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24/11/1966 | CJUE | N°59-65

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 24 novembre 1966., Heinrich Schreckenberg contre Commission de la CEEA., 24/11/1966, 59-65


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 24 novembre 1966 ( 1 )

Sommaire

  Introduction (les faits, les conclusions des parties)


  Discus...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 24 novembre 1966 ( 1 )

Sommaire

  Introduction (les faits, les conclusions des parties)
  Discussion juridique
  I — Les problèmes de recevabilité
  1. Les conclusions en annulation et en déclaration
  2. Les conclusions en dommages-intérêts
  II — Le fond
  III — Conclusions

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Le requérant dans l'affaire pour laquelle nous présentons aujourd'hui nos conclusions est entré au service de la Commission de l'Euratom le 25 novembre 1960. Son traitement initial s'élevait à 21000, — francs, montant qui, selon la Commission, correspondait à un classement dans le grade A/5 du statut des fonctionnaires de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Dès le début de son engagement, le requérant a été affecté à la direction générale de l'administration et chargé des fonctions de
«chef du service intérieur», qu'il exerce encore à ce jour. Le présent procès porte sur l'évaluation de ces fonctions d'après le statut des fonctionnaires et la description des emplois fixée par la Commission.

Sa genèse n'appelle que quelques observations.

Après l'entrée en vigueur du statut des fonctionnaires, une décision de la Commission du 5 mars 1953 a titularisé le requérant en qualité d'administrateur principal de grade A/5, échelon 2, à compter du 1er janvier 1962. Le 8 juillet 1964, il a adressé au président de la Commission une demande en vue de se faire allouer l'indemnité différentielle prévue à l'article 7, paragraphe 2, du statut, en raison de l'importance de ses fonctions. Cette demande est restée sans suite. Mais, par une décision du
13 octobre 1964, la Commission a promu le requérant au grade A/4, 1er échelon, à compter du 1er janvier 1964.

Ayant appris le 3 mai 1965 par voie d'affichage qu'une décision du 8 avril 1965 avait promu plusieurs fonctionnaires au grade A/3 (parmi lesquels deux fonctionnaires de la direction générale de l'administration et un de ses collègues), le requérant a adressé à la Commission, le 8 juillet 1965, une réclamation administrative fondée sur l'article 90 du statut. Il y demandait d'être, lui aussi, classé au grade A/3, avec effet rétroactif au 1er janvier 1962, conformément à l'importance de ses fonctions.
Cette réclamation, elle non plus, n'a pas abouti. Elle a été rejetée par une décision du président de la Commission, communiquée au requérant le 22 septembre 1965 par lettre du directeur général de l'administration et soulignant expressément que la façon dont la décision de titularisation du 5 mars 1963 avait évalué ses fonctions était maintenue. C'est ce qui a incité le requérant à intenter une procédure judiciaire. Sa requête est parvenue à la Cour le 13 décembre 1965, et il y conclut à ce qu'il
vous plaise :

— Annuler la décision du 22 septembre 1965 rejetant sa demande ;

— Dire pour droit que la Commission est tenue de le classer dans le grade A/3, échelon 2, à compter du 1er janvier 1962 et de lui accorder les échelons ultérieurs qui lui reviennent au 1er janvier 1966 en vertu de l'article 44 du statut des fonctionnaires;

— Subsidiairement: condamner la Commission à des dommages-intérêts à lui allouer sous la forme de l'indemnité prévue à l'article 7, paragraphe 2, du statut, calculée à partir du 1er janvier 1962 et qu'il évalue sous réserve à 100000, — francs.

La Commission a réagi à ce recours le 17 janvier 1966 en déposant une demande fondée sur l'article 91 du règlement de procédure et tendant à faire statuer au préalable sur sa recevabilité. La chambre ayant joint cet incident au fond par ordonnance du 3 mars 1966, la Commission a complété ses conclusions en demandant à titre subsidiaire de rejeter les prétentions du requérant comme non fondées.

Voila en quoi consiste le litige sur lequel nous allons donner notre avis.

