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11/03/1965 | CJUE | N°36-64

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 11 mars 1965., Société rhénane d'exploitation et de manutention (Sorema) contre Haute Autorité de la CECA., 11/03/1965, 36-64


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

du 11 mars 1965 ( 1 )

Sommaire

Pages
  Introduction (exposé des faits, conclusions des parties)


  Appréciation ...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

du 11 mars 1965 ( 1 )

Sommaire

Pages
  Introduction (exposé des faits, conclusions des parties)
  Appréciation juridique
  I. La participation de la société SOREMA à l'O.K.U. constitue-t-elle une restriction apportée à la concurrence?
  II. La révocation de l'autorisation est-elle sujette à critique pour d'autres motifs ?
  1. Légitimité de la réserve de fixation d'un délai contenue à l'article 2 de la décision no 3-62
  2. Conditions permettant la révocation d'une autorisation donnée à une entente en vertu de l'article 65 du traité
  a) Révocation pour absence des conditions requises pour accorder l'autorisation
  b) Les différentes conditions exigées pour l'autorisation par l'article 65, paragraphe 2
  — article 65, paragraphe 2, a)
  — article 65, paragraphe 2, b)
  — violation de l'interdiction de discrimination
  III. Résumé et conclusion

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

L'année passée déjà, sous le numéro 67-63, l'affaire SOREMA a fait l'objet d'une procédure de recours en annulation où se trouvait soulevée la question de savoir si c'était à bon droit que la Haute Autorité avait enjoint à cette société de se retirer de l'Oberrheinische Kohlenunion Bettag, Puton & Co. (O.K.U.) à Mannheim. Nous pouvons donc aujourd'hui nous dispenser de développer à nouveau devant vous le détail des faits qui sont à sa base, c'est-à-dire d'expliquer la composition et les fonctions
des deux sociétés en cause, leurs rapports mutuels ainsi que les décisions de la Haute Autorité s'appliquant à leur activité.

Vous savez notamment que, par sa décision no 3-62 du 28 mars 1962, la Haute Autorité a autorisé la société SOREMA à continuer à faire partie de l'O.K.U., qu'à l'article 2, alinéa 2, de cette décision, elle s'est réservé de fixer par un acte ultérieur le moment où cette participation devrait prendre fin, et qu'effectivement la décision no 8-63 du 30 avril 1963 a fixé l'expiration de l'autorisation au 30 juin 1963.

Par son arrêt du 19 mars 1964, contrairement à ce que nous avions proposé, la Cour a annulé cette décision pour des motifs sur lesquels nous reviendrons.

Il en est résulté, tout d'abord, le maintien en vigueur de l'autorisation accordée par la décision no 3-62; en outre, la Haute Autorité s'est vue placée dans la nécessité de soumettre l'affaire à un nouvel examen, à la lumière de l'arrêt rendu. Cet examen a abouti à la décision no 15-64 du 15 juillet 1964(Journal officiel 1964, page 1969) qui enjoignait de nouveau à la société SOREMA de se retirer de l'O.K.U., à compter du 30 septembre 1964.

C'est cette décision qu'attaque le présent recours no 36-64. A titre principal, il tend à l'annulation de la décision visée, tandis que la Haute Autorité conclut au rejet du recours comme non fondé.

Appréciation juridique

En abordant à présent l'examen juridique de ce nouveau litige, il est évident que nous nous appuyerons sur les considérations adoptées par la Cour dans son arrêt no 67-63 sur le caractère et la portée des décisions relatives aux rapports entre la société SOREMA et l'O.K.U.

