COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623
Date : 20130621
Dossier : 34678
Entre :
Sable Offshore Energy Inc., mandataire des détenteurs d'une participation de concessionnaire dans le Projet énergétique extracôtier Sable, ExxonMobil Canada Properties, Shell Canada Limited, Imperial Oil Resources, Mosbacher Operating Ltd., Pengrowth Corporation et ExxonMobil Canada Properties, exploitante du Projet énergétique extracôtier Sable
Appelantes
et
Ameron International Corporation, Ameron B.V., Allcolour Paint Limited, Amercoat Canada, Rubyco Ltd., Danroh Inc. et Serious Business Inc.
Intimées
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement :
(par. 1 à 31)
La juge Abella (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)
Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623
Sable Offshore Energy Inc., mandataire des détenteurs d'une
participation de concessionnaire dans le Projet énergétique
extracôtier Sable, ExxonMobil Canada Properties, Shell
Canada Limited, Imperial Oil Resources, Mosbacher Operating
Ltd., Pengrowth Corporation et ExxonMobil Canada
Properties, exploitante du Projet énergétique extracôtier Sable Appelantes
c.
Ameron International Corporation, Ameron B.V.,
Allcolour Paint Limited, Amercoat Canada, Rubyco Ltd.,
Danroh Inc. et Serious Business Inc. Intimées
Répertorié : Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp.
2013 CSC 37
N o du greffe : 34678.
2013 : 25 mars; 2013 : 21 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse
Procédure civile — Accès à la justice — Divulgation — Privilège — Incitation au règlement — P rivilège relatif aux règlements — Portée de la protection offerte par le privilège relatif aux règlements — Ententes de type Pierringer conclues entre les appelantes et quelques défenderesses dans un litige faisant intervenir plusieurs parties — Défenderesses non parties aux règlements cherchant à connaître avant le procès les sommes convenues aux règlements — Les sommes négociées aux ententes sont‑elles protégées par le p rivilège relatif aux règlements?
Sable Offshore Energy Inc. a poursuivi plusieurs défenderesses qui lui avaient fourni de la peinture qui devait prévenir la corrosion des installations extracôtières et installations terrestres de traitement du gaz de Sable. Sable a également poursuivi plusieurs entrepreneurs et poseurs qui avaient préparé les surfaces et appliqué la peinture. La peinture n'aurait pas prévenu la corrosion. Sable a conclu avec certaines des défenderesses des ententes de type Pierringer qui permettent à ces défenderesses de se retirer du litige alors que les actions intentées par Sable contre les autres défenderesses peuvent suivre leur cours. Les ententes de type Pierringer permettent à un ou plusieurs défendeurs dans une instance multipartite de régler à l'amiable avec le demandeur, ce qui laisse les autres défendeurs responsables uniquement des pertes qu'ils ont effectivement causées. Toutes les modalités de ces ententes, à l'exception des sommes convenues, ont été divulguées aux défenderesses qui restent. Ces dernières ont demandé la divulgation de ces sommes.
La juge de première instance a conclu que les sommes convenues aux règlements étaient protégées par le privilège relatif aux règlements et elle a rejeté la demande de divulgation. La Cour d'appel a infirmé cette décision et ordonné la divulgation des sommes.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Le privilège relatif aux règlements vise à favoriser les règlements amiables. Le règlement amiable permet aux parties de résoudre leur différend de façon mutuellement satisfaisante sans faire augmenter le coût et la durée d'une poursuite judiciaire pour les personnes concernées et le public. Le privilège protège les démarches prises par les parties pour résoudre leurs différends en assurant l'irrecevabilité des communications échangées lors de ces négociations. La protection couvre les négociations en vue d'un règlement, qu'un règlement intervienne ou non. Par conséquent, les négociations fructueuses doivent bénéficier d'une protection au moins égale à celle des négociations qui n'aboutissent pas à un règlement. Puisque la somme négociée constitue un élément clef du contenu de négociations fructueuses et reflète les admissions, offres et compromis faits au cours des négociations, elle aussi est protégée par le privilège relatif aux règlements.
