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16/06/1965 | CJUE | N°49-64

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 16 juin 1965., Emmanuel Stipperger contre Haute Autorité de la CECA., 16/06/1965, 49-64


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

du 16 juin 1965 ( 1 )

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  Exposé des faits; conclusions des parties


  Appréciation en droit ...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

du 16 juin 1965 ( 1 )

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  Exposé des faits; conclusions des parties
  Appréciation en droit
  1. Fondement de la demande - Définition de la carrière du traducteur-réviseur
  a) La notion «pouvant être chargé de traduction particulièrement difficiles»
  b) La notion de «traducteur-expert»
  c) La notion de «réviseur»
  2. Résultat
  3. Dépens
  4. Résumé et conclusions

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Comme tant d'autres affaires, celle dont nous avons à nous occuper aujourd'hui concerne le classement correct du requérant dans la grille des traitement du statut du personnel.

En ce qui concerne les faits, rappelons qu'en 1958, le requérant est entré au service de la Haute Autorité, en qualité de traducteur, et qu'il a été titularisé le 2 juillet 1958. Au début, il a été classé dans le grade L/D 3 de l'ancien statut du personnel de la C.E.C.A.; le 2 janvier 1959, il a été promu au grade L/C 1 (qui correspond au grade L/A 6, premier échelon, du nouveau statut du personnel) ; avec effet du 22 juin 1962, le requérant, en sautant un échelon, a été classé au grade L/A 6-3.

Ce classement n'ayant pas satisfait le requérant, il a adressé, à plusieurs reprises, des demandes tendant à le faire améliorer à son supérieur immédiat, à la direction «services intérieurs», ainsi qu'à la direction générale «administration et finances». De même, il a posé sa candidature, sans résultat d'ailleurs, en même temps que quatre autres candidats, au poste de réviseur, qui venait d'être mis au concours le 28 mai 1964 au service linguistique de la Haute Autorité.

Enfin, le 10 juillet 1964, conformément à l'article 90 du statut du personnel, il a adressé une demande formelle au président de la Haute Autorité, en le priant de le classer dans la carrière L/A 5 - L/A 4.

Le président de la Haute Autorité lui répondit le 12 octobre 1964 par une lettre qui déclarait que sa réclamation devait reposer sur un malentendu: en effet, avant même la première demande du requérant tendant à améliorer son classement, son supérieur avait déjà proposé une promotion en L/A 5-3, et cette proposition a été acceptée par décision du président du 22 juillet 1964, avec effet du 1er août 1964.

Or, même après cette promotion, le requérant restait classé dans la carrière L/A 6 - L/A 5; aussi s'est-il décidé à introduire un recours judiciaire. Ce recours se dirige en premier lieu contre la note du président de la Haute Autorité du 12 octobre 1964, subsidiairement contre la décision implicite de rejet de la Haute Autorité qui est censée être intervenue à la fin du délai de deux mois après la réclamation du requérant le 10 juillet 1964.

Le requérant présente les conclusions suivantes.

Plaise à la Cour: déclarer qu'il doit être classé dans la carrière L/A 5 - L/A 4; en conséquence, déclarer que la promotion intervenue en sa faveur le 1er août 1964 est effective dans la carrière L/A 5 - L/A 4; déclarer, en outre, qu'à partir du 1er août 1964 il doit être classé dans le grade L/A 4; subsidiairement, déclarer qu'en tout état de cause il est actuellement classé dans la carrière L/A 5 - L/A 4 et non pas dans la carrière L/A 6 - L/A 5.

Une conclusion subsidiaire, formulée pour la première fois dans la réplique et tendant à faire écarter du dossier du requérant certains documents (ceux portant les numéros 110, 115 et 116), est devenue sans objet depuis qu'à l'audience le représentant de la Haute Autorité a donné l'assurance que les documents en question seraient retirés du dossier dès que le greffe de la Cour les aurait restitués aux services de la Haute Autorité.

En ce qui concerne les conclusions de la Haute Autorité, celle-ci n'a pas soulevé d'exception d'irrecevabilité à l'égard du recours, mais estime qu'en tout état de cause les conclusions du requérant ne sont pas fondées.

