La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/02/1964 | CJUE | N°27-63

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 6 février 1964., M. Goffredo Raponi contre Commission de la Communauté économique européenne., 06/02/1964, 27-63


Conclusions de l'avocat général

M. KARL ROEMER

6 février 1964

Traduit de l'allemand

SOMMAIRE

Page
  Introduction


  ...

Conclusions de l'avocat général

M. KARL ROEMER

6 février 1964

Traduit de l'allemand

SOMMAIRE

Page
  Introduction
  I — Remarques sur la procédure
  1. Droit de recours
  2. Dénomination de la partie défenderesse
  II — Les différents moyens de recours
  1. La nécessité de compléter par des règlements les règles sur les promotions
  a) L'article 45 du statut du personnel exige-t-il l'adoption de modalités d'application?
  b) La Commission est-elle obligée de fixer préalablement des critères comparatifs pour juger les candidats à une promotion?
  c) Les promotions ne sont-elles possibles qu'après la description des emplois (article 5 du statut du personnel)?
  2. Moyens relatifs à la décision de promotion elle-même
  a) Défaut de motivation
  b) Vices dans l'appréciation des faits
  III — Résumé et résultat

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Le requérant dans cette affaire qui fait aujourd'hui l'objet de nos conclusions est au service de la Commission de la C.E.E. depuis le 1er juin 1959. Selon ses indications, il a dirigé successivement deux des cinq divisions de la direction «affaires intérieures» et, au moment où il a formé son recours, il était classé au grade A 3 en qualité de chef de la division «traduction, reproduction et diffusion des documents».

A la suite d'un avis de vacance publié le 30 août 1962, il a posé sa candidature, en même temps que quatre autres fonctionnaires de la Communauté, au poste vacant de directeur des affaires intérieures auprès de la direction générale de l'administration (grade A 2). Cependant, par décision du 13 février 1963, la Commission a nommé par voie de promotion un autre candidat au poste mis au concours.

Pour différentes raisons, le requérant estime cette décision illégale et il demande à la Cour de l'annuler.

Pour motiver son recours, il invoque le fait qu'avant d'appliquer les règles de promotion énoncées dans le statut du personnel, la Commission a négligé de les compléter à l'aide d'actes réglementaires. En outre, la décision de promotion est entachée d'un défaut de motivation et elle repose sur une fausse appréciation des faits.

I — Remarques sur la procédure

Avant d'examiner ces moyens en détail, deux remarques sur la procédure nous semblent nécessaires.

1. La première concerne le droit de recours et elle peut être très brève. Nous nous trouvons en effet devant la question de savoir si un recours est recevable lorsqu'un concurrent du nouveau promu attaque la décision de promotion.

La Commission n'a soulevé aucune objection sur ce point et nous croyons que la Cour doit approuver son attitude. Certes, tous les États membres ne connaissent pas ce droit de recours, ce que le représentant de la Commission a fait remarquer à juste titre. Mais la définition du droit de recours à l'article 91 du statut du personnel est si générale que, pour le droit de la Communauté, nous pouvons parfaitement imiter la pratique généreuse du droit français dans l'intérêt de la protection
juridictionnelle des fonctionnaires. Renvoyons sur ce point à Grégoire, La fonction publique, 1954, page 91, qui donne aussi des références de jurisprudence française, et nous proposons en conséquence de considérer que les décisions de promotion constituent, elles aussi, des «actes faisant grief», au sens de l'article 91 du statut du personnel, à l'égard des candidats qui n'ont pas été promus à un poste vacant.

2. D'un autre côté, il nous semble indiqué de dire un mot sur la dénomination de la partie défenderesse.

En effet, le requérant dirige son recours non seulement contre la Commission mais aussi contre la Communauté en tant que telle et il en tire des conséquences sur le plan de la procédure.

A notre avis, il n'existe aucune raison de déroger à la pratique actuelle de la Cour qui a toujours considéré que c'étaient les institutions et non pas les communautés qui étaient parties au procès.

