Conclusions de l'Avocat général
M. KARL ROEMER
Traduit de l'allemand
SOMMAIRE
Pages
Introduction
I — Objet du recours — Compétence de la Cour — Nature du recours et étendue du contrôle
1o Objet du recours
2o Compétence de la Cour
a) Clause compromissoire
b) Demande d'indemnité de voiture
c) Demande de 4 mois d'émoluments
d) Non-renouvellement du contrôle
e) Demande d'indemnité
3o Nature du recours et étendue du contrôle
II — Demande d'indemnité de voiture
III — Demande d'une indemnité supplémentaire de 4 mois d'émoluments
IV — Fondement de la demande supplémentaire d'indemnité
1o Principes juridiques
2o Les faits
3o Appréciation juridique
4o Responsabilité de la partie défenderesse
V — Montant de la demande d'indemnité
VI — Dépens
VII — Conclusions
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Vous avez aujourd'hui à statuer sur le recours d'un agent de l'Assemblée Commune dont le contrat d'emploi n'a pas été renouvelé à l'expiration de sa durée qui était de deux ans. Les faits vous sont connus; lors de leur examen juridique, nous ne reviendrons sur certains détails que si la nécessité s'en fait sentir. Permettez-moi tout d'abord de vous donner quelques explications sur l'objet du recours; ensuite, nous pourrons apprécier la compétence de la Cour et nous en tirerons à nouveau les
conséquences sur la nature du recours et sur l'étendue du contrôle judiciaire.
I — OBJET DU RECOURS — COMPÉTENCE DE LA COUR — NATURE DU RECOURS ET ETENDUE DU CONTROLE
1o Le requérant demande de condamner la défenderesse à lui verser quatre indemnités motivées à des titres différents.
En premier lieu, il demande une indemnité pour l'utilisation dans le service de sa voiture personnelle, en se fondant sur le Règlement provisoire du Personnel de l'Assemblée Commune du 12 janvier 1953.
En second lieu, il demande une indemnité de fin de contrat égale à quatre mois d'émoluments, en se fondant sur une décision du Bureau de l'Assemblée Commune qui lui a été communiquée le 3 novembre 1954.
Troisièmement, il demande une indemnité égale à deux années d'émoluments, qui doit lui faciliter la recherche d'une nouvelle situation et compenser le dommage moral qu'il prétend avoir subi.
Enfin, le requérant se croit fondé à réclamer une indemnité supplémentaire de 3 millions de francs belges ou la rente correspondante pour compenser la différence entre son nouveau traitement et celui qu'il aurait, à son avis, perçu pendant 15 années, soit jusqu'à l'âge de 70 ans, auprès de l'Assemblée Commune.
Pour prétendre à ces deux dernières indemnités, le requérant soutient que le non-renouvellement de son contrat d'emploi est irrégulier.
2o Il faut garder présent à l'esprit l'objet sur lequel portent ces prétentions, en examinant maintenant si la Cour de Justice est compétente pour statuer sur celles-ci et, dans l'affirmative, sur quoi elle fonde sa compétence. Cette compétence doit résulter du Traité lui-même.
a) D'après l'article 42 du Traité, la Cour est compétente pour statuer en vertu d'une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé, passé par la Communauté ou pour son compte. C'est un contrat d'emploi de droit public qui a été passé avec le requérant; son préambule se réfère expressément à l'article 6, dernier alinéa, du Traité selon lequel la Communauté est représentée par ses institutions. Le contrat a donc été conclu pour le compte de la Communauté et c'est
cette dernière qu'il oblige; celle-ci est représentée par l'Assemblée Commune, elle-même représentée par son Président. Le contrat lui-même ne contient pas de clause compromissoire; cependant, son article 17 renvoie au «règlement intérieur» en vigueur dans tous les cas où aucune clause explicite n'a été stipulée. Un tel règlement provisoire du personnel de l'Assemblée Commune a été promulgué à la date du 12 janvier 1953. La partie défenderesse affirme dans ses conclusions finales que cette
date est celle de la publication matérielle, mais que sa rédaction définitive avait déjà été adoptée à la date du 16 décembre 1952. En tout état de cause, il s'agit là d'un règlement qui avait été établi par l'Institution et qui était applicable aux agents sauf dispositions explicites du contrat. Ce règlement contenait à l'article 27 une clause compromissoire qui donnait compétence à la Cour. Sur ces entrefaites, le 1er juillet 1953, un nouveau règlement provisoire du personnel est entré en
vigueur: aux termes de son article 52, il remplace toutes les dispositions non contractuelles antérieures, donc aussi bien l'article 27 du premier règlement. Dès lors, c'est la clause compromissoire de l'article 50 du Règlement provisoire du Personnel du 1er juillet 1953 qui est applicable. Selon cet article:
«Après épuisement des voies de recours administratives propres à chaque institution, les litiges auxquels pourra donner lieu l'application du présent règlement seront portés devant la Cour de Justice.»
b) Sur le premier chef de demande du requérant, l'indemnité de voiture, le point litigieux est de savoir si c'est le premier règlement, celui du 12 janvier 1953, ou le nouveau, celui du 1er juillet 1953, qui est applicable. Il s'agit donc d'un litige sur l'application du règlement au sens de l'article 50. Il en résulte que la Cour est compétente pour statuer sur cette demande.
