Conclusions de l'Avocat général
M. KARL ROEMER
Traduit de l'allemand
SOMMAIRE
Pages
I — Les faits
II — Compétence de la Cour. Nature du recours et recevabilité de la demande en annulation
1. Compétence de la Cour
2. Nature du recours
3. Recevabilité de la demande d'annulation
III — Conclusions du requérant
IV — Quant au fond
1o Suppression du poste occupé par le requérant
2o Affectation à un nouveau poste
3o Mise en disponibilité
a) Application du Statut définitif du personnel de la Communauté
b) Application des principes de l'arrêt 1-55 Kergall
V — Conséquences, dépens et conclusions
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Permettez-moi de commencer mes conclusions dans l'affaire 1-56 Bourgaux contre l'Assemblée Commune par un bref rappel des faits:
I — LES FAITS
Le requérant est entré au service de l'Assemblée Commune le 1er janvier 1953. Son contrat avait été conclu pour une durée de deux ans et, à son expiration, il a été renouvelé pour un an, jusqu'au 31 décembre 1955, en vertu d'une mesure générale de prolongation des contrats de même nature. Le requérant exerçait les fonctions de chef du Service des Compte rendus et des Services parlementaires temporaires. Dans le cadre d'une réorganisation du Secrétariat, après consultation d'experts choisis à
l'extérieur, le Bureau de l'Assemblée Commune décida, entre autres mesures, le 25 novembre 1955, de supprimer deux services ainsi que les postes correspondants de chefs de service, parmi lesquels celui occupé par le requérant; il décida en outre de ne pas renouveler le contrat de ce dernier. Le 13 décembre 1955, le requérant reçut notification d'un arrêté du Président lui communiquant la partie de cette décision qui le concernait. Il fut en même temps avisé qu'en plus des indemnités auxquelles il
avait droit en vertu de son contrat et du Règlement provisoire du personnel, il recevrait une indemnité supplémentaire égale à deux années de traitement. Ces indemnités furent payées au requérant, qui les accepta.
Le 12 janvier 1956, le requérant attaqua ces décisions par le présent recours, dans lequel il conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
1o constater que la décision du Bureau du 25 novembre 1955 est entachée d'irrégularité;
2o prononcer, en conséquence, l'annulation tant de cette décision que de l'arrêté du Président du 13 décembre 1955.
Au cours de la procédure, le requérant a renoncé à un troisième chef de demande, l'allocation du franc symbolique de dommages et intérêts à titre de préjudice moral.
La partie défenderesse conclut au rejet du recours.
II — COMPÉTENCE DE LA COUR — NATURE DU RECOURS ET RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE EN ANNULATION
Messieurs, vous avez donc à vous prononcer sur le recours d'un agent de la Communauté qui attaque la décision mettant fin à son contrat.
Compétence de la Cour
Au cours de la procédure écrite, la compétence de la Cour pour se prononcer sur de tels recours n'a pas été contestée. Dans sa plaidoirie, l'avocat de la partie défenderesse n'a pas non plus réellement contesté cette compétence, mais plutôt la recevabilité de la demande d'annulation. Il n'a pas affirmé qu'une autre instance fût compétente — l'avocat de la partie défenderesse a simplement indiqué qu'à défaut de la clause compromissoire de l'article 42 du Traité, il eût été possible que des tribunaux
nationaux fussent appelés à connaître de ce litige. Par contre, on a fait valoir que des particuliers ne pouvaient demander à la Cour l'annulation des décisions du Bureau de l'Assemblée Commune ou des arrêtés de son Président et qu'en pareil cas la Cour ne pouvait condamner qu'à une indemnité. Mais c'est là un point qu'il faut distinguer de la question de la compétence: nous l'examinerons par la suite.
Sur la compétence elle-même, nous pouvons donc être bref et nous renvoyons à l'arrêt que la Cour a rendu dans l'affaire 1-55 Kergall contre Assemblée Commune, ainsi qu'à nos conclusions dans cette affaire. Dans le cas qui nous intéresse, la compétence de la Cour est également fondée sur l'article 42 du Traité, conjointement avec l'article 17 du contrat d'emploi passé avec le requérant, et avec l'article du Règlement du personnel applicable en la matière. Tous les Règlements du personnel
successivement en vigueur dans la Communauté, de même que le Statut définitif du personnel, contiennent un article sur la compétence de la Cour. Pour examiner la question de la compétence, il est donc inutile de se demander quel est le Règlement applicable au cas d'espèce.
Mais la compétence ne se fonde pas sur le seul article 42 du Traité. Dans son recours, le requérant invoque aussi le Statut définitif du personnel et il prétend que ce dernier aurait dû lui être appliqué; la partie défenderesse le nie. La question de l'applicabilité relève, elle aussi, de l'article 58 du Statut du personnel. Cette disposition n'est pas une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit privé ou de droit public. Ici, l'article 42 du Traité ne suffit donc plus pour fonder la
compétence de la Cour. Dans la mesure où des textes réglementaires établis unilatéralement par l'institution, c'est-à-dire les règlements provisoires du personnel, et finalement le Statut définitif du personnel, s'appliquent à la situation juridique des agents, parallèlement aux dispositions purement contractuelles, l'article 43, alinéa 1 du Traité est applicable conjointement avec l'article 42. Cette disposition attribue compétence à la Cour dans tous les cas prévus par une disposition
additionnelle du Traité. A notre avis, le Statut du personnel doit être considéré comme une disposition additionnelle que les institutions de la Communauté ont compétence pour édicter en vertu du Traité; nous renvoyons à l'article 16 du Statut de la Cour et au paragraphe 7, dernier alinéa, de la Convention relative aux Dispositions Transitoires. L'application de la clause compromissoire a servi d'expédient pendant la période initiale, tout comme le recrutement des agents sur la base de contrats. Le
pouvoir de promulguer un Statut du personnel comporte nécessairement celui de résoudre les litiges auxquels son application pourrait donner lieu; or, seule la Cour de Justice de la Communauté pouvait être habilitée à rendre une décision juridictionnelle en dernière instance.
