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11/09/2008 | CANADA | N°2008_CSC_49

Canada | R. c. L.T.H., 2008 CSC 49 (11 septembre 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. L.T.H., [2008] 2 R.C.S. 739, 2008 CSC 49

Date : 20080911

Dossier : 31763

Entre :

L.T.H.

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Justice for Children and Youth

Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 64)

Motifs concordants en partie :

(par. 65 à 103)

Le juge Fish (avec l

accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel et Abella)

Le juge Rothstein (avec l’accord des juges Deschamps et Charron)

______________________________

R. c. L....

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. L.T.H., [2008] 2 R.C.S. 739, 2008 CSC 49

Date : 20080911

Dossier : 31763

Entre :

L.T.H.

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Justice for Children and Youth

Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 64)

Motifs concordants en partie :

(par. 65 à 103)

Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel et Abella)

Le juge Rothstein (avec l’accord des juges Deschamps et Charron)

______________________________

R. c. L.T.H., [2008] 2 R.C.S. 739, 2008 CSC 49

L.T.H. Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Justice for Children and Youth Intervenante

Répertorié : R. c. L.T.H.

Référence neutre : 2008 CSC 49.

No du greffe : 31763.

2008 : 25 février; 2008 : 11 septembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (les juges Cromwell, Oland et Hamilton) (2006), 248 N.S.R. (2d) 285, 789 A.P.R. 285, 213 C.C.C. (3d) 1, [2006] N.S.J. No. 409 (QL), 2006 CarswellNS 459, 2006 NSCA 112, qui a infirmé l’acquittement de l’accusé relativement à des accusations de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. Pourvoi accueilli.

Shawna Y. Hoyte et Marie‑France Major, pour l’appelant.

William D. Delaney et Peter P. Rosinski, pour l’intimée.

Cheryl Milne et Gary Magee, pour l’intervenante.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish et Abella rendu par

Le juge Fish —

I

[1] Les adolescents sont portés — encore plus que les adultes — à se sentir vulnérables lorsqu’ils sont interrogés par des policiers qui les soupçonnent d’avoir commis un crime et qui peuvent influencer leur destin. C’est pourquoi le Parlement a incorporé en leur faveur des garanties procédurales supplémentaires à l’art. 146 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1 (« LSJPA »), qui régit l’admissibilité des déclarations faites par des adolescents inculpés à des personnes en autorité.

[2] L’article 146 confirme, par voie législative, les règles de common law et les droits constitutionnels qui s’appliquent autant aux adultes qu’aux adolescents. Il précise, par exemple, qu’une déclaration faite à une personne en autorité par un adolescent n’est admissible en preuve contre ce dernier que si elle était volontaire. En outre, l’art. 146 réaffirme le droit de consulter un avocat, que consacre l’art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[3] Le Parlement a ainsi reconnu que le droit de consulter un avocat est intimement lié au droit de garder le silence. Ce rapport ressort d’ailleurs des conditions supplémentaires qui, aux termes de l’art. 146, doivent être remplies pour que les déclarations faites par des adolescents soient admissibles en preuve contre eux durant leur procès. Par ces mesures, le législateur a confirmé la proposition généralement acceptée selon laquelle les garanties offertes aux adultes en matière de procédure et de preuve ne protègent pas adéquatement les adolescents qui, du fait de leur âge et de leur discernement relativement moins élevé, sont présumés être plus vulnérables que les adultes aux suggestions des policiers qui les interrogent ainsi qu’aux pressions et à l’influence que ces derniers peuvent exercer sur eux.

[4] Par conséquent, l’art. 146 précise que les déclarations faites par un adolescent ne sont pas admissibles en preuve contre lui, à moins que la personne qui les a reçues ne lui ait « expliqué clairement [. . .], en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension » les droits que cette disposition lui confère. Cette condition d’admissibilité, qu’on appelle l’« obligation d’information » de l’art. 146, soulève deux questions qui sont, elles aussi, intimement liées.

[5] Premièrement, le ministère public doit‑il prouver non seulement que ces explications nécessaires ont été données en des termes adaptés et compréhensibles, mais aussi que l’adolescent qui a fait la déclaration les a effectivement comprises? Deuxièmement, le ministère public doit‑il établir que l’obligation d’information a été respectée selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, ou seulement selon la prépondérance des probabilités?

[6] Parce que ces deux questions sont intimement liées, et pour d’autres raisons que j’expliquerai plus loin, je répondrai à ces questions simultanément. À mon avis, le ministère public s’acquitte du fardeau qui lui incombe s’il présente une preuve claire et convaincante que la personne qui a recueilli la déclaration de l’adolescent a pris des mesures raisonnables pour s’assurer qu’il comprenne les droits que lui garantit l’art. 146 LSJPA. La simple probabilité que les conditions aient été observées est incompatible avec l’objet et l’économie de l’art. 146, considéré globalement. L’observation des conditions doit être établie hors de tout doute raisonnable.

[7] Enfin, suivant l’art. 146, l’adolescent peut, sous réserve de certaines conditions, renoncer au droit que lui confère cette disposition de consulter un avocat et un parent adulte avant de faire une déclaration, ainsi qu’à son droit de faire sa déclaration en présence de son avocat et de ce parent. Nous verrons que, selon un courant jurisprudentiel constant qui remonte à l’arrêt Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, la renonciation n’est valide que s’il est « bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu’elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l’effet de la renonciation sur ces droits au cours de la procédure » (p. 49 (soulignement omis)). De toute évidence, dans un cas où le Parlement a clairement voulu doter les adolescents de garanties procédurales accrues, il n’a pas été satisfait à cette norme élevée s’il subsiste un doute raisonnable dans l’esprit du juge quant au respect des exigences énoncées dans l’arrêt Korponay, puis réaffirmées dans des arrêts subséquents.

[8] Toutefois, je m’empresse d’ajouter que cette norme plus exigeante n’a pas pour effet d’imposer au ministère public un fardeau dont elle ne pourrait réalistement s’acquitter. Dans les cas où le respect de l’obligation d’information est établi hors de tout doute raisonnable, le juge du procès est autorisé à conclure — et d’ailleurs censé conclure — en l’absence de preuve à l’effet contraire, que l’adolescent a effectivement compris les droits qui lui sont garantis par l’art. 146.

[9] En l’espèce, la juge du procès n’était pas convaincue que la poursuite s’était acquittée du fardeau que lui impose l’art. 146 LSJPA. Elle a donc conclu à l’inadmissibilité de la déclaration de l’appelant et finalement inscrit un acquittement. La Cour d’appel a exprimé l’avis contraire. Pour les motifs qui précèdent, et pour ceux qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’acquittement de l’appelant prononcé au procès.

II

[10] L’appelant, L.T.H., a été arrêté au terme d’une poursuite policière très tôt le 8 août 2004. Il a été placé en détention et, à plusieurs reprises, on lui a demandé s’il voulait retenir les services d’un avocat. Il a refusé.

[11] Vers 5 h, L.T.H. a été amené au détachement de la Gendarmerie royale du Canada de Cole Harbour. Plusieurs heures plus tard, il a été amené au poste de police de Dartmouth, où il a dormi pendant quelques heures. Environ 12 heures après son arrestation, L.T.H. a été amené au poste de police de Halifax et interrogé par l’agent Jeffrey Carlisle.

[12] Dans la salle d’interrogatoire, l’agent Carlisle a passé en revue avec L.T.H. un formulaire de déclaration à l’intention des jeunes contrevenants. Lorsque l’agent lui a demandé s’il comprenait ses droits, L.T.H. a répondu par l’affirmative. Il a déclaré ne pas vouloir téléphoner à un avocat ni parler à un avocat en privé. Il a également dit « non » lorsque l’agent lui a demandé s’il voulait consulter en privé un parent ou un autre adulte idoine ou encore faire sa déclaration ou être interrogé en leur présence.