Discussion juridique

I — Les problèmes de recevabilité

1. Les conclusions en annulation et en déclaration

Examinons d'abord la question de la recevabilité du recours, qui se pose surtout à propos des conclusions principales du requérant; dans la présente instance, elle aussi, la Commission estime qu'il ne lui est plus possible aujourd'hui de faire valoir ses prétentions à un grade supérieur. Il lui aurait été loisible de soulever cette question après la notification de la décision du 5 mars 1963 relative à son intégration. En revanche, la décision qui a rejeté sa réclamation du 8 juillet 1965 ne
constituerait qu'un acte confirmatif n'ouvrant pas de nouvelles possibilités de recours, parce qu'il n'aurait pas été prouvé que des faits nouveaux soient intervenus.

Comme nous le savons, le requérant invoque le témoignage déposé par M. le directeur général Funck dans l'affaire «Mosthaf contre Commission de l'Euratom» ainsi que sa note du 4 avril 1963 pour objecter qu'en réalité la Commission n'a pas encore procédé à l'évaluation définitive de tous les emplois pour lequels un classement dans le grade A/3 peut être envisagé. Il serait certain qu'elle ne l'a pas fait en 1963, mais tout au plus en 1965. Aussi l'évaluation du poste du requérant faite dans la
décision d'intégration du 5 mars 1963 n'aurait-elle eu qu'un caractère provisoire et n'aurait-elle pas été de nature à constituer le point de départ d'un délai de recours. — Si cependant l'on estimait que la décision d'intégration est définitive, encore faudrait-il considérer que l'action entreprise par la Commission en 1965 pour pourvoir à un ensemble A/3 constitue au sens des règles de procédure un fait nouveau qui autorise le requérant à remettre en question l'exactitude de son classement. M.
Schreckenberg expose qu'il l'a fait -en temps utile et dans les formes, si on prend comme point de départ du délai la publication des actes de classement en question: cela interdirait de considérer que la décision prise par la Commission en réponse à sa réclamation du 8 juillet 1965 est un acte simplement confirmatif.

Vous vous souviendrez que, dans l'affaire 34-65, nous avons déjà amplement exposé notre avis sur toutes ces questions. Aussi pourrons-nous être assez bref dans notre argumentation d'aujourd'hui.

C'est ainsi que nous nous contenterons de répéter qu'il n'est manifestement pas possible de soutenir que le témoignage de M. le directeur général Funck indiquerait qu'il n'a pas encore été procédé à l'évaluation définitive de tous les emplois pour lesquels un classement dans le grade A/3 peut être envisagé. Si en soi il est déjà extrêmement improbable que, pendant plusieurs années, la Commission ait laissé en suspens d'importantes questions de statut pour un nombre élevé de fonctionnaires, à cela
s'ajoute que non seulement d'autres passages de la déposition en question mais également le procès-verbal de la séance de la Commission du 22 janvier 1963 (où il est question d'un «examen général du classement des emplois occupés par les agents admis au bénéfice du statut») fournissent d'importants éléments qui plaident contre l'exactitude de la thèse du requérant. Par conséquent, comme nous l'avons déjà expliqué, nous devrions en réalité comprendre la déposition de M. Funck, d'après laquelle la
réévaluation de tous les emplois pour lesquels un classement dans le grade A/3 peut être envisagé n'est pas encore terminée, dans ce sens que, même dans l'avenir, il pourrait encore apparaître nécessaire dans des cas particuliers et dans le cadre des possibilités budgétaires de revenir sur l'évaluation de certains emplois (par exemple en cas de modification des fonctions qu'ils impliquent). En revanche, il n'apparaît pas défendable de justifier la recevabilité du présent recours au moyen de cette
déposition.

