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17/02/1970 | CJUE | N°26-69

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 17 février 1970., Commission des Communautés européennes contre République française., 17/02/1970, 26-69


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER

PRÉSENTÉES LE 17 FÉVRIER 1970 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui, la question est de savoir si la Commission a reproché, à bon droit, au gouvernement français d'avoir violé les dispositions du droit communautaire. Cette violation consisterait dans le fait que, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la République tunisienne, donc jusqu'au 1er septembre 1969, la

France n'a pas perçu les prélèvements sur l'huile d'olive importée de la Tunisie tels
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER

PRÉSENTÉES LE 17 FÉVRIER 1970 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui, la question est de savoir si la Commission a reproché, à bon droit, au gouvernement français d'avoir violé les dispositions du droit communautaire. Cette violation consisterait dans le fait que, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la République tunisienne, donc jusqu'au 1er septembre 1969, la France n'a pas perçu les prélèvements sur l'huile d'olive importée de la Tunisie tels
qu'ils sont prévus dans le règlement du Conseil no 136/66 du 22 septembre 1966 (JO, p. 3025) portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses, en fonction de la différence entre les prix de seuil et les prix CAF (plus exactement: tels qu'ils sont prescrits à l'article 13 du règlement pour les huiles d'olive en provenance de pays tiers et n'ayant pas subi un processus de raffinage et à l'article 14 pour les huiles d'olive de cette provenance ayant subi
un processus de raffinage). — En effet, le Journal officiel de la République française du 8 décembre 1966 renferme un avis destiné aux importateurs selon lequel les prélèvements perçus conformément au règlement no 136/66 ne sont pas dus sur les importations en provenance du Maroc et de la Tunisie, dans la mesure où les importations entrent dans les limites des contingents ouverts pour ces pays au titre de l'année 1966 ou 1966-1967. Il faut mentionner en outre l'arrêté publié au Journal officiel de
la République française du 19 janvier 1967, qui a fixé pour les importations d'huile d'olive en provenance de Tunisie un contingent à droit nul de 20000 tonnes pour l'année 1967. A seule fin d'être complet, mentionnons que cet arrêté a également prévu un contingent de 6000 tonnes pour le Maroc; mais ce fait est sans importance pour la présente affaire. En outre, il faut encore indiquer l'avis aux importateurs publié au Journal officiel de la République française du 2 juin 1967, selon lequel le
prélèvement prévu au règlement 136/66 n'était pas dû pour les importations d'huile d'olive d'une certaine catégorie en provenance de Tunisie, dans la mesure où elles demeureraient dans la limite du contingent ouvert pour l'année 1967.

Devant ces faits, la Commission a adressé, le 1er août 1967, une lettre au ministre français des affaires étrangères, dans laquelle elle faisait valoir que les importations en exemption de prélèvement en provenance du Maroc et de la Tunisie violaient le règlement 136/66 et elle demandait au gouvernement français de lui faire connaître ses observations sur ce grief dans un délai de deux mois. — Dans sa réponse du 3 novembre 1967, le gouvernement français a soutenu qu'en vertu du protocole I.7 du
traité CEE qui s'applique également aux relations de la France avec le Maroc et la Tunisie, les articles 13 et 14 du règlement susmentionné du Conseil ne sont pas applicables aux importations en provenance de ces pays. En outre, le gouvernement français faisait état du préjudice qu'une telle application entraînerait inévitablement pour la vie économique de la Tunisie et du Maroc. — Conformément à cette thèse, un avis destiné aux importateurs a été publié au Journal officiel du 12 janvier 1968, selon
lequel en 1968 un contingent de 20000 tonnes d'huile d'olive en provenance de Tunisie (pour le Maroc rien n'était communiqué) pouvait être importé en France en exemption de prélèvement.

Sur quoi la Commission a émis, le 3 mai 1968, un avis formel conformément à l'article 169 du traité CEE. Elle y répétait l'opinion émise dans sa lettre du 1er août 1967 et fixait au gouvernement français un délai de 30 jours pour mettre fin à la violation du traité indiquée.