[13] À un certain moment, l’appelant a interrompu la lecture du formulaire et déclaré qu’il ne répondrait pas à toutes les questions. L’agent lui a dit que les questions ne se rapportaient pas à l’incident et qu’il ne s’agissait que de questions du type « comprenez‑vous? ». L’agent Carlisle a alors achevé la lecture du formulaire. L’appelant a paraphé et signé la renonciation, après quoi l’agent a commencé à l’interroger. L.T.H. a fait une déclaration inculpatoire qui a ensuite servi de fondement principal à la poursuite intentée contre lui par le ministère public. L’interrogatoire de L.T.H. a été enregistré sur bande vidéo par les policiers et, à l’invitation des avocats des parties, nous avons regardé et écouté cet enregistrement.

[14] La mère de l’appelant a témoigné au voir‑dire. Elle a affirmé que son fils avait un trouble d’apprentissage et qu’elle en avait informé un agent au poste de police de Dartmouth avant le transfert de l’appelant au poste de police de Halifax, où il a été interrogé. Elle a aussi déclaré que, lorsque son fils avait été interrogé par la police en sa présence à d’autres occasions, il comptait sur elle pour lui expliquer les questions. L’appelant n’a pas témoigné.

[15] À l’issue du voir‑dire, la juge du procès a conclu à l’inadmissibilité de la déclaration de L.T.H. enregistrée sur bande vidéo ((2005), 236 N.S.R. (2d) 180, 2005 NSPC 36). Bien que persuadée du caractère volontaire de la déclaration, la juge n’était pas convaincue hors de tout doute raisonnable que les exigences énoncées à l’al. 146(2)b) et au par. 146(4) avaient été respectées. Plus particulièrement, elle n’était pas convaincue que L.T.H. avait bien compris ses droits et les conséquences d’y renoncer. Le ministère public n’a pas présenté d’autres éléments de preuve, et l’accusation a été rejetée.

[16] La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a accueilli l’appel interjeté par le ministère public, annulé le verdict d’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès ((2006), 248 N.S.R. (2d) 285, 2006 NSCA 112). La cour a jugé que, bien que le ministère public doive effectivement prouver hors de tout doute raisonnable qu’on a clairement expliqué à l’adolescent, en des termes adaptés à sa situation, ses droits et les choix qui s’offrent à lui aux termes de l’al. 146(2)b), le ministère public n’est pas tenu de prouver que l’adolescent les a effectivement compris. La Cour d’appel a reconnu que la compréhension subjective est une condition préalable à une renonciation valide aux termes du par. 146(4). Cependant, elle a conclu que le ministère public doit établir la validité de la renonciation selon la prépondérance des probabilités et non pas hors de tout doute raisonnable.

III

[17] L’article 3 LSJPA contient une déclaration de principes qui prévoit notamment ce qui suit :

b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes et mettre l’accent sur :

. . .

(iii) la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée,

[18] Les droits procéduraux prévus à l’art. 146 constituent l’une des mesures supplémentaires prises par le législateur pour protéger les adolescents. Les passages pertinents de l’art. 146 disposent que la déclaration faite à une personne en autorité par un adolescent n’est pas admissible en preuve contre ce dernier, sauf si : (1) la déclaration est volontaire (al. 146(2)a)); (2) la personne à qui la déclaration a été faite a « expliqué clairement à l’adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension », le droit de l’adolescent de garder le silence et son droit de consulter un avocat et un autre adulte idoine (ainsi que son droit d’être interrogé en présence de toute personne consultée) (al. 146(2)b)); et (3) l’adolescent s’est vu donner la possibilité d’exercer ces droits (al. 146(2)c)). Enfin, selon le par. 146(4), l’adolescent peut, sous réserve de certaines conditions, renoncer à son droit de consulter un avocat et un adulte avant de faire une déclaration, ainsi qu’à son droit de faire sa déclaration en présence de son avocat et de cet autre adulte. Le texte intégral de cette disposition figure en annexe.

IV

[19] La juge du procès semble avoir conclu que, pour être en mesure de statuer que la condition prévue à l’al. 146(2)b), c’est-à-dire l’obligation d’information, a été remplie, le juge doit être convaincu que l’adolescent a effectivement compris les droits et les choix qui lui ont été expliqués conformément à cette disposition. La Cour d’appel a statué, au contraire, qu’il suffit que le ministère public prouve que la personne en autorité a clairement expliqué ses droits à l’adolescent, en des termes adaptés à sa situation.

[20] Les deux parties ont qualifié de critère « subjectif » la démarche adoptée par la juge du procès pour statuer sur le caractère adéquat de la mise en garde. Elles conviennent que la Cour d’appel a appliqué plutôt un critère « objectif ».

[21] À mon avis, le critère servant à déterminer si l’obligation d’information a été remplie est de nature objective. Il n’exige pas que le ministère public prouve que l’adolescent a effectivement compris les droits et les choix qui lui ont été expliqués conformément à l’al. 146(2)b). Cela dit, le respect de cette obligation suppose une démarche personnalisée, qui tienne compte de l’âge et de la compréhension de l’adolescent interrogé (N. Bala, Youth Criminal Justice Law (2003), p. 220).

[22] Il ressort clairement d’une interprétation téléologique de l’al. 146(2)b) que la personne en autorité doit déployer des efforts raisonnables pour s’assurer que l’adolescent détenu qui sera interrogé est en mesure de comprendre l’explication qui lui est donnée à l’égard de ses droits. Cette conclusion découle du texte clair de cette disposition : l’explication doit être donnée à l’adolescent en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension. Sans une certaine connaissance du niveau de compréhension de l’adolescent, l’agent ne pourra pas démontrer que l’explication était adaptée aux capacités de l’adolescent en cause.

[23] Le genre d’efforts raisonnables que doivent faire les policiers a été habilement résumé dans R. c. C.G., 1986 CarswellOnt 1556 (C. prov. (Div. fam.)) :

[traduction] . . . les personnes en autorité qui recueillent les déclarations doivent se renseigner sur le niveau de scolarité de l’adolescent, ses capacités langagières et l’étendue de son vocabulaire, son niveau de compréhension et son état émotif au moment pertinent. Pour obtenir ces renseignements, il n’est pas nécessaire de faire intervenir un psychologue, de téléphoner à l’enseignant ni même de parler au père ou à la mère. Toutefois, l’agent doit s’entretenir avec l’adolescent assez longtemps pour pouvoir déterminer combien d’expressions il doit lui expliquer et s’il doit utiliser la langue courante, la langue familière ou même un jargon quelconque pour que l’adolescent puisse suivre la conversation.

. . .

L’article 56 [de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui a été remplacé par l’art. 146 LSJPA] exige que la personne en autorité établisse pendant un voir‑dire le fondement raisonnable sur lequel reposait son opinion quant à l’« âge et au niveau de compréhension » de l’adolescent. [En italique dans l’original; par. 29 et 34.]

[24] Notre Cour a statué, de façon constante, que le législateur a édicté l’art. 146, et la disposition qu’il a remplacée, parce qu’il reconnaissait que, en règle générale, les adolescents comprennent moins bien leurs garanties juridiques que les adultes, sont moins susceptibles de les faire valoir lorsqu’ils sont en présence d’une personne en autorité et sont plus faciles à influencer pendant un interrogatoire (R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504, p. 522, et R. c. J. (J.T.), [1990] 2 R.C.S. 755). Vu l’objet de l’art. 146, il serait illogique de conclure que, pour satisfaire aux conditions qu’il fixe, il suffit de lire à l’adolescent un formulaire libellé clairement.

[25] Même avant l’adoption de la LSJPA et de la loi qui l’a précédée, les tribunaux de première instance reconnaissaient que les déclarations faites par des adolescents devaient être traitées différemment de celles faites par des adultes. Dans l’arrêt R. c. Yensen, [1961] O.R. 703 (H.C.), par exemple, le juge en chef McRuer a statué que le policier qui procède à l’interrogatoire doit [traduction] « prouver au tribunal que le jeune a bien compris la mise en garde grâce à l’explication minutieuse qui lui a été donnée et à l’exposé des conséquences pouvant découler de sa décision de faire une déclaration » (p. 711). Voir aussi : Re A., [1975] 5 W.W.R. 425 (C.S. Alb.).

