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11/11/1954 | CJUE | N°2-54

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 11 novembre 1954., République italienne contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier., 11/11/1954, 2-54


Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

SOMMAIRE

Pages
  Moyen tiré de la violation de l'article 60


  Moyen tiré du détournement de ...

Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

SOMMAIRE

Pages
  Moyen tiré de la violation de l'article 60
  Moyen tiré du détournement de pouvoir
  Moyen tiré de la violation du paragraphe 30 No 2 de la Convention
  Conclusions finales

Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

Comme Monsieur le rapporteur, nous regrettons de ne pas pouvoir nous exprimer dans la langue de procédure. Nous avons à nous expliquer maintenant sur la requête du Gouvernement italien — recours 2-54 ( 1 ).

Messieurs, cette requête soulève formellement quatre moyens qui sont les suivants:

1o violation de l'article 60 paragraphe 1, en relation avec l'article 4 b) du Traité: ce moyen s'attaque spécialement à la décision 1-54 sur la définition des pratiques interdites;

2o violation de l'article 60 paragraphe 2, qui vise la décision 2-54 sur l'assouplissement du régime de publicité;

3o détournement de pouvoir dans l'exercice de la faculté accordée à la Haute Autorité par l'article 60, paragraphes 1 et 2 du Traité;

enfin 4o violation du paragraphe 30 alinéa 2 de la Convention sur les dispositions transitoires, question, comme vous savez, particulière à l'Italie.

Messieurs, les trois premiers moyens reprennent, avec une présentation un peu différente, les mêmes arguments que ceux qui ont été invoqués dans la requête du Gouvernement français. Nos explications à ce sujet seront donc nécessairement brèves, et nous nous en excusons vis-à-vis du Gouvernement italien. Il va de soi que cela n'implique pas que nous n'ayons étudié les questions posées qu'à l'occasion du premier recours. En fait, nous avons lu avec la même attention tous les mémoires produits dans les
deux affaires, ainsi d'ailleurs que dans les deux dernières, celles des associations, et écouté avec le même intérêt toutes les plaidoiries. Si nous avons axé jusqu'ici nos explications sur le seul recours du Gouvernement français, c'est simplement parce qu'il se présente le premier et pour la clarté de l'exposé. Personne, nous en sommes persuadé, ne verra dans cette méthode une «discrimination» interdite … ni un quelconque manque de courtoisie.

MOYEN TIRÉ DE LA VIOLATION DE L'ARTICLE 60

Le premier moyen, avons-nous dit, s'en prend à la décision 1-54 à laquelle il reproche d'avoir autorisé certaines pratiques contraires à la règle de non-discrimination et, par là, violé l'article 60 paragraphe 1 qui les interdit d'une manière absolue. Selon le requérant, le respect de la règle de non-discrimination est lié d'une manière indissoluble au principe de la publicité, et toute entorse à ce dernier entraîne par elle-même une violation de la première.

Vous reconnaissez là, Messieurs, très exactement la thèse du premier recours, d'après laquelle, si les deux notions sont «intellectuellement détachables», elles ne peuvent être séparées dans l'application. Nous ne pouvons donc que renvoyer à nos précédentes observations, en rappelant que, selon nous, au contraire, la décision 1-54, en elle-même, est parfaitement orthodoxe, quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir sur la régularité du régime de publicité.

Le deuxième moyen est fondé sur la même idée, à savoir que la publicité est un moyen imposé par le Traité pour assurer le respect de la règle de non-discrimination, et que, dans toute la mesure où certaines transactions peuvent être conclues à des prix autres que les prix publiés, les discriminations deviennent possibles. Donc le régime qui permet de tels résultats est nécessairement contraire à l'article 60, paragraphe 2, combiné avec le paragraphe précédent.

