Répertorié : Bureau de l’avocat des enfants c. Balev
No du greffe : 37250.
2017 : 9 novembre; 2018 : 20 avril.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.
en appel de la cour d’appel de l’ontarioTraduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe
Motifs de jugement (par. 1 à 91) : La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown)
Motifs conjoints dissidents (par. 92 à 161) : Les juges Côté et Rowe (avec l’accord du juge Moldaver)
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Colombie‑Britannique,
Defence for Children International‑Canada et Barbra Schlifer Commemorative Clinic
Intervenants
La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown : La Convention de La Haye vise à faire respecter le droit de garde et à assurer le retour immédiat de l’enfant dans le pays de sa résidence habituelle lorsqu’il a fait l’objet d’un déplacement ou d’un non-retour illicite. L’ordonnance de retour ne constitue pas une décision sur la garde. Elle vise seulement à rétablir la situation d’avant le déplacement ou le non‑retour illicite. L’axe central du mécanisme de retour immédiat de la Convention de La Haye est l’article 3. Cette disposition prévoit que le déplacement ou le non‑retour d’un enfant est illicite a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde selon le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa « résidence habituelle » immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour et b) lorsque ce droit était exercé de façon effective au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l’eût été si de tels évènements n’étaient survenus. Lorsque les conditions de l’article 3 sont réunies, l’article 12 exige du tribunal de l’État requis qu’il « ordonne [le] retour immédiat [de l’enfant] », sauf application d’une exception.
Le respect d’une seule exigence de l’article 3 est contesté en l’espèce, à savoir que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au moment du non‑retour illicite. Et la seule exception susceptible de s’appliquer est l’opposition alléguée des enfants à leur retour en Allemagne. La question qui se révèle centrale en l’espèce est de savoir suivant quels paramètres le juge des requêtes devrait déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Trois approches sont possibles : l’approche fondée sur l’intention des parents, celle axée sur l’enfant et l’approche hybride. Suivant l’approche fondée sur l’intention des parents, qui prédomine actuellement au Canada, le lieu de la résidence habituelle de l’enfant est déterminé à partir de l’intention des parents habilités à décider du lieu où vit l’enfant. Le séjour d’une durée limitée auquel les parents consentent ne modifie alors pas le lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Pour sa part, l’approche hybride veut qu’au lieu de s’attacher surtout à l’intention des parents ou à l’acclimatation de l’enfant, le tribunal appelé à déterminer le lieu de la résidence habituelle se penche sur toutes les considérations pertinentes au vu des faits propres à l’affaire. Il tient compte de tous les liens et faits pertinents, à savoir les liens de l’enfant avec le pays A et sa situation dans ce pays, les circonstances du déplacement de l’enfant du pays A au pays B, ainsi que les liens de l’enfant avec le pays B et sa situation dans ce pays. Au nombre des considérations pertinentes il y a la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de l’enfant sur le territoire d’un État membre et la nationalité de l’enfant. Aucun élément ne prédomine. La situation des parents, y compris leurs intentions, peut se révéler importante, surtout dans le cas de nourrissons ou de jeunes enfants. Il n’existe cependant pas de règle selon laquelle les actes d’un parent ne peuvent emporter la modification unilatérale du lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Assujettir à une telle construction juridique la détermination du lieu de la résidence habituelle rompt avec la tâche qui incombe au juge des faits, à savoir apprécier toutes circonstances pertinentes. L’approche hybride est axée sur les faits, pragmatique et affranchie de l’application rigide de règles, de formules ou de présomptions.
Une nette tendance se dégage de la jurisprudence relative à la Convention de La Haye à l’effet de rejeter l’approche fondée sur l’intention des parents au profit de l’approche hybride multifactorielle. Il convient de recourir à l’approche hybride au Canada parce que (1) le principe d’harmonisation milite en sa faveur et (2) qu’elle est celle qui se concilie le mieux avec le texte, la structure et l’objet de la Convention de La Haye. L’une des raisons d’être manifestes d’un traité multilatéral est l’harmonisation du droit national de chacune des parties avec les règles, les pratiques et les principes dont il est convenu. L’objectif de la Convention de La Haye était l’établissement d’une procédure commune à tous les États contractants pour garantir le retour immédiat des enfants. Pour ne pas aller à l’encontre de la volonté d’harmonisation qui sous‑tend la Convention de La Haye, les tribunaux nationaux doivent examiner de près les décisions des tribunaux des autres États contractants sur sa portée et sur son application. En fin de compte, la meilleure garantie de certitude réside dans l’adhésion à la jurisprudence internationale qui se fait jour et qui privilégie une approche hybride multifactorielle. Par ailleurs, l’approche hybride est celle qui respecte le plus les objectifs du retour immédiat, à savoir (1) dissuader les parents de recourir à l’enlèvement dans le but de créer des liens dans un pays où la garde de l’enfant pourrait leur être accordée, (2) favoriser le prononcé rapide d’une décision sur la garde ou le droit de visite dans le ressort où l’enfant a sa résidence habituelle et (3) protéger l’enfant des effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite.
Suivant l’approche hybride, le lieu de la résidence habituelle peut changer pendant que l’enfant habite avec l’un de ses parents pour une durée précise, avec le consentement de l’autre. Le juge des requêtes examine l’intention des parents que le déplacement soit temporaire et les raisons de leur accord. Mais il tient également compte de tous les autres éléments de preuve pertinents pour déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant.
L’article 13(2) prévoit une exception à la règle générale selon laquelle l’enfant déplacé ou retenu illicitement doit être renvoyé dans le pays de sa résidence habituelle, mais il ne faut pas l’interpréter si largement que le caractère général de la règle en soit compromis. Le pouvoir discrétionnaire qui permet au juge des requêtes de refuser d’ordonner le retour de l’enfant dans le pays de sa résidence habituelle ne naît que si la personne qui s’oppose au retour établit (1) que l’enfant a atteint un âge et une maturité où il peut être tenu compte de son opinion et (2) qu’il s’oppose au retour. Dans la plupart des cas, le caractère suffisant de l’âge et de la maturité s’infère simplement du comportement de l’enfant, de son témoignage et des circonstances qui lui sont propres. L’opposition de l’enfant doit être appréciée purement et simplement, sans exiger le respect de conditions ou d’exigences de forme qui ne figurent pas dans la Convention de La Haye. La plupart du temps, l’objectif de l’article 13(2) peut être atteint au moyen d’une seule mesure judiciaire qui consiste à décider si l’enfant a un âge et une maturité qui rendent son témoignage utile, à décider si l’enfant s’oppose au retour et, le cas échéant, à exercer le pouvoir discrétionnaire qui permet d’ordonner ou non son retour.
Enfin, le temps qui s’est écoulé avant que l’on entende la demande fondée sur la Convention de La Haye et qu’il soit statué sur les appels interjetés subséquemment a été trop long. Ce sont précisément les difficultés et l’anxiété que peuvent causer de tels retards à un enfant que les États signataires de la Convention de La Haye ont voulu prévenir en privilégiant le retour immédiat et le recours à des procédures d’urgence. En l’espèce, il appartenait aux autorités judiciaires et aux administrateurs judiciaires de faire en sorte que le Canada s’acquitte de son obligation de « procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant » conformément à l’article 11. La conduite d’une instance fondée sur la Convention de La Haye devrait relever du juge et non des parties de manière à assurer la rapidité du déroulement.
Les juges Moldaver, Côté et Rowe (dissidents) : L’objectif manifeste de la Convention de La Haye est l’exécution du droit de garde dans tous les États signataires, ce qui milite en faveur de l’approche fondée sur l’intention des parents pour déterminer le lieu de la résidence habituelle. Dans la présente affaire, les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au moment où ils auraient été retenus illicitement au Canada, car il n’y avait pas d’intention commune des parents de faire du Canada le lieu de la résidence habituelle des enfants.
Suivant la Convention de La Haye, le tribunal saisi d’une demande de retour fondée sur l’article 12 doit se livrer à une analyse en deux étapes. À la première, il doit décider si l’enfant a été déplacé du lieu de sa résidence habituelle ou retenu dans un autre pays par l’un de ses parents en violation du droit de garde de l’autre. À la deuxième étape, il doit se demander si une exception s’applique à la règle du retour. Dans le présent pourvoi, la principale question en litige se pose à la première étape de l’analyse : où les enfants avaient‑ils leur résidence habituelle pour les besoins de l’article 3? Dans la plupart des cas, l’intention des parents devrait importer davantage que la solidité des liens pertinents entre l’enfant et chacun des pays concurrents. À l’opposé, l’approche hybride fait de l’intention des parents un simple élément parmi d’autres. Il en résulte une approche non raisonnée et non balisée qui ne prend appui ni sur le texte de la Convention de La Haye, ni sur sa structure, ni sur son objet, ce qui constitue une recette parfaite pour entraîner des litiges.
Lorsque les parents ont convenu par écrit que le séjour dans le nouveau pays serait temporaire, cette entente doit se voir accorder un poids décisif. L’intention commune des parents qui ressort par ailleurs de la preuve dont dispose le juge des requêtes devrait être déterminante quant au lieu de la résidence habituelle, sauf circonstances exceptionnelles. Certains tribunaux reconnaissent une exception d’application restreinte lorsque la preuve mène de façon non équivoque à la conclusion que l’enfant s’est acclimaté au nouveau lieu, mais ces cas sont rares et il faut prouver plus que la seule intégration dans un nouveau milieu pour que l’intention commune des parents soit écartée.
Trois indices sérieux permettent de conclure que l’intention des parents devrait constituer l’élément décisif, comme le commandent le texte et la structure de la Convention de La Haye. Premièrement, l’article 12 renferme deux dispositions distinctes dont l’application dépend du moment où est engagée la procédure fondée sur la Convention de La Haye. Lorsque la procédure est commencée un an ou plus après le déplacement ou le non‑retour illicite allégué, le tribunal n’est pas tenu d’ordonner le retour s’il est « établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu ». Par contre, lorsque la procédure est engagée dans un délai inférieur à un an, le tribunal « ordonne [le] retour immédiat [de l’enfant] ». Partant, il serait inapproprié de prendre en compte une preuve d’intégration lorsque l’instance est engagée dans un délai inférieur à un an. Deuxièmement, l’analyse en deux étapes que commande l’article 12 distingue la notion de résidence habituelle (à la première étape) de la preuve relative à la situation de l’enfant (à la deuxième étape). L’article 13(2) prévoit une exception à l’ordonnance de retour qui s’attache précisément à l’opposition de l’enfant à son retour. Tenir compte de tels éléments à l’étape préliminaire de la détermination du lieu de la résidence habituelle serait confondre à tort les deux étapes de l’analyse. Troisièmement, l’article 5 précise que le droit de garde comprend « le droit [. . .] de décider [du] lieu de résidence [de l’enfant] », ce qui permet de conclure que les parents, en raison de leur droit de garde, doivent avoir une certaine influence sur la détermination du lieu où leur enfant est réputé avoir sa résidence habituelle.
L’objet manifeste de la Convention de La Haye milite également en faveur de l’approche fondée sur l’intention des parents. Si l’objet premier de la Convention de La Haye est de faire respecter le droit de garde, l’intention des parents devrait être centrale dans la détermination du lieu de la résidence habituelle. Enfin, des considérations de principe militent en faveur de l’approche fondée sur l’intention des parents, car celle‑ci crée un droit clair et certain comparativement aux autres approches. En l’absence d’une intention commune, aucun des parents n’a intérêt à enlever l’enfant ou à le retenir, car le lieu de la résidence habituelle de l’enfant demeure le pays d’origine, sauf circonstances exceptionnelles. Par conséquent, l’approche fondée sur l’intention des parents est celle qui se concilie le mieux avec les objectifs de la Convention de La Haye en ce qu’elle protège le droit de garde et décourage les enlèvements susceptibles de résulter d’une approche qui permet la modification unilatérale du lieu de la résidence habituelle.
Pour sa part, en tenant compte d’autres éléments susceptibles de supplanter l’intention des parents dans la détermination du lieu de la résidence habituelle — ce qui permet de fait à l’un des parents de modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle de l’enfant sans le consentement de l’autre même en présence d’un accord exprès —, l’approche hybride brouille la distinction entre l’instance relative à la garde et celle fondée sur la Convention de La Haye et elle compromet la réalisation des objectifs de la Convention. En présence d’une preuve non équivoque de ce que les parents ont voulu, le modèle fondé sur l’intention des parents apporte une réponse claire et prévisible à la question du lieu de la résidence habituelle.
Dans la présente affaire, le moment en fonction duquel il convient de déterminer le lieu de la résidence habituelle des enfants est le 15 août 2014, soit le jour où a pris fin le séjour auquel a consenti le père. Il ne fait aucun doute que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne avant leur départ pour le Canada étant donné l’entente expresse dans laquelle le père n’a consenti qu’à un séjour temporaire au Canada. L’article 13(2) ne devrait pas être invoqué à la légère de manière à porter systématiquement atteinte au droit de garde du parent laissé derrière. La décision de la juge des requêtes selon laquelle les enfants ne se sont pas opposés au retour avec l’intensité requise commande la déférence. Dès lors, rien ne permettait de refuser d’ordonner le retour après avoir conclu que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne. L’appel devrait être rejeté.
Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin
Arrêts examinés : O.L. c. P.Q. (2017), C‑111/17; A. c. A. (Children : Habitual Residence), [2013] UKSC 60, [2014] A.C. 1; Redmond c. Redmond, 724 F.3d 729 (2013); Punter c. Secretary for Justice, [2007] 1 N.Z.L.R. 40; Silverman c. Silverman, 338 F.3d 886 (2003); Tsai‑Yi Yang c. Fu‑Chiang Tsui, 499 F.3d 259 (2007); arrêts mentionnés : Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551; Re B. (A Minor) (Abduction), [1994] 2 F.L.R. 249; W. (V.) c. S. (D.), [1996] 2 R.C.S. 108; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802; Connaught Laboratories Ltd. c. British Airways (2002), 61 O.R. (3d) 204; Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340; Stag Line, Limited c. Foscolo, Mango and Co., [1932] A.C. 328; Scruttons Ltd. c. Midland Silicones Ltd., [1962] A.C. 446; Air France c. Saks, 470 U.S. 392 (1985); L.K. c. Director‑General, Department of Community Services, [2009] HCA 9, 237 C.L.R. 582; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Mozes c. Mozes, 239 F.3d 1067 (2001); Gitter c. Gitter, 396 F.3d 124 (2005); R. c. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 A.C. 309; Chan c. Chow, 2001 BCCA 276, 91 B.C.L.R. (3d) 222; Korutowska‑Wooff c. Wooff (2004), 242 D.L.R. (4th) 385; A.E.S. c. A.M.W., 2013 ABCA 133, 544 A.R. 246; Rifkin c. Peled‑Rifkin, 2017 NBCA 3, 89 R.F.L. (7th) 194; S.K. c. J.Z., 2017 SKQB 136; Monteiro c. Locke (2014), 354 Nlfd. & P.E.I.R. 132; Friedrich c. Friedrich, 983 F.2d 1396 (1993); Feder c. Evans‑Feder, 63 F.3d 217 (1995); Droit de la famille — 2454, [1996] R.J.Q. 2509; Droit de la famille — 17622, 2017 QCCA 529; Jackson c. Graczyk (2006), 45 R.F.L. (6th) 43; Mercredi c. Chaffe, C‑497/10, [2010] E.C.R. I‑14358; In re R. (Children), [2015] UKSC 35, [2016] A.C. 76; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; In re J. (A Minor) (Abduction : Custody Rights), [1990] 2 A.C. 562; Martinez c. Cahue, 826 F.3d 983 (2016); Karkkainen c. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (2006); Ruiz c. Tenorio, 392 F.3d 1247 (2004); Barzilay c. Barzilay, 600 F.3d 912 (2010); Murphy c. Sloan, 764 F.3d 1144 (2014); Rey c. Getta, 2013 BCCA 369, 342 B.C.A.C. 30; De Silva c. Pitts, 2008 ONCA 9, 232 O.A.C. 180; Thompson c. Thompson, 2017 ABCA 299; In re M. (Abduction : Rights of Custody), [2007] UKHL 55, [2008] 1 A.C. 1288; England c. England, 234 F.3d 268 (2000); R.M. c. J.S., 2013 ABCA 441, 566 A.R. 230; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; Fothergill c. Monarch Airlines Ltd., [1981] A.C. 251; R. c. Zingre, [1981] 2 R.C.S. 392.