Nature du recours
Il en résulte des conséquences importantes quant à la nature d'un recours fondé sur un rapport de service. Ce n'est qu'après avoir précisé la nature de ce recours que nous pourrons prendre position sur la recevabilité d'une demande d'annulation.
Le Traité prévoit des recours en annulation, au sens de l'article 33, et des recours de pleine juridiction. Cette dernière appellation figure expressément à l'article 36 et à l'article 88. On sait que cette distinction est empruntée au droit français. Sans entrer dans les détails, nous rappellerons brièvement les fondements de cette distinction — qui, du reste, avec le temps, a perdu de sa netteté en droit français.
Le recours en annulation est dirigé contre un acte administratif; sa légalité objective est examinée et, le cas échéant, il est annulé.
Le recours de pleine juridiction est dirigé contre l'administration en tant que partie et il se fonde sur des droits subjectifs; le tribunal a pleine compétence pour examiner l'affaire du point de vue des faits et du droit et il peut non seulement annuler la décision de l'administration, mais encore la réformer ou condamner l'administration à réparation.
Dans quelle catégorie faut-il ranger le recours fondé sur une clause compromissoire? Le Traité est aussi muet sur ce point que les articles des Règlements du personnel sont imprécis sur la nature du recours présenté par un agent. Le Traité ne précise pas non plus expressément la nature du recours mettant en jeu la responsabilité de l'administration pour faute de service (hypothèse prévue à l'article 40, alinéa 1 du Traité) — cas cependant typique du recours de pleine juridiction en droit français —
sans doute parce qu'il résulte nécessairement de l'objet d'un tel litige qu'il ne peut s'agir que d'un recours de pleine juridiction. En cas de litige mettant en cause la responsabilité de l'administration, on peut aussi se trouver en présence d'une décision préalable de l'administration, bien qu'elle ne soit pas obligatoire suivant l'article 40 du Statut de la Cour. La Cour peut non seulement annuler cette décision préalable, mais elle peut aussi, dans son arrêt, reconnaître un droit à
indemnisation ou accorder une indemnité d'un montant différent de la demande. Dans le cas qui nous occupe, il est intéressant de noter que Much, dans son ouvrage «Die Amtshaftung» (p. 91, remarque 235), mentionne expressément que la question de l'annulation d'une décision administrative préalable doit être jugée dans le cadre du recours de pleine juridiction et non pas dans celui du recours en annulation de l'article 33 du Traité. Dans notre cas également, où il est question des rapports juridiques
de l'agent avec l'administration dont il relève, il serait inadéquat d'appliquer les dispositions dont le but est d'assurer le contrôle de la légalité objective de l'administration économique de la Haute Autorité. Les contrats d'emploi passés avec des agents créent des droits et des obligations pour chacune des parties, ils confèrent aux agents des droits de caractère public à des prestations de la part de l'administration. C'est pourquoi il faut rattacher les recours fondés sur ces rapports
juridiques à la seconde catégorie, aux recours de pleine juridiction, et reconnaître à la Cour un pouvoir d'appréciation illimité.
Par opposition aux articles 33 et 38 du Traité, par exemple, qui limitent le pouvoir d'appréciation de la Cour ou qui le cantonnent à certains moyens d'annulation, les articles 42 et 43 du Traité, comme les Règlements du personnel, portent simplement que la Cour est compétente «pour statuer» sur les litiges en question dans les cas indiqués. La Cour n'est donc pas en principe limitée dans son examen et elle peut prescrire dans son arrêt toutes les mesures nécessaires au règlement du litige dont elle
est saisie.
Mais nous devons tout de suite faire, remarquer que cela n'implique pas un pouvoir d'appréciation illimité sur tous les éléments et circonstances de la mesure attaquée. L'administration jouit, dans certains cas, d'un pouvoir discrétionnaire dont elle doit user conformément à ses obligations et à l'intérêt du service. C'est dans ces limites que s'exerce le contrôle du juge. De plus, l'administration a le droit de régler son fonctionnement interne. Ces instructions n'empiètent pas sur un domaine
juridique particulier, propre à l'agent, elles ne le touchent qu'en tant que membre de l'organisation administrative hiérarchisée qu'un contrôle juridictionnel en ce domaine viendrait compromettre.
Recevabilité de la demande d'annulation
Il résulte de ces considérations que l'article 38 du Traité, qui a été cité à plusieurs reprises dans la procédure écrite et au cours des débats oraux, ne saurait être appliqué en l'espèce. Disposition particulière aux délibérations de l'Assemblée Commune et non à celles de son Bureau, l'article 38 du Traité ne peut être invoqué en matière de protection juridique des agents pour la bonne raison que cette protection doit être la même pour les agents de chacune des quatre institutions. Cette
protection juridique dans le cadre des rapports hiérarchiques spéciaux établis entre l'administration et ses agents, qui est soumise aux mêmes règles dans toutes les institutions, ne saurait être affectée par le fait que les décisions générales prises par celles-ci, étant donné la diversité de leur nature et de leur portée, sont assujetties à un contrôle juridictionnel dont les modalités varient, elles aussi, et qui, dans le cas de la Cour de Justice, fait même complètement défaut en raison du
caractère définitif de ses arrêts. C'est pour des raisons analogues que, à l'occasion d'un recours récent d'un agent, mon éminent collègue, M. Lagrange, a dénié à la Haute Autorité le droit d'invoquer l'article 33 du Traité.
