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11/02/1960 | CJUE | N°27-58,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 11 février 1960., Compagnie des hauts fourneaux et fonderies de Givors et autres contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier., 11/02/1960, 27-58,


Conclusions de l'avocat général

M. KARL ROEMER

11 février 1960

Traduit de l'allemand

SOMMAIRE

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  I. Introduction


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Conclusions de l'avocat général

M. KARL ROEMER

11 février 1960

Traduit de l'allemand

SOMMAIRE

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  I. Introduction
  1) Objet du procès
  2) Recevabilité
  3) Autres questions de recevabilité, notamment le respect des délais de recours
  II. Les décisions attaquées doivent-elles être annulées en raison de l'expiration de la période de transition?
  1) Preuve de l'adoption des décisions
  2) Quelle est l'influence de l'expiration de la période de transition sur les pouvoirs de la Haute Autorité?
  a) Portée du paragraphe 10, alinéa 7, de la convention
  b) Rapports entre le paragraphe 10, alinéa 7, et le paragraphe 23 de la convention
  c) Notification des décisions attaquées après l'expiration de la période de transition
  III. Participation de la Commission d'experts à l'examen des tarifs spéciaux préexistants selon le paragraphe 10, alinéa 7, de la convention
  IV. Les décisions attaquées doivent-elles être annulées pour violation du traité?
  1) Remarques générales sur l'interprétation de l'article 70 du traité.
  a) L'interprétation de l'article 70, alinéa
  b) L'interprétation de l'article 70, alinéa
  2) L'application de l'article 70, alinéa 4, au cas d'espèce
  a) Le principe de l'article
  b) L'interdiction de subvention de l'article
  c) L'article 67 du traité
  d) Égalité d'accès à la production
  e) La formation des prix les plus bas
  f) Expansion et amélioration de la production
  g) Choix du point de parité
  h) L'approvisionnement régulier du marché commun
  i) Les exigences de la politique régionale
  k) Le principe du maintien du trafic
  3) Conclusion
  4) Les délais accordés pour modifier les tarifs spéciaux
  V. Conclusions générales

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Dans le cadre des procès sur les tarifs de transport dont la Cour est saisie, nous avons aujourd'hui à vous présenter nos conclusions dans les trois affaires jointes 27, 28 et 29-58. Ces procédures concernent le recours de la «Société d'exploitation minière des Pyrénées», S. A., Ollette (Pyrénées-Orientales) qui exploite du minerai de fer dans ce département, le recours du plus important client de cette société, la «Compagnie des hauts fourneaux et fonderies de Givors, Établissements Prenat», S. A.,
Givors (Rhône), et enfin le recours de la «Compagnie des ateliers et forges de la Loire», S. A., Saint-Étienne.

I — INTRODUCTION

1) Objet du procès

Ces trois entreprises ont attaqué deux décisions de la Haute Autorité :

a) La «Compagnie des hauts fourneaux et fonderies de Givors» et la «Société d'exploitation minière des Pyrénées» ont attaqué une décision prescrivant notamment

la suppression progressive de certains tarifs spéciaux de la S.N.C.F. pour le transport du minerai de fer à partir des mines de la France de l'Ouest et des Pyrénées

(c'est la décision de la Haute Autorité du 9 février 1958, notifiée au gouvernement français par lettre du 12 février 1958 et publiée au Journal officiel du 3 mars 1958, p. 127);

b) La «Compagnie des ateliers et forges de la Loire» a attaqué une décision prescrivant

la suppression progressive de certains tarifs spéciaux de la S.N.C.F. pour le transport de combustibles minéraux

(décision de la Haute Autorité du 9 février 1958, notifiée également au gouvernement français par lettre du 12 février 1958 et publiée au Journal officiel du 3 mars 1958, p. 111).

2) Recevabilité

Dans la procédure écrite, la Haute Autorité a déjà opposé l'irrecevabilité aux conclusions entièrement concordantes des deux premières entreprises que nous ne désirons pas rappeler ici, dans la mesure où elles visent des passages de la décision qui ne concernent pas les tarifs spéciaux intéressant les requérantes (no 5, a et b, de la décision). Les requérantes ne se sont pas prononcées sur cette exception au cours de la procédure écrite. Mais questionnées à ce sujet, lors des débats oraux, elles ont
reconnu l'exactitude de cette constatation et elles se sont déclarées d'accord pour admettre que ces passages de la décision n'étaient pas en litige. Cette déclaration des requérantes, qui limite les conclusions primitives, doit être considérée comme un désistement partiel. La Cour n'a donc plus à examiner cette partie des conclusions.

3) Autres questions de recevabilité, notamment le respect des délais de recours

Les questions de recevabilité ne soulèvent aucun problème spécial.

Les recours visent des décisions individuelles de la Haute Autorité qui concernent directement les requérantes. Comme les décisions n'ont pas été notifiées ou communiquées aux requérantes, c'est leur publication au Journal officiel des Communautés qui fait courir le délai de recours. En partant de cette date, et compte tenu des dispositions du traité et de l'ancien règlement de procédure de la Cour qui est encore applicable ici, on en arrive à cette conclusion que les recours ont bien été formés
dans les délais.

Après ces brèves remarques préalables, nous pouvons en venir tout de suite aux points litigieux.

II — LES DÉCISIONS ATTAQUÉES DOIVENT-ELLES ÊTRE ANNULÉES EN RAISON DE L'EXPIRATION DE LA PÉRIODE DE TRANSITION ?

Tout comme dans les procès relatifs aux tarifs spéciaux allemands, le premier point à résoudre ici par la Cour, c'est de savoir si les décisions de la Haute Autorité ont été prises en temps voulu, c'est-à-dire avant l'expiration de la période de transition ou bien si elles doivent être annulées, cette condition n'ayant pas été respectée.

Ce qui est tout d'abord à noter dans cette affaire, c'est que les griefs des requérantes ont été modifiés sur ce point pendant la procédure écrite. Les requêtes disent en effet que :

«les pouvoirs conférés par la convention — paragraphe 1 et paragraphe 10 — à la Haute Autorité … étaient expirés lorsque celle-ci a, par lettre du 12 février 1958, … notifié … son refus»,

mais on lit ceci dans le second mémoire :

«Tout le problème est de savoir si la décision, à elle seule, fait foi de sa date, si la simple indication d'une date confère à celle-ci le caractère d'une date certaine … S'agissant de décisions individuelles, la date certaine résultera de la notification.»

Sous sa seconde forme, le grief ne porte donc que sur le mode de la preuve qu'une décision a été prise à un moment donné.

1) Preuve de l'adoption des décisions

Si l'on n'envisage que ce dernier point de vue, la solution de la question, à notre avis, peut à peine faire de difficultés. A rencontre de ce qui se passe en droit privé, il existe pour les actes publics le principe qu'à défaut de règles spéciales ils font foi dans toutes leurs parties, c'est-à-dire qu'ils bénéficient d'une présomption de véracité tant que le contraire n'est pas prouvé. Ce principe existe en droit français (v. Waline, «Droit administratif», 8e éd., p. 865), et on le retrouve aussi,
par exemple, en droit administratif allemand (v. Turegg, «Lehrbuch des Verwaltungsrechts», 3e éd., p. 22). Notamment, ni dans les droits administratifs nationaux ni dans le traité C.E.C.A., la notification n'a à apporter la preuve qu'un acte administratif a été pris à un moment donné. Si donc les lettres de la Haute Autorité au gouvernement français qui ont été attaquées indiquent que les décisions de la Haute Autorité ont été prises le 9 février 1958, cette constatation est valable tant qu'aucun
fait n'a été exposé pour la réfuter.

2) Quelle est l'influence de l'expiration de la période de transition sur les pouvoirs de la Haute Autorité ?

