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19/10/1966 | CJUE | N°15-64

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 19 octobre 1966., Jean Moreau contre Commission de la CEEA., 19/10/1966, 15-64


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 19 octobre 1966 ( 1 )

Sommaire

  Introduction (les faits, les conclusions des parties)


  Discuss...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 19 octobre 1966 ( 1 )

Sommaire

  Introduction (les faits, les conclusions des parties)
  Discussion juridique
  1. Le requérant s'était-il vu attribuer implicitement le grade A/3 avant l'entrée en vigueur du statut des fonctionnaires?
  2. Le requérant peut-il invoquer le procédé de classement utilisé dans l'affaire 70-63?
  3. La Commission a-t-elle eu raison d'appliquer l'article 46 du statut des fonctionnaires?
  4. Les dépens.
  5. Conclusions.

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Nos conclusions d'aujourd'hui concernent deux affaires jointes dans lesquelles c'est un fonctionnaire de la Communauté européenne de l'énergie atomique qui est requérant. Le 1er septembre 1960, il est entré en service à la Commission de l'Euratom avec un traitement qui, selon les déclarations de la Commission au cours de la procédure, correspondait à un classement au grade A /4, échelon 4, du statut des fonctionnaires de la Communauté du charbon et de l'acier. Après l'entrée en vigueur du statut des
fonctionnaires de l'Euratom, conformément à l'article 102 de celui-ci, une décision du 28 février 1963 l'a titularisé au grade A/4, échelon 4, à compter du 1er janvier 1962, avec report d'ancienneté au 1er septembre 1960. Par le jeu de l'avancement biennal d'échelon, il a atteint l'échelon 5 du grade A/4 à compter du 1er septembre 1962.

Lors de sa titularisation, le requérant avait le rang de chef de division au Service commun de presse et d'information des Communautés européennes (ce que la Commission elle-même reconnaît): à ce titre il a revendiqué le grade A/3 à compter du 1er janvier 1962 par une réclamation administrative adressée le 21 février 1964 au président de la Commission de l'Euratom. Sa demande étant restée sans suite à l'expiration d'un délai de deux mois (ce n'est que par une lettre du 27 avril 1964 du président du
conseil d'administration du Service commun de presse et d'information qu'il a eu connaissance d'une réponse négative formelle invoquant l'absence du poste à l'organigramme), il a décidé d'introduire un premier recours (affaire 15-64). Voici les conclusions qu'il y formule:

1o Annulation de la décision de rejet qu'il faut considérer comme implicite du fait de l'expiration du délai de deux mois à compter de la réception de sa réclamation administrative;

2o Annulation de la décision de titularisation du 28 février 1963 en tant qu'elle l'a classé au grade A/4 (ce chef de conclusions a été retiré dans la réplique);

3o Constatation que la Commission est tenue d'attribuer au requérant le grade A/3 avec tel échelon que de droit, à compter du 1er janvier 1962;

4o Condamnation de la Commission à payer les arriérés de traitement;

5o Condamnation de la Commission à payer un franc belge à titre de dommages-intérêts pour dommage moral (le requérant a retiré ce chef de conclusions au cours des débats oraux).

Lorsque (après une première tentative infructueuse pour l'exercice 1964) la Commission est parvenue, au cours de la même année, à obtenir du Conseil la transformation du poste du requérant en un poste de grade A/3 (cf. la décision du Conseil du 13 octobre 1964), elle a pu faire droit à sa demande de classement dans ce grade. C'est une décision du 13 janvier 1965 qui lui a attribué le grade A/3 à compter du 1er janvier 1962. Toutefois, compte tenu du fait que d'autres procès ayant un objet analogue
étaient en cours, elle ne l'a classé au 2e échelon de ce grade qu'à titre provisoire et en application de l'article 46 du statut des fonctionnaires.

Mais, la Cour n'ayant pas rendu de décision au fond dans ces procès (les recours qui avaient été introduits étaient irrecevables en raison de l'expiration des délais), la Commission a finalement décidé, le 14 septembre 1965, de maintenir définitivement le requérant à l'échelon 2 du grade A/3, qui lui avait été attribué sur la base de l'article 46 du statut (et cela avec ancienneté du 1er octobre 1961).