L'arrêt s'est basé essentiellement sur la constatation qu'en ce qui concerne la participation de la société SOREMA à l'O.K.U., les décisions nos 31-59 et 12-60 comportaient une modification de la décision no 19-57 dans son objet aussi bien que dans sa justification. Par la décision no 31-59, la Haute Autorité aurait inauguré une phase nouvelle dans les relations de la société SOREMA avec l'O.K.U. Par cette décision elle n'aurait pas seulement prorogé le délai imparti aux négociants groupés au sein
de la société SOREMA pour se retirer de l'O.K.U., mais elle aurait autorisé sa participation à l'O.K.U., à des conditions déterminées et pour une période limitée, et ce en vertu, non pas du paragraphe 12 de la convention relative aux dispositions transitoires, mais de l'article 65, paragraphe 2, du traité. Dans ces conditions, le retrait de la société SOREMA de l'O.K.U. ne pourrait pas se produire par l'effet de la fixation du délai transitoire prévu à la décision no 3-62 mais uniquement sur la base
des conditions exigées par l'article 65 pour la révocation ou le refus de renouvellement d'une autorisation donnée à une entente.

Examinons donc comment la nouvelle décision de la Haute Autorité doit s'apprécier au regard de ces considérations: s'appuie-t-elle (comme la Haute Autorité le soutient) sur les principes de l'arrêt no 67-63, leur est-elle conforme, ou bien (c'est le point de vue de la requérante) apparaît-elle comme viciée par rapport aux critères de l'article 65 du traité? Pour cet examen, nous ne suivrons toutefois pas exactement l'ordre adopté par la requérante pour l'exposé de ses moyens.

I. La participation de la société SOREMA à l'O.K.U. constitue-t-elle une restriction apportée à la concurrence?

Il est logique d'examiner en premier lieu l'argument de la requérante selon lequel la Haute Autorité n'a pas indiqué de faits de nature à démontrer pourquoi l'affiliation de la société SOREMA à l'O.K.U. et sa participation aux opérations de cette dernière devrait être considérée comme une restriction de la concurrence. A son avis, même pour la révocation d'une autorisation donnée à une entente, il y a lieu de vérifier au préalable si l'accord examiné tombe encore à ce moment sous l'application de
l'article 65, paragraphe 1er.

Effectivement, les considérants de la décision ne comportent à cet égard que la simple constatation laconique que l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1er, s'applique également à la société SOREMA. — Nous sommes pourtant d'avis que la Haute Autorité n'avait pas à donner de plus amples éclaircissements à ce sujet dans la décision attaquée. En effet, la nécessité d'une autorisation pour la participation de la société SOREMA à l'O.K.U., et dont la question de savoir si l'article 65,
paragraphe 1er, s'y applique, ont déjà fait l'objet de décisions antérieures, en l'espèce des décisions nos 31-59, 12-60 et 3-62. La requérante ne les a jamais attaquées, bien que, de son propre point de vue, elle ait eu tout lieu de le faire, étant donné que sa participation n'a jamais été autorisée qu'avec de sérieuses restrictions (pour une période transitoire). En conséquence, ces décisions ont acquis force de chose jugée (pour autant que l'on puisse s'exprimer ainsi pour des actes
administratifs) avec toutes les constatations qu'elles comportaient. En revanche, la décision attaquée à présent a uniquement pour but de retirer l'autorisation accordée; elle s'appuie sur les décisions précédentes, elle base leur existence et leur contenu sur la nécessité de l'autorisation. En réalité, l'adoption de la décision no 15-64 n'aurait donné lieu à un examen de la question de savoir si l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1er, s'applique encore à la participation de la société
SOREMA à l'O.K.U. qu'en cas de survenance de faits nouveaux, telles que des modifications du marché, de nature à exercer une influence sur sa réponse. La requérante n'a toutefois rien dit à ce sujet. Elle se borne plutôt à invoquer les conditions de la concurrence antérieures à sa participation à l'O.K.U. et à l'entrée en vigueur du traité, et le fait que c'est en vue de l'adaptation à des conditions de concurrence déterminées qu'elle a été fondée en 1946. — Nous estimons donc que ce premier moyen
doit être rejeté comme non fondé.

II. La révocation de l'autorisation est-elle sujette à critique four d'autres motifs?

1. Il convient d'examiner en second lieu le grief d'après lequel la réserve de la fixation d'un délai énoncée à l'article 2 de la décision no 3-62 n'est pas valable. — Rappelons-nous que la décision no 3-62 n'a pas fixé elle-même la durée de validité de l'autorisation, mais a renvoyé cette question à une décision ultérieure. Selon la requérante, la Haute Autorité a de la sorte faussé le système du traité, avec cette conséquence que la décision 15-64, qui s'appuie sur la réserve «illégale» de la
décision 3-62, doit également être considérée comme illégale.