Même si l'article 91 du statut du personnel parle de «litiges opposant la Communauté à l'une des personnes visées au présent statut», à notre avis cela ne veut pas dire que les recours du personnel doivent être dirigés contre la Communauté qui alors, et ce serait une conséquence logique, devrait être représentée, en tant que partie, par la Commission, d'après la règle générale de l'article 211 du traité C.E.E. Comme l'a remarquablement exposé mon estimé collègue, M. Lagrange, dans l'affaire 25-60
(Recueil, VIII, p. 69 et s.), l'article 211 concerne un autre cas, celui des relations juridiques de la Communauté vers l'extérieur, ce qu'on pourrait appeler la «vie civile» de la Communauté. L'appliquer au droit du personnel aurait pour résultat que la défense en justice des droits découlant du statut du personnel se trouverait entre les mains de la Communauté, tandis que leur exercice à l'égard des fonctionnaires serait confié aux différentes institutions, résultat manifestement dépourvu de
sens et par conséquent inacceptable. Le fait que les auteurs du statut du personnel ne l'aient pas envisagé me semble découler de l'article 91 du statut du personnel lui-même qui, au paragraphe 2, dans le cas d'un recours en carence formé après avoir saisi l'institution compétente, parle expressément d'un recours contre cette décision, ce qui ne peut vouloir dire qu'une chose: contre l'institution qui l'a prise. En faveur de cette conception et de la pratique actuelle de la Cour, on peut invoquer
en outre l'article 21 du statut de la Cour qui parle «d'institutions qui ne sont pas parties au procès». Cela nous semble prouver qu'en principe, dans le système juridique du traité, les parties au procès sont les institutions et non pas la Communauté.

Dans le cas d'espèce, il est vrai, il n'en résulte pas de conséquences pour la procédure ni même pour les dépens. En visant deux destinataires dans son recours, le requérant cherchait avant tout à avoir accès aux travaux préparatoires du statut du personnel dont ce n'est pas la Commission mais seulement le Conseil qui dispose. Mais, comme il s'agit là de documents non publiés, leur utilisation pour l'interprétation du statut du personnel ne peut en outre pas être admise. Du reste, cette question
peut se résoudre en continuant à ne mentionner dans l'en-tête de l'arrêt de la Cour que l'institution défenderesse et non la Communauté économique.

II — Les différents moyens de recours

Venons- en aussitôt aux différents moyens de recours, parmi lesquels nous examinerons tout d'abord ceux qui visent le fait que le statut du personnel n'a pas été complété par des règles d'application.

1. Dans la conception du requérant, la Commission aurait dû agir sur un triple plan avant d'adopter sa décision de promotion.

— Elle aurait dû prendre des dispositions générales d'application pour la règle sur les promotions de l'article 45.

— Elle aurait dû fixer les critères comparatifs permettant de procéder au choix parmi les concurrents.

— Elle aurait dû procéder à la «description du poste» mis au concours, prévue à l'article 5 du statut du personnel.

a) En ce qui concerne la nécessité de prendre des mesures d'application pour l'article 45, la disposition finale du statut du personnel, à l'article 110, n'indique que de manière générale par qui et selon quelle procédure ces mesures doivent être prises. Par contre, il n'y figure aucune indication relative aux règles du statut du personnel qui doivent être complétées par des dispositions d'exécution.

Nous devons donc examiner de plus près l'article 45 pour éclaircir la question ainsi posée. Nous y trouvons notamment les indications suivantes: «La promotion est attribuée par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Elle entraîne pour le fonctionnaire la nomination au cadre supérieur de la catégorie et du cadre auxquels il appartient. Elle se fait exclusivement, au choix, parmi les fonctionnaires justifiant d'un minimum d'ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites
des fonctionnaires ayant vocation à la promotion ainsi que des rapports dont ils ont fait l'objet.»

La lecture de l'article 45 fait tout d'abord apparaître qu'aucun renvoi explicite n'est fait à des mesures d'exécution à prendre. Si on le compare avec l'article 43 du même chapitre, où se trouve un tel renvoi, cela justifie tout au moins cette conclusion que la thèse du requérant en est affaiblie, même si les arguments de forme de ce genre n'ont pas une valeur particulière.