Mais le gouvernement français a persisté dans son point de vue et a fait savoir aux importateurs, dans le Journal officiel du 31 janvier 1969, qu'au cours de l'année 1969, 20000 tonnes d'huile d'olive d'une certaine catégorie pouvaient être importées de Tunisie sans acquitter le prélèvement prévu dans le règlement 136/66.

L' occasion était ainsi donnée à la Commission d'engager une procédure judiciaire. Dans une requête parvenue le 14 juin 1969, elle a soumis à la Cour de justice le litige que nous venons de décrire et qui porte exclusivement sur le cas de la Tunisie, car, à cette date, l'exemption du prélèvement ne s'appliquait déjà plus aux importations d'huile d'olive en provenance du Maroc. Il nous faut donc examiner maintenant la requête par laquelle la Commission vous demande de déclarer que la République
française, en excluant de l'application du prélèvement, dans la limite d'un contingent fixé annuellement, les importations d'huile d'olive originaire et en provenance de Tunisie, a violé les articles 13, paragraphe 1, et 14, paragraphe 1, du règlement 136/66.

Analyse juridique

1. Avant d'examiner si cette requête est fondée, nous devons montrer brièvement qu'il n'existe pas d'objections à sa recevabilité. Nous estimons que cette solution est correcte parce que l'infraction dénoncée par la Commission n'existait plus depuis l'entrée en vigueur de l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la République tunisienne (donc depuis le 1er septembre 1969), la France s'en tenant depuis lors au règlement no 1471/69 (JO no L 198) qui fixe de
façon uniforme pour la Communauté des taux de prélèvement spéciaux pour les importations d'huile d'olive en provenance de Tunisie. En réalité, comme la Cour de justice l'a déjà relevé dans des affaires analogues (affaire 7-61, Recueil VII-1961, p. 653), ce fait est sans intérêt. Pour la recevabilité du recours intenté en application de l'article 169 du traité CEE, le seul élément important est que le gouvernement français ne s'est pas rallié à l'opinion de la Commission dans le délai d'un mois
fixé dans l'avis du 3 mai 1968 et que la situation critiquée existait encore au moment de l'introduction du recours. — Au reste, il faudrait reconnaître que la Commission a un intérêt à cette déclaration parce que le protocole cité par le gouvernement français continue de s'appliquer à des produits qui ne sont pas englobés dans l'accord d'association mentionné et parce que l'application du protocole à d'autres produits n'est que suspendue pour la durée de validité de l'accord d'association (donc
pour cinq ans). Nous pouvons à ce sujet renvoyer à l'échange de lettres publié au JO de 1969 (no L 198, p. 86) et, sans autre remarque préliminaire, nous en arrivons maintenant à l'examen du fond du litige.

2. Comme nous l'avons déjà dit, accusé d'avoir violé le traité en ne percevant pas sur l'huile d'olive en provenance de Tunisie les prélèvements prévus dans le règlement 136/66, le gouvernement français se défend en invoquant le protocole «relatif aux marchandises originaires et en provenance de certains pays et bénéficiant d'un régime particulier à l'importation dans un des États membres», qui est annexé au traité CEE (protocole I.7). La détermination de sa portée constitue donc le problème central
de la présente affaire. Cela justifie que nous commencions par citer son texte, dans la mesure où il présente de l'intérêt en l'espèce. Nous lisons au paragraphe 1 du protocole : «L'application du traité instituant la Communauté économique européenne n'exige aucune modification du régime douanier applicable, à l'entrée en vigueur du traité, aux importations… en France de marchandises originaires et en provenance du Maroc, de la Tunisie…». Comme le gouvernement français estime que les prélèvements
ne sont pas des droits de douane (nous pouvons le déduire d'une lettre du 3 novembre 1967), le problème d'interprétation se ramène par conséquent à la question de savoir si la notion de «régime douanier» que nous venons d'évoquer doit être entendue au sens étroit et être limitée aux droits de douane proprement dits ou si, dans une acception plus large, elle doit être comprise comme «régime à l'importation». Cette dernière interprétation est, on le sait, celle du gouvernement français. Partant de
là, il formule l'argumentation suivante: étant donné que lors de l'entrée en vigueur du traité CEE, les importations d'huile d'olive en provenance de Tunisie n'étaient pas grevées de droits de douane français, le protocole I.7 exemptait la France de grever l'huile d'olive tunisienne d'une charge variable sur les importations ayant la même incidence que celle qui a été introduite — sous forme de prélèvement — lors de l'entrée en vigueur de l'organisation de marché qui s'y rapporte et qui a
remplacé le droit de douane. — En faveur de cette thèse, le gouvernement français a présenté une série d'observations que la Commission a essayé d'infirmer par ses arguments. Examinons maintenant en détail ce qu'il convient d'en retenir.

