Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer
du 10 mars 1965 ( 1 )
Sommaire
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Exposé des faits. Chefs de demandes
Appréciation juridique
I — Recevabilité du recours
1. En acceptant sa titularisation conformément à l'article 102, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires et en signant l'écrit prévu à l'article 104, le requérant a-t-il renoncé à son droit de recours? .
2. Recevabilité du second chef de demande
II — Le fond
1. L'avis de la Commission d'intégration est-il suffisamment motivé?
2. La composition de la Commission d'intégration
3. Les travaux de la Commission d'intégration se sont-ils effectués sans règlement de procédure écrit? .
4. Le requérant a-t-il été informé des déclarations de ses supérieurs hiérarchiques, et la Commission d'intégration a-t-elle refusé d'examiner des travaux du requérant ? .
5. L'avis de la Commission d'intégration est-il bien fondé?
III — Conclusion
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Le requérant dans l'affaire pour laquelle nous présentons aujourd'hui nos conclusions est entré le 10 novembre 1959 au service de la Commission de l'Euratom sur la base d'un «contrat de Bruxelles». A l'origine son traitement était celui du grade A 5 du statut du personnel de la C.E.C.A. qui, nous le savons, a été appliqué en partie par analogie aux contrats d'engagement des Communautés des traités de Rome. A l'issue d'un stage, ses émoluments ont été portés, le 20 septembre 1960, au niveau du grade
A 4, échelon 1, à compter du 1er mai 1960, et ensuite à celui du grade A 4, échelon 2, à compter du 1er novembre 1961.
Lors de la procédure d'intégration, dont le but est d'examiner dans quels cas il y a lieu d'accorder la titularisation sur la base du statut du personnel entré en vigueur le 1er janvier 1962, les supérieurs hiérarchiques du requérant ont établi à son sujet un rapport défavorable sur sa compétence, son rendement et sa conduite dans le service. La Commission d'intégration a repris cette appréciation à son compte après audition de plusieurs fonctionnaires de la Commission de l'Euratom sous les ordres
de qui le requérant avait travaillé, et après avoir entendu ce dernier (voir rapport du 19 février 1963). La Commission d'intégration n'a cependant pas proposé la résiliation de l'engagement existant, mais la titularisation dans un grade inférieur à celui où le requérant était classé précédemment. — C'est dans ce sens que la Commission de l'Euratom a procédé en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination. Le 8 janvier 1964, elle a adopté une décision titularisant le requérant dans le grade A
5, échelon 5, à compter du 1er janvier 1962.
C'est cette décision que vise le présent recours. Le requérant demande l'annulation de la décision du 8 janvier 1964 de la Commission de l'Euratom en tant qu'elle le classe au grade A 5, échelon 5. Il demande en outre l'annulation de tous les actes de la procédure d'intégration le concernant et de l'avis du 19 février 1963 de la Commission d'intégration.
Dans la réplique, le requérant a retiré une autre demande qu'il avait présentée et qui tendait à faire dire par la Cour que la Commission de l'Euratom était tenue de le soumettre à nouveau à la procédure d'intégration après accomplissement des formalités prévues aux articles 5 et 110 du statut du personnel.
De même, après la production de documents par la défenderesse et instruit par des arrêts de la Cour rendus depuis lors sur des problèmes d'intégration, le requérant a renoncé à certains moyens qu'il avait présentés au départ. Il n'y a donc plus lieu de les examiner dans la suite.
Appréciation juridique
I — Recevabilité du recours
Nous devons commencer notre examen juridique par certaines observations sur la recevabilité du recours, car la Commission a soulevé des exceptions contre celle-ci à plusieurs points de vue.
1. A son avis, le recours est irrecevable parce que le requérant a accepté sans réserves sa titularisation dans le grade A 5 et parce que, en signant l'écrit prévu à l'article 104 du statut, il a renoncé au bénéfice des dispositions de son contrat et, par là, à son grade et à son échelon antérieurs.
Avant de vérifier l'exactitude de cette thèse, il nous paraît indiqué de relever une certaine incohérence dans les remarques que la défenderesse a faites au cours de la procédure à propos des actes et des démarches ayant précédé la décision attaquée.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier abord, il ne peut être déduit des remarques de la Commission de l'Euratom que le requérant ait été licencié ou qu'il ait donné sa démission. Effectivement, il n'existe pas de déclarations écrites dans ce sens, et il est incontestable que le requérant est resté sans interruption au service de la Commission.