c) Le deuxième chef de la demande, payement de quatre mois d'émoluments, se fonde directement sur une décision du Bureau de l'Assemblée Commune. Cette décision a été prise en vertu de l'article 15 du contrat d'emploi qui, pour l'indemnité de fin de contrat, ne prévoit pas un montant fixe, mais un minimum de deux mois d'émoluments. Le Bureau a appliqué cette disposition du contrat d'emploi dans le cas du requérant. La clause compromissoire de l'article 27 du premier règlement du 12 janvier 1953
prévoyait expressément l'application et l'exécution du contrat d'emploi. Par contre, l'article 50 du règlement du 1er juillet 1953, actuellement applicable, ne vise que l'application de ce dernier règlement. Nous sommes cependant d'avis que la clause compromissoire couvre également le second chef de la demande. Le contrat d'emploi du requérant était très complet; il réglementait les droits et obligations de l'agent, les allocations familiales, les assurances accidents et maladies, l'indemnité
de résidence et les indemnités en cas de non-renouvellement du contrat, toutes questions dont la réglementation a été reprise dans le règlement ultérieur du personnel. En conséquence, les contrats d'emploi ultérieurement conclus ont pu se limiter à un petit nombre de points, notamment aux fonctions à occuper et à la fixation du traitement de base; pour le reste, ils ont renvoyé au règlement du personnel. Ainsi peut-on expliquer que la clause compromissoire actuellement valable ne parle plus
désormais que de litiges sur l'application du règlement du personnel. S'il y a donc des questions qui, depuis juillet 1953, font l'objet d'une réglementation générale dans le règlement du personnel, mais qui sont réglées dans le contrat d'emploi du requérant, la protection juridique actuelle du requérant ne doit pas être diminuée de ce fait. La clause compromissoire fait donc apparaître aussi pour le deuxième chef de la demande la compétence de la Cour conformément à l'article 42 du Traité.
d) Les deux derniers chefs de la demande s'appuient sur le motif que le non-renouvellement du contrat d'emploi a été irrégulier. Cette question concerne également l'exécution du contrat d'emploi. Mais elle touche aussi l'application du Règlement provisoire du Personnel, car son article 1er stipule que, jusqu'à publication du statut définitif du personnel, les agents sont engagés sur contrat. A notre avis, il faut comprendre par là non seulement l'engagement primitif par contrat, mais aussi le
renouvellement d'un contrat dont la durée est venue à expiration. Pour cette question préalable sur le fondement des demandes du requérant, les dispositions ci-dessus permettent également d'affirmer que la Cour est compétente.
e) Pour les deux derniers chefs de la demande du requérant, la compétence de la Cour n'a pu, jusqu'à présent, être constatée que dans la mesure où il faudra trancher la question de savoir si le non-renouvellement du contrat d'emploi était irrégulier, donc seulement pour une question préalable au fond de la demande. C'est sur cette conception que le requérant appuie un chef de demande d'indemnité.
D'après les articles 34 et 40 du Traité, la Cour peut mettre une indemnité à la charge de la Communauté en cas de mesures irrégulières et de fautes de service. Il résulte de ces dispositions que le principe général de la responsabilité de la puissance publique, en vigueur dans les Etats membres, est également reconnu dans le droit de la Communauté. Le rapport de la délégation française dit à propos de l'article 40, alinéa 1, du Traité:
«Ainsi est posé le principe de la responsabilité quasi-délictuelle de la Communauté, dans des conditions qui donneront à la jurisprudence l'occasion des développements nécessaires, adaptés à la nature des nouvelles institutions …» ( 1 ).
Comme l'article 42 du Traité par le de litiges résultant de contrats de droit public ou de droit privé, la clause compromissoire porte tant sur la responsabilité pour faute de service que sur les demandes civiles de dommages-intérêts. En l'espèce, il s'agit du statut juridique des agents de la Communauté. L'engagement et le licenciement du personnel relèvent aussi de l'exécution du Traité et nous verrons ultérieurement que le statut de l'agent sous contrat se rapproche déjà du statut d'un
fonctionnaire titulaire. De ce fait, ce ne sont pas seulement les mesures administratives prises à l'égard des agents et visées par la clause compromissoire dont il convient d'apprécier ici la validité; il faut encore rechercher s'il n'y a pas eu une faute de nature à engager la responsabilité de la Communauté et justifiant l'octroi d'une indemnité appropriée. La Cour est donc également compétente pour statuer sur les autres chefs de demande fondés sur le caractère irrégulier d'une mesure
administrative et, ce faisant, elle appliquera les principes de la responsabilité de droit public de la Communauté.