[26] Je tiens à préciser que je n’exige pas des policiers, comme semble l’avoir fait la juge du procès en l’espèce, qu’ils demandent toujours à l’adolescent de leur « répéter » ou « réexpliquer » ses droits. Dans certains cas, cette façon de faire pourrait bien démontrer que l’explication était à la fois bien adaptée et suffisante. Elle pourrait de plus, tendre à établir que l’adolescent a bien compris les droits auxquels il a renoncé — ce qui constitue évidemment une condition essentielle à la validité de la renonciation. Par contre, si utile soit‑il, le fait de demander à l’adolescent de « répéter » ou « réexpliquer » ses droits ne constitue pas pour autant une obligation légale en application de l’art. 146.

[27] La lecture d’un formulaire type ne suffira habituellement pas en soi pour démontrer que l’adolescent a reçu une mise en garde adéquate conformément à l’al. 146(2)b). Les personnes en autorité doivent en outre se faire une idée du niveau de compréhension de l’adolescent, puisque l’explication obligatoire doit être adaptée à l’âge et à la compréhension de cet adolescent en particulier. Pour reprendre les propos tenus par la Cour d’appel du Manitoba, dans R. c. B.S.M. (1995), 100 Man. R. (2d) 151 :

[traduction] Le simple fait de lire à un adolescent inculpé un formulaire de renonciation approprié ne sera généralement pas considéré comme une explication claire de ses droits ou des conséquences de la signature de la renonciation. Ce qui constitue une explication claire sera fonction des faits propres à chaque situation. J’estime que la simple lecture du formulaire de renonciation, ponctuée de la question « comprenez‑vous? », ne satisfera généralement pas aux conditions prévues par la loi. Le législateur a expressément indiqué qu’il ne faut pas se contenter d’offrir de l’information aux adolescents. Ils n’ont pas besoin seulement d’explications; ils ont besoin d’explications claires qu’ils sont en mesure de comprendre. [par. 9]

[28] Bien conçus et utilisés avec rigueur, des formulaires types constituent néanmoins un cadre utile pour interroger les adolescents détenus de façon appropriée. La Cour d’appel de l’Ontario l’a bien expliqué dans l’arrêt R. c. S. (S.) (2007), 222 C.C.C. (3d) 545, 2007 ONCA 481, par. 37 :

[traduction] Il est évident qu’un formulaire uniforme, traitant adéquatement de toutes les mesures de protection procédurales, faciliterait le respect généralisé du par. 146(2) et, plus important encore, garantirait que les adolescents se sont fait expliquer clairement leurs droits ainsi que les obligations des policiers.

Bref, l’utilisation de formulaires normalisés peut faciliter le respect de l’al. 146(2)b), mais ne saurait y être assimilé dans tous les cas. L’observation de cette disposition est une question de fond, et non de forme. Le tribunal qui juge l’adolescent doit, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, être convaincu que la personne en autorité lui a expliqué ses droits d’une manière claire et compréhensible. Le juge Sopinka a donné les précisions suivantes à cet égard dans I. (L.R.) :

. . . l’exigence que l’explication prescrite par l’art. 56 précède la déclaration a pour but d’assurer que l’adolescent ne renonce à son droit de garder le silence que de son plein gré, tout en comprenant et en réalisant parfaitement les droits qu’il possède. [Je souligne; p. 528.]

[29] La condition requérant que l’intéressé comprenne quels sont ses droits et réalise leur importance s’applique à tous les adolescents, y compris à ceux qui sont familiers avec le système de justice pénale. L’alinéa 146(2)b) intègre des principes d’équité qui doivent être « appliqué[s] uniformément à tous, indépendamment des caractéristiques de l’adolescent en cause » (J. (J.T.), p. 768).

[30] Cela ne veut pas dire que les démêlés antérieurs d’un adolescent avec la justice ne sont pas pertinents pour déterminer son niveau de compréhension. Une démarche objective personnalisée doit tenir compte des connaissances de l’adolescent détenu et de ses autres caractéristiques personnelles susceptibles de fournir des indications sur son niveau de compréhension. Avant de déterminer quels mots utiliser pour expliquer ses droits à un adolescent, les policiers doivent donc faire des efforts raisonnables pour déceler l’existence de facteurs importants, comme des troubles d’apprentissage et des démêlés antérieurs avec la justice.

V

[31] La LSJPA ne prescrit pas la norme de preuve à laquelle doit satisfaire le ministère public pour démontrer qu’il s’est conformé aux conditions prévues à l’art. 146. En l’espèce, la juge du procès a statué qu’il incombait au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable que L.T.H. avait pleinement compris les droits et les choix auxquels il renonçait avant de faire sa déclaration à la police. À l’instar de la juge du procès, la Cour d’appel a conclu que le respect de l’al. 146(2)b) doit être établi hors de tout doute raisonnable. Toutefois, contrairement à la juge du procès, la Cour d’appel a statué que le ministère public doit prouver la validité de la renonciation selon la prépondérance des probabilités.

[32] À mon avis, il faut plutôt appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable à tous égards. En effet, cette norme est davantage compatible avec l’objet de la disposition, avec les règles de common law applicables à l’admissibilité des déclarations en preuve et avec la norme stricte que notre Cour a appliquée de façon constante à la preuve d’une renonciation valide.

[33] En adoptant la LSJPA, et plus précisément les conditions prévues à l’art. 146, le Parlement a créé un régime législatif qui tient compte de la capacité limitée des adolescents de comprendre leurs droits et de leur propension plus grande à répondre aux questions qui leur sont posées par des personnes en autorité. Comme l’a expliqué le juge Cory dans l’arrêt J. (J.T.), p. 766, le législateur fédéral a « reconnu les problèmes et les difficultés qu’affrontent les adolescents qui sont aux prises avec les autorités » :

Un adolescent est habituellement beaucoup plus facile à impressionner et à influencer par des personnes en situation d’autorité. Peu importe l’attitude de bravade et d’arrogance que peuvent afficher les jeunes, ils n’évalueront vraisemblablement pas leurs garanties juridiques, dans un sens général, ni les conséquences de déclarations verbales faites à des personnes en situation d’autorité; ils n’apprécieront certainement pas la nature de leurs droits dans la même mesure que le feraient la plupart des adultes. Les adolescents peuvent également être plus sensibles à des menaces subtiles provenant de leur entourage et de la présence de personnes en situation d’autorité. Un adolescent peut être plus porté à faire une déclaration, même si elle est fausse, pour plaire à une personne en situation d’autorité. De toute évidence, c’est parce qu’il a reconnu les pressions et les problèmes supplémentaires auxquels font face les adolescents que le législateur a adopté ce code de procédure. [p. 766‑767]

[34] C’est pourquoi le Parlement a subordonné l’admissibilité d’une déclaration non seulement à la condition qu’elle soit volontaire, mais aussi à la condition qu’elle ait été précédée d’une explication claire des droits de l’adolescent. Le législateur a jugé opportun d’inclure tous les éléments énumérés au par. 146(2) comme conditions préalables à l’admissibilité d’une déclaration faite par un adolescent, et la preuve de chacun de ces éléments doit être faite hors de tout doute raisonnable.

[35] L’alinéa 146(2)a) dispose qu’une déclaration n’est pas admissible en preuve, sauf si elle est volontaire. En common law, il est bien établi que le ministère public a l’obligation de démontrer le caractère volontaire d’une déclaration hors de tout doute raisonnable (voir, par exemple, R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, 2007 CSC 48, par. 25).