a) Commençons par les arguments de texte proprement dits. A leur propos, le gouvernement français renvoie tout d'abord à d'autres expressions employées dans le protocole. Il fait valoir que son préambule utilise la notion plus générale de «régime particulier» appliquée à l'importation dans un des États membres et qu'au paragraphe 3 du texte, il est également question de «régimes particuliers». Ces formules permettraient d'éclairer la portée de la disposition contenue au paragraphe 1 et
justifieraient en particulier la nécessité de choisir une interprétation large pour le paragraphe 1.

En accord avec la Commission, nous devons cependant reconnaître que ces références n'apportent guère d'éléments. Reconnaissons que la fonction du préambule est essentiellement de faire apparaître les motifs décisifs de l'adoption du protocole et de caractériser son contenu d'une façon générale. Le préambule n'exige donc pas la même précision que les dispositions elles-mêmes qui lui font suite. En conséquence, en cas de divergences dans le texte, le contenu du protocole doit l'emporter sur le
préambule et c'est le texte de ses dispositions qui est en premier lieu déterminant. — Il en est de même du paragraphe 3. Sa lecture fait clairement apparaître qu'il ne s'agit que d'un renvoi à la réglementation contenue dans le paragraphe 1. Ainsi, il apparaît compréhensible que les régimes particuliers en question ne soient pas indiqués de façon précise. En revanche, ce serait une erreur de préciser la portée des régimes particuliers en partant du texte de renvoi.

Ainsi, le premier argument du gouvernement français est-il certainement sans importance pour l'affaire.

b) Les tentatives du gouvernement français d'interpréter la notion de «régime douanier» en tenant compte de l'usage linguistique international vont plus loin. Le gouvernement français estime qu'elles peuvent être d'une certaine utilité bien qu'il soit obligé d'admettre avec la Commission l'absence d'une définition claire et précise.

A cet égard, le gouvernement français fait état tout d'abord d'une citation extraite du glossaire du Conseil de coopération douanière. Selon ce document, il faut entendre par «régime douanier»«la destination au regard des lois et règlements douaniers que peuvent recevoir les marchandises assujetties au contrôle de la douane». En outre, deux précisions supplémentaires affirment que «dans certains pays ce terme désigne également l'ensemble des prescriptions légales ou réglementaires s'appliquant
à cette destination» et elles déclarent «qu'il existe des régimes douaniers différents (régime de la mise à la consommation, de l'entrepôt de douane, de l'admission temporaire, du transit douanier, etc.) selon la nature et le but de l'opération». — A propos de la valeur de ces citations en tant qu'argument, la Commission a tout d'abord objecté qu'il s'agit de formules désuètes de 1964. Depuis 1967, la définition admise est celle-ci : «Traitement applicable au regard des lois et règlements
douaniers et, selon la nature et le but de l'opération, aux marchandises assujetties au contrôle de la douane.» La note complémentaire ajoute maintenant : «Il existe divers régimes douaniers, mise à la consommation, entrepôt de douane, admission temporaire, transit douanier, etc.». Mais la Commission est surtout d'avis que ni les anciennes formules ni le nouveau texte du glossaire ne permettent de tirer des conclusions pertinentes pour le problème posé en l'espèce.

Sur ce point, également, nous estimons que la thèse de la Commission est exacte. En réalité, les formules citées mettent l'accent sur les notions de «lois douanières» et de «règlements douaniers», en d'autres termes, elles visent la notion classique de droit de douane. En outre, les compléments, qui ne sont pas exhaustifs ne fournissent pas de précision pour la solution du cas qui nous occupe. Comme le dit la Commission, ils donnent l'impression qu'ils traitent des modalités de l'application
de droits de douane mais ils ne disent rien de la nature des taxes dont il s'agit. — Le glossaire du Conseil de coopération douanière peut donc être laissé de côté pour la solution du litige. Il en est de même, disons le tout de suite, de l'importance des références relatives à l'usage linguistique du GATT, que le gouvernement français invoque sous trois aspects pour montrer que le terme «douanier» a bien le vaste contenu qu'il admet pour l'expression «régime douanier» du protocole.