Il reste donc à voir si, dans le cadre d'un recours dont la nature n'est pas autrement précisée, mais qui, d'après nos recherches, ne devrait pas, en tout cas, être rangé dans la catégorie des recours en annulation de l'article 33 du Traité, une décision administrative peut néanmoins faire l'objet de conclusions aux fins d'annulation.
Si l'on reconnaît que la demande d'annulation n'implique pas, à elle seule, qu'il s'agit d'un recours en annulation au sens de l'article 33 du Traité, il n'y a place pour aucune difficulté. En effet, les deux espèces de recours — annulation et pleine juridiction — ne s'opposent pas nettement l'une à l'autre, elles présentent plutôt des différences de degré. On peut donc appliquer l'adage bien connu: «Qui peut le plus peut le moins». Du reste, il arrive souvent que l'annulation d'un acte
administratif puisse être demandée et prononcée dans un recours de pleine juridiction. Nous en avons déjà mentionné un exemple, qui résulte du Traité: une décision administrative préalable peut être annulée dans le cadre d'un recours mettant en cause la responsabilité du service. Nous citerons, en droit français, de Laubadère, Traité théorique et pratique des Contrats administratifs, 1956, tome II, p. 196:
«Le juge du contrat peut en principe annuler les mesures prises par l'administration et contraires à ses engagements contractuels»;
et il donne d'autres exemples de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Enfin, nous renverrons aux statuts des tribunaux administratifs internationaux et nous citerons, par exemple, l'article 9 du statut du tribunal administratif des Nations Unies, relatif aux conflits de personnel:
«S'il reconnaît le bien-fondé de la requête, le Tribunal ordonne l'annulation de la décision contestée ou l'exécution de l'obligation invoquée.»
Nous constatons en résumé que la Cour de Justice est compétente pour juger le présent litige et que la demande d'annulation est recevable.
III — CONCLUSIONS DU RÉQUERANT
Les conclusions du requérant appellent encore une remarque. Le recours n'attaque pas seulement l'arrêté du Président de l'Assemblée Commune du 13 décembre 1955 notifié au requérant, mais encore la décision du Bureau du 25 novembre 1955 sur laquelle se fonde cet arrêté. Cette «décision» est contenue dans un volumineux procès-verbal de 15 pages: il s'agit en réalité d'une série de décisions qui ont trait à l'ordre du jour de cette réunion du Bureau. Le requérant n'avait pas indiqué avec précision
laquelle de ces décisions il entend attaquer. Au cours des débats oraux et finalement au cours de l'audience d'aujourd'hui, il a expréssement déclaré, en précisant la portée de son exposé écrit, qu'il n'attaquait ni la réorganisation en tant que telle, ni la suppression des fonctions qu'il assumait, mais seulement le non-renouvellement du contrat d'emploi qui le liait à l'Assemblée Commune. Cette décision se trouve à la page 14, No 15, du procès-verbal de la réunion du Bureau du 25 novembre 1955. Le
requérant a dû également attaquer cette décision, puisqu'elle est simplement reproduite dans l'arrêté du Président du 13 décembre 1955 qui lui a été notifié et que les motifs de résiliation du contrat n'apparaissent qu'au procès-verbal de la réunion.
IV — QUANT AU FOND
Nous en venons ainsi aux différents moyens du recours.
Suppression du poste occupé par le requérant
Au cours de la procédure écrite, le requérant a commencé par contester le bien-fondé de la suppression de l'emploi qu'il occupait.
Nous avons déjà expliqué que ce grief n'avait pas été maintenu au cours des débats oraux. Il est donc inutile de s'arrêter davantage sur ce point. Bornons-nous à signaler que les mesures d'organisation administrative relèvent du domaine de la marche intérieure des services, dont il a été question plus haut. Par votre arrêt 1-55 rendu dans l'affaire Kergall, vous avez déjà jugé, Messieurs, que le Bureau de l'Assemblée Commune était libre d'organiser son secrétariat comme il l'entendait et au mieux du
service, et de décider la suppression de postes qui lui paraissaient superflus.
Tout au plus aurait-on pu invoquer ici un détournement de pouvoir. A cet effet, il aurait fallu mettre en doute le rapport et peut-être l'objectivité des experts dont la défenderesse a suivi les avis. Le requérant n'entend pas soulever de tels griefs. Les conclusions déposées le 20 novembre 1956, qui sont de nature subsidiaire et qui tendent à faire verser au dossier certains documents et à entendre des experts, sont donc sans objet et il n'y avait pas lieu d'y donner suite.
Pour apprécier la présente espèce, nous pourrons donc partir des bases suivantes, qui ne sont pas critiquées: l'Administration de l'Assemblée Commune, qui comprend 90 agents et qui est à la disposition du Bureau et des membres de l'Assemblée, a été réorganisée par suite de la suppression de 21 postes et de la création de 19 autres. A partir du 1er janvier 1956, il devenait donc impossible de continuer à employer deux de ces agents.