A ce grief aussi il pourrait être objecté, d'abord, que la décision no 3-62 n'a jamais fait l'objet d'un recours, qui se serait pourtant justifié d'après l'opinion de la requérante sur la possibilité de déterminer la durée de validité d'une autorisation donnée à une entente, c'est-à-dire d'assortir pareille autorisation de sérieuses restrictions. La décision no 3-62 a donc plein effet juridique; et, conformément à la jurisprudence de la Cour, comme il s'agit d'une décision individuelle, elle né
peut pas non plus désormais faire l'objet d'un examen par le biais de l'exception d'illégalité.

Au surplus, nous avons l'impression que, dans la décision 15-64, la Haute Autorité n'a pas utilisé la réserve de fixation d'un délai énoncée dans la décision 3-62 dans le sens qui lui a été attribué à l'origine, c'est-à-dire de la façon dont la décision 8-63 en a fait usage. En d'autres termes, la Haute Autorité ne s'est pas bornée à fixer l'expiration de la période transitoire prévue à la décision 3-62, mais, ainsi que l'arrêt 67-63 le prescrit, pour révoquer l'autorisation donnée à l'entente,
elle a fourni au moins une justification supplémentaire conformément aux exigences de l'article 65, paragraphe 2. La légitimité de cette réserve n'est donc pas décisive, de sorte que ce deuxième grief ne peut non plus faire aboutir le recours.

2. Mais la requérante propose des moyens bien plus importants: ils portent sur les conditions et les formes que le traité exige pour révoquer une autorisation donnée à une entente. A notre avis, c'est là le nœud du procès.

D'après l'article 65, paragraphe 2, alinéa 4, la Haute Autorité révoque une autorisation si elle reconnaît que, par l'effet d'un changement dans les circonstances, l'accord autorisé ne répond plus aux conditions du paragraphe 2, lettres a à c, ou que les conséquences effectives d'un accord ou de son application sont contraires aux conditions requises pour son approbation.

Or, il faut reconnaître que la révocation contenue dans la décision no 15-64 se base au moins accessoirement sur le texte de l'article 65, précisément sur la deuxième éventualité que nous venons de citer (donc pas sur un changement dans les circonstances).

Mais, si nous comprenons bien, l'intention de la Haute Autorité est de justifier la révocation avant tout par le fait que, déjà lors de l'adoption de la décision no 3-62, les conditions exigées par l'article 65, paragraphe 2 a) et b) pour la participation de la société SOREMA à l'O.K.U. n'étaient pas remplies.

Dans cette optique, les choses se présentent exactement comme suit: dans la présente instance, tout comme dans l'affaire no 67-63, la Haute Autorité a déclaré qu'en adoptant la décision no 3-62 comme toutes les décisions précédentes, elle n'a pas eu en réalité l'intention d'accorder en faveur de la participation de la société SOREMA à l'O.K.U. une autorisation régulière en vertu de l'article 65, paragraphe 2, du traité, mais de tolérer cette participation à titre exceptionnel pour une période
transitoire, à l'encontre des conditions de l'article 65. A cette fin, elle a d'abord fait usage du paragraphe 12 de la convention relative aux dispositions transitoires, d'après lequel, si elle ne donne pas l'autorisation prévue au paragraphe 2 de l'article 65, elle fixe un délai raisonnable à l'expiration duquel l'interdiction prévue à cet article prendra effet. Ensuite, animée de la même intention, elle s'est référée à des considérations générales extraites de la conception d'ensemble du
traité (page 14 de la duplique de l'affaire no 67-63). Nous savons que dans l'affaire no 67-63, la Cour n'a pas retenu cette déclaration et qu'elle a préféré se livrer à une interprétation objective de la décision de la Haute Autorité sur la base de ce que le traité admet; cette interprétation l'a amenée à apercevoir dans la décision no 3-62 une autorisation donnée à une entente en vertu de l'article 65, paragraphe 2. La Haute Autorité s'est donc vue contrainte de voir attribuer à sa décision un
sens différent de celui qu'elle lui avait donné; autrement dit, l'acte qu'elle a pris constitue (d'après l'interprétation qu'en a donnée la Cour) une manifestation de volonté qui ne correspondait pas à sa volonté réelle. En droit civil, cette discordance entre la volonté réelle et sa manifestation tombe sous le coup de la déclaration de nullité pour cause d'erreur («Irrtumsanfechtung»), qui permet une rectification ultérieure avec des conséquences juridiques déterminées. En droit public, dans
l'opinion unanime, cette institution est inconnue. Ce qui est décisif dans ce domaine, c'est la concordance objective de l'acte administratif avec les conditions légales, et à la rigueur, l'administration a la faculté de révoquer l'acte administratif qui se révèle vicié d'après ce critère.