Par conséquent, la seule possibilité qui nous reste pour apprécier le déroulement des faits est de nous baser sur les actes de la Commission de l'Euratom et du requérant, que nous avons entre nos mains, c'est-à-dire l'acte de titularisation du 8 janvier 1964, et la déclaration du 13 janvier 1964 par laquelle le requérant renonçait à son contrat.
Si nous nous demandons maintenant quelle est la signification juridique à attribuer à cette renonciation prévue à l'article 104 du statut, la réponse qu'impose le texte de celui-ci est la suivante: cette renonciation implique l'abandon du bénéfice des dispositions du contrat, qui cesse d'être en vigueur et disparaît dès lors comme base autonome pour invoquer des droits. Le nouveau statut du personnel remplace le «contrat de Bruxelles». Toutefois, la renonciation n'a pas pour effet que le contrat
de Bruxelles n'entre plus en ligne de compte comme élément juridique dans le cadre de l'application du statut, surtout de l'article 102. Sinon, nous serions en présence d'une renonciation non pas seulement au bénéfice des dispositions du contrat, mais aussi à l'application correcte du statut des fonctionnaires et des dispositions transitoires, et ce serait méconnaître le principe que, dans le doute, les renonciations doivent s'interpréter de façon restrictive en faveur du renonçant. Nous sommes
donc d'avis que la renonciation en question n'entraîne pas l'irrecevabilité du recours.
La renonciation n'est cependant pas le seul élément qui ait une portée juridique dans notre cas. Nous savons que la titularisation a été prononcée sur la base de l'article 102, paragraphe 2. Celui-ci prévoit qu'en cas d'avis défavorable de la Commission d'intégration le contrat doit être résilié. Toutefois, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut proposer à l'agent intéressé sa titularisation dans un grade et à un échelon inférieurs à son grade antérieur. Il faut donc se demander si la
procédure de titularisation établie par l'article 102, paragraphe 2 (acceptation d'une proposition) est assimilable à la conclusion d'un contrat et entraîne donc la renonciation à tous les griefs qui étaient susceptibles d'être invoqués contre la procédure d'intégration. Il nous semble pourtant que cette thèse ne peut pas non plus être soutenue. D'après la jurisprudence de la Cour, malgré les atteintes qu'ils portent parfois à la carrière administrative des intéressés, les actes accomplis dans le
cadre de la procédure d'intégration ne peuvent pas être attaqués en tant que tels, mais uniquement dans la mesure où ils se sont transformés en actes définitifs. En cas de conclusion négative de la procédure d'intégration, pareil acte définitif, et donc attaquable, ne peut être aperçu que dans la décision de résiliation ou dans un acte de titularisation restant en deçà de ce que l'article 102, paragraphe 1, prescrit. Mais, si une titularisation sur la base de l'article 102, paragraphe 2, ne
pouvait pas être soumise au contrôle juridictionnel, en raison du fait qu'elle consiste dans l'acceptation d'une proposition de titularisation, la seule possibilité qu'auraient alors les fonctionnaires mécontents de l'issue de la procédure d'intégration serait de provoquer une décision de résiliation, en refusant la proposition de titularisation. En d'autres termes, ils ne pourraient se pourvoir contre la violation, prétendue ou réelle, de leurs droits dans la procédure d'intégration qu'en se
résignant en même temps à mettre complètement fin à leur engagement. Une telle conséquénce nous paraît inadmissible, et également inconciliable avec le devoir de loyauté de l'autorité hiérarchique. C'est pourquoi nous n'exclurions pas le droit de recours, même en cas de titularisation sur la base de l'article 102, paragraphe 2, lorsque ce droit est exercé en vue d'obtenir un meilleur classement en invoquant des irrégularités dans la procédure d'intégration, et ce indépendamment du point de savoir
si l'agent a fait pareille réserve lors de l'acceptation ou s'il s'en est abstenu dans la crainte (qui n'est pas injustifiée) que l'institution ne retire sa proposition de titularisation. — A ce sujet, une circulaire du 8 février 1963 de la Commission de l'Euratom s'exprime dans le même sens, en déclarant expressément que l'acceptation de la titularisation n'exclut pas les réclamations au sujet du classement.
