COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Morrow, 2021 CSC 21
Appel entendu : 19 mai 2021
Jugement rendu : 19 mai 2021
Dossier : 39456
Entre :
Tanner Jay Morrow
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Traduction française officielle
Coram : Les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Rowe et Kasirer
Jugement lu par :
(par. 1 à 3)
Le juge Moldaver
Dissidence lue par :
(par. 4)
La juge Côté
Majorité :
Les juges Moldaver, Karakatsanis, Rowe et Kasirer
Dissidence :
La juge Côté
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
r. c. morrow
Tanner Jay Morrow Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : R. c. Morrow
2021 CSC 21
No du greffe : 39456.
2021 : 19 mai.
Présents : Les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Rowe et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
Droit criminel — Entrave à la justice — Éléments de l’infraction — Dissuader ou tenter de dissuader une personne, par des menaces, des pots‑de‑vin ou d’autres moyens de corruption, de témoigner — Accusé déclaré coupable d’entrave à la justice parce qu’il s’est rendu au domicile de la plaignante afin de lui fournir de l’information sur la façon de retirer les accusations de harcèlement criminel qu’elle avait récemment déposées contre lui — Décision du juge du procès portant que les actes de l’accusé avaient été volontaires et accomplis dans le but de tenter de dissuader la plaignante de témoigner — Arrêt majoritaire de la Cour d’appel concluant que le dossier permettait d’inférer que l’accusé avait exercé de la pression sur la plaignante dans un but illicite et confirmant la déclaration de culpabilité — Motifs du juge dissident concluant que la déclaration de culpabilité devrait être annulée pour le motif que la communication par l’accusé d’information au sujet du retrait des accusations n’avait pas un caractère illicite et ne constituait pas des menaces, des pots-de-vin ou d’autres moyens de corruption — Déclaration de culpabilité confirmée — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 139(3).
Jurisprudence
Citée par la juge Côté (dissidente)
R. c. Crazyboy, 2011 ABPC 369.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 139(3).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Paperny, Slatter et Antonio), 2020 ABCA 407, 458 D.L.R. (4th) 5, [2020] A.J. No. 1243 (QL), 2020 CarswellAlta 2169 (WL Can.), qui a confirmé la déclaration de culpabilité pour entrave à la justice prononcée contre l’accusé. Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.
H. Markham Silver, c.r., et Andrea L. Serink, pour l’appelant.
Andrew Barg, pour l’intimée.
Version française du jugement des juges Moldaver, Karakatsanis, Rowe et Kasirer rendu oralement par
[1] Le juge Moldaver — La Cour, à la majorité, est d’avis de rejeter l’appel, essentiellement pour les motifs exposés par les juges majoritaires de la Cour d’appel, aux par. 16 et 17 de l’arrêt de la cour. Comme l’ont fait remarquer les juges majoritaires, le dossier étaye clairement l’inférence tirée par le juge du procès selon laquelle M. Morrow a tenté, par des moyens de corruption, de dissuader la plaignante de témoigner. Monsieur Morrow savait que des accusations de harcèlement criminel avaient récemment été portées contre lui et qu’il lui était interdit de communiquer avec la plaignante. Malgré cela, il s’est présenté au domicile de cette dernière sans y être invité et a engagé avec elle une longue et pénible discussion au sujet de la procédure à suivre pour retirer les accusations ainsi que des raisons pour lesquelles elle avait porté ces accusations. La plaignante a témoigné que, du fait de cet échange, elle s’était sentie [traduction] « [c]ontrainte de se montrer accommodante » envers M. Morrow afin de l’amener à quitter la maison (d.a., vol. II, p. 30). Peu de temps après, M. Morrow l’a agressée sexuellement, ce qui a exacerbé ses craintes. Sur la base de ce témoignage, il était loisible au juge du procès de conclure que M. Morrow avait l’intention d’exercer de la pression sur la plaignante et, ultimement, de la manipuler pour qu’elle laisse tomber les accusations portées contre lui. Le fait que M. Morrow ait pu également être motivé par le désir de renouer avec la plaignante ne faisait pas obstacle à cette conclusion.
[2] Il y avait en outre des éléments de preuve contredisant la position de M. Morrow selon laquelle il ne faisait que répondre à une demande de renseignements. La plaignante n’a présenté aucune demande de la sorte à M. Morrow, et elle ne comptait pas sur l’information qu’il a fournie, et n’était pas non plus intéressée à l’obtenir.
[3] Compte tenu de ces circonstances, et eu égard au fait que les survivants de violence familiale sont particulièrement vulnérables aux actes d’intimidation et de manipulation, le verdict du juge du procès était raisonnable. Il n’y a pas matière à intervention en appel.
Version française des motifs rendus oralement par
[4] La juge Côté — Le texte de l’accusation exigeait la preuve que l’appelant avait tenté de dissuader la plaignante, « par des menaces, des pots-de-vin ou d’autres moyens de corruption, de témoigner » (d.a., vol. I, p. 2). Il n’existe aucune preuve en ce sens dans la présente affaire. La conduite de l’appelant ne saurait, en l’espèce, être qualifiée de « moyens de corruption » au sens du par. 139(3) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. En appeler à l’affection d’une personne ou chercher à exploiter ce sentiment chez elle sont des moyens de persuasion au même titre que le fait d’en appeler à la raison d’une personne ou de chercher à exploiter cette faculté chez cette personne. Rien dans les circonstances de la présente affaire ne transforme ces moyens de persuasion en moyens de « corruption ». Le juge du procès a fait erreur en concluant différemment. Il a eu tort de s’appuyer sur l’arrêt R. c. Crazyboy, 2011 ABPC 369, et ce, pour deux raisons. Premièrement, aucune conclusion n’a été tirée quant à l’existence de « moyens de corruption » dans cette affaire, car le texte de l’accusation n’exigeait pas la présence de tels moyens. Deuxièmement, M. Crazyboy a tenté de manipuler la plaignante et il l’a incitée à adopter un comportement illégal et à fuir son domicile afin qu’elle ne puisse être emmenée devant le tribunal pour y témoigner. En l’espèce, l’appelant a simplement fourni de l’information sur la procédure à suivre pour retirer des accusations. À l’instar du juge d’appel Slatter, j’estime que la déclaration de culpabilité pour tentative d’entrave à la justice n’est pas fondée au vu du présent dossier, et qu’elle est déraisonnable. Par conséquent, je ferais droit à l’appel et j’inscrirais un verdict d’acquittement.
Jugement en conséquence.
Procureurs de l’appelant : H. Markham Silver, Calgary; Serink Law Office, Calgary.
Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Alberta, Calgary.