La question prend un autre aspect si on admet qu'un acte administratif ne serait pris qu'au moment où il serait notifié. En partant de cette thèse, la circonstance que les décisions attaquées ont bien été adoptées par la Haute Autorité avant l'expiration de la période dé transition, mais n'ont été notifiées au gouvernement français qu'après cette date, prend de la valeur. Il faut alors se demander si l'expiration de la période de transition est d'une importance décisive pour les pouvoirs de la Haute
Autorité en matière de tarifs spéciaux et, dans l'affirmative, si la «théorie de la réception» défendue par les requérantes dans les requêtes doit être acceptée pour les décisions de la Haute Autorité.

Il résulte de l'exposé des motifs des décisions attaquées que la Haute Autorité les a basées sur l'article 70 du traité et sur le paragraphe 10 de la convention. La période de transition a pris fin le 9 février 1958 à minuit. C'est là un fait incontesté et objectivement exact, comme les dispositions de la convention elle-même (paragraphe 1, no 4, paragraphe 8), conjointement avec la lettre de la Haute Autorité du 7 février 1953 (Journal officiel de la C. E. C.A., p. 5), le prouvent clairement. A la
fin de la période de transition, les dispositions de la convention relative aux dispositions transitoires (indépendamment des exceptions explicites) ont cessé d'être applicables. Les mesures d'exécution perdent leur effet au même moment (paragraphe 1, no 5, de la convention).

Comme aucune exception n'est prévue au paragraphe 10 (à l'exception de l'alinéa 9 qui ne nous intéresse pas ici), l'alinéa 7 du paragraphe 10, c'est-à-dire la disposition relative aux tarifs spéciaux préexistants, n'est donc plus applicable après la fin de la période de transition.

Avant de pouvoir en tirer de nouvelles conclusions, il faut d'abord analyser exactement la portée de cette disposition.

A — PORTÉE DU PARAGRAPHE 10, ALINÉA 7, DE LA CONVENTION

L'alinéa 7 du paragraphe 10 réglemente deux points :

a) Les mesures tarifaires visées à l'article 70, alinéa 4, en vigueur lors de l'institution de la Haute Autorité doivent être notifiées à cette dernière; il s'agit là de mesures tarifaires intérieures spéciales dans l'intérêt d'une ou plusieurs entreprises productrices de charbon et d'acier;

b) La Haute Autorité doit accorder pour leur modification les délais nécessaires pour éviter des perturbations économiques graves.

En l'espèce, seule la seconde partie de cette disposition nous intéresse. Son sens peut s'analyser de façon différente :

a) L'alinéa 7 est une règle qui habilite la Haute Autorité à exiger les modifications de tarifs préexistants;

b) L'alinéa 7 oblige la Haute Autorité à examiner les tarifs spéciaux préexistants avant l'expiration de la période de transition et, le cas échéant, à exiger leur modification sans limiter à ce délai le pouvoir de la Haute Autorité;

c) L'alinéa 7 consiste uniquement à donner à la Haute Autorité la possibilité d'accorder des délais de sauvegarde.

Le sens et la portée de cette disposition ne peuvent se déterminer qu'en faisant appel au texte même du traité et en confrontant la convention avec le traité stricto sensu.

En effet, selon le paragraphe 1 de la convention, les dispositions du traité sont applicables dès son entrée en vigueur sous réserve des dérogations et dispositions complémentaires prévues par la convention. Celles-ci cessent d'avoir effet à l'expiration de la période de transition.

Il faut donc constater exactement ce qui, dans la convention, constitue une dérogation au traité ou une disposition complémentaire.

Pour les tarifs spéciaux, la question est donc la suivante :

Le paragraphe 10, alinéa 7, ordonne-t-il une modification de certains tarifs spéciaux ou bien l'ordre de modifier ces tarifs se trouve-t-il dans le traité lui-même et est-il sous-entendu au paragraphe 10, alinéa 7, de la convention?

En faveur de la seconde possibilité, il y a tout d'abord le texte de l'alinéa 7. Si le contenu normatif de cette disposition servait à fonder ce pouvoir d'ordonner la modification des tarifs spéciaux, celle-ci ne serait pas seulement mentionnée presque en passant, comme en l'espèce, dans une phrase dont le principal objet est d'autoriser des délais pour la modification.

Mais ce qui est surtout important, c'est que le traité lui-même contient quelques dispositions qui, d'après leur sens et leur but, peuvent également s'appliquer aux tarifs spéciaux.

Voici l'article 4 du traité :

«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté :

b) Les mesures ou pratiques établissant une discrimination entre producteurs, entre acheteurs ou entre utilisateurs, notamment en ce qui concerne les … tarifs de transports …

c) Les subventions … accordées par les États …»

Nous n'avons pas besoin de mentionner ici que, d'après la jurisprudence de la Cour, l'article 4 n'est pas seulement un programme mais qu'il constitue aussi du droit directement applicable, avec effet obligatoire pour les États et les entreprises et que ses dispositions sont applicables de façon indépendante lorsqu'elles n'ont pas été reprises dans d'autres passages du traité. Mais nous voudrions faire remarquer que la convention contient, à propos des ententes, une disposition aux termes de laquelle
les interdictions énoncées à l'article 65 ne deviennent applicables qu'à l'expiration du délai fixé par la Haute Autorité (§ 12). Certes, ce n'est pas le même texte qui a été choisi au paragraphe 10 pour les tarifs spéciaux, mais c'est la même idée: la Haute Autorité peut repousser l'application des règles d'interdiction du traité en fixant des délais. Il en résulte que c'est le traité lui-même qui exige la suppression des tarifs spéciaux lorsqu'ils ne remplissent pas les conditions de l'article 70,
alinéa 4. La convention n'a pas introduit le pouvoir pour la Haute Autorité d'exiger la suppression des tarifs spéciaux.

La tâche de la Haute Autorité c'est d'examiner les déclarations relatives aux tarifs spéciaux et lorsqu'elle est amenée à conclure que ces tarifs ne sont pas conformes aux principes du traité et que le traité ordonne donc leur suppression, elle tempère la rigueur d'application de ces dispositions en accordant des délais en fonction des circonstances d'espèce. D'après la convention relative aux dispositions transitoires, c'est là le seul pouvoir de la Haute Autorité en matière de tarifs spéciaux
préexistants. Il est donc inexact de parler d'une autorisation donnée aux tarifs spéciaux préexistants qui sont conformes au traité. Juridiquement, une telle autorisation n'est pas nécessaire et, par conséquent, elle n'est pas mentionnée non plus à l'alinéa 7 du paragraphe 10.

En admettant pour les tarifs spéciaux que seule la seconde phrase du paragraphe 10, alinéa 7, constitue une dérogation ou une disposition complémentaire de la convention par rapport aux dispositions du traité :

«La Haute Autorité devra accorder des délais pour la suppression des tarifs spéciaux incompatibles avec le traité.»

cette caractéristique du contenu normatif du paragraphe 10, alinéa 7, indique, en même temps, de façon claire ce qui s'est produit lorsque cette disposition a cessé d'être en vigueur après l'expiration de la période de transition: ce qui a disparu, c'est uniquement le pouvoir de la Haute Autorité d'accorder des délais selon l'alinéa 7 pour la suppression des tarifs spéciaux préexistants mais, par contre, il n'est pas possible de dire que les interdictions générales du traité ont cessé d'être
applicables à partir de ce moment-là aux tarifs spéciaux préexistants.

Quant à la thèse que, du fait du paragraphe 10, alinéa 7, l'obligation de supprimer les tarifs spéciaux que le traité impose directement aux gouvernements aurait été modifiée de telle façon qu'elle n'existerait que tant que la Haute Autorité exige la modification des tarifs, ni la convention ni le traité ne paraissent contenir le moindre indice en ce sens.