a) Dès lors, la première question qui se pose à nous est de savoir si le traité permet pareille révocation d'autorisations données à des ententes, donc s'il connaît la révocation pour absence des conditions requises au moment où elles ont été accordées, ou s'il n'admet que les cas mentionnés expressément dans la loi. Comme vous le savez peut-être, dans le droit allemand des ententes, la réponse à cette question est que la loi contient une énumération limitative de tous les cas de révocation, ce
qui exclut le recours à des principes généraux du droit administratif pour justifier une révocation ( 2 ).

En ce qui concerne le droit communautaire cependant, cette argumentation ne nous paraît pas valable, en raison de la rédaction différente de la loi. Elle ne serait défendable que si le traité énonçait sans équivoque possible le caractère limitatif des conditions de révocation. Tout comme la Haute Autorité, nous estimons donc que si le traité réglemente si strictement les problèmes de concurrence, c'est précisément en vue de faire assurer le respect du principe de la concurrence par tous les
moyens, donc aussi par le recours aux principes généraux du droit relatifs à la révocation des actes administratifs illégaux.

b) Examinons donc si, d'après ce principe, les conditions de révocation de la décision no 3-62 sont réellement remplies dans le cas présent. Les considérations suivantes, développées dans la décision no 15-64, revêtent de l'importance à cet égard. La Haute Autorité fait valoir que la participation de la société SOREMA à l'O.K.U. ne contribue pas à une amélioration notable dans la distribution du charbon (article 65, paragraphe 2, a), que notamment, consistant dans une participation aux
délibérations et aux décisions de l'O.K.U., elle n'est pas essentielle pour atteindre l'objectif visé par l'entente, qu'elle est d'un caractère plus restrictif que ne l'exige l'objet de cette dernière (article 65, paragraphe 2, b), et qu'elle constitue une discrimination à l'égard de tous les grossistes en charbon exclus de la participation à l'O.K.U. parce qu'ils ne remplissent pas les conditions normales d'admission.

Pour ce qui est du premier point (amélioration notable dans la distribution), la requérante a soulevé deux objections, l'une de forme, l'autre de fond.

D'abord, en ce qui concerne le grief de forme, elle reproche à la Haute Autorité d'avoir insuffisamment motivé sa décision, en se bornant à constater que la société SOREMA n'a pas exercé d'activité commerciale en Allemagne du Sud. De l'avis de la requérante, la Haute Autorité aurait au contraire dû prendre en considération tous les effets que la participation de la société SOREMA à l'O.K.U. était de nature à exercer.

Cette conception méconnaît l'étendue de l'obligation de motiver, qui ne se mesure pas en fonction des conditions pour agir révélées par une interprétation objective du texte du traité, mais uniquement en fonction des raisonnements adoptés par la Haute Autorité et des déductions logiques de celle-ci. Étant donné qu'en examinant les conditions de la lettre a) de l'article 65, paragraphe 2, la Haute Autorité a manifestement considéré une activité commerciale en Allemagne du Sud comme décisive, la
justification qu'elle a donnée pouvait, à son point de vue, être considérée comme suffisante, puisqu'elle contient (et la jurisprudence de la Cour n'en exige pas plus) toutes les considérations de droit et de fait essentielles.

