Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,
présentées le 22 novembre 1966 ( 1 )
Sommaire
Introduction (exposé des faits; conclusions des parties; procédure)
I — Questions de recevabilité
II — Bien-fondé
1. Conclusions visant à l'annulation
a) Pour le poste de Bruxelles
b) Pour le poste de Karlsruhe
2. Autres conclusions du recours
3. Dépens
III — Conclusions
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
A l'époque où a été introduit le recours, le requérant en l'espèce, un ressortissant italien, travaillait au service linguistique du Parlement européen en qualité de fonctionnaire temporaire. Il a participé à un concours général organisé par la Commission de l'Euratom et dont l'avis a paru dans le Journal Officiel du 22 juin 1964, sous le no EURATOM AD/A /47/64; ce concours sur titres et sur épreuves orales devait servir à la constitution d'une liste de réserve destinée à pourvoir les emplois
d'administrateurs correspondant à la carrière A /7 -A /6, devenus vacants ou nouvellement créés, et ce, dans huit branches différentes de l'administration générale de la Commission. La liste de réserve était valable jusqu'au 31 décembre 1965 ou jusqu'à une date ultérieure, en cas de prolongation en ce sens. Lors du concours auquel ont participé à l'origine 442 candidats, parmi lesquels 85 ont été admis aux épreuves orales finales, le jury compétent a donné au requérant 73,40 points pour ses mérites
et l'a classé premier de la liste des 46 candidats désignés (voir la note de la direction générale de l'administration du 23 mars 1965). Le nom du requérant figure également sur la liste de réserve que l'autorité investie du pouvoir de nomination a établie dans l'ordre alphabétique le 8 avril 1965.
Le 12 mai 1965, le requérant a été convoqué a Bruxelles pour avoir un entretien concernant le poste de collaborateur du directeur de l'administration du personnel de la Commission et pour passer une visite médicale. Il semble qu'à la suite de cet entretien le directeur de l'administration du personnel ait adressé à la Commission une proposition visant à nommer le requérant. Toutefois, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination, la Commission n'a pas suivi cette proposition, mais elle
a nommé un autre candidat (de nationalité belge) qui avait été classé 35e sur la liste du jury, avec 50,60 points. Suivant les dires de la Commission, la nomination a eu lieu au grade A/6, échelon 3, avec effet, du 1er février 1966.
De même, en 1965, un poste d'administrateur était à pourvoir au Centre de recherches nucléaires de Karlsruhe. Ainsi, le 24 septembre 1965, le requérant et quatre autres candidats ont-ils été invités à se présenter à Karlsruhe pour avoir un entretien avec le chef de l'administration de cette institution. Mais finalement, la Commission a nommé, à ce poste également, un autre candidat (de nationalité italienne comme le requérant) qui avait été classé 12e sur la liste du jury avec 66 points. La
nomination est entrée en vigueur avec effet du 1er février 1966, au grade A/6, échelon 2.
Suivant ses dires, le requérant a eu connaissance de ces décisions durant la seconde moitié du mois de décembre 1965. Étant donné que jusqu'alors il n'avait pas été engagé par la Commission, il s'est décidé à former un recours qui a été enregistré au greffe de la Cour le 31 décembre 1965. Il conclut à ce qu'il plaise à la Cour :
— annuler les nominations auxquelles a procédé la Commission sur la base du concours EURATOM AD/A/47/64;
— annuler d'autres nominations auxquelles a pu procéder une institution de la Commission agissant en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination;
— constater que l'autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission est tenue de nommer le requérant à un des postes vacants, et ce, rétroactivement et aux conditions indiquées par le directeur du personnel et de l'administration (catégorie A/6) ;
— condamner la Commission a verser chaque mois la somme de 26000,— francs à titre de dommages-intérêts pour les revenus que le requérant n'a pas perçus, plus d'autres indemnités ou sommes que la Cour devra fixer de façon équitable sur la base du statut du personnel.