Comme les autres privilèges génériques, ce privilège souffre d'exceptions. Pour en bénéficier, le défendeur doit établir que, tout compte fait, un intérêt public opposé l'emporte sur l'intérêt public à favoriser le règlement.
Toutes les modalités non financières des ententes de type Pierringer ont été communiquées aux défenderesses non parties aux règlements. Ces dernières peuvent consulter tous les documents pertinents et autres éléments de preuve qui étaient en la possession des défenderesses parties aux règlements. Elles ont également reçu l'assurance qu'elles ne seront tenues responsables que de leur part des dommages. Quant à la crainte que les défenderesses non parties aux règlements soient tenues de payer davantage que leur part des dommages, il est de la nature même des ententes de type Pierringer que les défendeurs non parties à ce genre de règlement ne peuvent être tenus responsables que de leur part des dommages et qu'ils sont responsables individuellement, et non solidairement, avec les défendeurs parties au règlement. Ces défenderesses demeurent pleinement conscientes des poursuites contre lesquelles elles doivent se défendre ainsi que de la somme globale que réclame Sable. Par conséquent, on ne peut affirmer qu'un préjudice tangible créé par le fait de ne pas dévoiler les sommes convenues aux ententes l'emporte sur l'intérêt du public à ce que les règlements amiables soient favorisés.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Pierringer c. Hoger , 124 N.W.2d 106 (1963); Sparling c. Southam Inc. (1988), 66 O.R. (2d) 225; Kelvin Energy Ltd. c. Lee , [1992] 3 R.C.S. 235; Rush & Tompkins Ltd. c. Greater London Council , [1988] 3 All E.R. 737; Cutts c. Head , [1984] 1 All E.R. 597; Middelkamp c. Fraser Valley Real Estate Board (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 276; Brown c. Cape Breton (Regional Municipality) , 2011 NSCA 32, 302 N.S.R. (2d) 84; Amoco Canada Petroleum Co. c. Propak Systems Ltd. , 2001 ABCA 110, 281 A.R. 185; Hudson Bay Mining and Smelting Co. c. Wright (1997), 120 Man. R. (2d) 214; Dos Santos Estate c. Sun Life Assurance Co. of Canada , 2005 BCCA 4, 207 B.C.A.C. 54; U nilever plc c. Procter & Gamble Co. , [2001] 1 All E.R. 783; Underwood c. Cox (1912), 26 O.L.R. 303; Bioriginal Food & Science Corp. c. Sascopack Inc. , 2012 SKQB 469 (CanLII).
Lois et règlements cités
Civil Procedure Rules (Nouvelle-Écosse), règles 20.02, 20.06.
Doctrine et autres documents cités
Bryant, Alan W., Sidney N. Lederman and Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada , 3rd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2009.
Knapp, Peter B. « Keeping the Pierringer Promise : Fair Settlements and Fair Trials » (1994), 20 Wm. Mitchell L. Rev. 1.
Vaver, David. « “Without Prejudice” Communications ― Their Admissibility and Effect » (1974), 9 U.B.C. L. Rev. 85.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (le juge en chef MacDonald et les juges Oland et Farrar), 2011 NSCA 121, 310 N.S.R. (2d) 382, 983 A.P.R. 382, 26 C.P.C. (7th) 1, 346 D.L.R. (4th) 68, 12 C.L.R. (4th) 129, [2011] N.S.J. No. 687 (QL), 2011 CarswellNS 893, qui a infirmé une décision de la juge Hood, 2010 NSSC 473, 299 N.S.R. (2d) 216, 947 A.P.R. 216, [2010] N.S.J. No. 713 (QL), 2010 CarswellNS 907. Pourvoi accueilli.
Robert G. Belliveau , c.r. , et Kevin Gibson , pour les appelantes.
John P. Merrick , c.r. , et Darlene Jamieson , c.r. , pour les intimées Ameron International Corporation et Ameron B.V.
