Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe
Motifs de jugement conjoints (par. 1 à 76) : Les juges Abella et Moldaver (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Répertorié : R. c. Magoon
2018 CSC 14
Nos du greffe : 37416, 37479.
Audition et jugements : 27 novembre 2017.
Motifs déposés : 13 avril 2018.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.
Arrêt : Les pourvois sont rejetés.
Les accusés pouvaient effectivement, en vertu de l’al. 691(2) b) du Code criminel , se pourvoir de plein droit devant la Cour relativement à toute question de droit liée à l’infirmation de leur acquittement relativement aux accusations de meurtre au premier degré, mais ils devaient obtenir l’autorisation d’appeler prévue à l’al. 691(1) b) du Code criminel afin de pouvoir soulever des motifs d’appel relatifs à leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Le sens de l’expression « toute question de droit » employée à l’al. 691(2) b) se limite aux questions de droit se rapportant aux verdicts de culpabilité pour meurtre au premier degré substitués aux acquittements initiaux. Les paragraphes 691(1) et (2) doivent être lus et interprétés comme constituant un tout harmonieux : le par. 691(1) s’applique dans les cas où la condamnation est confirmée par la cour d’appel, et le par. 691(2) s’applique dans ceux où l’acquittement est annulé par la cour d’appel. Chaque disposition confère à l’appelant des droits différents, selon les circonstances, et il faut que ces voies d’appel parallèles restent séparées et distinctes.
La Cour d’appel avait compétence pour instruire les appels formés par le ministère public à l’encontre des acquittements prononcés à l’égard des accusations de meurtre au premier degré en l’espèce. Pour les appels à cet égard, le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré sont considérés comme deux infractions distinctes. Lorsqu’une personne a été accusée de meurtre au premier degré mais est déclarée coupable de meurtre au deuxième degré, cette personne bénéficie d’un acquittement quant à l’accusation de meurtre au premier degré. Dans un tel cas, l’accusé peut interjeter appel de la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, alors que le ministère public peut faire appel du verdict d’acquittement à l’égard de l’accusation de meurtre au premier degré en vertu de l’al. 676(1) a) du Code criminel .
La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en déclarant les accusés coupables de meurtre au premier degré. Les cinq éléments que prévoit l’analyse applicable énoncée dans R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306, et qui doivent être réunis pour qu’un accusé soit déclaré coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5) du Code criminel , étaient présents en l’espèce, y compris les premier et cinquième éléments.
Pour ce qui est du premier élément, l’infraction de séquestration illégale prévue au par. 279(2) du Code criminel a été établie : les accusés ont séquestré M, et cette séquestration était illégale. M a été soumise à de la contrainte physique et forcée d’agir contre sa volonté, et les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées dépassaient de loin toute forme acceptable d’exercice des responsabilités parentales. La norme juridique permettant d’établir l’existence d’un acte de séquestration illégale est la même pour les enfants et pour les adultes, mais dans le cas d’une relation parent‑enfant, les tribunaux doivent se rappeler que les enfants sont intrinsèquement vulnérables et dépendants, et qu’ils reçoivent — et attendent — couramment des instructions de leurs parents. Le ministère public n’est pas tenu de prouver l’existence d’une forme particulière ou extrême de séquestration dans les affaires concernant des parents et leurs enfants. Pour que le tribunal puisse conclure qu’un enfant a été séquestré, il n’est pas nécessaire de prouver que l’enfant a été physiquement attaché ou enfermé; la séquestration peut aussi résulter de la preuve d’un comportement contrôlant. Bien que des parents soient légitimement autorisés à restreindre la liberté de leurs enfants dans l’intérêt supérieur de ceux‑ci, si un parent adopte, envers son enfant, un comportement abusif ou préjudiciable qui dépasse toute forme acceptable d’exercice des responsabilités parentales, l’autorisation reconnue à ce parent de séquestrer son enfant cesse d’être légitime. Le fait de punir un enfant en restreignant sa liberté de se déplacer librement, au moyen de mesures de contrainte physique ou psychologique imposées à l’encontre de la volonté de l’enfant — mesures qui excèdent les limites du châtiment qu’un parent ou tuteur peut légitimement infliger —, constitue une séquestration illégale.
Le cinquième élément de l’analyse est lui aussi présent : la séquestration illégale et le meurtre de M ont constitué deux actes criminels distincts qui faisaient partie d’une seule et même opération. La séquestration illégale et les agressions qui ont mené à la mort de M faisaient partie d’une seule et même opération de contrainte et de sévices, et la séquestration illégale a persisté jusqu’au moment où M a perdu conscience. La séquestration illégale n’était pas dissoute dans l’acte même du meurtre : les actes de violence commis à l’endroit de M n’étaient pas tous liés aux coups fatals, certaines des agressions qui satisfaisaient à la norme de causalité applicable au meurtre constituaient des actes distincts des actes de séquestration, et les agressions commises contre M ne représentaient qu’une partie, et non l’ensemble, de la preuve établissant la séquestration illégale, puisque la séquestration avait également comporté des actes de contrainte non physique.
Jurisprudence
Arrêts appliqués : R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306; distinction d’avec les arrêts : R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124; Droste c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 208; R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618; R. c. Arkell, [1990] 2 R.C.S. 695; R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488; arrêt examiné : Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356; R. c. Keegstra, [1995] 2 R.C.S. 381; R. c. Noureddine, 2015 ONCA 770, 332 C.C.C. (3d) 114; arrêts mentionnés : R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544; R. c. Pritchard, 2008 CSC 59, [2008] 3 R.C.S. 195; R. c. Bottineau, [2006] O.J. No. 1864 (QL), conf. par 2011 ONCA 194, 269 C.C.C. (3d) 227, autorisation d’appel refusée, [2012] 1 R.C.S. vi; R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462; R. c. Kematch, 2010 MBCA 18, 252 C.C.C. (3d) 349; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 43 , 231(5) , 279(2) , 662 , 675(1) a)(i), 676 , 686(4) b)(ii), 691(1) , (2) , 745.4 .
POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Paperny, Veldhuis et Wakeling), 2016 ABCA 412, [2016] A.J. No. 1349 (QL), 2016 CarswellAlta 2435 (WL Can.), qui a substitué des déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré aux déclarations de culpabilité pour meurtre au deuxième degré inscrites par la juge Nation, 2015 ABQB 351, 594 A.R. 272, [2015] A.J. No. 607 (QL), 2015 CarswellAlta 975 (WL Can.). Pourvois rejetés.
Michael Bates et Nicole Rodych, pour l’appelante Marie‑Eve Magoon.
Brendan M. Miller et Jeinis S. Patel, pour l’appelant Spencer Lee Jordan.
Christine Rideout et Andrew Barg, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Les juges Abella et Moldaver —
Aperçu
[1] Meika Jordan est décédée le 14 novembre 2011, après avoir passé un week‑end chez son père, Spencer Jordan, et sa belle‑mère, Marie‑Eve Magoon. Elle était âgée de six ans. Meika a été brûlée, contrainte de monter et de descendre un escalier en courant pendant des heures à titre de punition, et violemment battue lorsque M. Jordan et Mme Magoon estimaient qu’elle n’obéissait pas. Elle a subi des lésions aux organes internes et reçu au moins cinq coups sérieux à la tête. Ce n’est que lorsqu’elle a perdu conscience, à la fin du week‑end, que son père et sa belle‑mère ont cherché à lui obtenir des soins médicaux.
[2] Mme Magoon et M. Jordan ont été accusés de meurtre au premier degré et, à l’issue de leur procès, ils ont été reconnus coupables de meurtre au deuxième degré. La juge du procès n’a pas accepté leur explication selon laquelle Meika serait morte des suites d’une seule et unique chute accidentelle, et elle a rejeté leurs tentatives de se jeter mutuellement le blâme. À son avis, la preuve démontrait qu’ils avaient tous deux, de façon répétée et intentionnelle, brutalisé Meika, sachant que leurs actes étaient de nature à causer sa mort. Toutefois, n’étant pas convaincue que Mme Magoon et M. Jordan séquestraient Meika sans autorisation légitime, c’est‑à‑dire illégalement, lorsqu’ils lui ont infligé les blessures fatales, la juge les a acquittés des accusations de meurtre au premier degré fondées sur l’al. 231(5) e) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 .