En réalité, il ne peut pas y parvenir à l'aide des notions utilisées pour le régime particulier italo-lybien. Nous avons vu, en effet, qu'il s'agit ici de contingents tarifaires pour certains produits, en d'autres termes, comme la Commission le relève à juste titre, nous nous trouvons dans un domaine qui concerne les problèmes douaniers au sens strict. Cette indication n'est donc d'aucune utilité pour le problème de délimitation qui nous intéresse actuellement.

De même, le recours à la définition de «l'Union douanière» n'est qu'apparemment plus fructueux pour notre cas. Selon l'article 24, paragraphe 8, du GATT, cette définition est la suivante : «Substitution d'un seul territoire douanier à un ou plusieurs territoires douaniers lorsque cette substitution a pour conséquence que les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives sont éliminées pour l'essentiel et que… les droits de douane et les autres réglementations
appliqués par chacun des membres de l'Union au commerce avec les territoires qui ne sont pas compris dans celle-ci sont identiques en substance.» — Comme la Commission l'admet, nous pouvons dire qu'en l'espèce cette définition n'a pas de valeur en tant qu'argument, parce que précisément l'adjectif «douanier» n'est pas employé pour englober toutes les autres charges citées. En outre, il y aurait lieu de faire remarquer que le traité CEE part manifestement d'un autre système. Ici, comme on le
sait, dans le titre relatif à la libre circulation des marchandises, une distinction est faite entre l'union douanière (chapitre I du titre I) et l'élimination des restrictions quantitatives entre les États membres (chapitre II de ce titre). De plus, il est certain que dans la Communauté, en dépit de la suppression des droits de douane à l'intérieur, des prélèvements devaient être perçus pendant la période de transition; le système du droit communautaire lui-même fournit ainsi un indice
important contre la thèse selon laquelle les prélèvements entrent dans la notion de droits de douane.

Enfin, le troisième argument relatif au GATT concerne les formules qui ont été employées par les autorités communautaires dans le cadre des négociations sur l'accord d'association avec la Tunisie. A notre avis, la Commission a montré de façon convaincante qu'il n'est pas non plus pertinent. En réalité, l'usage général des expressions «préférences tarifaires», «franchise douanière» et «perception des droits de douane» auquel se réfère le gouvernement français ne peut s'expliquer que par le fait
que dans les négociations, les discussions portaient également sur des produits qui, comme les agrumes, sont nettement soumis à des droits de douane. En revanche, l'emploi global des expressions citées ne permet pas de conclure à une qualification décisive des prélèvements applicables aux autres produits (comme l'huile d'olive), c'est-à-dire dé déduire la preuve que, pour l'ensemble des marchandises traitées, la Communauté admettait l'existence d'un régime douanier.

c) Si les arguments que nous avons examinés jusqu'ici n'étaient pas de nature à étayer la thèse du gouvernement français, nous devons reconnaître en revanche que la Commission a cité en faveur de la validité de son point de vue quelques arguments importants tirés de domaines voisins. Au total, il s'agit de quatre références.

— Mentionnons en premier lieu le protocole no 12 de l'accord créant une association entre la Communauté et la Grèce. Ce protocole souligne expressément que les prélèvements ne sont pas des taxes d'effet équivalant aux droits de douane, l'obligation de standstill des articles 12 et 37 de l'accord d'association ne leur est donc pas applicable. Ainsi, en effet, les prélèvements sont distingués nettement des taxes d'effet équivalant aux droits de douane et naturellement des droits de douane (pour
lesquels une telle mise au point était inutile). La seule interprétation que nous puissions en déduire est que la Communauté entend la notion de «régime douanier» d'une manière qui n'inclut pas les prélèvements.