[36] Il faut présumer que le législateur, en codifiant l’exigence que la déclaration soit volontaire à l’al. 146(2)a), y a aussi incorporé la norme de preuve correspondante. En effet, nul ne conteste que la norme de persuasion applicable au caractère volontaire requis par l’al. 146(2)a) est la preuve hors de tout doute raisonnable. Toutefois, le ministère public fait valoir que cette norme ne devrait pas s’appliquer au respect des conditions énoncées à l’al. 146(2)b), puisque cette disposition vise à renforcer le droit de l’adolescent de garder le silence et de consulter un avocat, et qu’elle n’est pas (contrairement au caractère volontaire) étroitement liée à la fiabilité de la déclaration. De même, le juge Rothstein conclut que la condition relative au caractère volontaire de la déclaration est « différente de toutes les autres conditions d’admissibilité » parce que c’est la seule à toujours soulever un doute sur la fiabilité d’une déclaration faite par un adolescent à une personne en autorité (par. 79).

[37] Avec égards, ces arguments ne me convainquent pas. Bien que l’objet premier de la règle du caractère volontaire des déclarations soit d’en assurer la fiabilité, le concept élargi de la règle des confessions énoncée dans Singh s’attache également au respect de la liberté de choix de l’individu. Comme l’a expliqué la juge Charron, la règle des confessions « inclut nettement le droit de la personne détenue de faire un choix utile quant à savoir si elle parlera ou non aux autorités de l’État » (par. 35).

[38] De plus, tout comme la règle des confessions, l’obligation d’information établie à l’al. 146(2)b) vise à garantir la fiabilité d’une déclaration. Elle a notamment pour but de prévenir les fausses confessions de la part d’adolescents enclins à faire une déclaration pour mettre fin à l’interrogatoire ou pour plaire à une personne en autorité (J. (J.T.), p. 766‑767), et de garantir que toute déclaration résulte de l’exercice du libre arbitre de son auteur (I. (L.R.), p. 528). Et comme dans le cas du caractère volontaire, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que les conditions fixées par la loi ont été remplies. Pour ce qui est du caractère volontaire, la « seule existence d’un doute quant à savoir si le détenu a usé de son libre arbitre en faisant la déclaration est suffisante pour justifier une réparation » (Singh, par. 38). Dans le contexte du par. 146(2) LSJPA, un tel doute peut fort bien surgir lors de l’évaluation du caractère volontaire de la déclaration ou du caractère adéquat de la mise en garde exigée par la loi. Tout doute concernant l’une ou l’autre des conditions préalables constitue un motif suffisant pour exclure la déclaration.

[39] Il convient d’appliquer aussi la norme du doute raisonnable à la preuve de la renonciation. C’est cette norme qui s’harmonise le mieux avec les conditions requises pour établir la validité d’une renonciation.

[40] Les adolescents peuvent, à l’instar des adultes, renoncer à leur droit de consulter un avocat. Ils peuvent aussi renoncer à leur droit particulier de faire leur déclaration en présence d’un avocat et d’un autre adulte. Toutefois, comme c’est le cas pour les adultes, la renonciation ne sera jugée valide que si le juge est convaincu qu’elle repose sur une véritable compréhension des droits visés et des conséquences de la décision d’y renoncer.

[41] Notre Cour a réaffirmé à maintes reprises le critère d’appréciation de la validité d’une renonciation au droit de consulter un avocat garanti par l’al. 10b) de la Charte, et elle a précisé qu’une norme très stricte s’applique à cet égard (voir, par exemple, R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236; Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383; R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, et R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869). Selon le juge en chef Lamer, « la personne qui renonce à un droit doit savoir ce à quoi elle renonce pour que la renonciation soit valide » (Prosper, p. 275, citant R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173).

[42] Ce courant jurisprudentiel constant remonte à l’arrêt Korponay, dans lequel notre Cour a jugé que, pour que la renonciation à un droit prévu par la loi soit valide,

il faut qu’il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu’elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l’effet de la renonciation sur ces droits au cours de la procédure. [Souligné dans l’original; p. 49.]

[43] La juge Wilson a cité et approuvé ce passage dans le contexte de la renonciation à un droit garanti par la Charte, dans l’arrêt Clarkson, p. 394‑395. Elle a également statué que « pour être valide et produire des effets toute renonciation volontaire doit se fonder sur une appréciation véritable des conséquences de la renonciation à ce droit » (p. 396). Une renonciation bien claire est donc essentielle, mais ne suffit pas à elle seule : elle doit aller de pair avec une compréhension adéquate de la fonction que le droit en cause est censé remplir et une appréciation des conséquences de la décision de se soustraire à sa protection.

[44] Nous ne sommes pas appelés en l’espèce à nous prononcer sur l’exclusion d’un élément de preuve par ailleurs admissible, comme dans les cas où l’accusé présente une demande fondée sur l’al. 10b) et le par. 24(2) de la Charte. Au contraire, nous devons plutôt décider s’il y a lieu d’admettre, à la demande du ministère public, un élément de preuve incriminant dont le législateur a subordonné l’admissibilité au respect de certaines conditions impératives énoncées à l’art. 146 LSJPA.

[45] Le ministère public ne m’a pas convaincu que le fait d’exiger le respect de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable constitue un écart injustifié par rapport à la jurisprudence bien établie de notre Cour. Certes, la Cour a déclaré, sans donner de précisions, que le ministère public est tenu d’établir selon la prépondérance des probabilités la validité d’une renonciation au droit d’être jugé dans un délai raisonnable garanti à l’al. 11b) de la Charte et au droit à l’assistance d’un interprète prévu à l’art. 14 (voir R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, et R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951). Néanmoins, ni l’un ni l’autre de ces arrêts n’offre quelque fondement que ce soit à l’adoption de cette norme dans le contexte qui nous intéresse ici.

[46] Le Parlement a cru juste et nécessaire d’accorder aux adolescents des droits et des garanties procédurales dont ils sont les seuls à bénéficier. Il ne faut pas conclure à la légère qu’un adolescent a renoncé aux mesures de protection supplémentaires dont le législateur a jugé que les adolescents devaient bénéficier. Lorsque le juge du procès n’est pas convaincu que l’adolescent a bien compris son droit de consulter un avocat et un parent et de faire une déclaration en leur présence, ou encore qu’il a bien saisi les conséquences de sa renonciation à ces droits, la déclaration de l’adolescent ne doit pas être admise en preuve.

[47] L’adoption d’une seule et même norme de preuve pour juger du respect de chacun des éléments de l’art. 146 présente des avantages importants par rapport à une approche fragmentée. En outre, elle est compatible avec les principes d’interprétation législative pertinents — en particulier la présomption de cohérence interne des textes de loi. Comme l’explique R. Sullivan, les dispositions de la loi

[traduction] sont présumées s’assembler logiquement pour former un cadre rationnel, intrinsèquement cohérent; et parce que ce cadre a un objet, ses éléments sont aussi présumés s’appliquer ensemble de façon dynamique, chacun contribuant à la réalisation de l’objectif visé.

(Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 168)

Les dispositions de la LSJPA doivent être interprétées en harmonie les unes avec les autres. Conformément à la présomption de cohérence, l’art. 146 doit recevoir une interprétation qui s’inspire de la déclaration de principes incluse dans la LSJPA (art. 3). Ces principes mettent l’accent sur une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec l’état de dépendance et le degré de maturité des adolescents, et sur la nécessité de leur accorder, en conséquence, des garanties procédurales supplémentaires. Considéré globalement, l’art. 146 vise à assurer la réalisation de l’un des objectifs de la LSJPA — celui d’offrir des mesures de protection supplémentaires aux adolescents pour leur garantir un traitement équitable. Concrètement, l’adoption d’une norme unique permet au juge du procès de se concentrer comme il se doit sur cette tâche.

[48] Le ministère public prétend qu’il s’avérera presque impossible de prouver que l’adolescent a effectivement compris les explications suivant la norme habituellement applicable en matière criminelle. Bien que raisonnable, cette crainte est en dernière analyse injustifiée. Je ne suis pas convaincu que le fait de prescrire une norme de preuve unique pour l’application de l’art. 146 imposerait un fardeau démesuré au ministère public. Si le juge du procès est convaincu hors de tout doute raisonnable que les droits et les choix dont l’adolescent peut se prévaloir lui ont effectivement été expliqués en conformité avec l’art. 146, l’adolescent sera présumé avoir effectivement compris ces droits et les conséquences d’y renoncer. Les juges de première instance devraient donc normalement tirer cette inférence en l’absence de preuve à l’effet contraire.