[3] Mme Magoon et M. Jordan ont interjeté appel de leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, et le ministère public a fait appel de leur acquittement quant aux accusations de meurtre au premier degré. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté les appels de Mme Magoon et de M. Jordan, mais a accueilli ceux du ministère public. Elle a statué que la juge du procès avait appliqué une analyse erronée et indûment étroite à l’égard de la question de la séquestration illégale et que, suivant l’analyse appropriée, Mme Magoon et M. Jordan avaient bel et bien séquestré illégalement Meika dans des circonstances les rendant susceptibles d’être déclarés coupables de meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e) du Code criminel . En conséquence, la Cour d’appel a annulé les acquittements inscrits quant aux accusations de meurtre au premier degré et y a substitué des verdicts de culpabilité.
[4] Mme Magoon et M. Jordan ont interjeté appel devant notre Cour. Nous avons rejeté leurs pourvois à l’audience, avec motifs à suivre. Voici ces motifs.
Contexte factuel
[5] Lorsque Meika est décédée, les arrangements entre M. Jordan et la mère de Meika concernant la garde de celle‑ci n’étaient pas fixés. Conformément à une ordonnance temporaire rendue par un tribunal de la famille, Meika restait avec son père durant la semaine, et avec sa mère les week‑ends.
[6] Le vendredi 11 novembre, peu de temps avant le moment où Meika devait retourner auprès de sa mère, M. Jordan a envoyé à cette dernière un message texte lui demandant si elle acceptait que Meika reste avec lui pour le week‑end. Afin de convaincre la mère de Meika de permettre que l’enfant reste avec lui pendant le week‑end, il a menti, prétextant que Mme Magoon l’avait quitté et qu’il ne voulait pas rester seul. Or, la véritable raison pour laquelle Mme Magoon et M. Jordan souhaitaient garder Meika avec eux était qu’ils voulaient éviter que sa mère ne voie la brûlure très sévère que Mme Magoon avait délibérément infligée à Meika en lui maintenant la main au‑dessus d’une flamme, le jeudi, la veille du jour où l’enfant devait retourner chez sa mère pour le week‑end.
[7] Dans la soirée du dimanche 13 novembre, Mme Magoon et M. Jordan ont appelé les ambulanciers paramédicaux. À l’arrivée de ceux‑ci, Meika était inconsciente. Elle est décédée à l’hôpital le lendemain. Parmi les blessures qui ont été constatées, mentionnons les suivantes : lacération du pancréas, déchirure du foie, hématome sous‑dural, œdème cérébral, nombreuses ecchymoses sur tout le corps, brûlure à une main et touffes de cheveux manquantes dans sa chevelure emmêlée. Une hémorragie abdominale avait affaibli le système cardiovasculaire de l’enfant et ainsi réduit sa capacité de survivre aux coups répétés qu’elle avait subis à la tête.
[8] Mme Magoon et M. Jordan ont affirmé aux policiers que Meika avait déboulé un escalier, mais la preuve médicale a plutôt révélé un schème d’actes de violence répétés et délibérés, susceptibles de lui avoir causé des douleurs considérables et une détérioration physique évidente avant sa mort.
[9] Afin de découvrir comment les blessures avaient été infligées, les policiers ont mené une opération d’infiltration de type Monsieur Big, dans le cadre de laquelle des agents banalisés ont pu obtenir, tant de Mme Magoon que de M. Jordan, des aveux qui ont permis d’établir le moment et l’ampleur des différents sévices infligés à Meika. Au terme d’un voir‑dire, la juge du procès a admis un certain nombre de ces aveux conformément au cadre d’analyse défini dans l’arrêt R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544.
[10] Mme Magoon et M. Jordan ont été inculpés de meurtre au premier degré et ils ont été jugés conjointement devant une juge siégeant sans jury.
Historique judiciaire
Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2015 ABQB 351, 594 A.R. 272
[11] La juge du procès a tiré les conclusions de fait suivantes en ce qui concerne M. Jordan. Le samedi 12 novembre, il a poussé Meika, la faisant tomber à la renverse et se heurter la tête avec force. Le dimanche 13 novembre, dans un accès de colère, il lui a asséné un coup de poing à l’abdomen avec toute la force qu’un adulte peut déployer, lui causant ainsi des blessures abdominales, y compris une lacération du pancréas. Après avoir frappé Meika à l’abdomen, M. Jordan l’a forcée à monter et descendre un escalier en courant pour la punir. Lorsqu’elle ne le faisait pas, il la traînait de haut en bas dans l’escalier en la tenant par les cheveux et les chevilles, de telle sorte que la tête de l’enfant heurtait les marches de façon répétée. Il l’a également projetée jusque dans la cuisine, en haut de l’escalier, puis l’a rabattue violemment à plusieurs reprises sur le plancher de la cuisine.
[12] La juge du procès a tiré les conclusions qui suivent pour ce qui est de Mme Magoon. Le jeudi 10 novembre, Mme Magoon a tenu la main de Meika au‑dessus de la flamme d’un briquet, et ce, suffisamment longtemps pour qu’elle subisse une brûlure qui était grave, mais ne mettait pas sa vie en danger. Meika a hurlé et s’est uriné dessus à cause de la douleur. Durant l’après‑midi du dimanche 13 novembre, alors que Meika s’efforçait de monter et de descendre l’escalier en courant, Mme Magoon l’a poussée et frappée du pied à de nombreuses reprises, ce qui l’a fait tomber et se heurter la tête sur le mur et sur les lambris en bois franc. Mme Magoon a à plusieurs reprises poussé violemment Meika sur une chaise haute, et elle s’est également tenue au‑dessus de l’enfant dans la cuisine, en lui tenant les bras et en la secouant. En raison de ces gestes, la tête de Meika a heurté les tuiles du plancher de façon répétée.
[13] La juge du procès a estimé que la preuve médicale ne permettait pas d’établir de manière concluante quel coup exactement avait causé le décès de Meika, mais que les causes potentielles étaient identifiables. Les lésions internes résultant du coup porté à l’abdomen de Meika par M. Jordan auraient hâté le décès de celle‑ci, permettant ainsi de satisfaire à la norme juridique relative au lien de causalité. Qui plus est, l’un ou l’autre — ou encore une combinaison — des cinq coups sérieux (au minimum) administrés à la tête de Meika par Mme Magoon et M. Jordan pouvait avoir constitué le coup fatal ayant provoqué l’hémorragie dans le cerveau de Meika. La juge du procès a conclu que, comme Mme Magoon et M. Jordan avaient chacun asséné à Meika un coup susceptible de lui avoir été fatal, le ministère public s’était acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir le lien de causalité requis à l’égard des deux accusés.
[14] La juge du procès a statué que les deux accusés étaient exaspérés par Meika et considéraient qu’elle ne se soumettait pas à la discipline qu’ils imposaient. De façon générale, chacun était au fait des mesures disciplinaires infligées par l’autre, puisqu’ils avaient discuté de l’idée de lui faire monter et descendre les marches de l’escalier en courant et de lui donner la fessée. M. Jordan était au courant de la brûlure causée à Meika par Mme Magoon, et, le dimanche, chacun savait que l’autre brutalisait physiquement Meika. La juge du procès a également conclu que ce jour‑là, Mme Magoon et M. Jordan étaient tous les deux conscients de la dégradation de l’état de Meika, y compris sa détérioration neurologique. Selon la juge, le couple avait agi dans une intention commune tout au long du week‑end.
