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04/06/1969 | CJUE | N°26-68

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 4 juin 1969., Jeannette Fux contre Commission des Communautés européennes., 04/06/1969, 26-68


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 4 JUIN 1969 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Mlle Jeannette Fux, qui a formé le recours sur lequel nous avons à conclure à présent, est de nationalité française. Entrée en fonctions à la Commission de la Communauté économique européenne le 1er octobre 1958, elle a été titularisée au grade B 2 et affectée à la direction générale XI (Commerce extérieur) direction A (Politique commerciale), division 2 (Questions relevant du G.A.T.T.). En mai 1967, la Com

mission de la Commaunauté économique européenne a publié un avis de concours destiné à
pourvoi...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 4 JUIN 1969 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Mlle Jeannette Fux, qui a formé le recours sur lequel nous avons à conclure à présent, est de nationalité française. Entrée en fonctions à la Commission de la Communauté économique européenne le 1er octobre 1958, elle a été titularisée au grade B 2 et affectée à la direction générale XI (Commerce extérieur) direction A (Politique commerciale), division 2 (Questions relevant du G.A.T.T.). En mai 1967, la Commission de la Commaunauté économique européenne a publié un avis de concours destiné à
pourvoir à un emploi d'assistant principal (de grade B 1) à la direction générale III, direction B, division 3, devenu vacant par suite de promotion. Mlle Fux a participé à ce concours et, lors de sa séance du 3 juillet 1967, le jury l'a inscrite en première place sur la liste d'aptitude. Elle en a été informée par lettre du 12 juillet 1967. Néanmoins, la nomination à l'emploi qui faisait l'objet du concours n'a pas eu lieu, et, après avoir adressé plusieurs demandes de renseignements, Mlle Fux
s'est vu déclarer le 20 juin 1968 que la procédure qui avait été ouverte pour pourvoir à l'emploi vacant resterait bloquée jusqu'à ce qu'un nouvel organigramme soit arrêté. Le 20 juin 1968, la nouvelle Commission a arrêté l'organigramme relatif aux fonctionnaires de catégorie B. Il ne comportait plus l'emploi d'assistant principal pour lequel Mlle Fux avait fait acte de candidature. Elle a été informée de la suppression de l'emploi en question par lettre du 13 août 1968 de la direction générale du
personnel et de l'administration.

Estimant ne pouvoir s'accommoder de cette mesure, Mlle Fux (qu'une décision du 25 juillet 1968 avait affectée dans l'intervalle à un autre emploi de grade B 2) s'est résolue à engager une procédure juridictionnelle. C'est le 13 novembre 1968 qu'elle a déposé sa requête, dans laquelle elle conclut :

— à l'annulation de la décision qui lui a été notifiée par lettre du 13 août 1968;

— à ce que la Commission soit condamnée à lui payer la somme de 250000 francs belges à titre de réparation du dommage matériel et moral;

— subsidiairement: à ce qu'il vous plaise de condamner en tout état de cause la Commission à lui payer ladite somme à titre de dommages et intérêts.

La Commission rétorque que le recours est irrecevable et que, dès lors, il ne peut être accueilli. En tout état de cause, elle conclut à ce qu'il soit rejeté comme non fondé.

Tel est le litige sur lequel nous allons maintenant formuler notre avis.

Discussion juridique

I — Les problèmes de recevabilité

Pour répondre à l'objection de la Commission, demandons-nous tout d'abord dans quelle mesure Mlle Fux est en droit de former un recours. Rappelons que ce qui est mis en question dans la présente espèce, c'est le remplacement d'un organigramme de l'ancienne Commission de la Communauté économique européenne par un organigramme de la nouvelle Commission, dans lequel n'est plus prévu l'emploi pour lequel la requérante a fait acte de candidature. La Commission estime qu'une mesure de ce genre entre dans
le cadre du pouvoir discrétionnaire de l'administration; nul n'a un droit à être nommé à un emploi déterminé, dit-elle; en cas de participation à un concours, tout ce qu'on peut dire, c'est que le candidat a un espoir légitime d'être nommé ou une vocation à la nomination; par conséquent, conclut la Commission, il est impossible de former un recours en annulation contre la suppression d'un emploi dans l'organigramme.