Ici encore, Messieurs, nous ne pouvons que nous référer à nos observations antérieures. Nous noterons seulement que la requête du Gouvernement italien s'en prend expressément, en ce qui concerne la décision 2-54, aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 1 bis nouveau, lesquelles, vous le savez, concernent les transactions «présentant des caractéristiques singulières qui les font échapper aux catégories définies dans le barème» alors que, vous l'avez vu, le Gouvernement français a
expressément renoncé à critiquer la décision sur ce point. Le Gouvernement italien, au contraire, a longuement insisté sur cette question à l'audience. Il nous semble pourtant que c'est là une des exceptions les plus justifiées, car la rigidité en pareil cas serait de nature à contrarier tout particulièrement la formation d'un prix normal, et, d'autre part, le contrôle des discriminations, dans un cas de ce genre, ne peut guère consister que dans un contrôle spécial tenant compte de toutes les
circonstances de l'affaire. En tout cas, Messieurs, on ne saurait faire entrer les écarts d'amplitude parfois considérable, afférents à ces transactions singulières, dans le calcul de l'écart moyen de 2,5 %. Ce calcul, en effet, doit refléter le prix du marché, c'est-à-dire par essence le prix de transactions qui sont comparables entre elles. On peut peut-être estimer que la définition donnée de ces transactions singulières est trop vague; on peut peut-être estimer qu'il eût été préférable d'exiger
la déclaration de ces transactions singulières: ce ne sont là que des critiques d'opportunité.

Nous noterons également un point particulier sur lequel insiste le recours du Gouvernement italien: c'est l'argument tiré de ce que le régime de publicité qui permet un écart moyen, même d'apparence modérée, tel que celui de 2,5 % en plus ou en moins, peut entraîner en fait, pour une transaction isolée, un écart beaucoup plus grand, pouvant aller jusqu'à 15 ou 20 % ou théoriquement peut-être davantage, la moyenne étant cependant respectée, ce qui peut constituer une discrimination considérable.

A cela, la Haute Autorité répond par de longues explications accompagnées de savants tableaux.

Messieurs, nous avouons être peu touché par l'argument. Car non seulement la pratique de tels écarts rendrait très vite impossible le maintien de la moyenne dans les limites autorisées, mais surtout elle créerait par elle-même de très fortes présomptions de discrimination. Les entreprises étant tenues de déclarer l'écart minimum et l'écart maximum pratiqués pendant la période écoulée, et non pas seulement l'écart moyen, de telles différences ne manqueraient pas d'être remarquées par les agents de la
Haute Autorité, et, plus l'écart serait grand, plus il serait difficile à l'entreprise d'apporter la justification à laquelle elle est tenue d'après la décision 1-54, que cet écart est appliqué à toutes les transactions comparables. Ou alors, l'entreprise s'est abstenue, en fait, de déclarer cette transaction, la considérant comme singulière et non comparable, et, en ce cas, comme nous venons de le dire, il ne peut être question que d'un contrôle spécial; comme nous l'avons dit également, la Haute
Autorité serait sans doute avisée de faire précéder ce contrôle d'une déclaration particulière, afin d'en faciliter l'exercice.

Enfin, Messieurs, sur le terrain de la violation de l'article 60, paragraphe 1 en relation avec l'article 4 b), le Gouvernement italien a développé, surtout à l'audience, un point de vue qui nous paraît devoir retenir l'attention. La non-comparabilité d'une transaction, nous a-t-on dit, ne saurait être abandonnée au jugement des entreprises. Il appartient à la Haute Autorité de définir elle-même et d'une manière objective les critères de la comparabilité, en usant du pouvoir qui lui a été donné à
cet effet par l'article 60, paragraphe 1; or la décision 1-54 laisse en réalité au vendeur le soin de se faire juge de la question de savoir si une transaction donnée est ou non comparable à une autre. On a donc abandonné le critère simple et automatique, pour ainsi dire, qui était celui de la décision 30-53 (à savoir: toute violation du barème est une pratique interdite), sans le remplacer par aucun autre.

A cela, Messieurs, nous répondrons d'abord qu'il est parfaitement exact, en effet, que la Haute Autorité, par la décision 1-54, n'a pas réellement usé du pouvoir réglementaire qu'elle tenait du paragraphe 1, dernier alinéa, de l'article 60, pour tenter de définir ce que l'on doit entendre par «transactions comparables», mais qu'elle n'y était pas obligée: la Haute Autorité pourra définir, dit le texte, les pratiques visées par cette interdiction, c'est-à-dire «les pratiques discriminatoires
comportant, dans le marché commun, l'application par un vendeur de conditions inégales à des transactions comparables». La Haute Autorité a bien défini les pratiques discriminatoires, mais elle n'a pas précisé les critères de la comparabilité des transactions: peut-être parce qu'il n'y en a pas. En tout cas, elle n'y était pas tenue.