C'est cette décision que le requérant attaque par son deuxième recours (affaire 60-65). Il y conclut, à titre principal, à l'annulation de la décision du 14 septembre 1965, en tant qu'elle fixe son échelon. Ses autres conclusions tendent à faire dire pour droit qu'il doit se voir attribuer le grade A/3, échelon 4, à compter du 1er janvier 1962 (ou, au stade actuel, l'échelon calculé en tenant compte de l'avancement biennal d'échelon) et à faire condamner la Commission à payer les arriérés de
traitement.

L'exposé des faits et les déclarations au cours des débats oraux font apparaître que la seule question litigieuse qui susbiste actuellement est celle de l'échelon exact du requérant dans le grade A/3. Par conséquent, il faut considérer que le recours 15-64 est sans objet. En ce qui concerne le recours 60-65, la Commission soutient essentiellement qu'il n'est pas fondé et qu'un chef de conclusions qui n'a été formulé que dans la réplique est irrecevable.

Cela délimite l'objet de l'examen que nous allons entreprendre.

Discussion juridique

Voici comment se présente le nœud du procès: compte tenu du fait que, d'après le nouveau statut des fonctionnaires, le poste du requérant relève, non pas du grade A/4, mais du grade A/3, M. Moreau a-t-il le droit d'être classé en A/3, avec maintien de l'échelon que, jusqu'à l'entrée en vigueur du statut, il avait dans le grade A/4 en vertu de son contrat, ou bien faut-il suivre la Commission et trancher ce cas d'après l'article 46 du statut des fonctionnaires, disposition qui, principalement pour
les promotions, détermine l'échelon à occuper dans le grade supérieur? Suivant la réponse qu'on donne à cette question, le requérant devait se voir attribuer au 1er janvier 1962 l'échelon 2 ou l'échelon 4 du grade A/3; une solution intermédiaire peut aussi s'avérer juste (comme le requérant le soutient dans des développements subsidiaires), mais elle ne permet guère que difficilement à la Cour de déterminer avec précision l'échelon auquel le requérant a droit.

1. Le requérant s'était-il vu attribuer implicitement le grade A/3 avant l'entrée en vigueur du statut des fonctionnaires?

Ce que le requérant invoque à titre principal dans ses mémoires pour appuyer sa revendication, c'est l'article 102 du statut, aux termes duquel «l'agent occupant un emploi permanent d'une des institutions des Communautés lors de l'entrée en vigueur du présent statut peut, par décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination, être titularisé dans le grade et l'échelon du régime de rémunérations fixé par le présent statut qui correspondent au grade et à l'échelon qu'il avait obtenus…
implicitement avant son admission au bénéfice du statut». Du fait de son affectation à certaines fonctions, il aurait obtenu implicitement le grade A/3, parce que ses attributions correspondaient à celles d'un chef de division.

Mais nous estimons que ce point de vue n'est pas défendable; nous l'avons déjà souligné dans des conclusions précédentes (affaires 79 et 82-63) et cela ressort de plusieurs arrêts de la Cour.

C'est principalement l'arrêt 20-63 de la Cour qui a énoncé la distinction logique à faire entre, d'une part, la titularisation d'un agent contractuel dans un grade et dans un échelon déterminés et, d'autre part, son classement d'après les fonctions qu'il exerce, ce dernier devant, le cas échéant, se faire sur des bases différentes de celles de la décision de titularisation. Seule la première de ces opérations fait l'objet du régime de l'article 102 du statut, tandis qu'il faut procéder
indépendamment de ce régime et d'après des principes qui restent à déterminer à la rectification dont nous avons parlé en second lieu et qui, dans l'espèce, constitue en réalité le véritable objectif du requérant. — Cela apparaît à la simple lecture de l'article 102. D'après ce texte, en effet, le classement implicite dans un grade doit avoir eu lieu avant l'admission au bénéfice du statut: cela ne peut signifier qu'une chose, c'est que pour résoudre cette question, il n'est pas permis de se référer
à la façon dont certaines fonctions sont évaluées d'après le nouveau statut. — Il faut également considérer (la Cour l'a souligné dans l'arrêt 70-63, Recueil, X, p. 900), qu'il est logiquement impossible qu'un agent contractuel se soit vu attribuer en même temps explicitement et implicitement des grades différents. Donc, lorsque, comme en l'espèce, une note de l'administration du 7 septembre 1960 destinée au requérant parle d'un classement au grade A/4, échelon 4, c'est-à-dire lorsqu'un grade du
statut des fonctionnaires de la Communauté du charbon et de l'acier est indiqué expressément (et il ne pouvait exister de forme plus expresse que celle-là pour des agents contractuels), cela démontre du même coup qu'il n'est pas possible que pareil agent se soit vu attribuer en outre un autre grade implicitement au sens de l'article 102 (notamment par l'affectation à certaines fonctions).