Ce résultat est renforcé par un examen d'autres dispositions du statut qui laissent voir avec netteté la nécessité de le compléter à l'aide de mesures d'exécution, comme par exemple l'article 2 sur la désignation de l'autorité investie du pouvoir de nomination, l'article 5 sur la description des emplois, les articles 16, 55, 59, etc.

Mais si l'article 45 n'est pas rédigé de la sorte, si donc la volonté des auteurs du statut du personnel de compléter l'article 45 par voie législative avant sa mise en application n'apparaît pas directement sous une forme décisive dans cette disposition, la thèse du requérant ne pourrait présenter de la valeur que s'il prouvait que le système de promotion, tel que le statut du personnel le prévoit, implique logiquement, par la nature même des choses, que des dispositions normatives viennent
le compléter.

Or, nous croyons que cette preuve n'a pas été apportée.

Certes, l'examen des droits nationaux nous montre que certains États membres connaissent des systèmes de promotion comportant une réglementation très détaillée de la procédure, provoquant un certain automatisme et renforçant la vocation de certaines personnes à une promotion. Il en est ainsi, tout au moins dans une certaine mesure, en France, où le droit des fonctionnaires connaît la «liste d'aptitude» ( 1 ), en Belgique, où le «signalement», la «notation» jouent un rôle semblable ( 2 ), ou en
Italie ( 3 ).

Mais, d'un autre côté, nous voyons des systèmes juridiques dont les règles de promotion ne sont pas sensiblement plus détaillées que celles du statut du personnel des Communautés. Selon le droit allemand de la fonction publique, par exemple, les promotions sont accordées en fonction de l'aptitude, des qualités professionnelles et des services rendus, et sous réserve du respect de certaines dispositions sur l'ancienneté de service et l'âge ( 4 ). Les commentaires ( 5 ) affirment à ce sujet que
le pouvoir discrétionnaire de l'administration joue un rôle décisif dans l'exercice du droit de promotion et que la réglementation de la procédure de choix est réservée à l'administration. Sauf erreur, c'est un système semblable qui est en vigueur aux Pays-Bas ( 6 ).

En conséquence, et c'est là l'essentiel de ces considérations, il ne peut y avoir une nécessité tenant à la nature des choses de préciser et de concrétiser les règles de promotion.

Mais il ne nous semble pas prouvé, comme le requérant le pense, que le système de la Communauté soit à l'image du système italien dans tous ses détails ou tout au moins dans les plus importants d'entre eux, sur le plan technique et procédural. La légère coïncidence entre certaines formules de l'article 45 et des dispositions du statut de la fonction publique italienne, soulignée par le requérant au cours de l'audience publique, serait à tout le moins insuffisante pour renforcer une pareille
thèse.

Nous estimons donc avec la Commission que l'article 45 du statut du personnel peut être appliqué directement et sans adoption préalable de dispositions d'application. Faute de points de rattachement suffisants en faveur de l'opinion contraire, nous devons donc admettre que, selon la volonté des auteurs du statut du personnel, c'est à la pratique administrative et sous le contrôle de la Cour de développer une procédure de promotion utilisable avec toutes les garanties juridiques nécessaires
pour les intéressés.

b) Cela fait tomber aussi l'essentiel du deuxième argument, selon lequel la Commission aurait été obligée de fixer à l'avance les critères comparatifs d'appréciation sur les candidats et d'indiquer l'importance relative à attribuer aux différents éléments.