D'autre part, et Messieurs ceci ne nous paraît pas avoir été suffisamment souligné, la Haute Autorité a maintenu dans sa deuxième décision le principe posé par la première, à savoir que tout écart est une discrimination. Elle a seulement permis la preuve contraire. Rappelez-vous le texte: «Constitue une pratique interdite par l'article 60, paragraphe 1 l'application par un vendeur de prix ou conditions qui s'écartent de ceux qui sont prévus par son barème, lorsque le vendeur ne peut justifier, etc…»

Enfin, et cela non plus n'a pas été spécialement souligné, la décision 2-54 comporte un article 2 qui complète l'article 2 f) de la décision 31-53 en ajoutant de nouvelles prescriptions concernant le contenu des barèmes: rabais de quantité, rabais de fidélité et rabais de deuxième choix. Or ces indications sont d'une extrême utilité pour permettre de mieux déterminer si une transaction est comparable à une autre. Là encore, plutôt que de rechercher des critères juridiques ou économiques plus ou
moins contestables, la Haute Autorité s'est efforcée de tenir compte de l'expérience: le rabais dit de deuxième choix, notamment, est un des moyens les plus faciles et les plus largement pratiqués pour accorder un avantage par rapport au prix normal, ou inversement, tout en sauvant les apparences de l'égalité de traitement entre les acheteurs. Or, il est plus utile de découvrir en fait, que des transactions d'apparence comparable ne l'étaient pas en réalité, plutôt que de donner une définition plus
ou moins scientifique de la comparabilité.

MOYEN TIRÉ DU DÉTOURNEMENT DE POUVOIR

En ce qui concerne, Messieurs, le moyen de détournement de pouvoir, la requête du Gouvernement italien reprend en partie, quoique sous une autre forme, l'argumentation déjà développée et qui tend toujours, en réalité, à démontrer que les décisions violent le Traité.

En ce qui touche le détournement de pouvoir du chef de la lutte contre les ententes, Messieurs, nous nous sommes déjà expliqué à ce sujet à l'occasion du recours du Gouvernement français.

On a insisté à l'audience sur d'autres aspects du détournement de pouvoir, notamment sur les trois suivants, dont nous devons dire quelques mots:

1o Tout d'abord, la Haute Autorité aurait cherché à éviter de prononcer des sanctions — les sanctions dont la violation manifeste et généralisée de ses premières décisions rendait cependant passibles probablement toutes les entreprises de la Communauté.

Messieurs, ne nous attardons pas à un tel grief. Peut-être la Haute Autorité aurait-elle dû sévir tout de suite. Peut-être a-t-elle au contraire été sage en s'abstenant: ce n'est pas ce que vous avez à juger. Le fait, c'est qu'elle ne l'a pas fait et que, au bout de quelques mois — la Haute Autorité l'a reconnu elle-même à la barre très loyalement — l'expérience s'est soldée par un échec en ce qui concerne le marché de l'acier. Elle a alors cherché un système plus satisfaisant: le but qu'elle a
poursuivi a été de parvenir à une meilleure application du Traité, et non pas d'éviter d'appliquer des sanctions.

2o On a dit aussi qu'il y avait détournement de pouvoir en ceci que les nouvelles décisions reposent sur la répression des discriminations, alors que les pouvoirs que la Haute Autorité tient de l'article 60 lui ont été donnés pour prévenir, non pour réprimer. Ce reproche s'adresse surtout à la décision 3-54 sur les informations.

Messieurs, nous avouons sincèrement ne pas l'avoir compris, pas plus que dans l'affaire du Gouvernement français. L'appel aux informations au titre de l'article 47, dans la mesure où il apparaît nécessaire pour permettre un contrôle efficace, nous apparaît un procédé tout à fait normal en l'occurrence, et nous ne voyons là ni violation du Traité ni détournement de pouvoir.

3o Enfin, on nous a dit que le «vice de la volonté» de la Haute Autorité apparaît dans la manière dont elle a consulté le Comité consultatif, du fait de n'avoir pas réfuté dans les considérants de sa décision les opinions, divergentes par rapport à la décision finalement prise, qui s'étaient manifestées au sein du Comité.