La Commission fait valoir en premier lieu au sujet de ce recours qu'il est irrecevable parce que les conditions exigées par l'article 38 du règlement de procédure n'ont pas été respectées. A titre subsidiaire, elle demande qu'il soit rejeté comme non fondé.
Au sujet de la procédure, nous ferons encore remarquer que le requérant a demandé le 19 août 1966 par voie de référé au président de la Cour de bien vouloir ordonner à la Commission de surseoir à la nomination définitive des candidats qui avaient été engagés en qualité de stagiaires pour les postes en question à Bruxelles et à Karlsruhe. Lorsque la Commission a fait savoir par la suite qu'elle avait déjà procédé aux nominations, par décisions du 19 juillet 1966, lesquelles étaient entrées en vigueur
le 1er août 1966, le requérant a déclaré le 30 septembre 1966 qu'il retirait sa demande de sursis. En conséquence, la procédure incidente 62-65 R a été rayée du registre de la Cour par ordonnance du 5 octobre 1966 et seule la décision sur les dépens a été réservée jusqu'à la décision définitive au principal. En outre, le 1er septembre 1966, le requérant avait présenté par écrit une demande incidente afin d'obtenir de la Commission la production d'une série de documents. Comme nous le savons, cette
demande avait été précédée d'une décision de la Cour du 3 juin 1966 statuant sur une demande de preuves présentée par le requérant et qui a abouti le 23 juin 1966 à la production de certains documents par la Commission. Néanmoins, le requérant estime que la Commission ne s'est pas conformée en tous points à la demande de la Cour. Cette demande incidente devra être tranchée elle aussi en relation avec le principal.
En ce qui concerne l'objet du litige qui vient d'être ainsi défini, nous ferons les remarques suivantes :
Discussion juridique
I — Questions de recevabilité
La recevabilité du recours n'est contestée ni du point de vue de l'observation du délai de recours, ni eu égard au fait que le requérant n'est pas fonctionnaire de la Communauté. Il n'est pas possible non plus de soulever d'office des exceptions sur ces deux points, notamment sur le dernier, parce que l'article 91 du statut du personnel parle de façon tout à fait générale des personnes visées dans le présent statut, parmi lesquelles, selon une juste conception, figurent également les participants à
un concours destiné à pourvoir un poste.
On doit plutôt se demander si la recevabilité du recours doit être contestée eu égard aux contitions requises par l'article 38 du règlement de procédure, suivant lequel la requête doit indiquer entre autres «l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués». C'est ce point de vue que défend la Commission, motif pris de ce que le requérant n'a pas qualifié en droit ses griefs, c'est-à-dire qu'il a omis d'indiquer exactement les moyens invoqués et n'a pas indiqué les dispositions du statut
ou les principes de droit que la Commission aurait violés.
Toutefois, il nous semble que la Commission s'attache ainsi à une interprétation trop stricte de notre règlement de procédure. Sans doute, il convient d'admettre sans plus qu'en ce qui concerne les griefs allégués, la requête ne constitue pas un exemple de clarté ni de précision. C'est ainsi qu'elle ne laisse pas apparaître de façon absolument claire si le requérant critique la pertinence des motifs invoqués par la Commission ou seulement le fait que ces motifs ne lui ont pas été communiqués en
temps voulu (c'est seulement dans la réplique que l'on constate que le requérant n'a pas eu l'intention d'alléguer le grief d'insuffisance des motifs). Cependant, nous admettrons que l'ensemble du recours montre en outre avec suffisamment de clarté quels sont les principes de droit qui, selon le requérant, ont été violés par la Commission. Cela résulte de ce que celui-ci invoque l'article 27 du statut du personnel, où il est question de la nécessité d'assurer aux institutions de la Communauté le
concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité. Manifestement, le requérant en conclut que le fait de figurer en premier sur la liste des résultats de l'examen lui conférait le droit d'être nommé par priorité avant tous les autres candidats. Cela résulte également de ce que le requérant invoque la jurisprudence de la Cour dans l'affaire 15-63, où il est question du rôle que doit jouer la nationalité d'un fonctionnaire lorsqu'il s'agit de
pourvoir un emploi. Il nous faut même admettre que le requérant a fait valoir avec suffisamment de clarté le grief de détournement de pouvoir.
