Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,
présentées le 17 mai 1967 ( 1 )
Sommaire
Introduction
Discussion juridique
A — Demande d'annulation
I — Recevabilité
II — Bien-fondé du recours
1. La procédure d'intégration est-elle entachée de vices substantiels?
a) Composition de la commission d'intégration
b) La commission d'intégration a-t-elle insuffisamment vérifié les faits?
aa) L'allégation selon laquelle certaines remarques, portées en marge de documents par le supérieur du requérant, auraient été antidatées
bb) Nécessité de compléter le dossier
cc) La commission d'intégration aurait-elle dû entendre l'an- l'ancien president de la Commission
2. Les motifs invoqués par la commission d'intégration
a) Déclaration du vice-président Medi
b) Les appreciations analytiques que critique le requérant
aa) Statistique sanitaire et sociale
bb) Organigramme de la direction «protection sanitaire»
cc) Tableau comparatif des législations en matière d'assurance et de dédommagement du personnel soumis à des radiations nucléaires
dd) Fichier technique sur les maladies professionnelles
3. Résumé
B — Demandes en dommages-intérêts
C — Conclusions
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Le requérant dont nous avons à examiner aujourd'hui le recours est déjà connu de la Cour à la suite d'une autre affaire dont celle-ci a eu à connaître. Par conséquent, en ce qui concerne l'exposé des faits, nous pourrons nous borner à en donner un bref résumé.
Ainsi, nous avons appris, au cours de l'affaire 110-63, que depuis le 18 août 1958, le requérant a bénéficié d'un engagement contractuel, au grade A/3, échelon 3, au service de la Commission de l'Euratom, et qu'en sa qualité de chef de division à la direction «Protection Sanitaire», il était responsable des questions sociales et de la documentation. Nous savons également qu'une première procédure, fondée sur l'article 102 du statut du personnel, relatif à l'intégration des fonctionnaires, a abouti à
un avis négatif de la commission d'intégration, du 19 février 1963. Se fondant sur cet avis, la Commission de l'Euratom, par décision du 5 septembre 1963, a mis fin aux fonctions du requérant au service de la Communauté. Cependant, le recours juridictionnel formé contre cette décision lui a donné gain de cause: par arrêt du 8 juillet 1965, la décision en question a été annulée, et l'affaire renvoyée à la défenderesse aux fins de rouvrir la procédure d'intégration. La chambre a fondé sa décision
notamment sur le fait que le vice-président de la Commission de l'Euratom, M. Medi, n'avait pas été entendu en ce qui concerne le requérant, bien qu'il eût assorti le rapport d'intégration de l'observation suivante : «Pas d'accord avec le jugement ci-dessus, en particulier en ce qui concerne les appréciations analytiques excessivement sévères. Après l'intégration, il sera opportun de réorganiser le service».
En conséquence de cet arrêt, le requérant a continué à être employé par la Commission de l'Euratom. Il est vrai qu'il n'y a plus exercé les mêmes fonctions, étant donné que son poste avait été supprimé entre temps; aussi a-t-il été affecté à la direction générale «administration et personnel». Ainsi que l'avait ordonné la Cour, la Commission de l'Euratom a rouvert, au cours de l'automne de l'année 1965, la procédure d'intégration en ce qui concerne le requérant. Celle-ci s'est déroulée devant la
commission d'intégration, dont la composition est restée la même, au cours de quatre réunions au total (les 3, 5 et 15 novembre et le 1er décembre 1965). Or, il résulte d'une note du 1er décembre 1965 que cela n'a changé en rien l'appréciation portée sur le requérant: même après avoir entendu le vice-président de la Commission de l'Euratom, de même qu'un expert, sur certains travaux du requérant, après avoir examiné un grand nombre de documents produits par le requérant, et après avoir entendu ce
dernier, la commission d'intégration a maintenu son avis selon lequel il ne possède pas l'aptitude pour exercer les fonctions qui lui ont été confiées. A nouveau, la commission de l'Euratom a pris la décision de mettre fin aux fonctions du requérant, un mois après la notification de la décision. Celle-ci porte la date du 16 décembre 1965; elle a été notifiée au requérant le 21 décembre 1965.
C'est contre cette décision qu'est dirigé le présent recours. Celui-ci contient essentiellement les conclusions suivantes :
— annuler la décision du 16 décembre 1965 portant résiliation du contrat du requérant;
— condamner la Commission à des dommages-intérêts, pour certaines fautes de service, qui auraient été commises au cours de la procédure d'intégration, et en prenant certains actes à son encontre;
— subsidiairement : condamner la Commission à des dommages-intérêts pour ne pas avoir accordé un préavis conforme au rang du requérant.