— D'autres arguments qu'il est possible de tirer du domaine du traité lui-même vont dans le même sens. Il faut mentionner notamment le protocole I.3 «relatif au commerce intérieur allemand et aux problèmes connexes», qui est également annexé au traité CEE. Ce protocole déclare que le traité n'exige aucune modification du régime actuel du commerce intérieur allemand. Le protocole utilise donc expressément une notion large, similaire à celle du «régime à l'importation» dont le gouvernement
français voudrait qu'il constitue le contenu du protocole I.7. Ce fait et la constatation que le protocole I.7 est rédigé autrement nous permettent en effet de conclure qu'il faut donner un contenu restrictif à la notion étroite et qu'il ne faut pas tenter de l'étendre par l'interprétation.

— A cet égard, la convention d'application relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté, qui constitue une annexe du traité CEE, est encore plus nette. Son article 9 emploie également la notion de «régime douanier» lorsqu'il précise que : «dans les échanges commerciaux entre les États membres et les pays et territoires, le régime douanier applicable est celui prévu par les articles 133 et 134 du traité». Ensuite, nous pouvons déduire de l'article 133 du traité
qu'il ne s'agit que de l'élimination des droits de douane frappant les importations et donc que même les taxes d'effet équivalant aux droits de douane ne sont pas englobées. Ici aussi nous pouvons voir avec la Commission un argument contre la thèse du gouvernement français selon laquelle la notion de régime douanier englobe, outre les droits de douane, les prélèvements. En fait, il est difficile de concevoir que la portée du protocole I.7 soit plus étendue que celle de la convention
mentionnée et que l'on accorde ainsi à des pays, auxquels les États membres n'ont consacré qu'une déclaration d'intention en vue d'une association future, un régime plus favorable que celui qui s'applique à des pays qui sont déjà associés à la Communauté.

— Enfin, une quatrième référence de la Commission concerne les importations en provenance des États africains et malgache dont les échanges commerciaux sont soumis au système communautaire interne conformément à l'article 132, paragraphe 1, du traité CEE. Manifestement en 1962, lors de la fixation des prélèvements à l'égard des pays tiers, on a estimé d'une manière générale qu'il était nécessaire de percevoir également ces prélèvements sur les importations en provenance desdits États, parce
qu'ils ne faisaient pas partie d'organisations communautaires de marché. Mais, pour l'éviter, des dispositions expressément dérogatoires ont été adoptées, du reste à la demande de la France, en vertu desquelles les pays cités ne devaient pas être traités comme des pays tiers (par exemple article 14 du règlement no 19, le règlement de la Commission no 128 et le règlement du Conseil no 156). Nous pouvons dire à bon droit qu'il n'en aurait pas été ainsi si la notion de «régime douanier»
englobait déjà les prélèvements et cela fournit également un argument essentiel contre l'exactitude du point de vue contraire défendu par le gouvernement français.

Dans une première conclusion partielle, nous pouvons donc affirmer que les recherches principalement terminologiques que nous avons faites jusqu'ici font nettement pencher la balance en faveur de la Commission et de sa thèse.

d) Mais le litige incite encore à d'autres réflexions. La question qui se pose est notamment celle du sens et du but du protocole invoqué par le gouvernement français, en d'autres termes, nous devons rechercher si, avec l'interprétation que la Commission estime exacte, ce protocole conserve un sens logique ou si, comme le craint le gouvernement français, elle le prive de toute signification.

— Au sujet de cette question, il est tout d'abord facile de montrer que, même avec l'interprétation restrictive, c'est-à-dire en excluant les prélèvements de la notion de «régime douanier», le protocole conserve une fonction logique. Il est possible de l'affirmer bien que, pour les pays favorisés, notamment pour la Tunisie, ce sont surtout les exportations agricoles qui présentent de l'importance: par conséquent, un régime particulier qui n'engloberait pas ces produits n'aurait que peu
d'utilité. En réalité, au cours de la procédure, la Commission a montré que, même selon l'interprétation qu'elle défend, donc en cas d'exemption exclusive des droits de douane, l'étendue des privilèges demeure considérable. En effet, il existe une série de produits agricoles qui ne font pas l'objet d'une organisation de marché (auxquels par conséquent les prélèvements ne s'appliquent pas) et une série de produits englobés dans des organisations de marché, qui ne sont soumis à aucun
prélèvement, mais simplement à des droits de douane. A ce sujet, nous pouvons renvoyer notamment à la liste que la Commission a donnée dans sa réplique (p. 2). A notre avis, elle prouve nettement qu'au point de vue économique le protocole I.7 a également un domaine d'application raisonnable, si on en déduit uniquement l'autorisation de s'abstenir de percevoir des droits de douane, mais non celle de s'abstenir de percevoir des prélèvements.

