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14/06/1967 | CJUE | N°9-67

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 14 juin 1967., Kurt Colditz contre Caisse d'assurance vieillesse des travailleurs salariés de Paris., 14/06/1967, 9-67


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 14 juin 1967 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

C'est une fois de plus sur un problème de droit de la sécurité sociale des travailleurs migrants que porte l'affaire dans laquelle nous devons conclure aujourd'hui et qui a pour objet une demande de décision préjudicielle.

Voici les faits qui sont à l'origine de ce problème.

M. Colditz, demandeur dans l'instance pendante devant la juridiction française qui vous saisit, est de nationalité allemande; il a tra

vaillé et a été affilié à la sécurité sociale successivement en Allemagne et en France. En j...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 14 juin 1967 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

C'est une fois de plus sur un problème de droit de la sécurité sociale des travailleurs migrants que porte l'affaire dans laquelle nous devons conclure aujourd'hui et qui a pour objet une demande de décision préjudicielle.

Voici les faits qui sont à l'origine de ce problème.

M. Colditz, demandeur dans l'instance pendante devant la juridiction française qui vous saisit, est de nationalité allemande; il a travaillé et a été affilié à la sécurité sociale successivement en Allemagne et en France. En juin 1962, ayant atteint l'âge de 65 ans, il a introduit une demande de pension de vieillesse auprès de l'organisme allemand de sécurité sociale. Conformément au règlement no 3 du Conseil de la C.E.E. concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, elle lui a été
accordée à compter du 1er mai 1962, sur la base de 150 trimestres d'assurance, dont 100 avaient été accomplis en Allemagne.

A cette date, M. Colditz ne désirait pas encore faire valoir ses droits aux prestations d'assurance en France, parce qu'il y poursuivait son activité, ce qui lui permettait d'acquérir des droits plus importants au titre du régime français. Néanmoins, par décision notifiée le 14 mai 1964, la caisse française (Caisse régionale vieillesse des travailleurs salariés de Paris), informée par l'organisme allemand de sécurité sociale, a liquidé d'office la pension de vieillesse française, malgré les
protestations formelles et répétées de l'intéressé, et cela à compter du 1er juillet 1962.

C'est contre cette liquidation d'office que M. Colditz s'est élevé, en saisissant d'abord la Commission de recours gracieux et en se pourvoyant ensuite, contre la décision de rejet rendue par cette dernière le 12 janvier 1965, devant la Commission de première instance du contentieux de la sécurité sociale et de la Mutualité sociale agricole de Paris. Il a fait valoir que la pension de vieillesse française n'était due qu'après la cessation de son activité en France et sur la base de la demande qu'il
avait introduite le 3 mars 1965 auprès de la caisse française, c'est-à-dire à compter du 1er avril 1965, date à laquelle il avait accompli au total 161 trimestres.

Une décision du 22 novembre 1965 ayant également rejeté ce dernier recours, M. Colditz, qui avait entre-temps (le 23 mars 1965) transféré sa résidence en Allemagne, s'est pourvu devant la Cour d'appel de Paris. Le 28 janvier 1967, la 18e chambre de cette juridiction, statuant en tant que chambre sociale, a décidé,, conformément à l'article 177 du traité C.E.E., de surseoir à statuer et de demander à la Cour de justice européenne de «dire si les dispositions de l'article 28 du règlement no 3 ( 2 ),
des articles 30 à 36 et 83 du règlement no 4 ( 3 ) doivent s'entendre en ce sens que, hors les cas spécialement prévus aux alinéas e et ƒ du paragraphe I de l'article 28, la demande de pension doit être obligatoirement liquidée simultanément par chacune des institutions nationales pour prendre effet à la date de la première demande effective auprès de l'une de ces institutions».

Au cours de la procédure dont vous êtes saisis, seule la Commission de la Communauté économique européenne a présenté des observations. Nous verrons que la façon dont elle apprécie la situation juridique paraît bien être exacte.