Pour motiver ces conclusions, le requérant présente une série de griefs qui peuvent être résumés ainsi: violation des formes substantielles de procédure, défaut et inexactitude des motifs et détournement de pouvoir. Toutefois, en analysant les faits, nous ne respecterons pas ce classement, étant donné que cela nous obligerait à nous répéter. Au lieu de cela, nous reclasserons les différents moyens de recours selon une méthode qui tiendra mieux compte de la connexité de certains faits.
Commençons notre examen par la demande d'annulation et voyons ensuite, dans une deuxième partie, si les demandes de dommages-intérêts sont motivées.
Discussion juridique
A — Demande d'annulation
I — Recevabilité
Étant donné qu'aucune exception d'irrecevabilité n'a été soulevée et qu'il n'y a pas lieu non plus d'en soulever d'office, nous pouvons nous consacrer immédiatement à l'examen du fond.
II — Bien-fondé du recours
1. La procédure d'intégration est-elle entachée de vices substantiels?
Conformément à la maxime plusieurs fois répétée selon laquelle la Cour ne saurait contrôler le contenu ( 2 ) des jugements de valeur exprimés par la commission d'intégration, son contrôle devant porter en premier lieu sur le respect des règles de procédure, le requérant fait valoir, en premier lieu, que la deuxième procédure d'intégration est, elle aussi, entachée de vices graves. Ceux-ci concernant la composition de la commission d'intégration et la vérification indispensable des faits.
a) Composition de la commission d'intégration
C'est ainsi que le requérant critique le fait que la deuxième procédure d'intégration s'est déroulée devant la commission d'intégration telle qu'elle était composée à l'origine. Pour espérer une décision objective et libre de tout préjugé, il aurait fallu constituer une nouvelle commission qui, elle, ne se serait pas trouvée devant la question de savoir si elle devait désavouer son jugement antérieur.
S'il est vrai que c'est là un argument qu'on ne saurait écarter d'emblée, il n'en reste pas moins vrai qu'en dernière analyse, il n'est pas convaincant en l'espèce.
Et pour cela, ce n'est même pas la peine de rappeler qu'au cours de la procédure d'intégration, le requérant n'a soulevé aucune objection contre la composition de la commission, et que l'arrêt de la Cour du 8 juillet 1965, qui a critiqué le premier rapport de la commission d'intégration, n'a ordonné qu'un renvoi devant la commission tout court, sans exiger une nouvelle composition pour la commission d'intégration.
Ce qui est décisif en revanche, c'est la nature de la procédure d'intégration. Ainsi que la chambre le déclare dans l'arrêt précité, l'appréciation portée sur l'aptitude des fonctionnaires pour certains postes, conformément à l'article 102 du statut du personnel, ne constitue pas une procédure pénale ou disciplinaire. Par conséquent, nous ne serons pas obligés de respecter les principes applicables à la procédure pénale, indépendamment même du fait que ceux-ci n'excluent pas forcément qu'un seul et
même collège soit appelé une deuxième fois à apprécier les mêmes faits, après renvoi du tribunal supérieur.
Au contraire, si elle est correctement comprise, la procédure d'intégration constitue une procédure d'examen de l'aptitude. La commission d'intégration doit apprécier des jugements subjectifs, établis par les supérieurs hiérarchiques, sur l'aptitude de leurs subordonnés, sans qu'il y ait une garantie d'application de critères également sévères. Avec cette procédure, le traitement discriminatoire des fonctionnaires ne peut être évité que si le jugement définitif reste du ressort d'une seule et unique
commission d'intégration qui, en pratique, a pu élaborer des critères uniformes de jugement, et qui se trouve ainsi en mesure de redresser, le cas échéant, des jugements divergents. Ce résultat ne pourrait être atteint s'il était créé une commission ad hoc pour des cas particuliers, car elle n'aurait pas une vue générale de la totalité des cas traités, et il ne serait pas possible de lui communiquer l'expérience acquise, au cours de nombreuses affaires, par la commission d'intégration qui est
intervenue en règle générale.
Par conséquent, on ne saurait reprocher à la Commission de l'Euratom, conformément d'ailleurs en cela aux procédures nationales pour l'examen d'aptitude, d'avoir omis de constituer une nouvelle commission d'intégration, après l'annulation de la première appréciation portée sur le requérant. Tout au plus aurait-on pu envisager une décision différente et donner la priorité, au principe d'une commission exempte de tout préjugé, sur celui de la fonction coordinatrice d'une commission unique que nous
venons d'évoquer, s'il existait des indices que la commission d'intégration, chargée de la première procédure concernant le requérant, aurait eu des préjugés ou qu'elle aurait agi arbitrairement. Cependant, tel n'a pas été le cas, car nous savons qu'à l'époque, la Cour s'est bornée à critiquer la commission pour n'avoir pas fait usage de tous les moyens d'instruction dont l'emploi semblait indiqué, donc pour avoir commis un vice de procédure.