3o Dès lors, si nous pouvons ainsi affirmer que la Cour est compétente pour statuer sur les demandes qui lui ont été présentées, il en découle en même temps les conséquences suivantes quant à la nature du recours:
Il s'agit tout d'abord de l'application et de l'interprétation de dispositions du règlement provisoire du personnel ou du contrat d'emploi conclu avec le requérant. Dans la mesure où la régularité d'une décision administrative est en cause, le contrôle du juge est soumis à des limites qui sont les mêmes que pour un recours direct en annulation. La Cour examinera donc si la légalité et si les limites du pouvoir discrétionnaire ont été respectées; mais elle n'est pas tenue d'apprécier aussi
l'opportunité de la mesure administrative. Ce principe a été énoncé dans l'article 36 du Traité qui, à propos de l'exception d'illégalité, renvoie à l'article 33, alinéa 1. En revanche, la décision sur la responsabilité de la Communauté constitue un exemple typique du «recours de pleine juridiction». Par conséquent, la Cour jouit, pour tout ce qui excède le pur contrôle de légalité d'une décision administrative, des pouvoirs d'appréciation les plus étendus.
II — DEMANDE D'INDEMNITÉ DE VOITURE
Venons-en maintenant à l'examen du premier chef de la demande, celle d'une indemnité de voiture. Ce chef de demande peut être examiné dès maintenant parce qu'il ne porte que sur une pure question d'application des dispositions du Règlement provisoire du Personnel.
Le contrat d'emploi du requérant ne prévoit aucune indemnité de ce genre. Le requérant fonde aussi sa demande sur l'article 3 de l'annexe I au Règlement provisoire du Personnel du 12 janvier 1953. Le problème de l'indemnité de voiture n'était pas réglé expressément dans le contrat d'emploi; or, la disposition qu'il invoque a été abrogée par l'entrée en vigueur de l'article 52 du Règlement provisoire du Personnel du 1er juillet 1953 et remplacée par l'article 34. Ce dernier article prévoit dans son
alinéa a) une décision spéciale du Secrétaire général de l'Assemblée Commune. Le requérant n'a pas affirmé qu'une telle décision ait été prise en sa faveur. Pour ce motif déjà, la demande se révèle mal fondée, sans même qu'il y ait lieu d'examiner si le requérant s'est servi en fait de sa voiture pour le service. Soulignons en outre que le requérant n'a pas fait valoir son droit immédiatement, dès juillet 1953, lorsque le payement de cette indemnité a été suspendu, mais seulement après son départ,
le 8 décembre 1954.
III — DEMANDE D'UNE INDEMNITE SUPPLÉMENTAIRE DE QUATRE MOIS D'ÉMOLUMENTS
D'après l'article 15 de son contrat, le requérant avait droit, à l'expiration de son contrat d'emploi, à une indemnité qui «ne pourra pas être inférieure» à un douzième de ses émoluments annuels par année passée au service de l'Assemblée Commune. Le contrat fixe ainsi un taux minimum. L'autorité hiérarchique peut donc accorder une indemnité plus élevée en tenant compte des situations particulières. C'est ce que le Bureau de l'Assemblée Commune a fait. Dans ses séances du 3 octobre 1954 (cf.
annexes 15 et 20 du mémoire en défense) et du 27 octobre 1954 (cf. annexes 17 et 21 du mémoire en défense), il a fixé cette indemnité dans le cas du requérant à un total de six mois d'émoluments, chiffre supérieur au taux minimum prévu par le contrat. Cette décision a été notifiée par écrit au requérant le 3 novembre 1954 (cf. annexes 4 de la requête et 9 du mémoire en défense) et elle a été fondée sur le fait que le Bureau a examiné à deux reprises les conséquences sociales et financières
qu'entraînerait pour le requérant le non-renouvellement de son contrat; il a tenu compte en l'espèce des difficultés matérielles du requérant qui est chef d'une famille nombreuse et il a voulu ainsi lui faciliter la recherche d'un nouvel emploi;
Les considérations ainsi invoquées sont justifiées en raison de la nature de l'indemnité. Le Bureau, en l'espèce, n'a fait qu'exercer correctement son pouvoir discrétionnaire.
Après avoir reçu la lettre du requérant du 24 novembre 1954 (annexe 11 du mémoire en défense) et après avoir invité en vain ce dernier à la retirer dans un délai donné, le Bureau décida d'annuler sa décision (cf. annexes 17, 20 et 21 du mémoire en défense). Il invoquait le fait que le requérant n'avait pas formellement accepté cette faveur spéciale et qu'il manifestait l'intention de saisir la Cour.
A ce sujet, il convient de remarquer que la décision du Bureau ne constituait pas une offre de contrat faite au requérant et que ce dernier aurait dû accepter. Cette décision n'obligeait pas non plus le requérant à renoncer à faire valoir d'autres droits éventuels, même devant la Cour. Bien plutôt, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Bureau a statué sur le montant de l'indemnité: le principe en était acquis au requérant en vertu de son contrat qui, pour son montant, ne prévoyait qu'un
taux minimum. Le fait que le requérant croyait avoir d'autres droits et entendait les faire valoir en justice n'est pas un motif justifiant la modification de cette décision du Bureau au préjudice du requérant, comme cela a été le cas en l'espèce.