Citée par les juges Côté et Rowe (dissidents)
Koch c. Koch, 450 F.3d 703 (2006); Delvoye c. Lee, 329 F.3d 330 (2003); Mozes c. Mozes, 239 F.3d 1067 (2001); Gitter c. Gitter, 396 F.3d 124 (2005); Murphy c. Sloan, 764 F.3d 1144 (2014); Rey c. Getta, 2013 BCCA 369, 342 B.C.A.C. 30; Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551; Mercredi c. Chaffe, C‑497/10, [2010] E.C.R. I‑14358; Punter c. Secretary for Justice, [2007] 1 N.Z.L.R. 40; Karkkainen c. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (2006); Feder c. Evans‑Feder, 63 F.3d 217 (1995); In re R. (Children), [2015] UKSC 35, [2016] A.C. 76; Mauvais c. Herisse, 772 F.3d 6 (2014); Guzzo c. Cristofano, 719 F.3d 100 (2013); Larbie c. Larbie, 690 F.3d 295 (2012); Ruiz c. Tenorio, 392 F.3d 1247 (2004); R. c. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 A.C. 309; Korutowska‑Wooff c. Wooff (2004), 242 D.L.R. (4th) 385; Rifkin c. Peled‑Rifkin, 2017 NBCA 3, 89 R.F.L. (7th) 194; A.E.S. c. A.M.W., 2013 ABCA 133, 544 A.R. 246; Silverman c. Silverman, 338 F.3d 886 (2003); Tsai‑Yi Yang c. Fu‑Chiang Tsui, 499 F.3d 259 (2007); Baxter c. Baxter, 423 F.3d 363 (2005); L.K. c. Director‑General, Department of Community Services, [2009] HCA 9, 237 C.L.R. 582; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 6 , 7 .
Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, c. C.12, art. 46(2).
Traités et autres instruments internationaux
Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 27, 31.
Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3, art. 8, 11.
Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35, préambule, art. 1, 2, 3, 4, 5, 11, 12, 13, 16, 19, 20.
Doctrine et autres documents cités
Fernando, Michelle, and Nicola Ross. « Stifled Voices : Hearing Children’s Objections in Hague Child Abduction Convention Cases in Australia » (2018), 32 Int’l J.L. Pol’y & Fam. 93.
Gallagher, Erin. « A House Is Not (Necessarily) a Home : A Discussion of the Common Law Approach to Habitual Residence » (2015), 47 N.Y.U.J. Int’l L. & Pol. 463.
Gardiner, Richard K. Treaty Interpretation, 2nd ed., Oxford, Oxford University Press, 2015.
Greene, Anastacia M. « Seen and Not Heard? : Children’s Objections Under the Hague Convention on International Child Abduction » (2005), 13 U. Miami Int’l & Comp. L. Rev. 105.
McEleavy, Peter. « Evaluating the views of abducted children : trends in appellate case‑law » (2008), 20 C.F.L.Q. 230.
Pérez‑Vera, Elisa. « Rapport explicatif », dans Actes et documents de la Quatorzième session (1980), t. III, Enlèvement d’enfants, Madrid, Conférence de La Haye de droit international privé, 1981.
Schuz, Rhona. The Hague Child Abduction Convention : A Critical Analysis, Oxford, Hart Publishing, 2013.
Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2016.
United Nations Children’s Fund. Implementation Handbook for the Convention on the Rights of the Child, rev. 3rd ed. by Rachel Hodgkin and Peter Newell, Geneva, United Nations Publications, 2007.
Winter, Stephen I. « Home is where the Heart is : Determining “Habitual Residence” under the Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction » (2010), 33 Wash. U.J.L. & Pol’y 351.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Sharpe et Miller), 2016 ONCA 680, 133 O.R. (3d) 735, 405 D.L.R. (4th) 98, 84 R.F.L. (7th) 291, [2016] O.J. No. 4800 (QL), 2016 CarswellOnt 14331 (WL Can.), infirmant une décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario (les juges Marrocco, Sachs et Varpio), 2016 ONSC 55, 344 O.A.C. 159, 70 R.F.L. (7th) 34, [2016] O.J. No. 5 (QL), 2016 CarswellOnt 7 (WL Can.), infirmant une décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la juge MacPherson), 2015 ONSC 5383, [2015] O.J. No. 4490 (QL), 2015 CarswellOnt 13100 (WL Can.), accueillant une demande présentée par le père intimé en vue d’obtenir le retour des enfants en Allemagne. Jugement en conséquence, les juges Moldaver, Côté et Rowe sont dissidents.
Caterina E. Tempesta, Sheena Scott, Katherine Kavassalis et James Stengel, pour l’appelant.
Steven M. Bookman, Chris Stankiewicz et Gillian Bookman, pour l’intimé John Paul Balev.
Patric Senson et Tammy Law, pour l’intimée Catharine‑Rose Baggott.
Donnaree Nygard et Michael Taylor, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Caroline Brett et Rochelle S. Fox, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Freya Zaltz, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Jeffery Wilson, Farrah Hudani et Jessica Braude, pour l’intervenant Defence for Children International‑Canada.
Deepa Mattoo et Tiffany Lau, pour l’intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown rendu par
La Juge en chef —
I. Introduction
[1] La Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35 (« Convention de La Haye »), énonce les règles qui s’appliquent à l’enlèvement international d’un enfant par l’un de ses parents. La question dont nous sommes saisis a trait à l’application de la notion de résidence habituelle propre à la Convention de La Haye, une notion que cette dernière ne définit pas, mais que les tribunaux des pays signataires abordent dans bon nombre de décisions.
[2] L’histoire débute en Allemagne, où habitait la famille — le père, la mère et leurs deux enfants, tous citoyens canadiens. Comme les enfants éprouvaient des difficultés à l’école, les parents ont décidé que la mère les emmènerait au Canada pendant 16 mois pour qu’ils y poursuivent leurs études. Pendant cette période, le père a dit révoquer son consentement à ce séjour et présenté sur le fondement de la Convention de La Haye une demande d’ordonnance de retour. Tandis qu’il saisissait — en vain — les tribunaux allemands, la période visée par le consentement a pris fin et la mère est demeurée au Canada avec les enfants. Après que le père eut réactivé l’instance engagée en Ontario, une juge de la Cour supérieure de justice de la province a ordonné le retour des enfants en Allemagne. La Cour divisionnaire a infirmé sa décision, puis la Cour d’appel l’a rétablie. Cette dernière décision fait l’objet du pourvoi devant notre Cour.
[3] Signalons au départ que la suite des événements a rendu le pourvoi théorique. Les enfants sont rentrés en Allemagne conformément à l’ordonnance de la juge des requêtes. Une instance a ensuite été engagée concernant la garde des enfants. Les tribunaux allemands ont accordé la garde exclusive à la mère, et les enfants sont revenus au Canada. Or, les questions soulevées dans le pourvoi sont importantes, et le droit qui régit le processus décisionnel dans un dossier apparenté à la présente affaire doit être clarifié. D’où les présents motifs.
[4] Pour ordonner leur retour en Allemagne en application de la Convention de La Haye, le tribunal devait conclure que les enfants y avaient leur résidence habituelle au moment où ils auraient été retenus illicitement. Les parties et les intervenants proposent trois façons de déterminer le lieu de la résidence habituelle des enfants. L’appelant, le Bureau de l’avocat des enfants (« BAE »), préconise une approche axée sur l’enfant qui met l’accent sur la situation et le point de vue de l’enfant au moment où son retour dans le pays d’origine est demandé. Le père, l’un des intimés, plaide en faveur d’une approche fondée sur l’intention qu’ont les parents au moment où l’enfant quitte son pays d’origine. L’autre partie intimée, la mère, et plusieurs intervenants, préconisent une approche hybride qui tient compte des éléments que sont la situation de l’enfant et l’intention des parents afin de parvenir à un résultat juste qui réponde aux objectifs de la Convention de La Haye.
[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour devrait recourir à l’approche hybride pour déterminer le lieu de la résidence habituelle suivant l’article 3 de la Convention de La Haye et à une approche non technique pour se prononcer sur l’opposition de l’enfant au retour suivant l’article 13(2)[1].
[6] Le pourvoi étant théorique, il n’est pas nécessaire de décider si la juge des requêtes a eu tort d’ordonner le retour des enfants en Allemagne.
II. Contexte
A. Les faits
[7] La mère et le père des enfants se sont mariés en Ontario en 2000. Ils ont déménagé en Allemagne en 2001, où ils sont devenus résidents permanents. Ils y ont eu leurs deux enfants, B. et M., en 2002 et en 2005.
[8] Ils ont vécu ensemble à Dreieich, dans une maison que les parents ont achetée en 2008. Les enfants ont fréquenté l’école en Allemagne, sauf lors de deux séjours en Ontario au cours desquels ils ont fréquenté une école à St. Catharines. Les parents se sont séparés en 2011, mais ont repris la vie commune en 2012. Durant la séparation, le père avait la garde des enfants.
[9] Les enfants éprouvaient des difficultés à l’école, et les parents sont convenus que la mère les emmènerait au Canada pour l’année scolaire 2013‑2014. Le père a consenti à ce que les enfants séjournent au Canada jusqu’au 15 août 2014; il a accepté de céder temporairement leur garde physique à la mère pour qu’elle puisse les inscrire à l’école. La lettre dans laquelle le père consent au séjour temporaire fait mention de la possibilité de prolonger le séjour, mais non d’y mettre fin avant la date convenue.
[10] Les enfants sont arrivés au Canada le 19 avril 2013 et ont commencé à fréquenter l’école à St. Catharines quatre jours plus tard. Leur mère et eux avaient laissé la plupart de leurs effets personnels en Allemagne. Chaque semaine, le père communiquait avec les enfants grâce à Skype et par téléphone, et il les a visités deux fois en Ontario. L’une de ces visites a eu lieu pendant la rétention illicite alléguée.
[11] En mars 2014, parce qu’il soupçonnait la mère de ne pas renvoyer les enfants en Allemagne à la fin de l’année scolaire, le père a réactivé l’instance engagée en Allemagne pour obtenir la garde des enfants et signifié la révocation de son consentement à ce que la mère ait la garde temporaire des enfants. Le 11 avril 2014, il a demandé le retour des enfants en Allemagne sur le fondement de la Convention de La Haye en saisissant l’Autorité centrale allemande; le 5 mai 2014, sa demande parvenait à l’Autorité centrale ontarienne. Le 26 juin suivant, il présentait sa demande aux tribunaux de la province. Peu avant, en mars 2014, il avait également saisi les tribunaux allemands d’une demande de garde (et d’ordonnance fondée sur la Convention de La Haye). Conformément à une ordonnance rendue sur consentement par le tribunal ontarien le 17 juillet 2014, la mère est demeurée au Canada avec les enfants. Pendant ce temps, le 15 août 2014, la période visée par le consentement initial a pris fin. Le père a alors assimilé ce fait à un non‑retour illicite afin d’obtenir une ordonnance de retour en application de la Convention de La Haye. Les tribunaux allemands l’ont finalement débouté et, le 6 février 2015, son avocat a sollicité l’inscription au rôle de la demande ontarienne.
[12] Le 21 avril 2015, la juge des requêtes a demandé que l’appelant, le BAE, soit désigné pour défendre les intérêts des enfants.
[13] Les enfants ont finalement été renvoyés en Allemagne le 15 octobre 2016. La mère a saisi les tribunaux allemands d’une demande de garde et de droit de visite, et elle s’est vu accorder la garde exclusive des enfants. Ces derniers sont rentrés au Canada le 5 avril 2017.
B. Historique judiciaire
(1) Cour supérieure de justice, 2015 ONSC 5383
[14] La juge des requêtes, la juge MacPherson, conclut que les enfants [traduction] « se sont intégrés à leur milieu » en Ontario. Elle décide néanmoins qu’ils avaient leur résidence habituelle en Allemagne immédiatement avant le non‑retour illicite allégué. Elle estime que les parents n’avaient pas l’[traduction] « intention arrêtée » que les enfants demeurent au Canada et que le père n’a consenti qu’à un séjour temporaire au Canada pour les besoins d’un échange scolaire.
[15] Après avoir statué que la preuve justifiait le retour en Allemagne, la juge des requêtes se penche sur les exceptions prévues par la Convention de La Haye. Elle rejette la prétention de la mère selon laquelle les enfants se sont « intégrés » au sens de l’article 12, car moins d’un an s’était écoulé depuis le non‑retour illicite lorsque le père avait présenté sa demande, ce qui fait obstacle au moyen de défense prévu à l’article 12. Sur le fondement de l’article 13(2), elle conclut que les enfants ont atteint un âge (9 et 12 ans) et une maturité qui lui permettent de tenir compte de leur opinion. Elle décide toutefois que les enfants ne se sont pas opposés au retour pour des motifs [traduction] « sérieux », non plus qu’avec l’« intensité » requise. Elle ordonne le retour des enfants en Allemagne.
(2) Cour supérieure de justice — Cour divisionnaire, 2016 ONSC 55, 344 O.A.C. 159
[16] La Cour divisionnaire accueille l’appel de la mère. À son avis, la question principale consiste à savoir si les enfants ont cessé d’avoir leur résidence habituelle en Allemagne au profit de l’Ontario pendant qu’ils ont vécu en Ontario avec le consentement de leur père, de sorte que ce dernier ne pouvait plus demander leur retour sur le fondement de la Convention de La Haye. Elle conclut que le lieu de la résidence habituelle des enfants a changé parce que les parents avaient l’[traduction] « intention arrêtée » que les enfants vivent temporairement au Canada et que, pendant ce séjour, les enfants se sont intégrés à la collectivité en parlant anglais, en fréquentant l’école et en vivant avec leur mère et leurs grands‑parents maternels.
(3) Cour d’appel, 2016 ONCA 680, 133 O.R. (3d) 755
[17] La Cour d’appel accueille l’appel du père et rétablit l’ordonnance de la juge des requêtes. Elle conclut que, en cas de la garde partagée, un parent ne peut modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle d’un enfant. Elle ajoute que la résidence habituelle d’un enfant ne change pas du fait que l’un des parents consent à un séjour temporaire à l’étranger.
[18] L’acclimatation d’un enfant constitue parfois un élément pertinent pour déterminer le lieu de la résidence habituelle, mais lorsque la demande est présentée moins d’un an à compter du déplacement ou du non‑retour illicite, le fait que l’enfant s’est « intégré » est sans pertinence (article 12). La Cour d’appel conclut donc que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au moment considéré et qu’il y a eu non‑retour illicite au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye.
[19] S’agissant de l’article 13(2), la Cour d’appel défère aux conclusions de la juge des requêtes selon lesquelles les motifs d’opposition des enfants à leur retour ne sont pas sérieux et n’ont pas été invoqués avec l’intensité requise. Elle ordonne donc le retour des enfants en Allemagne.
[20] Dans la foulée de la décision de la Cour d’appel, le BAE a présenté une demande d’autorisation d’appel devant notre Cour. La Cour d’appel et notre Cour ont rejeté la demande de sursis à l’exécution de la décision jusqu’à ce qu’il soit statué sur le présent pourvoi. Les enfants ont été renvoyés en Allemagne, où les tribunaux ont accordé la garde à la mère. Les enfants sont rentrés au Canada et y sont toujours.
III. Analyse
[21] Dans la présente affaire, les parents étaient convenus que la mère emmènerait les enfants au Canada pour qu’ils y poursuivent leurs études. Ultérieurement, le père a engagé une instance sur le fondement de la Convention de La Haye afin d’obtenir le retour des enfants en Allemagne. On nous demande de dégager les principes qui s’appliquent lorsque, dans un pays étranger, l’un des parents demande le retour d’un enfant en application de la Convention de La Haye.
A. La Convention de La Haye
[22] La Convention de La Haye a vu le jour le 25 octobre 1980 et compte plus de 90 États contractants, ce qui en fait l’un des instruments du droit de la famille les plus importants et les plus fructueux établis sous l’égide de la Conférence de La Haye de droit international privé. Le Canada y a souscrit dès le début. Elle est mise en œuvre par voie législative dans chacune des provinces et chacun des territoires.
[23] Le préjudice auquel la Convention de La Haye vise à remédier est manifeste. L’enlèvement international a de graves conséquences sur l’enfant enlevé et sur le parent laissé derrière. L’enfant est retiré de son milieu familial et souvent privé de contacts avec l’autre parent. Il peut se retrouver dans une culture avec laquelle il n’a aucun lien préalable, dans un pays où les structures sociales, le système scolaire et, parfois, la langue sont différents. Des affrontements judiciaires pour l’obtention de sa garde peuvent avoir lieu dans différents pays, ce qui retarde le prononcé d’une décision. Rien de tout cela n’est bon pour l’enfant ou les parents.