Aussi est-il impossible que le requérant fonde sa réclamation relative à son classement en invoquant l'article 102 du statut des fonctionnaires.

2. Le requérant peut-il invoquer le procédé de classement utilisé dans l'affaire 70-63?

En second lieu, le requérant allègue que la nécessité de lui accorder le même échelon dans le grade A/3 que celui qu'il avait dans le grade A/4 sur la base de son contrat d'engagement ressort des considérations que l'arrêt 70-63 a retenues dans des cas pareils. Il est exact qu'à l'époque la première chambre de la Cour avait dit pour droit qu'en cas de revalorisation d'un emploi par le nouveau statut, la «ratio legis» exigeait que le fonctionnaire conserve dans le grade supérieur l'échelon qu'il
occupait dans l'ancien grade (Recueil, X, p. 902).

Toutefois, il faut vérifier s'il est possible en l'espèce de reprendre tel quel ce procédé ou si, au contraire, nous ne nous trouvons pas devant une situation différente qui amènerait à voir les choses autrement. C'est ce dernier point de vue que la Commission soutient avec insistance: elle se réfère au fait que dans l'affaire 70-63 il fallait statuer sur le reclassement d'un ancien fonctionnaire de la Communauté du charbon et de l'acier, tandis que dans l'espèce le litige porte sur le classement
statutaire initial d'un ancien agent contractuel. A cet égard, nous nous permettons de rappeler également les considérations que notre éminent collègue, Monsieur l'avocat général Gand, a développées dans l'affaire 43-64.

Effectivement, la thèse de la Commission nous semble bien exacte. Ce qui est essentiel dans le cas du requérant dans l'affaire 70-63, c'est le fait que lors de l'entrée en vigueur du nouveau statut, il avait déjà depuis plusieurs années la situation de fonctionnaire et qu'il occupait un emploi défini et évalué avec précision par le statut. Et lorsque le requérant actuel souligne le fait que le statut de la Communauté du charbon et de l'acier classait les fonctionnaires du service linguistique dans
un cadre spécial et que le requérant dans l'affaire 70-63 était désigné comme chef de «service», alors que la description des emplois de la Cour de justice ne prévoyait qu'un poste de chef de service, cela ne change rien à la situation. Dans cette position, le requérant dans l'affaire 70-63 avait atteint un échelon déterminé, et cela également sur la base d'un régime normatif précis, même si certaines particularités de celui-ci différaient du régime actuel. Si en pareil cas l'adoption du nouveau
statut des fonctionnaires entraînait une modification de l'évaluation légale de l'emploi, il était permis de soutenir (comme l'a fait l'arrêt en question) que le nouveau régime ne pouvait pas porter atteinte à l'échelon, mais qu'au contraire celui-ci devait rester inchangé dans l'emploi récemment revalorisé.