Cette conception, nous semble-t-il, fait aussi clairement apparaître l'inexistence du conflit d'intérêts que la défenderesse voit dans les conclusions du requérant. En réalité, ce dernier n'a pas l'intention d'attaquer purement et simplement sa titularisation et de la rendre caduque (ce qui pourrait éventuellement avoir des effets défavorables pour lui), mais uniquement de se pourvoir par voie indirecte contre les actes préparatoires qui étaient désavantageux pour lui et qui, sur la base de
l'article 102, ont entraîné un classement moins favorable. Cela doit être possible selon la jurisprudence de la Cour, qui a toujours soigneusement distingué l'acte d'intégration en tant que tel et le classement dans la grille des traitements. Nous n'avons donc affaire qu'à une demande d'annulation limitée en fonction des intérêts en jeu, et elle peut être examinée sans porter atteinte au statut du requérant.
2. Une autre exception d'irrecevabilité a trait au deuxième chef des conclusions qui tend à l'annulation de toutes les mesures prises à l'égard du requérant au cours de la procédure d'intégration. Sur ce point toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour, il y a lieu de donner raison à la Commission de l'Euratom. Les actes préparatoires de la procédure d'intégration ne sont pas susceptibles d'annulation par eux-mêmes; ils ne peuvent être attaqués que de façon incidente lors d'un recours
contre des actes annulables. Comme à cet égard le requérant ne s'est pas conformé aux principes de cette jurisprudence lorsqu'il a modifié expressément ses conclusions dans la réplique, cette demande doit être rejetée comme irrecevable, ce qui n'exclut évidemment pas que les griefs qui y sont formulés fassent l'objet d'un examen aux fins de la première demande.
II — Le fond
En ce qui concerne le bien-fondé du recours, nous examinerons d'abord une série de griefs de forme. Ils portent sur les motifs de l'avis de la Commission d'intégration et sur le déroulement de la procédure d'intégration.
1. Le requérant estime que les motifs formels du rapport prévu à l'article 102 sont insuffisants vu les exigences du statut des fonctionnaires. Toutefois, d'après la jurisprudence de la Cour relative aux problèmes d'intégration, ce grief est dépourvu de fondement. En effet, la lecture de ce rapport nous démontre qu'il contient au moins autant d'indications directes sur les aptitudes du requérant et de références à des documents à la disposition de la Commission d'intégration que les rapports qui ont
été déposés dans d'autres affaires d'intégration et qui n'ont pas été censurés par la Cour du point de vue formel.
2. Le requérant a ensuite émis deux critiques au sujet de la composition de la Commission d'intégration. Il reproche d'abord à la Commission de l'Euratom de ne pas avoir produit de document permettant de constater qu'elle a nommé elle-même les membres de la Commission d'intégration. En second lieu, il estime illégales la modification de la composition de la Commission d'intégration au cours de la procédure et la participation de fonctionnaires qui n'avaient pas assisté à l'audition des témoins au
vote et à la rédaction de l'avis émis à son égard.
Le premier de ces points n'apporte certainement pas d'élément permettant de faire droit au recours. A notre avis, la question de la régularité de la nomination des membres de la Commission d'intégration ne devrait être examinée que si des indices d'irrégularités étaient relevés. Mais la Commission de l'Euratom ne peut être tenue, sur simple demande du requérant, de produire des preuves écrites au sujet de toutes les questions intéressant la procédure d'intégration. La circulaire no 3-62 du
2 février 1962, signée par le directeur général de l'administration et annexée au dossier individuel, suffit donc aux fins de la présente procédure.
La deuxième critique est également dépourvue de portée. Et ce, non pas parce que nous trouvons convaincante l'affirmation de la Commission de l'Euratom selon laquelle deux des fonctionnaires cités par le requérant ne se seraient occupés que de l'examen de l'intégration d'autres personnes: le texte des procès-verbaux dont nous disposons ne nous fournit pas d'indices à cet égard. Mais nous estimons qu'il n'y aurait pas eu de violation sérieuse des règles de procédure, même si effectivement certains
membres de la Commission d'intégration n'avaient pas participé à l'enquête au cours de la procédure d'intégration. La procédure d'intégration ne connaît pas plus cette exigence qu'une procédure judiciaire ordinaire, où l'enquête peut éventuellement être menée par un juge délégué par une chambre de la Cour, comme le prévoit notre règlement de procédure. En pareil cas, il semble suffisant que le contenu des déclarations des témoins soit consigné dans un procès-verbal (ce qui a été le cas en
l'espèce) et que tous les membres de la Commission d'intégration puissent ainsi être suffisamment informés des travaux accomplis en leur absence.