Il est indéniable que cette thèse est fondée en grande partie. Elle peut s'étayer sur le droit national de la fonction publique (auquel la Commission s'est référée dans son mémoire en défense, des arguments dans le même sens pouvant être trouvés, quant au droit allemand, dans le Commentaire du «Bundesbeamtengesetz» de Plog-Wiedow, note 11 sous le paragraphe 172). En outre, la thèse de la Commission trouve un appui dans la jurisprudence de la Cour (par exemple, dans les arrêts 1-55, 1-56, 109-63 et
13-64). Il en résulte effectivement qu'en principe les fonctionnaires ne sont pas en droit de faire censurer par un organisme juridictionnel les actes que prend l'administration en matière d'organisation de ses services. Toutefois, cette règle n'est pas absolue (ce sont encore le droit national et la jurisprudence de la Cour qui le démontrent). En effet, le fonctionnaire ou le candidat à un emploi est toujours en droit de former un recours dès lors qu'une atteinte est portée à des droits qu'il tient
du statut qui lui est applicable (ce qui ne signifie évidemment pas qu'il peut invoquer n'importe quelle violation des dispositions régissant la fonction publique). Un exemple de cette hypothèse nous est fourni par l'affaire 16-67, dans laquelle le requérant se plaignait de ce qu'une unité administrative ait été détachée de la division placée sous son autorité. Bien qu'il se soit agi là d'une mesure prise par l'administration dans le cadre de l'organisation de ses services, la Cour a admis la
recevabilité du recours, motif pris de ce qu'«un fonctionnaire a droit à ce que les fonctions qui lui sont confiées soient, dans leur ensemble, conformes à l'emploi correspondant au grade qu'il détient dans la hiérarchie» ( 2 )

Nous devons dès lors examiner si, dans l'espèce, il est possible de trouver une justification du même ordre pour l'introduction du recours. Cependant, pour cet examen, l'idée sur laquelle il convient de mettre l'accent n'est pas que nul n'a, en règle générale, le droit d'exiger de se voir attribuer un emploi déterminé; ce qu'il faut, c'est se demander si la requérante se trouve dans une situation légalement protégée qui l'autorise à introduire une procédure juridictionnelle. Cette façon-là de poser
le problème a été admise dans certaines affaires dans lesquelles des candidats demandaient l'annulation de promotions décidées à leur détriment. De même, à l'égard d'un candidat qui avait participé à un concours général, la Cour a adopté une attitude tout aussi libérale, en affirmant que l'administration n'est pas en droit de s'écarter substantiellement du résultat du concours sans de sérieuses raisons ( 3 ). C'est notamment quand on se place dans l'optique de cette dernière affaire qu'il est
impossible, à notre avis, de douter que la requérante se trouve placée dans une situation légalement protégée. Par l'effet de sa participation au concours, elle a acquis un droit à ce que la procédure ouverte en vue de pourvoir à la vacance soit accomplie régulièrement, à ce que l'administration exerce conformément aux obligations qui lui incombent le pouvoir discrétionnaire qu'elle a en cette matière et surtout à ce que, sauf raisons impérieuses tirées de l'intérêt du service, rien ne vienne
interrompre le cours de la procédure en question. Et de ce point de vue, il est sans pertinence de relever que le cours de la procédure qui avait été ouverte a été interrompu par suite d'une mesure prise par l'administration en vue d'organiser ses services, c'est-à-dire en raison de la suppression de l'emploi à la vacance duquel cette procédure était destinée à pourvoir.