La note du directeur général Funck du 4 avril 1963 que nous connaissons par l'affaire 34-65 et qui parle d'un renvoi à une date ultérieure de l'évaluation des postes A/3 est également sans intérêt pour la question de la recevabilité. Indépendamment du fait que cette note concerne uniquement les postes A/3 disponibles au cours de l'exercice 1963, et par conséquent les classements effectivement réalisés en septembre 1963, il y a une différence entre la situation de M. Schreckenberg et celle qui se
présente dans l'affaire 34-65: dans le cas qui nous occupe, il n'existe pas de proposition formelle de transformation du poste du requérant en un poste de grade A/3. Aussi, contrairement à l'affaire Mosthaf, n'est-il pas possible de se demander si la note de M. Funck ne visait pas également le poste du requérant et si, à tout le moins pour l'année 1963, le classement de ce poste dans la grille des traitements n'a pas été fait uniquement à titre provisoire.

En réalité, il est donc impossible de contester le caractère définitif de la décision de classement adoptée en 1963 à l'égard du requérant et de justifier ainsi la recevabilité d'un recours introduit en 1965.

Ce qu'il resterait tout au plus à se demander, c'est si, par suite de la survenance de faits nouveaux, il aurait été justifié de reprendre la discussion sur l'exactitude du classement du requérant. Mais, selon les considérations que nous avons développées dans l'affaire Mosthaf, cela non plus ne serait pas possible. Notre jurisprudence a établi depuis longtemps qu'il n'est pas question de considérer comme des faits nouveaux les arrêts rendus dans des litiges opposant d'autres parties à propos de
problèmes analogues. Il n'est pas davantage possible de retenir comme un fait nouveau l'adoption de la description des emplois par la Commission, parce qu'elle a été établie plus de deux ans avant l'introduction du recours. Quant à l'éventualité d'une modification de la pratique administrative de la Commission en matière d'évaluation des emplois de grade A/3, circonstance qu'il serait possible de considérer comme un fait nouveau, il n'en est pas question dans la présente affaire, et ce pour les
raisons suivantes. En effet, même si les actes que la Commission a accomplis dans ce domaine au cours des années 1963, 1964 et 1965 avaient constitué non seulement des promotions, mais de véritables redressements des classements (et certains éléments semblent l'indiquer), ils ne pourraient néanmoins pas être la manifestation d'une pratique administrative assez étendue et assez générale pour qu'on puisse parler d'un fait nouveau dans le sens de nos règles de procédure. D'après ce que nous savons,
plusieurs cas particuliers ont été revus, mais nous ne nous trouvons pas en présence d'une modification fondamentale de la pratique administrative de la Commission. Si cependant l'on allait jusqu'à admettre qu'il s'est agi de la sorte d'une pratique administrative généralisée, ce qui importerait en fin de compte pour le cas actuel, c'est que, dans une large mesure, on peut déjà la déceler au cours des années 1963 et 1964, et non pas seulement en 1965. En réalité, c'est donc déjà en 1963 et en 1964
que le requérant aurait eu des motifs de soumettre le problème de son classement à la Commission pour un nouvel examen. En revanche, le fait que les classements décidés en 1965 ont eu des effets jusque dans l'unité administrative à laquelle appartient le requérant et (d'après lui) ont mis un terme aux reclassements ne constitue pas un élément de nature à faire renaître le droit de recours éteint.

Par conséquent, les conclusions en annulation qui vous sont présentées ne peuvent en aucune hypothèse apparaître comme recevables, même si l'on apprécie de façon bienveillante tous les éléments. C'est le sort que subissent également les conclusions qui, s'appuyant sur les conclusions en annulation, tendent à faire reconnaître des droits au requérant. Dans cette mesure, il faut donc rejeter le recours comme irrecevable.

2. Les conclusions en dommages-intérêts

Ce qui précède n'épuise toutefois pas encore l'examen de l'objet du litige. C'est précisément pour le cas où ses conclusions en annulation et en déclaration seraient rejetées, c'est-à-dire où il ne pourrait plus revendiquer son reclassement, que le requérant demande d'être placé, par l'allocation de dommages-intérêts à concurrence de l'indemnité différentielle calculée conformément à l'article 7 du statut des fonctionnaires, dans une situation pécuniaire correspondant à la valeur, de son travail
effectif.