Sur cette base, qu'il admet à présent, le requérant attaque uniquement les conséquences qui l'atteignent personnellement, c'est-à-dire la résiliation définitive de son contrat avec l'Assemblée Commune. Il fait valoir, en premier lieu, qu'un des nouveaux postes aurait dû lui être attribué. Subsidiairement, il soutient qu'en tout état de cause l'Assemblée Commune ne devait pas le licencier définitivement, mais le mettre en disponibilité. Tels sont les deux moyens qui ont été encore invoqués lors des
débats oraux et dont nous pouvons à présent entreprendre l'examen.
Affectation à un nouveau poste
Messieurs, une vue d'ensemble de la réorganisation du Secrétariat, telle qu'elle résulte des pièces du dossier, nous permet de constater qu'il ne s'agissait pas seulement de supprimer deux postes, mais bien en fait de réorganiser complètement les services et de procéder à une nouvelle répartition. Il suffit, en l'espèce, de considérer le groupe des anciens chefs de service et chefs de division. Il résulte de la comparaison des arrêtés No 6 et 7 du 25 novembre 1955 que cinq postes d'agents ayant des
fonctions de direction ont été supprimés et que trois nouveaux ont été créés. Les conséquences de la réorganisation sur le nombre de postes — c'est-à-dire la suppression de deux d'entre eux — intéressent donc précisément ces deux groupes. L'administration se trouvait placée devant la question de savoir auxquels des cinq titulaires des postes supprimés elle devait attribuer les trois nouveaux emplois. Faute de prescriptions formelles, c'était à l'administration de prendre cette décision en usant de
son pouvoir d'appréciation.
Si le requérant soutient qu'un des nouveaux postes aurait dû lui être attribué, cela implique sur le plan du droit qu'il reproche à l'administration de n'avoir pas exercé équitablement ce pouvoir d'appréciation à son égard. Sur ce point, le requérant fait valoir que deux agents, d'un rang inférieur au sien, ont été affectés à de nouveaux postes.
L'avocat du requérant a clairement articulé ce grief au cours des débats oraux; citons la plaidoirie de Me Chareyre (P. V. de la Cour I, b, p. 1):
«C'était nécessairement le rang qu'occupaient les intéressés … qui devait déterminer ceux à conserver …»
Me Rolin (P. V. IV, a, p. 16 à IV, b, p. 2) a aussi présenté des arguments semblables.
C'est uniquement afin d'expliquer les raisons pour lesquelles l'administration a ainsi agi à son égard que le requérant fait état des divers incidents qui l'auraient mis aux prises avec ses supérieurs.
A notre avis, ces arguments ne suffisent pas à établir l'existence d'un détournement de pouvoir. Il faut rejeter la thèse selon laquelle les agents des grades supérieurs doivent être reclassés en priorité. Ce qui est déterminant, ce sont les attributions du nouvel emploi, les tâches correspondant à chaque nouveau poste, d'une part, l'aptitude et l'expérience dont l'agent a fait preuve dans le passé, d'autre part. En l'espèce, il est significatif que les attributions du requérant aient été réparties
entre plusieurs des emplois nouvellement créés. Le cas du second chef de service mentionné par le requérant, M. Limpach, est différent parce que ses attributions ont été maintenues après transfert à une subdivision. M. Limpach était chef du service des finances et est devenu chef du bureau du budget et de la comptabilité selon Me Rolin (P. V. B IV, a, p. 16). Dans ces conditions, il faudrait invoquer des circonstances bien particulières pour justifier une affectation prioritaire du requérant à l'un
des nouveaux postes — et cela au détriment d'un autre agent, dont les intérêts ne devaient pas davantage être négligés; or, ces circonstances n'apparaissent pas en l'espèce.
Le dossier personnel du requérant et les deux documents produits à la fin des débats oraux ne permettent pas de porter une autre appréciation. Bien au contraire, le dossier personnel fait apparaître des éléments négatifs dont la défenderesse aurait été en droit de tenir compte au détriment du requérant lorsqu'elle a procédé au choix des trois agents qu'elle a affectés aux nouveaux poste. Il résulte notamment des pièces Nos 13, 27 et 28 que le requérant a reçu plusieurs avertissements de ses chefs
qui ont cru devoir le menacer de prendre des mesures disciplinaires à son égard, de ne pas renouveler son contrat et de pas le titulariser. Lorsque Me Chareyre demande si M. Bourgaux n'aurait pas dû être préféré à d'autres, on peut dire qu'à tout le moins les incidents que nous avons mentionnés ci-dessus ne plaidaient guère en sa faveur pour l'affecter par priorité à l'un de ces trois postes nouveaux. Pour faire état d'un détournement de pouvoir, il aurait de plus fallu indiquer les motifs exacts
pour lesquels la défenderesse, selon l'avis du requérant, aurait dû l'affecter, lui-même et non pas l'un des trois autres agents repris, à l'un des trois nouveaux postes. La décision contraire de la défenderesse ne pourrait être considérée comme entachée d'un vice que si ces motifs étaient aussi prouvés et si, en outre, la comparaison avait dû être nettement en faveur du requérant.
Le requérant a versé au dossier des photocopies de copies dactylographiées de communication écrites adressées le 2 février 1955 et le 29 novembre 1955 par le Secrétaire général au Président de l'Assemblée Commune.