Mais dès lors qu'il en est ainsi, dès lors qu'il y a lieu d'admettre que Mlle Fux se trouve dans une situation légalement protégée, la recevabilité de son recours en annulation ne peut faire aucun doute, et cela à d'autant plus forte raison que, conformément à ce que la Cour a exigé dans un de ses arrêts, la requérante allègue en outre des indices précis pour soutenir qu'il y a détournement de pouvoir (argumentation sur le détail de laquelle nous reviendrons). Contrairement à ce qu'appréhende la
Commission, cette thèse n'a d'ailleurs nullement pour conséquence que, dans le cas où le recours serait reconnu fondé l'administration se voie dicter par la Cour des indications impératives sur la façon dont elle doit organiser ses services; c'est, bien entendu, toujours à la Commission qu'il appartiendra de tirer au mieux sur le plan administratif les conséquences découlant de la décision judiciaire.

II — Quant au fond

1 — La demande d'annulation

a) Violation du statut

Pour motiver ses conclusions en annulation, la requérante se réfère en premier lieu aux articles 4, alinéa 2, 29 et 30 du statut des fonctionnaires. Elle fait valoir qu'après avoir arrêté une décision aux termes de laquelle il y a lieu de pourvoir à un emploi déterminé et après avoir organisé une procédure de concours, l'administration n'a plus la faculté de supprimer le poste dont elle a annoncé la vacance.

Toutefois, l'examen de la lettre des dispositions qu'invoque la requérante fait douter qu'il soit possible de la suivre dans les déductions qu'elle en tire. L'article 4, alinéa 2, du statut déclare essentiellement que, dès que l'autorité investie du pouvoir de nomination a décidé qu'il y a lieu de pourvoir à un emploi vacant, elle est tenue de porter cette vacance à la connaissance du personnel. — L'article 29 dispose qu'en vue de pourvoir aux vacances d'emploi, il y a lieu d'observer une procédure
déterminée et d'examiner diverses possibilités dans l'ordre qu'il précise. — L'article 30, enfin, prévoit que l'autorité investie du pouvoir de nomination choisit, sur la liste d'aptitude établie par le jury du concours, le candidat qu'elle nomme au poste vacant. — Sur la base de ces textes, il est impossible de soutenir que l'administration soit liée d'une façon absolue par les décisions prises en vue de pourvoir aux emplois vacants. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les dispositions en question
ont pour but d'assurer l'objectivité de la procédure destinée à pourvoir aux vacances ainsi que de garantir certaines possibilités de carrière aux fonctionnaires.

D'autre part, il ne faut évidemment pas perdre de vue que le résultat d'un concours pourrait facilement être éludé, qu'en d'autres termes un concours pourrait de facto être réduit à néant, si l'on permettait qu'à l'issue de la procédure de concours l'autorité investie du pouvoir de nomination renonce à pourvoir à la vacance si bon lui semble. Une telle éventualité est tout aussi inconciliable avec l'esprit du statut des fonctionnaires que l'attitude qui a été critiquée dans l'affaire 62-65 et qui
consistait à s'écarter sensiblement du classement attribué au candidat dans la liste d'aptitude. Aussi est-il impossible de dire que l'administration dispose, à cet égard, d'une liberté totale pour aménager ses services; conformément à l'idée que nous avons exprimée à propos de la recevabilité, il faudra au contraire partir du principe qu'elle est tenue de mener régulièrement à leur terme les procédures de concours. Ce principe n'implique cependant pas que les intéressés aient un droit absolu au
sens d'un droit subjectif. Des principes aussi rigides n'ont pas leur place dans le domaine de l'organisation des services de l'administration, caractérisé, comme nous l'avons vu, par l'existence d'un large pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative. En bonne logique, cette dernière n'est dès lors pas liée par les principes applicables à la révocation des actes administratifs qui ont pour effet de conférer un avantage à leur destinataire («begünstigende Verwaltungsakte»), c'est-à-dire
qu'elle est en droit de renoncer à mener à son terme la procédure ouverte en vue de pourvoir à une vacance, non seulement lorsque la décision d'ouvrir la procédure est illégale, mais chaque fois qu'elle est en mesure d'apporter la preuve de raisons impérieuses tirées de l'intérêt du service.