L'article 45 décide seulement que la promotion se fait au choix après examen comparatif des mérites et des rapports sur les candidats; l'avis de vacance indique à cet effet les critères pour la formation préalable nécessaire, les expériences pratiques et les aptitudes. Mais il n'exige pas une énumération limitative de tous les éléments déterminants de l'appréciation ni une indication des critères prioritaires, car une procédure de choix objective peut être garantie même sans que les critères
de choix aient été fixés de façon aussi détaillée. En outre, la Commission souligne à juste titre que la thèse du requérant aboutirait à limiter considérablement son pouvoir discrétionnaire et fausserait ainsi le système de promotion de l'article 45. Ce n'est que si elle est libre de tenir compte dans son choix de tous les points de vue objectifs et de les mettre mutuellement en balance, donc aussi, le cas échéant, de ceux qui n'apparaissent que dans le concours, qu'elle peut réellement
choisir les candidats les plus capables pour les besoins du service. Si on applique ce principe de façon générale, il devrait prendre une valeur toute particulière pour les promotions au poste du grade A 2 pour lequel l'autorité investie du pouvoir de nomination jouit d'une très large liberté, même pour la nomination.

c) Enfin, il faut examiner encore l'argument selon lequel la Commission aurait dû «décrire les emplois», d'après l'article 5 du statut du personnel, avant de procéder à une désignation à un poste par voie de promotion. Selon le requérant, l'examen comparatif des mérites des candidats, prévu à l'article 45, ne peut se faire de manière objective que lorsqu'il existe un critère établi conformément aux règles du statut, c'est-à-dire une «description des emplois».

Nous estimons avec la Commission que l'argument vise évidemment l'avis de vacance du 30 août 1962 qui indique les fonctions correspondant au poste mis au concours et les aptitudes dont les candidats devaient donc faire preuve. Manifestement, dans l'idée du requérant, les critères alors fixés ne répondent pas aux exigences du statut.

Mais s'il en est ainsi, il faut se demander si cet argument peut encore être discuté au cours du procès actuel. Des doutes sérieux se font alors jour. A l'inverse de ce que pense le requérant, un «avis de vacance» constitue non seulement un acte préparatoire mais aussi une décision obligatoire. Cela résulte du texte de l'article 4 du statut du personnel et aussi de l'examen de la nature de l'avis de vacance. Dans ce dernier, l'autorité investie du pouvoir de nomination indique que tel poste
doit être occupé et elle indique de façon obligatoire selon quels points de vue elle entend y pourvoir. Celui donc qui n'attaque pas un avis de vacance alors qu'il l'estime illégal et contraire à ses intérêts ne peut ultérieurement y revenir en attaquant la décision de promotion, et il ne peut pas le faire non plus en opposant l'exception d'illégalité qui, selon la conception générale, ne permet d'attaquer que des actes normatifs.

Mais, même indépendamment de ces considérations de procédure, l'argument du requérant ne pourrait prévaloir. Pour différentes raisons, on ne peut admettre que la Commission ne puisse procéder à des promotions qu'après l'achèvement des travaux prévus à l'article 5 pour la description des différents emplois.

D'une part, il n'était pas possible d'établir en peu de temps une description détaillée des emplois, ce que la pratique a montré et ce à quoi il y avait lieu de s'attendre d'ores et déjà, compte tenu de la complexité du travail et des autres tâches permanentes des institutions. Renoncer à toute promotion jusqu'à son achèvement, même si elle portait sur un poste aux fonctions bien déterminées, ne donnant lieu à aucune critique, cela aurait non seulement entravé la machine administrative, mais
cela aurait été aussi inconciliable avec l'article 108 du statut du personnel qui prévoyait expressément des promotions au cours de la première année suivant l'entrée en vigueur du statut (et même dans des conditions plus faciles).

D'un autre côté, on ne voit pas comment une description générale des emplois selon l'article 5 du statut du personnel accroîtrait les garanties des candidats à une promotion. Même en son absence, il a toujours été possible, dans tel ou tel cas particulier, de veiller à une rédaction correcte et objective de la description du poste. Si cette description ne correspondait pas aux exigences qu'il fallait imposer dans l'intérêt de l'égalité de traitement des fonctionnaires, elle pouvait être
attaquée et son annulation pouvait être demandée par voie contentieuse.

Nous pensons donc que le troisième argument du requérant tendant à l'annulation de la décision attaquée n'est pas non plus suffisant.