Exiger en outre que le requérant articule clairement les moyens en se référant à la classification du traité (violation du traité, détournement de pouvoir, etc.) et qu'il indique exactement les dispositions de droit qui ont été violées serait inapproprié, comme l'a réaffirmé à maintes reprises la Cour dans sa jurisprudence, tout au moins en ce qui concerne les affaires de fonctionnaires. En conséquence, eu égard aux conditions de forme exigées par l'article 38 du règlement de procédure, le recours
ne devrait pas être déclaré irrecevable.
II — Bien-fondé
1. Conclusions visant à l'annulation
Sur le fond, le litige porte sur la question de savoir si c'est à juste titre que le requérant a été évincé lorsque la Commission a pourvu certains postes sur la base du concours en question ou bien si, en tant que candidat classé premier sur la liste d'aptitude du jury, le requérant avait une vocation telle que la nomination de candidats classés de façon moins favorable doit être considérée comme illégale. En examinant cette question, il est bien entendu que nous nous attacherons seulement aux deux
postes dont il est question en l'espèce, étant donné que, contrairement à ses conclusions, formulées en termes généraux, le requérant n'a pas fait état d'autres nominations suceptibles de l'intéresser et étant donné que nous n'avons pas eu connaissance même d'office d'autres nominations. Nous nous rappelons quelles sont les deux thèses en présence: le requérant donne à la liste des candidats établie par le jury une importance déterminante, c'est-à-dire qu'elle doit lier l'autorité investie du
pouvoir de nomination de telle façon que cette dernière est tenue de nommer le candidat le mieux noté, alors que la Commission met l'accent sur le choix que lui laisse l'article 30 du statut du personnel, de sorte que tous les candidats retenus par le jury auraient la même vocation à être nommés.
Avant d'examiner plus en détail ces thèses et les arguments sur lesquels elles se fondent, il nous semble opportun de rappeler brièvement les traits essentiels de la procédure de concours telle qu'elle figure dans le statut du personnel. Suivant l'article 1 de son annexe III, cette procédure commence par un avis de concours arrêté par l'autorité investie du pouvoir de nomination et contenant une série d'indications (nature du concours; nature des fonctions afférentes aux emplois à pourvoir; les
diplômes et autres titres ou le niveau d'expérience requis pour les emplois à pourvoir; la nature des épreuves et leur cotation; connaissances linguistiques; âge, etc.). Après réception des candidatures, l'autorité investie du pouvoir de nomination arrête une liste des candidats qui remplissent les conditions indispensables prévues aux alinéas a, b, c de l'article 28 du statut (nationalité, service militaire, garanties de moralité). En même temps que les dossiers de candidatures, cette liste est
transmise au jury composé suivant l'article 3 de l'annexe III. La tâche du jury consiste tout d'abord à établir une liste des candidats qui répondent aux conditions fixées par l'avis de concours. Ensuite, des épreuves écrites ou orales ont lieu, précédées, le cas échéant, d'un tri préliminaire en fonction des titres présentés, et dont le but est d'établir la liste des candidats retenus, prévue à l'article 30 du statut, le nombre des candidats désignés étant au moins double du nombre des emplois mis
au concours. Enfin, sur la base de cette liste, à laquelle est joint un rapport motivé, l'autorité investie du pouvoir de nomination compétente procède aux nominations nécessaires ou, comme en l'espèce, décide d'établir une liste de réserve.