Par conséquent, à notre avis, le grief de violation des formes substantielles ne doit pas être retenu.

En ce qui concerne l'exactitude quant au fond des considérations développées par la défenderesse au sujet de la lettre a) de l'article 65, paragraphe 2, la requérante observe que la Haute Autorité a tort de supposer que seule une participation de la société SOREMA à l'activité commerciale en Allemagne du Sud pouvait réaliser une amélioration de la distribution. Pour bien faire, la Haute Autorité devrait se baser sur l'ensemble des activités entrant dans le cadre des ententes autorisées, et,
notamment, prendre en considération leurs effets dans l'ensemble du Marché commun, et non pas dans une seule région de ce marché.

A cet égard non plus, nous ne pouvons pas partager l'avis de la requérante, du moins pas complètement. D'après l'article 65, paragraphe 2, a), avant d'autoriser une entente comme celle qui nous occupe, la Haute Autorité doit reconnaître que l'achat en commun contribue «à une amélioration notable dans … la distribution des produits visés». A notre avis, il faut comprendre cette formule dans le sens d'une prise en considération de l'accord concret relatif à l'achat en commun, avec son objectif
spécifique, donc ici, comme le fait apparaître l'article 1er de la décision 3-62 qui renvoie aux articles 1 à 9 de la décision 19-57, de l'accord entre un ensemble d'entreprises «au sujet de l'achat en commun auprès des sociétés minières des bassins d'Aix-la-Chapelle, de la Ruhr, de Sarre et de Lorraine, ou auprès des organisations de vente desdites sociétés minières, de combustibles destinés à la revente en Allemagne du Sud».

C'est la distribution de ces produits dans cette région que l'entente doit améliorer, et ce n'est pas l'amélioration de la distribution de n'importe quels produits semblables n'importe où dans le Marché Commun qui est déterminante. — Cependant, il faut bien admettre que cela ne résout pas encore la question de savoir si la distribution peut être améliorée uniquement par une activité commerciale dans le même secteur, ou également par un autre genre d'activité entrant dans le cadre de l'entente.
Toutefois, nous n'estimons pas qu'il y a lieu d'approfondir cette question dans l'espèce. La requérante n'a, en effet, fourni aucune indication permettant de penser que le seul fait de son appartenance à l'O.K.U. avait des effets favorables pour l'amélioration de la distribution au sens de l'article 65, hypothèse contre laquelle il existe au moins une présomption de fait et qui exige, par conséquent, une preuve de la part de celui qui s'en réclame.

Un élément tout aussi important pour la solution du litige réside dans le fait que la Haute Autorité a fondé sa décision de révocation, non seulement sur l'absence des conditions requises par l'article 65, paragraphe 2, a), mais aussi sur la constatation que la simple participation de la société SOREMA à l'O.K.U. n'était en tout cas pas essentielle pour obtenir l'effet d'amélioration et était d'un caractère plus restrictif que ne l'exige l'objet de l'entente (article 65, paragraphe 2, b). Si nous
ne nous abusons pas, la requérante n'a présenté aucune observation sur ce point, et il serait d'ailleurs difficilement imaginable de voir soutenir la thèse que le simple fait de la participation de la société SOREMA à l'O.K.U. est essentiel pour atteindre l'objectif de cette entente, tel qu'il peut être déduit de la décision 19-57.

Aussi pouvons-nous considérer que l'essentiel a été dit sur l'illégalité commise à l'origine en accordant l'autorisation 3-62 en faveur de la société SOREMA. Néanmoins nous voudrions examiner encore la violation de l'interdiction de discrimination que la Haute Autorité a également invoquée dans la décision no 15-64, et vérifier si les griefs de la requérante ne seraient pas fondés au moins sur ce point-là.