[15] La juge du procès était par ailleurs convaincue que Mme Magoon et M. Jordan savaient tous deux que les lésions corporelles qu’ils infligeaient à Meika étaient de nature à causer son décès. Elle a également estimé qu’il leur était indifférent que mort s’ensuive ou non. À cet égard, elle a souligné que, même si la détérioration du niveau de fonctionnement de Meika était évidente, Mme Magoon et M. Jordan ont continué de la rudoyer. De surcroît, ils n’avaient pas cherché à obtenir des soins médicaux avant que Meika se retrouve en situation d’insuffisance cardiaque et respiratoire complète.
[16] Pour ces motifs, la juge du procès a conclu que M. Jordan et Mme Magoon étaient coupables de meurtre au deuxième degré. Elle s’est ensuite demandé s’ils étaient coupables de meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e) du Code criminel .
[17] Suivant l’analyse applicable à cet égard, qui est énoncée dans l’arrêt R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306, pour qu’un accusé soit déclaré coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5) du Code criminel (alors le par. 214(5) ), le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable les éléments suivants : (1) l’accusé est coupable du crime sous‑jacent comportant domination, ou d’une tentative de commettre ce crime; (2) l’accusé est coupable du meurtre de la victime; (3) l’accusé a participé au meurtre d’une telle manière qu’il a été une cause substantielle du décès de la victime; (4) il n’y a pas eu d’intervention d’une autre personne qui a fait en sorte que l’accusé n’est plus substantiellement lié au décès de la victime; et (5) le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même opération (p. 325).
[18] Ayant conclu que le ministère public avait fait la preuve des deuxième, troisième et quatrième éléments de l’analyse, la juge du procès s’est donc attachée aux premier et cinquième éléments et s’est posé les questions suivantes : Mme Magoon et M. Jordan ont‑ils séquestré Meika illégalement? Dans l’affirmative, cette séquestration illégale et le meurtre faisaient‑ils partie de la même opération?
[19] La juge du procès a rejeté l’argument du ministère public selon lequel le fait de soustraire Meika à sa mère biologique sous de faux prétextes, et en contravention de l’ordonnance de garde en vigueur, avait constitué une séquestration illégale. Elle a également repoussé les prétentions du ministère public suivant lesquelles Mme Magoon et M. Jordan ont perdu l’autorisation légitime d’exercer un contrôle sur Meika lorsqu’ils ont commencé à la brutaliser, concluant que, bien que [traduction] « chacun des accusés ait clairement outrepassé toute autorité dont il disposait pour corriger Meika », la seule présence de celle‑ci dans la maison au moment des sévices commis sur sa personne ne permettait pas d’établir qu’elle avait été séquestrée illégalement (par. 202).
[20] À la lumière de ce qui précède, la juge du procès a conclu que le ministère public n’avait pas réussi à établir les premier et cinquième éléments de l’analyse énoncée dans Harbottle, et elle a en conséquence déclaré Mme Magoon et M. Jordan coupables de meurtre au deuxième degré et les a acquittés des accusations de meurtre au premier degré.
[21] Mme Magoon et M. Jordan ont tous deux interjeté appel de leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, et le ministère public a fait appel des acquittements inscrits en leur faveur quant aux accusations de meurtre au premier degré.
Cour d’appel de l’Alberta, 2016 ABCA 412
[22] En Cour d’appel, s’exprimant en son nom et au nom de la juge Veldhuis, la juge Paperny a rejeté les appels formés par Mme Magoon et M. Jordan contre leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Elle a jugé qu’aucune erreur révisable n’entachait la conclusion de la juge du procès selon laquelle les déclarations obtenues grâce à l’opération Monsieur Big étaient admissibles et Mme Magoon avait eu l’intention requise pour commettre un meurtre. La juge Paperny n’a pas davantage retenu les arguments de M. Jordan voulant que la juge du procès ait commis une erreur en concluant à l’existence d’une intention commune, à l’absence de renonciation à continuer les sévices ou de tout acte intermédiaire, et à l’existence de l’intention requise relativement à l’infraction de meurtre. Elle n’a en outre relevé aucune erreur dans la démarche suivie par la juge du procès à l’égard du lien de causalité et de la notion d’indifférence.
[23] La juge Paperny a fait droit aux appels interjetés par le ministère public à l’encontre des acquittements prononcés en faveur de Mme Magoon et de M. Jordan à l’égard des accusations de meurtre au premier degré. Elle a statué que la juge du procès avait fait erreur en appliquant une définition indûment étroite de la notion de séquestration dans le cas des enfants. Elle a également conclu que la juge du procès avait fusionné la question de savoir s’il y avait eu séquestration et celle de l’existence d’une autorisation légitime permettant cette séquestration. Elle a expliqué qu’aucun des moyens de défense se rapportant à la relation parents‑enfants — par exemple, l’emploi « justifié » de la force pour corriger un enfant, prévu à l’art. 43 du Code criminel — ne trouvait application en l’espèce. Aux yeux de la juge Paperny, si Meika avait été une adulte, la situation qu’elle a vécue aurait constitué une séquestration illégale.
[24] Après avoir examiné les cinq éléments énoncés dans l’arrêt Harbottle, la juge Paperny a conclu qu’il avait été satisfait à l’analyse applicable pour justifier une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré fondée sur l’al. 231(5) e) du Code criminel . En conséquence, en vertu du sous‑al. 686(4) b)(ii) du Code criminel , elle a consigné des verdicts de culpabilité pour meurtre au premier degré, tant à l’égard de Mme Magoon que de M. Jordan.
[25] Dans des motifs concordants, le juge Wakeling a statué que Meika avait été séquestrée illégalement, parce que Mme Magoon et M. Jordan n’avaient aucun droit légal d’assumer la garde de Meika pendant le week‑end, car le consentement donné par la mère de l’enfant était vicié en raison de la tromperie de M. Jordan. Pour ces motifs, le juge Wakeling a souscrit à l’opinion de la juge Paperny selon laquelle Mme Magoon et M. Jordan étaient coupables de meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e) du Code criminel .
[26] Mme Magoon et M. Jordan se sont pourvus devant la Cour.
Analyse
Les requêtes en radiation déposées par le ministère public
[27] Mme Magoon et M. Jordan ont déposé des avis d’appel distincts en vertu de l’al. 691(2) b) du Code criminel . Mme Magoon a déposé son avis d’appel le 23 janvier 2017, alors que M. Jordan a déposé le sien le 8 mars 2017, en même temps qu’une requête en prorogation de délai. Le ministère public a consenti à la prorogation demandée.
[28] Dès le début des présents pourvois, le ministère public a présenté des requêtes sollicitant la radiation de certaines portions des avis d’appel de Mme Magoon et de M. Jordan, au motif que ces derniers ne pouvaient se pourvoir de plein droit en vertu de l’al. 691(2) b) du Code criminel relativement aux moyens d’appel qu’ils invoquaient pour contester leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Le ministère public a soutenu que, pour s’appuyer sur ces moyens, Mme Magoon et M. Jordan devaient obtenir l’autorisation d’appeler prévue à l’al. 691(1) b) du Code criminel .
[29] À l’audience, la Cour a fait droit aux requêtes en radiation déposées par le ministère public (transcription, p. 25). Notre décision se fonde sur le fait qu’il n’était pas loisible à Mme Magoon et à M. Jordan de soulever des moyens d’appel se rapportant à leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré — moyens qui ont été écartés à l’unanimité par la Cour d’appel de l’Alberta — sans d’abord obtenir l’autorisation de la Cour.
[30] Les requêtes en radiation présentées par le ministère public soulèvent les questions suivantes : Quel est le sens de l’expression « toute question de droit » employée à l’al. 691(2) b) du Code criminel ? Plus précisément, est‑ce que les questions de droit relatives aux déclarations de culpabilité pour meurtre au deuxième degré prononcées contre Mme Magoon et M. Jordan sont visées par l’expression « toute question de droit »? Ou est‑ce que la portée de cette expression se limite aux questions de droit se rapportant aux verdicts de culpabilité pour meurtre au premier degré substitués aux acquittements initiaux? Comme nous l’expliquerons plus loin, la dernière question reflète fidèlement l’état du droit et il y a lieu d’y répondre par l’affirmative.