En revanche, la situation des agents contractuels était totalement différente. A leur égard, ce qui importait, c'était l'article 214, paragraphe 3, du traité Euratom, aux termes duquel «jusqu'à l'établissement du statut des fonctionnaires et du régime applicable aux autres agents de la Communauté, prévus à l'article 186, chaque institution recrute le personnel nécessaire, et conclut à cet effet des contrats de durée limitée». Il ne fait pas de doute que pour la première période après l'entrée en
vigueur du traité, les institutions communautaires devaient ainsi conserver une certaine liberté en ce qui concerne les différentes situations administratives; cette liberté se justifiait notamment par le fait qu'au début il n'y avait ni organisation précise ni évaluation rigoureuse des emplois. Ultérieurement, le Conseil a décidé qu'il fallait appliquer par analogie le statut des fonctionnaires de la Communauté du charbon et de l'acier dans la mise au point des situations administratives. Mais cela
ne constituait qu'un fil directeur pour la réglementation de certaines questions. En revanche, il ne peut être question que ce principe ait mis les agents contractuels sur un pied comparable à celui des fonctionnaires statutaires, quand il s'agit de préciser leur situation administrative. Il existait notamment des différences dans le calcul des premiers émoluments des agents, qui, compte tenu de la situation que nous avons décrite, n'a pas seulement été fait selon l'importance des fonctions à
exercer, mais également selon d'autres facteurs (l'âge, l'expérience, la rémunération antérieure, la situation de famille). A cela s'ajoute, dans le cas du requérant, que sa carrière, appréciée d'après les dispositions du statut des fonctionnaires de la Communauté du charbon et de l'acier, s'étalait sur deux grades. Dans ces conditions et dans l'hypothèse d'engagement simultané de plusieurs agents, il pouvait parfaitement se produire pour cette carrière (par exemple en cas d'insuffisance du nombre
des emplois du grade supérieur) que l'agent classé dans le grade inférieur se soit vu attribuer un échelon supérieur uniquement pour compenser cette circonstance. Si l'on tient compte de tout cela, il faut reconnaître que l'attribution d'un échelon déterminé aux agents contractuels ne pouvait aucunement avoir la même signification que l'attribution d'échelons conformément au statut des fonctionnaires de la Communauté du charbon et de l'acier. Si, dans le cas où le nouveau statut revalorise dès
emplois, on voulait néanmoins, en s'appuyant sur l'arrêt 70-63, reporter simplement sur le grade supérieur, l'échelon du grade inférieur obtenu de la manière que nous avons décrite, cela pourrait souvent entraîner des résultats inéquitables, ainsi que la Commission l'a démontré. Cela se produirait, par exemple, en cas d'engagement simultané dans la même carrière de deux agents dont l'un, compte tenu de mérites supérieurs et d'une plus grande expérience, a été classé immédiatement au grade supérieur
ou, en cas de promotion, d'un agent au grade supérieur en raison de mérites acquis, accordée peu de temps avant l'entrée en vigueur du nouveau statut. Dans les deux cas, du seul fait de la revalorisation de son emploi par le statut, malgré des prestations de moindre valeur, l'agent maintenu dans le grade inférieur dépasserait en échelon le fonctionnaire qui a plus de mérites. Le requérant soutient que la Commission pouvait prévoir et éviter cette conséquence lors de l'élaboration du statut: nous ne
le croyons pas. Tout d'abord, il n'est nullement exclu que, lors de l'élaboration du statut, la Commission ne se soit pas parfaitement rendu compte de l'ampleur des problèmes tels que ceux dont nous avons à nous occuper actuellement. D'autre part, il se peut, pour des raisons budgétaires (absence de postes du grade supérieur), qu'elle n'ait pas été en mesure de classer en temps utile de façon uniforme tous les agents de la même carrière et d'éviter ainsi les conséquences résultant actuellement de
l'application des attendus de l'arrêt 70-63.

Tout cela nous amène à conclure que des différences essentielles dans la situation de fait interdisent de reprendre dans notre cas les déductions de la Cour dans l'affaire 70-63, et cela bien que le sommaire publié avec ledit arrêt ait reçu une formulation générale. Par conséquent la revendication du requérant relative à son classement ne peut pas non plus être justifiée en invoquant l'affaire 70-63.

3. La Commission a-t-elle eu raison d'appliquer l'article 46 du statut des fonctionnaires?

Après les résultats auxquels nous avons abouti jusqu'à présent, nous devons aussitôt nous demander s'il est exact que, pour faire concorder les fonctions exercées et le classement dans la grille des traitements, ce que le statut des fonctionnaires exige, la seule méthode soit celle que la Commission a évidemment toujours appliquée et qui consiste à nommer au grade supérieur sur le pied de l'article 46, c'est-à-dire de la disposition qui s'applique principalement aux promotions. Comme nous le savons,
elle a essentiellement pour effet d'accorder au fonctionnaire promu un échelon supplémentaire dans l'ancien grade et de déterminer, à partir de cet échelon, l'échelon adéquat dans le grade supérieur. Contrairement à la méthode préconisée par le requérant, elle entraîne dans l'espèce un recul de deux échelons.