Terrence L. S. Teed , c.r. , et Ronald J. Savoy , pour les intimées Allcolour Paint Limited, Amercoat Canada, Rubyco Ltd., Danroh Inc. et Serious Business Inc.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] L a juge Abella — Le système de justice est toujours en quête de stratégies d'amélioration propres à réduire les délais, les coûts et le stress obstinément endémiques dans la conduite des litiges. Dans cette mission en évolution en vue d'affronter les obstacles à l'accès à la justice, certaines stratégies de règlement des différends se sont avérées plus durablement efficaces que d'autres. Peu d'entre elles peuvent toutefois prétendre à la tradition de succès que l'on attribue avec raison aux règlements amiables.
[2] Le privilège relatif aux règlements vise à favoriser les règlements amiables. Ce privilège entoure d'un voile protecteur les démarches prises par les parties pour résoudre leurs différends en assurant l'irrecevabilité des communications échangées lors de ces négociations.
[3] Sable Offshore Energy Inc. a poursuivi plusieurs défenderesses et réglé à l'amiable avec certaines d'entre elles. Les autres défenderesses veulent connaître les sommes sur lesquelles les parties se sont entendues. Nous avons à décider si ces sommes négociées doivent être divulguées ou si elles sont protégées par le privilège relatif aux règlements.
Contexte
[4] Sable a entrepris le Projet énergétique extracôtier Sable en vue de la construction de plusieurs installations extracôtières et installations terrestres de traitement du gaz en Nouvelle‑Écosse. Ameron International Corporation et Ameron B.V. (Ameron) de même que Allcolour Paint Limited, Amercoat Canada, Rubyco Ltd., Danroh Inc. et Serious Business Inc. (collectivement appelées Amercoat) ont fourni à Sable de la peinture pour peindre des sections de ses installations. Sable a engagé trois poursuites dans lesquelles elle prétend que la peinture n'a pas prévenu la corrosion.
[5] Sable a intenté la poursuite faisant l'objet du présent pourvoi contre Ameron, Amercoat et 12 autres entrepreneurs et poseurs chargés de préparer les surfaces et d'appliquer les couches de peinture. Sable a poursuivi Ameron et Amercoat pour négligence, déclaration inexacte faite par négligence et violation d'une garantie accessoire. Les actions visant les autres défenderesses étaient similaires.
[6] Sable a conclu trois ententes de type Pierringer avec certaines des défenderesses. Nommée ainsi en raison de la décision rendue au Wisconsin en 1963 dans l'affaire Pierringer c. Hoger , 124 N.W.2d 106 (Wis. 1963), l'entente de type Pierringer permet à un ou à plusieurs défendeurs dans une instance multipartite de régler à l'amiable avec le demandeur et de se retirer du litige, et les autres défendeurs sont responsables uniquement des pertes qu'ils ont effectivement causées. Les défendeurs qui restent ne partagent pas la responsabilité avec ceux qui sont parties à un règlement amiable, mais ils peuvent être tenus conjointement responsables les uns avec les autres.
[7] Aux termes des ententes, Sable a convenu de modifier sa déclaration à l'encontre des défenderesses non parties aux règlements afin de les poursuivre uniquement pour leur part de la responsabilité. En outre, conformément aux ententes, tous les éléments de preuve pertinents que possèdent les défenderesses parties aux règlements amiables doivent être remis aux demanderesses et peuvent faire l'objet d'une enquête préalable par les autres défenderesses.
[8] Ameron et Amercoat n'ont pas réglé à l'amiable. Toutes les modalités des ententes de type Pierringer leur ont été divulguées à l'exception des sommes convenues.
[9] Ces ententes portant règlement ont été approuvées par ordonnance judiciaire le 27 avril 2010. Le 3 décembre 2010, Ameron a demandé, en application des art. 20.02 et 20.06 des Civil Procedure Rules de 1972 de la Nouvelle‑Écosse (qui régissent le litige tel que convenu auparavant par les parties), la communication des sommes convenues aux ententes de type Pierringer. Sable a soutenu que les sommes devaient rester assujetties au privilège relatif aux règlements.
[10] La juge Hood a rejeté la demande des défenderesses visant à obtenir communication des sommes convenues aux ententes. Selon elle, l'intérêt public est mieux servi si l'on préserve le privilège relatif aux règlements et l'on assure la confidentialité de ces sommes. La Cour d'appel a infirmé cette décision et ordonné la communication des sommes.