3. En revanche, des objections plus importantes se font jour à propos du grief selon lequel la Commission d'intégration de la Commission de l'Euratom a procédé à ses travaux sans règlement de procédure écrit, ou bien la défenderesse s'est refusée à en produire le texte. De cette façon, il ne serait pas possible de se rendre compte de la majorité nécessaire pour l'avis de la Commission d'intégration, ni de voir si les règles de majorité ont été respectées dans l'espèce.
A ce sujet, la Commission de l'Euratom nous a appris qu'effectivement il n'y a pas eu de règlement pour la procédure d'intégration. Avant d'entamer ses travaux, la Commission d'intégration se serait contentée de convenir oralement d'observer certains principes, qui ont d'ailleurs été portés à la connaissance du comité du personnel de la Commission de l'Euratom.
Or, en fait, aucune disposition expresse n'impose de rédiger par écrit des règles de procédure à observer pour l'application de l'article 102, et, manifestement, l'absence d'un règlement relatif aux formes à respecter n'exclut pas la possibilité pour les intéressés d'invoquer l'existence de vices de forme, réels ou prétendus, dans la procédure d'intégration et notamment de mettre la Cour en mesure de vérifier si la procédure a été régulière et si la défense a pu faire garantir efficacement ses
droits.
Mais ce qui donne lieu à critique, c'est le danger d'inégalité de traitement des agents intéressés, qui va de pair avec l'absence d'un règlement détaillé. Si le quorum pour une délibération valable de la Commission d'intégration et la majorité pour établir le rapport prévu à l'article 102 ne sont fixés nulle part, il ne peut pas être exclu que les avis sur les divers agents de la Commission soient émis avec une composition différente et une majorité variable. — Le représentant de la Commission de
l'Euratom n'ayant pas pu nous donner d'explications satisfaisantes à ce sujet, il faudrait donc au moins penser à éclaircir ce point du litige, à moins qu'une solution de l'affaire ne s'avère possible pour d'autres raisons (ce que nous croyons d'ailleurs).
4. Il en est de même pour les griefs par lesquels le requérant fait valoir qu'il n'aurait pas été informé suffisamment des déclarations de ses supérieurs hiérarchiques au cours de la procédure d'intégration, et que la Commission d'intégration aurait refusé de prendre connaissance de travaux qu'il avait produits en vue de l'examen de ses aptitudes.
Sans doute, en ce qui concerne le premier grief, suffirait-il de se référer aux procès-verbaux de la Commission d'intégration, notamment à celui de la séance des 30 et 31 janvier 1963 qui mentionne expressément que le requérant a été mis au courant des déclarations de ses supérieurs hiérarchiques. — Mais il y a une question certainement plus délicate: c'est de savoir si, en réalité, les droits de défense du requérant ont été limités. A ce sujet, nous voudrions poser en principe que, bien que la
Commission d'intégration ne puisse naturellement pas être tenue de prendre en considération toutes les pièces qui lui sont présentées, lorsqu'elle examine la compétence de fonctionnaires supérieurs et avant d'émettre un avis défavorable, elle doit étendre le champ de ses investigations plutôt que de rejeter des documents probatoires. — Toutefois, il semble bien qu'il est impossible de nous faire une opinion décisive à ce sujet. En effet, les parties ne sont pas [d'accord sur la paternité des
documents allégués par le requérant, donc sur leur valeur probatoire, ni sur le point de savoir si la Commission d'intégration leur a attaché suffisamment d'importance. Mais, à notre avis, ici aussi nous pouvons renoncer à des éclaircissements supplémentaires, parce que, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, le litige peut être tranché pour d'autres raisons.
5. Ces raisons nous apparaîtront à propos d'un autre grief du requérant, qui, sous divers aspects, a trait à l'exactitude du contenu de l'avis émis par la Commission d'intégration, ainsi qu'à la question de savoir si les éléments de base de celui-ci doivent être reconnus comme pertinents et s'ils répondent au but de la procédure.
En présentant ce grief, le requérant ne peut évidemment pas exiger que la Cour vérifie ses connaissances et ses aptitudes, c'est-à-dire qu'elle émette une appréciation du genre de celle que la Commission d'intégration devait porter, parce que cela signifierait que la Cour ne viendrait à se substituer à l'administration. Cependant, la Cour peut être saisie de faits qui ont la valeur d'indices ou qui constituent des commencements de preuve, et doivent faire admettre que la Commission d'intégration
a commis des erreurs d'appréciation. Ce serait éventuellement le cas si l'ensemble des éléments à notre disposition au sujet des diverses phases de la procédure faisait apparaître que son avis est dépourvu de fondement, équivoque ou contradictoire. A notre avis, pareils indices existent dans notre cas.