Messieurs, nous avons examiné les documents produits par la Haute Autorité relatifs à la consultation du Comité consultatif. Or il nous paraît résulter à l'évidence de ces documents et du compte-rendu des longues discussions qui ont eu lieu devant le Comité ou devant sa commission, que le but réel et, nous ajouterons, déterminant, poursuivi par la Haute Autorité a été, comme nous l'avons dit à l'occasion du recours du Gouvernement français, de parvenir à un assouplissement des règles de publicité
compatible à la fois avec le respect de la non-discrimination et avec la nécessité d'assurer une libre formation des prix par le marché, ce qui, en définitive, et comme nous l'avons dit également, entrait exactement dans le champ d'application de l'article 60.

On ne peut voir là, à notre sens, aucun détournement de pouvoir.

Peut-être, en revanche, pourrait-on découvrir là un vice de forme.

Mais, Messieurs, il s'agirait alors là d'un moyen nouveau qui n'a pas été invoqué en temps utile. Les dispositions de l'article 22 du Protocole sur le Statut de la Cour de Justice sont formelles à cet égard: la requête, qui doit être déposée dans le délai de rigueur d'un mois, conformément à l'article 33 du Traité, doit contenir l'exposé au moins sommaire des moyens invoqués. Par ailleurs, il ne s'agit pas, selon nous, d'un moyen d'ordre public, tel que l'incompétence, qui pourrait être soulevé à
tout moment et même relevé d'office par le juge.

Au surplus, Messieurs, si le moyen ne nous apparaît pas recevable, il ne nous apparaît pas non plus fondé.

En effet, ce vice de forme peut être envisagé à un double point de vue: 1o défaut de consultation, au moins partiel, du Comité consultatif; 2o défaut ou au moins insuffisance de motifs des décisions attaquées.

Sur le premier point, défaut ou insuffisance de consultation, il faut normalement comparer la demande d'avis par laquelle le Comité a été saisi avec les décisions finalement prises.

Le Comité consultatif a été saisi par une lettre de la Haute Autorité du 20 novembre 1953, et dont nous sommes heureux d'avoir pu prendre connaissance dans les toutes dernières heures de ce débat. Voici les points qui nous intéressent:

1o «En vertu de l'article 60, paragraphe 1 du Traité: Consultation sur un amendement éventuel de la décision 30-53 du 2 mai 1953 relative aux pratiques interdites par l'article 60, paragraphe 1 du Traité dans le marché commun du charbon et de l'acier (publiée au Journal Officiel de la Communauté, No 6, page 109).»

2o «En vertu de l'article 60, paragraphe 2 a) du Traité: Consultation sur un amendement éventuel de la décision 31-53 du 2 mai 1953 relative aux conditions de publicité des barèmes de prix et conditions de vente pratiquées dans les entreprises des industries de l'acier (publiée au Journal Officiel de la Communauté, No 6, page 111).»

3o «En vertu de l'article 60, paragraphe 2 a) du Traité: Dans le domaine des aciers spéciaux, consultation sur un amendement éventuel des décisions 31 et 32-53 des 2 et 20 mai 1953 relatives aux conditions de vente pratiquées dans les entreprises des industries de l'acier (publiée au Journal Officiel de la Communauté, No 6, page 111 et No 7, page 130).»

Nous pensons, Messieurs, que, s'il n'y avait que cette lettre, la consultation devrait sans doute être considérée comme insuffisante, car, dans les termes où elle est conçue, elle ne fournit pas d'indications suffisamment précises sur l'objet des modifications envisagées par la Haute Autorité.

Mais il y a eu ensuite plusieurs pièces. Tout d'abord:

1o une note du 28 novembre, comportant des considérations générales sur le problème et accompagnée d'un projet de décision;

2o et surtout, une note du 30 novembre, beaucoup plus développée, et dans laquelle la Haute Autorité expose l'ensemble du système qui finalement a été retenu dans les décisions attaquées. On y voit, notamment, mentionnée expressément l'idée de l'écart moyen par produit (p. 2 in fine).

Ensuite, le Comité consultatif a demandé une prorogation du délai qui lui avait été accordé, et par lettre du 3 décembre, la Haute Autorité a imparti un nouveau délai jusqu'au 14 décembre. Elle a même fait reporter la date qui avait été prévue pour la consultation du Conseil de Ministres. L'avis a été transmis à la Haute Autorité le 14 décembre et, comme vous le savez, les décisions ont été signées le 7 janvier.