Analyse
[11] Le règlement amiable permet aux parties de résoudre leur différend de façon mutuellement satisfaisante sans faire augmenter le coût et la durée d'une poursuite judiciaire pour les personnes concernées et le public. Le juge en chef adjoint Callaghan a résumé ainsi les avantages du règlement amiable dans Sparling c. Southam Inc. (1988), 66 O.R. (2d) 225 (H.C.J.) :
[ traduction ] . . . en général, les tribunaux préfèrent sans exception les règlements amiables. En d'autres termes, il existe un intérêt public prépondérant à ce que les parties en viennent à un règlement. Il s'agit là d'un principe qui sert généralement les intérêts des parties en ce qu'il leur épargne les frais de l'instruction des questions en litige, tout en réduisant la pression exercée sur un système de tribunaux provinciaux déjà surchargé. [p. 230]
Cette observation a été citée avec approbation dans Kelvin Energy Ltd. c. Lee , [1992] 3 R.C.S. 235, p. 259, où la juge L'Heureux‑Dubé a reconnu que le fait de favoriser le règlement constituait une « saine politique judiciaire » qui « contribue à l'efficacité de l'administration de la justice ».
[12] Le privilège relatif aux règlements favorise la conclusion de règlements. Comme le confirme l'abondance de la jurisprudence à ce sujet, il s'agit d'un privilège générique. Comme pour les autres privilèges génériques, il bénéficie d'une présomption prima facie d'inadmissibilité, mais cette présomption souffre d'exceptions [ traduction ] « quand les considérations de justice que pose l'espèce le requièrent » ( Rush & Tompkins Ltd. c. Greater London Council , [1988] 3 All E.R. 737 (H.L.), p. 740).
[13] Les négociations en vue d'un règlement sont protégées depuis longtemps par la règle de la common law suivant laquelle sont inadmissibles les communications faites [ traduction ] « sous toutes réserves » au cours de ces négociations (voir David Vaver, « “Without Prejudice” Communications — Their Admissibility and Effect » (1974), 9 U.B.C. L. Rev. 85, p. 88). Le privilège relatif aux règlements qui découle de la règle des communications faites « sous toutes réserves » reposait sur l'idée que les parties seront davantage susceptibles de parvenir à un règlement si elles sont confiantes dès le départ que le contenu de leurs négociations ne sera pas divulgué. Comme l'a expliqué le lord juge Oliver, de la Cour d'appel d'Angleterre, dans Cutts c. Head , [1984] 1 All E.R. 597, p. 605 :
[ traduction ] . . . il faut encourager dans toute la mesure du possible les parties à résoudre leurs différends sans recourir aux tribunaux, et elles ne doivent pas être dissuadées de le faire parce qu'elles savent que tout ce qui se dit au cours des négociations [. . .] peut être utilisé à leur détriment au cours de l'instance. Comme l'a dit le juge Clauson dans Scott Paper Co c. Drayton Paper Works Ltd (1927), 44 RPC 151, p. 157, il faut encourager librement et franchement les parties à jouer cartes sur table.
En d'autres termes, les discussions tenues lors des négociations seront plus transparentes et donneront par le fait même de meilleurs résultats si les parties savent que leur contenu ne pourra pas être dévoilé par la suite.
[14] L'arrêt Rush & Tompkins confirme que le privilège relatif aux règlements ne vise pas que les documents et communications expressément qualifiés par les mots « sous toutes réserves ». Dans cette affaire, un entrepreneur a réglé à l'amiable l'action qu'il avait intentée contre l'un des défendeurs, le Greater London Council (le GLC), tout en continuant de poursuivre l'autre défendeur, les entrepreneurs Carey. La Chambre des lords s'est demandée si les communications échangées au cours des négociations du règlement intervenu avec le GLC devraient être admissibles en preuve dans la poursuite en cours contre les entrepreneurs Carey. Le lord juge Griffiths a tiré deux conclusions importantes pour la présente affaire. Tout d'abord, bien que le privilège soit souvent appelé la règle des communications faites « sous toutes réserves », point n'est besoin d'employer ces termes exacts pour l'invoquer. Ce qui compte plutôt, c'est l'intention des parties de régler l'action (p. 739). Le contenu de toute négociation entreprise à cette fin est inadmissible en preuve.