Cette constatation nous oblige à rejeter comme non fondé le premier grief du requérant.
b) La commission d'intégration a-t-elle insuffisamment vérifié les faits?
En deuxième lieu, le requérant se place à différents points de vue pour faire valoir que la commission d'intégration n'aurait pas pris toutes les mesures d'instruction qu'il avait proposées et qu'il fallait considérer comme indispensables. Il entend par là l'examen de la question de savoir si des remarques que son supérieur avait portées dans la marge de documents qu'il avait préparés auraient été antidatées; il fait également allusion à la nécessité d'ajouter à son dossier des documents qui
n'étaient pas de simples ébauches; enfin, il invoque la nécessité d'entendre l'ancien président de la Commission de l'Euratom sur son activité au comité du personnel.
aa) L'allégation selon laquelle certaines remarques, portées en marge de documents par le supérieur du requérant, auraient été antidatées
En ce qui concerne le premier point de ce groupe de griefs, le procès-verbal de la réunion de la commission d'intégration du 5 novembre 1965 nous apprend que le requérant a exprimé des doutes à l'égard des dates auxquelles son supérieur aurait porté des remarques en marge de certains documents, présentés par ce dernier au cours de la première procédure d'intégration et à lui notifiés le 7 février 1963. Ces doutes se fondent sur une «ressemblance typographique» de notes marginales qui semblent dater
de périodes différentes. Sur ce point, le supérieur du requérant a été entendu le 15 novembre 1965. Aux affirmations du requérant, il a répondu qu'il avait inscrit des remarques à l'encre noire au moment où le requérant lui remettait les documents, alors que les remarques portées au crayon rouge (sur un total de 17 documents) y auraient été portées en 1962, c'est-à-dire au moment où les documents ont dû être rassemblés à l'usage de la commission d'intégration. Or, il est manifeste que des remarques
portées, en rouge, en marge de 3 documents au total, sont datées des années 1958 et 1959.
Le requérant en tire la conclusion que, au moins en ce qui concerne les déclarations explicites de son supérieur, il était prouvé que les documents ont été antidatés. Cela ébranlerait le crédit qu'on peut attacher aux dires d'une personne très importante pour la commission d'intégration et on ne pourrait plus soutenir que, bien avant le début des procédures d'intégration, le supérieur du requérant aurait critiqué les travaux de ce dernier.
Étant donné les faits ainsi décrits, nous nous posons la question de savoir si effectivement, comme le croit le requérant, ceux-ci auraient dû obliger la commission d'intégration à ordonner une expertise ayant pour but d'établir clairement à quelles dates ont été inscrites les différentes observations marginales sur les travaux du requérant. Comme la Commission, nous voudrions toutefois répondre à cette question par la négative.
Nous arrivons à cette conclusion à la lumière des considérations suivantes: la Commission de l'Euratom estime qu'il ne saurait être question qu'en faisant ses déclarations du 15 novembre 1965, le supérieur du requérant, ait admis qu'il avait antidaté certaines remarques marginales. En effet, cela serait étonnant, étant donné que ce fonctionnaire avait la possibilité, dont il a d'ailleurs fait usage, de prendre connaissance des documents en question avant de faire sa déclaration (voir procès-verbal
du 3 novembre 1965). Au contraire, le but de l'audition de ce fonctionnaire était celui d'obtenir des précisions sur les dates auxquelles ont été faites certaines remarques marginales qui ne sont pas datées. La déclaration faite par le supérieur du requérant aurait porté exclusivement sur ce point, et c'est dans ce sens que l'aurait interprétée la commission d'intégration. De cela, le requérant a été informé non seulement par voie orale, au cours de la dernière réunion, le 1er décembre 1965, mais
également par lettre du président de la Commission, portant la date du 14 décembre 1965. — Par conséquent, le seul motif valable pour ordonner une expertise ne pouvait être qu'une certaine ressemblance extérieure des notes marginales en question, ce qui a pu amener chez le requérant des doutes sur la date de leur rédaction. Toutefois, le fait que la commission d'intégration n'ait pas considéré que ces vagues soupçons étaient suffisants ne saurait lui être reproché. Et cela d'autant moins qu'elle ne
s'est pas contentée de reprendre à son compte, sans autre examen, le jugement exprimé dans ces remarques marginales, mais, ainsi que nous l'avons appris en cours de procédure, elle a pris soin de vérifier elle-même leur bien-fondé sur la base des documents qui les contiennent.