— Ensuite, nous devons reconnaître que, avec le système communautaire en arrière-plan, le protocole I.7 a un sens clair dans l'hypothèse précisément où il se limite aux droits de douane proprement dits. — Nous pouvons l'affirmer parce qu'au moment de la conclusion du traité des dispositions précises et immédiatement applicables n'ont été adoptées que pour l'adaptation progressive des droits de douane extérieurs. Ainsi, les auteurs du traité devaient être amenés en cette matière à établir dans
des protocoles spéciaux des dérogations pour les relations de certains États membres avec des pays tiers. En revanche, pour d'autres domaines, notamment pour la politique agricole au service de laquelle se trouvent les prélèvements, le traité n'a prévu qu'un certain programme, qui doit être réalisé en détail par des mesures de la Communauté. Comme la Commission le pense à bon droit, il n'y avait donc pas lieu d'introduire déjà dans les protocoles du traité des dispositions particulières; les
auteurs du traité pouvaient plutôt supposer qu'en établissant les mesures en question dans le cadre de la Communauté, les États membres veilleraient à ce qu'on tienne compte de leurs relations particulières avec des pays tiers. Il n'est pas douteux que cette remarque incite également à donner la préférence à l'interprétation du protocole I.7 recommandée par la Commission.

e) En outre, des considérations qui sont connexes à la politique agricole commune vont dans le même sens. La Commission nous a montré quelle fonction importante ont les prélèvements pour les objectifs décrits à l'article 39 du traité CEE. Ils constituent un instrument de stabilisation des importations et du maintien d'un certain niveau des prix à l'intérieur d'un marché unique, dans lequel la production communautaire bénéficie de préférences. Grâce à ces moyens, il est notamment possible
d'assurer un niveau de vie équitable de la population agricole. Il est bien évident que ce système est considérablement perturbé si des marchandises englobées dans des organisations de marché sont importées dans un État membre en exemption de prélèvement. De telles importations peuvent aboutir dans cet État membre à un niveau de prix inférieur à celui des prix de seuil et des prix indicatifs communautaires, en d'autres termes, ils peuvent avoir pour effet une discrimination entre les
producteurs nationaux et violer ainsi l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE. En outre, un cloisonnement du marché national s'y attache nécessairement, ce qui va manifestement à l'encontre de l'idée de l'unicité du marché commun. Ce cloisonnement est juridiquement prévu au paragraphe 2 du protocole I.7. Au point de vue de la technique du marché, il pourrait s'ensuivre en l'espèce que le montant des contingents d'importation pour l'huile d'olive de Tunisie coïncide évidemment avec l'ensemble
des besoins français. En conséquence, comme nous l'avons entendu dire au cours de la procédure, les importations en France d'huile d'olive en provenance d'Italie n'avaient qu'une importance très réduite. La situation que nous avons exposée est en outre de nature à entraîner des effets préjudiciables pour les autres États membres. A cet égard, il n'est pas nécessaire d'étudier de façon approfondie la question discutée en détail de savoir si le régime particulier français a réellement été à
l'origine d'une pression des prix en Italie. Il nous semble suffisant de reconnaître qu'il est impossible d'exclure ces effets et qu'ils peuvent être également déclenchés par de petites quantités de produits lorsque celles-ci atteignent un marché saturé. Au reste, les données statistiques fournies par la Commission sur l'évolution du niveau italien des prix et sur leur baisse en dessous du niveau des prix indicatifs font en réalité grande impression. — Enfin, nous ne pouvons pas oublier
l'incidence que l'exemption du prélèvement a sur le fonctionnement du système financier de la politique agricole commune. Selon le règlement 130/66, la section garantie du Fonds commun agricole, on le sait, est financée par les États membres qui versent au fonds 90 % des prélèvements qu'ils perçoivent sur les importations en provenance de pays tiers. En cas de nécessité, le reste est couvert par des contributions des États membres auxquelles s'applique une clé déterminée. Or, si un État membre
ne perçoit pas de prélèvements, la part de contribution correspondante est évidemment diminuée et la somme que les États membres doivent verser selon la clé établie augmente. Si les prélèvements étaient considérés comme entrant dans le «régime douanier», les États cités dans le protocole I.7 pourraient donc unilatéralement avoir une influence sur le système de financement de la politique agricole commune. C'est là une conséquence qui, à notre avis, doit également être prise en considération
lors de l'interprétation du protocole.