[31] Les paragraphes 691(1) et (2) du Code criminel sont rédigés ainsi :
Appel d’une déclaration de culpabilité
691 (1) La personne déclarée coupable d’un acte criminel et dont la condamnation est confirmée par la cour d’appel peut interjeter appel à la Cour suprême du Canada :
a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident;
b) sur toute question de droit, si l’autorisation d’appel est accordée par la Cour suprême du Canada.
Appel lorsque l’acquittement est annulé
(2) La personne qui est acquittée de l’accusation d’un acte criminel — sauf dans le cas d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux — et dont l’acquittement est annulé par la cour d’appel peut interjeter appel devant la Cour Suprême du Canada :
a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident;
b) sur toute question de droit, si la cour d’appel a consigné un verdict de culpabilité;
c) sur toute question de droit, si l’autorisation d’appel est accordée par la Cour suprême du Canada.
[32] La simple lecture de ces dispositions, conjuguée à l’application d’une interprétation contextuelle et téléologique, mène à la conclusion que Mme Magoon et M. Jordan devaient obtenir l’autorisation d’appeler prévue à l’al. 691(1) b) du Code criminel afin de pouvoir soulever des moyens d’appel relatifs à leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Cette interprétation est également conforme à la jurisprudence de la Cour.
[33] Les paragraphes 691(1) et (2) du Code criminel précisent les voies ouvertes à un accusé qui désire se pourvoir devant la Cour suprême du Canada. Le paragraphe 691(1) s’applique dans les cas où la condamnation est confirmée par la cour d’appel, alors que le par. 691(2) s’applique dans ceux où l’acquittement est annulé par la cour d’appel. En l’espèce, les deux paragraphes trouvent application.
[34] Quatre appels séparés et distincts ont été entendus par la Cour d’appel de l’Alberta. Les deux premiers, qui ont été interjetés par Mme Magoon et M. Jordan, visaient les déclarations de culpabilité prononcées contre eux pour meurtre au deuxième degré. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté ces appels à l’unanimité, confirmant ainsi les déclarations de culpabilité. Par conséquent, pour ce qui est des questions de droit soulevées dans ces appels, l’al. 691(1) b) constitue la seule voie permettant à ceux‑ci de se pourvoir devant la Cour. Les deux autres appels, ceux‑là formés par le ministère public, se rapportaient aux acquittements prononcés en faveur de Mme Magoon et M. Jordan à l’égard des accusations de meurtre au premier degré. La Cour d’appel de l’Alberta a accueilli les appels interjetés par le ministère public et a plutôt consigné des verdicts de culpabilité pour meurtre au premier degré. Il s’ensuit que, relativement aux questions de droit soulevées par ces appels, l’al. 691(2) b) constitue la seule voie d’appel possible devant notre Cour.
[35] Une analyse contextuelle appuie cette conclusion. Les paragraphes 691(1) et (2) du Code criminel doivent être lus et interprétés comme constituant un tout harmonieux. Chaque disposition confère à l’appelant des droits différents, selon les circonstances. Il faut que ces voies d’appel parallèles restent séparées et distinctes. Un appelant ne saurait contester une décision d’un tribunal en faisant appel d’une autre décision. Ce serait là le résultat illogique auquel on arriverait si l’on retenait l’interprétation préconisée par Mme Magoon et M. Jordan.
[36] Mme Magoon et M. Jordan ne peuvent pas contester les décisions de la Cour d’appel relatives à leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré sous le couvert d’un appel fondé sur l’al. 691(2) b) (une voie d’appel ouverte uniquement à l’égard des acquittements quant aux accusations de meurtre au premier degré), ni davantage attaquer les décisions rendues par la Cour d’appel au sujet des acquittements dont ils ont bénéficié quant aux accusations de meurtre au premier degré en invoquant l’al. 691(1)b) du Code (une voie d’appel ouverte uniquement à l’égard de leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré). Mme Magoon et M. Jordan doivent se pourvoir contre ces décisions distinctes en s’appuyant sur les dispositions appropriées du Code criminel .
[37] De plus, Mme Magoon et M. Jordan ne subissent aucune injustice du fait que l’expression « toute question de droit » à l’al. 691(2) b) est interprétée comme visant toute question de droit liée aux verdicts de culpabilité substitués aux verdicts initiaux. En effet, une telle interprétation n’empêche d’aucune façon Mme Magoon et M. Jordan de soulever des questions relatives à leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, puisqu’ils ont toujours cette faculté en vertu de l’al. 691(1) b). Les paragraphes 691(1) et (2) offrent tout simplement des voies d’appel différentes aux appelants — l’une nécessitant une autorisation, l’autre non.
[38] Une telle analyse est également compatible avec l’objet des dispositions concernées. L’alinéa 691(2) b) du Code criminel a pour objet de permettre à un appelant de soulever toute question de droit découlant d’une déclaration de culpabilité prononcée par la cour d’appel. Le droit conféré à un appelant par cet alinéa est équivalent au droit accordé à un appelant déclaré coupable au procès de faire appel devant la cour d’appel : en vertu du sous‑al. 675(1) a)(i) du Code criminel , l’accusé qui est reconnu coupable en première instance peut interjeter appel de plein droit auprès de la cour d’appel relativement à toute question de droit découlant de cette déclaration de culpabilité. Le même droit d’appel automatique au niveau supérieur de juridiction à l’égard d’une déclaration de culpabilité prononcée par un tribunal est ouvert à un accusé qui est acquitté en première instance, puis déclaré coupable en cour d’appel. L’appelant peut, de plein droit, se pourvoir devant la Cour suprême du Canada relativement à toute question de droit découlant du verdict de culpabilité substitué à un acquittement.
[39] À notre avis, permettre à un appelant de remettre en cause devant notre Cour, sans y avoir été autorisé, toute question que la cour d’appel déjà tranchée à l’unanimité en sa défaveur lorsqu’elle a confirmé la décision de première instance, irait à l’encontre de l’intention du Parlement. C’est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, les acquittements prononcés au procès ne constituaient pas des acquittements purs et simples, mais plutôt des cas où les accusés ont été acquittés d’accusations de meurtre au premier degré puis déclarés coupables de meurtre au deuxième degré[1]. Mais c’est néanmoins la conséquence qu’entraînerait une interprétation trop libérale de l’expression « toute question de droit » figurant à l’al. 691(2) b). Or, le législateur ne saurait avoir eu cette intention lorsqu’il a établi deux voies d’appel distinctes en faveur des accusés aux par. 691(1) et (2) du Code criminel .
[40] La jurisprudence de notre Cour appuie cette même conclusion. Dans l’arrêt Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356, le juge Lamer a statué que, bien qu’un accusé puisse se pourvoir de plein droit devant la Cour suprême du Canada en cas d’annulation par la cour d’appel de son acquittement à l’égard d’une accusation de meurtre au deuxième degré, il peut uniquement soulever des questions se rattachant au verdict de culpabilité substitué à l’acquittement par la cour d’appel. Il ne peut, à moins d’obtenir l’autorisation de le faire, solliciter son acquittement quant à la déclaration de culpabilité prononcée contre lui relativement à l’infraction moindre et incluse d’homicide involontaire. Dans R. c. Keegstra, [1995] 2 R.C.S. 381, le juge en chef Lamer ne s’est pas écarté de la position qu’il avait adoptée précédemment dans Guillemette[2].