Toutefois, nous hésitons à considérer que ce résultat s'impose. L'article 46 figure au chapitre troisième du statut des fonctionnaires sous le titre «Notation, avancement d'échelon et promotion». Il concerne essentiellement la promotion des fonctionnaires et des cas similaires (cf., par exemple, articles 45, paragraphe 2; 98, alinéa 3; 108 et 8 du statut), c'est-à-dire la nomination au grade supérieur accordée, sur la base d'un examen comparatif des mérites, à un fonctionnaire qui se trouve déjà, en
vertu du statut, dans un grade et dans un échelon déterminés. A partir d'un classement réglé normativement, cette promotion est destinée à assurer une poursuite continue des carrières dans le cadre du statut des fonctionnaires. A notre avis, c'est là un processus fondamentalement différent d'un redressement des classements dans la grille des traitements rendu nécessaire par l'entrée en vigueur d'un nouveau statut et par le fait que les classements opérés dans la période préstatutaire ne devaient pas
s'effectuer en fonction des critères d'un statut des fonctionnaires. Cette constatation n'est pas non plus ébranlée par le fait qu'en stricte logique une distinction est possible entre l'intégration qui doit s'effectuer conformément à l'article 102 du statut et le redressement du classement en raison des fonctions exercées qui y fait suite. En effet, même si, dans cette optique, on admet que le redressement du classement s'effectue, lui aussi, pour des agents déjà titularisés, il ne faut néanmoins
pas perdre de vue qu'en pareil cas les erreurs de classement résultant de la période préstatutaire se perpétuent, au sein même de la décision de titularisation et que donc, en toute hypothèse, ces fonctionnaires ont un autre point de départ que ceux dont il ne fallait pas redresser le classement avant leur promotion. L'application de l'article 46 peut, elle aussi, entraîner des résultats inéquitables pour les cas de revalorisation d'un emploi: le requérant nous l'a démontré par des exemples que nous
n'approfondirons cependant pas ici.

Or, étant donné que le statut ne contient pas d'autres dispositions que l'article 46 pour résoudre des cas comme celui d'aujourd'hui, il ne resterait qu'à reconnaître qu'au sujet des cas de revalorisation des emplois, le statut contient une lacune, qu'il convient de combler équitablement en partant de son esprit, tant que le législateur n'y aura pas remédié lui-même (et à cet égard il faut s'en tenir à l'arrêt 70-63). Le remède équitable à cette lacune pourrait consister dans la méthode de la
«reconstitution des classements» qu'utilise, comme nous le savons, la Commission de la C.E.E. et à laquelle le requérant s'est référé dans la réplique. Contrairement à la défenderesse, nous ne croyons pas pouvoir considérer que cette référence serait irrecevable (parce qu'elle constituerait de la part du requérant un moyen nouveau ou une demande nouvelle); en effet, d'une part (la Cour l'a constaté dans l'affaire 70-63), nous sommes dans un cas de compétence de pleine juridiction, où la Cour n'est
pas strictement liée par les conclusions des parties, et d'autre part, la méthode adoptée par la Commission de la C.E.E. n'exclut pas nécessairement l'obtention des objectifs principaux du recours (le classement au grade A/3, échelon 4), si bien que la référence faite par le requérant dans la réplique n'implique pas nécessairement une modification de ses conclusions. Au surplus, pareille modification de la requête ne devrait pas être considérée comme illicite, parce qu'elle constitue tout au plus un
recul par rapport aux conclusions principales du recours et parce que des conclusions plus amples couvrent toujours également celles qui ont un objet moins étendu.

En ce qui concerne la reconstitution du classement elle-même, nous ne voyons pas pourquoi elle ne pourrait pas se faire à la Commission de l'Euratom comme à la Commission de la C.E.E. et cela même si elle concernait des cas nombreux. En réalité, il faut simplement procéder de telle sorte que la Commission se demande quel échelon d'un grade elle aurait attribué à un agent si les critères du statut des fonctionnaires (article 32) avaient déjà été obligatoires au moment de l'engagement. D'après
ceux-ci, elle ne peut accorder un échelon supérieur à l'échelon de base d'un grade que si la formation et l'expérience du candidat le justifient. En d'autres termes, elle devrait écarter rétroactivement tous les éléments qui, au moment de l'établissement du contrat d'engagement, ont entraîné l'attribution d'un échelon supérieur à l'échelon de base, en considération de l'âge, de la situation de famille, de la rémunération antérieure, etc. Toutefois (et nous devons le signaler en raison de certains
arguments du requérant), pareille reconstitution du classement ne peut pas aboutir à ce que le classement des fonctionnaires de l'Euratom occupés dans les services communs corresponde parfaitement à celui des fonctionnaires de la C.E.E. qui y travaillent et dont il apparaît que le classement a été systématiquement relevé d'un échelon. En effet, il ne convient pas d'atteindre cet objectif d'une égalité parfaite de traitement en appliquant le statut en vigueur, mais tout au plus en mettant en œuvre
les mesures d'harmonisation qu'il prévoit à titre de programme. Contrairement à ce que croit le requérant, la décision du Conseil d'accorder des postes A/3 n'impose pas non plus d'établir cette égalité, parce qu'elle ne pouvait pas se prononcer au sujet des problèmes d'échelons dans le cadre des mesures budgétaires prises.