[24] La Convention de La Haye vise à faire respecter le droit de garde et à assurer le retour immédiat de l’enfant dans le pays de sa résidence habituelle en cas de déplacement ou de non-retour illicite (voir article 1; Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, p. 579‑581). L’ordonnance de retour ne constitue pas une décision sur la garde (article 19). Elle vise seulement à rétablir la situation d’avant le déplacement ou le non‑retour illicite et à empêcher le parent qui a agi de façon « illicite » de tirer par ailleurs avantage de l’enlèvement. Elle a pour but le retour de l’enfant dans le ressort où il convient le plus que le tribunal décide de la garde et du droit de visite.
[25] Le retour immédiat a trois raisons d’être connexes. Premièrement, il protège les intéressés des effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite (voir R. Schuz, The Hague Child Abduction Convention : A Critical Analysis (2013), p. 96; E. Gallagher, « A House Is Not (Necessarily) a Home : A Discussion of the Common Law Approach to Habitual Residence » (2015), 47 N.Y.U.J. Int’l L. & Pol. 463, p. 465; Thomson, p. 559; Re B. (A Minor) (Abduction), [1994] 2 F.L.R. 249 (E.W.C.A.), p. 260).
[26] Deuxièmement, il dissuade les parents de recourir à l’enlèvement dans le but de créer des liens dans un nouveau pays où la garde de l’enfant pourrait ultérieurement leur être accordée (voir E. Pérez‑Vera, « Rapport explicatif », Actes et documents de la Quatorzième session (1980), tome III, Enlèvement d’enfants (1981)[2], p. 429; voir également W. (V.) c. S. (D.), [1996] 2 R.C.S. 108, par. 36; Gallagher, p. 465; A. M. Greene, « Seen and Not Heard? : Children’s Objections Under the Hague Convention on International Child Abduction » (2005), 13 U. Miami Int’l & Comp. L. Rev. 105, p. 111‑112).
[27] Enfin, le retour immédiat vise le prononcé rapide d’une décision au fond sur la garde ou le droit de visite dans le ressort où l’enfant a sa résidence habituelle, ce qui est de nature à éviter toute contestation de la compétence du tribunal saisi pour statuer sur la garde et le droit de visite (voir Schuz, p. 96; Gallagher, p. 465).
[28] L’axe central du mécanisme de retour immédiat de la Convention de La Haye est l’article 3. Cette disposition prévoit que le déplacement ou le non‑retour d’un enfant est illicite a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde selon le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour et b) lorsque ce droit était exercé de façon effective au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l’eût été si de tels évènements n’étaient survenus. La notion de résidence habituelle n’est pas définie dans le traité, et cette omission se révèle déterminante pour l’issue du pourvoi.
[29] Lorsque les conditions de l’article 3 sont réunies, l’article 12 exige du tribunal de l’État requis qu’il « ordonne [le] retour immédiat [de l’enfant] », sauf application d’une exception. Les exceptions prévues peuvent être résumées comme suit :
1) Le parent qui sollicite le retour n’exerçait pas le droit de garde ou avait consenti au déplacement ou au non‑retour (alinéa 13a));
2) Il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique ou ne le place dans une situation intolérable (alinéa 13b));
3) L’enfant a atteint un âge et une maturité suffisants et s’oppose au retour (article 13(2));
4) Le retour de l’enfant ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’État requis en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales (article 20);
5) La demande a été présentée un an ou plus après le déplacement ou le non‑retour illicite, et le juge conclut que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu (article 12).
[30] Le respect d’une seule exigence de l’article 3 est contesté en l’espèce, à savoir que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au moment du non‑retour illicite. Et seule l’application de la troisième exception demeure possible, soit l’opposition alléguée des enfants à leur retour en Allemagne.
B. Principes d’interprétation des traités
[31] Le par. 46(2) de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, c. C. 12, assure la mise en œuvre de la Convention de La Haye en Ontario. Comme l’objet de la disposition est la mise en œuvre du traité, la Cour doit adopter une interprétation qui se concilie avec les obligations que celui‑ci confère au Canada (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 51).
[32] Le Canada est partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 (« Convention de Vienne »), qui prévoit qu’« [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (paragraphe 31(1); voir également Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, par. 22). Ces principes internationaux s’apparentent généralement à l’approche canadienne en matière d’interprétation des lois (voir R. Sullivan, Statutory Interpretation (3e éd. 2016), p. 279).
[33] L’une des raisons d’être manifestes d’un traité multilatéral est l’harmonisation du droit national de chacune des parties avec les règles, les pratiques et les principes dont il est convenu. L’objectif de la Convention de La Haye était l’établissement d’une procédure commune à tous les États contractants pour garantir le retour immédiat de l’enfant (voir le préambule). L’objectif d’un traité multilatéral [traduction] « serait sérieusement compromis si les tribunaux de chacun des pays interprétaient [le traité en cause] sans tenir compte de la façon dont on l’a interprété et appliqué ailleurs » (Connaught Laboratories Ltd. c. British Airways (2002), 61 O.R. (3d) 204 (C.S.J.) par. 46). Pour ne pas aller à l’encontre de la volonté d’harmonisation qui sous‑tend la Convention de La Haye, les tribunaux nationaux doivent examiner de près les décisions des tribunaux des autres États contractants sur sa portée et sur son application (voir Convention de Vienne, alinéa 31(3)(b); Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340, par. 50; Stag Line, Limited c. Foscolo, Mango and Co., [1932] A.C. 328 (H.L.), p. 350; Scruttons Ltd. c. Midland Silicones Ltd., [1962] A.C. 446 (H.L.), p. 471; Air France c. Saks, 470 U.S. 392 (1985), p. 403‑404; L.K. c. Director‑General, Department of Community Services, [2009] HCA 9, 237 C.L.R. 582, par. 36).
[34] Les parties soulèvent en l’espèce deux autres points d’interprétation. Premièrement, la Convention de La Haye entre‑t‑elle en conflit avec la Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3 (« CDE »)? Pour les besoins du présent pourvoi, je réponds par la négative. Les deux visent à protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, l’une en décourageant l’enlèvement d’enfant et en favorisant le dénouement rapide des instances de garde, l’autre en faisant en sorte que la décision se fonde sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Toutes deux ont pour but de protéger l’identité et les liens familiaux de l’enfant. La Convention de La Haye y parvient en ordonnant le retour de l’enfant dans le pays de sa résidence habituelle (article 3) — un lieu normalement déterminant quant à l’identité de l’enfant — afin qu’il y soit statué sur sa garde; l’article 8 de la CDE reprend le même principe. Les deux conventions visent à empêcher le déplacement et le non‑retour illicite d’enfant (voir CDE, article 11; United Nations Children’s Fund, Implementation Handbook for the Convention on the Rights of the Child (rév. 3e éd. 2007), par R. Hodgkin et P. Newell, p. 143‑145). De plus, les deux conventions reconnaissent le principe selon lequel l’enfant suffisamment mature devrait avoir son mot à dire sur le lieu où il sera appelé à vivre, ce sur quoi je reviendrai plus en détail dans l’examen de l’article 13(2) de la Convention de La Haye.
[35] Deuxièmement, la Convention de La Haye doit‑elle recevoir une interprétation qui se concilie avec la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, avec le droit au retour que garantit son art. 6 et le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne que garantit son art. 7 ? Il faut répondre par la négative. La Charte ne saurait servir à interpréter ni la Convention de La Haye, ni quelque accord international (voir Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, par. 64; Convention de Vienne, articles 27 et 31). Quoi qu’il en soit, lorsque la Convention de La Haye est interprétée conformément aux présents motifs, il n’y a pas de conflit avec les art. 6 ou 7 de la Charte .
C. Approches de la résidence habituelle pour l’application de l’article 3
[36] En l’espèce, le père a sollicité le retour des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye. Pour établir le respect des conditions auxquelles le retour peut être ordonné selon l’article 3, le père devait démontrer que, immédiatement avant le non‑retour illicite allégué (c.‑à‑d. au terme de la période visée par son consentement, le 15 août 2014), les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne. Eu égard à l’économie générale de la Convention de La Haye, le renvoi à la résidence habituelle à l’article 3 vise à préciser à quels enfants s’applique le traité. Si les enfants n’avaient pas leur résidence habituelle en Allemagne au moment du non‑retour illicite allégué, la Convention de La Haye ne s’applique pas.
[37] L’exigence que l’enfant ait sa résidence habituelle dans l’État du parent qui sollicite son retour sert à garantir que l’État dans lequel l’enfant est renvoyé est celui dont les tribunaux peuvent statuer sur la garde. En principe, la garde devrait être attribuée dans l’État où l’enfant a sa résidence habituelle, et ce, afin d’atténuer le risque qu’un traumatisme psychologique soit infligé à l’enfant, de respecter la compétence des tribunaux de l’État de la résidence habituelle pour décider de la garde et du droit de visite, ainsi que de décourager l’enlèvement et le non‑retour illicite.
[38] En droit canadien, que la détermination du lieu de la résidence habituelle de l’enfant constitue une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, la cour d’appel doit déférer à la décision du juge des requêtes sur la résidence habituelle de l’enfant, sauf erreur manifeste et dominante (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10, 25 et 36). La déférence s’impose du fait de l’intention exprimée par les premiers États parties (voir Pérez‑Vera, p. 445), ainsi que de l’absence de définition de la résidence habituelle dans la Convention de La Haye comme telle. L’objectif était d’éviter les subtilités juridiques et de privilégier un mode de décision axé sur les faits (voir Pérez‑Vera, p. 445).
[39] D’où la question qui se révèle centrale en l’espèce : suivant quelle approche le juge des requêtes doit‑il déterminer le lieu de résidence habituelle de l’enfant pour l’application de l’article 3? Les parties et les intervenants en proposent trois : l’approche fondée sur l’intention des parents, celle axée sur l’enfant et l’approche hybride.
[40] L’approche fondée sur l’intention des parents permet de déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant à partir de l’intention des parents habilités à décider du lieu où vit l’enfant (voir Mozes c. Mozes, 239 F.3d 1067 (9th Cir. 2001), p. 1076‑1079; Gitter c. Gitter, 396 F.3d 124 (2nd Cir. 2005), p. 131‑133; R. c. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 A.C. 309, p. 343[3]). Un séjour d’une durée limitée auquel les parents consentent ne modifie alors pas le lieu de la résidence habituelle de l’enfant. [traduction] « Lorsque l’enfant est envoyé à l’étranger pour y habiter chez des membres de la famille ou pour y poursuivre ses études, le lieu de sa résidence habituelle ne change pas si les parents ont voulu qu’il revienne, mais il peut changer après un certain temps à défaut d’une telle intention » (Schuz, p. 187, note 87). Lorsque les parents sont convenus que l’enfant séjournera hors du pays de sa résidence habituelle pendant un certain temps, cette intention demeure tout au long de la période convenue et permet au parent resté dans le pays d’origine de demander le retour de l’enfant sur le fondement de la Convention de La Haye au terme de cette période. Telle est l’approche actuellement privilégiée au Canada. Les tribunaux d’un certain nombre de ressorts voient dans l’intention des parents la considération première pour déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant (voir p. ex. Chan c. Chow, 2001 BCCA 276, 90 B.C.L.R. (3d) 222, par. 30‑34; Korutowska-Wooff c. Wooff (2004), 242 D.L.R. (4th) 385 (C.A. Ont.), par. 8; A.E.S. c. A.M.W., 2013 ABCA 133, 544 A.R. 246, par. 20; Rifkin c. Peled‑Rifkin, 2017 NBCA 3, 89 R.F.L. (7th) 194, par. 2; S.K. c. J.Z., 2017 SKQB 136, par. 44‑47 (CanLII); Monteiro c. Locke (2014), 354 Nfld. & P.E.I.R. 132 (C. prov.), par. 13‑22).
[41] Suivant l’approche axée sur l’enfant, le lieu de la résidence habituelle est déterminé, pour l’application de l’article 3, en fonction de l’acclimatation de l’enfant dans le pays, de sorte que l’intention des parents n’importe pas vraiment. Elle s’attache rétrospectivement aux liens que l’enfant a établis avec l’État, contrairement à l’approche plus prospective fondée sur l’intention des parents (voir Friedrich c. Friedrich, 983 F.2d 1396 (6th Cir. 1993), p. 1401; Feder c. Evans‑Feder, 63 F.3d 217 (3rd Cir. 1995), p. 224). Aucun ressort canadien ne l’applique actuellement, bien que des tribunaux québécois y aient adhéré jusqu’en 2017 (voir Droit de la famille — 2454, [1996] R.J.Q. 2509 (C.A.)) pour se tourner alors vers l’approche hybride (voir Droit de la famille — 17622, 2017 QCCA 529, par. 20, 27 et 29‑30 (CanLII)).
[42] Enfin, l’approche hybride veut qu’au lieu de s’attacher surtout ou seulement à l’intention des parents ou à l’acclimatation de l’enfant, le tribunal appelé à déterminer le lieu de la résidence habituelle pour l’application de l’article 3 se penche sur toutes les considérations pertinentes au vu des faits propres à l’affaire. Rappelons que, au Canada, les tribunaux du Québec l’ont adoptée (voir Droit de la famille — 17622, par. 29‑30).
[43] Suivant cette approche, le juge des requêtes détermine quel était le point de fuite de la vie de l’enfant, soit « l’environnement familial et social dans lequel sa vie se déroulait », immédiatement avant le déplacement ou le non‑retour (Pérez‑Vera, p. 428; voir également Jackson c. Graczyk (2006), 45 R.F.L. (6th) 43 (C.S.J. Ont.), par. 33). Il tient compte de tous les liens et faits pertinents, à savoir les liens de l’enfant avec le pays A et sa situation dans ce pays, les circonstances du déplacement de l’enfant du pays A au pays B, ainsi que les liens de l’enfant avec le pays B et sa situation dans ce pays.
[44] Au nombre des considérations pertinentes mentionnons « la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour [de l’enfant] sur le territoire [d’un] État membre » et la nationalité de l’enfant (Mercredi c. Chaffe, C‑497/10, [2010] E.C.R. I‑14358, par. 56). Aucun élément ne prédomine, le juge des requêtes devant plutôt examiner la situation dans son ensemble (voir Droit de la famille — 17622, par. 30). Les considérations pertinentes peuvent varier en fonction de l’âge de l’enfant; lorsqu’il s’agit d’un nourrisson, [traduction] « l’environnement d’un jeune enfant est essentiellement un environnement familial, lequel est circonscrit en fonction de la ou des personnes de référence avec lesquelles il vit ou qui s’occupent de lui ou en prennent soin » (O.L. c. P.Q. (2017) C-111/17 (C.J.U.E), par. 43-45).
[45] La situation des parents, y compris leurs intentions, peut se révéler importante, surtout dans le cas de nourrissons ou de jeunes enfants (voir Mercredi, par. 55‑56; A. c. A. (Children: Habitual Residence), [2013] UKSC 60, [2014] A.C. 1, par. 54; L.K., par. 20 et 26‑27). Cependant, on a récemment mis les tribunaux en garde contre une trop grande importance accordée à l’intention des parents. Dans l’arrêt O.L., la Cour de justice de l’Union européenne dit que l’intention des parents « peut également être prise en compte, lorsqu’elle est exprimée par certaines mesures tangibles telles que l’acquisition ou la location d’un logement » (par. 46). Elle « ne saurait en principe être à elle seule décisive pour déterminer la résidence habituelle d’un enfant [. . .], mais constitue un “indiceˮ de nature à compléter un faisceau d’autres éléments concordants » (par. 47). Sa fonction dans la détermination du lieu de la résidence habituelle « dépend des circonstances propres à chaque cas » (par. 48).
[46] Il n’existe donc pas de « règle » selon laquelle les actes d’un parent ne peuvent emporter la modification unilatérale du lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Assujettir à une telle construction juridique la détermination du lieu de la résidence habituelle rompt avec la tâche qui incombe au juge des faits, à savoir apprécier toutes circonstances pertinentes pour déterminer le ressort dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle au moment du déplacement ou du non‑retour illicite (voir In re R. (Children), [2015] UKSC 35, [2016] A.C. 76, par. 17; voir également A. c. A., par. 39‑40).
[47] L’approche hybride est [traduction] « axée sur les faits, pragmatique et affranchie de l’application rigide de règles, de formules ou de présomptions » (Redmond c. Redmond, 724 F.3d 729 (7th Cir. 2013), p. 746). Elle oblige le juge des requêtes à examiner la situation de l’enfant dans sa totalité. Les tribunaux renvoient certes à des éléments ou à des considérations qui se présentent le plus souvent, mais aucun critère juridique ne permet de déterminer le lieu de la résidence habituelle, et la liste des éléments susceptibles d’être pertinents n’est pas exhaustive. Il faut résister à la tentation [traduction] « de superposer des constructions juridiques à la notion factuelle de résidence habituelle » (A. c. A., par. 37‑39).