[41] En résumé, en vertu de l’al. 691(2) b) du Code criminel , un appelant peut se pourvoir de plein droit devant la Cour suprême du Canada relativement à toute question de droit se rapportant à l’infraction à l’égard de laquelle il a été acquitté au procès et à l’égard de laquelle la cour d’appel a consigné un verdict de culpabilité. Par contraste, suivant l’al. 691(1) b), un appelant peut se pourvoir devant la Cour suprême du Canada, avec l’autorisation de celle‑ci, relativement à toute question de droit liée à l’infraction dont il a été déclaré coupable au procès, dans les cas où la cour d’appel a confirmé cette déclaration de culpabilité. En conséquence, Mme Magoon et M. Jordan peuvent, d’une part, se pourvoir de plein droit devant la Cour relativement à toute question de droit liée à l’infirmation de leur acquittement relativement aux accusations de meurtre au premier degré et à l’inscription de verdicts de culpabilité à cet égard, et d’autre part, avec l’autorisation de la Cour, faire appel sur toute autre question de droit se rattachant à leur déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré.
[42] Pour les motifs qui précèdent, notre Cour a fait droit aux requêtes en radiation déposées par le ministère public.
[43] Après avoir conclu que Mme Magoon et M. Jordan devaient obtenir l’autorisation de se pourvoir contre les verdicts de culpabilité pour meurtre au deuxième degré prononcés à leur égard, la Cour leur a refusé cette autorisation ([2017] 2 R.C.S. viii et [2017] 2 R.C.S. vii).
La compétence de la Cour d’appel pour instruire les appels formés par le ministère public contre les acquittements prononcés en faveur de Mme Magoon et de M. Jordan quant aux accusations de meurtre au premier degré
[44] Nous allons maintenant examiner l’argument selon lequel la Cour d’appel de l’Alberta n’avait pas compétence pour instruire les appels interjetés par le ministère public à l’encontre des acquittements prononcés à l’égard des accusations de meurtre au premier degré. Mme Magoon soutient que le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré ne sont pas deux infractions distinctes, et que ces termes constituent plutôt des désignations utilisées pour les besoins de la détermination de la peine relative à l’infraction sous‑jacente de « meurtre ». Étant donné que M. Jordan et elle‑même ont été accusés et déclarés coupables de meurtre, il s’ensuivrait donc qu’il n’y a pas eu de véritables verdicts d’acquittement en l’espèce.
[45] Au soutien de cette thèse, Mme Magoon invoque les arrêts suivants de notre Cour : R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124; Droste c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 208; R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618; R. c. Arkell, [1990] 2 R.C.S. 695; Harbottle; et R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488. Bien que la Cour ait indiqué dans ces décisions que les termes meurtre au premier degré et meurtre au deuxième degré sont des désignations utilisées pour les besoins de la détermination de la peine à l’égard d’une seule et même infraction matérielle, à savoir le « meurtre » (voir Farrant, p. 140‑141; Droste, p. 218‑219 et 221‑222; Paré, p. 624‑625; Arkell, p. 702‑703; Harbottle, p. 323; et Nette, par. 50), ces commentaires ont été formulés dans un tout autre contexte, soit au stade du procès. Aucun des arrêts qu’invoque Mme Magoon ne porte sur la classification du meurtre comme meurtre au premier degré ou meurtre au deuxième degré dans le contexte d’un appel. Les présents pourvois se distinguent donc de ces affaires sur ce fondement.
[46] Comme nous l’expliquerons plus loin, pour les appels à cet égard, le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré sont considérés comme deux infractions distinctes. Lorsqu’une personne a été accusée de meurtre au premier degré mais est déclarée coupable de meurtre au deuxième degré, cette personne bénéficie d’un acquittement quant à l’accusation de meurtre au premier degré. Dans un tel cas, l’accusé peut interjeter appel de la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, alors que le ministère public peut faire appel du verdict d’acquittement à l’égard de l’accusation de meurtre au premier degré. La Cour d’appel de l’Alberta avait donc compétence pour instruire les appels formés par le ministère public dans les affaires qui nous occupent.
[47] Examinons d’abord les dispositions pertinentes du Code criminel . Lorsque les par. 662(2) et 676(2) du Code criminel sont lus en corrélation, il apparaît clairement que, dans le cas où l’accusé est inculpé de meurtre au premier degré mais déclaré coupable de meurtre au deuxième degré, le ministère public peut porter en appel l’acquittement prononcé à l’égard de l’accusation de meurtre au premier degré.
[48] Selon l’article 662 du Code criminel , la personne inculpée d’une infraction qui n’a été prouvée que partiellement peut être déclarée coupable d’une infraction moindre et incluse. Plus précisément, suivant le par. 662(2) , lorsque l’accusé est inculpé de meurtre au premier degré et que les témoignages ne prouvent pas le meurtre au premier degré, l’accusé peut quand même être déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Voici le texte de l’art. 662 du Code criminel :
Partiellement prouvée
662 (1) Un chef dans un acte d’accusation est divisible et lorsque l’accomplissement de l’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, comprend la perpétration d’une autre infraction, que celle‑ci soit punissable sur acte d’accusation ou sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, l’accusé peut être déclaré coupable :
a) ou bien d’une infraction ainsi comprise qui est prouvée, bien que ne soit pas prouvée toute l’infraction imputée;
b) ou bien d’une tentative de commettre une infraction ainsi comprise.
Inculpation de meurtre au premier degré
(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), lorsqu’un chef d’accusation inculpe de meurtre au premier degré et que les témoignages ne prouvent pas le meurtre au premier degré, mais prouvent le meurtre au deuxième degré ou une tentative de commettre un meurtre au deuxième degré, le jury peut déclarer l’accusé non coupable de meurtre au premier degré, mais coupable de meurtre au deuxième degré ou de tentative de commettre un meurtre au deuxième degré, selon le cas.
. . .
[49] L’article 676 du Code criminel énonce les droits d’appel devant la cour d’appel dont dispose le ministère public. En vertu de l’al. 676(1) a), le ministère public peut faire appel d’un verdict d’acquittement pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement. Le sens du mot « acquittement » dans cet article est précisé ainsi au par. 676(2) du Code criminel — sont assimilées à un acquittement les situations où l’accusé est absous de l’infraction dont il est spécifiquement inculpé, mais est déclaré coupable d’une autre infraction. Voici les passages pertinents de l’art. 676 du Code criminel :
Le procureur général peut interjeter appel
676 (1) Le procureur général ou un avocat ayant reçu de lui des instructions à cette fin peut introduire un recours devant la cour d’appel :
a) contre un jugement ou verdict d’acquittement ou un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux prononcé par un tribunal de première instance à l’égard de procédures sur acte d’accusation pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement;
. . .
Acquittement
(2) Pour l’application du présent article, est assimilé à un jugement ou verdict d’acquittement un acquittement à l’égard d’une infraction spécifiquement mentionnée dans l’acte d’accusation lorsque l’accusé a, lors du procès, été déclaré coupable ou absous en vertu de l’article 730 de toute autre infraction.
[50] La lecture corrélative des par. 662(2) et. 676(2) mène à une seule et unique conclusion : le ministère public peut introduire devant la cour d’appel un recours contre un acquittement prononcé à l’égard d’une accusation de meurtre au premier degré dans les cas où l’accusé est déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Par conséquent, pour les appels à cet égard, le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré sont traités comme deux infractions distinctes.
[51] Le langage particulier utilisé aux par. 662(2) et 676(2) étaye également cette conclusion. La phrase « non coupable de meurtre au premier degré, mais coupable de meurtre au deuxième degré » figure au par. 662(2) . De même, les mots suivants figurent au par. 676(2) : « déclaré coupable [. . .] de toute autre infraction ». Les mots utilisés dans ces deux dispositions relèvent du langage relatif à la déclaration de culpabilité et non de celui de la détermination de la peine. Une personne n’est pas simplement déclarée coupable de « meurtre » — elle est déclarée coupable de meurtre au premier degré ou de meurtre au deuxième degré. Dès qu’une déclaration de culpabilité est consignée, l’accusé ou le ministère public peut interjeter appel. Bien qu’il soit vrai qu’une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré a pour effet d’allonger le délai préalable à la libération conditionnelle[3], il faut néanmoins qu’une telle déclaration de culpabilité ait d’abord été prononcée. Une fois de plus, le langage utilisé dans ces dispositions indique fortement que, pour les appels à cet égard, le Parlement entendait que le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré soient traités comme deux infractions distinctes.