Si on considère cette procédure et si on songe en outre que les travaux du jury, auxquels peuvent participer des assesseurs ayant voix consultative (c'est-à-dire des experts), sont secrets d'après le statut, il n'est pas douteux que le droit de la fonction publique communautaire attache une grande importance à la notation des candidats d'après leur compétence et leur rendement. C'est ce qui résulte également de l'article 27 du statut du personnel, aux termes duquel «le recrutement doit viser à
assurer à l'institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité». Suivant une juste conception, cet article ne se limite pas à formuler une directive ou un objectif d'ordre général, à savoir que tous les candidats retenus et figurant sur. la liste d'aptitude doivent satisfaire aux conditions requises. La place qu'il occupe au début du chapitre sur le recrutement des fonctionnaires, de même que ses termes catégoriques, imposent
l'interprétation qu'il convient de tenir compte des différences de notations lors du choix du candidat à engager. Un jury ne peut donc s'acquitter judicieusement de ses fonctions, même sans texte explicite, que s'il fait figurer ces différences de mérites dans son rapport motivé; par conséquent, contrairement à ce qu'affirme la Commission, il n'est pas possible de dire que tous les candidats figurant sur une liste d'aptitude auraient la même vocation à être nommés et se trouveraient à cet égard dans
une position juridique identique sans que la notation du jury entre en ligne de compte.
Cependant, comme on le voit sans plus, les constatations indiquées ne permettent pas encore de trancher définitivement le problème qui nous occupe. Il résulte clairement du seul texte du statut que la liste des candidats désignés par le jury ne peut, pour toutes les catégories de concours, lier de façon absolue — à l'exclusion des autres facteurs — l'autorité investie du pouvoir de nomination, c'est-à-dire que le premier ou les trois ou quatre premiers candidats ne doivent pas avoir la priorité
absolue sur les autres, comme le pense le requérant. S'il en était ainsi, l'article 30 qui parle d'un choix effectué par l'autorité investie du pouvoir de nomination sur la liste du jury n'aurait aucun sens, et on ne comprendrait pas pourquoi l'article 5, 5e alinéa, de l'annexe III au statut du personnel impose au jury l'obligation de désigner un nombre de candidats au moins double du nombre des postes à pourvoir. Il est au contraire évident que la Commission doit disposer dans une certaine mesure
d'une marge d'appréciation qui permet de tenir compte, outre les épreuves, de considérations d'un autre ordre. Le statut cite à ce titre pour tous les cas de recrutement l'intégrité des candidats et leur aptitude physique à l'exercice de certaines fonctions. De plus, l'article 27 prescrit d'effectuer le recrutement «sur une base géographique aussi large que possible parmi les ressortissants des États membres des Communautés». On ne doit pas oublier non plus que le jury se prononce seulement sur la
valeur des épreuves mais que la note globale qu'il donne ne tient compte ni des titres, ni de la formation, ni de l'expérience professionnelle. Enfin, l'intérêt général du service joue un rôle, de même que les conditions particulières requises pour le poste à pourvoir dans chaque cas concret.
Ainsi, pour toutes les catégories de concours, l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose d'une marge d'appréciation considérable, en vertu de laquelle, suivant une juste conception, elle est seulement tenue de concilier et de prendre en considération tous les points de vue cités en même temps que les différentes notes résultant du concours; de la sorte, selon les circonstances, même les différences dans les résultats des épreuves peuvent être reléguées sans plus au second plan (notamment
lorsqu'il s'agit seulement de différences minimes) ; c'est ainsi que les particularités de notre cas augmentent encore, d'une part, la marge d'appréciation de la Commission et, d'autre part, les risques courus par les candidats participant au concours.