D. Le recours à l’approche hybride s’impose au Canada
[48] Il convient de recourir à l’approche hybride au Canada pour les raisons suivantes : (1) le principe d’harmonisation milite en sa faveur et (2) elle est celle qui se concilie le mieux avec le texte, la structure et l’objet de la Convention de La Haye.
(1) Le principe de l’harmonisation milite en faveur de l’approche hybride
[49] Rappelons que l’une des considérations premières lorsqu’il s’agit d’interpréter un traité est le principe d’harmonisation. Le but d’un traité comme la Convention de La Haye est l’établissement de pratiques uniformes dans les pays signataires. Notre Cour suit rigoureusement ce précepte (voir p. ex. Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 82, 126 et 178; Ezokola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678, par. 30 et 42). Elle devrait donc privilégier l’interprétation qui recueille le plus l’adhésion des autres juridictions et qui est de nature à assurer le mieux l’uniformité des pratiques de l’État dans les ressorts signataires de la Convention de La Haye, à moins que des motifs sérieux ne s’y opposent.
[50] Ces dernières années, bon nombre des États signataires de la Convention de La Haye ont opté pour une approche hybride. Nul consensus absolu ne se dégage encore, mais on tend nettement à écarter l’approche fondée sur l’intention des parents au profit de l’approche hybride. Dans des décisions récentes, des tribunaux de l’Union européenne, du Royaume‑Uni, d’Australie, de Nouvelle‑Zélande et des États‑Unis adhèrent à l’approche hybride.
[51] Dans son arrêt Mercredi, la Cour de justice de l’Union européenne opte pour l’approche hybride pour déterminer le lieu de la résidence habituelle. Elle confirmait récemment ce choix dans O.L., où elle conclut que la résidence habituelle de l’enfant « correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de celui‑ci dans un environnement social et familial » et que ce lieu doit être déterminé « au regard de l’ensemble des circonstances de fait particulières à chaque cas d’espèce » (par. 42). Elle statue que même si l’intention des parents peut parfois importer, il faut faire preuve de prudence à cet égard. L’Union européenne regroupe 28 pays. Les décisions de sa Cour de justice font en sorte que près du tiers des quelque 90 pays qui souscrivent à la Convention de La Haye appliquent l’approche hybride pour déterminer le lieu de la résidence habituelle.
[52] Dans A. c. A., la Cour suprême du Royaume‑Uni emboite le pas en abandonnant l’approche fondée sur l’intention des parents au profit de l’approche hybride. La baronne Hale of Richmond conclut que la démarche européenne est préférable à celle que les tribunaux anglais appliquaient jusqu’alors et qui mettait à tort l’accent non pas [traduction] « sur la situation réelle de l’enfant, mais sur l’intention des parents » (par. 38). Le dessein et l’intention des parents constituent « seulement l’un des éléments à considérer » (par. 54). Récemment, dans In re R., la Cour suprême du Royaume-Uni a confirmé l’application de l’approche hybride.
[53] On observe pareille mise à l’écart de l’approche fondée sur l’intention des parents au profit de l’approche hybride en Nouvelle‑Zélande et en Australie. Dans l’arrêt Punter c. Secretary for Justice, [2007] N.Z.L.R. 40, la Cour d’appel de Nouvelle‑Zélande rejette expressément la prétention de l’avocat selon laquelle le dessein des parents devrait déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant (voir par. 91‑108). Elle énonce comme suit les considérations qui devraient plutôt présider à cette détermination (au par. 88) :
[traduction]. . . l’examen relatif à la résidence habituelle [est] largement factuel. . . Il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, dont le dessein arrêté, la durée réelle du séjour dans l’État et la durée dont les parties étaient convenues, l’objet du séjour, la solidité des liens avec l’État en cause et tout autre État (tant dans le passé qu’actuellement), le degré d’intégration dans l’État, y compris les conditions d’habitation et de scolarisation, ainsi que l’intégration culturelle, sociale et économique. Parmi ces éléments, [. . .] le dessein arrêté (dans le cas de jeunes enfants, celui de leurs parents) est important mais pas forcément décisif. Il ne devrait pas à lui seul primer ce que le juge McGrath appelle [. . .] la réalité sous‑jacente du lien entre l’enfant et l’État en cause. . .
[54] Dans L.K., la Haute Cour d’Australie approuve Punter. Elle fait observer en particulier que même si, dans Punter, les renvois au « dessein arrêté » attirent l’attention sur l’intention des parents, la résidence habituelle doit toujours être déterminée [traduction] « en fonction de toutes les circonstances propres au dossier » (par. 44, citant In re J. (A Minor) (Abduction: Custody Rights), [1990] 2 A.C. 562 (H.L.), p. 578 (italique ajouté dans L.K.)).
[55] Enfin, bien que les tribunaux américains ne s’entendent pas sur l’approche qui convient pour déterminer le lieu de la résidence habituelle, bon nombre d’entre eux appuient le recours à l’approche hybride (voir Redmond, p. 746; Martinez c. Cahue, 826 F.3d 983 (7th Cir. 2016), p. 990; Silverman c. Silverman, 338 F.3d 886 (8th Cir. 2003), p. 898‑899; Tsai‑Yi Yang c. Fu‑Chiang Tsui, 499 F.3d 259 (3rd Cir. 2007), p. 271‑272; Karkkainen c. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (3rd Cir. 2006), p. 297). Dans l’arrêt Silverman, la cour d’appel du huitième circuit des États‑Unis se penche sur un certain nombre d’éléments jugés pertinents dans cette affaire, à savoir la mesure dans laquelle le dessein était arrêté du point de vue des enfants, le déplacement géographique (avec effets personnels et animaux de compagnie), l’abandon de la résidence précédente (y compris la vente de la résidence familiale), l’écoulement du temps, la demande de prestations par le parent, l’inscription de l’enfant à l’école et, [traduction] « jusqu’à un certain point », l’intention qu’avaient les parents au moment du déménagement (voir p. 898‑899). Dans Tsai‑Yi Yang, la cour d’appel du troisième circuit s’attache à la situation de l’enfant pour déterminer le lieu de sa résidence habituelle, mais elle tient aussi pour pertinente l’intention des parents (voir p. 271‑272). Dans Redmond, la cour d’appel du septième circuit tient compte à la fois de l’intention des parents et de la situation de l’enfant pour déterminer le lieu de la résidence habituelle et fait remarquer que, [traduction] « essentiellement, tous les circuits, y compris le nôtre, tiennent compte à la fois de l’intention des parents et de l’acclimatation de l’enfant, seule l’importance accordée respectivement à l’une et à l’autre étant variable » (p. 746 (en italique dans l’original)).
[56] De nombreux tribunaux ont certes un temps eu recours à l’approche fondée sur l’intention des parents pour déterminer le lieu de la résidence habituelle dans le cadre de l’application de la Convention de La Haye. Mais il appert nettement de la jurisprudence récente que l’on est passé de cette approche à celle qualifiée d’hybride. Un grand nombre de pays, dont certains avec lesquels le Canada entretient des liens juridiques étroits, se tournent désormais vers l’approche hybride pour déterminer le lieu de la résidence habituelle dans le cadre de l’application de la Convention de La Haye. Au Canada, des tribunaux québécois ont récemment résolu de s’inscrire dans ce courant international (voir Droit de la famille — 17622, par. 29‑30)
[57] Le caractère souhaitable de l’harmonisation milite fortement en faveur de l’adhésion au courant jurisprudentiel dominant en ce qui concerne l’application de la Convention de La Haye, sauf lorsque des motifs sérieux s’y opposent. Comme je l’indique ci‑après, de tels motifs n’ont pas été établis. J’arrive à la conclusion que la Cour devrait suivre la tendance actuelle de la jurisprudence relative à la Convention de La Haye et abandonner l’approche fondée sur l’intention des parents au profit de l’approche hybride.
(2) L’approche hybride est celle qui se concilie le mieux avec le texte, la structure et l’objet de la Convention de La Haye
[58] De bonnes raisons justifient les tribunaux du monde entier de s’en remettre à l’approche hybride. Cette dernière est celle qui respecte le plus le texte, la structure et l’objet de la Convention de La Haye.
[59] L’approche hybride respecte le plus les objectifs du retour immédiat, à savoir (1) dissuader les parents de recourir à l’enlèvement dans le but de créer des liens dans un pays où la garde de l’enfant pourrait leur être accordée, (2) favoriser le prononcé rapide d’une décision sur la garde ou le droit de visite dans le ressort où l’enfant a sa résidence habituelle et (3) protéger l’enfant des effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite.
[60] L’approche hybride est de nature à dissuader les parents de tenter d’exploiter la Convention de La Haye. Elle décourage toute tentative de faire en sorte que la résidence habituelle de l’enfant change du fait de la consolidation des liens avec un État en particulier (voir motifs de mes collègues, par. 134‑135; Mozes, p. 1079), et ce, pour deux raisons : (1) l’intention des parents demeure une considération pertinente et, (2) comme le tribunal examinera la situation de l’enfant dans sa totalité, la création « d[e] liens plus ou moins artificiels de compétence judiciaire » est découragée (Pérez‑Vera, p. 429).
[61] À l’opposé, l’approche fondée sur l’intention des parents facilite l’exploitation du régime établi par Convention de La Haye. Elle peut en effet amener les parents à exprimer leur intention de manière à faire en sorte que l’enfant conserve artificiellement sa résidence habituelle dans l’État d’origine (voir Gallagher, p. 480; S. I. Winter, « Home is where the Heart is : Determining “Habitual Residence” under the Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction » (2010), 33 Wash. U.J.L. & Pol’y 351, p. 377; Ruiz c. Tenorio, 392 F.3d 1247 (11th Cir. 2004), p. 1254). Cette approche peut aussi permettre aux parents de créer des liens artificiels avec un ressort au moyen d’un accord faisant état de leur intention commune quant au lieu de la résidence habituelle de l’enfant (voir Barzilay c. Barzilay, 600 F.3d 912 (8th Cir. 2010). L’approche hybride prémunit contre pareilles formes d’exploitation.
[62] L’approche hybride promeut par ailleurs le prononcé rapide d’une décision sur la garde et le droit de visite dans le ressort qui convient le plus. Elle offre donc la meilleure chance d’obtenir le retour immédiat de l’enfant. L’approche fondée sur l’intention des parents et celle axée sur l’enfant peuvent, à première vue, paraître moins complexes et, de ce fait, plus susceptibles de mener à la détermination rapide du lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Or, la réalité est tout autre. Dans les faits, l’approche fondée sur l’intention des parents ouvre souvent la voie à une preuve détaillée et contradictoire sur l’intention des parents (voir Schuz, p. 211). Lorsque ces derniers ne s’entendent pas sur leur intention, le juge des requêtes peut se trouver aux prises avec une preuve abondante sur ce point, y compris une preuve testimoniale. L’approche hybride n’« invit[e] pas les parties à saisir la justice » (motifs de mes collègues, par. 149). Au contraire, elle est la plus apte à assurer le retour immédiat de l’enfant et le prononcé rapide d’une décision sur la garde.
[63] Cet aspect s’est révélé décisif dans le récent arrêt O.L. de la Cour de justice de l’Union européenne. Sur le fondement d’une approche hybride, ce tribunal estime que « considérer l’intention initiale des parents comme étant un facteur prépondérant pour déterminer la résidence habituelle de l’enfant serait contraire à l’efficacité de la procédure de retour et à la sécurité publique » (par. 56) et pourrait « contraindre les juridictions nationales soit à recueillir un grand nombre de preuves et de témoignages afin de déterminer avec certitude ladite intention, ce qui serait difficilement compatible avec le caractère expéditif de la procédure de retour, soit à rendre leurs décisions sans disposer de tous les éléments pertinents, ce qui serait source d’insécurité juridique » (par. 59). De même, l’approche axée sur l’enfant peut ouvrir la voie à une preuve contradictoire, y compris une preuve d’expert, concernant les liens de l’enfant avec le pays A et le pays B. À l’opposé, l’approche hybride permet au tribunal de rendre une ordonnance fondée sur la totalité de la preuve. Plus particulièrement, voir dans l’intention des parents une considération parmi bien d’autres fait en sorte que le juge des requêtes [traduction] « n’est pas nécessairement tenu de tirer une conclusion définitive quant à savoir la version de quel parent est la bonne » (Schuz, p. 212).
[64] L’approche hybride favorise également la désignation du for qui convient le plus. Elle met l’accent sur les liens factuels entre l’enfant et les pays en cause, ainsi que sur les circonstances du déménagement, des considérations qui [traduction] « correspondent au critère du lien le plus étroit souvent utilisé pour déterminer le forum conveniens » (Schuz, p. 210). Le tribunal peut ainsi statuer sur la garde et le droit de visite dans le ressort le plus approprié, à partir de la meilleure preuve possible (voir Punter, par. 187). L’approche hybride permet donc d’éviter que le tribunal décide que l’enfant a sa résidence habituelle dans un pays avec lequel il a peu de liens ou n’en a pas (voir Schuz, p. 209‑210).
[65] Enfin, parce qu’elle met l’accent sur la situation réelle de l’enfant, l’approche hybride est la plus apte à protéger les enfants des effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite. Contrairement à l’approche fondée sur l’intention des parents et celle axée sur l’enfant, elle permet la prise en compte de tous les éléments pertinents dans le cadre d’un examen qui privilégie les données factuelles et ne s’en remet pas à l’application de formules ou de présomptions (voir Redmond, p. 746).
[66] Il n’y a pas de conflit entre l’approche hybride et l’exception que prévoit l’article 12 lorsque l’enfant « s’est intégré » dans son nouveau milieu (voir motifs de mes collègues, par. 120‑121 et 131‑132). L’article 12 n’entre en jeu qu’une fois déterminé le lieu de la résidence habituelle et prévoit une exception d’application restreinte à l’obligation d’ordonner le retour dans le pays de la résidence habituelle d’un enfant déplacé ou retenu illicitement. Il se peut que, suivant l’approche hybride, la résidence habituelle milite en faveur du retour de l’enfant, mais que l’écoulement d’une année ou plus et l’intégration justifient de ne pas déraciner l’enfant et de ne pas le renvoyer dans l’État de sa résidence habituelle.
[67] Il est également erroné d’affirmer que l’approche hybride « ne tient pas compte du fait que l’enfant pourrait établir des liens véritables avec le nouveau pays à la suite d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite » (motifs de mes collègues, par. 146; voir aussi par. 149). La résidence habituelle de l’enfant est celle qu’il avait immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour illicite (voir articles 3 et 4). Les liens établis subséquemment ne sont pertinents que pour l’application de l’exception prévue à l’article 12.
[68] Somme toute, l’approche hybride résulte d’une amélioration raisonnée de l’approche fondée sur l’intention des parents et de celle axée sur l’enfant. Elle reconnaît que l’enfant est au centre de l’analyse, mais aussi qu’il peut être nécessaire de tenir compte de l’intention des parents afin de bien apprécier les liens de l’enfant avec un pays (voir Schuz, p. 192). Elle correspond à l’adaptation progressive à la jurisprudence et à la nature foncièrement factuelle de l’examen que commande la Convention de La Haye.
[69] Dès lors, l’approche hybride prend acte des failles de l’approche fondée sur l’intention des parents directement et développe plus avant la démarche qui s’impose. Le fait est que l’approche fondée sur l’intention des parents ne permet pas de statuer dans tous les cas. Des tribunaux y ayant recours reconnaissent que, parfois, cette intention n’est pas décisive (p. ex. lorsqu’elle est équivoque ou incertaine), si bien qu’ils tiennent compte d’éléments objectifs qui rattachent l’enfant au ressort (voir motifs de mes collègues, par. 116; Gitter, p. 134; Punter, par. 107; Murphy c. Sloan, 764 F.3d 1144 (9th Cir. 2014), p. 1152; Rey c. Getta, 2013 BCCA 369, 342 B.C.A.C. 30, par. 23 et 32‑33). De même, des tribunaux ayant recours à l’approche axée sur l’enfant reconnaissent l’importance de l’intention des parents (voir Redmond, p. 746; Feder, p. 224). L’approche hybride reconnaît simplement que l’application d’une approche aux contours stricts pour déterminer le lieu de la résidence habituelle suivant la Convention de La Haye est vouée à l’échec.