Il resterait donc uniquement à se demander si la décision de classement présentement attaquée est de toute façon illégale et s'il faut en prononcer l'annulation pour le seul motif que la Commission aurait appliqué l'article 46, c'est-à-dire qu'elle aurait méconnu les possibilités qu'elle avait de «reconstituer le classement». A vrai dire, il ne nous paraît pas que cette conséquence s'impose. Nous avons vu au cours de la procédure que l'élément primordial pour la Commission lors de l'établissement
des contrats d'engagement, c'était le calcul des émoluments. Si, en partant de cet élément, elle devait reconstituer le classement du requérant dans le grade A/3 (et elle l'a fait dans ses mémoires), c'est tout au plus un classement au grade A/3, échelon 2, qui aurait pu être envisagé pour lui, même en tenant compte de son âge et de son expérience professionnelle, parce que, en considérant les choses d'une façon bienveillante, c'est le traitement de base qui y correspond (30300, — francs) qui se
rapprochait le plus de celui du contrat d'engagement du requérant (29250, — francs). En revanche, il semble exclu que la Commission ait prévu un classement au grade A/3, échelon 4, qui aurait impliqué un traitement de base de 33100,— francs: tout d'abord, il est manifeste que, de façon générale, elle s'est montrée réservée dans sa politique de classement et ensuite, encore actuellement, elle est d'avis que la division du service de presse et d'information à la tête de laquelle le requérant se trouve
est moins importante que les autres divisions de ce service. Mais, puisque la décision attaquée à tout de même attribué au requérant le grade A /3, échelon 2, au 1er janvier 1962, en raison de toutes les considérations que nous avons développées, son annulation ne pourrait être justifiée.

Il en résulte en fin de compte que les conclusions en annulation que le requérant a présentées doivent être rejetées comme non fondées, de même que celles qui s'y appuient et qui tendent à faire relever son classement et payer les arriérés de traitement.

4. Les dépens

Il ne reste ainsi qu'un mot à dire au sujet des dépens du procès, en tant qu'il porte sur l'affaire 15-64. Nous nous souvenons que, dans cette affaire, le requérant avait pour seul objectif d'être classé dans le grade A/3, sans qu'il ait abordé spécialement la question de l'échelon. Aussi la décision de la Commission du 15 janvier 1965 qui a attribué ledit grade au requérant a-t-elle rendu ce recours sans objet. Par conséquent, pour cette partie du litige, la Cour doit trancher la question des
dépens conformément à l'article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure, c'est-à-dire en équité. Le requérant ayant eu gain de cause, il pourrait être justifié de mettre à la charge de la Commission les dépens qu'il a exposés à cet égard. Notamment, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de l'objection budgétaire de la Commission, d'après laquelle il a été impossible de faire droit à la demande du requérant ayant une décision favorable du Conseil. En toute hypothèse, c'était aux
instances communautaires de reconnaître au requérant les droits qu'il tirait du statut des fonctionnaires, si bien que la seule solution adéquate et équitable, c'est de condamner la Communauté aux dépens. D'autre part, nous n'estimons pas qu'il faille tenir compte pour la question des dépens du fait que le requérant a retiré certaines conclusions dans l'affaire 15-64, parce qu'il a triomphé pour l'essentiel de ses revendications.

5. Conclusions

Aussi, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les demandes de preuves introduites par le requérant et tendant à faire recueillir des renseignements auprès de la Commission de la C.E.E. et à faire produire des documents par le Conseil (procès-verbal de la 144e séance du 13 octobre 1964), pouvons-nous formuler les conclusions définitives suivantes: en ce qui concerne le recours 15-64, la Cour doit constater que la demande principale est devenue sans objet. Les dépens de cette affaire incombent à la
Commission, conformément à l'article 69, paragraphe 5. Les conclusions présentées dans l'affaire 60-65 doivent être rejetées comme non fondées. Dans cette dernière instance, chaque partie doit supporter ses dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 15-64
Date de la décision : 19/10/1966
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Jean Moreau
Défendeurs : Commission de la CEEA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Trabucchi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1966:45

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