Tout au plus pourrait-on tirer du paragraphe 10, alinéa 7, de la convention une obligation pour la Haute Autorité de terminer l'examen des tarifs spéciaux préexistants au cours de la période de transition. Mais la non-exécution de cette obligation n'aurait pas pour conséquence que les interdictions énoncées au traité et dont la Haute Autorité doit assurer le respect cesseraient d'être applicables.

Il n'est pas possible à cet égard d'envisager une idée de déchéance, d'une part, parce que les négociations permanentes entre la Haute Autorité et les gouvernements avec la participation des entreprises ne pouvaient pas laisser penser que le régime antérieur des tarifs spéciaux serait maintenu et, d'un autre côté, parce qu'on ne peut parler de déchéance que pour des droits et des pouvoirs individuels et non pas pour des règles objectives énoncées dans le traité.

B — RAPPORTS ENTRE LE PARAGRAPHE 10, ALINÉA 7, ET LE PARAGRAPHE 23 DE LA CONVENTION

Au cours des débats oraux et pour la première fois d'ailleurs à cette occasion, nous semble-t-il, les requérantes ont introduit dans le débat cet argument que le paragraphe 23 de la convention (lequel prévoit des aides pour la réadaptation) devenant caduc avec la fin de la période de transition, il aurait fallu que les décisions de la Haute Autorité sur les tarifs spéciaux aient été prises suffisamment à temps avant la fin de la période de transition pour qu'il puisse encore être fait usage de ces
aides, le cas échéant. Or, rien dans la convention n'éveille l'idée d'une jonction entre ces deux dispositions de la convention, dans le sens allégué; de plus, cette thèse obligerait à faire expirer les délais de suppression des tarifs spéciaux en même temps que la période de transition. Car, en règle générale, ce n'est qu'après l'expiration du délai qu'on s'apercevra si la suppression des tarifs spéciaux entraîne la fermeture de l'entreprise. Or, le seul critère qu'on puisse indiquer pour les
délais à accorder d'après le paragraphe 10, alinéa 7, c'est la protection contre les perturbations économiques graves.

Nous pensons donc que cet argument n'est pas non plus de nature à limiter à la période de transition les modifications à apporter aux tarifs spéciaux préexistants.

C — NOTIFICATION DES DÉCISIONS ATTAQUÉES APRÈS L'EXPIRATION DE LA PÉRIODE DE TRANSITION

S'il apparaît donc que la fin de la période de transition n'a pas eu, en matière de tarifs spéciaux préexistants, les répercussions sur la compétence de la Haute Autorité que les requérantes allèguent, il n'y a plus de motif de se demander si une décision adoptée avant la fin de la période de transition est juridiquement valable si elle n'est notifiée que postérieurement : même dans des décisions qui entrent en vigueur après cette date, la Haute Autorité peut encore constater que certains tarifs
spéciaux ne sont pas conformes aux principes du traité et, par là même, faire savoir que le traité exige leur suppression. En outre, nous sommes persuadés que le traité lui-même permet d'accorder des délais, même après cette date: nous pensons là à l'article 2 qui prescrit d'éviter les troubles économiques fondamentaux et persistants, même si c'est assurément à des conditions plus sévères. En pareil cas, le passage des décisions qui accorde des délais (qui n'est pas attaqué par les requérantes, car
il s'agit d'une mesure favorable pour elles) ne devrait donc pas être annulé faute d'une compétence de la Haute Autorité à cet effet.

Nous n'arrivons pas à voir comment la conception que nous défendons ici pourrait entraîner comme conséquence cette insécurité juridique que les requérantes redoutent. Nous avons déjà indiqué que l'on peut déduire du paragraphe 10, alinéa 7, une obligation pour la Haute Autorité de régler ces problèmes pendant la période de transition. Si la Haute Autorité avait tardé outre mesure et sans motif valable à régler cette question, et même si elle avait laissé expirer la période de transition, les
entreprises lésées pourraient de ce fait réclamer des dommages-intérêts pour pallier les conséquences qu'elles redoutent.

III — PARTICIPATION DE LA COMMISSION D'EXPERTS A L'EXAMEN DES TARIFS SPÉCIAUX PRÉEXISTANTS SELON LE PARAGRAPHE 10, ALINÉA 7, DE LA CONVENTION

Comme l'expiration de la période de transition n'exerce aucune influence sur la validité juridique des décisions attaquées, il faut maintenant se demander si, lors de la préparation des décisions, des règles importantes de procédure n'ont pas été respectées, ce qui pourrait entraîner l'annulation des décisions. Nous pensons là au deuxième grief des requérantes, le fait que les décisions ne font pas mention de la participation de la commission d'experts.

Ce moyen tiré d'une violation des formes implique celui de violation du traité. Il faut donc examiner tout d'abord si le traité ou la convention prévoient la participation de la Commission d'experts lors de l'examen des tarifs spéciaux. Si oui, il faut appliquer l'article 15 du traité selon lequel :

«Les décisions … de la Haute Autorité … visent les avis obligatoirement recueillis.»

Au paragraphe 10, alinéa 7, lui-même, rien n'est dit sur l'audition de la Commission d'experts. Cependant, les requérantes estiment que cela résulte de l'ensemble des dispositions du paragraphe 10.

L'alinéa 1 décrit en termes généraux la mission de la Commission d'experts: elle doit étudier les dispositions à proposer aux gouvernements pour atteindre les buts définis à l'article 70.

La suppression des discriminations fait sûrement partie des objectifs de l'article 70, comme cela résulte de son alinéa 1. Mais le paragraphe 10, alinéa 1, ne vise que les dispositions qui doivent être proposées aux gouvernements et pour lesquelles ceux-ci doivent donner leur accord (§ 10, al. 2).

Ce sont les alinéas 5 et 6 du paragraphe 10 où il est question de l'accord des gouvernements sur certaines propositions qui indiquent de quelles dispositions il s'agit. Mais cela ne vise que les mesures prévues à l'alinéa 3, nos 2 et 3.

L'ensemble des alinéas 1 à 6 montre donc que la participation de la Commission d'experts n'est prévue que pour des tâches strictement déterminées.

L'alinéa 3 décrit les mesures à examiner par la Commission :

1o Suppression des discriminations contraires aux dispositions de l'article 70, alinéa 2;

2o Établissement de tarifs directs internationaux;

3o Examen des prix et conditions de transport en vue de leur harmonisation.

L'examen des tarifs spéciaux ne peut être classé dans aucune de ces catégories. Notamment, rien n'oblige à consulter la Commission d'experts dans tous les cas où il est question d'éviter des perturbations économiques. Ce cas n'est prévu expressément qu'à l'alinéa 6 du paragraphe 10.

Enfin, les alinéas 8 et 9 mentionnent la participation de la Commission d'experts lors de l'examen de questions particulières relatives aux problèmes luxembourgeois.

Cet examen fait apparaître que le paragraphe 10 ne contient aucune clause générale pour la participation de la Commission d'experts mais, au contraire, qu'il la réglemente de façon très précise par voie d'énumération. Il faut en conclure qu'à tout le moins sa participation n'est pas nécessaire en dehors de ses tâches qui sont minutieusement prescrites.

S'il résulte du paragraphe 10 qu'une participation de la Commission d'experts n'est pas prescrite dans le cas de l'alinéa 7, les recours actuels ne peuvent pas non plus s'appuyer sur cette circonstance que les décisions attaquées n'ont pas mentionné sa participation.

Pour nous résumer, après cette partie-ci de notre exposé, nous en arrivons à cette conclusion que les décisions de la Haute Autorité ne peuvent être annulées pour des raisons de forme.

IV — LES DÉCISIONS ATTAQUÉES DOIVENT-ELLES ÊTRE ANNULÉES POUR VIOLATION DU TRAITÉ ?