Réponse à donner à la question

Si on ne s'en tient qu'à la lettre des règlements du Conseil concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, on constate que, s'il n'existe aucune disposition expresse imposant la liquidation simultanée des pensions de vieillesse ou interdisant une liquidation successive, certains arguments de texte semblent néanmoins militer en faveur du principe de la liquidation simultanée sur la base de la date de la première demande, et telle paraît d'ailleurs être la pratique générale des
institutions de sécurité sociale des États membres. — C'est ainsi que le texte de l'article 28 du règlement no 3 dit par exemple que «les prestations sont liquidées», c'est-à-dire qu'il est rédigé d'une façon impérative paraissant exclure qu'une demande de l'intéressé soit nécessaire. — De même l'article 28 parle, non pas de prestations auxquelles les intéressés prétendent, mais de prestations auxquelles ils «peuvent prétendre», ce qui permettrait également de conclure que son application ne dépend
pas d'une demande de l'ayant droit.

Mais, d'autre part, on pourrait aussi se demander si les alinéas e et f du paragraphe 1 de cet article 28 ne permettent pas une interprétation impliquant la liquidation successive des prestations sur la demande de l'intéressé. Comme d'autres procès nous l'ont rappelé, ces lettres e et f visent les cas dans lesquels l'assuré ne remplit pas, à un moment donné, les conditions exigées par toutes les législations qui lui sont applicables. Dans ces cas, pour calculer le droit à prestations, il est permis,
pour commencer, de ne pas faire appel aux périodes accomplies sous la législation dont les conditions d'octroi des prestations ne sont pas encore remplies. En outre, pour de tels cas, l'article 28, paragraphe 1, alinéa g, prévoit une révision ultérieure des droits à prestations (c'est-à-dire en réalité une liquidation successive des prestations d'assurance), au fur et à mesure que les conditions exigées par la législation d'un État membre qui n'étaient pas encore satisfaites lors du premier calcul
sont remplies. Si par le terme de «conditions» figurant dans cette disposition on comprend, non seulement des conditions objectives d'ouverture du droit aux prestations, telles que l'âge, les périodes d'assurance, etc., mais aussi des circonstances subjectives (comme nous l'avons préconisé dans l'affaire de Moor pour un point bien précis), la demande que la législation de certains États membres (parmi lesquels la France) impose à l'assuré de présenter, et qui est une condition potestative dont la
réalisation dépend de sa volonté, pourrait être considérée comme une des «conditions» visées à l'article 28, ce qui aurait nécessairement pour conséquence une liquidation successive des droits à prestations, en cas d'absence de demande présentée à une des institutions d'assurance.

Toutefois, pour trouver une solution, il paraît plus adéquat (comme la Commission le propose) de renoncer à pareils arguments de texte (ainsi qu'à d'autres arguments fondés sur le règlement no 4, que nous examinerons plus loin) et de tenir compte surtout des objectifs que les dispositions du traité applicables en la matière (articles 48 à 51) assignent aux règlements du Conseil et que l'arrêt 100-63 a circonscrits comme ceci : «Le but de cette disposition» (l'article 51) «est de permettre au
travailleur migrant d'obtenir l'ouverture du droit à prestations par la totalisation des périodes de travail par lui effectuées en divers pays membres; … le but des articles 48 à 51 du traité ne serait pas atteint mais méconnu si le travailleur devait, pour user de la libre circulation qui lui est garantie, se voir imposer la perte de droits déjà acquis dans un des pays membres, sans les voir remplacés par des prestations au moins équivalentes». L'idée essentielle, c'est donc d'éviter une
application des règlements du Conseil concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants qui fasse perdre leurs droits aux assurés.

C'est en partant de ces considérations que la Commission a examiné les conséquences qu'entraînent les différents modes de liquidation des prestations d'assurance dans un cas comme celui-ci; voici les conclusions auxquelles elle a abouti.

