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13/11/1957 | CJUE | N°8-56

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 13 novembre 1957., Acciaierie Laminatoi Magliano Alpi (A.L.M.A.) contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier., 13/11/1957, 8-56


Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

La société A.L.M.A. (Acciaierie Laminatoi Magliona Alpi) vous demande l'annulation d'une décision de Ia Haute Autorité, en date du 24 octobre 1956, qui lui a infligé, par application de l'article 64 du Traité, une amende de 800.000 lires pour défaut de publication de ses barèmes de prix et conditions de vente. Il s'agit donc d'un recours fondé sur l'article 36, c'est-à-dire d'un recours de pleine juridiction.

Le recours est régulier en la forme

et a été présenté dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision, ...

Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

La société A.L.M.A. (Acciaierie Laminatoi Magliona Alpi) vous demande l'annulation d'une décision de Ia Haute Autorité, en date du 24 octobre 1956, qui lui a infligé, par application de l'article 64 du Traité, une amende de 800.000 lires pour défaut de publication de ses barèmes de prix et conditions de vente. Il s'agit donc d'un recours fondé sur l'article 36, c'est-à-dire d'un recours de pleine juridiction.

Le recours est régulier en la forme et a été présenté dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision, selon les dispositions combinées de l'article 33 du Traité et de l'article 39 du Protocole sur le Statut de la Cour. Il est donc recevable.

Au fond, deux moyens sont soulevés:

Le premier est tiré de la violation de l'article 36, premier alinéa, aux termes duquel «la Haute Autorité, avant de prendre une des sanctions pécuniaires ou de fixer une des astreintes prévues au présent Traité, doit mettre l'intéressé en mesure de présenter ses observations.»

Le dossier contient la copie d'une lettre, en date du 4 novembre 1955, signée par un membre de la Haute Autorité, qui, par son libellé, constitue indiscutablement la formalité prévue à l'article 36, premier alinéa. Il n'y a, d'ailleurs, pas de contestation à ce sujet.

Mais la requérante prétend n'avoir jamais reçu la lettre dont il s'agit.

Or le dossier contient la photocopie d'un avis de réception d'une lettre expédiée le 7 novembre 1955 à Luxembourg par la Haute Autorité à l'adresse de “Acc. c Lam. di Magliona Alpi” (au lieu de “Magliano Alpis”). Corso Regiodarco, 33 (un lieu de Corso Regioparco, 33). Torino, Italie. L'avis de réception lui-même porte le cachet du bureau destinataire (Torino. 9-11-55), la signature de l'agent du bureau destinataire et (ceci nous paraît décisif et faire injustice des nouveaux arguments développés
dans la plaidoirie) la signature du destinataire précédée du cachet de la Société:“A.L.M.A.”, ce qui prouve que les légères erreurs d'orthographe relevées dans le libellé de l'adresse n'ont pas empêché la lettre d'être remise au destinataire, au lieu même indiqué par la société comme étant celui de son siège social. La circonstance (d'ailleurs nullement établie) que le préposé de la société chargé de recevoir le courrier n'aurait pas transmis en fait la lettre au lieu réel de l'exploitation (un
humeau des Alpes, éloigné de Turin d'une centaine de kilomètres) est une affaire d'ordre interne à la société, qui ne peut entacher la notification d'irrégularité.

Le premier moyen doit donc être écarté.

Le second moyen est tiré de la violation de l'article 64 du Traité qui ne permettrait de sanctionner que les infractions aux règles relatives à la non-discrimination à l'exclusion de celles concernant la publication des prix. On ne peut imaginer, d'après la requérante, que les ailleurs du Traité aient entendu prévoir la même sanction (le double des veilles irrégulières) pour des infractions aussi différentes tant par leur nature que par leur gravité. D'ailleurs, l'expression «ventes irrégulières»
marque bien que l'infraction vise la régularité de l'opération même de vente, et non une faute purement extérieure telle que le défaut de publication des barèmes.