Cela ne nous paraît pas être le cas pour sa conception selon laquelle l'interdiction de discrimination ne s'appliquerait que dans la mesure où une atteinte est portée à la libre concurrence. La participation de la société SOREMA à l'activité de l'O.K.U., en revanche, aurait pour seul effet de compenser des entraves à la concurrence, elle réaliserait une compensation pour le fait que la Haute Autorité a omis jusqu'à présent de prendre des mesures efficaces en matière de publication des tarifs de
transport et de leur application non discriminatoire pour veiller à l'égalité d'accès à la production. — Avec ce raisonnement, la requérante soutient en somme que, tant que la Haute Autorité ou les États membres n'ont pas rempli entièrement leurs obligations, les entreprises de la Communauté sont également dispensées d'observer les dispositions du traité qui les concernent. Mais cette sorte de «comptabilité» des infractions au traité, prétendues ou réelles, est contraire aux principes exposés par
la jurisprudence de la Cour (principalement dans les affaires relatives à l'article 169 du traité C.E.E.). Avec ce moyen la requérante ne peut donc aboutir à écarter ou à restreindre l'interdiction de discrimination prévue au traité.

Il semble que la société SOREMA s'abuse tout autant en croyant que l'interdiction de discrimination ne peut pas s'appliquer à son égard, parce qu'elle ne s'adresse qu'à des acheteurs, alors qu'elle-même n'exerce pas une activité commerciale. A cet égard, la Haute Autorité fait observer à bon droit que le fait que la société SOREMA groupe les intérêts de ses membres en tant qu'acheteurs est déterminant pour lui appliquer, non seulement l'article 65, mais au même titre aussi l'interdiction de
discrimination. Chaque fois que la société SOREMA retire un avantage du marché, il ne s'agit en somme que d'un avantage obtenu par les négociants qui sont groupés dans son sein et dont elle représente les intérêts.

A cet égard, il est impossible aussi d'admettre son affirmation qu'il n'y aurait pas infractions à l'article 4 de la décision 19-57 (et donc à l'interdiction de discrimination), pour la bonne raison que, bien qu'elle n'ait pas la qualité de grossiste visée à la décision 19-57, la décision 31-59 l'a déjà admise à faire partie de l'O.K.U., ce qui prouverait que c'est à bon droit qu'elle y occupe une position spéciale. A notre avis, la décision no 31-59 et les autres décisions ne pourraient
contribuer à trancher la présente espèce que s'il n'était pas démontré qu'à l'époque, la Haute Autorité a accordé l'autorisation à la société SOREMA à titre exceptionnel, à l'encontre des dispositions de l'article 65, puisque c'était en vertu du paragraphe 12 de la Convention relative aux dispositions transitoires. Étant donné que l'arrêt 67-63 a rendu cette conception caduque et qu'à présent la Haute Autorité ne doit plus s'appuyer que sur la réglementation générale de l'article 65, il n'est
plus justifiable d'accorder un régime spécial à la société SOREMA.

Enfin, contrairement à l'opinion de la requérante, le fait que les conditions d'approvisionnement des houillères ou de leurs sociétés de vente, auxquelles se réfère la décision no 19-57, ne mettent pas l'accent sur l'écoulement du charbon en Allemagne du Sud n'apporte aucun élément pour la solution du problème. En effet, ce ne sont pas les conditions d'approvisionnement des houillères, mais uniquement les dispositions statutaires réglementant l'admission à l'O.K.U. qui fournissent le critère pour
apprécier s'il y a ou non égalité de traitement entre les entreprises dans leurs rapports avec l'O.K.U. Et ces statuts, conformément à l'objet social, prévoient l'écoulement en Allemagne du Sud.

C'est pourquoi la référence que fait la Haute Autorité à l'interdiction de discrimination prévue au traité, et le caractère illégal de la décision no 3-62 qu'il faut en déduire, s'avèrent justifiés.