Nous ne devons pas oublier que dans le cas d'espèce il ne s'agissait pas pour la Commission de pourvoir un ou plusieurs postes déterminés déjà existants et dont les fonctions étaient bien définies dans l'avis de concours. Comme il résulte de l'avis de concours publié au Journal officiel de 1964, pages 1561 et suivantes, la Commission a usé au contraire de la possibilité que lui donne l'article 29, paragraphe 1, du statut du personnel de procéder à un concours en vue de constituer une réserve de
recrutement pour un certain nombre de postes dont certains sont encore à créer, c'est-à-dire qui devront encore être autorisés par le Conseil de ministres, et dont on sait seulement qu'ils concerneront huit branches différentes: 1) questions juridico-administratives, législatives et institutionnelles — contrats de recherches; 2) problèmes sociaux, assurances, pensions; 3) propriété industrielle, problèmes juridiques et commerciaux, licences de brevets; 4) archives — documentation; 5) contrôle des
mouvements de matières fissiles, stocks, transports, comptabilité-matières; 6) gestion du personnel; 7) affaires de presse; 8) sécurité). En conséquence, chaque candidat avait le droit de faire un exposé du point de vue de ses connaissances particulières (voir le procès-verbal du comité du jury figurant dans le rapport de celui-ci du 23 mars 1965). Cet élément suffit à lui seul à rendre absolument insoutenable l'idée que le jury a voulu comparer ce qui n'était pas comparable et que tous les
candidats examinés pouvaient figurer sur une seule liste d'aptitude dont seuls le ou les premiers candidats devaient être nommés quel que soit l'emploi spécifique à pourvoir.
D'autre part, nous devons rappeler la manière dont se sont déroulées les épreuves et dont elles ont été notées, pour montrer leur importance relative. Sur la base des documents produits par la Commission, nous savons que chacun des 85 candidats admis à l'examen devait faire un exposé oral d'un quart d'heure sur la matière qu'il avait choisie et devait faire état de ses connaissances linguistiques au cours d'un entretien. L'exposé et les connaissances linguistiques ont été notés respectivement de 1 à
20 points et pour chaque candidat la note globale a été obtenue en dotant l'épreuve sur les connaissances linguistiques du coefficient 1 et l'exposé du coefficient 3. En additionnant les points obtenus, on arrive alors à la note dont nous avons fait état au sujet des trois personnes qui nous intéressent. Par contre, la notation du jury n'a pas tenu compte des différents titres des candidats, de leur formation, ni de leur expérience, ni des autres valeurs personnelles.
A notre avis, il apparaît clairement que la valeur d'une telle notation ne doit pas être surestimée. En particulier, la note globale ainsi obtenue ne peut être révélatrice de l'aptitude particulière d'un candidat à exercer certaines fonctions, pour lesquelles il se peut précisément que les qualités que le jury n'a pas notées et ne devait pas noter ou qui étaient seulement dotées du coefficient 1 dans la note globale aient de l'importance.
A l'intérieur de la Communauté par conséquent, nous le ferons encore une fois remarquer, dans toutes les procédures de recrutement sur la base d'un concours, nous nous trouvons en présence d'une marge d'appréciation considérable de la part de l'autorité investie du pouvoir de nomination, ce qui démontre, en d'autres termes, que cette partie du statut du personnel de la Communauté n'est évidemment qu'un compromis entre les systèmes nationaux, lesquels ne connaissent pas de droit de recours pour les
candidats à un concours et d'autres systèmes pour lesquels les résultats d'un concours lient plus étroitement l'autorité investie du pouvoir de nomination; il en résulte non seulement que toutes les références du requérant au droit italien sont sans importance, mais aussi que la tâche de la Cour, qui est de contrôler des nominations effectuées dans le cadre de la Communauté, n'est certes pas facile. Suivant une juste conception, la Cour ne peut pas se limiter à constater dans un cas donné que
l'autorité investie du pouvoir de nomination n'a pas respecté l'ordre suivi dans la liste d'aptitude du jury et, sur cette seule base, conclure à l'illégalité de la décision prise. Il ne peut au contraire s'agir pour la Cour que d'examiner tous les motifs invoqués par la Commission afin de constater si sa décision semble entachée de détournement de pouvoir ou revêt même un caractère arbitraire parce que les motifs invoqués ne sont pas pertinents ou que certains aspects ont été manifestement
surévalués.