En toute hypothèse les prestations d'assurance allemandes ne varient pas, que les prestations françaises soient liquidées à la même date (la base est alors de 100 trimestres d'assurance en Allemagne et 50 en France), ou que l'on procède à une liquidation successive, consistant à ne prendre en considération pour commencer (sans proratisation) que 100 trimestres d'assurance allemands et à faire appel ultérieurement aux périodes d'assurance françaises s'élevant au total à 61 trimestres, pour proratiser
dans le rapport de 100 à 161. Effectivement, le résultat du calcul correspond toujours (comme la Commission l'a démontré) à celui que donne le décompte direct sur la base de 100 trimestres allemands, ce qui revient à dire que le mode de liquidation des droits à prestations en France est sans aucune influence sur la pension allemande et sur son calcul. — En revanche, les conséquences à l'égard du droit à prestations en France diffèrent selon la date de la liquidation. Si celle-ci a lieu en 1962, en
même temps que celle à laquelle procéde l'institution d'assurance allemande, cela a pour conséquence que le demandeur obtient à partir de cette date une pension de vieillesse sur la base de 50 trimestres français (sur un total de 150 trimestres d'assurance). Mais, selon le droit français, la liquidation a un caractère définitif, c'est-à-dire qu'elle exclut la possibilité d'une révision ultérieure, et cela nonobstant le fait que le demandeur a continué à cotiser en raison de la continuation de son
activité. — Si on diffère la liquidation, le demandeur n'obtient pas, pour commencer, de pension de vieillesse française, tout en restant tenu de verser des cotisations de sécurité sociale, parce qu'il n'a pas encore atteint le plafond des périodes d'assurance admises par le régime français. Mais en compensation, ultérieurement, la base de calcul de la pension française sera plus favorable, grâce à la durée supérieure de la période d'assurance (61 trimestres) et au fait que le système français
prévoit un coefficient spécial de majoration pour les périodes d'assurance accomplies après l'âge de 60 ans.

Or, si, malgré cette situation, on estimait qu'il faut liquider les prestations simultanément, un assuré tel que le demandeur, du seul fait de sa qualité de travailleur migrant, se verrait retirer les possibilités de les améliorer que le système d'un État membre lui offre. D'après notre jurisprudence, l'atteinte ainsi portée à des possibilités juridiques devrait être considérée comme une déchéance injustifiée, parce qu'on peut apercevoir un intérêt digne de protection dans l'utilisation des
particularités du système français, celle-ci revêtant de l'importance pour les seules prestations françaises, et non pas pour le calcul et la liquidation de la pension de vieillesse allemande.

Aussi est-il exact (conformément à la these de la Commission) qu'à tout le moins dans des situations comme celle-ci, il faudrait rejeter le principe de la liquidation simultanée des prestations de sécurité sociale sur la base de la même date.

Cette conclusion n'est pas non plus démentie par les dispositions du règlement no 4 que l'institution française d'assurance a invoquées dans la procédure nationale.

Sans doute, plusieurs expressions utilisées dans les articles 30 à 36 et 83 du règlement no 4 plaident-elles en faveur de la thèse que le cas normal consiste dans la liquidation simultanée des prestations. Il en va ainsi de l'article 30, qui ne mentionne qu'une seule demande, à adresser à l'institution d'assurance du lieu de résidence de l'intéressé, et qui parle de la transmission de cette demande à l'institution compétente. Pensons aussi à l'article 31, aux termes duquel, dans le formulaire visé
au règlement no 4, l'institution intéressée doit être précisée pour chacun des États membres; nous faisons encore allusion à l'article 33 qui parle du relevé et de la récapitulation des périodes d'assurance accomplies en vertu de la législation de chacun des États membres ainsi que de la transmission du formulaire aux institutions des autres États membres. Relevons également l'article 34, aux termes duquel chacune des institutions compétentes est tenue de compléter le formulaire par l'indication des
périodes d'assurance accomplies au titre de sa propre législation et aussi de le renvoyer à l'institution d'instruction après avoir déterminé les droits qui s'ouvrent dans le cas d'espèce. Enfin, des arguments sont fournis par l'article 36, qui impose à l'institution d'instruction de notifier au demandeur l'ensemble des décisions prises concernant la liquidation des prestations qui lui sont dues, ainsi que par l'article 83, aux termes duquel «la date à laquelle ont été introduit(e)s les demandes…
auprès d'une autorité… d'un autre État membre est considérée comme la date d'introduction auprès de l'autorité… compétent(e) pour en connaître».