[52] Retenir l’argument à l’effet contraire avancé par Mme Magoon aurait des conséquences inacceptables. Si, comme le prétend cette dernière, les termes meurtre au premier degré et meurtre au deuxième degré ne constituent que des désignations utilisées pour les besoins de la détermination de la peine, alors, dans le cas d’un accusé qui est inculpé de meurtre au premier degré mais déclaré coupable de meurtre au deuxième degré, le ministère public ne pourrait vraisemblablement introduire un recours que sous le régime des dispositions en matière d’appel contre la peine du Code criminel , à savoir l’al. 676(1) d) et le par. 676(4) . Si tel était le cas, il s’ensuivrait que le ministère public se trouverait dans la situation bizarre où il plaiderait dans les faits un appel visant une déclaration de culpabilité sous le couvert d’un appel visant la peine. En toute déférence, il s’agit d’une situation illogique qui ne saurait correspondre à l’intention du législateur.
[53] L’alinéa 676(1) d) et le par. 676(4) du Code criminel régissent les recours ouverts au ministère public contre la peine qui a été infligée et précisent les circonstances dans lesquelles ces recours sont permis. Le ministère public est censé se prévaloir de ces dispositions lorsqu’il estime que la peine infligée (ou la période préalable à la libération conditionnelle en cas de condamnation pour meurtre au deuxième degré) est inadéquate. Il n’est toutefois pas censé les utiliser pour faire valoir qu’un accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré aurait plutôt dû être reconnu coupable de meurtre au premier degré.
[54] Lorsque le ministère public a interjeté appel dans la présente affaire, il n’a pas contesté la durée de la peine infligée ni le délai préalable à la libération conditionnelle dont étaient assorties les déclarations de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Il a plaidé que la juge avait commis une erreur dans l’application de l’analyse relative à la séquestration illégale. Prétendre que le ministère public doit présenter des arguments de cette nature sous le couvert d’un appel relatif à la peine va à l’encontre de la logique et du bon sens. Le législateur ne saurait avoir voulu un tel résultat lorsqu’il a édicté l’al. 676(1) d) et le par. 676(4) du Code criminel .
[55] Les dispositions concernant les appels relatifs à la peine n’ont pas été édictées dans le but de permettre qu’une personne soit dans les faits condamnée pour meurtre au premier degré par suite d’une augmentation de la durée de la peine (en vertu de l’al. 676(1) d)) ou du délai préalable à la libération conditionnelle (en vertu du par. 676(4) ). Les présents pourvois constituent des procédures entièrement distinctes d’appels visant une peine. Le ministère public fait valoir que les éléments de l’infraction ont été établis, et non que les accusés auraient dû se voir infliger une peine plus lourde ou un délai préalable à la libération conditionnelle plus long.
[56] L’appel visant un verdict de culpabilité et l’appel visant une peine sont des procédures distinctes; il faut se garder de les fusionner. Le ministère public dispose, en vertu de l’al. 676(1) a) du Code criminel , d’un droit d’appel lorsque l’accusé est acquitté de meurtre au premier degré mais déclaré coupable de meurtre au deuxième degré; le ministère public n’a pas besoin de plaider un appel visant le verdict sous le couvert d’un appel visant la peine en vertu de l’al. 676(1) d) ou du par. 676(4) du Code criminel . L’interprétation que préconise Mme Magoon, selon laquelle le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré sont, dans le contexte de l’appel, de simples désignations utiles pour les besoins de la détermination de la peine, est à la fois illogique et contraire à l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a édicté, dans le Code criminel , des dispositions distinctes en matière d’appel à l’égard des verdicts de culpabilité et à l’égard des peines.
[57] Une fois de plus, la jurisprudence vient étayer cette conclusion. Dans l’arrêt Keegstra, notre Cour a statué que, « [l]orsqu’un accusé est déclaré coupable d’une infraction incluse, il est acquitté de l’infraction initialement reprochée », et elle a précisé que, dans un tel cas, « [l]’accusé peut en appeler de la déclaration de culpabilité et le ministère public peut en appeler de l’acquittement » (par. 32). C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Par conséquent, Mme Magoon et M. Jordan pouvaient faire appel des déclarations de culpabilité prononcées contre eux pour meurtre au deuxième degré, et le ministère public pouvait appeler des acquittements inscrits en faveur de ceux‑ci à l’égard des accusations de meurtre au premier degré.
[58] D’ailleurs, il peut fort bien s’avérer nécessaire dans certains cas que le ministère public interjette appel d’un acquittement à l’égard d’une accusation de meurtre au premier degré, car le défaut de le faire a pour effet de restreindre les réparations à la disposition de la cour d’appel. Par exemple, dans R. c. Noureddine, 2015 ONCA 770, 332 C.C.C. (3d) 114, deux accusés avaient été inculpés de meurtre au premier degré et déclarés coupable de meurtre au deuxième degré. Ils ont fait appel des déclarations de culpabilité, alors que le ministère public n’a pas interjeté appel des acquittements quant aux accusations de meurtre au premier degré. Ce dernier a fait valoir qu’un nouveau procès relativement à l’accusation de meurtre au premier degré constituait [traduction] « l’inévitable conséquence juridique de la thèse des appelants selon laquelle, en raison de la sélection inadéquate du jury, le tribunal n’était pas régulièrement constitué pour [les] juger » (par. 71). Rédigeant l’arrêt unanime de la Cour d’appel, le juge Doherty a rejeté en ces termes l’argument du ministère public :
[traduction]
Si un accusé fait appel de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui à l’égard d’une infraction incluse, notre cour ne saurait annuler l’acquittement inscrit quant à l’accusation principale en l’absence d’appel par le ministère public à cet égard : R. c. Guillemette, [1986] 1 R.C.S. 356 (C.S.C.), p. 361; voir aussi R. c. Bird (1952), 104 C.C.C. 286 (C.A. Ont.), p. 289. Le paragraphe 686(8), qui confère à la cour le pouvoir de rendre des ordonnances accessoires à une ordonnance faisant droit à l’appel contre la déclaration de culpabilité si la « justice [l’]exige », ne s’applique pas à l’ordonnance annulant un acquittement sur le fond relativement à une accusation connexe dans le cadre du même procès : R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489 (C.S.C.), p. 505‑506.
Le ministère public aurait pu interjeter appel de l’acquittement à l’égard de l’accusation de meurtre au premier degré. Pour les besoins de l’appel, l’acquittement quant à l’accusation de meurtre au premier degré est distinct de la déclaration de culpabilité relative à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré. Le paragraphe 676(2) confère au ministère public le droit de former un appel visant l’accusation principale, même en présence d’une déclaration de culpabilité relative à l’infraction incluse. Il s’ensuit, à mon avis, que l’acquittement à l’égard de l’accusation principale n’est pas remis en question lorsque l’accusé exerce son droit d’appel contre la déclaration de culpabilité prononcée relativement à l’infraction incluse. Une ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès pour l’accusation principale de meurtre au premier degré, ordonnance qui aurait pu être rendue si le ministère public avait obtenu l’infirmation en appel de l’acquittement prononcé à l’égard de cette accusation, ne saurait être assimilée à une ordonnance accessoire à l’ordonnance prononcée à la suite de l’appel qui a été formé par l’accusé et s’est traduit par l’annulation de la déclaration de culpabilité relative à l’accusation de meurtre au deuxième degré. [Nous soulignons; par. 75‑76.]