Examinons donc comment se présentent les faits en l'espèce, à la lumière de ces considérations, et la décision qui en résulte pour les deux nominations que le requérant attaque.
a) Pour le poste de Bruxelles
A Bruxelles, la Commission avait à pourvoir un poste de collaborateur du directeur de l'administration et du personnel. Malgré son excellente notation, le requérant a été écarté de ce poste, motif pris de ce que deux des quatre postes de chefs de service de la direction et le poste de directeur étaient déjà occupés par des ressortissants italiens (alors que les deux autres postes de chefs de service étaient occupés par un Allemand et un Français). Suivant les principes du statut, il eût été
insoutenable d'attribuer un autre poste A de la direction à un ressortissant italien. En fait, la Commission a finalement nommé un candidat belge.
Face a cette argumentation, le requérant invoque en premier lieu l'arrêt Lassalle (affaire 15-63) dont il entend tirer le principe que la répartition géographique ne devrait être déterminante pour le choix des candidats que lorsque plusieurs d'entre eux auraient fait preuve dé mérites égaux. Mais on devra dire que l'exemple choisi a peu de valeur pour le cas d'espèce parce que dans l'affaire Lassalle il s'agissait de trancher un cas de promotion; au demeurant, un poste déterminé avait été réservé en
l'occurrence aux ressortissants d'un État membre; On peut soutenir avec la Commission que pour le recrutement de fonctionnaires, il convient d'admettre d'autres principes en ce qui concerne le rôle que doit jouer la nationalité des candidats; en effet, la procédure de recrutement est particulièrement destinée à rendre efficace le principe édicté par l'article 27. C'est précisément en tenant compte de cet élément que dans l'arrêt Lassalle la Cour a pu affirmer que la nationalité des candidats ne
devait pas jouer un rôle déterminant à l'occasion des promotions. L'arrêt Lassalle ne peut donc pas servir de précédent pour le cas d'espèce.
En second lieu, le requérant fait valoir que la nationalité ne peut tout au plus entrer en ligne de compte que pour l'ensemble du personnel d'une institution, c'est-à-dire tous les fonctionnaires qui sont à son service, mais non pour un service isolé. Or, à notre avis, cette objection n'est pas pertinente, elle non plus, et peu importe la pratique adoptée sur ce point par d'autres institutions et à laquelle le requérant s'est référé lors des débats oraux. Comme on le voit sans plus, certaines
considérations importantes, d'un caractère objectif et non politique, recommandent de tenir compte d'une répartition géographique aussi large que possible, même au sein de chaque service. C'est ainsi que les différences de formation, de connaissances linguistiques, une connaissance approfondie de la situation particulière d'un État membre du point de vue économique, juridique et autre recommandent d'équilibrer autant que possible la composition de certains services administratifs du point de vue de
l'origine des fonctionnaires. Il n'est pas besoin de souligner que cela vaut particulièrement pour un service tel que l'administration et le personnel qui concerne l'ensemble des fonctionnaires. C'est précisément ici que l'appréciation des titres et diplômes nationaux et la connaissance de la situation sociale de chaque pays jouent un rôle particulier. Il se peut également qu'il y ait eu en l'espèce, vu le nombre considérable des employés locaux, un grand intérêt à nommer au service de
l'administration et du personnel un fonctionnaire au courant de la situation particulière de l'État dans lequel l'institution a son siège.
Etant donné ce que nous savons sur la composition de la direction du personnel et étant donné que le requérant n'a pas fait la preuve de sa thèse, que la référence à la nationalité n'avait été qu'un prétexte pour la Commission, nous ne pouvons douter, que celle-ci ait eu. raison de donner en l'espèce une importance déterminante à la nationalité et qu'en conséquence elle se soit abstenue de nommer le requérant au poste vacant.