2. Il ne reste donc plus que les moyens relatifs aux vices qui entacheraient la décision de nomination elle-même, c'est-à-dire le grief de défaut de motivation et celui de fausse appréciation des faits.

a) Défaut de motivation

Selon l'article 25 du statut du personnel, toute décision individuelle prise en application du statut doit être communiquée par écrit aux fonctionnaires intéressés et toute décision faisant grief doit être motivée. Le requérant déduit de cette disposition, conjointement avec cette constatation — exacte —, que les décisions de promotion doivent être considérées, pour les candidats qui n'ont pas été retenus, comme un acte faisant grief au sens de l'article 91 du statut du personnel (droit de
recours), l'obligation pour l'autorité investie du pouvoir de nomination de motiver également les décisions de promotion.

Personne ne pourra nier que cette déduction apparaît séduisante au premier regard. Mais en même temps on se demandera avec inquiétude si, en fait, la longue pratique administrative des institutions communautaires, qui correspond dans une large mesure à la pratique des administrations nationales, a été illégale par suite du non-respect permanent de l'obligation de motiver.

Avant de donner une réponse définitive, considérons le problème de plus près.

Tout d'abord on peut se demander à juste titre si la notion d'«acte faisant grief» a réellement le même sens aux articles 25 et 91 du statut du personnel.

Dans un cas, elle sert à définir le droit de recours, donc à instaurer le contrôle juridictionnel de l'acte administratif, droit qui, à l'instar de la pratique française, est extrêmement large et pour lequel une atteinte aux intérêts est suffisante. Dans l'autre cas (article 25), il oblige l'administration à un comportement actif, c'est-à-dire à indiquer des motifs pour un acte déterminé, avec cette conséquence que si cette obligation n'a pas été respectée, l'acte en question tombe sous le
coup de l'annulation sans que son contenu soit examiné.

On pourrait donc parfaitement soutenir qu'en raison des différences de leurs répercussions sur les agissements de l'administration, il serait justifié de donner, suivant le cas, un sens différent à la notion ci-dessus. Selon cette thèse, l'obligation de motiver, qui de toute façon s'applique dans le droit de la fonction publique non pas de façon générale mais sous une forme restreinte, serait limitée aux actes qui lèsent les droits des fonctionnaires, parmi lesquels on ne peut ranger les
décisions de promotion puisque le droit à promotion ne peut être reconnu.

D'un autre côté, le raisonnement suivant se fait jour: à tout le moins, l'obligation de motiver consiste aussi à informer la personne touchée par une décision de la base de fait et de droit de la décision. Si, dans le cas d'une décision de promotion, on admettait l'existence d'une obligation de la motiver au profit de candidats qui n'ont pas été retenus, il faudrait en même temps leur communiquer la décision de promotion si on veut avoir la certitude qu'ils en auront connaissance, parce que la
possibilité d'une publication intégrale de la décision de promotion avec tous ses éléments négatifs semble indiscutable. Mais cela entraînerait une surcharge des obligations de l'autorité investie du pouvoir de nomination. On pourra donc partir de l'idée que l'obligation de notifier qui fait l'objet de l'article 25, alinéa 1, du statut du personnel n'existe qu'à l'égard des personnes dont les droits sont touchés et non pas de toutes celles qui sont intéressées à la décision au sens du recours
en annulation, c'est-à-dire qu'il faut établir un rapport entre l'obligation de notifier et celle de motiver, en ce sens que l'obligation de motiver une décision n'existe qu'au profit du destinataire de la décision.

Comme en l'espèce, pour la personne qui est, en ce sens, le destinataire nécessaire de la décision, on ne peut parler d'une mesure faisant grief mais exclusivement d'une mesure créant des droits subjectifs, l'exposé des motifs pouvait faire défaut sans que l'article 25 du statut du personnel soit violé.

b) En ce qui concerne l'examen nécessaire des mérites que prévoit l'article 45 du statut du personnel, le requérant se plaint enfin que la Commission ait appuyé sa décision de promotion sur des éléments inexacts et qu'elle n'ait pas eu connaissance de tous les éléments nécessaires pour apprécier les mérites des différents candidats.