[15] Selon la deuxième conclusion pertinente du lord juge Griffiths, même si la plupart des décisions dans lesquelles on a examiné la règle des communications faites « sous toutes réserves » portent sur l'admissibilité en preuve de ces communications après l'échec des négociations, la raison d'être de l'incitation au règlement amiable vaut tout autant si une entente est effectivement intervenue. Le lord juge Griffiths a précisé qu'un demandeur se trouvant dans la situation de Rush & Tompkins serait dissuadé de régler à l'amiable avec un défendeur si toutes les admissions qu'il faisait durant les négociations étaient admissibles en preuve dans sa poursuite visant l'autre défendeur :
[ traduction ] Dans les circonstances, j'estime que, [. . .] si les parties savaient qu'il leur faudrait en fin de compte divulguer toutes leurs communications à la partie inflexible, cela entraverait sérieusement les négociations. [p. 744]
[16] L'opinion selon laquelle le privilège relatif aux règlements s'applique à toute négociation en vue d'un règlement a été acceptée par la suite dans Middelkamp c. Fraser Valley Real Estate Board (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 276 (C.A.). Le demandeur, James Middelkamp, a exercé un recours au civil contre le Fraser Valley Real Estate Board (la chambre immobilière), prétendant que cette dernière s'était livrée, à son détriment, à des pratiques contraires à la Loi sur la concurrence , L.R.C. 1985, ch. C‑34 . Il s'est également plaint de la conduite de la chambre immobilière au directeur des enquêtes et recherches en vertu de dispositions différentes de cette Loi , ce qui a mené à une enquête du directeur et au dépôt d'accusations criminelles contre la chambre immobilière. Cette dernière a négocié avec le ministère de la Justice le règlement des accusations criminelles, et ces négociations ont porté fruit. M. Middelkamp a demandé la divulgation de toutes les communications échangées au cours des négociations entre la chambre immobilière et le ministère de la Justice. Le juge en chef McEachern a expliqué en ces termes son refus d'ordonner la divulgation des communications en raison du privilège relatif aux règlements :
[ traduction ] . . . l'intérêt que porte le public au règlement des différends requiert généralement que les documents créés et les communications échangées « sous toutes réserves » au cours de négociations en vue d'un règlement restent assujettis au privilège. Je qualifierais ce privilège de « “général”, prima facie , de la common law, ou “générique” », parce qu'il découle des négociations en vue d'un règlement et protège la catégorie des communications échangées durant cette initiative valable.
À mon sens, ce privilège empêche que les documents créés et les communications échangées en vue d'un règlement soient divulgués tant aux autres parties aux négociations qu'aux tiers, et il touche également l'admissibilité de la preuve, qu'un règlement intervienne ou non . Il en est ainsi parce que, comme je l'ai déjà dit, une partie qui présente une proposition de règlement amiable ou qui répond à une telle proposition n'exerce habituellement aucun contrôle sur l'utilisation que peut faire la partie adverse des documents en question. Écarter cette protection serait contraire à l'intérêt public qui favorise les règlements amiables. [Italiques ajoutés; par. 19‑20.]