En disant cela, nous ne pensons assurément pas à l'affirmation qui revient souvent dans les procès relatifs à des questions d'intégration, et d'après laquelle l'animosité du supérieur hiérarchique immédiat du requérant l'aurait amené à porter un jugement erroné sur ses aptitudes; nous supposons en effet que, tout comme dans d'autres cas, la Cour ne retiendra pas ce moyen, étant donné que d'autres supérieurs hiérarchiques du requérant ont également émis un avis plus ou moins défavorable. — A ce
sujet, nous n'examinerons pas davantage le grief d'après lequel, à partir de décembre 1961, le supérieur hiérarchique immédiat du requérant ne lui a pas donné suffisamment de travail. Ce grief ne pourrait être important pour se faire une opinion sur l'affaire qui nous occupe que si le comportement de ses supérieurs avait enlevé au requérant toute possibilité de faire la preuve de ses aptitudes, ce qui pourtant n'a manifestement pas été le cas pour la période de novembre 1959 à novembre 1961.
Mais d'autres circonstances revêtent de l'importance. — Dans son avis du 19 février 1963, à titre d'élément décisif pour formuler son appréciation défavorable, la Commission d'intégration constate que le requérant présente des lacunes dans ses aptitudes et ses connaissances et qu'il fait preuve de manque d'initiative. C'est pour cette raison qu'à partir d'un certain moment il se serait vu confier des fonctions d'un niveau inférieur à celui de l'activité qu'il exerçait précédemment.
A cet égard, des observations critiques s'imposent à plusieurs points de vue.
Tout d'abord, si nous ne nous abusons pas, l'appréciation de la Commission d'intégration n'est justifiée qu'en partie par les rapports des supérieurs hiérarchiques du requérant et par les déclarations qu'ils ont faites devant elle (par exemple, pour ce qui a trait au degré d'initiative du requérant). En revanche, les observations orales et écrites des supérieurs hiérarchiques ne portent pas trace d'une déclaration permettant à la Commission d'intégration de constater que le requérant a été chargé
de travaux d'un niveau inférieur. Aucune des autres pièces qui nous ont été produites n'explique davantage comment la Commission d'intégration a abouti à admettre ce fait, qui est certainement important. Pour cette raison déjà, il faudra par conséquent considérer que son appréciation d'ensemble est mal fondée.
En ce qui concerne la prétendue insuffisance des connaissances et aptitudes du requérant, le rapport écrit des supérieurs hiérarchiques, daté du 11 avril 1962, nous apprend que c'étaient surtout les connaissances linguistiques du requérant qui ont été critiquées à plusieurs reprisés. C'est sur celles-ci qu'a été également mis l'accent dans les déclarations orales des supérieurs devant la Commission d'intégration, et elles ont été discutées tout spécialement lors de l'audition du requérant. Aussi,
se dégage-t-il nécessairement l'impression que pour prendre sa décision finale la Commission d'intégration a attaché une importance particulière à ce genre de connaissances. — D'autre part, au cours de la procédure orale, le représentant de la défenderesse nous a déclaré avec force que la connaissance des langues n'a pas joué de rôle dans le cadre de la procédure d'intégration, et que celle-ci n'a pas pu être refusée à un agent qui ne répondait pas à l'exigence de la connaissance d'une seconde
langue en entrant en fonctions à la Communauté sous le régime contractuel. — C'est donc à bon droit que nous pouvons nous demander si, dans le cas du requérant, la Commission d'intégration n'a pas violé une règle d'intégration généralement appliquée, en basant essentiellement sa décision défavorable sur une prétendue insuffisance des connaissances linguistiques. — Nous pouvons également supposer que l'accent tout particulier mis sur les connaissances linguistiques au cours de la procédure
d'intégration a induit le requérant en erreur et a déterminé la façon dont il a présenté sa défense, ce qui entraîne également des doutes sérieux sur le déroulement régulier de la procédure.