Appréciation en droit

1) L'appréciation juridique de ce cas nous oblige d'abord à constater sur quoi se basent les demandes du requérant. Il s'agit en l'occurrence de la description des différents postes que la Haute Autorité a donnée selon l'article 5 du statut du personnel. Dans la mesure où cette description nous intéresse, nous constatons que la carrière L/A 5 - L/A 4 y est caractérisée comme suit : «traducteur-expert, réviseur, pouvant être chargé de traductions particulièrement difficiles».

Le requérant considère que les fonctions qu'il exerce tombent précisément sous cette description, alors que la Haute Autorité affirme qu'aucun des critères évoqués ne s'applique à lui.

Pour l'examen de cette question, il nous paraît peu opportun de suivre la méthode du requérant, c'est-à-dire de vérifier tout d'abord s'il exerce des fonctions qui dépassent les exigences de la carrière L/A 6 - L/A 5 (ce qui, selon ses affirmations, serait le cas parce qu'il ne remplit pas seulement l'un ou l'autre des critères figurant au choix dans la définition de la carrière L/A 6 - L/A 5, mais parce qu'il les remplit tous les deux, c'est-à-dire qu'il a acquis une spécialisation dans certains
domaines particuliers et que, d'autre part, il justifie de connaissances linguistiques étendues). Nous ne voyons pas en quoi une telle méthode pourrait être utile et décisive, car, d'un côté, un fonctionnaire qui, manifestement, dépasse dans ses fonctions les critères d'une carrière déterminée, ne satisfait pas nécessairement aux conditions positives de la carrière plus élevée et, d'un autre côté, la discussion du cas d'espèce serait inutilement compliquée si nous voulions tout d'abord essayer
d'éclaircir les critères qui sont caractéristiques de la carrière L/A 6 - L/A 5.

En revanche, examinons tout de suite comment il y a lieu d'interpréter les différents critères de la carrière L/A 5 - L/A 4.

Signalons dès le début un point essentiel; les parties sont d'accord pour admettre qu'un «traducteur-réviseur» doit répondre à tous les critères de cette carrière particulière L/A 5 - L/A 4, et non pas seulement à certains de ces critères. Cela résulte avec précision de la rédaction de la phrase, laquelle, contrairement à ce qui est le cas pour la description de la carrière L/A 8 - L/A 7, omet le mot «ou» entre la mention des différents critères; cela résulte également du fait que le dernier
critère, formulé en forme de phrase grammaticale («pouvant être chargé…»), apparaît au singulier, ce qui nous démontre que l'exigence qui y est formulée vise les fonctions d'une seule et même personne.

a) Dans cette interprétation juridique, le critère ainsi défini «pouvant être chargé de traductions particulièrement difficiles» devrait présenter le moins de difficultés. Car, en suivant ce texte, il n'est pas nécessaire qu'un traducteur-réviseur soit effectivement et couramment chargé de traductions particulièrement difficiles. Au contraire, il suffit qu'il soit apte à exécuter de tels travaux. Nous sommes, en outre, enclin à reconnaître à cet égard que certains critères, fournis par le
requérant, sont utilisables pour la solution de la question, c'est-à-dire à parler de traductions particulièrement difficiles chaque fois que les traductions concernent de nouveaux domaines ou des matières techniques compliquées, ou lorsque leur caractère de difficulté appelle les services d'institutions spécialisées.

Toutefois, les difficultés commencent lorsque, comme dans le cas d'espèce, la Haute Autorité conteste que le requérant soit effectivement apte à exécuter des traductions particulièrement difficiles, et lorsqu'elle conteste qu'on lui ait effectivement confié des tâches de ce genre. Nous ne croyons pas pouvoir surmonter ces difficultés par nos propres moyens, par exemple en vérifiant des traductions du requérant. Ici, seule une expertise pourrait nous aider. Pour l'instant, nous pourrons
cependant laisser ouverte la question de savoir si, en fin de compte, une telle expertise est nécessaire.

b) Il en est de même de la question de savoir si le requérant est en vérité un «traducteur-expert».