Cet argument, exposé à l'origine d'une manière aussi peu détaillée que possible, a été sensiblement renforcé par une réponse de la Commission du 14 juin 1963, questionnée par le requérant sur les critères comparatifs déterminants, ainsi que par la production des documents dont la Commission s'est servie pour préparer la décision attaquée. Cela amène à examiner de plus près la procédure de promotion.

Tout d'abord, il ressort des documents produits qu'au moment où la Commission a pris sa décision, elle n'avait pas en mains d'appréciations écrites sur l'activité des candidats à la promotion au service de la C.E.E.

Faut-il, comme le fait le requérant, en conclure que la décision de promotion est en tout cas illégale parce que, selon les règles du statut du personnel, une promotion ne peut intervenir qu'après la mise en œuvre du système d'appréciation prévu à l'article 43, ou bien la Commission a-t-elle raison lorsqu'elle fait valoir, par référence à l'article 108 du statut du personnel, qu'elle a pu renoncer, au moment de la promotion, aux rapports d'appréciation?

En ce qui concerne le point de vue juridique du requérant, nous croyons ne pas pouvoir le partager, compte tenu de la conception que nous avons énoncée au sujet de l'article 5 du statut du personnel. La pratique du statut des fonctionnaires de la C.E.C.A. a permis d'en déduire cette expérience que l'élaboration d'un système d'appréciation valable demanderait une assez longue période. Exclure purement et simplement les promotions pendant ce temps ne nous semble pas opportun, compte tenu de la
nécessité d'une saine administration.

Mais d'un autre côté la conception juridique de la Commission ne nous semble pas exacte non plus car, comme le requérant le souligne à juste titre, l'article 108 permet seulement, pendant une période transitoire déterminée, de déroger à la condition prévue à l'article 45 pour les promotions (ancienneté minimum de service du promu), mais elle ne justifie pas une renonciation à une procédure correcte d'examen. L'appréciation portée sur les services antérieurs des candidats en fait en tout cas
partie. Si elle n'est pas possible sur la base des rapports prévus à l'article 43, la Commission est obligée de chercher une solution de rechange utilisable et par exemple, dans le cas concret, de faire faire sur les candidats des rapports ad hoc qui, par leur objectivité et le soin avec lequel ils sont établis, puissent raisonnablement tenir lieu des rapports prévus à l'article 43.

Comme, dans le cas d'espèce, ces appréciations ont fait complètement défaut, bien que la Commission, comme elle le dit elle-même, ait jugé utile de procéder à une comparaison des mérites des candidats, il faut alors constater que la procédure de promotion est entachée d'un vice grave qui suffit déjà à justifier l'annulation de la décision de promotion.

Il s'y ajoute encore ceci: même s'il est certain que, pour les décisions de promotion, le pouvoir discrétionnaire de l'administration est déterminant dans une grande mesure, et que son exercice dans le cas particulier n'est pas soumis au contrôle juridictionnel dans tous ses détails, encore faut-il que l'autorité investie du pouvoir de nomination ait connaissance de tous les éléments déterminants qui peuvent présenter de la valeur pour une promotion. Une décision de promotion ne peut être
prise lorsque seule une partie des documents importants pour les candidatures a été examinée.

En ce sens, la procédure suivie donne lieu à des critiques. La consultation du dossier fait apparaître qu'avant la séance décisive du 13 février 1963 les membres de la Commission ont reçu une communication du président qui devait servir à les mettre au courant des candidatures reçues. Cette communication, il est vrai, ne contient qu'un relevé des noms des candidats et, pour chacun d'entre eux, un résumé de leur curriculum vitæ.

En ce qui concerne la personne du requérant, ce dernier, sans être contredit, a pu exposer au cours des débats que ce résumé de sa carrière ne correspond pas à celui qu'il a remis lors de son entrée en fonctions et lorsqu'il a présenté sa candidature. Il fait valoir que non seulement ce résumé contient quelques inexactitudes mais qu'il révèle aussi de graves omissions. Par exemple, le début de sa carrière de fonctionnaire national a été indiqué de façon inexacte (1947 au lieu de 1935), toute
indication sur ses décorations, prix et publications est absente de son curriculum vitæ, à l'encontre de ce qui a été fait pour le candidat qui a été nommé, et aucune mention n'est faite de l'intérim que le requérant a assumé pendant plusieurs mois pour le poste mis au concours.

