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21/10/1965 | CJUE | N°55-64

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 21 octobre 1965., Jean Lens contre Cour de justice des Communautés européennes., 21/10/1965, 55-64


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

du 21 octobre 1965 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Tout comme dans l'affaire no 20-65, le requérant dans le procès qui va faire l'objet de nos conclusions est un fonctionnaire de la Cour. Il exerce les fonctions d'assistant principal (grade B 1 du statut des fonctionnaires) au service intérieur de l'administration de la Cour.

Après l'entrée en vigueur du nouveau statut des fonctionnaires et l'établissement de la description des emplois par la Cour, une décision du 14 mars 1963

de l'autorité investie du pouvoir de nomination, compte tenu des fonctions du requér...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

du 21 octobre 1965 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Tout comme dans l'affaire no 20-65, le requérant dans le procès qui va faire l'objet de nos conclusions est un fonctionnaire de la Cour. Il exerce les fonctions d'assistant principal (grade B 1 du statut des fonctionnaires) au service intérieur de l'administration de la Cour.

Après l'entrée en vigueur du nouveau statut des fonctionnaires et l'établissement de la description des emplois par la Cour, une décision du 14 mars 1963 de l'autorité investie du pouvoir de nomination, compte tenu des fonctions du requérant, l'a classé au grade B 1, premier échelon, de la grille des traitements. Il a reçu à l'époque notification de cette décision et il ne l'a pas attaquée. Mais après le prononcé de l'arrêt no 70-63, persuadé que ce dernier avait fixé de nouveaux principes
d'interprétation pour des cas analogues, le requérant a adressé, le 29 septembre 1964, au président de la Cour une lettre demandant la révision de son classement. Le président a répondu à cette demande par une lettre du 8 octobre 1964 qui déclarait que la décision de 1963 portant classement du requérant avait un caractère définitif. Elle ne pourrait être remise en question que pour des motifs impérieux. Pareils motifs ne ressortiraient pas de l'arrêt no 70-63, qui règle exclusivement la situation
d'un autre fonctionnaire.

C'est contre cette décision que le requérant a introduit son recours, le 5 décembre 1964. Il y conclut à ce qu'il plaise à la Cour :

— annuler la décision du 8 octobre 1964 du président;

— dire pour droit que son classement, tel qu'il résulte de la décision du 14 mars 1963, est illégal;

— dire pour droit qu'il doit être classe au grade B 1, échelon 2, à compter du 1er janvier 1962 avec 18 mois d'ancienneté, et condamner la Cour à payer le rappel de traitement correspondant.

S'opposant à ces conclusions, l'administration de la Cour de justice, partie défenderesse, a invoqué à titre principal l'irrecevabilité du recours. Subsidiairement elle conclut à son rejet comme non fondé.

A l'issue de la procédure écrite, le requérant a introduit une demande incidente fondée sur l'article 91 du règlement de procédure; il y expose qu'avant d'aborder le fond il serait utile de résoudre deux questions préliminaires; il faudrait tout d'abord savoir quels sont les délais pour introduire une réclamation administrative en vertu de l'article 90 du statut des fonctionnaires, puis connaître les effets que peut avoir un arrêt pour des personnes qui n'étaient pas parties au procès, et savoir
spécialement quand il faut considérer un arrêt comme un fait nouveau sur lequel peut se fonder un recours indépendamment des voies ouvertes antérieurement.

A la suite de cette demande, la Cour a décidé de n'entendre les parties au cours des débats oraux du 6 octobre 1965 que sur la question de la recevabilité. Par conséquent, l'examen que nous allons entreprendre ne portera également que sur cet aspect du recours.

Discussion juridique

1. La régularité et l'admissibilité de la demande incidente

Dans ses observations écrites sur la demande incidente du requérant, la partie défenderesse a soutenu en premier lieu qu'il n'était pas possible de l'accueillir.

Effectivement, ce point de vue ne paraît pas complètement dénué de fondement. Ce que le requérant soumet à la Cour, ce sont deux questions juridiques, dont l'une tend à savoir s'il est possible de considérer l'arrêt no 70-63 comme un fait nouveau pour lui, tandis que l'autre se présente extérieurement comme visant à obtenir une réponse abstraite, donc une espèce de consultation juridique. En outre, il omet de formuler certaines conclusions dans sa demande. Il semble donc que, ni sur le fond ni sur
la forme, les conditions de l'article 91 du règlement de procédure ne sont remplies.

Si nous renonçons toutefois à vous proposer de rejeter formellement la demande incidente comme inadmissible, c'est qu'à notre avis il apparaît avec une clarté suffisante qu'en l'introduisant le requérant a cherché à faire régler préalablement des problèmes essentiels de recevabilité qui ont surgi dans son procès. C'est d'ailleurs également dans ce sens que la Cour a compris le mémoire du requérant; aussi, pour les débats oraux du 6 octobre, a-t-elle prié les parties de se limiter à des observations
sur la recevabilité du recours. Au surplus notre règlement de procédure (art. 92) permettrait également à la Cour de le faire d'office, de sorte qu'en aucun cas les lacunes éventuelles de la demande incidente du requérant n'empêchent de se prononcer préalablement sur la recevabilité du recours.

2. La recevabilité du recours no 55-64

Pour le requérant, l'examen de la recevabilité dépend principalement de la question de savoir s'il existe un délai pour introduire une réclamation administrative en vertu de l'article 90 du statut des fonctionnaires, et dans l'affirmative quel est ce délai. A cet égard toutefois, il nous semble, d'après la jurisprudence la plus récente de la Cour, que même le cas du requérant ne pose plus de problèmes.