Il s'agit là d'avis du Secrétaire général qui préparent une réponse à des lettres adressées au Président de l'Assemblée Commune. Le document du 29 novembre 1955 est postérieur à la décision du Bureau du 25 novembre 1955; il se borne à rectifier une erreur relative aux fonctions exercées par le requérant. L'avis du 2 février 1955 est relatif à une lettre du requérant au Président de l'Assemblée Commune, lettre qui figure sous le No 21 à son dossier personnel: le requérant l'avait adressée lui-même au
Secrétaire général (lettre d'envoi — No 22 du dossier personnel) en le priant de la transmettre au Président Pella et le Bureau a rejeté la demande qu'elle contenait au cours de sa réunion du 27 mai 1955 (pièce No 25 du dossier).
Ces documents ne nous semblent pas présenter d'importance, parce qu'ils ne sont pas de nature à prouver que le requérant aurait dû encore être employé dans la suite et aurait dû être affecté à un des nouveaux postes. Nous croyons donc inutile d'examiner la thèse de l'avocat du requérant, Me Rolin, qui estime que l'Assemblée Commune aurait dû verser ces documents au dossier et que, à défaut pour elle de l'avoir fait, elle a commis une faute contre l'obligation pour chaque partie au procès de
participer à la recherche de la preuve. Nous n'avons pas non plus à prendre position sur les dires de l'avocat de l'Assemblée Commune, Me Ansiaux, selon lequel ces documents, et plus spécialement celui du 29 novembre 1955, sont d'une nature telle qu'ils n'ont pas à figurer dans un dossier personnel et sont confidentiels. Le requérant n'a pas contredit l'affirmation de la défenderesse qui a relevé que ce dernier n'a pas indiqué comment il s'était procuré ces documents auxquels il n'avait accès ni
dans le service ni dans le procès. Nous ne sommes pas tenu de prendre position sur l'allégation de l'avocat de l'Assemblée de Commune, Me Ansiaux: en se procurant irrégulièrement une photocopie de ces documents, le requérant aurait porté atteinte à son devoir de fidélité envers son administration et, pour ce motif, aurait rendu impossible son maintien dans le service. Contentons-nous de remarquer que le devoir de fidélité de l'agent envers son administration et la confiance de cette dernière envers
le premier sont une base essentielle du contrat d'emploi pour que les tâches constitutionnelles de l'administration, qui ne peut agir que par ses agents, soient remplies.
Enfin, au cours des débats oraux, le requérant a encore exposé qu'à cette époque, la Haute Autorité avait procédé au recrutement de 80 nouveaux agents, alors que l'Assemblée Commune ne s'était pas souciée de l'affecter à l'un de ces postes. Sans insister davantage sur ce point, il suffit de noter que ce fait ne saurait en aucun cas justifier la demande d'annulation de la mesure prise à l'encontre du requérant. Institution de la Communauté, l'Assemblée Commune ne pouvait affecter le requérant à un
poste vacant dans une autre institution. Cela n'eut pas été compatible avec le principe de l'autonomie des institutions de notre Communauté, tel qu'il est prévu par le Traité. Tout au plus l'Assemblée pouvait-elle proposer à la Haute Autorité l'affectation du requérant à un poste approprié, en lui recommandant le requérant, sous sa responsabilité, si elle le jugeait à propos. Si elle a négligé de le faire, cela peut constituer une violation de l'obligation d'assistance à laquelle elle était tenue
envers le requérant, violation qui ouvrirait tout au plus un droit à dommages-intérêts; mais il n'en a pas réclamé et le montant de l'indemnité effectivement accordée n'est pas mis en cause. Du reste, rien n'empêchait le requérant de postuler lui-même un nouvel emploi et de demander à cet effet l'appui de l'Assemblée Commune. Nous ignorons tout d'une candidature éventuelle du requérant.
En ce qui concerne le premier moyen, nous aboutissons donc à la constatation suivante:
Le fait que les décisions attaquées n'aient pas prescrit une autre affectation du requérant n'est pas de nature à justifier leur annulation. Le premier moyen n'est donc pas fondé.
Mise en disponibilité
Le second moyen fait valoir que les décisions attaquées doivent être annulées parce qu'elles n'auraient pas dû rompre de façon définitive le contrat du requérant et parce qu'elles auraient dû au contraire prescrire sa mise en disponibilité. Sur ce point encore, l'argumentation du requérant a été en partie différée et en partie étendue lors des débats oraux; ce n'est qu'au cours de ceux-ci que de nouveaux éléments de preuve ont été apportés dans l'affaire.
La mise en disponibilité implique le maintien du lien juridique, l'agent continuant de percevoir régulièrement son traitement et bénéficiant d'un droit de priorité pour être réintégré dans tout emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son groupe qui deviendrait vacant, sous réserve qu'il possède les aptitudes requises; au terme de la période de disponibilité et s'il n'a pas été affecté à un nouvel emploi, l'agent reçoit une pension de retraite proportionelle. Il n'y a donc place, ici,
pour aucune indemnité de cessation de fonctions prévue au contrat ou au statut et moins encore pour une indemnité unique en capital. Le requérant ne peut pas invoquer un élément isolé du Statut de la disponibilité et réclamer uniquement la priorité pour occuper un poste vacant, alors qu'il conserve les indemnités perçues à l'occasion de son départ ou ne les rembourse que selon les termes de la décision attaquée.