Donc, Messieurs, il est incontestable, à notre sens, que la consultation a été complète. N'oublions pas le caractère spécial du Comité consultatif, qui n'est pas un Conseil d'État chargé de donner un avis sur des textes, mais qui est un organe technique appelé à éclairer la Haute Autorité sur des problèmes. Ce qu'il faut, c'est qu'il ait en mains tous les éléments du problème. Ce fut le cas.

Quant au second aspect du vice de forme, à savoir un défaut ou une insuffisance de motifs, il ne peut davantage être retenu. D'après l'article 15 du Traité, «les décisions, recommandations et avis de la Haute Autorité sont motivés et visent les avis obligatoirement recueillis». Comme on vous l'a rappelé à la barre du côté de la défense, le «visa» des décisions consiste dans l'obligation d'inscrire en tête de la décision la mention que l'avis a été recueilli. Cela pourrait se traduire par la formule:
«vu l'avis du Comité consultatif». La Haute Autorité préfère dire «après consultation du Comité consultatif», ce qui revient au même. D'autre part, les décisions doivent être motivées; il va de soi que les motifs s'apprécient par rapport à la décision elle-même et non par rapport aux avis qui ont pu la précéder. Autrement dit, la Haute Autorité doit motiver sa propre décision, telle qu'elle est, et n'est nullement tenue de réfuter les opinions contraires ou divergentes qui ont pu se faire jour dans
les avis préalablement recueillis.

La procédure nous paraît donc avoir été absolument régulière. Nous pouvons même ajouter, si cela nous est permis, que nous avons rarement eu l'occasion, dans notre propre expérience nationale, de voir des cas de consultation aussi complète et une collaboration aussi poussée entre les représentants de l'Administration et les membres de l'organe consulté.

Nous pensons ainsi, Messieurs, nous être suffisamment expliqué sur le moyen ou les moyens de détournement de pouvoir, auxquels le requérant a cherché à «raccrocher», en quelque sorte, ce moyen de vice de forme que nous venons d'examiner.

MOYEN TIRÉ DE LA VIOLATION DU PARAGRAPHE 30 ALINÉA 2 DE LA CONVENTION

Il reste le moyen tiré de la violation du paragraphe 30, alinéa 2 de la Convention. Nous remettons ce texte sous vos yeux:

«Les prix pratiqués par les entreprises pour les ventes d'acier sur le marché italien, ramenés à leur équivalent au départ du point choisi pour l'établissement de leur barème, ne pourront être inférieurs au prix prévu par ledit barème pour des transactions comparables, sauf autorisation donnée par la Haute Autorité, en accord avec le Gouvernement italien, sans préjudice des dispositions de l'article 60, paragraphe 2 b), dernier alinéa.»

L'argument de texte invoqué par le requérant a évidemment une assez grande force, puisque le paragraphe 30, alinéa 2 dit formellement que les prix de parité pratiqués par les entreprises sur le marché italien ne pourront être inférieurs au prix prévu par leur barème, ce qui interdirait toute application d'un écart par rapport à ce prix de barème, du moins dans le sens d'une minoration.

Nous pensons, néanmoins, Messieurs, que si vous suivez nos conclusions sur l'interprétation de l'article 60, vous ne pouvez qu'écarter le moyen tiré de la violation du paragraphe 30 de la Convention.

Celui-ci, en effet, — ce n'est pas contestable — n'a qu'un objet, qui est bien précis: supprimer pendant la période transitoire pour les ventes faites sur le marché italien, le régime d'alignement institué par l'article 60, paragraphe 2 b) du Traité, (sauf autorisation spéciale qui ne peut être donnée que par la Haute Autorité et en accord avec le Gouvernement italien). Il est évident que ce serait dénaturer complètement la portée du texte que de l'interpréter dans un sens permettant au marché
italien d'échapper aux autres règles établies par le Traité, et notamment, aux règles de concurrence édictées au paragraphe 1 et au paragraphe 2 a) de l'article 60. N'oublions pas les dispositions du paragraphe premier, No 5, de la Convention: «Dès l'entrée en vigueur du Traité …, ses dispositions (les dispositions du Traité) sont applicables, sous réserve des dérogations et sans préjudice des dispositions complémentaires prévues par la présente Convention aux fins ci-dessus définies», dérogations
et dispositions complémentaires qui doivent, sauf exception, cesser d'avoir effet à l'expiration de la période transitoire. Toutes les dispositions de la Convention ont donc, par leur nature même, un caractère exceptionnel et sont d'interprétation stricte.