Ce sont donc précisément les multiples effets importants qui s'attachent au système des prélèvements qui font apparaître comme impensable l'hypothèse que les auteurs du traité ont entendu inclure les prélèvements dans le régime particulier du protocole I.7.

f) Toutefois, nous ne sommes pas encore parvenu à la fin de nos recherches. Un argument du gouvernement français exige encore un examen et ce n'est certainement pas le plus facile. Le voici: pour la solution du litige, dit le gouvernement français, il faut tenir compte de la déclaration d'intention qui a été émise lors de la signature du traité CEE «en vue de l'association à la Communauté économique européenne des pays indépendants appartenant à la zone franc». Dans cette déclaration les parties
contractantes formulent le vœu «de maintenir et d'intensifier les courants traditionnels d'échanges entre les États membres de la Communauté économique européenne et ces pays indépendants, et de contribuer au développement économique et social de ces derniers»; et elles se déclarent prêtes, «dès l'entrée en vigueur du traité, à proposer à ces pays, des négociations en vue de la conclusion de conventions d'association économique à la Communauté». De l'avis du gouvernement français, il faut voir
la fonction du protocole contesté à la lumière de cette déclaration d'intention et donc admettre que son but est de maintenir, en faveur de certains États visés, pendant une période de transition, jusqu'à la conclusion d'accords d'association, l'avantage qu'ils tirent de relations particulières avec certains États membres. En réalité, en suivant cette pensée fondamentale, l'accord créant une association entre la Communauté économique et la République tunisienne, entré en vigueur le
1er septembre 1969, et le règlement du Conseil no 1471/69 qui se fonde sur cet accord auraient pratiquement conservé à la République tunisienne, pour l'huile d'olive, les avantages qu'elle tirait antérieurement des relations particulières avec la France. Mais, de ce point de vue, la thèse selon laquelle la France était obligée de percevoir des prélèvements pour les importations d'huile d'olive tunisienne lors de l'entrée en vigueur du règlement 136/66 et donc qu'une rupture dans les relations
économiques de la Tunisie avec la France était inéluctable, n'aurait pas de sens. Étant donné l'importance des exportations d'huile d'olive tunisienne vers la France et le déficit commercial constant dans les rapports avec celle-ci, cela aurait entraîné un dommage considérable pour l'économie tunisienne. La manière dont cette conséquence et l'octroi ultérieur de mesures de faveur par la Communauté peuvent se concilier avec les principes d'une politique ordonnée de développement, qui ne peut
pas renoncer à la planification et à la stabilité, demeurerait inexplicable.

Voyons en terminant ce qu'il faut penser de ces considérations qui font certainement impression.

Tout d'abord, nous pouvons avoir des doutes au sujet de l'argument selon lequel l'accord d'association et le règlement du Conseil qui se fonde sur lui ont pour but de maintenir à la République tunisienne, pour les exportations d'huile d'olive, des avantages équivalents à ceux qui étaient accordés en vertu du régime particulier français. A cet égard, nous pouvons observer que, dans les négociations du GATT sur ce point, il n'a été question que d'une compensation dans certaines limites.
L'exactitude de la thèse française est également battue en brèche par le point de vue adopté par le gouvernement tunisien au cours des négociations avec la Communauté, selon lequel, pour maintenir l'ampleur des avantages accordés par le gouvernement français, il serait nécessaire de déduire 8,5 u.c. par quintal métrique du prélèvement à percevoir en vertu de l'article 13 du règlement 136/66, alors que le règlement du Conseil susmentionné no 1471/69 (JO no L 198) n'accorde pour les importations
d'huile d'olive dans la Communauté qu'une remise de 5,5 u.c. Il n'est toutefois pas nécessaire que nous entrions dans les détails de ces calculs parce qu'il n'est pas encore possible d'émettre un avis certain après le bref délai qui s'est écoulé depuis l'entrée en vigueur de l'accord d'association et sur la base des différents documents produits. En effet, l'élément déterminant est celui-ci; même si une équivalence des avantages ne pouvait pas être exclue, il ne faudrait pas oublier que ces
avantages sont désormais accordés par la Communauté après une prise en considération minutieuse de ses intérêts qui exigent peut-être une solution différente dans une autre situation. Indépendamment de cela, il ne faut en tout cas pas oublier que le règlement 1471/69 prévoit une garantie de prix minimum pour la Tunisie. Elle n'existait pas dans le régime particulier français. Cela révèle donc, à tout le moins, une différence dont l'importance ne doit pas être sous-estimée pour les intérêts de la
politique agricole commune.