En vain objecterait-on qu'en invoquant des droits à raison de la fin de son contrat, le requérant reconnaît, par là même, la légitimité du non-renouvellement de ce contrat et se met aussi en contradiction avec les motifs qu'il invoque pour les autres chefs de la demande. En réalité, le requérant admet la fin de son contrat comme une situation de fait; il demande non pas son réemploi, mais une indemnité. Une telle demande est recevable et est admise, par exemple, en droit allemand et en droit
français lorsqu'il semble qu'on ne puisse exiger la continuation du lien de service. Le requérant ne se contente donc pas dans son recours, en raison du caractère irrégulier du non-renouvellement du contrat, de demander le versement des indemnités auxquelles lui donnent droit ce contrat et la décision spéciale du Bureau prise en vertu de ce dernier: il invoque encore d'autres droits supplémentaires. Si la Cour reconnaît que ces droits sont fondés, il lui faudra tenir compte pour le calcul de ces
indemnités de celles qui ont déjà été attribuées et qui sont prévues pour la fin régulière d'un contrat d'emploi. En tout cas; le Bureau a annulé sa décision primitive pour des motifs injustifiés. Aussi cet acte est-il nul et d'une nullité qui peut aussi bien être invoquée par voie d'exception.
Comme le requérant n'a reçu effectivement que le taux minimum de deux mois d'émoluments, il est fondé dans sa demande tendant à obtenir le versement des quatre mois supplémentaires qui lui ont été accordés par la première décision du Bureau de l'Assemblée Commune statuant sur cette question.
IV — FONDEMENT DE LA DEMANDE SUPPLÉMENTAIRE D'INDEMNITÉ
Les deux derniers chefs de la demande du requérant se fondent sur l'irrégularité de la décision de non-renouvellement de son contrat; ce ne sont donc pas des demandes juridiquement séparées, mais le requérant les présente sous des angles différents; pour justifier leur montant. Ces deux chefs peuvent donc être joints. Examinons, tout d'abord, leur fondement juridique.
1o Aucune disposition formelle particulière, aucun texte spécial de la Communauté ne sont applicables à l'espèce. Il convient donc tout d'abord de rechercher quels principes juridiques doivent être retenus pour statuer.
Les parties défendent sur ce point des conceptions opposées. Le requérant estime que le rapport contractuel qui existe entre les agents et la Communauté leur assure des perspectives sûres d'une intégration ultérieure dans le cadre des fonctionnaires titulaires, à moins que l'agent ne se révèle incapable ou qu'à la suite de la suppression d'un poste des motifs de service ne rendent impossible son utilisation. La partie défenderesse répond à cela que les contrats sont conclus pour une durée
déterminée et prévoient en termes exprès des indemnités pour le cas de non-renouvellement, de telle sorte que la décision de renouvellement ou de non-renouvellement relève du pouvoir discrétionnaire de l'autorité qui a engagé l'agent.
Le paragraphe 7 de la Convention relative aux Dispositions transitoires prévoit que:
«En attendant que la commission prévue à l'article 78 du Traité ait fixé l'effectif des agents et établi leur statut, le personnel nécessaire est recruté sur contrat.»
Sur la base de ce texte, l'ensemble du personnel de la Communauté a été engagé en vertu de contrats de durée variable ne dépassant généralement pas deux ans et, dans certains cas, de contrats qui étaient considérés comme tacitement reconduits de mois en mois. A l'origine, ces contrats étaient très explicites sur certains points, tandis qu'ils renvoyaient, sur d'autres questions, à un règlement interne établi par l'Institution pour son personnel. La Commission des Présidents a créé, en février
1953, une commission pour préparer le statut définitif du personnel. Cette commission a élaboré tout d'abord un règlement provisoire du personnel qui unifiait les règlements internes antérieurs de différentes Institutions. Ce règlement provisoire du personnel a été mis en vigueur sous des formes très voisines à la Cour de Justice et à l'Assemblée Commune en juillet 1953, au Conseil de Ministres en novembre 1953, à la Haute Autorité en mars 1954. Il se fonde expressément sur la nécessité
«d'établir un règlement provisoire du personnel en attendant la mise en vigueur du Statut du personnel des Institutions de la Communauté». L'article 2 prévoit un stage probatoire d'une durée maximum de trois mois, pendant laquelle l'Institution peut résilier le contrat avec un mois de préavis. Cette période une fois finie, le règlement ne prévoit plus que l'Institution puisse procéder à un licenciement. Certes, l'article 46 prévoit la révocation, mais seulement comme peine disciplinaire la plus
grave, intervenant à la suite d'une procédure disciplinaire formelle.
Lorsque, au début de 1954, on se trouva devant l'échéance imminente d'un grand nombre de contrats, alors que la mise en vigueur du statut définitif du personnel ne paraissait pas être prévisible à bref délai, la Commission des Présidents prit dans sa sixième séance du 19 mars 1954 la décision suivante:
«La Commission décide de proroger jusqu'au 31 décembre 1955 le contrat de tous les agents titulaires d'un engagement de plus d'un an, les contrats d'une durée inférieure étant prorogés d'un an seulement. Les institutions conserveront toutefois la faculté de ne pas accorder le bénéfice de cette prorogation aux agents qui se révèleraient inadaptés à leurs fonctions. Le contrat des agents admis ultérieurement au bénéfice du statut deviendra caduc dès l'entrée en vigueur de ce statut.»