Il s'agit là, de toute évidence, d'éléments qui sont de nature à jouer un rôle dans le jugement porté sur son aptitude à occuper ce poste.

Il n'est pas prouvé que les membres de la Commission aient cependant eu connaissance de ces éléments lorsqu'ils ont procédé à cette promotion, car nous ne pouvons pas admettre qu'ils soient toujours en possession de connaissances précises sur les fonctionnaires, même dans les postes les plus élevés, ni qu'ils se soient procuré les renseignements nécessaires et complets dans les dossiers individuels des candidats avant de prendre la décision attaquée.

En conséquence, la Cour ne peut pas constater que les membres de la Commission ont été suffisamment informés avant de prendre leur décision de promotion.

Cette faute est d'autant plus grave que le curriculum vitæ du candidat bénéficiaire de la promotion a été dressé avec beaucoup plus de détails, ce qui, compte tenu de la différence d'âge, devait nécessairement défavoriser le requérant.

Enfin, ce dernier a encore raison sur le fait que la lecture des documents produits par la Commission ne permet pas de constater si la condition de connaissances linguistiques posée pour le poste en question par l'avis de vacance a fait l'objet d'un examen.

Tous ces éléments, certes, ne permettent pas de soulever le grief de détournement de pouvoir, en ce sens que la décision attaquée a été sciemment mal fondée; mais cependant ils font apparaître des vices tellement graves dans la procédure d'examen que la décision de promotion elle-même apparaît entachée d'un vice, parce qu'il est impossible d'exclure qu'elle n'aurait pas abouti à un résultat autre si l'examen avait été correctement fait. La Cour devra donc annuler la décision de promotion, sans
qu'il soit nécessaire d'examiner les conclusions du requérant tendant à la production d'un procès-verbal intégral et du dossier personnel du bénéficiaire de la promotion.

III — Résumé et résultat

Nous concluons en conséquence à ce que la Cour fasse droit à la requête, à ce qu'elle annule la décision attaquée, à ce qu'elle condamne la Commission aux dépens et à ce qu'elle renvoie l'affaire pour nouvel examen.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Cf. lois du 19 octobre 1946, du 23 avril 1952, ordonnances des 4 février 1959 et 4 juin 1959; Plantey, Traité pratique de la fonction publique, 1963, tome II, p. 422, 434 et s.

( 2 ) Statut du 2 octobre 1937, arrêté royal du 7 août 1939, conjointement avec l'arrêté royal du 2 octobre 1937; Vauthier, Précis du droit administratif de la Belgique, 1950, tome I, p. 110 et s.

( 3 ) Zanobini, Corso di diritto amministrativo, 1955, tome 3, p. 332 et s.; Vitta, Divitto amministrativo, 1955, tome II, p. 324.

( 4 ) Loi sur les fonctionnaires fédéraux, texte du 1er octobre 1961, BGBl. II, 1801, paragraphes 8 et 23; principes sur le recrutement, l'emploi et la promotion BGBl. 1951, I, p. 38; ordonnance sur la carrière des fonctionnaires fédéraux,, texte du 2 août 1961, BGBl. I, 1173, paragraphes 9, 27, 33.

( 5 ) Von Plog-Wiedow, note 4 sous le paragraphe 25, note 11 sous le paragraphe 8.

( 6 ) Article 13 a du «Algemeen Rijksambtenarenreglement» du 12 juin 1931, texte du 26 juillet 1963, reproduit dans Jeukens — van der Horst — Roelofs, Ambienarenrecht, tome II.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27-63
Date de la décision : 06/02/1964
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : M. Goffredo Raponi
Défendeurs : Commission de la Communauté économique européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Lecourt

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1964:6

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award