Nous avons à nous occuper ensuite du moyen selon lequel la Haute Autorité aurait violé le traité en prenant ces décisions. Sur cette question, qui porte principalement sur l'interprétation de l'article 70 du traité, la Cour a entendu au cours des mois passés l'opinion d'un grand nombre de praticiens et de jurisconsultes importants qui, avec une argumentation riche et variée, appuyée sur de nombreuses thèses fondamentales, nous ont bien montré une chose: c'est que les questions discutées ici ont une
grande importance économique et qu'il n'est pas possible de s'attendre à une décision facile à rendre.

Permettez-nous de commencer nos explications sur cette section par des considérations générales sur l'interprétation de l'article 70, ce à quoi les discussions mentionnées ci-dessus ont donné lieu.

1) Remarques générales sur l'interprétation de l'article 70 du traité

La question a été posée de savoir quels sont les rapports entre l'article 70, alinéa 4, et les autres dispositions de l'article 70: L'alinéa 4 permet-il une exception, dans des cas particuliers, à l'interdiction générale de discrimination pour les tarifs de transport ou bien les tarifs spéciaux de l'alinéa 4 sont-ils des différenciations permises qui, en raison de leur nature, ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de la discrimination? Ou bien même n'y a-t-il pas d'interdiction générale de
discrimination de cette sorte, si bien que l'article 70, alinéa 4, pour cette simple raison déjà, ne pourrait constituer une exception à l'interdiction?

A — L'INTERPRÉTATION DE L'ARTICLE 70, ALINÉA 1

L'article 4, b, parle en termes clairs d'une interdiction des tarifs de transport discriminatoires. Mais il n'est applicable que «dans les conditions prévues au présent traité».

Dans ses arrêts 7 et 9-54 (Recueil, tome II, p. 91), la Cour a décidé que «les dispositions de l'article 4 se suffisent à elles-mêmes et sont immédiatement applicables lorsqu'elles ne sont reprises en aucune partie du traité; qu'au contraire, lorsque les dispositions de l'article 4 sont visées, reprises ou réglementées en d'autres parties du traité, les textes se rapportant à une même disposition doivent être considérés dans leur ensemble et simultanément appliqués».

L'article 4 ne peut donc être appliqué que conjointement avec l'article 70 et cela même pour la question de savoir s'il y a une interdiction générale de discrimination pour les transports.

La lecture du texte de l'article 70, alinéa 1, donne lieu à des doutes. Une comparaison avec d'autres passages du traité et l'examen du système du traité dans son ensemble, ainsi que les travaux préparatoires de ce dernier, doivent contribuer à éclaircir cette question.

Selon l'article 70, alinéa 1:

«Il est reconnu que l'établissement du marché commun rend nécessaire l'application de tarifs de transport du charbon et de l'acier de nature à offrir des conditions de prix comparables aux utilisateurs placés dans des conditions comparables.»

Cette formule donne à réfléchir parce que, à d'autres endroits du traité, la rédaction des règles juridiques est plus nette.

Mentionnons tout d'abord l'article 69, paragraphe 1, où il est dit que :

«Les États membres s'engagent à écarter toute restriction, fondée sur la nationalité, à l'emploi dans les industries du charbon et de l'acier, à l'égard des travailleurs nationaux d'un des États membres de qualification confirmée dans les professions du charbon et de l'acier, …»

L'article 69, paragraphe 4 (interdiction des salaires discriminatoires) montre aussi que, lors de la rédaction du traité, les interdictions des discriminations ont été rédigées sous la forme nette habituelle d'une interdiction.

On pourrait assurément dire à propos de l'interdiction de discrimination que l'article 4 se caractérise de façon suffisamment nette comme une règle d'interdiction pour qu'il ne soit pas nécessaire de la répéter à l'article 70.

A cela il faut objecter que, dans d'autres cas pour lesquels l'article 4 énonce déjà une interdiction, celle-ci est répétée et précisée dans des dispositions spéciales du traité.

Cela s'applique à l'interdiction des prix discriminatoires.

C'est ainsi qu'on peut lire, d'une part, à l'article 4, b, que :

«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté :

b) Les mesures ou pratiques établissant une discrimination entre producteurs, entre acheteurs ou entre utilisateurs, notamment en ce qui concerne les conditions de prix ou de livraison …»;

et que, d'un autre côté, l'article 60, paragraphe 1, répète que :

«Sont interdites en matière de prix les pratiques contraires aux articles 2, 3 et 4 notamment :

— les pratiques déloyales de concurrence, en particulier les baisses de prix purement temporaires ou purement locales tendant, à l'intérieur du marché commun, à l'acquisition d'une position de monopole;

— les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun, l'application par un vendeur de conditions inégales à des transactions comparables, notamment suivant la nationalité des acheteurs.

La Haute Autorité pourra définir, par décisions prises après consultation du Comité consultatif et du Conseil, les pratiques visées par cette interdiction.»

Pour les ententes, l'article 4, d, décide, d'un côté, que :

«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté :

d) Les pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés»,

et, d'un autre côté, selon l'article 65, paragraphe 1:

«Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier :

a) A fixer ou déterminer les prix;

b) A restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements;

c) A répartir les marchés, produits, clients ou sources d'approvisionnement.»

Notamment la comparaison entre l'article 60 (plus l'article 4) et l'article 70 (plus l'article 4) est frappante: dans les deux cas, il est question de l'application de conditions inégales à des transactions comparables (art. 60) ou de consommateurs placés dans des conditions comparables auxquels des conditions de prix comparables doivent être offertes (art. 70); les discriminations entre acheteurs suivant leur nationalité (art. 60) ou celles fondées sur le pays d'origine ou de destination des
produits (art. 70) y sont spécialement relevées. Ce n'est que dans ces deux derniers cas que les deux dispositions contiennent une interdiction explicite alors que l'article 70, par opposition à l'article 60, n'énonce aucune interdiction générale expresse de discrimination. La référence à l'interdiction de l'article 4 qui rend superflue une répétition dans d'autres dispositions du traité devrait jouer aussi de manière analogue pour l'article 60. Il est très possible de conclure de la différence dans
la rédaction de ces règles semblables à une différence de fond.

Mais il s'ajoute encore une différence à celles qui viennent d'être mentionnées. Selon l'article 60, la Haute Autorité pourra définir par décisions prises après consultation du Comité consultatif et du Conseil les pratiques visées par cette interdiction.

L'introduction de cette dernière procédure aurait pu tout au moins être aussi envisagée pour déterminer la notion de discrimination dans un domaine qui ne relève qu'exceptionnellement et dans une mesure limitée de la compétence de la Communauté.

Si l'article 70, alinéa 1, contenait une interdiction générale de discrimination pour les tarifs de transport, il serait étonnant que le paragraphe 10 de la convention fasse état, pour les mesures à examiner par la Commission d'experts, des discriminations prévues à l'article 70, alinéa 2, mais non pas de celles de l'article 70, alinéa 1 (cependant aussi compliquées dans leur examen).

Enfin, on sait, d'après les travaux préparatoires du traité, qu'à l'époque ses rédacteurs n'ont envisagé parmi les cas de discrimination que la discrimination nationale :

«La délégation allemande a dû alors exiger que la définition plus précise de la discrimination mentionne tous les cas et que ce ne soient pas seulement des exemples qui soient énumérés …

Après de longues discussions, il a été élaboré une rédaction qui groupe les points a et b dans une seule phrase. Ainsi, pour les transports ferroviaires dans le trafic entre plusieurs pays de la Communauté, il est exigé l'application des mêmes barèmes, prix et autres conditions tarifaires de toute nature qu'en trafic intérieur.»

Tout cela permet donc de soutenir à juste titre que le traité n'énonce pas une interdiction générale de discrimination en matière de transport et que cette interdiction n'existe que pour la discriminationnationale. Mais, s'il n'y a pas dans le traité d'interdiction générale de discrimination en matière de transport, l'article 70, alinéa 4, ne peut prévoir non plus une exception à cette interdiction. Par conséquent, a priori, l'appréciation des tarifs spéciaux est entreprise d'un point de vue autre
que celui que la Haute Autorité a eu.