La Commission estime que ce chef de conclusions est, lui aussi, irrecevable. Elle relève qu'il n'est pas permis de chercher à atteindre, par le détour d'une demande de dommages-intérêts, un objectif pécuniaire auquel il n'est plus possible de parvenir au moyen d'un recours tendant à un arrêt d'annulation. A cet égard elle invoque essentiellement l'arrêt 25-62, dans lequel la Cour a déclaré pour une espèce analogue qu'un acte administratif non annulé ne saurait être en lui-même constitutif d'une
faute (de service) et qu'elle, ne saurait, par le truchement du recours en indemnité, annihiler les effets juridiques d'une décision qui n'a pas été annulée.

Sur ce point, lui aussi, c'est en définitive la thèse de la Commission qui semble être exacte.

Sans doute (nous l'avons déjà souligné à plusieurs reprises) l'opinion émise dans l'arrêt précité est-elle trop générale et, par conséquent, critiquable, notamment parce que le traité C.E.E. n'a pas expressément formulé un principe analogue à celui qu'établit l'article 34 du traité C.E.C.A. — De même, il ne nous paraît pas possible de soutenir qu'en établissant le statut des fonctionnaires, le Conseil a voulu déroger aux dispositions prévues de façon générale pour la prescription des actions en
matière de responsabilité non contractuelle par le statut Euratom de la Cour (article 44) et déclarer que les recours en indemnité des fonctionnaires fondés sur des actes annulables doivent être formés dans le délai de trois mois fixé à l'article 91 du statut.

Mais le résultat que préconise la Commission peut être atteint en recourant à un principe semblable à celui qu'énonce le paragraphe 839 du code civil allemand pour les actions du chef de faute de service. L'alinéa 3 déclare qu'«il n'y a pas d'obligation de réparer lorsque, intentionnellement ou par négligence, la personne lésée a omis de détourner le dommage en usant d'un recours légal». Si l'on reporte cette idée sur le cas qui nous occupe, il faut en déduire que lorsque l'intéressé a la
possibilité d'annihiler certains effets juridiques au moyen d'un recours en annulation et la laisse échapper sans l'utiliser, il ne lui est plus permis de poursuivre le même objectif ou une partie importante de celui-ci au moyen d'une action tendant à une compensation pécuniaire. Il est d'importance secondaire de savoir s'il s'agit ici à strictement parler d'une question de faute partagée, c'est-à-dire de bien-fondé de la prétention, ou d'une question de recevabilité du recours. A notre avis, il est
défendable en pareil cas de rejeter le recours comme irrecevable. Dans l'affaire qui nous occupe, cela signifie qu'effectivement le requérant n'a pas la possibilité de chercher à atteindre, au moyen de réclamations fondées sur la responsabilité de l'administration, un objectif auquel, en raison de l'expiration du délai, il ne peut plus parvenir au moyen du recours en annulation envisagé en premier lieu.

Des lors, nous aboutissons à la conclusion que le recours introduit doit être rejeté comme totalement irrecevable.

Contrairement à ce que nous ferions dans d'autres procès, nous n'arrêterons pourtant pas ici l'examen du dossier, mais, étant donné que nous avons affaire à des questions de recevabilité du recours assez délicates, nous aborderons le fond à titre subsidiaire, pour voir si les revendications du requérant relatives à son classement n'apparaîtraient pas comme fondées.

II — Le fond

Tout comme dans l'affaire Mosthaf, le requérant allègue qu'en raison du niveau des fonctions que l'autorité investie du pouvoir de nomination lui a confiées et qui, pour l'essentiel, n'ont pas changé depuis le 1er janvier 1962, il doit être classé dans le grade A/3 en tant que chef de division. L'affaire Mosthaf nous a également mis en mémoire la façon dont la description des emplois fixée par la Commission le 13 mars 1963 a défini l'activité d'un chef de division. D'après cette description, ce qui
importe, c'est de savoir si le fonctionnaire intéressé dirige une unité administrative sous l'autorité d'un directeur dans un domaine spécialisé. En revanche, l'administrateur principal de grade A/5-A/4 (c'est la carrière actuelle du requérant) est défini comme suit: chef d'un secteur d'activité d'une division ou chef d'un service spécialisé.

