juridique, de dire que l'acte dont il est question dans l'affaire 64-69 ne peut pas faire l'objet d'un recours en annulation. Ainsi, comme nous l'avons déjà indiqué, il faut étendre
nos investigations à la question de savoir si la requérante, dont les contrats ne sont pas englobés par le règlement no 1660/69, peut affirmer qu'elle est individuellement concernée. A vrai dire, à cette question-là non plus il n'est pas facile de répondre, parce que les critères élaborés dans la jurisprudence antérieure ne sont pas riches. Tout d'abord, nous pouvons partir du fait qu'il n'est pas possible de parler d'un intérêt individuel lorsqu'une seule personne est lésée. Mais, en cas de
pluralité d'intéressés, il est assurément plus difficile de dire où il convient de tracer la limite à partir de laquelle il n'est plus possible d'admettre un intérêt individuel. En dernière analyse, nous ne pouvons sans doute pas renoncer à un point de vue quantitatif. C'est en effet en faveur de cette opinion que nous semble plaider l'arrêt rendu dans les affaires 106 et 107-63, dans lequel vous avez déclaré le recours recevable, parce qu'il s'agissait d'un nombre restreint et déterminable
d'importateurs allemands d'un produit déterminé, auxquels s'appliquait un acte rétroactif de la Commission. Tel est aussi, nous semble-t-il, ce que vise l'indication utilisée dans la définition de la Cour de justice, selon laquelle, pour pouvoir parler d'un intérêt individuel, il est nécessaire que l'intéressé soit individualisé d'une manière analogue à celle du destinataire (Affaires 106 et 107-63, Recueil, XI-1965, p. 533, affaires 6-68, Recueil, XIV-1968, p. 606). Il est cependant difficile
de dire qu'il en est ainsi en l'espèce. Déjà la requérante a cité toute une série de contrats qu'elle a conclus avant le 11 août 1969 et auxquels, estime-t-elle, la réglementation du règlement no 1660/69 aurait dû s'étendre. Au cours des débats oraux, nous avons entendu dire qu'en France 50 sociétés exportent de la farine. Il faut en outre observer que la possibilité de fixer à l'avance les restitutions, mentionnée à l'article 2, paragraphe 1, a, alinéa 2, du règlement no 1660/69, joue pour
toute une série d'autres produits. La Commission l'a exposé en détail dans son mémoire, à la page 8, et elle a ainsi montré clairement quelle est la portée économique des dispositions critiquées (pour employer une expression de l'affaire 1-64 (Recueil, X-1964, p. 824), et quelle est l'importance de la catégorie des personnes intéressées par le règlement no 1660/69. En réalité, il est difficile d'imaginer que les décisions individuelles auraient pu leur être adressées à elles toutes. Cela parait
difficilement réalisable, non seulement au point de vue de la technique administrative, mais, et ceci est plus significatif, cela aurait semblé absolument inusité au point de vue de la technique législative.

En nous fondant sur ces considérations et sur l'hypothèse selon laquelle l'acte attaqué n'a pas un caractère normatif, il demeure, compte tenu de la formule employée dans l'arrêt 25-62 (Recueil, IX-1963, p. 223), que la requérante ne peut pas parler d'un intérêt individuel. Cela vous oblige à rejeter également le recours 64/69 comme irrecevable.

5.  Résumons: La Cour de justice doit donner suite à la demande présentée par la Commission en vertu de l'article 91 du règlement de procédure et, sans aborder le fond, déclarer que les recours ne sont pas recevables. Étant donné que les recours intentés en application de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE doivent être rejetés, les requérantes doivent également être condamnées aux dépens.

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( 1 ) Traduit de L'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 65-69
Date de la décision : 11/03/1970
Type de recours : Recours en annulation - irrecevable

Analyses

Affaires 63-69 et 64-69.

La compagnie d'approvisionnement, de transport et de crédit SA, contre Commission des Communautés européennes.

Agriculture et Pêche

Céréales

Mesures monétaires en agriculture


Parties
Demandeurs : La Compagnie française commerciale et financière, SA,
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1970:18

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