En ce qui concerne tout d'abord l'interprétation juridique de cette notion, le requérant estime opportun de se référer aux qualifications exigées par la Haute Autorité elle-même du traducteur («traducteur confirmé» de la carrière L/A 6 - L/A 5) qui a été nommé au poste de réviseur après avoir participé au concours précité. En outre, pour préciser cette notion, le requérant estime également utile de confronter en quelque sorte les fonctions et critères du traducteur-expert avec ceux du
traducteur confirmé. Or, nous avons des doutes sur l'une et l'autre méthodes d'interprétation. Le jugement porté sur un traducteur confirmé, fait dans ce cas d'espèce, ne constitue en gros rien d'autre que l'appréciation des qualités personnelles et du zèle de ce candidat. En tant que telle, cette appréciation n'est susceptible que dans une extrême mesure de fournir des critères objectifs pour la définition des fonctions de traducteur-expert. Selon le requérant, les fonctions de traducteur
confirmé et de traducteur-expert se distinguent en tenant compte de la manière dont les connaissances linguistiques et les autres aptitudes d'un traducteur ont été acquises: le traducteur confirmé y parvient de manière empirique, alors que le traducteur-expert doit posséder avant l'entrée en service une formation théorique et pratique correspondante; cette thèse ne nous convainc pas non plus. Il est notoire que le statut du personnel rejette, en principe, une telle distinction et qu'à
l'article 5 il met l'accent uniquement sur les connaissances d'un fonctionnaire, mais non pas sur la manière dont elles ont été acquises. Enfin, il nous paraît douteux que le terme «expert», ainsi que le prétend le requérant, vise l'exigence d'une spécialisation dépassant le niveau du traducteur confirmé dans un ou plusieurs domaines déterminés, comme par exemple la technique industrielle. Nous partageons plutôt l'avis de la Haute Autorité, qui apprécie les aptitudes d'expert de cette carrière
particulière en premier lieu selon des points de vue purement linguistiques et qui, en conséquence, exige qu'un traducteur-expert s'élève considérablement au-dessus du niveau moyen de traducteur confirmé en ce qui concerne la science linguistique, le style, la précision dans l'expression, l'interprétation correcte et le rendement correct du sens de textes en langue étrangère. Il y aurait lieu, pour le moins, de se demander de quel droit des traducteurs spécialisés dans le domaine de la
technique industrielle devraient être désignés comme traducteurs-experts, alors que ce même titre serait à refuser aux traducteurs possédant des qualités spéciales dans d'autres domaines, comme la médecine, le droit, etc…

Mais, en fin de compte, toutes ces questions peuvent rester en suspens car, sur ce point aussi, bien que la Haute Autorité ait reconnu au requérant des connaissances particulières dans le domaine de la technique industrielle, nous sommes en présence d'un litige sur une question de fait qui ne saurait être tranché sans d'aide d'experts.

c) Par conséquent, il ne reste que la tentative de trancher le différend, si possible, dans le cadre de l'examen de la notion de «réviseur» qui fait également partie de la définition de la carrière L/A 5 - L/A 4.

Si nous avons bien compris le requérant, celui-ci a abandonné sa thèse, soutenue à l'origine, selon laquelle un réviseur, au sens de la définition précitée, serait également le traducteur dont, en règle générale, les traductions ne sont pas révisées et qui est en quelque sorte son propre réviseur. En ce qui concerne les faits, la Haute Autorité rejette ces affirmations du requérant et conteste que son activité réponde à ce critère (ce qui est prouvé par un texte soumis par le requérant
lui-même). Par ailleurs, la Haute Autorité souligne que le seul fait de renoncer à la révision d'un texte ne se justifie pas exclusivement par les qualités de la traduction, mais encore par d'autres circonstances comme, par exemple, la nécessité d'obtenir une traduction dans un bref délai, ou le fait que, pour des séances internes, une simple traduction provisoire soit suffisante. En ce qui concerne la notion de révision, il est incontestable que l'on ne saurait parler de révision que si le
travail d'un autre est vérifié, et non pas lorsque le traducteur entreprend la correction nécessaire de ses propres traductions, tâche qu'il faut considérer comme partie intégrante de la traduction elle-même.