Par conséquent, dans le contexte de ce que nous venons de traiter, on ne saurait affirmer que les faits ont été insuffisamment vérifiés.
bb) Nécessité de compléter le dossier
En ce qui concerne le grief selon lequel, au cours de la deuxième procédure, la commission d'intégration aurait statué sur la base d'un dossier incomplet, c'est-à-dire qui aurait dû être complété, on pourrait envisager de le rejeter d'emblée comme irrecevable. En effet, nous nous souvenons que, dès la première procédure d'intégration, le requérant avait déjà fait valoir que la commission ne lui avait pas accordé le temps nécessaire pour produire tous les documents à l'aide desquels prouver son
aptitude. A l'époque, le requérant a produit, le 12 février 1963 pour commencer, trois documents «pour compléter» son dossier, et, le 8 mai 1963, c'est-à-dire après l'avis de la commission d'intégration (rendu le 19 février 1963), il a produit encore 85 documents, d'un total de 450 pages. Malgré cela, la chambre n'a pas critiqué le fait que la procédure d'intégration n'ait pas été rouverte; elle a constaté que c'était au requérant de faire montre de plus d'initiative à partir du moment que la
commission l'avait informé, le 8 février 1963, qu'il lui était loisible de produire tous les documents dont il estimait qu'ils pourraient être interprétés en sa faveur. Si cela est vrai pour la première procédure d'intégration, il sera difficile de défendre un point de vue différent pour la nouvelle procédure.
Mais, même abstraction faite des objections de principe que nous venons d'évoquer, les chances qu'a le requérant de voir aboutir le grief invoqué sont très minimes.
Tout d'abord, nous ne voyons pas très clairement ce que pense le requérant quand il reproche à la commission d'intégration de s'être bornée à apprécier les documents qu'il a produits le 8 mai 1963, c'est-à-dire d'avoir apprécié des projets et non pas la version définitive des travaux. S'il pensait à des versions définitives réalisées avec la collaboration d'autres fonctionnaires, il faudrait déjà les écarter du seul fait que la part de chaque fonctionnaire dans l'élaboration de ces travaux ne peut
plus être déterminée, ou ne peut l'être qu'avec difficulté; par conséquent, cela ne permettrait pas une appréciation correcte aux fins définies à l'article 102. — Ensuite, nous ne voyons pas que, dans la procédure d'intégration, le requérant ait fait valoir qu'outre les projets qu'il avait soumis, il ait existé des documents de travail plus élaborés dont il était le seul auteur et qu'à l'aide de ceux-ci la commission aurait pu se faire une opinion plus favorable de ses aptitudes. A moins de nous
tromper, cette observation n'a été faite qu'après la conclusion de la procédure, par lettre adressée au président de la commission le 15 décembre 1965; en outre, elle ne porte que sur un seul document produit par le requérant. Ce comportement est d'autant moins compréhensible que, dès la première procédure d'intégration, le requérant ne s'est pas vu reprocher le seul manque d'initiative (critique qui aurait pu être réfutée en arguant que certains travaux avaient été commencés). Comme nous le savons,
la commission d'intégration a relevé en premier lieu l'inaptitude à approfondir certains travaux, c'est-à-dire l'imperfection des services rendus. — Enfin, on pourrait encore répliquer au requérant que la commission n'a pas formé seulement son opinion sur la base des documents qu'il lui avait remis, mais également, et surtout, en examinant des documents de travail, de l'ordre de 150 pages, qui constituaient, d'après les affirmations non contestées de la commission, des textes définitifs, émanant du
requérant.
Par conséquent, le grief selon lequel la commission d'intégration ne se serait fondée que sur des projets de travaux du requérant n'est pas fondé.
Dans la mesure où le requérant formule en outre le grief que la commission d'intégration aurait dû prendre connaissance d'autres travaux émanant de lui, et, notamment, de certains bulletins d'information, et abstraction faite de ce qu'au cours de la procédure d'intégration il n'a fait aucune suggestion dans ce sens, contentons-nous d'observer que, selon la commission, les bulletins ont été rédigés en collaboration avec un autre fonctionnaire et qu'ils ne permettaient pas par conséquent de former un
jugement décisif sur ses aptitudes. — En outre, pour conclure, il faut dire qu'il nous paraît suffisant d'avoir examiné au cours de la procédure d'intégration environ 600 pages de documents de travail, parce que la commission d'intégration ne peut pas être obligée de vérifier la totalité du travail fourni par un fonctionnaire.
Par conséquent, les arguments invoqués jusqu'à présent ne permettent pas d'affirmer qu'au cours de la procédure d'intégration la commission n'ait pas rempli son devoir de rechercher tous les éléments nécessaires. Ultérieurement, lorsqu'il sera question de la pertinence des motifs invoqués par la commission, nous reviendrons sur certaines questions particulières relatives au dossier du requérant.
cc) La commission d'intégration aurait-elle dû entendre l'ancien président de la Commission?