B — L'INTERPRÉTATION DE L'ARTICLE 70, ALINÉA 4

Si, contrairement à ces conclusions, on part de l'idée que l'article 70, alinéa 1, n'est pas seulement un programme, mais qu'il énonce aussi une interdiction de discrimination générale directement applicable, une nouvelle question se pose :

L'article 70, alinéa 4, prévoit-il une exception dans un cas particulier ou bien les tarifs spéciaux ne tombent-ils pas sous l'interdiction de la discrimination et l'autorisation prévue à l'alinéa 4 n'a-t-elle donc qu'une fonction de contrôle?

La formule de l'alinéa 4 «en conformité avec les principes du présent traité» parle contre l'idée d'une exception. Dans cette thèse, l'interdiction de la discrimination (art. 4) relève aussi des principes du traité.

Mais cette thèse d'une exception se heurte au fait que le traité est très rigoureux dans son respect des dispositions fondamentales. C'est ce que montre l'article 95 (petite révision du traité) selon lequel, même en cas de conditions strictes qui justifient une révision du traité, les principes des articles 2, 3 et 4 doivent rester intangibles.

C'est ce que montre aussi l'article 88, selon lequel une exception à l'article 4 n'est possible que si un État membre s'est rendu lui-même coupable d'une violation du traité et seulement avec l'accord du Conseil.

C'est ce que montre enfin l'article 58, paragraphe 2, qui prescrit qu'en cas de fixation de quotas (donc dans le cas d'une crise manifeste) les principes des articles 2, 3 et 4 doivent être respectés.

A cet égard, il faut faire encore une remarque. Si les tarifs spéciaux n'étaient réellement possibles que par exception à une interdiction, il aurait fallu prévoir une autorisation de la Haute Autorité pour les tarifs spéciaux préexistants (ce qui, selon le paragraphe 10, alinéa 7, n'est pas le cas).

Une comparaison avec le régime des subventions et ententes préexistantes selon les paragraphes 11 et 12 de la convention permet cette conclusion. Dans les deux cas, il est dit que les subventions et ententes déjà existantes doivent faire l'objet d'un accord (paragraphe 11 pour les subventions) ou d'une autorisation de la Haute Autorité (paragraphe 12 pour les ententes).

Pour les tarifs spéciaux préexistants, il manque une disposition semblable, aussi l'autorisation prévue à l'alinéa 4 de l'article 70 pour les tarifs spéciaux à introduire qui doivent être jugés à l'aide des mêmes critères matériels que les anciens tarifs spéciaux ne peut avoir qu'une fonction de contrôle. En d'autres termes, l'autorisation doit garantir que, selon l'opinion de la Haute Autorité, un tarif spécial est conforme au traité. Si des tarifs spéciaux préexistants remplissent ces conditions,
il ne faut pas une autorisation, il suffit que la Haute Autorité laisse ces tarifs sans y toucher.

En partant de l'idée que l'article 70, alinéa 1, énonce une interdiction de la discrimination, on aboutit ainsi au résultat suivant :

L'article 70, alinéa 4, ne donne pas à la Haute Autorité le pouvoir d'autoriser une dérogation à l'interdiction générale de la discrimination. L'autorisation prévue à l'alinéa 4 a pour simple but que les tarifs spéciaux qui pourraient être discriminatoires ne soient appliqués que lorsque la Haute Autorité a vérifié s'ils constituent des différenciations compatibles avec le traité.

Cette interprétation de l'article 70 conduit, elle aussi, à une position de départ fondamentalement autre que celle de la Haute Autorité.

Rappelons que, dans son interprétation de l'article 70, alinéa 4 (exception à une interdiction dans un cas particulier), la Haute

Autorité a introduit dans l'alinéa 4 un élément qui n'y figure pas, l'élément de «nécessité». Selon la Haute Autorité, pour que l'exception à une interdiction soit justifiée, elle doit être nécessaire pour atteindre les buts du traité (v. le «Sixième rapport général sur l'activité de la Communauté», tome I, p. 73):

«Quant aux tarifs de soutien, la Haute Autorité, qui doit s'assurer de leur conformité avec les principes du traité, estime que l'application de ces tarifs ne peut être licite que si elle est nécessaire pour atteindre les objectifs définis par les articles 2 et 3 du traité, et que la justification des tarifs de soutien ne peut dès lors résider que dans la situation exceptionnelle, propre à une ou plusieurs entreprises, rendant indispensable la réduction du tarif général pour atteindre les objectifs
de ces articles du traité.»

Remarquons à ce sujet qu'en général le traité est clair dans le choix de ses critères. Si, dans le cas d'espèce, la condition d'une action de la Haute Autorité est la «nécessité d'atteindre les objectifs du traité», le texte du traité contient une rédaction correspondante.

Voir notamment l'article 53, a, où il est dit :

«Sans préjudice des dispositions de l'article 58 et du chapitre V du titre III, la Haute Autorité peut :

a) Après consultation du Comité consultatif et du Conseil, autoriser l'institution, dans les conditions qu'elle détermine, et sous son contrôle, de tous mécanismes financiers communs à plusieurs entreprises, qu'elle reconnaît nécessaires à l'exécution des missions définies à l'article 3 et compatibles avec les dispositions du présent traité, en particulier de l'article 65.”

(Ce texte fait une nette différence entre “nécessaire” et “compatible”.)

L'article 61, a et b:

“Sur la base d'études faites en liaison avec les entreprises et les associations d'entreprises, conformément aux dispositions de l'article 46, alinéa 1, et de l'article 48, alinéa 3, et après consultation du Comité consultatif et du Conseil, tant sur l'opportunité de ces mesures que sur le niveau de prix qu'elles déterminent, la Haute Autorité peut fixer, pour un ou plusieurs produits soumis à sa juridiction :

a) Des prix maxima à l'intérieur du marché commun, si elle reconnaît qu'une telle décision est nécessaire pour atteindre les objectifs définis à l'article 3, notamment en son alinéa c;

b) Des prix minima à l'intérieur du marché commun, si elle reconnaît l'existence ou l'imminence d'une crise manifeste et la nécessité d'une telle décision pour atteindre les objectifs définis à l'article 3”;

et enfin l'article 95, alinéa 1 :

“Dans tous les cas non prévus au présent traité, dans lesquels une décision ou une recommandation de la Haute Autorité apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier et conformément aux dispositions de l'article 5, l'un des objets de la Communauté, tels qu'ils sont définis aux articles 2, 3 et 4, cette décision ou cette recommandation peut être prise sur avis conforme du Conseil statuant à l'unanimité et après consultation du Comité consultatif.”

Ces exemples montrent que la Haute Autorité exige à tort pour l'article 70, alinéa 4, que les tarifs spéciaux soient nécessaires pour atteindre les objectifs du traité.

Toutes ces réflexions nous permettent d'avoir le point de départ suivant pour l'application de l'article 70, alinéa 4 :

La Haute Autorité doit examiner les tarifs spéciaux pour voir s'ils sont conformes avec les principes du traité ou s'ils les violent. C'est ce qu'a dit aussi la Haute Autorité dans un autre passage du sixième rapport général (p. 73).

“Par ces décisions, qui comportent la suppression de tous les tarifs de soutien incompatibles avec les principes du traité, la Haute Autorité a entendu tenir compte, cas pour cas, de la situation particulière de chaque entreprise ou groupe d'entreprises.”

La Haute Autorité a donc une sorte de fonction de police dans un domaine qui, en principe, ne relève pas de sa juridiction (comme l'article 70, alinéa 5, le montre) : elle doit veiller à ce que les principes d'un marché partiellement intégré ne soient pas paralysés par les répercussions de domaines situés hors du traité.