Cette constatation justifie le rejet des conclusions au sujet du poste de Bruxelles. En particulier, il n'y a pas lieu, à notre avis, de nous demander si la décision attaquée pourrait être viciée pour d'autres raisons, du fait par exemple que la Commission n'a pas nommé le candidat belge le mieux classé. Il n'est pas possible de reconnaître au requérant un intérêt légitime à. élucider de telles questions, parce qu'en sa qualité de ressortissant italien, il, ne pouvait en tout cas légitimement
espérer être nommé au poste en question et parce que, de toute façon, la liste d'aptitude établie par le jury comprenait encore une série d'autres candidats dont quatre avaient même été classés avant le requérant dans l'épreuve appelée «exposé».
b) Pour le poste de Karlsruhe
Il n'est pas aussi simple de juger la décision qui a abouti à nommer au poste de Karlsruhe un autre candidat de la liste de réserve. Là également, on cherchait pour le service de l'administration et du personnel du centre de recherches un fonctionnaire de grade A/6. Comme nous le savons, le choix s'est porté finalement sur un candidat qui, sur la liste d'aptitude du jury, venait à la 12e place après le requérant, avec 66 points. Étant donné que ce candidat est de nationalité italienne comme le
requérant, les considérations de nationalité n'ont joué aucun rôle dans les motifs de la Commission.
Par contre, le requérant fait valoir que la Commission l'a évincé injustement, motif pris de ce que sa formation avait une qualification trop scientifique pour le poste mis au concours; il a été dit ceci littéralement : «Son orientation professionnelle le destine cependant davantage à un poste où ses connaissances et expériences juridiques peuvent être mieux utilisées. La gestion du personnel d'un petit centre de recherches le détournerait d'une carrière qui correspond mieux à ses qualifications»
(voir la note du fonctionnaire qui a porté un jugement de valeur sur le requérant à Karlsruhe). Si la Commission s'était effectivement inspirée de ces motifs, il conviendrait éventuellement d'exprimer des doutes sérieux sur leur pertinence dans le cadre du pouvoir d'appréciation dont elle dispose. Et cela., même en admettant que dans certains cas des motifs objectifs puissent faire considérer comme souhaitable l'éviction d'un candidat trop hautement qualifié, par exemple la crainte que les fonctions
liées à un poste déterminé ne satisfassent pas le candidat à la longue. Nous devons cependant constater que le dossier ne contient aucune preuve à l'appui de l'affirmation que la Commission s'est inspirée dans sa décision des motifs invoqués et émanant de la plume d'un fonctionnaire.
La Commission invoque au contraire une considération dont on doit certainement admettre le caractère pertinent et déterminant pour la décision de nomination. Elle fait valoir (ce qui résulte d'ailleurs aussi de son rapport, général officiel pour l'année 1966) que l'administration de Karlsruhe comprend seulement des effectifs réduits qui, en principe, ne doivent prendre que des décisions mineures, alors que toutes les décisions importantes relèvent de l'administration centrale de Bruxelles. Pour un
poste de cette administration, il était nécessaire de choisir un collaborateur qui dispose d'une expérience administrative pratique et qui soit en mesure, sans une longue période d'adaptation, d'exécuter le travail de routine courant. C'est apparemment ce qui manque au requérant. S'il est vrai qu'il prétend avoir rassemblé une certaine expérience administrative pendant son service militaire, on ne peut admettre sans plus que pour ce qui est de sa durée (le requérant n'a été sous les drapeaux que du
10 septembre 1962 au 8 février 1964) et de sa nature, l'expérience en question soit suffisante eu égard aux exigences particulières que présente l'administration d'un centre de recherches scientifiques international, dans un pays étranger au requérant. D'autre part, nous savons, par le dossier personnel du candidat finalement nommé sur proposition de l'administration de Karlsruhe, et que la Commission a produit au cours des débats oraux, que celui-ci satisfait de façon particulière aux exigences
requises par le poste en question, et qu'il disposait d'une expérience pratique acquise au cours de nombreuses années dans un poste apparemment important d'une grande société d'assurance. En outre, étant donné que sur la liste d'aptitude du jury il n'existe qu'une faible différence de points entre ce candidat et le requérant (5,40 points pour l'exposé), nous ne pouvons pas conclure, dans les limites qui s'imposent à notre contrôle, que la deuxième décision attaquée est entachée de détournement de
pouvoir.
Dans l'ensemble, les conclusions en annulation du requérant devraient donc être rejetées sur tous les points comme non fondées.