[17] Comme l'a souligné le juge en chef McEachern, le privilège protège les négociations en vue d'un règlement, qu'un règlement intervienne ou non. Par conséquent, les négociations fructueuses doivent bénéficier d'une protection au moins égale à celle des négociations qui n'aboutissent pas à un règlement. Le raisonnement adopté dans Brown c. Cape Breton (Regional Municipality) , 2011 NSCA 32, 302 N.S.R. (2d) 84, est révélateur. La demanderesse a intenté des poursuites distinctes contre un défendeur et une défenderesse pour des blessures différentes subies au même genou. Elle a conclu un règlement amiable avec le défendeur et la Cour d'appel devait décider si le juge du procès avait eu raison d'ordonner que la somme convenue au règlement soit communiquée à la défenderesse dans l'autre poursuite. Le juge Bryson a conclu que la communication n'aurait pas dû être ordonnée puisqu'une analyse du privilège relatif aux règlements fondée sur des principes ne justifiait pas que l'on établisse une distinction entre les négociations en vue d'un règlement et l'entente finalement négociée :
[ traduction ] Certaines décisions font une distinction entre l'application du privilège aux négociations et son application à l'entente elle‑même. [. . .] La distinction [. . .] est arbitraire . Les raisons pour lesquelles on met les communications en vue d'un règlement à l'abri de leur divulgation ne deviennent généralement pas caduques à la conclusion d'une entente. D'habitude, les parties ne sont pas plus disposées à dévoiler publiquement les modalités de leur entente que le contenu des négociations ayant abouti à celle‑ci. [Italiques ajoutés; par. 41. ]
Il convient de signaler que c'est le point de vue retenu par Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman et Michelle K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (3 e éd. 2009), où ils concluent :
[ traduction ] . . . le privilège s'applique non seulement aux négociations qui ont échoué, mais également au contenu des négociations fructueuses , dès lors que l'existence ou l'interprétation de l'entente elle‑même ne sont pas en jeu dans l'instance subséquente et qu'aucune des exceptions au privilège ne s'applique. [Italiques ajoutés; §14.341.]
[18] Puisque la somme négociée constitue un élément clef du « contenu de négociations fructueuses », et reflète les admissions, offres et compromis faits au cours des négociations, elle est elle aussi protégée par le privilège. Je sais que dans certaines décisions plus anciennes, les tribunaux n'ont pas appliqué le privilège à l'entente (voir Amoco Canada Petroleum Co. c. Propak Systems Ltd. , 2001 ABCA 110, 281 A.R. 185, par. 40, citant Hudson Bay Mining and Smelting Co. c. Wright (1997), 120 Man. R. (2d) 214 (B.R.)) , mais il vaut mieux à mon avis adopter une approche qui favorise avec plus de vigueur le règlement amiable en en protégeant le contenu.
[19] Le privilège souffre inévitablement d'exceptions. Pour en bénéficier, le défendeur doit établir que, tout compte fait, [ traduction ] « un intérêt public opposé l'emporte sur l'intérêt public à favoriser le règlement amiable » ( Dos Santos Estate c. Sun Life Assurance Co. of Canada , 2005 BCCA 4, 207 B.C.A.C. 54, par. 20). On a retenu parmi ces intérêts opposés les allégations de déclaration inexacte, la fraude ou l'abus d'influence ( Unilever plc c. Procter & Gamble Co. , [2001] 1 All E.R. 783 (C.A. div. civ.), Underwood c. Cox (1912), 26 O.L.R. 303 (C. div.) ), et la prévention de la surindemnisation du demandeur ( Dos Santos ).
[20] Les défenderesses non parties aux règlements amiables soutiennent que les sommes convenues aux ententes devraient faire l'objet d'une exception au privilège parce qu'elles disent avoir besoin de ces renseignements pour la conduite de leur litige. Je ne vois, dans le fait de ne pas dévoiler les sommes convenues aux ententes, aucun préjudice tangible qui l'emporte sur l'intérêt du public à ce que les règlements amiables soient favorisés.
[21] Les ententes particulières négociées en l'espèce sont dites des ententes de type Pierringer. L'entente de type Pierringer a été conçue aux États‑Unis pour surmonter les obstacles au règlement amiable qui se dressent dans les litiges faisant intervenir plusieurs parties. Le professeur Peter B. Knapp a résumé ainsi la valeur — et la complexité — des efforts déployés pour régler à l'amiable un litige de ce genre :
[ traduction ] Le règlement amiable des litiges civils mettant en cause plusieurs défendeurs a une valeur particulièrement grande du fait que le juge peut devoir consacrer énormément de temps à des procès civils qui peuvent s'avérer coûteux pour les parties. Cependant, il est parfois particulièrement difficile de régler à l'amiable un litige de cette nature. La tolérance au risque varie d'un défendeur à l'autre, et certains défendeurs sont tout simplement beaucoup moins disposés que d'autres à régler à l'amiable.