[49] Il faut également se souvenir que les par. 146(5) et (6) permettent au juge du tribunal pour adolescents d’admettre en preuve une déclaration entachée d’irrégularités techniques, s’il est convaincu hors de tout doute raisonnable que l’art. 146 a été respecté quant au fond.

VI

[50] La juge du procès (aux par. 12 et 16) semble avoir jugé qu’il faut prouver la compréhension subjective pour démontrer le respect des conditions énoncées à l’al. 146(2)b). Avec égards, comme je l’ai expliqué plus tôt, je crois qu’il n’est pas nécessaire d’établir au moyen d’une preuve affirmative que l’adolescent a effectivement compris les explications requises par cette disposition. Je n’imposerais pas non plus, comme l’a manifestement fait la juge du procès, une condition impérative supplémentaire obligeant les policiers à demander à l’adolescent de leur « réexpliquer » ses droits. Toutefois, le ministère public ne m’a pas convaincu que, si la juge du procès n’avait pas tiré ces conclusions, sa décision quant à l’admissibilité aurait raisonnablement pu être différente.

[51] La juge du procès n’a pas commis d’erreur en concluant que les policiers doivent se faire une idée du degré de compréhension de l’accusé. L’omission, comme ce fut le cas en l’espèce, de faire quelque vérification que ce soit à cet égard entraînera généralement l’exclusion de la déclaration, puisque le ministère public doit démontrer que les explications données à l’adolescent étaient adaptées à sa situation particulière. Qui plus est, la juge du procès n’était pas convaincue que L.T.H. avait clairement compris ses droits et les conséquences d’y renoncer, avant de décider de le faire.

[52] La juge du procès était tenue de conclure à l’inadmissibilité des déclarations si elle n’était pas convaincue hors de tout doute raisonnable que les droits garantis à L.T.H. lui avaient été expliqués en des termes adaptés à sa compréhension ou si elle avait un doute raisonnable quant à la compréhension par L.T.H. de son droit de consulter un avocat et, partant, quant à la validité de sa renonciation. Il ressort clairement des motifs de la juge qu’il subsistait un doute raisonnable dans son esprit sur ces deux points.

[53] Lorsqu’elle a conclu que le ministère public ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait en l’espèce, la juge du procès a souligné le rythme rapide de la lecture du formulaire de renonciation, l’absence de contacts visuels avec L.T.H. et le ton monocorde de l’agent. Elle a fait remarquer, d’une part, qu’à l’exception des réponses affirmatives données à plusieurs reprises par L.T.H. à la question « comprenez‑vous? », rien n’indiquait que L.T.H. avait compris ses droits et, d’autre part, que l’agent n’avait fait aucun effort pour déterminer son niveau de compréhension. La juge a souligné de façon particulière le commentaire fait par L.T.H., à mi‑chemin de la lecture du formulaire, selon lequel il ne répondrait pas à toutes les questions. Elle s’est alors demandé si L.T.H. comprenait réellement l’importance des questions qui lui étaient posées et des réponses qu’il donnait (par. 35).

[54] La juge du procès a estimé que la lecture du formulaire constituait une simple formalité. Cette conclusion et la preuve des troubles d’apprentissage de l’appelant qui lui a été présentée ont fait naître chez elle de [traduction] « sérieux doutes » quant à savoir si L.T.H. avait compris ses droits. Sur ce fondement, elle a statué que, suivant l’art. 146, la déclaration de l’appelant n’était pas admissible en preuve. Elle pouvait à bon droit tirer cette conclusion.

[55] Tout comme la détermination du caractère volontaire, les questions de savoir si l’adolescent détenu a obtenu des explications claires au sujet de ses droits et des choix qui lui sont offerts et s’il a suffisamment compris ces droits pour y renoncer valablement constituent essentiellement des questions de fait. Dans R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38, par. 71, notre Cour a déclaré qu’une conclusion à l’égard du caractère volontaire « ne doit être infirmée que si “le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits” : Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, p. 279 (citant Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808) (passage souligné dans Schwartz) ». Il en va de même des conclusions tirées à l’égard des conditions prévues à l’art. 146.

[56] À mon avis, la conclusion de la juge du procès sur la question de l’observation des conditions prescrites par l’art. 146 est étayée par le dossier et commande la déférence de la Cour. Par conséquent, je ne vois aucune raison de modifier sa décision sur l’admissibilité de la déclaration.

VII

[57] Je conclus par trois remarques sur les motifs du juge Rothstein.

[58] Premièrement, il existe déjà une exception bien reconnue à la règle générale voulant que les conclusions de fait préliminaires puissent être tirées selon la prépondérance des probabilités. On exigera en effet une preuve hors de tout doute raisonnable « dans les cas, certes rares, où l’admission de la preuve peut elle‑même avoir un effet concluant en ce qui concerne la question de la culpabilité » (R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, par. 71). Il est clair que la déclaration incriminante que l’appelant a faite à la police est visée par cette exception reconnue. C’est ce type de preuve qui est en cause en l’espèce. En effet, comme je l’ai mentionné précédemment, nous sommes appelés à statuer sur l’admissibilité d’une déclaration qui constituait le fondement de la preuve du ministère public contre l’appelant.

[59] Le juge Rothstein cite, au par. 83, un extrait de l’arrêt Arp où se trouve énoncée l’exception que je viens de mentionner. Par souci de commodité, j’en reproduis ici le passage pertinent :

. . . il y a dérogation à la règle générale selon laquelle les conclusions de fait préliminaires peuvent être tirées selon la prépondérance des probabilités dans les cas, certes rares, où l’admission de la preuve peut elle‑même avoir un effet concluant en ce qui concerne la question de la culpabilité. Par exemple, lorsque le ministère public produit une déclaration de l’accusé à une personne en situation d’autorité, le juge du procès doit être convaincu hors de tout doute raisonnable du caractère volontaire de la déclaration. Cette preuve peut, si elle est tenue pour avérée, apporter en elle‑même une preuve concluante de la culpabilité. Étant donné que l’existence d’un doute sur le caractère volontaire de la déclaration se répercute également sur la fiabilité de celle‑ci, il est justifié d’exiger une preuve hors de tout doute raisonnable. [Je souligne; par. 71.]

Le juge Rothstein et moi divergeons d’opinion sur un seul point important. Si le juge Cory avait jugé que le caractère volontaire d’une déclaration à une personne en situation d’autorité constituait le seul cas exigeant une preuve hors de tout doute raisonnable, il ne l’aurait pas qualifié d’exemple parmi les cas qui l’exigent; de même, comme le juge Cory a qualifié le caractère volontaire d’exemple, il ne pouvait pas vouloir dire que le caractère volontaire est la seule question qui doit être tranchée selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, comme l’affirme le juge Rothstein. En outre, avec égards, j’estime qu’aucun autre passage de l’arrêt Arp ne laisse supposer que le caractère volontaire d’une déclaration à une personne en autorité soit la seule question qui exige une preuve hors de tout doute raisonnable — plutôt qu’un simple exemple, comme l’a indiqué le juge Cory dans le passage cité par mon collègue. Le contraire me semble vrai.

[60] Deuxièmement, dans aucune des décisions invoquées par mon collègue une cour n’a-t-elle admis en preuve une déclaration faite par un accusé à une personne en autorité lorsqu’il subsistait un doute raisonnable dans son esprit quant au respect des exigences en matière d’admissibilité. Dans l’arrêt R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653, cité par mon collègue à cet égard, il n’était pas question d’une déclaration faite par un accusé à une personne en situation d’autorité.

[61] Je ne vois pas pourquoi il faudrait adopter une norme moins stricte que celle prescrite par la common law lorsque le législateur a, comme à l’art. 146 LSJPA, expressément subordonné l’admissibilité d’une déclaration faite par un adolescent à une personne en situation d’autorité non seulement à son caractère volontaire, mais encore à d’autres conditions.