[70] Dans les faits, chaque cas est unique. Le juge des requêtes appelé à déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant ne devrait pas avoir à rendre une décision qui fait abstraction de considérations essentielles, comme s’il portait des œillères. Il ne devrait pas non plus recourir à une approche qui admet l’exploitation de la Convention de La Haye. Il est le mieux placé pour soupeser les éléments qui permettront d’atteindre les objectifs de celle-ci dans le dossier. En fin de compte, la meilleure garantie de certitude réside dans l’adhésion à la jurisprudence internationale qui se fait jour et qui privilégie une approche hybride multifactorielle.
[71] Je conclus que l’approche hybride de la résidence habituelle respecte le mieux le texte, la structure et l’objet de la Convention de La Haye. Rien ne justifie le refus de suivre la jurisprudence dominante relative à l’application de celle‑ci. L’approche hybride devrait être adoptée au Canada.
[72] Je passe à la question de savoir si, au regard de l’approche hybride, le lieu de la résidence habituelle peut changer pendant que l’enfant habite avec l’un de ses parents pour une durée précise, avec le consentement de l’autre.
[73] Suivant l’approche hybride, le juge des requêtes examine l’intention des parents que le déplacement soit temporaire et les raisons de leur accord. Mais il tient également compte de tous les autres éléments de preuve pertinents pour déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Il doit le faire en demeurant conscient du risque que comporte la superposition à la notion factuelle de résidence habituelle de constructions juridiques comme l’idée qu’un parent ne peut changer unilatéralement le lieu de la résidence habituelle d’un enfant ou que le consentement d’un parent à un séjour d’une durée limitée ne peut modifier ce lieu. Il doit en outre se garder de considérer pareil consentement comme un contrat dont le tribunal doit assurer l’exécution. Un tel accord peut servir à prouver l’intention des parents, et celle‑ci peut être pertinente pour déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Or, les parents ne peuvent convenir d’écarter l’obligation du tribunal, suivant les dispositions canadiennes de mise en vigueur de la Convention de La Haye, de tirer des conclusions de fait sur la résidence habituelle de l’enfant au moment du déplacement ou du non‑retour illicite allégué.
[74] Le pourvoi étant désormais théorique, point n’est besoin de décider si la Cour d’appel confirme à bon droit la décision de la juge des requêtes selon laquelle les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne. Pour les besoins de la question examinée ci‑après, je tiens pour acquis que le père a établi le respect des exigences prévues à l’article 3.
E. L’opposition de l’enfant suivant l’article 13(2) de la Convention de La Haye
[75] La Convention de La Haye prévoit des exceptions à la règle générale voulant que l’enfant doive être renvoyé immédiatement dans le pays de sa résidence habituelle s’il a fait l’objet d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite et que la demande a été introduite dans un délai inférieur à un an. L’une de ces exceptions est prévue à l’article 13(2), qui dispose:
L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui‑ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.
[76] Les exceptions à la règle générale voulant que doive être ordonné le retour de l’enfant dans le pays de sa résidence habituelle ne sont précisément que cela, des exceptions. Les conditions de leur application doivent être réunies, et elles ne confèrent pas au juge des requêtes un pouvoir discrétionnaire général qui lui permet de refuser d’ordonner le retour de l’enfant. L’article 13(2) prévoit une exception à la règle générale selon laquelle l’enfant déplacé ou retenu illicitement doit être renvoyé dans le pays de sa résidence habituelle, et il ne faut pas l’interpréter si largement que le caractère général de la règle en soit compromis (voir Pérez‑Vera, p. 434). Il demeure toutefois possible de recourir à une méthode axée sur les faits et sur le sens commun pour décider si les conditions énoncées à l’article 13(2) sont réunies. J’y reviendrai.
[77] Le pouvoir discrétionnaire qui permet au juge des requêtes de refuser d’ordonner le retour de l’enfant dans le pays de sa résidence habituelle ne naît que si la personne qui s’oppose au retour établit (1) que l’enfant a atteint un âge et une maturité où il peut être tenu compte de son opinion et (2) qu’il s’oppose au retour (voir Pérez‑Vera, p. 433 et 450; Schuz, p. 319; P. McEleavy, « Evaluating the views of abducted children: trends in appellate case‑law » (2008), 20 C.F.L.Q. 230, p. 232; De Silva c. Pitts, 2008 ONCA 9, 252 O.A.C. 180, par. 42; Thompson c. Thompson, 2017 ABCA 299, par. 16 (CanLII); In re M. (Abduction : Rights of Custody), [2007] UKHL 55, [2008] 1 A.C. 1288, par. 46).
[78] Les éléments précis qu’il faut prouver ont certes fait couler beaucoup d’encre, mais il est révélateur que la Convention de La Haye ne prévoit pas d’exigences ou de démarches particulières pour établir l’âge et la maturité voulus et l’opposition. Il appartient foncièrement au juge des requêtes de décider à partir des faits si ces éléments sont établis. La plupart du temps, l’objectif de l’article 13(2) peut être atteint au moyen d’une seule mesure judiciaire qui consiste à décider s’il a un âge et une maturité qui rendent son témoignage utile, à décider s’il s’oppose au retour et, le cas échéant, à exercer le pouvoir discrétionnaire qui permet d’ordonner ou non son retour.
[79] Dans la plupart des cas, le caractère suffisant de l’âge et de la maturité s’infère simplement du comportement de l’enfant, de son témoignage et des circonstances qui lui sont propres (voir Thompson, par. 17; England c. England, 234 F.3d 268 (5th Cir. 2000), p. 273‑274, juge DeMoss, dissident; M. Fernando et N. Ross, « Stiftled Voices : Hearing Children’s Objections in Hague Child Abduction Convention Cases in Australia » (2018), 32 Int’l J.L. Pol’y & Fam. 93, p. 102‑103). Dans certains cas, le témoignage d’un expert ou l’examen de l’enfant par un spécialiste peut être indiqué (voir R.M. c. J.S., 2013 ABCA 441, 566 A.R. 230, par. 25‑26; Greene, p. 127‑128). Cependant, de telles démarches ne doivent pas retarder le déroulement de l’instance.
[80] Comme pour l’âge et la maturité, le tribunal doit apprécier l’opposition purement et simplement, sans exiger le respect de conditions ou d’exigences de forme qui ne figurent pas dans la Convention de La Haye.
[81] Lorsque les éléments que sont (1) l’âge et la maturité et (2) l’opposition sont établis, le juge des requêtes jouit d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’ordonner ou non le retour de l’enfant eu égard à ce qui suit : [traduction] « les motifs pour lesquels l’enfant s’oppose au retour et la vigueur de cette opposition, si ces motifs sont “vraiment les siens” ou sont invoqués sous l’influence du parent ravisseur, s’ils coïncident ou non avec d’autres considérations liées au bien‑être de l’enfant, et les considérations générales qui sous-tendent la Convention » (In re M., par. 46).
F. Lenteur du système de justice
[82] En l’espèce, le temps qui s’est écoulé avant que l’on entende la demande fondée sur la Convention de La Haye et qu’il soit statué sur les appels interjetés subséquemment a été trop long. Dans un autre contexte, la Cour a récemment déploré une culture de complaisance à l’égard de la lenteur du système de justice (voir R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 4). Pareille complaisance est toujours condamnable, mais certaines instances en souffrent moins que d’autres. Ce n’est pas le cas de l’instance engagée sur le fondement de la Convention de La Haye.
[83] Le premier objectif de la Convention de La Haye est le retour immédiat de l’enfant (voir alinéa 1a)). C’est pourquoi, à l’article 2, les États contractants sont tenus de « recourir à leurs procédures d’urgence » pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention de La Haye.
[84] L’article 11 oblige expressément les autorités judiciaires des États contractants à « procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant ». Il appartient aux juges et aux administrateurs judiciaires de s’acquitter de l’obligation que l’article 11 fait au Canada, ce qui est inhabituel, mais non sans précédent. Le Canada est signataire d’autres traités dont l’application repose en partie sur l’action judiciaire.
[85] Lorsqu’un tribunal canadien est saisi d’un litige sur l’application d’un accord international, il lui incombe de s’acquitter de l’obligation du Canada d’appliquer et d’interpréter cet accord conformément aux règles d’interprétation des traités. Dans l’arrêt Fothergill c. Monarch Airlines Ltd., [1981] A.C. 251 (H.L.), à la p. 283, lord Diplock fait la remarque suivante au sujet des tribunaux du Royaume‑Uni :
[traduction] En ratifiant la Convention, le gouvernement de Sa Majesté a contracté, au nom du Royaume‑Uni, l’obligation internationale d’interpréter ainsi les traités futurs, et puisque, selon notre Constitution, l’interprétation du droit écrit constitue un exercice du pouvoir judiciaire et relève des cours de justice, celles‑ci doivent s’acquitter de cette obligation du Royaume‑Uni.
[86] L’arrêt Zingre. c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 392, offre un autre exemple. Dans cette affaire, il s’agissait principalement de décider si la Cour devait rendre une ordonnance en matière de preuve au bénéfice d’enquêteurs suisses qui se réclamaient d’un traité d’extradition anglo‑suisse liant le Canada. Le juge Dickson (plus tard juge en chef) souligne à la p. 409 que, en rendant l’ordonnance, la Cour ferait en sorte que le Canada s’acquitte de son obligation envers la Suisse suivant le traité:
L’argument en faveur de l’octroi de l’ordonnance en l’espèce ne repose pas seulement sur la notion de la « courtoisie ». Il se fonde sur un traité. En répondant par l’affirmative à la demande, la Cour reconnaîtra et appliquera une obligation qui incombe au Canada en droit international, en vertu d’un traité. [Je souligne.]
[87] Ainsi, en l’espèce, il appartenait aux autorités judiciaires de faire en sorte que le Canada s’acquitte de son obligation d’agir sans tarder. Je doute qu’elles l’aient fait. Les trois tribunaux ontariens saisis ont certes rendu jugement rapidement, mais les instances se sont déroulées encore trop lentement. Voici les principales étapes de l’instance et le temps écoulé correspondant :
1) 26 juin 2014 : Le père saisit de sa demande fondée sur la Convention de La Haye la Cour supérieure de justice de l’Ontario, à St. Catharines, soit environ six semaines avant le 15 août, date à laquelle prenait fin la période visée par son consentement.
2) 9 mars 2015 : La demande est entendue par la juge MacPherson, soit presque sept mois après l’expiration de la période visée par le consentement. La juge des requêtes attribue ce retard à la décision du père de saisir les tribunaux allemands même s’il avait engagé une instance (dont il ne s’était pas désisté) en Ontario.
3) 21 avril 2015: Le tribunal siège une deuxième journée pour entendre les parties sur l’opportunité de désigner le BAE pour défendre les intérêts des enfants. Le tribunal juge la mesure opportune et exige du BAE qu’il présente sans tarder ses éléments de preuve concernant l’opposition des enfants à leur retour en Allemagne.
4) 7 août 2015 : Le BAE dépose sa preuve, soit alors presque un an après l’expiration de la période visée par le consentement.
5) 27 août 2015 : Trois jours après le troisième et dernier jour de l’audience, la juge MacPherson ordonne le retour des enfants en Allemagne, motifs à l’appui.
6) 30 novembre 2015 : La Cour divisionnaire entend l’appel de la mère, soit presque trois mois après l’ordonnance de la juge MacPherson.
7) 5 janvier 2016 : La Cour divisionnaire accueille l’appel visant l’ordonnance de la juge MacPherson.
8) 31 août 2016 : La Cour d’appel de l’Ontario entend l’appel du père à l’encontre de la décision de la Cour divisionnaire, soit plus de deux ans après l’expiration de la période visée par le consentement.
9) 13 septembre 2016 : La Cour d’appel accueille l’appel et rétablit l’ordonnance de la juge MacPherson. Elle souligne (au par. 82 de ses motifs) que les enfants se trouvent alors déjà en Ontario, depuis plus de trois ans, et que [traduction] « les renvoyer en Allemagne risque d’être difficile ».
10) 14 octobre 2016 : Le BAE dépose à la Cour un avis de demande d’autorisation d’appel accompagnée d’une demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance de la Cour d’appel. Il demande également un sursis à la Cour d’appel, qui le déboute par la voix du juge Benotto. Le juge Moldaver rejette la demande de sursis au nom de la Cour.
11) 15 octobre 2016 : Les enfants rentrent en Allemagne, soit presque 26 mois après l’expiration de la période visée par le consentement.
12) 27 avril 2017 : La Cour accueille la demande d’autorisation d’appel du BAE, soit plus de six mois après son dépôt.
13) 1er mai 2017 : Après avoir appris que le pourvoi risquait d’être théorique, la Cour demande aux parties de formuler des observations.
14) 9 novembre 2017 : À l’audition du pourvoi par la Cour, toutes les parties reconnaissent que l’issue du pourvoi n’aura aucune incidence sur la résidence des enfants.
[88] Même si les juges de toutes les juridictions inférieures se sont efforcés de statuer et de rendre leurs motifs rapidement, le dénouement de l’instance a été retardé de manière inacceptable. Ce sont précisément les difficultés et l’anxiété que peuvent causer de tels retards à un enfant que les États signataires de la Convention de La Haye ont voulu prévenir en privilégiant le retour immédiat et le recours à des procédures d’urgence.
[89] Dans la foulée du présent pourvoi, la Cour a pris des mesures afin que les dossiers relatifs à la Convention de La Haye soient repérés rapidement et traités sans tarder par son greffe. J’ose espérer que les autres cours de justice du pays examineront les mesures qu’elles pourraient prendre par ailleurs pour faire en sorte que les instances fondées sur la Convention de La Haye soient tranchées en application de leurs procédures d’urgence. Le juge saisi d’une demande fondée sur la Convention de La Haye ne devrait pas hésiter à exercer son pouvoir pour accélérer le déroulement de l’instance dans l’intérêt de l’enfant en cause. Contrairement à la conduite de bien des instances civiles au Canada, celle d’une instance fondée sur la Convention de La Haye devrait relever du juge et non des parties de manière à assurer la rapidité du déroulement.
IV. Conclusion
[90] La Cour adopte l’approche hybride pour déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant suivant l’article 3 de la Convention de La Haye et une approche non technique pour se prononcer sur l’opposition de l’enfant suivant l’article 13(2).
[91] Les enfants sont rentrés en Allemagne, et les tribunaux allemands ont accordé leur garde à la mère, si bien qu’ils vivent désormais avec elle au Canada et qu’il n’y a plus de litige à trancher. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Version française des motifs des juges Moldaver, Côté et Rowe rendus par
Les juges Côté et Rowe —
I. Aperçu
[92] La Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35 (« Convention de La Haye » ou « Convention »), établit un cadre juridique international pour prévenir l’enlèvement transfrontière d’enfants. Dans certaines circonstances, elle impose au tribunal d’ordonner le retour d’un enfant dans son pays lorsque ce dernier a été « déplacé ou retenu illicitement » dans un pays différent. L’issue de l’analyse repose en partie sur le lieu où l’enfant « avait sa résidence habituelle » au moment où il aurait été déplacé ou retenu. La signification de la résidence habituelle dont fait mention l’article 3 de la Convention est au cœur du présent pourvoi.
[93] L’un des intimés, le père, a demandé le retour de ses deux enfants du Canada vers Allemagne en application de la Convention. Il a fait valoir que leur mère les avait retenus illicitement au Canada en refusant de les renvoyer en Allemagne à l’expiration du consentement du père attesté par lettre, lequel permettait aux enfants de se rendre et de vivre au Canada avec leur mère pour une période d’environ 16 mois.
[94] La juge des requêtes a conclu que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au moment de leur rétention au Canada et a ordonné leur retour en Allemagne (2015 ONSC 5383). La Cour divisionnaire a accueilli l’appel de la mère et conclu que la résidence habituelle des enfants avait changé pour le Canada durant leur séjour (2016 ONSC 55, 344 O.A.C. 159). La Cour d’appel de l’Ontario a rétabli l’ordonnance de la juge des requêtes au motif que la résidence habituelle des enfants en Allemagne n’avait pas changé pendant le séjour d’une durée limitée au Canada auquel avait consenti le père (2016 ONCA 680, 133 O.R. (3d) 735).
[95] Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel. Selon nous, les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au moment où ils auraient été retenus illicitement au Canada, car il n’y avait pas d’intention commune des parents de faire du Canada le lieu de la résidence habituelle des enfants. Au contraire, le consentement du père à ce que les enfants séjournent au Canada visait une période expressément limitée. Nous sommes donc d’avis de rejeter le pourvoi.
II. Faits
[96] La mère et le père se sont mariés en Ontario en 2000 et ont déménagé en Allemagne en 2001. Leurs deux enfants sont nés en Allemagne en 2002 et en 2005, respectivement. En 2011, les époux se sont séparés et le père a obtenu la garde intérimaire des enfants.