Cette décision a été prise en raison de l'intérêt qu'il y avait à fixer de la façon la plus uniforme possible la date de l'expiration des contrats pour faciliter une transition rapide avec le régime statutaire. Il avait même été envisagé de prolonger les contrats jusqu'à la date d'entrée en vigueur du statut définitif, date qui était encore indéterminée à ce moment-là.
On sait que l'élaboration du statut définitif du personnel n'est pas encore achevée et que, maintenant encore, l'ensemble du personnel est régi par des contrats prolongés au-delà de leur date d'expiration primitive.
De cette situation de fait, on peut, à notre avis, tirer les conclusions suivantes:
Le personnel qui est affecté à des postes budgétaires de caractère permanent — à l'exception, par conséquent, des agents auxiliaires et temporaires —, et dont le contrat ne contient aucune disposition contraire, ne peut être licencié par son Institution à l'expiration du stage. Le fait que le contrat renvoie dans une large mesure à un règlement provisoire entraîne déjà un rapprochement avec la situation d'un fonctionnaire titulaire. La limitation des contrats dans le temps a essentiellement pour
but de permettre une transition rapide entre le régime contractuel et le régime statutaire prévu. Tant que ce statut définitif ne pourra être mis en vigueur, l'intérêt de la continuité du service commande que de tels contrats fassent l'objet d'une mesure générale de reconduction. Aux termes de la décision de la Commission des Présidents, les Institutions «conservent» le droit de ne pas accorder le renouvellement du contrat en cas de défaut d'aptitude professionnelle de l'agent. Ce droit,
pourrait-on penser, c'est le droit de révocation déjà existant. Or, nous pensons qu'il convient d'opérer une distinction et que l'échéance du contrat a une certaine portée qui va plus loin. Pendant la durée du contrat, seule une faute grave peut entraîner la révocation à la suite d'une procédure disciplinaire formelle; à l'échéance du contrat, l'administration a cependant les mains plus libres; elle peut également tenir compte d'un défaut d'aptitude professionnelle qui s'est révélé sans qu'il y
ait besoin d'établir une faute particulière à la charge de l'agent. Cependant, si, pour ce motif, un contrat n'est pas renouvelé, il y a lieu de respecter certaines conditions et d'offrir à l'intéressé des garanties juridiques semblables à celles de la procédure disciplinaire. C'est ainsi que doivent être établis les rapports des supérieurs hiérarchiques prévus pour les dossiers personnels et concernant la qualification de l'agent, son rendement et son comportement dans le service; ces rapports —
comme d'ailleurs l'ensemble du dossier personnel — doivent être portés à la connaissance de l'intéressé, qui doit pouvoir présenter ses observations. L'Institution, sous sa propre responsabilité, peut ensuite prendre la décision motivée de ne pas renouveler le contrat. C'est la seule façon d'arriver à ce que, d'une part, l'administration puisse se séparer d'un agent inapte et à ce que, d'autre part, l'agent bénéficie d'une protection adéquate contre le non-renouvellement arbitraire de son
contrat, ainsi que de la possibilité de soumettre cette décision au contrôle du juge. Le principe fondamental de l'égalité de traitement exige, au surplus, qu'en cas de renouvellement général de contrats identiques, toute exception à cette mesure générale soit justifiée par une procédure appropriée. Dès lors, s'il est vrai que l'agent contractuel n'a pas un droit à être titularisé et à se voir doté d'un emploi permanent, il peut cependant prétendre en premier lieu à bénéficier des droits de la
défense et de l'égalité de traitement et, en second lieu, à ce que toute exception faite à son encontre aux mesures de renouvellement général des contrats soit concrétisée par une décision motivée prise par l'autorité compétente, selon la procédure adéquate, et sujette au contrôle du juge.
Qu'il nous soit permis d'attirer votre attention sur certains rapprochements à faire avec la décision toute récente du Tribunal administratif de l'Organisation Internationale du Travail, citée par le requérant; il s'agit, comme vous le savez, de l'arrêt rendu dans l'affaire «DUBERG contre UNESCO». Le Tribunal a rejeté la thèse de l'UNESCO selon laquelle cette institution avait le pouvoir discrétionnaire et souverain de refuser de prolonger certains contrats en dépit du renouvellement général
auquel elle avait procédé. Le Tribunal a affirmé qu'un engagement à durée déterminée ne pouvait être assimilé à un engagement à l'essai et qu'une décision exceptionnelle de non-renouvellement devait être motivée, afin d'exclure toute décision arbitraire et de permettre au Tribunal d'exercer son contrôle de la légalité. Plus précisément dans cet arrêt, le Tribunal a expressément affirmé qu'il entendait procéder au contrôle général de la légalité qui appartient au juge. Dans le cas d'espèce, il a
seulement statué sur le point de savoir si le motif invoqué pouvait justifier d'une façon générale le non-renouvellement d'un contrat. Nous n'avons pas non plus d'objection à suivre les principes généraux de la jurisprudence du Conseil d'Etat et nous ne voyons pas non plus que dans les autres arrêts d'organismes internationaux, cités par les parties, le contrôle ait porté sur l'opportunité d'une décision administrative.