En conséquence, comme le souligne avec justesse le juge Doherty, en l’absence d’appel interjeté par le ministère public contre l’acquittement relatif à l’accusation de meurtre au premier degré, la Cour d’appel ne pouvait ordonner la tenue d’un nouveau procès qu’à l’égard seulement de l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré. Si le ministère public est d’avis qu’un nouveau procès devrait être ordonné relativement à l’infraction initialement reprochée, il doit faire appel de l’acquittement. Une telle exigence illustre bien le fait que, pour les appels à cet égard, le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré doivent être traités comme deux infractions distinctes.
[59] Pour ces motifs, la Cour d’appel de l’Alberta avait compétence pour instruire les appels formés par le ministère public contre les acquittements prononcés en faveur de Mme Magoon et de M. Jordan à l’égard des accusations de meurtre au premier degré — malgré le fait que ces derniers ont été déclarés coupables de meurtre au deuxième degré lors du procès.
Les verdicts de culpabilité pour meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e) du Code criminel substitués aux verdicts initiaux
[60] Nous allons maintenant traiter de la question de fond que soulèvent les présents pourvois : La Cour d’appel a‑t‑elle eu raison de déclarer Mme Magoon et M. Jordan coupables de meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e) du Code criminel ? Nous sommes d’avis que oui.
[61] Le paragraphe 231(5) du Code criminel prévoit en partie ce qui suit :
Détournement, enlèvement, infraction sexuelle ou prise d’otage
(5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :
. . .
e) l’article 279 (enlèvement et séquestration);
. . .
Selon le par. 231(5) , le meurtre au deuxième degré est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque l’accusé commet un meurtre à l’occasion d’une des infractions énumérées à la même disposition, comme l’agression sexuelle ou l’enlèvement. Toutes les infractions énumérées au par. 231(5) comportent un élément de domination illégale. Cette disposition reflète l’intention du législateur de « considérer que les meurtres commis à l’occasion de crimes de domination sont particulièrement répréhensibles et qu’ils méritent une peine plus sévère » (R. c. Pritchard, 2008 CSC 59, [2008] 3 R.C.S. 195, par. 19; voir aussi Paré, p. 633).
[62] L’infraction de séquestration illégale prévue au par. 279(2) du Code criminel fait partie des infractions évoquées précédemment qui comportent un élément de domination et sont susceptibles d’entraîner une condamnation pour meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e). Le paragraphe 279(2) est rédigé ainsi :
Séquestration
(2) Quiconque, sans autorisation légitime, séquestre, emprisonne ou saisit de force une autre personne est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix‑huit mois.
[63] Pour décider si Mme Magoon et M. Jordan sont coupables ou non de meurtre au premier degré aux termes de l’al. 231(5) e) du Code criminel , la Cour doit décider s’il est satisfait à l’analyse énoncée dans l’arrêt Harbottle (voir le par. 17 des présents motifs). Dans la présente affaire, les premier et cinquième éléments de cette analyse entrent en jeu, de sorte qu’il faut se demander, d’une part, si Meika a été séquestrée illégalement et, d’autre part, si cette séquestration et le meurtre faisaient partie de la même opération. Nous examinons d’abord le premier élément — la séquestration illégale.
[64] Pour l’application du par. 279(2) du Code criminel , le ministère public doit établir (1) que l’accusé a séquestré la victime, et (2) qu’il s’agissait d’une séquestration illégale. Dans l’arrêt Pritchard, le juge Binnie a statué qu’il y a séquestration si « pendant un laps de temps assez long [la victime] a été soumise à la contrainte physique ou forcée d’agir contre sa volonté, de sorte qu’elle n’était pas libre de ses mouvements » (par. 24). Dans R. c. Bottineau, [2006] O.J. no 1864 (QL) (C.S.J.), confirmée par 2011 ONCA 194, 269 C.C.C. (3d) 227, autorisation de pourvoi refusée [2012] 1 R.C.S. vi, le juge Watt a conclu que [traduction] « séquestrer quelqu’un illégalement [. . .] consiste à restreindre la liberté de la victime, mais non sa capacité de s’enfuir. Il n’est pas nécessaire que la restriction de liberté prenne place dans un endroit particulier ou qu’elle comporte l’application d’une contrainte physique totale » (par. 116 (en italique dans l’original); voir aussi R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462 (C.A. Ont.)). Le fait que la contrainte à laquelle a été soumise la victime ait été exercée au moyen d’actes de violence physique est suffisant — mais n’est pas nécessaire — pour établir l’existence d’une séquestration illégale. On peut séquestrer quelqu’un en usant [traduction] « de la peur, de l’intimidation et de moyens psychologiques ou autres » (R. c. Kematch, 2010 MBCA 18, 252 C.C.C. (3d) 349, par. 89).
[65] Bien que la norme juridique permettant d’établir l’existence d’un acte de séquestration illégale soit, d’un point de vue technique, la même pour les enfants et pour les adultes, la relation parent‑enfant revêt de l’importance pour les deux volets de l’analyse relative à la séquestration illégale. Premièrement, il est plus facile de séquestrer des enfants et, dans le cas des jeunes enfants, ceux‑ci sont fréquemment séquestrés pour des raisons de santé ou de sécurité, ou encore à titre de mesure disciplinaire. Deuxièmement, il existe dans le contexte de la relation parent‑enfant des raisons légitimes de recourir à la séquestration, raisons qui n’existent toutefois pas dans d’autres contextes. Dans le cas d’une relation parent‑enfant, les tribunaux doivent établir s’il y a eu séquestration illégale compte tenu de ces deux considérations.
[66] Il est plus facile de séquestrer des enfants parce que ces derniers sont intrinsèquement vulnérables et dépendants, et parce qu’ils comptent généralement sur les adultes pour définir la portée des comportements permis. Cela est particulièrement vrai dans le cas des jeunes enfants, dont l’état de dépendance est habituellement total. Les parents se trouvent en position de confiance et de responsabilité par rapport aux enfants, précisément parce que ces derniers sont souvent démunis lorsqu’ils sont privés de la protection et de l’assistance de leurs parents. Les parents sont les adultes dont dépendent le plus les enfants et de qui ils reçoivent — et attendent — couramment des instructions. Les libertés d’un enfant sont, du point de vue de celui‑ci, manifestement restreintes par le fait que les parents sont les principales personnes en autorité à son égard.
[67] Or, cela ne veut pas dire que le ministère public est tenu de prouver l’existence d’une forme particulière ou extrême de séquestration dans les affaires concernant des parents et leurs enfants. Pour reprendre les propos du juge Monnin dans l’arrêt Kematch :
[traduction]
Dans la présente affaire, même s’il n’y a pas eu recours à des mesures de contrainte physique concrètes tels que que des attaches, menottes ou obstacles [entravant les mouvements de la victime], si ce n’est l’utilisation d’une barrière à l’occasion, la jeune enfant était clairement soumise à des mesures restreignant sa liberté de mouvement et se voyait parfois ordonner de rester dans sa chambre ou de ne pas quitter le sous‑sol, lieu où elle était fréquemment reléguée. L’existence de la contrainte — mesures physiques concrètes ou autres formes de coercition — dont fait état le juge Binnie dans l’arrêt Pritchard est nécessaire, mais, selon les circonstances, cette contrainte peut également être exercée, comme en l’espèce, en usant de la peur, de l’intimidation ou de moyens psychologiques ou autres. Lorsque la cause concerne un enfant et un parent, ou un adulte et un enfant, il est encore moins nécessaire qu’on ait fait usage d’attaches ou autres entraves du genre compte tenu du rapport inégal qui existe déjà. [Nous soulignons; par. 89.]
Il importe de souligner que, pour que le tribunal puisse conclure qu’un enfant a été séquestré, il n’est pas nécessaire de prouver que l’enfant a été physiquement attaché ou enfermé; la séquestration peut tout aussi bien résulter de la preuve d’un comportement contrôlant.