Le requérant fonde sa demande de mise en disponibilité sur deux arguments dont l'un est présenté à titre subsidiaire. En premier lieu, il estime que le Statut définitif du personnel aurait déjà dû lui être appliqué. En second lieu, il fait valoir que, selon l'arrêt Kergall, il aurait déjà fallu tenir compte du projet de Statut définitif alors en cours de discussion, si bien qu'en tout état de cause il aurait dû bénéficier des avantages de la mise en disponibilité.
a) Application du Statut définitif du personnel de la Communauté
Le requérant déduit que Je Statut définitif du personnel doit être directement appliqué du fait que la Commission des Présidents avait décidé, lors de sa séance du 12 décembre 1955, d'adopter définitivement le Statut du personnel pour trois institutions de la Communauté, à l'exception du Conseil de Ministres qui avait fait des réserves. De ce fait, le Règlement provisoire du personnel du 1er juillet 1953 se trouvait également remplacé de plein droit par ce Statut, conformément à son article 51. En
outre, tous les agents de l'Assemblée Commune auraient reçu le même jour un nouveau contrat d'admission au Statut, de sorte que leur signature aurait emporté application à leur égard des dispositions du Statut qui venait d'être adopté.
La partie défenderesse a répondu que, jusqu'au premier jour des débats oraux, l'Assemblée Commune n'a pas encore mis en vigueur le Statut, que le texte approuvé à la réunion du 12 décembre 1955 n'a pas été publié et qu'il a été une nouvelle fois modifié par la Commission des Présidents lors de sa séance du 28 janvier 1956.
Dans les explications fournies par le requérant à l'appui de sa thèse, suivant laquelle l'Assemblée Commune aurait dû appliquer à son cas le nouveau texte avec les dispositions relatives à la mise en disponibilité, on peut distinguer trois arguments:
1o l'adoption par la Commission des Présidents implique que le texte est immédiatement applicable à tous les agents des trois institutions;
2o cette adoption a entraîné l'abrogation du Règlement provisoire du 1er juillet 1953, qui a été remplacé par le nouveau Statut;
3o le contrat d'admission au Statut implique l'application immédiate du Statut aux agents qui ont signé ce contrat: celui-ci aurait dû être également proposé au requérant.
Messieurs, vous êtes en possession des documents qui sont nécessaires à l'appréciation de ces trois assertions; nous allons procéder à leur examen.
En ce qui concerne, le premier point, il résulte du procès-verbal du 12 décembre 1955 que la Commission des Présidents a discuté le projet article par article et s'est mise d'accord sur un texte après avoir procédé à de nombreuses modifications. Après avoir pris acte d'une réserve du Président du Conseil de Ministres, la Commission a alors décidé (p. 30 du procès-verbal):
«que le Statut est définitivement adopté en ce qui concerne les trois Institutions».
A vrai dire, il ne devrait pas être nécessaire de faire de longs développements pour démontrer que le seul sens possible de cette décision, c'est que le texte avait été désormais définitivement arrêté et qu'aucune modification ne devait plus y être apportée. Cette tentative de mettre un terme à la discussion du texte du Statut n'a dailleurs empêché ni la discussion de projets d'amendement à la réunion de la Commission des Présidents du 28 janvier 1956, ni des modifications qui ont été apportées au
texte adopté le 12 décembre 1955. Il en résulte que l'«adoption définitive», le 12 décembre 1955, constituait une affaire purement interne de la Commission des Présidents et n'excluait pas une reprise des débats. Aussi bien le texte définitif du Statut qui a été publié contient-il la mention que le Statut a été établi le 28 janvier 1956. la date de la mise en application dans les différentes institutions restant encore indéterminée, ce qui est très significatif. L'impossibilité d'une autre
interprétation découle du simple fait que ce texte ne constituait qu'une partie de l'ensemble des règles relatives au Statut du personnel: il prévoyait l'élaboration d'annexes par chaque institution et l'établissement d'un Règlement du personnel par une commission paritaire, textes qui étaient nécessaires et essentiels à l'application du Statut proprement dit.
On peut dire en résumé qu'après la séance du 12 décembre 1955, il était définitivement établi que le futur Statut — de même que tous les projets antérieurs — contiendrait des dispositions relatives à la mise en disponibilité. Par contre, il ne découle pas de la décision de la Commission des Présidents que ces dispositions soient désormais immédiatement applicables. L'avocat du requérant, nous semble-t-il, l'a lui-même reconnu au cours des débats oraux (nous citons la plaidoirie de Me Chareyre, P. V.
IV a, 1):
«… à la séance du 12 décembre 1955 le Statut a été déclaré adopté en ce qui concerne trois des institutions, et cela implique non pas peut-être que la mise en vigueur ait été réalisée pour ceux des agents qui étaient appelés à souscrire au Statut, mais, d'après les termes mêmes de l'arrêt Kergall, cela impliquait que les règles ainsi adoptées se substituaient sur le champ à celles qui résultaient du Règlement intérieur».
Les explications que vous a données aujourd'hui Me Rolin sur l'adoption du Statut ne peuvent nous convaincre que l'Assemblée Commune ait été dans l'obligation de l'appliquer directement et de façon générale pour son administration, après la décision prise le 12 décembre 1955 au cours de la séance de la Commission des Présidents.
Nous en venons ainsi au second argument du requérant qui s'appuie sur l'article 51 du Règlement provisoire du personnel du 1er juillet 1953 et sur l'arrêt Kergall. En ce qui concerne cet arrêt, le requérant ne peut avoir en vue que le passage qui figure sous I A 4. La Cour y reproduit les dispositions de l'article 15 du contrat d'emploi et de l'article 51 du Règlement provisoire du 1er juillet 1953 pour tirer du fait que les deux textes parlent d'un Statut définitif des conclusions sur la nature
juridique du contrat d'emploi. Mais la Cour ne s'est nullement livrée à une interprétation de l'article 51 du Règlement provisoire. Vous connaissez la première phrase de l'article 51:
«Le présent règlement sera remplacé de plein droit par le Statut du personnel de la Communauté dès son adoption».