C'est toujours dans le cadre du grief selon lequel la commission n'aurait pas suffisamment vérifié les faits que le requérant prétend que c'est à tort que la commission d'intégration n'a pas donné suite à sa demande d'entendre l'ancien président de la Commission. Ainsi la commission d'intégration n'a pu se faire une image précise du volume et de la portée du travail que le requérant a fourni pendant longtemps au sein du comité du personnel.
Ce grief a été formule à la suite d'une observation, il est vrai sans importance pour la décision elle-même, contenue dans l'arrêt du 8 juillet 1965, selon lequel la commission d'intégration était «tenue d'examiner dans quelle mesure ladite activité a pu avoir, sans la faute du requérant, une influence défavorable non seulement sur la quantité, mais aussi sur la qualité du travail…». En effet, il est concevable que des tâches qui lui sont attribuées au comité du personnel empêchent un fonctionnaire
d'exercer les fonctions de son emploi budgétaire au point que ces dernières en pâtissent considérablement. La chambre est d'avis que ce fonctionnaire ne devrait pas subir un préjudice de ce fait.
Cependant, nous estimons qu'en l'espèce il a été tenu suffisamment compte de cette exigence.
Tout d'abord on ne peut pas critiquer la commission d'intégration lorsqu'elle déclare qu'elle est appelée non pas à fournir un jugement de valeur sur les services rendus dans le cadre du comité du personnel, mais uniquement à statuer sur l'aptitude du fonctionnaire à exercer les fonctions de son emploi budgétaire. Même si le statut du personnel (article 1, alinéa 3, de l'annexe 2) dispose que les fonctions assumées par les membres du comité du personnel sont considérées comme partie des services
qu'ils sont tenus d'assurer dans leur institution, et même si on applique ce principe à l'époque préstatutaire, cela ne revient pas encore à dire que la valeur des services rendus dans la cadre de la représentation du personnel permette d'en tirer des conclusions sur l'aptitude à un emploi budgétaire déterminé.
Par conséquent, il ne pouvait s'agir que d'établir quel était le volume de l'activité du requérant au comité du personnel, et de constater dans quelle mesure elle a pu entraver l'exécution de ses fonctions proprement dites. Or, cela a été fait, comme nous le prouvent non seulement les déclarations du supérieur du requérant à l'audience du 3 novembre 1965, mais aussi les déclarations explicites contenues dans l'avis de la commission d'intégration du 1er décembre 1965, qui se fonde sur des
déclarations détaillées du requérant. Nulle part il ne lui est reproché d'avoir négligé son service à cause des fonctions qu'il assumait au comité du personnel au contraire, acte lui a été donné de ce que, malgré ces charges supplémentaires, il a pu consacrer une part considérable de son temps à ses fonctions proprement dites, ce qui résulte notamment du volume de documents examinés au cours de la procédure d'intégration. D'ailleurs, le requérant lui-même n'a jamais prétendu que sa double fonction
lui aurait causé des difficultés pour respecter les délais impartis pour des travaux relevant de ses fonctions d'administrateur, et que pour cette raison il n'aurait pu fournir que du travail superficiel. Il relève expressément que, jusqu'à la fin de 1961, son supérieur lui a accordé tout son soutien en ce qui concerne les fonctions qu'il assumait au comité du personnel, et qu'il lui a toujours été possible de terminer les travaux dans les délais qui lui ont été impartis (voir procès-verbal du
8 février 1963, p. 9).
Or, vu cette situation, nous estimons qu'au cours de la procédure d'intégration il n'était pas nécessaire d'approfondir la question de savoir combien de temps le requérant consacrait à ses activités au comité du personnel. Cela d'autant moins que le requérant a souligné lui-même qu'il lui serait extrêmement difficile de déterminer la proportion dans laquelle il partageait son temps entre le comité du personnel et ses fonctions proprement dites. Notamment, à défaut de déclarations particulières du
requérant, la commission d'intégration a pu renoncer à entendre l'ancien président de la Commission, car même si celui-ci avait de fréquents contacts avec le requérant, comme cela a été affirmé, on ne voit pas comment il aurait pu fournir, sur les activités de ce dernier au comité du personnel, des détails plus précis que ceux dont disposait le directeur général de l'administration, qui était en même temps président de la commission d'intégration, et ceux que la commission a pu recueillir en
entendant l'ancien chef du cabinet du président au cours de la première procédure d'intégration.