Les principes ci-dessus énoncés: droit de défense en justice, égalité devant la loi et devant le juge, égalité devant les tribunaux, sont des droits fondamentaux reconnus par les Constitutions de tous les Etats modernes. Le fait que des indemnités soient prévues, sans autres conditions, pour le cas de non-renouvellement d'un contrat du type de celui qui vous est soumis ne dispense pas l'autorité administrative de l'obligation de respecter ces droits fondamentaux. Il est à remarquer que le projet
de statut définitif du personnel le la Communauté prévoit en faveur des agents licenciés en fin de stage le payement de trois mois de traitement, mais une procédure précise est, néanmoins, prescrite: le rapport sur les capacités professionnelles de l'agent stagiaire est notifié à celui-ci, qui peut présenter ses observations écrites et ce n'est qu'ensuite que l'employeur prend sa décision en pleine connaissance de cause ( 2 ). De même, en cas de licenciement pour défaut d'aptitude
professionnelle ( 3 ) d'un agent engagé à titre définitif, le Statut prévoit à la fois une indemnité et une procédure dont les formes sont fixées par renvoi à la procédure disciplinaire; c'est à l'issue de cette procédure que l'employeur prend une décision motivée.
Ces principes ne sont valables que pour apprécier si, en cas de renouvellement général de contrats semblables, le non-renouvellement d'un ou de plusieurs de ces contrats est intervenu régulièrement. Mais le point de savoir s'il y a, en outre, une faute éventuelle de l'administration entraînant l'obligation d'indemniser demeure entier; cette question d'indemnisation reste à examiner.
2o Appliquons maintenant aux faits de l'espèce les principes ainsi posés.
Le requérant a été engagé pour deux ans sans stage probatoire; ni son contrat, ni le premier règlement du personnel du 12 janvier 1953 ne prévoient un tel stage. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que, peu après l'entrée en fonctions du requérant, son supérieur hiérarchique a collaboré directement avec les chefs de division placés sous les ordres du requérant et qu'un projet de règlement financier élaboré par ce dernier a été rejeté comme inutilisable. Lors de l'engagement du requérant,
l'organisation du Secrétariat n'était pas encore fixe, il n'y avait que seize agents. Un premier plan d'organisation a été établi en avril 1953. En juin, le Bureau a décidé le suppression du poste de chef des services administratifs «à l'expiration du contrat du fonctionnaire actuel, M. Kergall (5 décembre 1954)», selon le procès-verbal du Bureau, du 15 juin 1953, qui a été produit. Telle a été la décision du 15 juin 1953. Aucune autre fonction n'a été confiée au requérant. Lorsqu'en octobre
1953, il voulut spontanément participer à la préparation du budget de l'Assemblée, il lui fut dit que son travail était inutilisable et qu'il devait cesser cette activité. Il fut ensuite chargé d'une étude sur le régime social du personnel des parlements nationaux des Etats membres. Au bout de neuf mois, on lui rappela ce travail, qu'il acheva, alors, en trois semaines, selon ses dires. Ses supérieurs hiérarchiques refusèrent également ce dernier travail, jugé pratiquement inutilisable; après
cette date, aucune tâche nouvelle ne lui fut confiée, ce sur quoi les parties sont d'accord.
3o Soulignons à cet égard le fait que le requérant a été engagé immédiatement de façon ferme pour une durée de deux ans en l'absence de toute organisation fixe du Secrétariat et sans qu'un poste déterminé avec des fonctions précises lui ait été confié. Si, peu de temps après son engagement, le poste prévu de chef des services administratifs lui a été pratiquement retiré, parce qu'il paraissait opportun d'avoir une organisation plus simple; si, par la suite, le Bureau de l'Assemblée a décidé le
15 juin 1953 de supprimer cet emploi de façon formelle, c'est peut-être là une question d'organisation intérieure et d'opportunité qui relève de la responsabilité du Bureau de l'Assemblée et que la Cour n'a pas à examiner. Il n'y a pas lieu de rechercher si le Bureau était compétent pour décider de la suppression d'un emploi ou s'il n'avait qu'un droit de proposition, car, en tout état de cause, la suppression d'emploi ne peut, à elle seule, justifier la conclusion qui en a été tirée que, «en
conséquence», le contrat du requérant, qui ne venait à expiration qu'un an et demi plus tard ne pouvait être prolongé. Le requérant, dont on sait que son contrat n'indiquait aucune fonction déterminée, aurait alors pu éventuellement être utilisé autrement. Compte tenu de la mise en place progressive de l'administration et du recrutement qui a été fait, cela paraissait possible à première vue, si bien qu'il faudrait demander à l'Assemblé Commune de faire la preuve contraire.
La partie défenderesse tente de faire cette preuve en invoquant deux arguments: en premier lieu, elle n'aurait pu offrir au requérant le poste de «chef de division», car cela aurait équivalu à une «capitis deminutio»; en second lieu, le requérant n'aurait pas été apte à un poste de direction.