Ensuite, il est certain que la définition de la carrière de traducteur-réviseur ne doit pas être comprise dans ce sens que la seule capacité d'être réviseur suffise. Au contraire, le texte de la définition nous oblige à conclure qu'il faut qu'une telle activité soit effectivement exercée. S'il en était autrement, on aurait choisi ici aussi, de même que pour le troisième critère — aptitude à faire les traductions difficiles — la formule «pouvant être chargé des travaux de révision».

Par conséquent, il y a seulement lieu d'examiner encore si, en ce qui concerne la notion de «réviseur» dans la définition des fonctions du traducteur-réviseur, le requérant est en droit d'attacher à cette notion un sens particulier, qui constituerait une dérogation à la notion de réviseur tout court. C'est bien ce que le requérant entend faire, en partant de la notion du traducteur-expert. Selon lui, il y aurait lieu, par conséquent, de parler d'une activité de révision même lorsque des
traducteurs-experts en certaines matières spéciales conseillent occasionnellement leurs collègues, y compris les réviseurs, et, le cas échéant, corrigent les traductions de ceux-ci à l'aide de leurs connaissances techniques spéciales.

Or, nous ne voyons pas la possibilité de suivre le requérant dans cette tentative d'interprétation. Ce qui importe, c'est que, dans la définition contestée, seule la notion de «réviseur» soit utilisée sans restriction ou complément aucun. Étant donné qu'en règle générale la description des postes qualifie des fonctions différentes avec des notions différentes, ou du moins les distingue par des informations complémentaires ajoutées à une notion générale, il nous semble qu'il est permis de
comprendre la notion de «réviseur» dans son seul sens général. Par conséquent, il doit s'agir d'une activité qui a pour objet la révision et la correction complètes d'une traduction étrangère du point de vue linguistique et technique. Selon cette thèse, la particularité du traducteur-réviseur, par comparaison avec le simple réviseur, consisterait dans ce que l'activité de révision ne prend qu'une partie de l'horaire, et que le fonctionnaire en question est chargé pendant le reste du temps de
traductions particulièrement difficiles ou bien que pendant ce temps il exerce les fonctions de traducteur-expert.

On peut regretter cette manière de définir une carrière, et regretter surtout le fait que la Haute Autorité ait barré à des traducteurs particulièrement qualifiés, sans pour autant exercer en même temps une activité de révision, la possibilité d'être classés dans le grade A 4. Or, nous devons constater que la Cour est dans l'impossibilité de critiquer la description des postes elle-même qui, dans une large mesure, relève du pouvoir discrétionnaire de la Haute Autorité.

2) Étant donné qu'il est incontestable que le requérant n'exerce pas une activité de réviseur dans le sens qui vient d'être précisé et que, de ce fait, sa demande manque d'un élément essentiel pour motiver sa demande de reclassement, nous sommes obligés de rejeter son recours dans toutes ses conclusions tendant à l'aménagement de sa carrière, sans qu'il soit nécessaire d'examiner d'autres arguments de la Haute Autorité.

3) En ce qui concerne les dépens, nous nous permettons d'observer que le requérant a eu gain de cause pour une part de ses conclusions, à savoir, pour autant que celles-ci ont porté sur le retrait de certains documents de son dossier personnel. Il est certes vrai que son recours et les dépens qui en découlent n'ont pas été occasionnés par l'inclusion de ces documents dans son dossier personnel; mais il faut reconnaître que cet incident de procédure a obligé le requérant à élargir l'argumentation de
sa réplique. Il nous semble par conséquent justifié de mettre au moins une certaine partie de ses dépens à la charge de la Haute Autorité.

4) Résumé et conclusions

En résumé, nous avons l'honneur de présenter les conclusions suivantes: le recours de M. Emmanuel Stipperger est recevable, mais non pas fondé. Le recours doit être rejeté; conformément à l'article 70 du règlement de procédure, la Haute Autorité doit supporter ses propres dépens et doit supporter, en outre, conformément à l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, une partie des dépens du requérant.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49-64
Date de la décision : 16/06/1965
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Emmanuel Stipperger
Défendeurs : Haute Autorité de la CECA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Lecourt

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1965:59

Source

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