En ce qui concerne ces définitions, nous avons déjà relevé qu'elles ne fournissent que bien peu d'éléments permettant de vérifier les classements et que, par conséquent, il faut reconnaître à la Commission une importante marge d'appréciation, à tout le moins en ce qui concerne les grades supérieurs de la catégorie A. Ce qu'en réalité la Cour peut faire ici, ce n'est pas substituer son appréciation à celle de l'administration, mais uniquement vérifier s'il existe des indices permettant de dire que
dans un cas donné les fonctions conférées à l'auteur de la réclamation ont été sous-évaluées.

Examinons donc comment l'affaire actuelle se présente à la lumière de ces principes.

Contrairement à l'affaire Mosthaf, elle pourrait donner l'impression d'être très simple à apprécier (et cela au détriment du requérant), parce qu'il est manifeste que dans le cas de ce dernier, une condition d'ordre hiérarchique prévue par la description des emplois n'est pas remplie: la subordination à un directeur. Effectivement, l'unité administrative du requérant est subordonnée à un fonctionnaire qui n'a que le grade A/3, c'est-à-dire, d'après la classification du statut, à un chef de division,
et il semble que jusqu'à présent ce fonctionnaire n'ait pas cherché activement à se faire reclasser.

Toutefois, nous croyons qu'il ne faudrait pas surévaluer ce point de vue. Et cela, à vrai dire, non point pour les motifs invoqués par le requérant, qui allègue que dans un document de 1960 (EUR-/C /3840/1/60) l'unité administrative en question est désignée expressément comme une direction, qu'au surplus il existe un document appelé «organigramme» qui contient la même dénomination et que dans le «Guide des Communautés européennes» de 1965 (p. 163) le nom de son supérieur est imprimé dans les mêmes
caractères que celui des autres directeurs. Il est évident que tous ces éléments ne sont pas déterminants. Ou bien ils remontent à une période où la Commission ne pouvait pas encore se guider sur les critères d'un statut pour fixer son plan d'organisation; ou bien ils sont dépourvus de caractère officiel, parce que (comme le Guide des Communautés) ils n'ont été édités par le centre de documentation qu'à titre de répertoire indiquant les fonctionnaires et leurs attributions, ou parce que (comme
l'organigramme) ils ont été établis par la «direction» de l'administration elle-même. Nous pensons bien plutôt qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération l'élément formel, parce qu'il nous paraît qu'il n'est pas exclu mais au contraire qu'il est parfaitement probable que les erreurs de classement et d'organisation se perpétuent à travers plusieurs grades. Ces raisons devraient nous amener à étendre notre examen à d'autres points de vue, pour tenter de parvenir à nous former une opinion claire
sur le niveau des fonctions du requérant.

Mais au moment de procéder de la sorte, nous devons immédiatement reconnaître qu'ici aussi, parmi les nombreux arguments du requérant, il a formulé certaines observations qui ne présentent guère d'utilité pour apprécier la situation.

— C'est ainsi qu'il nous paraît sans importance que l'avis d'intégration du 13 juin 1962 destiné au requérant désigne son unité administrative comme une division. En effet, cet avis n'émanait que d'un de ses supérieurs et il n'était contresigné que par un seul membre de la Commission: cela démontre qu'il ne contient pas une qualification officielle de l'unité administrative du requérant par l'autorité investie du pouvoir de nomination qui était compétente. Au surplus, la Commission relève que les
supérieurs du requérant ont parfois désigné son unité administrative du terme de «service» («Referat»). S'ils avaient chaque fois compris la dénomination employée dans un sens technique, leur proposition de classer néanmoins le requérant dans le grade A/5 ne se comprendrait pas. Aussi, ce qui doit être décisif dans ce contexte, c'est que l'autorité compétente investie du pouvoir de nomination a réagi à la proposition dont elle était saisie en classant le requérant dans le grade A/5.