Toutefois, ce qui est déterminant, c'est qu'ici, dans le cadre des dispositions d'exécution du règlement no 3, nous n'avons à faire qu'à des règles de procédure régissant l'introduction et l'instruction des demandes de pension et coordonnant les opérations de liquidation, règles qui, en simplifiant les formalités, sont destinées à faciliter et à accélérer les démarches des personnes qui prétendent tirer des droits du règlement no 3. En revanche, le rôle de ces dispositions les empêche d'avoir pour
objet de préciser et de compléter les principes de fond du droit des travailleurs migrants et surtout de contenir des indications sur la nécessité d'une liquidation simultanée. Aussi n'est-il notamment pas possible de comprendre l'article 83 (auquel l'institution française d'assurance s'est spécialement référée) dans ce sens que, dans tous les cas, la demande introduite auprès de l'institution d'un des États membres signifie nécessairement qu'elle doit être considérée comme l'étant aussi auprès des
institutions des autres États membres; au contraire, comme la Commission l'a exposé, cette disposition a tout au plus la portée d'une présomption, susceptible d'être renversée par les déclarations formelles et non équivoques d'un assuré, dans la mesure où les principes de fond du règlement no 3 le permettent.

Enfin (la Commission a raison de le souligner), le fait que le règlement no 4 ne prévoit pas de procédure particulière pour le cas de liquidation successive des droits à prestations ne fournit pas non plus d'argument décisif contre la licéité de pareil mode de liquidation. En effet, de telles règles particulières de procédure (concernant par exemple l'institution d'instruction) font également défaut pour les cas visés par l'article 28, paragraphe 1, alinéas e et ƒ, du règlement no 3, qui, aux termes
de l'alinéa g, peuvent entraîner une liquidation successive des prestations. Et malgré cela (la Commission l'a démontré), rien n'empêche dans ce cas d'appliquer judicieusement les règles de procédure régissant la liquidation des prestations.

Par consequent, nous devons conclure en constatant que, comme la Commission l'a proposé, il faut répondre à la question de la Cour d'appel de Paris de la façon suivante :

L'article 28 du règlement no 3, examiné en relation avec les articles 30 à 36 et 83 du règlement no 4, n'exige pas nécessairement, en dehors des cas visés au paragraphe 1, alinéas e et ƒ, que les institutions des différents États membres liquident les pensions de vieillesse simultanément et sur la base de la même date, lorsque le calcul de la pension demandée en premier lieu n'est pas influencé par le fait que la liquidation de la pension due dans un autre État membre a lieu à une date ultérieure.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Du Conseil de la C.E.E. concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, en date du 25 septembre 1958 (Journal officiel, no 30 du 16 décembre 1958, p. 561/58 et s.).

( 3 ) Du même Conseil, fixant les modalités d'application et complétant les dispositions dudit règlement no 3, en date du 3 décembre 1958 (Journal officiel, loc. cit., p. 597/58 et s.).


Synthèse
Numéro d'arrêt : 9-67
Date de la décision : 14/06/1967
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Kurt Colditz
Défendeurs : Caisse d'assurance vieillesse des travailleurs salariés de Paris.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Lecourt

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1967:17

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