Messieurs, cette interprétation ne peut être admise. Le texte de l'article 64 est parfaitement clair: «La Haute Autorité peut prononcer à l'encontre des entreprises qui violeraient les dispositions du présent chapitre ou les décisions prises pour son application des amendes à concurrence du double de la valeur des ventes irrégulières». Ce texte vise toutes les infractions aux dispositions du chapitre V, et non pas seulement les infractions à la règle de non-discrimination. Notamment le défaut de
publication par une entreprise de son barème de prix et conditions de veille constitue une infraction aux dispositions de l'article 60, paragraphe 2 a, imposant cette publication et des décisions par lesquelles Ia Haute Autorité en a, conformément audit article, défini la mesure et les formes: il s'agit de la décision no 31-33 du 2 mai 1933, modifiée par la décision no 2-54 du 7 janvier 1934 (bien connues de la Cour) toutes deux publiées au Journal Officiel de la Communauté no 1, du 13 janvier 1954,
page 218 , et qui prescrivent Ia communication des barèmes de prix et conditions de vente à la Haute Autorité. Pour le calcul de l'amende, on doit considérer comme «ventes irrégulières» toutes les ventes conclues par la société tant qu'elle n'a pas publié son barème, ce qui peut évidemment aboutir à un chiffre d'amende fort élevé eu égard à la gravité de l'infraction. Mais il s'agit d'un maximum.

Nous proposons donc d'écarter également le deuxième moyen.

Une dernière question se pose, celle de savoir s'il y a lieu pour la Cour d'envisager une réduction de l'amende. Elle en a certainement le pouvoir, du fait que l'article 36 a formellement prévu que les sanctions pécuniaires et les astreintes prononcées en vertu des dispositions du présent Traité peuvent faire l'objet d'un «recours de pleine juridiction».

Mais, tout d'abord la requérante le demande-t-elle dans ses conclusions? On peut hésiter sur ce point; formellement ces conclusions ne tendent qu'à l'annulation de la décision lui infligeant une amende; elle ne conclut pas expressément, à titre subsidiaire à une modération de l'amende. Toutefois, nous relevons dans la requête le passage suivant:

La requérante est une petite entreprise à caractère quasi artisanal qui assure difficilement la vie d'une cinquantaine de familles d'ouvriers italiens établies dans les montagnes inhospitalières de Magliano Alpi. Comment est-il possible d'infliger une peine pécuniaire de 800.000 lires à une entreprise d'aussi modestes proportions lorsqu'on pense que le capital social est de six millions? Et comment la requérante pourrait-elle payer une telle somme lorsqu'elle est déjà contrainte de demander à la
Communauté un plan triennal d'amortissement pour pouvoir payer les arriérés dus pour les prélèvements de 1933 à 1936?

Nous pensons qu'on peut considérer que, par ce passage de la requête la Cour est saisie de conclusions subsidiaires tendant à obtenir une réduction de l'amende.

Au fond, il y a lieu de tenir compte tant de la gravité de l'infraction que de l'importance et des facultés financières de l'entreprise.

Sur le premier point on doit admettre que, même si la mauvaise foi n'est pas démontrée, le défaut de publication pendant trois ans de ses barèmes constitue à tout le moins une assez grave négligence de la part de la société qui, malgré ses dimensions modestes, ne pouvait tout de même pas ignorer l'existence de la Communauté ni les sujétions les plus élémentaires auxquelles sont soumises les entreprises en vertu du Traité, telles que le payement du prélèvement et la publication des barèmes de prix.

Sur le second point, les documents qui ont été produits à lu demande de la Cour fournissent les renseignements suivants: le capital — entièrement versé — est de 6.000.000 de lires. Le bénéfice brut s'est élevé pour l'exercice 1954 à 12.868.069 lires,

.. .. 1955 .. 14.634.274 lires,

.. .. 1956 .. 18.317.316 lires.

Les comptes, banques, fournisseurs et créanciers, au passif, font apparaître chaque année des chiffres assez élevés, de l'ordre d'une soixantaine de millions de lires en moyenne. Toutefois, 1 million de lires chaque année est payé aux actionnaires à titre de dividende. Le principal sujet de préoccupations de la part de l'administrateur unique (il le répète tous les ans dans son rapport à l'assemblée générale) est l'impossibilité où se trouve la société, du fait de ses moyens trop faibles, de
moderniser ses installations.

Messieurs, compte tenu de cet ensemble de considérations, il semble que le chiffre de 800.000 lires auquel s'est arrêtée la Haute Autorité ne soit pas excessif, eu égard tant à la gravité de l'infraction qu'aux facultés contributives de la société.

Nous concluons:

— au rejet de la requête;

— et à ce que les dépens soient supportés par la société A.L.M.A.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8-56
Date de la décision : 13/11/1957
Type de recours : Recours contre une sanction - non fondé

Analyses

Prix

Matières CECA


Parties
Demandeurs : Acciaierie Laminatoi Magliano Alpi (A.L.M.A.)
Défendeurs : Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lagrange
Rapporteur ?: Riese

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1957:8

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