Mais inversement, ce sens donné à l'article 70, alinéa 4, montre que la thèse des requérantes est sans valeur: elles soutiennent que l'intervention de la Haute Autorité, en matière de tarifs spéciaux préexistants, n'est licite que lorsqu'elle est directement nécessaire pour atteindre ces objectifs du traité, notamment lorsqu'elle tend directement à assurer la répartition la plus rationnelle de la production au niveau de la productivité le plus élevé. L'action de la Haute Autorité en matière de
tarifs de transport ne dépend pas de cette condition. Elle doit seulement constater si des tarifs spéciaux sont compatibles avec les principes du traité. Si ce n'est pas le cas, le traité exige leur suppression; il ne donne pas à la Haute Autorité un pouvoir discrétionnaire d'intervention.

2) L'application de l'article 70, alinéa 4, au cas d'espèce

Si, après ces remarques introductives, nous examinons les décisions attaquées de la Haute Autorité, il faut nous poser la question de savoir si, en procédant à l'examen des tarifs spéciaux français, la Haute Autorité en est arrivée à tort à la conclusion que leur maintien constituait une violation des principes du traité.

Ceux-ci sont énoncés essentiellement dans les premiers articles, 2, 3 et 4. Ils sont en partie complétés et précisés dans d'autres dispositions du traité. La Cour a déjà constaté, à juste titre, que ces principes ne peuvent être appliqués tous en même temps et complètement. Il faut donc donner la prééminence à tel ou tel objectif selon la situation découlant des faits ou circonstances prévalant au moment où la décision est prise (Recueil, tome IV, p. 249).

A — LE PRINCIPE DE L'ARTICLE 2

Pour examiner ces principes, il faut partir de l'article 2, selon lequel :

«La Communauté doit réaliser l'établissement progressif de conditions assurant par elles-mêmes la répartition la plus rationnelle de la production au niveau de productivité le plus élevé, tout en sauvegardant la continuité de l'emploi et en évitant de provoquer, dans les économies des États membres, des troubles fondamentaux et persistants.»

«… la répartition la plus rationnelle de la production visée à l'article 2 est celle qui est fondée notamment sur l'échelonnement des coûts de production résultant des rendements, c'est-à-dire des conditions physiques et techniques propres aux divers producteurs», c'est ce qu'a dit la Cour dans ses arrêts 7 et 9-64 (Recueil, tome II, p. 92) ; elle a ainsi précisé que les mesures artificielles, notamment celles des États qui influencent la productivité, ne sont pas compatibles avec ce principe du
traité.

Seules les entreprises qui sont par elles-mêmes en mesure de prendre part à la concurrence sur le marché commun sont aptes à collaborer à la réalisation de l'objectif de rationalisation de l'article 2. Les mesures de soutien artificielles privent de ses moyens l'économie générale et diminuent ainsi les possibilités de promouvoir l'expansion des entreprises rationnelles.

B — L'INTERDICTION DE SUBVENTION DE L'ARTICLE 4

Cette idée est soulignée par d'autres dispositions du traité, notamment par l'interdiction de subvention de l'article 4, c. C'est surtout à la lueur de cette règle, ce que nous voudrions souligner ici, qu'il faut, à notre avis, envisager l'article 70, alinéa 4. Cela ne correspond pas seulement au système du traité C.E.C.A., mais c'est aussi confirmé par le système du traité du marché commun qui a consacré l'interdiction de la discrimination à l'article 79 et le régime des tarifs de soutien à
l'article 80, qui est séparé et où il n'est pas question de discrimination.

Si l'on envisage l'interdiction de la subvention du traité qui, comme toutes les interdictions de l'article 4, ne joue que «dans les conditions prévues au présent traité», un examen du système du traité fait apparaître avec quelle rigueur ce principe est respecté dans le traité. Non seulement l'article 4 énonce une interdiction catégorique et générale des subventions «sous quelque forme que ce soit», mais la même idée apparaît aussi à l'article 3 (les mesures d'expansion et de modernisation ne
doivent jouer qu'à l'exclusion des mesures de protection contre les industries concurrentes) ainsi qu'à l'article 54, alinéa 5 (la Haute Autorité peut interdire l'utilisation de ressources autres que les fonds propres lorsque le financement d'un programme ou l'exploitation des installations qu'il comporte impliquerait des subventions).

A côté, le système du traité (dont relève aussi la convention) montre sous quelles conditions sévères les mesures d'aide des États et de la Communauté sont licites. Au premier plan, il y a les mécanismes de péréquation autorisés ou créés par la Haute Autorité.

Les subventions des États ou les aides de la Communauté sont prévues dans des cas particulièrement graves, en fin de compte avant tout au profit des travailleurs qui doivent changer d'emploi ou, le cas échéant (dans le cadre de la convention), de façon temporaire, pour des mesures d'adaptation et de rationalisation.

Cette idée de base du traité sur la question des subventions aux entreprises donne la ligne directrice pour tous les cas où le principe de l'article 4, c, du traité est assoupli, donc aussi pour les tarifs de soutien de l'article 70, alinéa 4. Un soutien constant accordé à des entreprises pour compenser leurs désavantages d'exploitation ou d'implantation n'est donc manifestement pas compatible avec ce principe.

C — L'ARTICLE 67 DU TRAITÉ

Il serait faux notamment d'assouplir l'interdiction des subventions par une référence à l'article 67 qui, pour apprécier les mesures étatiques, s'en tient aux répercussions de ces mesures sur le régime de la concurrence et qui, en outre, laisse à la Haute Autorité la possibilité de compenser ces répercussions par d'autres mesures.

Cette tentative a été faite en se fondant sur l'idée que les tarifs spéciaux en cause ne nuiraient pas à d'autres entreprises. Mais, à notre avis, il est faux de généraliser ainsi les dispositions de l'article 67. Cela entraînerait l'abandon, dans une très large mesure, des objectifs de l'article 2 pour mettre au premier plan le maintien ou la création de situations de concurrence équilibrée pour le traité. Il faut plutôt comprendre l'article 67 en ce sens que des mesures de défense des organes de
la Communauté sont prévues contre des mesures générales des États dans des domaines qui ne sont pas touchés par l'intégration, mais qui exercent leur influence sur le domaine du traité.

D — ÉGALITÉ D'ACCÈS A LA PRODUCTION

Les requérantes veulent encore de plus affaiblir, d'une autre façon, l'interdiction de la subvention et le principe de l'article 2. Elles le font en invoquant l'article 3 : «les institutions de la Communauté doivent assurer à tous les utilisateurs du marché commun placés dans des conditions comparables un égal accès aux sources de production», et l'article 70, alinéa 1, où il est également question d'utilisateurs placés dans des conditions comparables auxquels il faut offrir des conditions de prix
comparables.

Elles en tirent cette conclusion que le traité admet une compensation à une implantation défavorable et à d'autres désavantages d'exploitation (difficultés d'exploitation de certaines mines) sous forme de tarifs particulièrement favorables pour que les entreprises naturellement désavantagées soient placées dans une situation semblable à celle des entreprises économiquement saines. En conséquence, cette opinion en vient à déjouer les buts de l'article 2. Si des difficultés particulières des
entreprises peuvent être compensées par des avantages spéciaux, rien n'est changé par rapport à la situation antérieure à la création du marché commun. Cependant, c'est le but déclaré du traité d'envisager des modifications de structure du marché commun pour réaliser une répartition plus rationnelle de la production.

Point n'est besoin de dire que la recherche de cette modification de situations données peut entraîner des difficultés pour certaines entreprises pour lesquelles le traité et la convention prévoient également des aides spéciales. Le domaine d'application des mesures spéciales gouvernementales de soutien, par exemple sous forme de tarifs de soutien, ne peut donc pas, en s'appuyant sur la thèse des requérantes, être étendu au point d'exclure toute modification dans le marché commun. Il peut donc
seulement s'agir de constater jusqu'à quel point on peut tolérer des exceptions au principe de l'article 2 et aussi à l'interdiction de subvention de l'article 4.