Par conséquent, sur ce point également, il n'est pas possible de reconnaître en quoi la commission aurait violé son devoir d'éclairer tous les faits.
2. Les motifs invoqués par la commission d'intégration
En ce qui concerne le jugement que la commission d'intégration a porté sur les aptitudes du requérant, ce dernier le critique sur certains points: il invoque l'insuffisance des motifs et des erreurs parmi ceux-ci. Cependant, il sera très délicat a priori de le suivre sur cette voie, car la Cour ne saurait évidemment substituer son jugement de valeur à celui de la commission d'intégration. Par conséquent, il s'agit de procéder prudemment; tout au plus pourrons-nous nous demander s'il existe des
indices graves concernant des points de détail du jugement donné qui seraient de nature à infirmer celui-ci dans sa totalité.
a) Déclaration du vice-président Medi
Ainsi devons-nous dire en premier lieu un mot sur la déclaration que le vice-président de la Commission a été amené à faire au cours de la deuxième procédure d'intégration, après que la Cour ait eu qualifié de faute le fait qu'il n'ait pas été entendu dans la première procédure alors que «les remarques dont il a émargé le rapport d'intégration permettent de supposer qu'il a été à même de se former, par lui-même, une conviction sur la compétence du requérant, et qu'il considérait même comme
pratiquement acquise l'intégration de ce dernier». Voici le texte de cette remarque : «Pas d'accord avec le jugement ci-dessus, en particulier en ce qui concerne les appréciations analytiques extrêmement sévères. Après l'intégration, il sera opportun de réorganiser le service». Nous savons maintenant quel est le sens qu'il convient de donner à cette remarque. L'essentiel de la déclaration du vice-président du 3 novembre 1965 tient avant tout au fait qu'il ne disposait pas d'éléments suffisants pour
se faire un jugement d'ensemble sur la personne du requérant. Dans la mesure où il a quand même tenté de le faire, ce jugement se fonde sur des faits connus au moment de l'engagement du requérant et concernant son ancienne activité aux affaires sociales qui, en tant que telle, ne pouvait permettre des conclusions qu'en ce qui concerne une partie de ses fonctions auprès de la Commission. En outre, le vice-président avait l'impression générale que le jugement porté sur le requérant était
particulièrement sévère par rapport à celui d'autres fonctionnaires. Il en a tiré la conclusion qu'il aurait lui-même majoré d'un point la note relative à l'initiative et à la responsabilité du requérant, alors que, pour le reste, il aurait renoncé à formuler un jugement. — Enfin, il faut tenir compte de sa déclaration que la phrase «après l'intégration, il sera opportun de réorganiser le service» ne devait pas être comprise dans ce sens qu'il considérait comme pratiquement acquise l'intégration du
requérant. En réalité, il se serait référé, d'une manière générale, à la conclusion de la procédure d'intégration et à la nécessité qui en découlait de réorganiser le service en question, sans viser plus particulièrement la personne du requérant.
En ce qui concerne la pertinence du jugement porté sur la personne du requérant, la déclaration Medi ne peut donc nous fournir aucun élément décisif.
b) Les appréciations analytiques que critique le requérant
Disons tout de suite que les efforts du requérant pour critiquer certaines appréciations analytiques de l'avis de la commission d'intégration n'ont pas plus de succès. Entre autres, ces défauts découleraient d'une information insuffisante de la Commission, critique qui nous amène à reprendre en partie un moyen que nous avons déjà eu à examiner.
Sur ce point, il convient de donner la precision liminaire suivante: les appréciations critiquées par le requérant ne concernent pas les travaux qui ont amené la commission d'intégration à rendre un avis négatif et dont l'appréciation constitue le pivot de son jugement d'ensemble. Au contraire, il s'agit de travaux dont le requérant lui-même a proposé l'examen en vue de prouver son aptitude; il s'agit donc, dans un certain sens, d'une tentative de preuve contraire ayant pour but d'ébranler l'avis
négatif de la commission d'intégration basé sur d'autres éléments. Cela résulte de la lecture de l'avis, très détaillé, ainsi que de la comparaison des différents sujets qui ont été examinés au cours des deux procédures d'intégration (voir notamment le procès-verbal du 18 décembre 1962). Il nous paraît important de signaler ce fait, parce qu'il démontre, dès le début, le peu de valeur de l'argumentation du requérant: même en supposant qu'il ait réussi à prouver l'exactitude de sa thèse pour ce qui
concerne les questions visées, il n'est pas certain que l'avis de la commission d'intégration, formé sur la base d'autres éléments, en soit infirmé.