Le premier argument ne nous semble pas décisif, car on pouvait exiger de la défenderesse que, en dépit des scrupules qu'elle affiche, elle exposât le problème au requérant et lui fît une offre claire. S'il a été question de «capitis deminutio», il ne nous semble guère que celle-ci résulte d'une autre affectation, fût-elle même dans un emploi inférieur. Mais elle tient plutôt à ce que la suppression de l'emploi du requérant n'a été décidée formellement que pour la date d'expiration de son contrat,
alors que pratiquement, tout au moins pendant 18 mois, il était mis dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Cette inactivité imposée au requérant, c'est la partie défenderesse qui en est responsable. C'était non seulement l'intérêt du service, mais aussi son devoir envers l'agent, qui aurait voulu que cette dernière examine en toute conscience si elle ne pouvait utiliser le requérant avec profit dans un autre poste. Les parties sont unanimes à admettre que la défenderesse n'a pas fait cette
tentative.
Dans le procès actuel, la défenderesse justifie ces faits en alléguant qu'elle juge insuffisantes les qualifications du requérant. L'appréciation sur les aptitudes professionelles, surtout sur celles d'un agent supérieur, relève au premier chef de l'autorité compétente. De même, la question de savoir si ces aptitudes peuvent être appréciées définitivement après un semestre seulement et si la possibilité pour le requérant de faire la preuve de ses mérites dans un autre service aurait dû lui être
offerte nous semble être une question d'opportunité. Mais, sur ce point, l'autorité doit prendre une décision claire, sous sa responsabilité. Or, dans le dossier et notamment dans le dossier personnel du requérant, nous ne trouvons aucun rapport écrit de ses supérieurs sur ses fonctions et sur son aptitude. Nous ne trouvons aucune décision écrite et motivée du Bureau expliquant pourquoi le requérant n'a pas été utilisé autrement. Nous avons expliqué qu'à notre avis, ces règles de forme doivent
être respectées, que l'intéressé doit être entendu et qu'ainsi un contrôle juridictionnel doit être rendu possible dans certaines limites.
Résumons-nous: le motif invoqué à l'appui de la décision de non-renouvellement du contrat ne justifie pas cette décision. La suppression d'emploi ne pouvait être invoquée que si, en même temps, la preuve était faite de l'impossibilité d'utiliser autrement le requérant, en dépit d'un large recrutement de personnel. Cette preuve n'a pas été apportée.
Pour ces motifs, la décision de ne pas prolonger le contrat du requérant nous paraît illégale.
4o Il reste maintenant à examiner si, en prenant cette décision, l'administration a commis une faute qui entraîne sa responsabilité.
De l'article 34 du Traité découle le principe que toute mesure illégale, même si elle devait être annulée sur recours en annulation, n'entraîne pas ipso facto une obligation à dommages-intérêts. De même, en droit français ( 4 ), le caractère illégal d'une mesure est bien une condition nécessaire de la responsabilité, mais cette condition n'est pas suffisante. Notamment, une violation de la forme n'a d'importance que si elle a exercé une influence sur le contenu de la décision elle-même.
L'indemnité n'est pas une pénalité, une sanction, imposée à l'administration pour le non-respect des règles légales, mais la réparation d'un dommage résultant d'une mesure injustifiée au fond.
Il se conçoit que, pour le problème de l'indemnité, il y ait lieu de faire une différence lorsqu'il s'avère que la mesure aurait eu un contenu identique, même si les formes avaient été respectées. On pourrait penser notamment ici au cas où le requérant aurait immédiatement attaqué la décision du 16 juin 1953 et où la Cour aurait annulé cette décision parce que le motif indiqué ne la justifiait pas; et on pourrait se demander si la défenderesse aurait pu prendre à l'égard du requérant une nouvelle
décision régulière ayant le même contenu en invoquant d'autres motifs et en respectant les règles de procédure applicables.
Il est particulièrement difficile de répondre a posteriori à cette question. Il s'agit là d'une appréciation de fait à laquelle la Cour devra procéder. Nous croyons que le résultat de l'instruction ne permet pas de répondre affirmativement avec une sûreté suffisante. Les indices existants laissent penser qu'il était possible d'utiliser le requérant à un autre poste. Le défaut d'aptitude professionnelle invoqué aujourd'hui a posteriori ne pouvait être constaté qu'en respectant les règles de
procédure qui constituent des garanties substantielles pour l'intéressé et qui sont destinées à influencer le contenu matériel de la décision.
Pour tous ces motifs, nous estimons que la défenderesse a commis une faute qui engage sa responsabilité.
V — MONTANT DE L'INDEMNITÉ DEMANDÉE
Quant à l'indemnité, il y a lieu de tenir compte de certains facteurs qui, à notre avis, doivent être pris en considération pour en fixer le montant.
Le requérant ne nous paraît pas fondé à demander une différence de salaire calculée sur la base d'une durée de quinze ans, parce qu'il n'avait aucun droit à un emploi et à un salaire fixes, droit que la défenderesse aurait violé par sa décision. Comme nous l'avons dit, il avait seulement vocation à exercer un emploi permanent s'il avait fait ses preuves et sous réserve des besoins du service. D'autres facteurs d'insécurité, tenant aux perspectives d'avenir, et dont la Cour ne peut connaître, sont à
retenir ici: en tout cas, on ne peut constater l'existence d'un «dommage certain».