En ne considérant que la décision du 14 mars 1963, qui fixait son classement, nous constatons que le requérant aurait dû introduire contre elle, dans les trois mois, un recours en annulation, ou bien (dans le même délai) une réclamation administrative, fondée sur l'article 90, dont le sort aurait ensuite été tranché, selon ce qu'aurait donné la procédure administrative, dans un procès en annulation ou dans un procès en carence. Nous nous référons à cet égard à l'arrêt no 30-64, Fonzi contre
Commission de l'Euratom, qui contient à ce sujet des considérations parfaitement claires. Le requérant n'ayant suivi ni l'une ni l'autre de ces voies en 1963, en principe il ne peut plus revenir aujourd'hui sur la décision administrative prise à l'époque, sauf s'il prouve l'existence d'un fait nouveau décisif pour sa situation juridique.

Supposons maintenant, pour la question des délais, que l'arrêt no 70-63 constitue un fait nouveau pour le requérant; dans ce cas, il ne fait pas de doute qu'il était dans l'obligation d'introduire une réclamation administrative dans les trois mois du jour où il avait eu connaissance du fait nouveau pour engager l'administration à en tirer les conséquences nécessaires. C'est en fait ce qui s'est passé régulièrement, comme le prouvent les dates (7 juillet 1964 pour le prononcé de l'arrêt et
29 septembre 1964 pour la lettre du requérant au président de la Cour). Du point de vue des délais de l'article 90 du statut des fonctionnaires, il n'y a donc pas de problèmes spéciaux à résoudre dans la présente affaire.

En réalité, la solution de l'espèce dépend exclusivement du point de savoir s'il est vraiment possible de considérer l'arrêt no 70-63 comme un fait nouveau permettant au requérant de remettre en question la décision de 1963 relative à son classement; il est certain, en effet, que la lettre du président du 8 octobre 1964 ne constitue pas une décision autonome sur la situation du requérant, qui aurait pu faire courir un nouveau délai de recours. Cette lettre déclare au contraire formellement que, vu
le caractère définitif de la décision du 14 mars 1963, le président de la Cour n'est pas en mesure d'en revoir les termes.

A notre avis, après les arrêts rendus cet été par la Cour, sa jurisprudence est si exhaustive sur les conditions dans lesquelles un de ses arrêts peut constituer un fait nouveau que même les particularités de la présente affaire ne peuvent pas donner lieu à de nouvelles discussions.

A plusieurs reprises, la Cour a affirmé très clairement qu'un arrêt rendu sur recours d'un fonctionnaire règle la situation du seul requérant et n'a pas d'effets erga omnes. Un arrêt ne pourrait être considéré comme un fait nouveau pour des fonctionnaires qui n'étaient pas parties au procès et qui désirent intenter un recours que si l'acte qu'il annule concerne directement le requérant.

C'est pourquoi la Cour n'a pas admis que l'arrêt no 70-63 constitue un fait nouveau pour des recours de fonctionnaires des Conseils de ministres, et c'est parfaitement normal puisque aucune des parties n'était impliquée dans le litige tranché par l'arrêt en question. Mais en outre la Cour a également refusé de reconnaître à un de ses arrêts le caractère de fait nouveau pour un procès ultérieur où la partie défenderesse était la même que dans le premier procès (affaire no 46-64, Schoffer contre
Commission de la C.E.E.). Nous ne pouvons donc pas agir autrement lorsque la défenderesse est l'administration de la Cour et lorsqu'un arrêt rendu dans un procès antérieur dirigé contre la Cour est invoqué comme fait nouveau. Cela signifie que le critère de «fait nouveau» établi par la Cour dans sa jurisprudence relative à plusieurs recours de fonctionnaires peut uniquement être compris dans ce sens qu'il n'y a fait nouveau que si un arrêt antérieur est invoqué par une personne qui était partie au
procès précédent (c'était le cas dans l'affaire S.N.U.P.A.T.) ou alors par une personne que l'annulation d'un acte prononcée dans l'arrêt concerne directement. Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses ne s'applique au requérant dans la présente affaire. Il convient notamment de souligner que, si l'annulation de la décision de classement du requérant dans l'affaire no 70-63 a concerné directement la Cour en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination, tel n'est pas le cas dans cette affaire-ci
pour le requérant, lequel n'a pas de rapports juridiques directs avec le requérant dans l'affaire no 70-63.

On pourrait être tenté de trouver cette jurisprudence rigoureuse parce qu'elle empêche manifestement, après le règlement administratif d'une série de cas similaires, de ne soumettre d'abord à la Cour, du commun accord de tous les intéressés, qu'un seul cas-test et de résoudre les autres cas d'après l'issue de la procédure juridictionnelle. Mais en tout cas elle a l'avantage de créer des situations claires à l'expiration de certains délais, ce qui revient à dire qu'elle favorise la sécurité
juridique, dont l'administration a tout spécialement besoin pour remplir son rôle.

3. Résumé

Pour conclure nous retiendrons donc ceci: le requérant n'ayant introduit sa réclamation administrative auprès du président de la Cour qu'après l'expiration du délai de trois mois (à compter de la notification de la décision du 14 mars 1963) et l'arrêt no 70-63 ne constituant pas pour lui un fait nouveau qui permettrait de remettre en question la décision administrative antérieure définitive, il convient de rejeter le présent recours comme irrecevable. La question des dépens doit être réglée
conformément à l'article 70 du règlement de procédure.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 55-64
Date de la décision : 21/10/1965
Type de recours : Recours de fonctionnaires - irrecevable

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Jean Lens
Défendeurs : Cour de justice des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Lecourt

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1965:103

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