Juger de la présente espèce en fonction de ces principes ne présente guère de difficultés. En effet, il est clair que ce n'est pas sans raison objective que l'administration a apporté à l'organisation de ses services les modifications qui ont eu pour conséquence la suppression de l'emploi auquel aspirait la requérante: ces modifications résultaient de la fusion des exécutifs ainsi que de la rationalisation et de la restructuration qu'elle impliquait. Après la fusion, la Commission disposait d'un
nombre d'emplois de grade B 1 inférieur à celui que totalisaient auparavant les trois exécutifs. La situation était donc telle que l'administration était même en droit de licencier des fonctionnaires de grade B 1 ou de les classer dans un grade inférieur, en d'autres termes d'appliquer le règlement no 259/68 avec lequel des procès récents nous ont familiarisés. Mais dans ces conditions, on ne saurait reprocher en principe à la Commission d'avoir supprimé un emploi de grade B 1 qui était vacant à ce
moment-là et d'avoir ainsi rendu sans objet la procédure destinée à y pourvoir. Il ne pourrait en être autrement que s'il avait été allégué que c'est la suppression de cet emploi-là, et non pas de tel autre, qui constitue un détournement de pouvoir. Mais ce n'est pas là ce que la requérante a prétendu; comme nous le verrons, le grief de détournement de pouvoir qu'elle articule a un contenu différent.

Quand, enfin, la requérante relève qu'au moment de l'avis de vacance d'emploi (mai 1967), la fusion des exécutifs était imminente, cela n'est pas de nature à ébranler les conclusions auxquelles nous avons abouti jusqu'ici. Il est permis de penser que, nonobstant cette circonstance, des raisons de bonne gestion administrative autorisaient la Commission à ouvrir la procédure destinée à pourvoir aux emplois vacants, afin d'être en mesure, au besoin, de procéder aux nominations sans perdre de temps et
d'assurer ainsi la continuité du fonctionnement de l'administration. Mais comme, au moment de l'avis de concours, il n'était pas encore possible de prévoir toutes les répercussions de la fusion, on ne saurait dénier à la Commission le droit d'invoquer les conséquences que cette dernière a eues sur le plan de l'organisation de ses services pour se justifier d'avoir interrompu ultérieurement le cours de cette procédure.

Dès lors, nous estimons en définitive que, par son premier moyen, la requérante n'a formulé aucune critique de l'acte attaqué qui soit de nature à en entraîner l'annulation.

b) Détournement de pouvoir

Nous avons déjà rappelé qu'aux yeux de la requérante la suppression de l'emploi dont la vacance avait été annoncée constitue en outre un détournement de pouvoir. L'argumentation précise qu'elle expose à cet égard consiste à dire qu'il n'y a aucune raison tirée de l'intérêt du service qui puisse justifier la mesure ainsi prise, puisque la restructuration des services n'affectait pas la direction «Douanes», unité administrative s'occupant exclusivement des questions relevant du traité C.E.E. La
suppression de l'emploi a eu pour conséquence, dit-elle, que la division en cause est la seule à ne pas être dotée d'un poste B 1. La requérante soutient encore que si l'administration a décidé cette suppression, c'est en réalité avec l'intention d'empêcher sa nomination, puisque, après la suppression fictive du poste, les fonctions qui y étaient attachées ont été confiées à un fonctionnaire allemand de l'administration des finances, qui travaille depuis lors à la Commission d'une façon permanente
en qualité d'expert.

Indéniablement, ces griefs sont graves et ils méritent un examen attentif.

Nous pourrons cependant écarter très rapidement l'argument selon lequel la restructuration des services n'affectait pas la direction «Douanes». Selon les observations présentées par la Commission, cela n'est pas exact; en effet, en dehors du poste auquel aspirait la requérante, il a fallu supprimer dans cette direction un emploi de grade A 4 et trois emplois de grade A 5. On ne saurait d'ailleurs trouver à y redire, parce que rien n'oblige d'admettre que la rationalisation et la modification des
structures organiques de la Commission nécessitées par la fusion devaient laisser intactes certaines unités administratives existantes dont la compétence s'étendait et devait continuer par la suite à s'étendre exclusivement à des problèmes relevant du traité C.E.E., sous prétexte que, par conséquent, elles ne cumulaient pas des compétences découlant des trois traités. A l'occasion de la révision de l'ensemble des structures administratives et en raison de la réduction des effectifs, il pouvait
parfaitement se produire que, leurs attributions restant les mêmes, certaines unités administratives se voient attribuer une importance différente et que leur organisation soit modifiée en conséquence. Aussi est-il impossible de prétendre que la mesure attaquée ne saurait être motivée par l'intention de la Commission de rationaliser la structure de ses services.