[62] Troisièmement, le juge Rothstein fonde sa conclusion divergente, du moins en partie, sur une interprétation apparemment erronée de mes motifs. Il comprend de ceux-ci que j’ai adopté la norme de preuve hors de tout doute raisonnable parce que l’obligation d’information et les conditions de renonciation touchent le caractère volontaire de la déclaration. Avec égards, je ne vois rien dans les présents motifs qui se prête à pareille interprétation.

[63] Il ressort clairement de mes motifs, et d’ailleurs du libellé de l’art. 146, que le respect de l’obligation d’information et l’observation des conditions de renonciation ne constituent pas simplement « deux des facteurs pertinents que le juge doit prendre en compte et apprécier pour déterminer si la déclaration était volontaire » (le juge Rothstein, par. 90). Ce sont des conditions d’admissibilité distinctes et indépendantes. Même lorsque son caractère volontaire est prouvé hors de tout doute raisonnable (comme l’a conclu la juge du procès en l’espèce), la déclaration doit être écartée dans les cas où l’adolescent ne s’est pas vu expliquer clairement ses droits en des termes appropriés et dans les cas où la renonciation n’a pas été établie.

VIII

[64] Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’ordonnance de nouveau procès et de rétablir l’acquittement de l’appelant.

Version française des motifs des juges Deschamps, Charron et Rothstein rendus par

Le juge Rothstein —

I. Introduction

[65] L’article 146 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1 (« LSJPA »), régit l’admissibilité d’une déclaration faite par un adolescent inculpé à une personne en autorité. Les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe des motifs du juge Fish.

[66] Le pourvoi soulève deux questions. Premièrement, le ministère public doit‑il prouver non seulement que la personne en autorité qui a recueilli la déclaration a expliqué clairement à l’adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, les droits qui lui sont garantis par l’al. 146(2)b) LSJPA, mais aussi que l’adolescent qui a fait la déclaration a effectivement compris ces explications? Deuxièmement, le ministère public doit‑il prouver hors de tout doute raisonnable, ou selon la prépondérance des probabilités, que l’obligation d’information et les conditions de renonciation prescrites par l’al. 146(2)b) et le par. 146(4) ont été remplies?

[67] J’ai pris connaissance des motifs du juge Fish. Selon lui, le ministère public s’acquitte du fardeau de preuve qui lui incombe en établissant que la personne à qui la déclaration a été faite a, avant de la recueillir, expliqué clairement à l’adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, les droits qui lui sont garantis par l’al. 146(2)b) LSJPA. Il n’est pas tenu de prouver que l’adolescent a effectivement compris l’explication. Je partage son avis. Comme lui, j’estime également que les démêlés antérieurs de l’adolescent avec le système de justice pénale pour les adolescents peuvent démontrer que la mise en garde a été faite en des termes adaptés à sa compréhension.

[68] En ce qui a trait à la deuxième question, je suis d’accord avec le juge Fish pour dire que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que la déclaration faite par l’adolescent était volontaire. Toutefois, je ne partage pas son opinion sur la question de la norme de preuve à appliquer pour déterminer si la personne en autorité a respecté son obligation d’information et les conditions de renonciation prescrites par l’art. 146 LSJPA. Le juge Fish affirme qu’il faut appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. À mon humble avis, la norme applicable est celle de la prépondérance des probabilités.

II. Analyse

(1) La norme de preuve applicable en common law aux questions de fait préliminaires

[69] La LSJPA ne précise pas la norme de preuve applicable au respect de l’art. 146. Toutefois, le par. 146(1) dispose que :

Sous réserve des autres dispositions du présent article, les règles de droit concernant l’admissibilité des déclarations faites par des personnes inculpées s’appliquent aux adolescents.

Le juge Fish et moi sommes d’avis que les « règles de droit » dont il est question au par. 146(1) sont les règles de common law. Toutefois, nous ne sommes pas d’accord sur les exigences qu’elles comportent.

[70] Selon la règle de common law régissant l’admissibilité de la preuve, la partie qui cherche à faire admettre un élément de preuve doit établir selon la prépondérance des probabilités les faits préliminaires qui conditionnent l’utilisation de cet élément de preuve : R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653, p. 668; R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938, p. 947‑948, et R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, par. 70.

[71] Dans Evans, l’élément de preuve en litige était un aveu de l’accusé sous forme de preuve par ouï‑dire. La Cour a jugé que le ministère public devait établir selon la prépondérance des probabilités que la déclaration était celle de l’accusé avant que cette déclaration puisse être admise en preuve. Le juge Sopinka, qui a rédigé les motifs au nom des juges majoritaires, s’est exprimé ainsi, à la p. 668 :

Notre Cour a affirmé que le juge des faits peut trancher les questions de fait préliminaires en se fondant sur la prépondérance des probabilités. . .

. . . Si certains éléments de preuve permettent de soumettre la question au juge des faits, celle‑ci doit faire l’objet d’un examen en deux temps. Tout d’abord, il faut déterminer si, compte tenu de la preuve admissible contre l’accusé, le ministère public a établi selon la prépondérance des probabilités que la déclaration est celle de l’accusé. Une fois cette exigence préliminaire satisfaite, le juge des faits doit examiner le contenu de la déclaration en même temps que les autres éléments de preuve pour décider de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé.

[72] La Cour n’a admis qu’une seule exception à l’application de la norme de la prépondérance des probabilités aux questions de fait préliminaires qui conditionnent l’utilisation d’un élément de preuve : la règle des confessions. L’énoncé définitif de la règle des confessions a été formulé dans Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), p. 609 :

[traduction]——C’est une règle formelle du droit criminel anglais depuis longtemps établie qu’aucune déclaration d’un accusé n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c’est‑à‑dire qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice, ou dans l’espoir d’un avantage dispensé ou promis, par une personne en situation d’autorité.

Notre Cour a adopté la règle de l’arrêt Ibrahim dans Prosko c. The King (1922), 63 R.C.S. 226, et l’a appliquée par la suite dans des affaires telles Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262, et Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640.

[73] Dans son état actuel, la règle des confessions en common law prévoit que « pour qu’une déclaration obtenue auprès d’un accusé par une personne en situation d’autorité puisse être admise en preuve, il faut préalablement en établir le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable » (R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, 2007 CSC 48, par. 29).

[74] Comme l’a indiqué le juge Iacobucci dans R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38, par. 32, la règle vise à se prémunir contre le problème des fausses confessions, puisque les confessions non volontaires risquent davantage que les autres de ne pas être fiables. C’est parce qu’un doute quant au caractère volontaire de la déclaration soulève également un doute quant à sa fiabilité qu’il est justifié d’exiger une preuve hors de tout doute raisonnable.

En définissant la règle des confessions, il est important d’avoir à l’esprit le double objectif de cette règle, qui est de protéger les droits de l’accusé sans pour autant restreindre indûment la nécessaire faculté de la société d’enquêter sur les crimes et de les résoudre. Le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario a bien décrit le tiraillement entre ces deux objectifs dans R. c. Precourt (1976), 18 O.R. (2d) 714 (C.A.), à la p. 721 :

[traduction] Même si des interrogatoires policiers irréguliers peuvent, dans certaines circonstances, porter atteinte à la règle [des confessions] applicable, il est essentiel de se rappeler que les autorités policières sont incapables de mener des enquêtes sur des crimes sans interroger des personnes, que ces personnes soient ou non soupçonnées d’avoir commis le crime faisant l’objet de l’enquête. Un interrogatoire policier régulièrement mené est un outil légitime et efficace d’enquêtes criminelles. [. . .] Par contre, les déclarations faites à la suite de questions intimidantes ou d’un interrogatoire oppressant et destiné à subjuguer la volonté du suspect afin de lui soutirer une confession sont inadmissibles. . .

Tous ceux qui participent à l’administration de la justice, mais particulièrement les tribunaux qui appliquent la règle des confessions, ne doivent jamais perdre de vue ces objectifs.