2. Quant aux autres conclusions du recours
Sur les autres conclusions principales nous pouvons être bref.
Comme on le voit sans plus, la demande en constatation subit pour le moins un sort identique aux demandes en annulation: dans la mesure où elle vise l'obligation de la Commission de nommer le requérant à un des deux postes susvisés, elle pourrait tout au plus être fondée si les nominations attaquées étaient illégales. Au cas où elle viserait en outre, ce qui n'est pas absolument clair, la constatation que la Commission est tenue de nommer le requérant à un quelconque des postes vacants à pourvoir à
partir de la réserve de recrutement, nous pensons qu'elle devrait être également rejetée. Même en admettant que l'intérêt à obtenir une telle constatation soit légitime, il faudrait néanmoins affirmer que le fait d'avoir été classé premier sur la liste d'un jury donne tout au plus le droit de figurer sur la liste de réserve — ce qui s'est produit en l'espèce — mais non pas un droit absolu à être recruté comme fonctionnaire. Indépendamment de la validité limitée de la liste de réserve, de la question
de savoir si de nouveaux emplois seront autorisés par le Conseil de ministres et indépendamment des prescriptions impératives de l'article 29 du statut du personnel, le recrutement est subordonné à une série d'autres points de vue essentiels qui laissent à la Commission une marge d'appréciation considérable, comme nous l'avons vu. Or, la Cour ne peut certes pas empiéter sur ce pouvoir d'appréciation.
Enfin, il résulte clairement de tout ce qui précède que la demande du requérant visant le versement de dommages-intérêts pour des revenus qu'il n'a pas perçus ne peut être fondée car elle supposerait elle aussi que les nominations attaquées devraient être déclarées illégales.
A notre avis, toutes ces constatations sont possibles sur la base de l'état actuel du dossier, à la suite notamment de la production du dossier personnel du fonctionnaire nommé à Karlsruhe. Il ne nous semble pas que les documents énumérés par le requérant dans sa demande incidente du 1er septembre 1966 et qui n'auraient pas été produits, contrairement à ce qu'avait décidé la Cour le 3 juin 1966, permettraient une autre appréciation. Ils sont certainement sans intérêt pour le procès dans la mesure où
ils contiennent la déclaration d'acceptation des offres d'engagement vis-à-vis de la Commission. Dans la mesure où ils concernent le poste de Bruxelles, ils ne peuvent aboutir à une conclusion autre que celle qui vient d'être indiquée, étant donné que, pour cette nomination, seule la question de l'origine, absolument incontestée, était déterminante. Mais, en outre, ils ne permettent pas non plus de trancher différemment le cas du poste de Karlsruhe, attendu que là Cour doit se limiter à constater
que les motifs invoqués par la Commission sont pertinents. Par contre, il ne lui appartient pas de se substituer à la Commission pour apprécier les qualités des différents candidats sur la base de rapports établis par les services compétents et pour porter un jugement discrétionnaire. Cela nous amène à conclure que les demandes incidentes. du requérant ne peuvent pas non plus être accueillies.
3. Décision sur les dépens
Nous dirons encore quelques mots sur la décision concernant les dépens, dans la mesure où elle n'a pas été réglée par l'ordonnance de la Cour portant radiation de la demande de sursis. A cet égard, nous pourrions nous limiter à constater que le requérant qui s'est désisté doit supporter ses propres dépens, conformément à l'article 70 du règlement de procédure. Mais cela nous semble en outre juste, étant donné qu'à cause de l'introduction tardive de sa demande de sursis, le requérant est lui-même
responsable de ce que celle-ci était dès le début sans objet.
III — Conclusions
Cela admis, nous concluons comme suit :
Le recours est recevable mais il doit en tout cas être rejeté comme non fondé.
Il n'est pas possible de faire droit aux demandes incidentes présentées par le requérant. Les dépens concernant l'ensemble de la procédure, y compris la procédure de sursis, doivent être réglés conformément à l'article 70 du règlement de procédure.
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( 1 ) Traduit de l'allemand.