Toutefois, le fait suivant est certainement encore plus important. La notation dont le requérant a fait l'objet à l'issue de son stage, établie par le fonctionnaire qui a également apprécié ses aptitudes au cours de la procédure d'intégration, n'est pas seulement favorable mais même exceptionnellement bonne. Toutes les rubriques, y compris celles que le rapport de notation du 11 avril 1962 indique comme «nécessitant une amélioration», portent la mention «très bien»; deux de celles-ci portent même
la cote «exceptionnel».La connaissance d'une seconde langue est signalée comme «passable». Le commentaire du supérieur hiérarchique dit textuellement : «Agent donnant entière satisfaction. Personnalité empreinte de pondération, de réflexion et de persévérance. Caractère égal et cordial. Esprit d'initiative et grande faculté d'adaptation aux tâches diverses que comporte sa fonction.» Un seul point (la faculté d'adaptation) est coté plus faiblement dans ce rapport, mais tout de même avec la
mention«satisfaisant».
Sans doute, il faut en convenir, cette notation date-t-elle du 17 mai 1960. Mais le dossier individuel du requérant nous apprend que, le 16 décembre 1960 encore, ainsi qu'il ressort expressément d'une lettre de la direction générale de l'administration, il a été proposé pour un meilleur classement étant donné qu'il avait prouvé ses qualités; et nous constatons aussi que, le 1er novembre 1961 encore, le requérant a été jugé digne d'être augmenté d'un échelon et classé au grade A 4, échelon 2.
La seule conclusion possible, c'est qu'au moins jusqu'en novembre 1961, c'est-à-dire environ six mois avant que ses supérieurs hiérarchiques n'émettent leur appréciation défavorable, le requérant doit avoir travaillé d'une façon qui non seulement ne donnait pas lieu à critique mais qui était digne d'éloge. Toute autre interprétation doit être rejetée, en particulier l'affirmation du représentant de la Commission de l'Euratom que ces promotions et avancements y avaient lieu automatiquement, parce
qu'elle reviendrait à supposer que la Commission conduit mal son administration.
Or, il est évidemment compréhensible que le rendement d'un agent baisse au cours du temps. Il est également concevable que cela ait été le cas pour le requérant jusqu'au début de la procédure d'intégration, bien que pareille hypothèse soit démentie par l'affirmation d'un de ses supérieurs hiérarchiques devant la Commission d'intégration (M. Michaelis), qui a parlé d'une amélioration du rendement par rapport à des périodes antérieures. — Mais, devant une telle évolution, et après toutes les
notations et promotions antérieures, ce que l'on doit au moins exiger de la part de l'administration, c'est une explication non équivoque et plausible. Si elle fait défaut, comme en l'espèce, il se dégage l'impression qu'il n'a pas été tenu compte des appréciations favorables précédentes, circonstance qui, en raison de son importance, constitue un grave vice de procédure; si, en revanche, on suppose que la Commission d'intégration a eu connaissance de ces éléments et qu'elle s'est abstenue de les
prendre en considération, cela impliquerait également une faute grave, parce qu'il n'est pas admissible d'apprécier les aptitudes d'un agent, qui, pendant des années, a travaillé pour la Commission de façon louable, sur la seule base de son rendement pendant une période relativement courte.
Somme toute, nous en arrivons a constater qu'à plusieurs points de vue l'avis de la Commission d'intégration donne lieu à des critiques quant à son bien-fondé. Il ne doit donc pas être pris en considération comme base pour la fixation de la position administrative du requérant, avec cette conséquence que la Commission ne pourra statuer sur son classement définitif qu'après que la procédure d'intégration ait été recommencée régulièrement. D'ici là, le requérant a droit aux émoluments résultant de
son contrat d'engagement précédent.
III — Conclusion
En résumé, nous concluons comme suit:
Il convient de faire droit à la première demande, visant l'annulation de la décision de titularisation en tant qu'elle prévoit le classement du requérant au grade A 5. La deuxième demande, visant l'annulation de tous les actes de la procédure d'intégration du requérant ainsi que de l'avis de la Commission d'intégration, doit être rejetée comme irrecevable. Quant aux dépens, à notre avis, cette constatation ne doit pas entraîner de conséquences au désavantage du requérant, parce que le contenu de la
deuxième demande peut être considéré comme un ensemble de moyens présentés à l'appui de la première. Bien que des moyens aient été retirés, nous proposons également de ne pas statuer sur les dépens au détriment du requérant, étant donné qu'à notre avis il doit triompher dans ses revendications principales. C'est donc la Commission de l'Euratom qui devrait supporter tous les dépens.
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( 1 ) Traduit de l'allemand.