(Le juge Iacobucci, dans Oickle, par. 33)

[75] En ce qui concerne les déclarations faites par des adolescents, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire de la déclaration, comme l’exige l’al. 146(2)a) LSJPA.

[76] À l’exception de la « règle des confessions » bien établie, il n’existe pas d’autres cas où la Cour, ou toute autre cour, aurait exigé une preuve hors de tout doute raisonnable comme condition préalable à l’admissibilité d’un élément de preuve, même dans le cas d’une déclaration faite par un accusé à une personne en situation d’autorité (voir D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 19).

[77] Dans le cas d’une déclaration faite par un adolescent à une personne en situation d’autorité, le respect de l’obligation d’information imposée par l’al. 146(2)b) LSJPA constitue une condition à l’admissibilité de la déclaration. Selon le principe de la common law, le ministère public doit prouver que cette condition a été remplie selon la prépondérance des probabilités.

[78] C’est pourquoi je ne puis souscrire à la conclusion du juge Fish selon laquelle la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable appliquée à l’ensemble de l’art. 146 est la norme la plus compatible avec les règles de common law régissant l’admissibilité des déclarations (motifs du juge Fish, par. 32).

[79] Plus particulièrement, je ne puis souscrire à sa conclusion que, du seul fait qu’une déclaration incriminante a été faite à une personne en situation d’autorité, toutes les conditions à son admissibilité doivent être prouvées hors de tout doute raisonnable (motifs du juge Fish, par. 58 et 61). La règle des confessions ne vise que le caractère volontaire de la déclaration et non les autres conditions à son admissibilité. Comme je l’ai expliqué tout au long de mes motifs, hormis la « règle des confessions », la jurisprudence ne comporte aucun précédent où la preuve hors de tout doute raisonnable a été jugée nécessaire à l’admissibilité en preuve. La condition relative au caractère volontaire d’une déclaration est différente de toutes les autres conditions d’admissibilité puisqu’un doute à cet égard soulève toujours un doute quant à sa fiabilité. On ne peut en dire autant de l’obligation d’information et des conditions de renonciation prescrites par l’al. 146(2)b) et le par. 146(4). Il est tout à fait possible qu’une explication qui n’a pas été correctement adaptée à l’âge et à la compréhension de l’adolescent ne soulève aucun doute quant à la fiabilité de la déclaration. Dans les rares cas où un aspect de l’obligation d’information et des conditions de renonciation soulève un doute quant à la fiabilité d’une déclaration, le ministère public devra tout de même prouver hors de tout doute raisonnable que cette dernière a été faite volontairement ce qui garantit qu’une déclaration non volontaire sera inadmissible.

[80] La règle de common law selon laquelle toutes les questions préliminaires qui conditionnent l’utilisation d’un élément de preuve doivent être tranchées selon la prépondérance des probabilités est systématiquement appliquée, même lorsqu’il s’agit d’une preuve cruciale pour la déclaration de culpabilité. Elle a été appliquée aux conditions d’admissibilité de divers types de preuve — telles la preuve par ouï‑dire, la preuve du comportement postérieur à l’infraction, la preuve d’expert et la preuve de faits similaires : Arp, par. 48; Evans, p. 667‑668; R. c. White, [1998] 2 R.C.S. 72, par. 49; R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, par. 55; R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58, par. 41; R. c. Terceira (1998), 15 C.R. (5th) 359 (C.A. Ont.) (conf. par [1999] 3 R.C.S. 866), par. 46.

[traduction] En effet, même lorsqu’il produit une preuve accablante sous forme d’opinion selon laquelle l’ADN du suspect et l’ADN de l’accusé ont tellement de caractéristiques identiques que la probabilité que l’ADN du suspect appartienne à l’accusé frôle la certitude, le ministère public ne doit établir les conditions d’admissibilité de cette preuve que selon la prépondérance des probabilités. [Note de bas de page omise.]

(Paciocco et Stuesser, p. 19)

[81] Même dans les cas où la preuve consiste en un aveu de l’accusé, la Cour a statué que les conditions d’admissibilité de la déclaration inculpatoire doivent être établies selon la prépondérance des probabilités. Voir à titre d’exemple l’arrêt Evans où l’élément de preuve en litige était un aveu de l’accusé sous forme de preuve par ouï‑dire. Même si, dans Evans, la Cour n’était pas appelée à se prononcer sur l’admissibilité en preuve d’une déclaration faite par un accusé spécifiquement à une personne en situation d’autorité, comme l’a souligné le juge Fish au par. 60 de ses motifs, il s’agissait d’une déclaration incriminante, faite par l’accusé, qui était cruciale pour sa déclaration de culpabilité.

[82] Le juge Fish ne cite aucune cause où la norme de preuve hors de tout doute raisonnable aurait été appliquée aux conditions d’admissibilité prévues par une loi. Toutefois, de nombreuses décisions portent sur les conditions d’admissibilité de la preuve établies par la common law. Dans ces causes, la Cour (ainsi que d’autres cours) a systématiquement exigé que le respect de ces conditions soit établi selon la prépondérance des probabilités. Aucune distinction logique entre les conditions préalables fixées par la common law et celles fixées par une loi ne justifierait qu’on leur applique des normes de preuve différentes. Qu’elles émanent de la loi ou de la common law, les deux types de conditions préalables sont des conditions d’admissibilité de la preuve et elles sont soumises à la même norme de preuve, à savoir celle de la prépondérance des probabilités.

[83] Le juge Fish cite l’arrêt Arp à l’appui de sa conclusion qu’il « est clair que la déclaration que l’appelant a faite à la police est visée par cette exception reconnue [d’un cas exigeant une preuve hors de tout doute raisonnable] » (motifs du juge Fish, par. 58). Il semble interpréter les motifs du juge Cory dans Arp comme indiquant que la règle des confessions ne doit plus constituer le seul cas exigeant une preuve hors de tout doute raisonnable. Le juge Cory a utilisé les mots « dans les cas, certes rares, où l’admission de la preuve peut elle‑même avoir un effet concluant en ce qui concerne la question de la culpabilité » (Arp, par. 71). Je crois cependant que ce serait une erreur d’interpréter ce vague renvoi de portée très étroite comme ouvrant la voie à une nouvelle grande catégorie d’exceptions à la norme de preuve applicable selon la common law aux questions de fait préliminaires. Pareille interprétation s’écarterait de la jurisprudence constante de la Cour qui, hormis le cas de la règle des confessions, ne comporte aucun précédent où la preuve hors de tout doute raisonnable a été jugée nécessaire à l’admissibilité en preuve.

[84] Étant donné que la norme de preuve applicable selon la common law aux questions de fait préliminaires qui conditionnent l’utilisation d’un élément de preuve est celle de la preuve selon la prépondérance des probabilités, je ne puis être d’accord avec le juge Fish pour dire que l’application de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable à tous les éléments de l’art. 146 est davantage compatible avec la common law en ce qui concerne l’obligation d’information et les conditions de renonciation établies à l’al. 146(2)b) et au par. 146(4) (motifs du juge Fish, par. 32).

(2) La preuve relative aux questions préliminaires concernant le caractère volontaire de la déclaration

[85] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’obligation d’information et les conditions de renonciation font l’objet d’un examen préliminaire au moment où le tribunal vérifie si les conditions prescrites à l’art. 146 LSJPA ont été respectées. Indépendamment de cet examen, le respect de l’obligation d’information et des conditions de renonciation fait aussi partie de l’ensemble des faits qui sont pris en compte dans l’évaluation du caractère volontaire de la déclaration.

[86] Le juge Fish affirme, au par. 38 :

. . . tout comme la règle des confessions, l’obligation d’information établie à l’al. 146(2)b) vise à garantir la fiabilité d’une déclaration. Elle a notamment pour but de prévenir les fausses confessions de la part d’adolescents [. . .] et de garantir que toute déclaration résulte de l’exercice du libre arbitre de son auteur [. . .] Et comme dans le cas du caractère volontaire, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que les conditions fixées par la loi ont été remplies.