Messieurs, nous allons pour un moment admettre l'exactitude de la thèse du requérant et supposer que le texte adopté le 12 décembre 1955 par la Commission des Présidents ait bien en fait immédiatement remplacé le Règlement provisoire. Quelles en auraient été les conséquences pour le requérant? L'article 2 du Statut détermine les quatre groupes d'agents auxquels il s'applique. Le requérant n'appartient à aucun de ces quatre groupes. Les agents déjà employés avant l'entrée en vigueur du Statut
devaient au contraire tomber tout d'abord sous le coup des dispositions transitoires que l'on doit nécessairement rencontrer dans une réglementation d'un caractère si décisif. L'article 59 dispose:
«Les agents peuvent être titularisés …»
Et l'article 3 du Statut dit:
«Toute nomination n'ayant pas pour objet exclusif de pourvoir régulièrement à la vacance d'un emploi est interdite.»
Or, la décision du Bureau du 25 novembre 1955 ne prévoyait pas de poste pour le requérant, de sorte qu'il était impossible de l'admettre au bénéfice du Statut. Sa nomination dans le seul but de le mettre aussitôt en disponibilité aurait pu, au contraire, être entachée de détournement de pouvoir.
Messieurs, même si on se rallie à la thèse du requérant, il n'en découle donc pas la conséquence juridique qu'il soutient. Il suffit, au surplus, d'indiquer que le mot «adoption» — qui n'est pas un terme juridique — ne peut être entendu à l'article 51 qu'au sens de mise en application, sinon il en résulterait un hiatus juridique et des contradictions. Enfin, le mot «statut» figurant au même article doit être entendu au sens de réglementation complète de la situation juridique du personnel, tandis
que le texte arrêté le 12 décembre 1955 ne contenait, comme nous l'avons dit, que des dispositions de principe destinées à être complétées par les annexes et par le Règlement du personnel qu'il restait à établir.
Par conséquent, le second argument du requérant ne prouve pas non plus qu'il aurait dû ou pu être mis en disponibilité.
Nous en venons au troisième et dernier argument, qui s'appuie sur les contrats d'admission au Satut. L'examen des pièces montre qu'il s'agit des documents suivants:
1o une déclaration de chaque agent dans laquelle il demande son admission au Statut;
2o un arrêté du Président de l'Assemblée Commune concernant chaque agent, qui contient une solution transitoire: les dispositions du contrat d'emploi et du Règlement provisoire du 1er juillet 1953 cessent en principe d'être en vigueur au 31 décembre 1955; cependant, en attendant la mise en vigueur du Statut, les dispositions énumérées en annexe restent applicables;
3o une lettre du Secrétaire général de l'Assemblée Commune à chaque agent intéressé l'affectant à son poste à partir du 1er janvier 1956, conformément à la décision du Bureau du 25 novembre 1955 et à l'article 12 du Règlement provisoire.
On ne peut tirer que deux conclusions de ces documents:
1o même si le requérant avait fourni une déclaration du genre de celle qui est indiquée au No 1 ci-dessus, un tel arrêté n'aurait pu être pris en sa faveur, puisqu'il ne pouvait pas être affecté à un poste budgétaire vacant;
2o même pour les agents qui ont demandé à être admis au bénéfice du Statut et qui ont fait l'objet d'un tel arrêté, le texte établi le 12 décembre 1955 n'est pas immédiatement applicable. Au contraire, nous l'avons appris le second jour des débats, l'Assemblée Commune n'a mis en application le Statut avec ses annexes et le Règlement du personnel qu'à la suite d'une décision de son Bureau du 1er octobre 1956, à compter du 1er juillet 1956.
Etant donné que les contrats d'emploi de tous les agents venaient à expiration le 31 décembre 1955, l'Assemblée Commune se trouvait placée devant la question de savoir comment régler les rapports juridiques la liant à ses agents après cette date. La mise en vigueur du Statut avec ses annexes et du Règlement du personnel était escomptée dans le courant de l'année 1956; une réorganisation du Secrétariat avec un nouvel organigramme venait d'être décidée à la réunion du Bureau du 25 novembre 1955. Dans
ces conditions, les contrats d'admission au Statut doivent être considérés comme une forme particulière de prolongation des contrats alors en vigueur, prolongation rendue nécessaire par le fait que ces contrats venaient à expiration à la fin de l'année. Mais le requérant ne pouvait bénéficier d'une telle prolongation, puisque le nouvel organigramme entrant en vigueur le 1er janvier 1956 ne lui attribuait pas d'emploi.
La première thèse du requérant selon laquelle il aurait dû être mis en disponibilité par application directe du Statut définitif du personnel n'est donc pas fondée.
b) Application des principes de l'arrêt 1-55 Kergall
Il reste maintenant à examiner la seconde thèse du requérant, selon laquelle l'application des principes énoncés dans l'arrêt Kergall aurait dû tout au moins entraîner sa mise en disponibilité. Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu'en prenant ses décisions et en fixant l'indemnité prévue au contrat d'emploi du requérant, l'administration devait s'inspirer des dispositions du projet de Statut du personnel (p. 12, alinéa 1) et qu'elle aurait dû accorder une indemnité analogue (p. 14, 3ème alinéa à partir
de la fin).