(« Keeping the Pierringer Promise : Fair Settlements and Fair Trials » (1994), 20 Wm. Mitchell L. Rev. 1, p. 5)
[22] Le professeur Knapp a aussi expliqué les raisons pour lesquelles il était difficile, avant l'avènement des ententes de type Pierringer, d'inciter les parties à en venir à un règlement :
[traduction ] D'une part, le demandeur qui songeait à régler à l'amiable avec l'un des défendeurs courait le risque que l'abandon de la poursuite contre ce défendeur éteigne toutes les réclamations à l'égard des défendeurs non parties au règlement. D'autre part, dans les ressorts où les coauteurs du délit pouvaient devoir verser une contribution, le défendeur partie au règlement s'exposait au risque que les autres défendeurs lui réclament une contribution après le règlement. [p. 6‑7]
[23] Aux États‑Unis, on a estimé que les ententes de type Pierringer réduisaient sensiblement les obstacles à la négociation de règlements amiables dans les litiges faisant intervenir plusieurs parties. Aux termes d'une entente de ce genre, l'action du demandeur ne « prend fin » qu'à l'égard des défendeurs avec qui il a réglé à l'amiable; les actions intentées contre les défendeurs non parties au règlement suivent leur cours. Quant aux défendeurs qui sont parties au règlement, ils obtiennent l'assurance qu'ils ne seront pas mis à contribution par les autres défendeurs, et au procès, ces derniers ne devront rendre compte que de leur propre part de la responsabilité.
[24] Au Canada, les ententes de type Pierringer se sont constituées sur ces assises américaines et elles ont prévu couramment d'autres mesures protectrices à l'égard des défendeurs non parties au règlement, comme l'obligation de leur donner accès à la preuve des défendeurs qui sont parties à ce règlement. En l'espèce, par exemple, l'ordonnance par laquelle le tribunal a donné son aval au règlement amiable exigeait que les demanderesses obtiennent communication de toute la preuve pertinente de la part des défenderesses parties aux règlements amiables et qu'elles mettent cette preuve à la disposition des défenderesses non parties au règlement aux fins d'enquête préalable. L'ordonnance accordait aussi à ces défenderesses, en ce qui concerne les questions de fait, la faculté d'avoir recours sans restriction aux experts retenus par les défenderesses parties aux règlements. De plus, les ententes en l'espèce précisaient que leurs modalités non financières seraient communiquées à la cour et aux défenderesses non parties aux règlements [ traduction ] « dans la mesure requise par les lois de la Nouvelle‑Écosse ainsi que les décisions et le code de déontologie de la Nova Scotia Barristers' Society » (d.a., p. 142 et 184).
[25] Toutes les modalités non financières des ententes de type Pierringer ont effectivement été communiquées aux défenderesses non parties aux règlements. Elles peuvent consulter tous les documents pertinents et autres éléments de preuve qui étaient en la possession des défenderesses parties aux règlements. On leur a également donné l'assurance qu'elles ne seront tenues responsables que de leur part des dommages. De plus, Sable a accepté de divulguer les sommes convenues au juge de première instance au terme du procès, une fois la responsabilité établie. Par conséquent, si les défenderesses non parties aux règlements établissaient leur droit à une compensation en l'espèce, leur responsabilité en dommages‑intérêts sera revue à la baisse en cas de besoin pour éviter une surindemnisation des demanderesses.
[26] Quant à la crainte que les défenderesses non parties aux règlements soient tenues de payer davantage que leur part des dommages, il est de la nature même des ententes de type Pierringer que les défendeurs non parties à ce genre de règlement ne peuvent être tenus responsables que de leur part des dommages et qu'ils sont responsables individuellement, et non solidairement, avec les défendeurs parties au règlement.