— Ensuite, nous ne pouvons pas suivre le requérant quand il conclut que la Commission a en principe reconnu l'exactitude de son point de vue puisqu'elle s'est abstenue de contredire point par point les arguments qu'il avait invoqués dans sa réclamation, c'est-à-dire en ce qui concerne la description de ses fonctions et de leur importance, notamment par comparaison avec les attributions d'autres fonctionnaires. En réalité, il faut considérer que le rejet catégorique des prétentions du requérant
constitue également un refus d'admettre les arguments qu'il avait invoqués. La seule conclusion qui soit permise (le représentant de la Commission ne l'a pas non plus repoussée au cours des débats oraux), c'est qu'il y a dans une large mesure unanimité sur l'exposé des fonctions effectivement exercées par le requérant (du moins pour autant qu'il ne soit pas contesté sur des points de détail). Toutefois, cela ne donne encore aucune indication sur leur évaluation d'après la description des emplois.

Aussi, plutôt que de nous attarder sur les deux arguments dont nous avons parlé, abordons les comparaisons que le requérant a faites en ce qui concerne l'évaluation des attributions d'un de ses collègues et au sujet de l'activité de fonctionnaires de la Commission de la C.E.E. et de la Haute Autorité.

— Comme nous le savons, le mobile principal qui a détermine M. Schreckenberg à introduire son recours, c'est le fait qu'en 1965 un autre fonctionnaire du service de l'administration, qui jusqu'alors avait été mis sur le même pied que lui, a été promu au grade A/3. Ce qui importe surtout pour le requérant, c'est une comparaison avec l'évaluation des attributions de ce fonctionnaire.

Mais déjà ici nous voyons combien des comparaisons de ce genre peuvent être problématiques, lorsqu'elles se réfèrent à des attributions de nature différente. Si le collègue du requérant est essentiellement chargé des questions de traitements et d'indemnités, le «service intérieur» du requérant (sans qu'il faille maintenant s'arrêter à tous les détails) englobe d'autres attributions, telles que des questions d'immeubles (loyer, achat, entretien), des compétences d'ordonnancement et de paiement pour
les dépenses des budgets de fonctionnement et de recherches, l'achat et le stockage de matériel de bureau, le service des transports, les équipements techniques (téléphone, télex, installations d'interprétation), le service des huissiers et de la reproduction, la centrale dactylographique, les achats et les installations sociales pour le personnel. Nous avons déjà souligné dans l'affaire Mosthaf que, pour déterminer l'importance relative de ces attributions, le nombre des personnes subordonnées
aux différents fonctionnaires ne peut pas être décisif. C'est pourquoi, dans la présente affaire également, nous ne pourrons tirer aucune conclusion du fait que, lors de l'entrée en vigueur du statut, le requérant avait sous ses ordres 178 personnes et qu'actuellement il en a 227, tandis que son collègue n'en aurait que 31. L'élément numérique apparaît encore plus comme secondaire lorsqu'on réfléchit au fait qu'en tout cas le collègue du requérant a sous ses ordres 12 fonctionnaires de catégorie
B, alors que le requérant n'en a que 8 (tout le restant du personnel du service du requérant appartient aux catégories C et D). Et lorsqu'au surplus la Commission souligne, au sujet de la valeur relative des services accomplis, que les questions de traitements et d'indemnités (y compris les problèmes fiscaux) de l'ensemble du personnel de la Commission à Bruxelles et dans les autres lieux d'affectation des agents de la Commission constituent une tâche plus compliquée et méritant un rang plus élevé
que les services que, du moins depuis quelque temps, le requérant ne doit accomplir que pour le Centre, nous ne voyons pas comment nous pourrions soulever des objections contre le caractère objectif de pareille différenciation. Dès lors, la comparaison avec la situation juridique de son collègue promu n'est pas de nature à faire apparaître le classement appliqué au requérant comme un abus du pouvoir d'appréciation.

— Ce qui pourrait être plus utile en revanche, c'est de comparer la situation du requérant avec celle des fonctionnaires des autres institutions qui (d'après lui) ont, en gros, les mêmes attributions que lui. A cet égard toutefois, son argument général d'après lequel les fonctions ont toujours été sous-évaluées à la Commission de l'Euratom ne mérite pas qu'on s'y attarde spécialement, puisqu'il n'est appuyé que par les déclarations très imprécises d'une communication du comité du personnel du 7 juin
1966, se référant elle-même aux premières conclusions d'un groupe de travail pour l'harmonisation des classements.