[68] Comme nous l’avons précisé, il existe, dans le contexte de la relation parent‑enfant, des justifications légitimes de séquestrer un enfant, justifications qui n’existent pas dans d’autres contextes. Toutefois, le fait de reconnaître, comme nous le faisons, que des parents sont légitimement autorisés à restreindre la « liberté » de leurs enfants dans l’intérêt supérieur de ceux‑ci ne signifie pas que cette autorisation a un caractère illimité (voir Bottineau (C.S.J.), par. 489; Bottineau (C.A.), par. 101). Si un parent adopte, envers son enfant, un comportement abusif ou préjudiciable qui dépasse toute forme acceptable d’exercice des responsabilités parentales, l’autorisation reconnue à ce parent de séquestrer son enfant cesse d’être légitime, et ce, qu’il y ait ou non infliction de violence physique. Dans de telles circonstances, l’autorisation jusque là légitime perd sa légitimité, puisqu’elle est exercée à une fin illicite. La présente affaire ne relève pas du champ d’application de l’art. 43 du Code criminel , aux termes duquel un parent « est fondé à employer la force pour corriger un [. . .] enfant [. . .] confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances » (voir Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, par. 40).
[69] Bref, le fait de punir un enfant en restreignant sa liberté de se déplacer librement (par des mesures de contrainte physique ou psychologique), à l’encontre de sa volonté — mesures qui excèdent les limites du châtiment qu’un parent ou tuteur peut légitimement infliger —, constitue une séquestration illégale. Et c’est ce qui s’est passé en l’espèce. Mme Magoon et M. Jordan ont clairement séquestré Meika, et cette séquestration était illégale.
[70] La juge Paperny a conclu que la situation que Meika avait vécue tout au long du week‑end constituait une séquestration. Bien que Mme Magoon et M. Jordan contestent cette conclusion, Mme Magoon reconnaît qu’elle séquestrait Meika lorsque, faisant usage de force, elle lui a brûlé la main le jeudi. M. Jordan et Mme Magoon ont caché ces sévices à la mère de Meika, ils n’ont pas cherché à obtenir des soins médicaux à cet égard et ils ont créé un climat de violence et d’intimidation.
[71] Toutefois, pour les besoins des présents pourvois, il n’est pas absolument nécessaire de déterminer avec exactitude à quel moment a commencé la séquestration de Meika. Même considérés isolément, les événements du dimanche — à savoir le fait que Mme Magoon et M. Jordan ont forcé Meika à courir de haut en bas d’un escalier et qu’ils l’ont agressée physiquement lorsque celle‑ci refusait de le faire —, ont constitué une séquestration illégale.
[72] Le dimanche, Meika a été brutalisée physiquement de façon répétée parce que, de l’avis de Mme Magoon et de M. Jordan, elle n’obéissait pas à leurs ordres. Ils l’ont fait courir de haut en bas de l’escalier jusqu’à ce qu’elle soit physiquement incapable de continuer. Cette situation de sévices physiques et de contraintes verbales, qui s’est poursuivie jusqu’à ce que Meika perde conscience en raison de ses blessures, était le résultat non seulement des agressions, mais également, comme a conclu la juge Paperny, de l’instauration d’un climat de [traduction] « de peur et d’intimidation » (par. 114 (CanLII)). Il ne fait aucun doute que Meika a été séquestrée le dimanche. Elle a été soumise à de la contrainte physique et forcée d’agir contre sa volonté. De plus, il s’agissait clairement d’une séquestration illégale. Les mesures « disciplinaires » étaient exagérément disproportionnées, cruelles, avilissantes et délibérément préjudiciables, et dépassaient de loin toute forme acceptable d’exercice des responsabilités parentales.
[73] Ayant conclu que Meika a été séquestrée illégalement, nous allons maintenant examiner le cinquième élément de l’analyse énoncée dans l’arrêt Harbottle — la question de savoir si la séquestration illégale et le meurtre faisaient partie de la même opération. Nous estimons que oui. La séquestration illégale et les agressions qui ont mené à la mort de Meika faisaient partie d’une seule et même « opération » de contrainte et de sévices. La période de séquestration illégale qui a abouti à la mort de Meika constituait, selon les termes utilisés par la juge Wilson dans l’arrêt Paré, de la « domination illégale continue » exercée sur Meika, et représentait une « exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente » (p. 633). Et cette séquestration illégale a persisté, et ce, jusqu’au moment où Meika a perdu conscience.
[74] Dans l’arrêt Pritchard, notre Cour a statué que l’infraction sous‑jacente de domination doit être distincte de l’acte de meurtre (par. 27). En l’espèce, la séquestration illégale de Meika et le meurtre de cette dernière ont constitué deux actes criminels distincts. La juge du procès a conclu que Mme Magoon et M. Jordan avaient agressé physiquement Meika de nombreuses façons, et que ces actes de violence n’étaient pas tous liés aux coups fatals. D’ailleurs, certaines des agressions qui, de l’avis de la juge du procès, satisfaisaient à la norme de causalité applicable au meurtre, y compris le coup porté à l’abdomen de Meika par M. Jordan, constituaient des actes distincts des actes de séquestration décrits précédemment. En outre, les agressions commises contre Meika ne représentaient qu’une partie, et non l’ensemble, de la preuve établissant la séquestration illégale, puisque la séquestration avait également comporté des actes de contrainte non physique. Nous ne voyons donc aucune raison de conclure que la séquestration illégale était « dissout[e] dans l’acte même du meurtre », pour reprendre les propos du juge Binnie dans l’arrêt Pritchard (par. 27).
[75] Par conséquent, il est satisfait en l’espèce à l’analyse énoncée dans l’arrêt Harbottle. Mme Magoon et M. Jordan ont séquestré Meika illégalement, et cette séquestration et le meurtre ont constitué deux actes criminels distincts qui faisaient partie d’une seule et même opération. La Cour d’appel de l’Alberta n’a pas commis d’erreur en substituant des verdicts de culpabilité pour meurtre au premier degré aux verdicts initiaux.
Conclusion
[76] Pour ces motifs, la Cour a rejeté les pourvois de Mme Magoon et de M. Jordan.
Pourvois rejetés.
Procureurs de l’appelante Marie‑Eve Magoon : Ruttan Bates, Calgary.
Procureurs de l’appelant Spencer Lee Jordan : Walsh, Calgary; Kay Patel Mahoney — Criminal Defence Lawyers, Calgary.
Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Alberta, Calgary.
[1] Il importe de préciser que, dans les cas où le juge du procès acquitte complètement un accusé et que la cour d’appel annule ensuite cet acquittement et consigne plutôt un verdict de culpabilité, l’accusé peut se pourvoir de plein droit devant la Cour suprême du Canada en vertu de l’al. 691(2) b) du Code criminel , et soulever toute question de droit à l’appui d’un acquittement pur et simple. Toutefois, pareil cas peut être distingué des situations où le juge du procès acquitte l’accusé d’une infraction donnée, mais le déclare coupable d’une infraction moindre et incluse, et où cette déclaration de culpabilité est par la suite confirmée par la cour d’appel — comme cela s’est produit en l’espèce.
[2] Bien que nous soyons conscients que le texte des anciennes versions de l’al. 691(2) b) citées dans les arrêts Guillemette et Keegstra disait « une question de droit », plutôt que « toute question de droit » (comme le précise le libellé actuel), l’interprétation que donne notre Cour de ces dispositions est néanmoins compatible avec le nouveau libellé du Code criminel . Les arrêts Guillemette et Keegstra demeurent donc utiles et éclairants quant à l’étendue du droit de l’appelant de se pourvoir en vertu de l’al. 691(2) b) du Code criminel .
[3] Nous notons cependant que, en vertu de l’art. 745.4 du Code criminel , lorsque l’accusé est inculpé de meurtre au deuxième degré, le juge du procès peut porter le délai préalable à la libération conditionnelle à un maximum de 25 ans.