E — LA FORMATION DES PRIX LES PLUS BAS

Ces remarques s'appliquent de la même manière à la thèse des requérantes que la règle de l'article 3, c, qui est de respecter la formation des prix les plus bas, justifie des tarifs spéciaux pour des entreprises défavorisées par leur emplacement.

Rappelons, en outre, à propos de cet argument, l'article 62, selon lequel la Haute Autorité peut autoriser des versements de péréquation entre entreprises différentes si cela peut éviter que le prix du charbon ne s'établisse au niveau du coût de production des mines les plus coûteuses à exploiter dont le maintien en service est reconnu temporairement nécessaire à l'accomplissement des missions définies à l'article 3.

Cette disposition montre que l'influence exercée sur les prix par les subventions n'est nullement étrangère au traité. Mais que l'on n'oublie pas quelles conditions sont exigées pour cela et surtout pas le caractère temporaire de ces mesures et la méthode choisie pour le financement: il faut procéder à des versements de péréquation.

Cette disposition s'intègre sans difficulté dans le système du traité, esquissé ci-dessus, en matière d'aides et de subventions. D'après tout cela, il ne peut être question que des tarifs spéciaux puissent être justifiés pour certaines entreprises, compte tenu des objectifs de l'article 3, c.

F — EXPANSION ET AMÉLIORATION DE LA PRODUCTION

En un mot, on peut écarter finalement l'argument des requérantes que la suppression des tarifs spéciaux empêcherait l'expansion et l'amélioration de la production mentionnées à l'article 3 : non seulement l'article 3, g, mais aussi l'article 54 montrent nettement qu'on ne doit pas recourir à des aides et subventions constantes pour réaliser ces objectifs du traité.

G — CHOIX DU POINT DE PARITÉ

Si, à propos du principe économique du traité, référence a été faite à l'article 60 et si, à propos de la possibilité de manipulation de leur emplacement par les entreprises, l'attention a été attirée sur le choix du point de parité, il faut dire à ce sujet qu'il y a une différence très importante lorsque le traité autorise les entreprises à procéder à une telle manipulation en partant de leurs conditions naturelles de production ou lorsqu'une modification de ces dernières est admise par suite d'un
effet extérieur à l'entreprise. Le traité, à notre avis, exclut manifestement cette dernière hypothèse. Du fait que le traité a créé une exception à un principe économique encore plus sévère par l'admission du choix d'un point de parité, il ne faut donc pas conclure qu'il aurait accepté, ce faisant, la possibilité encore plus grande d'une influence exercée par l'État ou, tout au moins, extérieure à l'entreprise, sur les conditions d'implantation géographique.

H — L'APPROVISIONNEMENT RÉGULIER DU MARCHÉ COMMUN

En examinant et en appréciant les règles fondamentales du traité, on pourrait encore poser la question de savoir si l'article 3, a, n'est pas de nature à apporter certaines atténuations au principe de l'article 2 et de l'article 4, donc en ce qui concerne les exigences d'un approvisionnement régulier du marché commun.

Les tentatives d'autarcie de la Communauté sont assurément étrangères au traité; mais on ne peut exclure que les exigences d'un marché spécifique exigent le maintien à un certain niveau de certaines sources d'approvisionnement à l'intérieur de la Communauté et que, compte tenu de cette situation spéciale, elles justifient donc des mesures particulières, par exemple des mesures de soutien, au profit de ces sources d'approvisionnement. Nous voudrions nous borner ici à mentionner cette idée sans
l'approfondir parce que nous ne croyons pas que les présents recours fassent état de données suffisantes pour appliquer cette théorie. Rappelons seulement combien petite est la part des Pyrénées dans la production du minerai de fer pour la consommation générale de la France (v. annexe au mémoire en défense, II, p. 2); une comparaison avec l'ensemble de la consommation de la Communauté en donnerait une idée encore plus nette.

I — LES EXIGENCES DE LA POLITIQUE RÉGIONALE

Un point important du procès actuel nous semble résider dans le caractère licite ou non d'une certaine politique régionale à l'aide de tarifs spéciaux. La discussion de ce problème tient une grande place dans les mémoires des parties. La Cour aura donc à se demander si ce point de vue est susceptible de justifier des tarifs spéciaux d'après l'article 70, alinéa 4.

Les requérantes n'ont pas manqué d'invoquer l'article 80 du traité C.E.E. selon lequel, lors de l'examen des tarifs de soutien, la Commission doit expressément tenir compte des exigences d'une politique régionale appropriée et des besoins des régions sous-développées. Ces directives sont étrangères au traité C.E.C.A., dont l'article 70, alinéa 4, présente d'ailleurs une grande ressemblance avec l'article 80, alinéa 1, du traité C.E.E. La politique locale et régionale ne relève pas des principes du
traité à envisager pour une décision à rendre selon l'article 70, alinéa 4.

Il ne peut pas non plus être question qu'il y ait ici un hiatus juridique du traité pour lequel on invoquerait les principes du traité instituant la Communauté économique européenne afin de le combler. Les principes et objectifs mentionnés du traité C.E.C.A. montrent plutôt que la principale idée de ses rédacteurs était très nettement de favoriser une évolution et une expansion rationnelle de la production. Il existe ainsi une différence fondamentale entre le traité C.E.C.A. qui crée une intégration
partielle et le traité C.E.E. Comme ce dernier a pour but de créer une intégration complète de l'ensemble de la vie économique des États membres, il doit nécessairement tenir compte des besoins d'une politique régionale qui constituent une partie de la politique économique de chaque État membre. La Communauté charbon-acier pouvait négliger ce point de vue parce qu'une politique régionale des États était possible dans le secteur non intégré de l'économie.

Il n'y a pas d'obstacle à cela dans le fait que le traité C.E.C.A. laisse, lui aussi, une certaine place pour tenir compte des intérêts économiques locaux d'un État. Le texte de l'article 2 montre que le principe qui y figure n'est pas sans réserve et c'est là qu'à notre avis se trouve une place où peuvent jouer des considérations de politique régionale. Assurément, on ne peut méconnaître a priori que les possibilités qui s'offrent ici sont très limitées.

L'article 2 énonce l'obligation de ne provoquer aucune interruption dans la continuité de l'emploi et d'éviter de provoquer des troubles fondamentaux et persistants. Que la première réserve ne doive pas être comprise au sens strict du mot, c'est ce qui résulte très nettement des dispositions du traité qui prévoient des aides aux travailleurs à la recherche d'un nouvel emploi en cas d'arrêt du travail. On ne peut donc en déduire l'obligation de maintenir en activité chaque entreprise. Ce passage de
l'article ne peut donc être envisagé pour justifier une politique régionale, car le traité n'entend nullement exclure des fermetures d'entreprises avec un transfert des travailleurs.

Il ne reste donc que cet impératif d'éviter des troubles économiques. Il est vrai que cette réserve est si étroite dans ses conditions de fonctionnement qu'avec son aide seules les fermetures d'entreprises ou les transferts d'une assez grosse importance peuvent être empêchés, mais, par contre, on ne peut y trouver une justification pour des mesures de soutien au profit de certaines entreprises dont la fermeture ne met pas en danger la politique régionale d'un État ou même au profit d'entreprises
qui, même sans mesure de soutien, quoique peut-être dans des conditions plus difficiles, restent capables de vivre et n'envisagent pas leur transfert.

Pour les tarifs spéciaux préexistants, une réserve correspondante a été répétée expressément au paragraphe 10, alinéa 7, de la convention: des délais doivent être accordés pour la modification des tarifs de manière à éviter des troubles économiques graves. En comparant le texte des deux dispositions, on peut même dire que le paragraphe 10, alinéa 7, est moins strict que l'article 2, car il ne parle que de «perturbation économique grave» et non de «troubles fondamentaux et persistants».