[97] En septembre 2012, les parents ont repris la vie commune et la famille a de nouveau vécu ensemble jusqu’en avril 2013. Les enfants éprouvaient alors des difficultés à l’école, ce qui est à l’origine, du moins en partie, de leur séjour au Canada. Comme il allait demeurer en Allemagne, le père a signé une lettre dans laquelle il consentait à ce que les enfants se rendent au Canada et y vivent avec leur mère jusqu’au 15 août 2014. Il a également signé une lettre devant notaire dans laquelle il transférait temporairement la garde à la mère afin que les enfants puissent être inscrits à l’école. Le père voyait le séjour comme un [traduction] « échange étudiant » qui permettrait aux enfants de passer l’année scolaire 2013‑2014 au Canada. Les deux enfants ont quitté l’Allemagne à destination du Canada avec leur mère en avril 2013, conformément à l’entente intervenue entre leurs parents.
[98] Le père a révoqué son consentement en mars 2014, soit cinq mois avant l’expiration de la période convenue. Il a ensuite engagé en Ontario une instance fondée sur la Convention de La Haye. Le déroulement de l’instance ontarienne a été retardé d’environ 10 mois tandis qu’il saisissait les tribunaux d’Allemagne, notamment d’une demande de garde (qui a été rejetée au motif que les tribunaux allemands n’avaient pas compétence pendant que les enfants vivaient au Canada), et d’une demande fondée sur la Convention de La Haye (dont il s’est finalement désisté à l’instigation des tribunaux allemands).
[99] Après le dénouement des procédures ontariennes, y compris les appels interjetés — la Cour d’appel ayant rétabli l’ordonnance de retour de la juge des requêtes —, les enfants sont rentrés en Allemagne en octobre 2016. Une procédure relative à la garde des enfants a été entreprise en Allemagne devant le tribunal de la famille, lequel a accordé la garde exclusive à la mère en décembre 2016. Les enfants sont revenus au Canada pour y vivre avec leur mère en avril 2017. Étant donné que les enfants vivent désormais au Canada et que leur mère s’est vu accorder leur garde exclusive, le présent pourvoi est théorique. La Cour a cependant accepté d’entendre l’affaire afin de statuer sur l’importante question concernant la démarche à suivre pour déterminer le lieu de la résidence habituelle dans une instance fondée sur la Convention de La Haye.
III. La Convention de La Haye
[100] La Convention de La Haye a été adoptée afin de contrer le problème de l’enlèvement international d’enfant par l’un des parents, un problème qui a pris de l’ampleur au milieu des années 1970. Elle prévoit un mécanisme qui permet au tribunal d’un pays d’ordonner le retour d’un enfant dans un autre pays lorsqu’il estime que l’enfant a été déplacé ou retenu illicitement. La notion de résidence habituelle est au cœur de ce cadre d’analyse.
[101] L’article 12 de la Convention, qui porte sur le retour, autorise le tribunal à ordonner cette mesure. En voici le libellé :
Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non‑retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.
L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.
Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant.
[102] L’article 3 de la Convention précise les circonstances dans lesquelles le déplacement ou le non‑retour est illicite, enclenchant ainsi le mécanisme de retour prévu à l’article 12 :
Le déplacement ou le non‑retour d’un enfant est considéré comme illicite :
a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour; et
b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.
Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.
[103] Suivant ces dispositions, le tribunal saisi d’une demande de retour fondée sur l’article 12 doit se livrer à une analyse en deux étapes. La première consiste à déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour illicite. Si l’enfant a été déplacé du lieu de sa résidence habituelle ou retenu dans un autre pays par l’un des parents en violation du droit de garde de l’autre, ce déplacement ou ce non‑retour est réputé illicite suivant l’article 3, ce qui enclenche le mécanisme de retour prévu à l’article 12.
[104] À la deuxième étape, le tribunal se demande si une exception s’applique, de sorte que l’enfant ne devrait pas être renvoyé dans le lieu de sa résidence habituelle. Trois articles de la Convention prévoient des exceptions. Premièrement, l’article 12 dispose que lorsqu’un an ou plus s’est écoulé depuis le déplacement ou le non‑retour illicite, le tribunal peut examiner si l’enfant « s’est intégré dans son nouveau milieu », auquel cas il a discrétion pour refuser d’ordonner le retour. Il n’est pas contesté que cette exception ne s’applique pas en l’espèce, car le père a présenté sa demande à l’intérieur d’une année du non‑retour illicite allégué (le 15 août 2014), soit après l’expiration de la durée de son consentement limité.
[105] Deuxièmement, l’article 13 prévoit que, nonobstant l’article 12, d’autres exceptions peuvent justifier le refus d’ordonner le retour. Ces exceptions sont les suivantes : le parent laissé derrière a consenti ou acquiescé au déplacement ou au non‑retour de l’enfant; il existe un risque grave que le retour de l’enfant l’expose à un danger physique ou psychique ou de toute autre manière le place dans une situation intolérable; l’enfant s’oppose à son retour et a atteint un âge et une maturité où il est approprié de tenir compte de son opinion.
[106] Enfin, l’article 20 prévoit une exception dans le cas où le retour de l’enfant ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’État requis relativement à la sauvegarde des droits de l’homme et aux libertés fondamentales.
[107] Chacune de ces exceptions peut seulement s’appliquer après qu’une cour de justice a d’abord décidé où l’enfant avait sa résidence habituelle au moment du déplacement ou du non‑retour. Cette démarche tombe sous le sens : si l’enfant n’avait pas sa résidence habituelle dans le pays visé par la demande d’ordonnance de retour, point n’est besoin de se prononcer sur l’application d’une exception, car aucune ordonnance de retour ne sera rendue.
[108] Dans la présente affaire, la principale question en litige se pose à la première étape de l’analyse : où les enfants avaient‑ils leur résidence habituelle pour les besoins de l’article 3 (afin de décider s’il y a lieu ou non d’ordonner le retour en vertu de l’article 12)?
IV. La résidence habituelle suivant l’article 3
[109] Trois approches se dégagent de la jurisprudence internationale quant à la détermination du lieu de la résidence habituelle, et les juges majoritaires les définissent comme suit : l’approche fondée sur l’intention des parents, qui « permet de déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant à partir de l’intention des parents habilités à décider du lieu où vit l’enfant » (par. 40); l’approche axée sur l’enfant, suivant laquelle « le lieu de la résidence habituelle est déterminé, pour l’application de l’article 3, en fonction de l’acclimatation de l’enfant dans le pays, de sorte que l’intention des parents n’importe pas vraiment » (par. 41); l’approche hybride, suivant laquelle le juge des requêtes doit « se penche[r] sur toutes les considérations pertinentes » afin de « détermine[r] quel était le point de fuite de la vie de l’enfant, soit [traduction] “l’environnement familial et social dans lequel sa vie se déroulait”, immédiatement avant le déplacement ou le non‑retour » (par. 42‑43).
[110] À notre avis, c’est l’approche fondée sur l’intention des parents qui doit présider à la détermination du lieu de la résidence habituelle. Lorsque l’on applique cette approche dans la plupart des cas, la détermination du lieu de la résidence habituelle commande une question simple : quelle a été la dernière intention commune des parents quant au lieu où l’enfant aurait sa résidence habituelle[4]? Lorsque la preuve permet au tribunal de répondre à cette question, la détermination du lieu de la résidence habituelle s’arrête là. Suivant cette approche, l’intention des parents importe davantage que la solidité des liens pertinents entre l’enfant et chacun des pays concurrents.
[111] Les juges majoritaires conviennent que l’intention des parents doit jouer un certain rôle dans la détermination du lieu de la résidence habituelle, du moins dans certains cas. Cependant, en optant pour l’approche hybride, ils font de l’intention des parents un simple élément parmi d’autres. En tout respect, il en résulte une approche non raisonnée et non balisée qui ne prend appui ni sur le texte de la Convention, ni sur sa structure, ni sur son objet. À notre avis, cette approche constitue une recette parfaite pour entraîner des litiges. Ci‑après, nous examinons les avantages de l’approche fondée sur l’intention des parents, nous examinons les risques et les faiblesses de l’approche hybride et nous appliquons la bonne approche, celle fondée sur l’intention des parents, pour déterminer le lieu de la résidence habituelle des enfants en l’espèce.
A. L’approche fondée sur l’intention des parents
[112] Suivant l’approche fondée sur l’intention des parents, le lieu de la résidence habituelle de l’enfant est déterminé en fonction de l’intention des parents qui en ont la garde. Dans la plupart des cas, le point central de l’analyse sera la dernière intention commune des parents (ou des personnes habilitées à décider du lieu de résidence de l’enfant) pour savoir où résidait habituellement l’enfant. Le plus souvent, lorsque l’enfant a passé la plus grande partie de sa vie dans un pays pour ensuite déménager dans un autre, le tribunal doit examiner si les deux parents ont voulu que le nouveau pays devienne le lieu de la résidence habituelle de l’enfant ou que le séjour soit temporaire. Si un seul des parents a voulu que le séjour soit permanent, le pays initial demeure le lieu de la résidence habituelle de l’enfant. Lorsque les deux parents ont voulu que le séjour soit permanent et que l’enfant a ensuite déménagé dans le nouveau pays, ce dernier est devenu le lieu de la résidence habituelle de l’enfant.
[113] Dans son examen de la preuve objective de l’intention commune des parents, le tribunal doit tenir compte de l’intention exprimée par les deux parents. Lorsque ces derniers ont convenu par écrit que le séjour dans le nouveau pays serait temporaire, cette entente doit se voir accorder un poids décisif. Cependant, au-delà des intentions exprimées, le tribunal peut [traduction] « examiner tant les actes que les déclarations » (Koch c. Koch, 450 F.3d 703 (7th Cir. 2006), p. 715). Par exemple, la preuve selon laquelle une mère s’est rendue à l’étranger avec son enfant munie d’un visa de visiteur temporaire en emportant seulement quelques effets personnels établirait l’absence d’intention que le nouveau pays devienne le lieu de la résidence habituelle de l’enfant (voir p. ex. Delvoye c. Lee, 329 F.3d 330 (3rd Cir. 2003), p. 334). À l’inverse, la preuve selon laquelle une famille a emporté tous ses effets personnels et vendu sa maison dans le premier pays tendrait à étayer la conclusion contraire. De tels éléments de preuve peuvent se révéler éclairants lorsque les déclarations des parties ou les intentions qu’elles ont exprimées n’apportent pas de réponse claire.
[114] Lorsque l’intention commune des parents est formulée expressément dans un accord ou qu’elle ressort par ailleurs de la preuve dont dispose le juge des requêtes, cela devrait être déterminant quant au lieu de la résidence habituelle, sauf circonstances exceptionnelles. Le juge Sharpe de la Cour d’appel signale une telle circonstance : [traduction] « . . . lorsque le séjour consensuel d’une durée limitée est si long que sa durée n’est limitée que sur papier, le lieu de la résidence habituelle de l’enfant a changé » (motifs de la C.A., par. 49). En pareil cas, lorsque le séjour dans le pays étranger censé avoir une durée limitée s’est prolongé pendant de nombreuses années, il serait irréaliste de dire que les parents ont encore l’intention que l’enfant ait sa résidence habituelle dans le premier pays (voir Mozes c. Mozes, 239 F.3d 1067 (9th Cir. 2001), p. 1075‑76).
[115] Telle est l’approche de certains tribunaux américains, qui reconnaissent une exception d’application restreinte lorsque la preuve [traduction] « mène de façon non équivoque à la conclusion que l’enfant s’est acclimaté au nouveau lieu » (Gitter c. Gitter, 396 F.3d 124 (2nd Cir. 2005), p. 134; voir aussi Mozes, p. 1081). Ces cas sont rares, et il faut prouver plus que le seul fait de « s’être intégré » dans un nouveau milieu pour que l’intention commune des parents soit écartée (voir R. Schuz, The Hague Child Abduction Convention : A Critical Analysis (2013), p. 189, note en bas de page 104).
[116] Le plus souvent, une preuve de l’intention des parents — tel un accord exprès entre les deux parents ayant la garde de l’enfant — suffira pour déterminer le lieu de la résidence habituelle. Toutefois, lorsque cette preuve n’est pas concluante, le tribunal peut examiner d’autres éléments de preuve objectifs pour déterminer ce lieu. Cette démarche s’accorde avec la manière dont d’autres tribunaux appliquent l’approche fondée sur l’intention des parents (voir p. ex. Murphy c. Sloan, 764 F.3d 1144 (9th Cir. 2014), p. 1152; Rey c. Getta, 2013 BCCA 369, 342 B.C.A.C. 30, par. 33). Par exemple, dans Murphy, la cour d’appel du neuvième circuit conclut que lorsque l’intention des parents n’est pas concluante, [traduction] « [c]ertaines circonstances liées à la résidence de l’enfant et à sa socialisation dans un autre pays [. . .] peuvent changer la donne » (p. 1152). Cependant, le tribunal examinera des éléments de preuve supplémentaires sur les liens de l’enfant dans chacun des pays seulement lorsque la preuve de l’intention des parents ne sera pas concluante. Autrement dit, si le tribunal peut tirer une conclusion quant à la dernière intention commune des deux parents ayant la garde de l’enfant — ce qui, rappelons‑le, sera le cas la plupart du temps —, cette intention commune doit être la variable décisive dans l’analyse que commande la détermination de la résidence habituelle.
[117] Comme le font remarquer les juges majoritaires, « [l]e Canada est partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 (« Convention de Vienne »), qui prévoit qu’“[u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but” » (par. 32).
[118] Nous sommes d’accord. À notre avis, le recours à l’approche fondée sur l’intention des parents est dicté par (1) le sens ordinaire du texte et la structure de la Convention, (2) l’objet et la raison d’être de la Convention et, enfin, (3) des considérations de principe. Nous examinons ces éléments tour à tour.
(1) Texte et structure
[119] Le texte et la structure de la Convention commandent que l’on mette l’accent sur l’intention commune des parents. Trois indices sérieux permettent de conclure que l’intention des parents devrait constituer l’élément décisif.
[120] Premièrement, l’article 12 renferme deux dispositions distinctes dont l’application dépend du moment où est engagée la procédure fondée sur la Convention. Lorsque la procédure est commencée un an ou plus après le déplacement ou le non‑retour illicite allégué, le tribunal n’est pas tenu d’ordonner le retour s’il est « établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu ». Par contre, lorsque la procédure est engagée dans un délai inférieur à un an, aucune exception de cette nature ne peut s’appliquer. Dans ce cas, la Convention est claire : le tribunal « ordonne [le] retour immédiat [de l’enfant] ». Le fait que l’article 12 ne contient aucune référence à quelque « intégration » dans le cas où l’instance est engagée dans un délai inférieur à un an est une forte indication que la preuve de l’intégration ne devrait pas jouer dans l’analyse relative à la résidence habituelle.
[121] C’est pourquoi les faits susceptibles d’étayer la détermination du lieu de la résidence habituelle selon l’approche fondée sur l’intention des parents ne sont pas n’importe lesquels. Dans la plupart des cas, seuls les éléments de preuve relatifs à l’intention des parents seront pertinents. Étant donné la structure de la Convention, il serait inapproprié de prendre en compte des éléments de preuve se rapportant à la solidité ou à la qualité des liens de l’enfant avec chacun des pays lorsque la preuve établit clairement l’intention commune des parents. En effet, d’autres éléments de preuve objectifs, dont la preuve de l’intégration sociale ou culturelle, peuvent être pertinents pour décider si l’enfant « s’est intégré » dans son nouveau milieu. Mais comme l’indique clairement l’article 12, cette analyse ne peut avoir lieu que lorsque l’instance est engagée un an ou plus après le déplacement ou le non‑retour illicite allégué. Et même alors, elle intervient seulement après que le tribunal a déterminé le lieu de la résidence habituelle de l’enfant.
[122] Deuxièmement, l’analyse en deux étapes que commande la Convention distingue la notion de résidence habituelle (qui fait l’objet de la première étape) de la preuve relative à la situation de l’enfant (qui est pertinente pour l’application de certaines des exceptions de nature discrétionnaire à la règle voulant que le retour soit ordonné, à la deuxième étape). L’article 13 prévoit deux exceptions qui intéressent précisément la situation de l’enfant : l’existence d’un risque grave que le retour de l’enfant l’expose à un danger et l’opposition de l’enfant à son retour. Tenir compte de tels éléments à l’étape préliminaire de la détermination du lieu de la résidence habituelle serait confondre à tort les deux étapes de l’analyse, comme le fait observer l’intervenant le procureur général du Canada dans ses observations à la Cour.