Tout ce qu'on pourrait soutenir, à notre avis, c'est que la disposition du paragraphe 30, étant donnés les termes employés, constitue un argument en faveur de la thèse qui donne un sens rigide au mot «barème» et ne veut connaître que les prix inscrits dans des barèmes publiés. Ce serait, en somme, un argument complémentaire à l'appui du moyen tiré de la violation du paragraphe 2 a) de l'article 60, sur lequel sont fondées les décisions attaquées, argument qui aurait pu tout aussi bien être invoqué
par le Gouvernement français ou tout autre requérant non italien.

De deux choses l'une, en effet, — et nous nous excusons de recourir ici à la logique que nous avons décriée en d'autres circonstances, mais ici la logique nous paraît avoir sa place — donc, de deux choses l'une: ou bien il est impossible, pour l'interprétation du paragraphe 30, de comprendre l'expression «prix prévus par leur barème» autrement que comme visant les prix inscrits sur un barème régulièrement publié — et alors cette impossibilité est tout aussi absolue sur le terrain de l'article 60,
paragraphe 2 et il faut condamner la thèse de la Haute Autorité dans son ensemble et annuler totalement les décisions attaquées; — ou bien l'on admet la thèse souple, celle que nous avons défendue, et alors il faut faire, pour l'interprétation du paragraphe 30, le même effort que pour l'interprétation de l'article 60, paragraphe 2 b), un tel effort n'étant pas plus considérable dans un cas que dans l'autre. Mais en venir à consacrer la thèse souple, celle qui permet aux prix de varier dans certaines
limites par rapport aux prix publiés et ne consacrer cette thèse que pour l'ensemble de la Communauté à l'exception du marché italien aboutirait proprement à donner à ce marché pendant la période transitoire une protection supplémentaire que la Convention n'a pas prévue. Cela reviendrait à reconnaître que le marché italien n'est pas en état de supporter la concurrence résultant des prix librement formés par le marché, même compte tenu de la protection géographique intégrale que la Convention a
entendu lui assurer par l'alinéa 2 du paragraphe 30, ainsi que de la protection douanière également maintenue en partie, du fait de l'alinéa premier. Que resterait-il alors, Messieurs, nous vous le demandons, de la notion même de marché commun pour l'Italie?

Quant à nous, notre opinion n'a pas changé: nous pensons que l'effort peut et doit être fait. Cela veut dire que la référence faite par le paragraphe 30 «au prix prévu par ledit barème (le barème de l'entreprise qui veut vendre sur le marché italien) pour des transactions comparables» doit s'entendre du prix (et aussi des conditions de vente, bien qu'on n'en parle pas) réellement appliqués conformément au barème établi sur la base de la propre parité de cette entreprise et compte tenu des écarts
autorisés que l'application de ce barème de prix et conditions de vente peut éventuellement comporter. C'est exactement la même interprétation que celle que nous avons proposée pour le paragraphe 2 b) de l'article 60 qui concernait, lui aussi, les modes de cotation et que la Convention. précisément, a pour objet de rendre en principe inapplicable au marché italien pendant la période transitoire.

Messieurs, nous en avons fini, et en terminant, nous nous félicitons, ici encore, et quel que soit le sens de votre arrêt, de ce que le Gouvernement italien ait cru devoir former, lui aussi, un recours contre les décisions d'application de l'article 60, car c'est ce recours qui a permis d'attirer l'attention sur un argument important tiré de la Convention, argument qui, sans cela, aurait peut-être échappé à votre examen.

Nous concluons au rejet de la requête.

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( 1 ) Cf. supra p. 42.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2-54
Date de la décision : 11/11/1954
Type de recours : Recours en annulation - fondé, Recours en annulation - non fondé

Analyses

Prix

Matières CECA


Parties
Demandeurs : République italienne
Défendeurs : Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lagrange
Rapporteur ?: Riese

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1954:5

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