Malgré cela, nous ne renoncerons pas à examiner en détail l'argumentation du requérant relative aux différents considérants de l'avis.
aa) Statistique sanitaire et sociale
Ainsi, le requérant critique les observations de la commission d'intégration sur ses efforts pour établir des statistiques sanitaires et sociales, en invoquant le fait que certains documents n'auraient pas été consultés: or, il en résulterait que le défaut de progrès dans ce domaine ne devrait pas lui être imputé, mais serait attribuable à des instances nationales. Il s'agit en l'occurence d'une lettre du Service statistique, adressée au requérant le 26 janvier 1961, ainsi que d'un memorandum du
requérant, adressé au Service statistique de la Communauté le 26 novembre 1961.
Toutefois, au cours de la procédure, la commission a affirmé que ses recherches dans les archives de la division à laquelle appartenait jadis le requérant, ainsi que dans les archives centrales, avaient été sans résultat. Il n'a pas été procédé à d'autres recherches (comme, par exemple, auprès du Service statistique des communautés) parce qu'il apparaissait que la commission disposait d'éléments d'appréciation suffisants, en dehors des statistiques citées. De plus, nous lisons dans l'avis de la
commission d'intégration qu'en ce qui concerne le domaine de la statistique, le manque de progrès dans les travaux n'a pas été interprété au préjudice du requérant.
Comme on peut admettre ainsi que les tentatives de justification du requérant au cours de la procédure d'intégration ont abouti, et comme en tout état de cause les résultats de ses travaux statistiques n'ont manifestement pas eu d'influence sur le jugement d'ensemble de la commission d'intégration, aucune réclamation sur ce point ne saurait être justifiée.
bb) Organigramme de la direction «Protection sanitaire»
Ensuite, dans le mesure où le requérant se réfère à l'appréciation portée sur un organigramme préparé par lui et dont le résultat négatif s'expliquerait par le seul fait qu'ici également la commission d'intégration aurait jugé sur la base de textes incomplets, il convient de lui objecter que l'organigramme en question ne fait nulle référence à une prétendue annexe contenant une récapitulation du personnel nécessaire et que celle-ci n'a pu être retrouvée dans les archives de la Commission. En outre,
nous constatons que la critique de la commission d'intégration n'a pas porté tellement sur le caractère incomplet du document en question (c'est-à-dire le défaut de données concernant les besoins en personnel et la qualification de celui-ci) que sur l'absence de caractère original du document, qui ne contient que des paraphrases d'extraits du traité, ce qui, évidemment, n'est pas de nature à prouver que le requérant est capable d'une pensée analytique. Or, il sera difficile d'infirmer cette
observation, qui constitue le point capital du jugement, en versant au dossier les documents que cite le requérant; on est par conséquent justifié à conclure que, sous cet aspect également, il n'est pas possible de reprocher une omission grave à la commission d'intégration.
cc) Tableau comparatif des législations en matière d'assurance et de dédommagement du personnel soumis à des radiations nucléaires
Il n'en va pas autrement pour la collection, préparée par le requérant, de dispositions légales en matière de protection contre les radiations, dont il prétend que la commission d'intégration l'a jugée insuffisante parce que c'est une version incomplète qui lui avait été présentée. Dans sa version définitive, ce travail aurait comporté six pages de plus relatives aux accidents du travail, ainsi qu'un certain nombre de fiches de référence.
Sur ce point également, nous avons appris par la Commission (voir lettre du directeur général Funck au requérant du 16 décembre 1965) que les documents complémentaires cités étaient introuvables dans les archives de la direction «Protection sanitaire», et que le témoin M. Mosthaf, cité par le requérant, n'était pas à même de donner des indications précises sur leur contenu et leur existence. D'autre part, dans ce cas aussi, la critique de la commission d'intégration n'a pas porté sur les lacunes du
travail, mais sur sa nature et son niveau car le reproche essentiel fait au requérant, c'est d'avoir dressé un inventaire sommaire de dispositions légales ne correspondant pas au niveau attendu d'un fonctionnaire A/3, lequel, s'il ne dispose pas lui-même de connaissances juridiques suffisantes, aurait pu faire appel à la collaboration d'un juriste de la direction.
Or, comme nous avons affaire à un jugement porté sur certains textes existants, qui peuvent être appréciés indépendamment d'autres documents prétendument fournis, le grief du requérant selon lequel le jugement aurait une base incomplète n'est pas fondé non plus.
dd) Fichier technique sur les maladies professionnelles
Enfin, le requérant n'a pas réussi non plus à mettre en doute la valeur du jugement de la commission d'intégration sur un fichier technique qu'il a préparé. En effet, il se fonde, essentiellement, sur le fait incontestable qu'il ne s'agit ici que d'une collection de données, établie avec la collaboration d'autres services de la Commission ainsi que du Bureau international du travail. Or, si on peut admettre, comme le fait remarquer le requérant, que ce travail est susceptible de démontrer son sens
de l'initiative, il reste néanmoins ce fait que la Commission a retenu, c'est qu'une collection de ce genre ne correspond pas au niveau d'un fonctionnaire du grade A/3, lequel est, en premier lieu, chargé de travaux de conception et d'étude. D'ailleurs, sur ce point, l'appréciation de la commission a été confirmée par un expert (le directeur du service médical) qu'elle a entendu et qui a déclaré que le travail en question n'est pas d'un très grand intérêt pour la direction de la «protection
sanitaire».