A ce propos, le requérant invoque surtout la situation de M. Maudet, qui se serait vu confier, à la Commission de la C.E.E., les mêmes attributions que lui (ou même des attributions moindres) et qui aurait été classé dans le grade A/3, et cela à bon droit d'après un arrêt de la Cour.

Si cette comparaison était exacte, le requérant aurait effectivement trouvé un argument important pour appuyer ses revendications, et cela même si on estime que la pratique administrative d'une Institution ne peut pas toujours lier les autres. — Toutefois une impression se dégage des exposés contradictoires faits au cours de la procédure: c'est que la Commission a démontré qu'il y avait certaines différences importantes, que nous ne pouvons pas négliger sans plus. C'est ainsi qu'on nous a prouvé par
des documents que, dès janvier 1962, les questions relatives à l'assurance des immeubles ne relevaient déjà plus de la compétence du requérant. — Ensuite, nous avons vu que, pour l'achat de matériel à la Commission d'Euratom, tout au moins lorsqu'il s'agit de contrats d'achat importants, il existe un service spécial des achats, auquel le requérant n'a pas le droit de donner des instructions. — Mais ce qui est surtout significatif, c'est que le fonctionnaire de la Commission de la C.E.E. dont nous
avons parlé a les compétences qui nous intéressent ici pour l'ensemble du vaste appareil administratif de la Commission, tandis qu'à tout le moins depuis 1964 (dans les premières années de l'installation des centres de recherches, il n'y avait pas de décentralisation), seule l'administration du siège de Bruxelles incombe encore au requérant, qui ne s'occupe plus de celle des centres de recherches.

Nous estimons que ces différences dans l'étendue des attributions ne peuvent pas être compensées par le fait que le requérant s'est vu confier des fonctions supplémentaires qui, à la Commission de la C.E.E., seraient assurées, non pas par M. Maudet, mais, paraît-il, par plusieurs autres fonctionnaires de grade A/3. Comme nous l'apprenons par le tableau établi par le requérant lui-même (cf. annexe 8 au document du 28 octobre 1966), compte tenu des corrections nécessaires apportées par la Commission,
les fonctionnaires de la Commission de la C.E.E. qui nous sont indiqués ont encore d'autres attributions importantes que le requérant n'a pas et qui peuvent justifier un classement dans le grade A/3 (c'est ainsi par exemple que le fonctionnaire de la C.E.E. compétent pour le service des huissiers et de la garde est également responsable des archives et du courrier; le fonctionnaire qui est à la tête de la centrale dactylographique de la C.E.E. est en outre responsable du service de la traduction; et
enfin, le fonctionnaire chargé de l'organisation des conférences, des réunions et des réceptions a en plus, à la Commission de la C.E.E., la responsabilité de l'interprétation simultanée). Mais, en ce qui concerne les autres fonctionnaires mentionnés à ce propos, il est établi qu'où bien ils n'ont que le grade A/4 (c'est le cas du fonctionnaire qui est non seulement chargé, comme le requérant, des achats hors taxes et des affaires d'économat pour le personnel, mais également d'autres attributions
supplémentaires importantes) ; ou bien ils n'ont même que le grade A/5 (comme le fonctionnaire chargé, à la Commission de la C.E.E., de la liquidation des dépenses pour les achats de matériel et du secrétariat de la commission d'achat), ce qui leur enlève toute valeur de comparaison utile dans le sens du requérant.

C'est un tableau analogue qui se dégage d'une comparaison avec la situation existant à la Communauté européenne du charbon et de l'acier; et d'ailleurs a priori sa valeur est bien moindre, parce que l'organisation administrative de la Haute Autorité est différente. Ici également, le simple relevé dressé par le requérant (malgré son caractère incomplet) fait apparaître des différences importantes entre son propre domaine d'activités et celui des fonctionnaires avec lesquels il se compare. Nous
constatons notamment que plusieurs fonctionnaires de la Haute Autorité exercent, en plus de celles qu'assure le requérant, d'importantes attributions qui peuvent justifier un classement supérieur. C'est ainsi que le fonctionnaire qui se prête le mieux à une comparaison avec le service du requérant est également chargé du service de la traduction, des achats et de l'organisation des conférences. Le fonctionnaire qui se trouve à la tête des huissiers doit s'occuper en outre des archives, du courrier,
de la bibliothèque et de la documentation. Le fonctionnaire responsable du service de reproduction a également des attributions relatives à la publication du Journal officiel, et enfin, le fonctionnaire placé à la tête de la centrale dactylographique a en outre des attributions relatives aux concours, aux mutations et à la formation des fonctionnaires.