Le paragraphe 10, alinéa 7, n'est d'ailleurs pas entièrement dépourvu de contradictions: d'un côté, il présuppose la nécessité de la modification des tarifs spéciaux à un certain moment, ce qui résulte de la fixation d'un délai, d'un autre côté, il parle d'«éviter» (donc pas d'atténuer) des perturbations économiques. Nous ne croyons cependant pas qu'il faille mettre ici l'accent principal sur le mot «éviter». Les tarifs de soutien qui ne sont pas conformes au traité ne doivent avoir en tout cas
qu'un caractère limité dans le temps. Si, même après l'expiration de ces délais, on ne peut s'attendre à ce que les entreprises qui en bénéficient puissent subsister par leurs propres moyens sur le marché commun, les tarifs ne sont plus justifiés, même du point de vue d'une politique régionale. Nous sommes complètement d'accord avec notre estimé collègue, M. Lagrange, qui limite de cette façon le caractère licite d'une politique régionale à l'aide de mesures de soutien.

Que donnent ces principes une fois appliqués au cas concret? Dans leurs mémoires, les parties ont présenté à la Cour de très nombreux calculs, les requérantes pour prouver que la suppression des tarifs les contraint à fermer leurs entreprises ou les empêche de faire des prix concurrentiels, la Haute Autorité pour réfuter ces allégations. Au cours des débats oraux, elles ont également discuté, en long et en large, les répercussions financières des mesures tarifaires. Mais nous croyons que la Cour
peut se dispenser d'examiner ces calculs délicats et l'influence exercée sur la rentabilité des entreprises.

Au cours des débats oraux, nous avons appris que la «Compagnie des hauts fourneaux et fonderies de Givors» avait eu des difficultés financières après avoir formé son recours. Mais la Haute Autorité nous a exposé de façon convaincante, à notre avis, que cet événement ne peut trouver sa cause dans l'augmentation des tarifs de la S.N.C.F. après l'adoption de ces décisions par la Haute Autorité. Déjà en 1954 et en 1955, d'après l'exposé incontesté de la Haute Autorité, cette entreprise a subi des pertes
si graves que son existence aurait été mise en péril, même sans les mesures tarifaires dont les répercussions sont modestes en comparaison avec le chiffre de ces pertes.

En ce qui concerne les autres requérantes, nous ne nions pas que les calculs produits par les requérantes nous amènent à nous demander si la continuation de l'exploitation des mines des Pyrénées n'est pas menacée. Mais, cependant, il ne faut pas perdre de vue que dans la C.E.C.A. les mesures de soutien de nature locale et d'effet local ne sont justifiées que si elles sont nécessaires pour éviter des troubles économiques graves et menaçants. Mais il n'a pas été prouvé qu'il y ait une menace sérieuse
de tels troubles économiques graves. La Haute Autorité le déduit aussi, de façon compréhensible, du fait que le gouvernement de cet État membre n'a pas engagé la procédure de l'article 37 pour éviter des troubles fondamentaux et persistants. Il apparaît donc évident que ce gouvernement ne considère pas que sa politique régionale est menacée par les décisions tarifaires au point où il faudrait la faire respecter uniquement selon les principes du traité.

K — LE PRINCIPE DU MAINTIEN DU TRAFIC

Enfin, les requérantes ont soutenu que les tarifs spéciaux en cause avaient été introduits dans l'intérêt des chemins de fer pour maintenir un certain trafic et, aujourd'hui encore, elles justifient leur maintien de cette manière. Par principe, ces tarifs ne devraient donc pas être rattachés au groupe des tarifs spéciaux de l'article 70, alinéa 4, parce qu'il ne s'agit pas de mesures de soutien dans l'intérêt de certaines entreprises.

Cet argument ne doit pas en principe être écarté. Pour l'application de l'article 70, alinéa 4, aux tarifs spéciaux, on doit donc s'attacher au point de savoir si ces mesures spéciales sont aussi et surtout dans l'intérêt des transporteurs. Ainsi, pour l'appréciation à porter sur les tarifs spéciaux, on met en discussion des critères dont le contrôle cause des difficultés sensibles, non seulement à la Cour, mais aussi à la Haute Autorité. Mais, en fait, on ne peut nier qu'avec l'augmentation des
tarifs la demande de prestations de transport sur une ligne donnée peut reculer au delà d'un certain niveau ou même cesser complètement parce que le prix de cette prestation de transport causerait des difficultés économiques au bénéficiaire. Le transporteur qui a travaillé jusque-là de façon encore rentable, sur un trajet déterminé, même en appliquant un tarif réduit, subit de ce fait une perte de recettes qui peut mettre en cause la rentabilité de cette ligne.

Cette situation particulière qui nécessite pour être comprise aussi bien l'appréciation de la situation économique du destinataire des transports que celle du transporteur pourrait donc justifier le maintien de tarifs spéciaux.

Mais il nous semble que les cas ci-dessus ne donnent pas lieu à approfondir le problème car rien ne permet de déduire de l'argumentation des requérantes des données détaillées pour soutenir cette thèse, tout au moins dans la mesure où la situation économique des transporteurs est en cause.

3) Conclusion

Nous en venons donc dans les trois cas à cette conclusion concordante qu'il n'est pas possible de prouver que la Haute Autorité a commis une violation du traité lors de l'examen des tarifs spéciaux en litige. La procédure actuelle n'a pas apporté la preuve qu'en dépit de l'appréciation de la Haute Autorité, qui, sur certains points, donnait lieu à des critiques juridiques, les tarifs spéciaux français étaient compatibles avec les principes du traité et que leur modification ne pouvait donc être
exigée.

4) Les délais accordés pour modifier les tarifs spéciaux

Il ne reste donc plus que le grief des requérantes selon lequel les délais consentis par la Haute Autorité pour la suppression étaient trop courts. Pour autant que je le voie, ce moyen a été soutenu pour la première fois et sans autre commentaire dans la réplique. De ce fait, il est tardif et ne pourrait donc être examiné. Cependant, il est affecté d'un second défaut qui exclut son examen par la Cour.

Dans les décisions de la Haute Autorité, il est dit, pour motiver les délais qui sont calculés de façon différente suivant les cas, qu'en dehors du texte du paragraphe 10, alinéa 7, les diverses situations des entreprises ont été envisagées pour fixer les délais. Il n'y a aucune indication sur les détails et les éléments qui ont joué un rôle dans l'appréciation de la Haute Autorité.

Mais nous sommes d'avis que cette circonstance n'a pas d'importance pour la Cour, car nous avons affaire ici à une décision qui s'appuie sur l'«appréciation de la situation découlant des faits ou circonstances économiques». On ne peut dire s'il y a un trouble économique et dans quelle mesure on peut s'y attendre qu'en vertu d'une appréciation d'ensemble qui inclut les répercussions de toutes les décisions tarifaires du même genre, et non pas seulement celles qui sont attaquées ici. Cette partie des
décisions ne peut donc être attaquée avec l'exposé détaillé des griefs de détournement de pouvoir ou de méconnaissance patente du traité selon l'article 33, alinéa 1, deuxième phrase. En l'espèce, il n'y a rien eu de semblable, si bien qu'il n'y a aucune raison d'examiner davantage ce moyen.

V — CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Après avoir étudié tous les griefs soulevés dans les recours, nous en venons donc aux conclusions suivantes :

Nous proposons à la Cour

de rejeter comme mal fondés les présents recours et de condamner les requérantes aux dépens.

Les requérantes dans les affaires 27 et 28-58 doivent supporter les dépens dans la mesure où elles ont limité leurs conclusions par une déclaration faite au cours des débats oraux, car cela équivaut à un désistement partiel.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27-58,
Date de la décision : 11/02/1960
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Transports


Parties
Demandeurs : Compagnie des hauts fourneaux et fonderies de Givors et autres
Défendeurs : Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Rossi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1960:2

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