[123] Troisièmement, l’article 5 précise que le droit de garde comprend « le droit [. . .] de décider [du] lieu de résidence [de l’enfant] ». Ainsi, bien que la Convention ne définisse pas directement la résidence habituelle, elle prévoit à tout le moins que les parents, en raison de leur droit de garde, doivent avoir une certaine influence sur la détermination du lieu où leur enfant est réputé avoir sa résidence habituelle. Les juges majoritaires minimisent l’importance des droits reconnus à l’article 5 en traitant de façon équivoque le rôle de l’intention des parents dans la détermination du lieu de la résidence habituelle.
(2) Objet
[124] L’objet manifeste de la Convention milite également en faveur de l’approche fondée sur l’intention des parents. Dans l’arrêt Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, p. 579, la Cour précise cet objet : « Il ressort [. . .] que l’objectif principal de la Convention est l’exécution du droit de garde » (souligné dans l’original). Cet objectif ressort du texte de la Convention comme tel. L’article 1 dit que la raison d’être de celle‑ci est « d’assurer le retour immédiat des enfants » déplacés ou retenus illicitement et « de faire respecter [. . .] les droits de garde et de visite » dans tous les États signataires. Ces objets ont un lien étroit entre eux : assurer le retour immédiat des enfants qui sont déplacés illicitement est essentiel au respect et à la protection des droits de garde et de visite.
[125] L’objet d’une procédure judiciaire engagée en vertu de la Convention n’est pas de décider s’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’ordonner son retour dans un autre pays ou d’ordonner qu’il réside avec l’un ou l’autre parent. Cela découle de l’article 16, qui énonce que le tribunal « ne pourr[a] statuer sur le fond du droit de garde jusqu’à ce qu’il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l’enfant ne sont pas réunies ». Sous réserve des exceptions au retour prévues à l’article 13, c’est dans le cadre de l’instance sur la garde, et non de celle fondée sur la Convention, qu’il convient de se pencher sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant. On peut considérer que la Convention de La Haye s’intéresse à une question plus préliminaire : dans quel pays devrait‑on statuer sur la garde? Dans la présente affaire, par exemple, une procédure relative à la garde a été engagée en Allemagne après qu’il eut été décidé que les enfants devaient être renvoyés dans le pays où ils avaient leur résidence habituelle. C’est ainsi que le système est censé fonctionner. C’est dans le cadre de cette procédure subséquente, et non dans celui de la demande initiale fondée sur la Convention de La Haye, que le tribunal peut se pencher (et qu’il est le mieux placé pour le faire) sur l’intérêt supérieur de l’enfant en vue de statuer sur sa garde.
[126] Il ne s’en suit pas pour autant que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a aucune pertinence dans l’application de la Convention. Au contraire, comme l’explique le juge La Forest dans Thomson, la Convention se soucie de l’intérêt supérieur de l’enfant en général, « et non de [celui] de l’enfant qui est devant le tribunal » (p. 578). Elle défend cet intérêt de façon générale en assurant le retour immédiat de l’enfant qui a été déplacé du lieu où il a sa résidence habituelle, décourageant ainsi dès le départ l’enlèvement de l’enfant par l’un de ses parents. La notion de résidence habituelle doit être interprétée à la lumière de ces principes.
[127] Si, comme le reconnaissent les juges majoritaires, du moins en partie (par. 24), l’objet premier de la Convention est de faire respecter le droit de garde, l’intention des parents devrait être centrale, voire tenue pour décisive, dans la détermination du lieu de la résidence habituelle. La présente affaire, où le père a consenti à un séjour d’une durée limitée des enfants dans un autre pays, démontre parfaitement qu’il doit en être ainsi. Si le lieu de la résidence habituelle des enfants devait changer pour devenir le Canada même si le père n’a pas consenti à ce qu’ils y vivent de façon permanente, son droit de garde serait de fait bafoué. Se prononcer sur la résidence habituelle en fonction de la dernière intention commune des parents protège les droits de garde et de visite, car cela empêche l’un des parents de modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle de l’enfant et de faire ainsi obstacle au retour de l’enfant chez le parent laissé derrière.
(3) Considérations de principe
[128] Enfin, des considérations de principe militent également en faveur de l’approche fondée sur l’intention des parents. Adopter cette approche pour déterminer le lieu de la résidence habituelle crée un droit clair et certain comparativement aux autres approches. En l’absence d’une intention commune, aucun des parents n’a intérêt à enlever l’enfant (ou à le retenir au terme du séjour d’une durée limitée auquel l’autre a consenti) parce que le lieu de la résidence habituelle de l’enfant demeure le pays d’origine, sauf circonstances exceptionnelles. Le parent ravisseur n’a pas intérêt non plus à faire traîner le débat judiciaire dans l’espoir que l’enfant consolide ses liens avec le second pays. Par conséquent, l’approche fondée sur l’intention des parents est celle qui se concilie le mieux avec les objectifs de la Convention en ce qu’elle protège le droit de garde et décourage les enlèvements susceptibles de résulter d’une approche qui permet ou, encore, facilite la modification unilatérale du lieu de la résidence habituelle.
[129] En outre, en supposant que la preuve de l’intention commune est décisive (surtout lorsqu’il y a accord écrit), l’approche fondée sur l’intention des parents incite fortement les parties à consigner leurs intentions par écrit afin de réduire le risque de litiges subséquents et d’appels inutiles. Dans la présente affaire, par exemple, si elle avait adopté l’approche que nous préconisons, la Cour divisionnaire aurait été liée par l’accord écrit et aurait rapidement confirmé l’ordonnance de retour sans que la réouverture du débat et le réexamen de la preuve ne viennent retarder sa décision. Le dossier aurait été réglé rapidement, et les enfants seraient rentrés en Allemagne plus rapidement, ce qui aurait bénéficié à toutes les parties.
B. L’approche hybride
[130] Selon les juges majoritaires, l’approche hybride veut que le tribunal se penche sur « toutes les considérations pertinentes au vu des faits propres à l’affaire », de sorte que « la liste des éléments susceptibles d’être pertinents n’est pas exhaustive » (par. 42 et 47). En tenant compte d’autres éléments susceptibles de supplanter l’intention des parents dans la détermination du lieu de la résidence habituelle — ce qui permet de fait à l’un des parents de modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle de l’enfant sans le consentement de l’autre même en présence d’un accord exprès —, l’approche hybride proposée par les juges majoritaires brouille la distinction entre l’instance relative à la garde et celle fondée sur la Convention de La Haye et elle compromet la réalisation des objectifs de la Convention. Force est de conclure que l’approche des juges majoritaires revient essentiellement à décider lequel des parents devrait se voir attribuer la garde.
[131] Après examen de cette approche à la lumière (1) du texte et de la structure de la Convention, (2) de l’objet de la Convention et (3) des considérations de principe qui la sous‑tendent, nous concluons que l’opinion des juges majoritaires sème inutilement la confusion lorsqu’il s’agit de déterminer le lieu de la résidence habituelle et nuit à la certitude voulue par la Convention.
(1) Texte et structure
[132] Premièrement, l’approche hybride est incompatible avec le texte de la Convention. En invitant les cours de justice à prendre en considération une liste non exhaustive de facteurs non précisés, selon ce que chaque juge trouve pertinent, les juges majoritaires ignorent la distinction établie explicitement à l’article 12 de la Convention. Tel que mentionné précédemment, cette disposition établit une distinction nette entre la preuve qui peut être examinée dans le cadre d’une demande présentée moins d’un an après le déplacement ou le non‑retour illicite et celle qui peut être examinée dans le cadre d’une demande présentée après ce délai. L’approche hybride enlève tout sens à cette distinction textuelle expresse en encourageant les tribunaux à tenir compte dans tous les cas de la preuve de quelque « intégration ».
[133] Par exemple, l’évaluation des liens familiaux et sociaux de l’enfant dans chacun des pays oblige indubitablement le tribunal à se demander si l’enfant s’est intégré dans le nouveau pays, indépendamment de la question de savoir si l’instance a été engagée moins d’un an après le déplacement ou le non‑retour. Il en va de même pour les autres facteurs auxquels les juges majoritaires font allusion et dont tiennent habituellement compte les autres tribunaux qui appliquent l’approche hybride, à savoir les conditions du séjour (Mercredi c. Chaffe, C‑497/10, [2010] E.C.R. I‑14358, par. 56), [traduction] l’endroit où se trouvent les amis et les membres du réseau social (Punter c. Secretary for Justice, [2007] 1 N.Z.L.R. 40 (C.A.), par. 192), les modalités relatives au logement de l’enfant et à son éducation (Punter, par. 88) et les origines géographiques et familiales des parents et de l’enfant (Punter, par. 88; Mercredi, par. 56). Ces facteurs peuvent tous requérir une preuve quant à savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure, l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. Cette tournure n’est pas fidèle au texte de la Convention.
[134] Pour les mêmes motifs, l’approche hybride brouille la distinction entre la résidence habituelle et les exceptions à la règle selon laquelle le retour doit être ordonné. Elle produit ce résultat parce qu’elle tient compte de certains aspects de la situation de l’enfant à la première étape de l’analyse au lieu de respecter le caractère disjonctif de la démarche en deux étapes que commande la structure de la Convention. Cette approche crée également un risque important que l’instance fondée sur la Convention se transforme de facto en instance sur la garde du fait qu’elle s’attache aux liens de l’enfant avec chacun des pays et se trouve ainsi à demander au tribunal de se pencher sur la question de savoir si l’enfant serait mieux dans un pays que dans l’autre. Cela contredit le principe que la Convention se soucie de l’intérêt supérieur de l’enfant en général, et non de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est devant le tribunal (Thomson, p. 578), et que le tribunal saisi d’une instance fondée sur la Convention ne devrait pas s’intéresser au fond d’un litige sur la garde (article 16).
(2) Objet
[135] Deuxièmement, l’approche hybride mine la réalisation de l’objet principal de la Convention, soit décourager l’enlèvement d’enfants en veillant à l’exécution du droit de garde et du droit de visite des parents. Elle prive en effet la Convention de son effet dissuasif. Étant donné que l’intention des parents peut être évincée ou voir son importance réduite en raison des liens de l’enfant dans le nouveau pays, un parent ravisseur — la plupart du temps, celui qui refuse de rendre l’enfant au terme d’une période convenue — a tout à gagner de l’acclimatation rapide dans un nouveau lieu (Mozes, p. 1079). Autrement dit, l’incertitude engendrée par cette approche ad hoc profite au ravisseur en puissance. Cette fâcheuse conséquence est encore plus évidente lorsque l’on considère qu’un parent ravisseur, en rassemblant suffisamment d’éléments de preuve à l’égard de « tous les éléments pertinents », peut alors réduire à néant une entente expresse quant à la durée limitée du séjour de l’enfant dans le pays étranger.
[136] À la lumière de cette préoccupation, même les tribunaux qui appliquent l’approche hybride ou l’approche axée sur l’enfant reconnaissent la nécessité de [traduction] « veiller à ce qu’aucun des parents ne modifie unilatéralement l’accord mutuel intervenu » (Karkkainen c. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (3rd Cir. 2006), p. 292; voir aussi Punter, par. 173; Feder c. Evans Feder, 63 F.3d 217 (3rd Cir. 1995), p. 221). Les tribunaux qui appliquent l’approche hybride accordent donc souvent un poids considérable à l’intention des parents, suggérant par exemple que la nouvelle résidence habituelle d’un enfant doit présenter le [traduction] « degré voulu de stabilité » pour que l’intention des parents puisse être écartée (In re R. (Children), [2015] UKSC 35, [2016] A.C. 76, par. 21).
[137] Malheureusement, les juges majoritaires ignorent le poids de cette jurisprudence internationale (un facteur qu’ils jugent par ailleurs décisif en adoptant l’approche hybride) par leur rejet de toute préoccupation liée à la modification unilatérale de la résidence habituelle et par leur refus de se prononcer sur l’importance relative de l’intention des parents (par. 44 et 46). Le fait que l’approche hybride est « affranchie de l’application rigide de règles » est bien peu rassurant pour le parent laissé derrière dont le droit de garde peut dès lors être écarté par une doctrine jurisprudentielle qui permet au parent ravisseur de modifier unilatéralement l’accord conclu avec l’autre parent quant aux modalités du séjour de l’enfant.
(3) Considérations de principe
[138] Enfin, les juges majoritaires avancent principalement trois arguments de principe à l’appui de leur thèse. En tout respect, nous estimons qu’ils surestiment ces arguments et qu’il est préférable, également pour des raisons de principe, de s’attacher à l’intention commune des parents.
[139] Le premier argument de principe invoqué par les juges majoritaires veut que d’autres tribunaux souscrivent à l’approche hybride, ce qui permettrait de conclure qu’un consensus se dessine à l’échelle internationale (par. 50). À notre avis, on ne saurait accorder beaucoup de poids à ce facteur car, rappelons‑le, l’approche hybride découle d’une analyse erronée du texte, de la structure et de l’objet de la Convention.
[140] Un fort courant jurisprudentiel appuie par ailleurs le modèle fondé sur l’intention des parents. Comme le reconnaissent les juges majoritaires, un certain nombre de tribunaux principaux, y compris la quasi‑totalité des cours d’appel du pays qui ont été saisies de la question, ont opté et optent encore pour une approche de la résidence habituelle qui met l’accent à différents degrés sur l’intention des parents (voir p. ex. Murphy, p. 1150; Mozes, p. 1073‑1080; Gitter, p. 134; Mauvais c. Herisse, 772 F.3d 6 (1st Cir. 2014), p. 11‑12; Guzzo c. Cristofano, 719 F.3d 100 (2nd Cir. 2013), p. 107‑109; Larbie c. Larbie, 690 F.3d 295 (5th Cir. 2012), p. 310; Koch, p. 717; Ruiz c. Tenorio, 392 F.3d 1247 (11th Cir. 2004), p. 1253‑1254; R. c. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 A.C. 309 (H.L.); Korutowska‑Wooff c. Wooff (2004), 242 D.L.R. (4th) 385 (C.A. Ont.), par. 8; Rifkin c. Peled‑Rifkin, 2017 NBCA 3, 89 R.F.L. (7th) 194, par. 2; A.E.S. c. A.M.W., 2013 ABCA 133, 544 A.R. 246, par. 20 et 23). Tel est spécialement le cas aux États‑Unis, où relativement peu de pays (s’il en est) optent pour un modèle hybride qui n’offre aux tribunaux inférieurs aucune indication quant à la manière de soupeser ou d’analyser les différents facteurs. En fait, certaines des décisions américaines invoquées par les juges majoritaires appliquent une approche totalement différente de celle que ces derniers invoquent à l’appui de leur thèse (voir p. ex. Silverman c. Silverman, 338 F.3d 886 (8th Cir. 2003), p. 898 : [traduction] « Le tribunal [inférieur] aurait dû déterminer la mesure dans laquelle le dessein était arrêté du point de vue des enfants . . . »; Tsai‑Yi Yang c. Fu‑Chiang Tsui, 499 F.3d 259 (3rd Cir. 2007), p. 271 : [traduction] « Nous avons défini la résidence habituelle en “[fonction de] la mesure dans laquelle le dessein était arrêté du point de vue de l’enfant” », citant Baxter c. Baxter, 423 F.3d 363 (3rd Cir. 2005), p. 369).
[141] En outre, la plus grande partie de la jurisprudence internationale invoquée par les juges majoritaires ne se rapporte aucunement à une situation où la preuve établit clairement l’intention des parents. Cette jurisprudence vise plutôt des situations où, saisi d’une preuve non concluante ou équivoque de l’intention des parents, le tribunal a dû examiner des éléments de preuve objectifs pour établir le lieu de la résidence habituelle.
[142] Dans Punter, par exemple, les parents avaient conclu un accord d’alternance selon lequel les enfants habiteraient deux ans en Nouvelle‑Zélande, puis deux ans en Australie. Vu le caractère continu de l’application d’un accord d’alternance, il était plus difficile de déterminer le lieu de la résidence habituelle des enfants (par. 169), de sorte que l’incertitude du tribunal l’a amené à considérer d’autres facteurs.
[143] De même, dans L.K. c. Director‑General, Department of Community Services, [2009] HCA 9, 237 C.L.R. 582, la preuve de l’intention des parents est jugée [traduction] « équivoque » (par. 29). En fait, la principale raison pour laquelle la cour juge l’intention des parents non décisive est que celle‑ci est souvent équivoque (par. 28 et 32). Il n’est pas précisé dans cet arrêt l’importance que devrait revêtir cette intention lorsque le juge des requêtes conclut qu’elle est claire.