De même, nous ne pouvons considérer comme décisif à lui seul le fait qu'après la suppression de l'emploi en cause, une des divisions de la Commission était la seule à ne pas comporter d'emploi de grade B 1. Aucun principe impératif n'impose qu'il y ait un parallélisme absolu entre les différentes parties de l'édifice administratif. Au contraire, certains éléments objectifs peuvent justifier la diversité dans la structure des services: par exemple, l'importance et l'étendue des tâches qui sont de
leur ressort ou d'autres raisons, dont nous serons amené à parler plus loin.

Enfin, voici ce que nous croyons devoir faire observer à propos du grief principal de la requérante, selon lequel la suppression d'emploi a été décidée en vue de l'évincer et d'avantager un fonctionnaire allemand, lequel exerce actuellement les fonctions afférentes au poste en question. Nous ne voyons pas comment il est possible de soutenir que la suppression de l'emploi litigieux est fictive (pour reprendre l'expression utilisée par la requérante). L'emploi a réellement été supprimé; il ne figure
plus à l'organigramme de la Commission ni, comme il se doit, à son budget. Aussi était-il impossible de nommer un autre fonctionnaire à ce poste; la voie adoptée par la Commission a consisté à confier les fonctions qui y étaient attachées (ou plus exactement une partie de celles-ci) à un expert, à un fonctionnaire détaché temporairement de son administration nationale. Ce fonctionnaire continue à toucher son traitement de son administration nationale, la Commission se bornant à lui verser des
indemnités journalières pour ses séjours à Bruxelles et à lui rembourser ses frais de déplacement (les documents produits par la défenderesse suffisent à l'établir). — Sans doute peut-on estimer que (notamment au regard de l'indépendance nécessaire dans l'exercice des fonctions) le fait d'utiliser ainsi des fonctionnaires nationaux dans les services de la Commission n'est pas sans appeler certaines objections, du moins lorsque ce système est largement suivi et s'étend sur des périodes prolongées.
Force nous sera toutefois de tenir compte de la situation spéciale dans laquelle se trouvait la Commission après la réduction de ses effectifs et en raison de la nécessité qu'il y avait pour elle de rationaliser ses structures administratives. Cette situation fournit, à notre avis, une justification suffisante pour l'utilisation provisoire de fonctionnaires nationaux. Le fait qu'en l'occurrence la Commission ait songé en premier lieu à recourir à l'administration nationale dont il s'agit de régler
les problèmes spécifiques apparaît comme tout à fait normal. En outre, nous estimons ne pas pouvoir suivre la requérante quand elle affirme que c'est spécialement en vue d'aller à l'encontre de ses intérêts que cette solution a été choisie, et cela pour la bonne raison que le fonctionnaire national en question a été appelé à travailler régulièrement dans les services de la Commission, non pas immédiatement après la clôture du concours, mais seulement à partir du 1er avril 1968. Cet élément semble,
en effet, indiquer qu'il devait s'agir d'une mesure dont la nécessité n'a commencé à apparaître que dans le contexte de la restructuration des services.

Pour nous résumer, nous estimons donc qu'il est impossible d'apercevoir des indices suffisants pour établir l'existence d'un détournement de pouvoir et qu'au contraire des raisons objectives tirées de l'intérêt du service militent en faveur du choix de la mesure qui a été prise. Le second moyen n'étant dès lors, lui non plus, d'aucun secours pour la requérante, force vous sera de déclarer qu'à aucun point de vue sa demande d'annulation n'est fondée.