Indépendamment de cela, nous estimons que le requérant ne nous a pas démontré d'une manière convaincante que l'importance et le degré de difficulté de certaines de ses attributions, qui ne se retrouvent pas dans les compétences des personnes avec lesquelles il se compare, exigent manifestement un classement dans le grade A/3. Cela s'applique à sa prétendue intervention dans la préparation des prévisions budgétaires et des demandes de reports de crédits qui, d'après les indications de la Commission,
ne consiste qu'à réunir des données, alors que la responsabilité finale de ces mesures est prise en liaison avec la direction générale des finances, qui serait d'ailleurs aussi compétente en premier lieu pour le contrôle et le paiement des factures. — Cela s'applique également à certaines compétences d'ordonnancement qu'en vertu d'une sous-délégation du directeur général de l'administration du 9 avril 1965, le requérant exerce de façon illimitée pour ce qui est du budget de fonctionnement, et qui,
pour ce qui est du budget de recherches, présentent les mêmes limites que les délégations accordées à d'autres fonctionnaires des grades A/1 à A/3. En effet, une objection de la Commission est importante à cet égard: c'est que ces autres fonctionnaires ont encore d'importantes attributions supplémentaires qui jouent un rôle capital dans la détermination de leur rang. La compétence d'ordonnancement du requérant ne s'étend en revanche qu'à l'administration du siège de Bruxelles (et non à
l'administration des centres) et d'ailleurs, si l'on se réfère aux articles correspondants du budget, elle se limite à des affaires de caractère usuel, alors que, pour les opérations importantes, c'est de toute façon le supérieur du requérant qui doit intervenir. — Enfin, cela s'applique aussi à l'organisation des conférences, des réunions et des réceptions: la Commission nous a prouvé que le requérant n'est chargé que de leur organisation matérielle (mise à la disposition du matériel et du
personnel), alors que le programme proprement dit est confié à un fonctionnaire du secrétariat exécutif, qui au surplus n'a que le grade A/5.

Si, par conséquent, en récapitulant, nous devons admettre que le requérant réunit entre ses mains un grand nombre d'attributions importantes et que celles-ci impliquent la responsabilité de sommes considérables, en fin de compte cela ne permet néanmoins pas de dire que les éléments qu'il a apportés, notamment ses tentatives de comparaison avec la situation d'autres fonctionnaires, font apparaître l'évaluation que la Commission a faite de son emploi comme un abus du pouvoir d'appréciation.

aussi, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une instruction, faut-il retenir comme conclusion que le requérant ne pourrait pas aboutir dans ses revendications relatives à son classement. Cela imposerait de rejeter le recours comme non fondé, s'il ne fallait pas déjà nier sa recevabilité.

Il saute aux yeux que cela s'applique aux conclusions, non seulement en annulation et en déclaration, mais également en dommages-intérêts, parce que ces dernières seraient, elles aussi, subordonnées à la preuve que le classement du requérant est erroné.

III — Conclusions

Pour nous résumer, voici donc nos conclusions: le recours dont nous sommes saisis est irrecevable en totalité; en toute hypothèse, il n'est pas fondé: par conséquent, il doit être rejeté. La question des dépens doit être tranchée conformément à l'article 70 du règlement de procédure, c'est-à-dire que chaque partie doit supporter ses propres dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 59-65
Date de la décision : 24/11/1966
Type de recours : Recours de fonctionnaires - irrecevable

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Heinrich Schreckenberg
Défendeurs : Commission de la CEEA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Lecourt

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1966:51

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