[144] Dans l’affaire Mercredi, I‑14358, la mère avait la garde exclusive de l’enfant lorsqu’elle a quitté l’Angleterre en sa compagnie à destination de l’île de la Réunion (par. 23). Contrairement aux faits de la présente espèce, le père n’avait pas de droit de garde. Par conséquent, cette décision n’offre aucune indication utile pour statuer lorsque l’intention commune et arrêtée des parents, qui ont tous deux un droit de garde, est claire.
[145] Ainsi, la jurisprudence internationale citée par les juges majoritaires n’exclut pas la possibilité d’attribuer un poids décisif à l’intention des parents lorsque le tribunal conclut que la preuve de l’intention commune des parents est claire.
[146] Le deuxième argument de principe avancé est que l’approche hybride se concilie avec les objectifs de la Convention (opinion majoritaire, par. 59‑61). En tout respect, nous ne sommes pas d’accord. Comme nous l’expliquons précédemment, l’approche hybride permet à l’un des parents de modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle de l’enfant, ce qui sape le droit de garde et incite le parent à déplacer ou à retenir l’enfant dans la mesure où ce dernier peut établir rapidement des liens avec le nouveau pays. La suggestion selon laquelle un parent sera dissuadé de créer « des liens plus ou moins artificiels de compétence judiciaire » (par. 60) soulève la question de savoir ce qui constitue un lien « artificiel » et comment le tribunal pourrait le distinguer d’un lien véritable. Mais surtout, elle ne tient pas compte du fait que l’enfant pourrait établir des liens véritables avec le nouveau pays à la suite d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite. Le fait même que ces liens pourront, suivant l’approche adoptée par les juges majoritaires, militer en faveur de la modification du lieu de la résidence habituelle encourage (ou, à tout le moins, récompense) l’enlèvement et le non‑retour, et ce, au détriment du droit de garde du parent laissé derrière. C’est plutôt la certitude assurée par l’approche fondée sur l’intention des parents qui est de nature à empêcher pareille manipulation de la Convention et qui favorise le plus la réalisation de ses objectifs.
[147] Selon le troisième argument, l’approche hybride « offre [. . .] la meilleure chance d’obtenir le retour immédiat de l’enfant » (opinion majoritaire, par. 62 (en italique dans l’original)). Encore une fois, avec respect, cet argument est foncièrement non fondé, car les considérations liées à l’efficacité de facto militent fermement en faveur de l’approche fondée sur l’intention des parents.
[148] Il importe de reconnaître que toute approche adoptée pour déterminer le lieu de la résidence habituelle se heurtera à certaines situations épineuses où le tribunal saisi devra rendre une décision difficile. Mais si l’on recourt à l’approche fondée sur l’intention des parents, de nombreuses affaires se révèlent simples. En présence d’une preuve non équivoque de ce que les parents ont voulu, le modèle fondé sur l’intention des parents apporte une réponse claire et prévisible à la question du lieu de la résidence habituelle. C’est le cas en l’espèce. Le père a signé une courte lettre dans laquelle il consent à un séjour d’une durée limitée, et nul ne conteste que la dernière intention commune des parents était que les enfants aient leur résidence habituelle en Allemagne. De plus, si l’approche fondée sur l’intention des parents devait désormais s’appliquer, les parties seraient encore plus incitées à consigner leurs intentions par écrit dès le départ (comme l’a fait le père en l’espèce), car l’importance de ces intentions serait tenue pour décisive.
[149] En optant pour l’approche hybride, les juges majoritaires invitent les parties à saisir la justice même dans des cas clairs comme celui visé en l’espèce, car malgré la présence d’un accord non équivoque ayant force obligatoire, il sera toujours possible que la preuve d’autres facteurs l’emportent sur celle de l’intention des parents (l’opinion majoritaire ne précise pas à quelles conditions ni selon quelles modalités, mais raison de plus pour tenter sa chance). La portée du débat sera grande, les juges majoritaires enjoignant au tribunal de prendre en compte « tous les éléments pertinents » parce que « la liste [. . .] n’est pas exhaustive » (par. 47 et 65). Il en résultera de longs et coûteux litiges où les parties seront incitées à demander la communication de toutes sortes de documents, allant des dossiers scolaires et médicaux aux déclarations de revenus et aux relevés de carte de crédit. Pendant tout ce temps, l’enfant continuera d’établir avec le nouveau pays des liens susceptibles d’étayer, sous certains rapports, la prétention voulant que sa résidence habituelle ait changé. Nous sommes loin de la décision rapide et juste évoquée par les juges majoritaires.
[150] Même pour les dossiers où l’intention commune des parents ne ressort pas d’emblée, la supériorité de l’approche hybride est loin d’être claire. En effet, les parties demeurent fortement incitées à s’adresser au tribunal relativement à la question de l’intention (ainsi que relativement à tout autre facteur pertinent suivant l’approche hybride) et à consacrer beaucoup de temps et de ressources à pareille démarche. Les incitations sont encore plus grandes lorsque l’asymétrie des ressources respectives des parties peut inciter l’une d’elles à brandir la menace d’un procès pour faire pression sur l’autre dans le cadre de négociations. Que le tribunal n’ait pas à trancher définitivement la question importe donc peu, le modèle hybride entraînera toujours des procédures longues et coûteuses. Et même si le tribunal n’est pas tenu de se prononcer sur l’intention des parents, l’approche hybride remplace simplement cette forme d’incertitude par une autre : la mise en balance d’innombrables variables sans indications utiles ou presque quant à l’importance qu’il convient de leur accorder en dernière analyse.
[151] Comme le suggère la présente analyse, le problème fondamental de l’approche hybride sur le plan des principes est l’incertitude qui en résulte. Il est aisé pour la Cour de faire des déclarations générales enjoignant aux tribunaux de « se penche[r] sur toutes les considérations pertinentes » et de décider quelle importance relative il convient d’attribuer à chacune selon ce qu’ils jugent indiqué (opinion majoritaire, par. 42), mais qu’est‑ce que cela signifie concrètement pour le juge appelé à suivre cette directive dans une affaire donnée? Et quels éléments de preuve les parties doivent‑elles présenter pour que le juge puisse rendre une décision sur ce point? Plus les parties au litige invoquent de facteurs (et de faits supplémentaires offrant un contexte à ces facteurs), plus ces interrogations se multiplient.
[152] Nous craignons que cette approche ne confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire illimité lui permettant de tenir compte ou non d’éléments à son gré et n’entraîne ainsi des résultats aussi incohérents qu’imprévisibles. Ceux qui en subiront le plus grand impact seront les parents et les plaideurs éventuels, car ils ne disposeront d’aucun repère pour organiser leur vie familiale. Cela est particulièrement important dans le contexte d’échanges étudiants, de visites familiales ou de tout autre voyage international, l’approche des juges majoritaires ayant pour effet de réduire à néant la raison d’être du consentement à un séjour d’une durée limitée. Si l’un des parents peut passer outre à pareille entente en présentant une preuve contraire reposant sur « tous éléments pertinents », la certitude assurée par le consentement à un séjour d’une durée limitée ne sera qu’illusoire. D’autres tribunaux ont examiné ce problème avec moult détail :
[traduction] Ne pas rendre [l’application de la Convention] intelligible et cohérente c’est priver les parents des données cruciales dont ils ont besoin pour prendre des décisions et faire en sorte que les enfants soient plus susceptibles de subir le préjudice auquel la Convention vise à les soustraire. Prenons l’exemple du parent qui se demande s’il devrait entreprendre un voyage avec son enfant pour tenter de se réconcilier avec son ex‑conjoint, ou s’il devrait consentir à ce que son enfant se rende à l’étranger pour y séjourner dans la belle‑famille. Ce parent aurait vraiment intérêt à connaître les conditions auxquelles la résidence habituelle de l’enfant pourrait être modifiée, et il est peu rassurant de se faire dire seulement que c’est [traduction] « une question de fait qui doit être tranchée eu égard à l’ensemble des faits propres à une affaire donnée ». Le parent auquel pareille réponse est faite accueillera avec plus de soulagement que d’inquiétude l’application de quelques « présuppositions et présomptions » judiciaires. [Notes en bas de page omises; références omises.]
(Mozes, p. 1072‑1073)
[153] En résumé, nous sommes d’avis que l’approche des juges majoritaires consacre une incertitude dans un domaine qui ne s’y prête tout simplement pas. Un test multifactoriel peut se révéler utile dans certains contextes. Mais ce n’est malheureusement pas le cas en l’espèce. La Convention requiert des décisions rapides et prévisibles, et le modèle hybride n’offre ni les unes ni les autres. La présente affaire illustre de façon convaincante les avantages comparatifs de l’approche fondée sur l’intention des parents. Voici pourquoi.
C. Application
[154] En l’espèce, le moment en fonction duquel il convient de déterminer le lieu de la résidence habituelle des enfants est le 15 août 2014, soit le jour où a pris fin le séjour auquel avait consenti le père[5]. Il ne fait aucun doute que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne avant leur départ pour le Canada en avril 2013. La seule question qui se pose est de savoir si le lieu de leur résidence habituelle est devenu le Canada au cours de la période d’environ 16 mois où ils ont habité au pays.
[155] Selon nous, les enfants ont continué d’avoir leur résidence habituelle en Allemagne. Il y a une entente expresse dans laquelle le père n’a consenti qu’à un séjour temporaire au Canada. La validité de cette entente n’est pas contestée. Il n’y avait donc pas d’intention commune que le Canada remplace l’Allemagne comme lieu de la résidence habituelle des enfants. Même si la durée d’un séjour prolongé dans un autre pays peut, dans certains cas extrêmes, n’être « limitée que sur papier » (motifs de la C.A., par. 49), c’est loin d’être le cas d’un séjour de tout juste 16 mois dans un autre pays. Avec respect, la réticence des juges majoritaires à appliquer leur nouveau cadre d’analyse aux faits de la présente espèce montre à quel point leur démarche sans limites se révélera peu utile aux tribunaux qui devront désormais appliquer leur approche.
[156] Cela dit, nous convenons avec les juges majoritaires que, dans la présente affaire, la longueur du débat judiciaire a été inacceptable (voir opinion majoritaire, par. 82‑89). Peu importe l’angle sous lequel les tribunaux abordent la question de la résidence habituelle, la Convention exige que la demande de retour fasse l’objet d’une audition et d’une décision rapides. Selon nous, une déclaration claire de la Cour portant que le temps écoulé n’aura pas d’incidence sur la détermination du lieu de la résidence habituelle favoriserait le règlement efficace et expéditif des litiges. Raison de plus pour laquelle nous croyons qu’une approche axée sur l’intention commune des parents est préférable à celle que préconisent les juges majoritaires.
V. Opposition prévue à l’article 13(2)
[157] Une fois établi que l’enfant a été déplacé illicitement du lieu de sa résidence habituelle, l’article 13(2) de la Convention confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de refuser d’ordonner le retour au motif que l’enfant s’y oppose. L’article 13(2) est libellé comme suit :
L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui‑ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.
Si les deux conditions sont remplies (l’enfant s’oppose et il a atteint un âge et une maturité suffisants), le tribunal peut refuser d’ordonner le retour, mais il n’est pas requis de le faire. Voici quelques indications quant à la façon dont ce pouvoir discrétionnaire devrait être exercé selon le cadre d’analyse des juges majoritaires.
[158] Leur « méthode axée sur les faits et sur le sens commun » (par. 76) invite le tribunal à tenir compte de toutes les circonstances. Des précisions s’imposent quant à plusieurs aspects de leur analyse. Premièrement, l’opposition de l’enfant ne devrait pas nécessairement, ni même de manière présomptive, être décisive quant à l’opportunité que le tribunal exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui permet de refuser d’ordonner le retour. Deuxièmement, les objectifs de politique générale de la Convention de La Haye doivent être considérés pour décider s’il y a lieu ou non de refuser d’ordonner le retour. À notre avis, ces objectifs doivent englober l’objectif exprès de protéger les droits de garde et de visite. Troisièmement, il ne s’agit pas seulement de savoir ce que veut l’enfant, et l’analyse ne doit pas être celle que commande une demande de garde. Chacun de ces points se concilie avec l’exhortation des juges majoritaires à ne pas interpréter l’article 13(2) trop largement de sorte que le caractère général de la règle de la résidence habituelle soit compromis (par. 76).
[159] À la lumière de ces considérations, nous estimons que l’article 13(2) ne devrait pas être invoqué à la légère de manière à porter systématiquement atteinte au droit de garde du parent laissé derrière. Les juges devraient donc appliquer cette exception de façon que l’intention commune des parents ne soit pas occultée. En effet, permettre que l’opposition de l’enfant écarte automatiquement la preuve de l’intention commune des parents rendrait la détermination du lieu de la résidence habituelle totalement superflue. Ainsi, comme le soulignent nos collègues, les exceptions prévues à l’article 13(2) « ne sont précisément que cela, des exceptions », et elles « ne confèrent pas au juge des requêtes un pouvoir discrétionnaire général qui lui permet de refuser d’ordonner le retour » (par. 76). Selon nous, les tribunaux devraient bien s’assurer que l’opposition de l’enfant n’est pas le fruit de l’influence indue de l’un des parents. De même, lorsqu’il s’agit d’apprécier la nature et la solidité des motifs d’opposition de l’enfant, les tribunaux ne doivent pas oublier que le refus d’ordonner le retour empêchera le retour de l’enfant dans le lieu de sa résidence habituelle et le rétablissement de la situation d’avant le déplacement ou le non‑retour. Cette réalité doit être prise en compte dans l’analyse.
[160] L’appréciation de la preuve relative à l’opposition de l’enfant pour l’application de l’article 13(2) et la décision subséquente quant à savoir si les motifs de cette opposition justifient le refus d’ordonner le retour sont toutes deux de nature discrétionnaire. Par conséquent, la décision de la juge des requêtes relativement à l’application de l’article 13(2) commande la déférence (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10, 25 et 36). En l’espèce, la juge des requêtes a conclu que les enfants ne se sont pas opposés au retour avec l’intensité requise. Nous ne voyons dans son analyse aucune erreur justifiant l’annulation de sa décision, et les juges majoritaires ne relèvent pas une telle erreur non plus. Dès lors, rien ne permettait de refuser d’ordonner le retour après avoir conclu que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne.
VI. Conclusion
[161] Malgré le caractère théorique du pourvoi, nous sommes d’avis de le rejeter en raison de notre conclusion selon laquelle la juge des requêtes était justifiée de décider que les enfants avaient leur résidence habituelle en Allemagne au terme du séjour d’une durée limitée auquel avait consenti le père, et que rien ne lui permettait de refuser d’ordonner le retour sur le fondement de l’article 13(2).
Jugement en conséquence, les juges Moldaver, Côté et Rowe sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Bureau de l’avocat des enfants, Toronto; Houghton, Slonlowski, Stengel, Welland (Ontario).
Procureurs de l’intimé John Paul Balev : Bookman Law Professional Corporation Barristers, Toronto.
Procureurs de l’intimée Catharine‑Rose Baggott : Senson Law, Toronto; Tammy Law, Barrister and Solicitor, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.
Procureurs de l’intervenant Defence for Children International‑Canada : Wilson Christen, Toronto.
Procureur de l’intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic : Barbra Schlifer Commemorative Clinic, Toronto.
[1] Bien que cette disposition ne soit pas numérotée dans la Convention de La Haye (contrairement aux alinéas 13a) et b)), on considère généralement qu’il s’agit de l’article 13(2).
[2] Le Rapport explicatif a été rédigé après la conclusion de la Convention de La Haye par la rapporteuse de la Commission, E. Pérez‑Vera. Il a influé sur l’interprétation de la Convention de La Haye et a été cité dans nombre d’affaires à l’échelle internationale (voir R. K. Gardiner, Treaty Interpretation (2e éd. 2015), p. 403).
[3] L’arrêt Shah ne porte pas sur la résidence habituelle, mais plutôt sur la [traduction] « résidence ordinaire ». On s’y reporte néanmoins dans les affaires relatives à la Convention de La Haye. En voici un passage : [traduction] « [. . .] Une personne réside dans le lieu ou le pays qu’elle a adopté, volontairement et dans un dessein arrêté, dans le cours normal de sa vie, que ce soit pour une courte période ou une longue » (p. 343, lord Scarman).
[4] Même si, pour simplifier, nous employons le terme « parents » dans les présents motifs, l’analyse doit porter sur l’intention des personnes qui ont « le droit [. . .] de décider [du] lieu de résidence [de l’enfant] » (Convention de La Haye, article 5). Il peut par exemple s’agir des tuteurs légaux au lieu des parents biologiques.
[5] Nul ne conteste que le déplacement des enfants par la mère vers le Canada n’était pas illicite, car le père y avait consenti. La question est de savoir si le non‑retour des enfants en Allemagne au terme du séjour d’une durée limitée auquel avait consenti le père était illicite.