[27] Je ne vois donc pas en quoi la connaissance des sommes convenues aux ententes influe matériellement sur l'aptitude des défenderesses non parties au règlement à connaître et à présenter leurs arguments. Ces défenderesses demeurent pleinement conscientes des poursuites contre lesquelles elles doivent se défendre ainsi que de la somme globale que réclame Sable. Certes, le fait de connaître les sommes convenues aux ententes pourrait permettre aux défenderesses de revoir leur estimation de la somme qu'elles veulent investir pour se défendre, mais la connaissance de ces sommes ne me semble pas suffisamment importante pour écarter l'intérêt public à favoriser les règlements amiables.
[28] Les défenderesses non parties aux règlements ont aussi plaidé que le refus de divulgation fait obstacle à leurs propres projets potentiels de règlement amiable, car elles seraient plus enclines à régler à l'amiable si elles connaissaient les sommes déjà négociées. Peut‑être. Mais elles pourraient aussi, par contre, selon les sommes en cause, en venir à considérer ces sommes comme un élément dissuasif. De toute façon, leur argument est essentiellement circulaire, car il revient à dire que l'intérêt à favoriser un règlement amiable subséquent l'emporte sur l'intérêt public à favoriser le règlement amiable initial. Mais la probabilité de parvenir à un règlement amiable au départ diminue si la somme convenue peut être divulguée.
[29] Quelqu'un doit faire le premier pas, et l'incitation au premier règlement d'un litige mettant aux prises plusieurs parties mérite clairement une plus grande protection que l'hypothèse conjecturale voulant que d'autres parties n'emboîteront le pas que si elles connaissent la somme convenue. Après tout, les défenderesses parties aux règlements amiables sont parvenues à négocier une somme en l'absence d'un règlement antérieur comme modèle. Les défenderesses non parties aux règlements ne se trouvent pas dans une pire situation qu'elles. Comme l'a fait remarquer le juge Smith quand il a refusé la divulgation de la somme convenue à l'entente dans Bioriginal Food & Science Corp. c. Sascopack Inc. , 2012 SKQB 469 (CanLII) :
[ traduction] . . . dans pratiquement tous les cas de négociation en vue d'un règlement amiable, les parties ne savent pas tout. Il y a toujours des éléments connus et des éléments que l'on sait inconnus . . . [par. 33 ]
Et le juge Bryson a résumé de manière convaincante en ces termes les arguments contradictoires dans Brown :
[ traduction] Certains tribunaux sont d'avis qu'il faut aller plus loin et divulguer la somme convenue à l'entente. Ils affirment soit que l'entente (contrairement aux négociations) ne fait pas l'objet d'un privilège, soit que les parties au règlement amiable disposent d'un avantage auquel il doit être remédié par la divulgation. [. . .] Si les parties qui en viennent à un règlement bénéficient vraiment de ce fait d'un avantage aux dépens des autres parties, c'est un avantage qu'elles ont négocié. Les tribunaux devraient hésiter à leur enlever cet avantage en leur ordonnant de dévoiler la somme à la demande des parties qui n'ont pas réglé à l'amiable parce qu'elles se sont montrées inflexibles ou pour d'autres raisons. L'argument selon lequel la divulgation favoriserait un règlement entre les autres parties ne tient pas compte du fait que souvent, s'il n'y avait pas de privilège, il n'y aurait pas de premier règlement. [Références omises; par. 67.]
[30] Pour analyser comme il se doit la revendication d'une exception au privilège relatif aux règlements, il ne faut pas se demander simplement si les défendeurs non parties au règlement tirent un quelconque avantage tactique de la divulgation, mais si le motif de la divulgation l'emporte sur le principe suivant lequel il faut favoriser les règlements amiables. Bien que le fait d'empêcher la divulgation du contenu et des résultats des négociations en vue d'un règlement ait l'avantage évident de favoriser les règlements amiables, le refus de divulguer les sommes convenues aux ententes en l'espèce ne cause guère de préjudice corrélatif.
[31] Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.
Procureurs des appelantes : McInnes Cooper, Halifax.
Procureurs des intimées Ameron International Corporation et Ameron B.V. : Merrick Jamieson Sterns Washington & Mahody, Halifax.
Procureurs des intimées Allcolour Paint Limited, Amercoat Canada, Rubyco Ltd., Danroh Inc. et Serious Business Inc. : Bingham Law, Moncton.