Messieurs, nous croyons interpréter correctement votre arrêt en en déduisant que la Cour n'a jamais songé à l'application immédiate de projets. Au contraire, elle a déclaré que dans l'application du contrat d'emploi et du Règlement provisoire, il fallait tenir compte des principes juridiques des projets. Dans le cas Kergall, cela impliquait qu'en appliquant l'article 15 du contrat, qui prévoyait une indemnité minimum et lui laissait donc une liberté d'appréciation, le Bureau devait tenir compte du
fait que le licenciement de M. Kergall était consécutif à la suppression de son emploi et que, dans ce cas, le projet de Statut prévoyait pour l'agent intéressé une mise en disponibilité pendant trois ans, avec paiement de l'intégralité de ses émoluments pendant une période d'un an et de la moitié de ses émoluments pendant une période de deux ans. Ce n'était là que l'un des points de vue — à vrai dire le principal — dont il fallait tenir compte dans l'application de l'article 15 du contrat; d'autres
pouvaient s'y ajouter et s'y sont effectivement ajoutés: ils ont eu pour effet que les conséquences pécuniaires de cet examen n'ont pas été entièrement conformes aux dispositions du projet.
L'arrêt Kergall contient bien un paragraphe (I A 7) qui énumère les principes régissant la mise en disponibilité. Le contexte montre clairement que la Cour n'a procédé à cette énumération que pour préciser la notion de disponibilité: son principe a été maintenu dans tous les projets de Statut du personnel et dans le Statut définitif, et elle est conforme aux prescriptions relatives à la fonction publique dans plusieurs pays de la Communauté. Mais, et cela résulte des conséquences qu'elle en a
tirées, la Cour n'a pas voulu dire par là que ces dispositions devaient être appliquées dès cette époque. Il est donc inexact de dire, comme le requérant l'a affirmé au cours des débats oraux (Me Rolin dans sa plaidoirie, P.V. IV a 14 et IV b 4), qu'en vertu de l'arrêt Kergall les dispositions relatives à la mise en disponibilité et notamment à la priorité de réemploi étaient immédiatement applicables à un fonctionnaire contractuel. La partie défenderesse n'a pas non plus tenté d'appliquer
directement ces dispositions; cela résulte du fait que le requérant a touché les indemnités de départ et le versement unique en capital et les a acceptés, alors qu'ils ne sont pas prévus en cas de mise en disponibilité. Faute de base légale et budgétaire, la partie défenderesse ne pouvait pas non plus continuer à faire au requérant des versements mensuels équivalant à son ancien traitement.
Au cours des débats oraux, la question a également été examinée de savoir si le requérant n'aurait pas dû toucher une indemnité supérieure, étant donné que, suivant un projet ultérieur de Statut, au cours de 1955, la période de disponibilité a été portée de trois à quatre ans. Cette question nous semble sans intérêt ici, car le recours n'attaque pas le montant de l'indemnité accordée et la Cour est liée par les conclusions. De même, la situation personnelle du requérant et la nature de son emploi
dans son pays d'origine ne présentent d'importance que pour le montant de l'indemnité: ou peut donc également laisser ce point de côté.
Il en résulte donc, en ce qui concerne la deuxième branche de ce moyen, que les décisions de la partie défenderesse qui sont attaquées n'enfreignent pas les principes définis par la Cour dans son arrêt Kergall. A un fonctionnaire contractuel — qui, d'après l'arrêt, est dans la position juridique d'un fonctionnaire public avec un engagement provisoire — ne peuvent être immédiatement appliquées que les dispositions du Règlement provisoire du personnel, lesquelles ne prévoient pas de mise en
disponibilité et ne laissent place qu'à l'octroi d'une «indemnité analogue». L'avocat du requérant semble bien l'avoir reconnu lui-même lorsqu'il a dit au cours de l'audience — nous citons la plaidoirie de Me Chareyre (P.V. I b 4):
«Le succès de ce deuxième moyen est conditionné par l'opinion que vous aurez du point de savoir quel était le statut auquel était soumis Monsieur Bourgaux au moment où a été prise à son égard la mesure de non-renouvellement de son contrat.»
Notre examen ne permet pas de trouver un texte justifiant que le requérant devait être mis en disponibilité. Les décisions attaquées ne pouvaient donc mettre le requérant en disponibilité, et elles ne sont donc pas entachées de vices.
V — CONSÉQUENCES, DÉPENS ET CONCLUSIONS
En définitive, à notre avis, le recours s'avère non fondé. Les conséquences qui en découlent pour les dépens résultent de l'article 60, paragraphe 1 du Règlement de la Cour de Justice. Quant à la question des dépens récupérables, nous renverrons à nos propres conclusions dans l'affaire Kergall, d'après lesquelles, dans un recours opposant un agent à l'administration, l'agent qui succombe ne doit pas en principe supporter les honoraires d'avocat de l'administration. En l'espèce, la partie
défenderesse conclut à la condamnation du requérant au paiement de l'intégralité des dépens; elle fonde sa conclusion sur le caractère abusif de la requête. Suivre les conclusions de la défense sur ce point nous entraînerait très loin et nécessiterait un nouvel exposé et un examen détaillé de l'affaire et de la procédure. Permettez-nous de nous en remettre entièrement à vous pour prendre cette décision, qui peut être rendue ex aequo et bono.
Dans ces conditions, nous concluons au rejet de la requête.