3. Résumé
En résumé, on pourra retenir, en ce qui concerne la demande en annulation du requérant, qu'aucun des moyens qu'il a invoqués, qu'ils visent la composition de la commission d'intégration, l'étendue de l'instruction qu'elle a ordonnée ou le jugement de certains travaux du requérant, n'est de nature à faire apparaître des vices dans l'avis définitif sur l'aptitude du requérant à son emploi. Or, puisque, conformément à l'article 102 du statut du personnel, la Commission est liée par l'appréciation
négative de la commission d'intégration, on ne saurait mettre en doute la légalité de sa décision de résilier l'emploi du requérant.
B — Demandes en dommages-intérêts
Il nous reste à dire un dernier mot sur les demandes de dommages-intérêts présentées par le requérant. Nous ne nous y attarderons pas longtemps, pour autant qu'elles se fondent sur des fautes dont, selon le requérant, sont entachés la procédure d'intégration et les actes qui en découlent, car l'argumentation en ce sens, nous l'avons vu, n'est pas convaincante.
Cependant, on pourrait envisager d'accorder au requérant des dommages-intérêts, étant donné la brièveté du préavis qui lui a été accordé avant la résiliation de son contrat. Ce préavis — il s'agit d'un mois, à partir de la notification de la décision en question — est certes prévu dans le contrat d'emploi du 30 juillet 1958. Cependant, cela ne revient pas à dire qu'il est légal pour autant. Nous ne devons pas oublier, en effet, que les premiers contrats d'emploi ont été conclus après la mise en
vigueur du traité instituant l'Euratom, dans l'hypothèse où un statut du personnel aurait été réalisé rapidement. Or, l'adoption d'un tel statut et, partant, l'intégration des agents ont traîné pendant un temps considérable; il faut donc admettre que les rapports de service, qui, d'après la jurisprudence de la Cour de justice, sont en principe dépourvus du caractère de stabilité, sont devenus plus stables au moins dans ce sens que leur résiliation ne pouvait être prononcée avec les préavis prévus à
l'origine. Les ordres juridiques nationaux connaissent également ce phénomène de la stabilisation des rapports contractuels à la suite de l'écoulement de certains délais. — Par ailleurs, nous nous permettons de rappeler, à cet égard, l'arrêt de la Cour dans l'affaire Fiddelaar (affaire 44-59), lequel déclare qu'à défaut d'un accord sur le préavis de résiliation un préavis de trois mois est équitable étant donné la durée du contrat (du 1er septembre 1958 au 31 octobre 1959). En outre, on arrive tout
au moins au même résultat si, à l'égard de rapports contractuels qui ont dépassé la date de mise en vigueur du statut du personnel, on respecte les directives fixées à l'article 74 du régime applicable aux autres agents (c'est-à-dire à deux jours par mois de service, jusqu'à concurrence de trois mois au plus).
Par conséquent, il serait sans doute justifié de déclarer illégal le préavis d'un mois, accordé en l'occurrence, et, nonobstant le fait qu'aux termes de l'article 102, alinéa 2, du statut du personnel, le requérant a droit à deux mois de traitement de base, de lui accorder au moins deux mois supplémentaires à titre de dommages et intérêts.
C — Conclusions
Nous avons l'honneur de conclure comme suit :
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il tend à l'annulation de la décision portant résiliation du contrat, et à des dommages-intérêts pour fautes de service commises au cours de la procédure d'intégration. En revanche, les demandes subsidiaires tendant à l'attribution de dommages-intérêts pour non-respect d'un préavis adéquat sont fondées. Par conséquent, la Commission doit être condamnée à payer au requérant deux mois de traitement supplémentaires, calculés d'après le montant de ses
derniers émoluments. Étant donné que le requérant a eu gain de cause sur un des chefs de conclusions, une partie des dépens judiciaires doit être mise à la charge de la Commission. Étant donné l'importance relative de ce chef, il nous paraît indiqué de mettre à la charge de la Commission la moitié des dépens encourus par le requérant.
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( 1 ) Traduit de l'allemand.
( 2 ) Voir affaires 19 et 65-63. 27 et 30-64.