Cependant, la jurisprudence de la Cour établit qu'en ce qui concerne la révocation d'un acte administratif accordant des droits subjectifs, la seule preuve de son caractère illégal dès l'origine ne suffit pas. La question de savoir si la révocation est permise, dans quelle mesure et avec quels effets (ex nunc ou ex tunc) doit être réglée dans chaque cas en pesant tous les intérêts en jeu. Il s'agit, en l'espèce, de l'intérêt public à voir respecter le principe de concurrence et observer la règle
de l'égalité de traitement entre des entreprises qui se trouvent dans des conditions analogues, d'autre part, des intérêts de la société SOREMA et de ses membres en tant qu'entrepreneurs à ne pas être déçus dans leur espoir («Vertrauen») de voir maintenir l'autorisation donnée à l'entente et donc à ne pas voir bouleverser leurs plans commerciaux.

En ce qui concerne ce dernier point toutefois, la teneur, notamment la limitation de la durée de validité de décisions antérieures de la Haute Autorité relatives aux relations entre la société SOREMA et l'O.K.U., mais aussi la formulation de la décision no 3-62 empêchaient de donner un poids excessif à l'espoir de la société SOREMA. Du seul fait de la réserve contenue à l'article 2 de la décision no 3-62, la requérante devait conclure qu'en principe la Haute Autorité avait prévu une période plus
courte pour sa participation que pour l'autorisation de l'O.K.U. en tant que telle. Dans l'ensemble des considérants de la décision il faut également apercevoir ce qu'on appellerait en droit civil la «base du marché» («Geschäftsgrundlage»), à moins qu'il ne faille même parler (dans le droit des ententes) de condition d'autorisation. Nous y lisons que, déjà lors de l'adoption de la décision no 3-62, en raison des nouvelles réglementations commerciales de la Ruhr en vigueur depuis 1961, les
grossistes français en charbon ne rencontraient aucun obstacle pour s'approvisionner directement dans la Ruhr, et donc également (faut-il ajouter) pour remplir les conditions d'une adhésion régulière à l'O.K.U. Si néanmoins, toujours à titre provisoire, la société SOREMA a été autorisée à adhérer à l'O.K.U., c'était uniquement parce que la structure définitive des conditions de vente de la Ruhr n'était pas fixée et ne pouvait être connue. Mais justement, à notre avis, cette circonstance indiquait
clairement qu'après leur fixation définitive dans la même forme, une participation collective de la société SOREMA à l'O.K.U. ne pourrait plus se justifier. Nous savons que l'hypothèse à laquelle nous avons fait allusion s'est réalisée en 1963, et la Haute Autorité l'a déjà souligné dans l'affaire 67-63. A partir de ce moment, la requérante devait donc s'attendre à voir mettre fin à son appartenance à l'O.K.U., et par conséquent, à partir de cette date, il ne peut plus être question d'un intérêt
digne de protection juridique basé sur l'espoir d'une stabilité de la situation («Vertrauensinteresse»). Au surplus, la requérante n'a pas contredit l'affirmation de la Haute Autorité que, depuis lors, les divers grossistes français en charbon remplissent réellement les conditions d'approvisionnement dans la Ruhr, et qu'il leur est devenu économiquement possible d'exercer leur activité commerciale en Allemagne du Sud. Plus rien ne les empêchait donc de remplir les conditions pour s'associer
directement à l'O.K.U. et pour s'en assurer ainsi les avantages.

En mettant tous ces éléments en balance dans l'appréciation des intérêts en jeu qui s'impose, il résulte qu'il n'y a rien à critiquer à la révocation de l'autorisation d'entente, illégale à l'origine, telle que la Haute Autorité l'a prononcée dans la décision no 15-64.

III.

Aussi, sans examiner d'autres justifications pour la révocation ni les griefs articulés à leur sujet, concluons-nous comme suit :

Le recours de la société SOREMA doit être rejeté comme non fondé, et la requérante condamnée aux dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Cf. Müller — Henneberg — Schwartz, Gemeinschaftskommentar zum Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen, 1963, note 12 à l'article 11.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36-64
Date de la décision : 11/03/1965
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Matières CECA

Ententes et concentrations

Combustibles - charbon au sens large


Parties
Demandeurs : Société rhénane d'exploitation et de manutention (Sorema)
Défendeurs : Haute Autorité de la CECA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Hammes

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1965:20

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