Une deuxième remarque a trait à la thèse selon laquelle, en reconnaissant l'exactitude du point de vue de la Commission, une rupture dans les relations avantageuses que la Tunisie entretenait avec la France a été inéluctable depuis l'entrée en vigueur du règlement 136/66, parce que des prélèvements considérables seraient devenus exigibles. La Cour de justice a essayé d'obtenir des éclaircissements à ce sujet grâce à des questions adressées aux parties. Sur quoi, nous avons entendu dire que le
problème n'a pas été soulevé lors de la préparation du règlement 136 et que la France n'a pas fait de réserves pour ses importations d'huile d'olive en provenance de Tunisie. Nous laisserons de côté le point de savoir si des négligences sont imputables aux parties, car nous nous trouvons dans une procédure objective qui ne vise pas à rechercher des fautes. A notre avis, la thèse selon laquelle le problème, tel qu'il se pose aujourd'hui, n'a pas été aperçu à l'époque, est parfaitement défendable.
Or, s'il avait été reconnu, si la grande importance des exportations d'huile d'olive pour l'économie tunisienne avait été suffisamment mise en lumière, il n'est pas douteux que, même en admettant l'interprétation recommandée par la Commission, une solution convenable aurait été trouvée pour la Tunisie, soit dans le cadre du règlement 136/66, soit dans un règlement spécial. A notre avis, on peut le supposer parce que, comme cela s'est produit lors de l'adoption de l'accord d'association, les
autorités communautaires sont parfaitement conscientes de la forme obligatoire de la déclaration d'intention susmentionnée, notamment lorsqu'elle s'exprime dans la formule qu'il faut maintenir et intensifier les courants traditionnels d'échanges entre les États membres de la Communauté économique européenne et les pays appartenant à la zone franc.

Mais eu égard au développement de la Communauté, nous estimons qu'il est particulièrement important qu'il se soit agi d'une solution de droit communautaire et non unilatéralement nationale. En définitive, la thèse de la rupture inéluctable du développement économique extérieur de la Tunisie n'est donc pas pertinente.

3. Après tous ces développements, résumons.

Nous croyons qu'il est impossible de donner un résumé sans reconnaître que le gouvernement français s'est efforcé d'une manière impressionnante et avec un sens profond de sa responsabilité, de donner à ce problème délicat juridiquement et politiquement la solution qu'il estime exacte en se fondant sur une argumentation sérieuse. Tout bien considéré, il nous reste toutefois à constater que le texte du protocole I.7, son sens et son objectif, l'économie générale du traité et surtout les arguments
qui peuvent être tirés des exigences de la politique agricole commune font apparaître que l'opinion de la Commission est exacte. Par conséquent, le protocole I.7 n'englobe que les réglementations douanières proprement dites; en se fondant sur lui, les États membres n'ont donc pas le droit de s'abstenir de percevoir les prélèvements de droit communautaire. Étant donné qu'en ce qui concerne les importations originaires et en provenance de la Tunisie, le gouvernement français, en invoquant le
protocole précité, n'a pas perçu les prélèvements fixés dans le règlement 136/66 pour les importations d'huile d'olive en provenance d'États tiers, nous devons déclarer qu'il a agi contrairement au droit communautaire.

Étant donné l'issue du procès, la partie défenderesse qui succombe doit également supporter les dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26-69
Date de la décision : 17/02/1970
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Matières grasses

Relations extérieures

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1970:9

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