Reste alors une indemnité dont le requérant lui-même évalue le montant à deux années d'émoluments. Mais il faut tout d'abord tenir compte des sommes que le requérant a déjà perçues à titre d'indemnité de départ; car même si aucune autre condition n'a été posée pour leur octroi, elles constituent cependant des «indemnités» pour les conséquences préjudiciables qui résultent du fait du départ. Le requérant a reçu une indemnité égale à six mois d'émoluments et ses frais de déménagement lui ont été
remboursés. Ainsi a-t-on tenu compte des frais de son rapatriement et d'une indemnité transitoire correspondant à ses deux années de service. Nous proposons de lui accorder également les quatre mois d'émoluments que le Bureau lui a accordés en raison de sa situation de famille et des difficultés de retrouver à son âge un nouvel emploi. Le requérant recevra ainsi d'ores et déjà dix mois d'émoluments, alors qu'un agent soumis aux dispositions du règlement provisoire du personnel ne recevrait que
quatre mois de traitement. Si la Cour entend invoquer comme élément de comparaison l'indemnité qui a été accordée dans l'affaire Duberg, citée ci-dessus, il faut remarquer que ce dernier n'avait droit à aucune indemnité contractuelle ou statutaire, qu'il était depuis cinq ans au service de l'UNESCO et qu'il était remarquablement bien noté. Nous voudrions également invoquer les dispositions du paragraphe 8 d'une loi allemande de 1951 sur la protection contre les licenciements: en cas de licenciement
injustifié, ce texte ouvre, au lieu d'un réemploi, la possibilité d'une indemnité allant jusqu'à douze mois de traitement.
Enfin, il faut également tenir compte du travail et du comportement du requérant. Ce dernier n'a fait par écrit aucune objection à la décision du Bureau du 15 juin 1953 qui lui a été communiquée par écrit et il semble qu'il ne se soit pas non plus préoccupé sérieusement d'une autre affectation. Cette décision du Bureau, il est vrai, ne devait devenir effective qu'à la fin de son contrat, et certes, il appartenait en premier lieu à l'administration d'utiliser le requérant avec profit dans un autre
poste, après la suppression des fonctions qu'il occupait. De ce fait, la faute de l'administration ne peut pas être compensée complètement par l'attitude du requérant. Mais celle-ci doit être envisagée dans ce cadre. Avant tout il faut attacher une certaine importance au fait que le requérant, qui était un agent très bien payé, dans un poste de direction, a accepté, sans efforts sérieux pour modifier cet état de choses, de rester au moins 18 mois, comme il l'a dit lui-même, sans pouvoir travailler
d'une façon conforme à son rang et à ses aptitudes.
Mais tous ces aspects de la question ne peuvent que donner des moyens d'appréciation pour la fixation d'une indemnité «ex aequo et bono» et nous admettons qu'éventuellement ils ne sont pas complets. Nous nous abstiendrons donc, Messieurs, de la chiffrer exactement et nous nous en remettons sur ce point à la sagesse de la Cour.
VI — DÉPENS
Sur la base de nos conclusions, nous avons enfin à prendre position sur la question des dépens. Par application de l'article 60, paragraphe 2 du Règlement de la Cour, et si vous suivez nos propositions, nous estimons juste de mettre à la charge de la partie défenderesse la totalité ou la plus grande partie des frais du requérant, dans le cas où ce dernier ferait triompher sa demande d'indemnité de quatre mois d'émoluments accordés par le Bureau et ferait admettre le bien-fondé de sa demande
d'indemnité supplémentaire, bien qu'il n'ait aucune chance d'en obtenir la totalité. En tout cas, nous n'estimons pas juste que le requérant supporte une partie des frais de l'avocat de la partie défenderesse, parce que cette dernière n'était pas tenue de se faire assister et parce que, en raison de la nature du litige et des risques en matière de frais, risques qui sont de nature à décourager tout agent dans un recours de ce genre, il ne serait pas équitable de les imputer au requérant. Il est à
noter que cette idée a trouvé aussi son expression dans une disposition légale: le paragraphe 61, alinéa 1 de la loi allemande, relativement moderne, sur les tribunaux du travail dénie, en effet, à la partie gagnante, dans les conflits du travail, le droit au remboursement des frais résultant du recours à un mandataire ou à un conseil. Dans notre procédure, ce principe peut s'appliquer à la défenderesse, mais non pas au requérant, du fait qu'aux termes de l'article 20, alinéa 2, du Statut de la
Cour, il était obligé de se faire assister d'un avocat.
VII — CONCLUSIONS
Pour terminer, nous formulerons ainsi nos conclusions:
1o rejet de la demande du requérant tendant au payement d'une indemnité de voiture;
2o admission de la demande tendant au payement de quatre mois supplémentaires d'émoluments;
3o admission de la demande d'une indemnité supplémentaire dont la Cour fixera équitablement le montant;
4o condamnation de la partie défenderesse à la totalité ou à la plus grande partie des dépens.
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( 1 ) P. 37 de la publication officielle, 1951, 1re partie. Chapitre 1, Section IV, paragraphe 2 A 1a II.
( 2 ) doc. 1685 du 28-3-55, art. 41 à 43.
( 3 ) art. 82.
( 4 ) Benoit — Juris-classeur administratif, tome IV, fasc. 729, No 27 et ss.; Odent, p. 477 et ss.