2 — La faute de service

Il ne nous reste plus qu'à nous demander maintenant s'il faut considérer comme fondée la prétention de la requérante de se voir allouer 250000 francs belges à titre de réparation du préjudice matériel et moral, prétention qu'elle fait valoir, tant pour accompagner sa demande d'annulation, que, subsidiairement, pour le cas où cette dernière n'aboutirait pas.

a) Pour commencer, nous n'aurons pas à nous étendre longuement sur les conclusions en dommages et intérêts que la requérante a formulées pour accompagner sa demande d'annulation, en d'autres termes sur son argument tendant à dire que les éléments militant en faveur de la nullité de la décision attaquée démontrent du même coup l'existence d'une faute de service. En effet, il est impossible de considérer que la suppression de l'emploi litigieux constitue un acte illégal. Or, comme il faut à tout le
moins que l'administration ait eu un comportement illégal pour qu'on ait le droit de lui réclamer réparation, il est impossible d'invoquer sa responsabilité lorsqu'elle ne s'est rendue coupable d'aucune illégalité.

b) Quant à la réclamation de dommages et intérêts formulée subsidiairement, la requérante l'étaye sur le fait que la Commission a publié l'avis de vacance d'emploi et organisé le concours à la veille de la fusion des exécutifs. En agissant ainsi, allègue-t-elle, la Commission n'a pas suffisamment réfléchi aux répercussions que la fusion pouvait avoir sur la procédure ouverte en vue de pourvoir aux emplois vacants. — Dans sa réplique, la requérante a relevé que, de juillet 1967 à juin 1968, la
Commission l'a laissée dans l'incertitude sur l'aboutissement de la procédure, ce qui l'a empêchée de faire acte de candidature à d'autres emplois.

A vrai dire, nous avons déjà répondu à ces observations, du moins en ce qui concerne le premier argument. Tout d'abord, il est clair que, deux mois avant l'entrée en vigueur du traité de fusion, il était impossible de prévoir toutes les modifications que celle-ci entraînerait dans les structures administratives. D'autre part, le fait d'ouvrir immédiatement la procédure en vue de pourvoir à la vacance d'emploi, et cela malgré l'imminence de la fusion, constituait une mesure conciliable avec les
principes d'une saine gestion administrative, parce qu'elle créait les conditions nécessaires pour compléter l'appareil administratif de manière à en assurer rapidement le fonctionnement. Aussi ne voyons-nous pas de raison de dire que ce comportement de la Commission est entaché de faute.

Quant au grief que la requérante a formulé dans sa réplique et par lequel elle reproche à la Commission de l'avoir laissée longtemps dans l'incertitude, il convient d'observer que, compte tenu des tâches nombreuses et difficiles qu'impliquaient la fusion et la restructuration des services, il n'était guère possible à la Commission de prendre plus tôt une décision sur le sort de la procédure de concours à laquelle Mlle Fux était intéressée. Par conséquent, là non plus nous ne saurions voir une faute
de service. En outre, force est à la requérante d'admettre que, si elle n'a pas saisi l'occasion d'autres possibilités de carrière (au sujet desquelles elle ne fournit d'ailleurs aucune précision) pendant la suspension de la procédure ouverte en vue de pourvoir à la vacance, elle doit s'en prendre à elle-même.

Enfin, en ce qui concerne l'élément constitutif du préjudice, nous nous bornerons à relever que le concours litigieux était un concours sur titres, qui n'obligeait donc pas les candidats à se préparer spécialement en vue d'une épreuve. Au surplus, la requérante n'a pas apporté la preuve qu'elle a supporté des frais de préparation.

Il appert donc que les prétentions à des dommages et intérêts ne sont, elles non plus, fondées à aucun point de vue.

III — Récapitulation

Voici dès lors nos conclusions :

Bien que la requête soit recevable, aucune des conclusions qui y ont été formulées n'est fondée. Le recours doit dès lors être rejeté en totalité; conformément à ce qu'a demandé la Commission, il échet de déclarer que la requérante supportera ses propres dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Recueil, XIV-1968, p. 445.

( 3 ) Affaire 62-65, Recueil, XII-1966, p. 826.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26-68
Date de la décision : 04/06/1969
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Jeannette Fux
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Monaco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1969:23

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