Le juge Fish semble inférer que, du simple fait que certaines questions liées à l’obligation d’information et aux conditions de renonciation soient aussi liées au caractère volontaire de la déclaration, le respect, par la personne en situation d’autorité, de l’obligation d’information et des conditions de renonciation prescrites par l’al. 146(2)b) et le par. 146(4) devrait être assujetti à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, telle qu’elle s’appliquerait à la question ultime du caractère volontaire de la déclaration.

[87] Je ne puis souscrire à ce point de vue. Le juge Fish décloisonne les deux fins distinctes auxquelles sert la preuve du respect de l’obligation d’information et des conditions de renonciation, d’une part, à l’étape préliminaire, comme conditions préalables à l’admissibilité prévues par la LSJPA et, d’autre part, comme indication du caractère volontaire de la déclaration. En ce qui a trait à l’évaluation du caractère volontaire de la déclaration, il est bien établi que la norme en matière criminelle, c’est‑à‑dire, celle de la preuve hors de tout doute raisonnable, ne s’applique qu’à la question ultime du caractère volontaire, et non à l’appréciation de chacun des éléments de preuve individuels qui étayeront la décision sur cette question (R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, p. 354‑360, Stewart c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 748, p. 759‑761, et White, par. 42).

[88] Au même titre que les conclusions sur la culpabilité, les conclusions sur le caractère volontaire d’un aveu ne doivent pas être décomposées en fonction de chaque élément ou catégorie de preuve (Stewart, p. 759‑761; Morin, p. 354‑360; White, par. 42). Dans l’arrêt Morin, le juge Sopinka, qui a rédigé les motifs des juges majoritaires, s’est exprimé ainsi, à la p. 359 :

Suivant la jurisprudence mentionnée précédemment, il est clair que le jury ne doit pas examiner la preuve élément par élément en regard de la norme en matière criminelle. Par ailleurs, la jurisprudence antérieure ne contient à peu près aucune indication quant aux règles de droit, s’il en est, qui s’appliquent à l’appréciation de la preuve. Les tentatives de formulation de ces règles ont été mal vues.

Ce n’est que dans le contexte de l’ensemble de la preuve que ressortent la portée réelle et la valeur probante de chaque élément de preuve. L’importance de chacun dépend nécessairement des autres.

[89] Par conséquent, il faut faire la preuve hors de tout doute raisonnable du caractère volontaire de la déclaration proprement dite et non des faits individuels sur lesquels repose la conclusion concernant cette question. Le ministère public peut s’appuyer sur une multitude de faits pour démontrer le caractère volontaire de la déclaration. Au paragraphe 31 de l’arrêt Singh, la Cour a cité en l’approuvant l’arrêt Boudreau (p. 267) : [traduction] « La Cour doit examiner toutes les circonstances ayant entouré une déclaration et si, après cet examen, elle n’est pas convaincue du caractère volontaire de l’aveu qu’elle constitue, la déclaration sera rejetée. » Pour obtenir une conclusion favorable sur le caractère volontaire de la déclaration, le ministère public n’est pas tenu de faire la preuve hors de tout doute raisonnable de chacun des faits sur lesquels il s’appuie pour en démontrer le caractère volontaire.

[90] La Cour a énuméré des circonstances courantes qui sont susceptibles de vicier le caractère volontaire d’une confession : menaces ou promesses, oppression, absence d’un état d’esprit conscient et autres ruses policières (Oickle, par. 47-71). Le respect de l’obligation d’information et l’observation des conditions de renonciation ne constituent que deux des facteurs pertinents que le juge doit prendre en compte et apprécier pour déterminer si la déclaration était volontaire. Examinés isolément, ces éléments ne permettraient peut‑être pas au juge de tirer une conclusion sur le caractère volontaire de la déclaration. En revanche, s’ils sont examinés conjointement avec les autres circonstances pertinentes, ils peuvent aider à déterminer s’il existe un doute raisonnable relativement au caractère volontaire de la déclaration.

[91] Ainsi, même si le respect de l’obligation d’information et des conditions de renonciation figure au nombre des facteurs pris en considération dans l’examen du caractère volontaire de la déclaration, cela ne modifie en rien la norme de preuve requise en matière criminelle — c’est‑à‑dire que l’ensemble des éléments de preuve, considérés globalement, doivent constituer une preuve hors de tout doute raisonnable. Toutefois, l’observation des conditions préliminaires établies à l’al. 146(2)b) et au par. 146(4) constitue une question distincte qui doit être tranchée, comme les autres questions préliminaires, selon la prépondérance des probabilités.

(3) L’objet et l’économie de l’art. 146 LSJPA

[92] Selon le juge Fish, la preuve hors de tout doute raisonnable du respect de l’obligation d’information et des conditions de renonciation est la norme la plus compatible avec l’objet et l’économie de l’art. 146, considéré globalement (motifs du juge Fish, par. 6). Je ne suis pas d’accord.

[93] Je reconnais que le législateur a édicté les protections légales figurant à l’art. 146 dans le but précis d’accorder aux adolescents des garanties procédurales supplémentaires, compte tenu de leur degré présumé de discernement moral et de maturité qui serait moins élevé que celui des adultes. Le législateur n’a toutefois pas précisé que la norme applicable à l’observation de l’obligation d’information et des conditions de renonciation est celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. Au contraire, il a confirmé, au par. 146(1) LSJPA, que la règle de common law régissant l’admissibilité des éléments de preuve s’applique — c’est‑à‑dire que toutes les conclusions de fait préliminaires qui conditionnent l’utilisation d’un élément de preuve, sauf celle relative au caractère volontaire, sont assujetties à la norme de la prépondérance des probabilités.

[94] Les exigences de l’art. 146 ont une portée beaucoup plus vaste que celles établies par la Charte canadienne des droits et libertés. L’adolescent doit être informé de son droit de garder le silence, de la possibilité que toute déclaration de sa part serve de preuve contre lui ainsi que de son droit de consulter un avocat et ses père ou mère et de ne faire une déclaration qu’en leur présence (al. 146(2)b) LSJPA). Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, la déclaration de l’adolescent n’est tout simplement pas admissible en preuve (par. 146(2) LSJPA). Par contre, l’adulte doit uniquement être informé du motif de son arrestation et de son droit à l’assistance d’un avocat (al. 10a) et b) de la Charte). Les policiers peuvent interroger un adulte en l’absence de son avocat, sauf si l’accusé exige sa présence. « La persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le silence » (R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, p. 184, arrêt que la Cour a cité en l’approuvant dans Singh, par. 46). En revanche, la déclaration d’un adolescent ne peut être recueillie qu’en présence de son avocat et de toute autre personne qu’il a consultée, sauf si l’adolescent en décide autrement (sous‑al. 146(2)b)(iv) LSJPA).

[95] Le législateur a manifesté sa volonté de reconnaître le degré moins élevé de discernement et la moins grande maturité des adolescents en leur accordant les mesures de protection supplémentaires édictées à l’art. 146 LSJPA. Il n’y a aucune indication même implicite dans le libellé de l’art. 146 qui permette de conclure que la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique aux conclusions de fait préliminaires. Au contraire, l’art. 146 incorpore expressément la norme de la common law concernant l’admissibilité de la preuve, c’est‑à‑dire la norme de la prépondérance des probabilités, qui s’applique aux conclusions de fait préliminaires.

(4) Conditions de validité d’une renonciation

[96] Au sujet de la renonciation, le juge Fish souligne que notre Cour a réaffirmé à maintes reprises que la validité de la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b) de la Charte est assujettie à une norme stricte. Il en déduit que la norme de preuve applicable à la renonciation prévue au par. 146(4) LSJPA doit nécessairement être « très stricte » et qu’il s’agit, par conséquent, de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable (motifs du juge Fish, par. 41).

[97] Dans le contexte de la renonciation à un droit garanti par la Charte, aucune source n’assimile une norme « stricte » à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. En fait, la mention d’une norme stricte renvoie à la nécessité de fournir une explication claire des droits auxquels la personne renonce et non à une norme de preuve stricte. Comme le juge Lamer (plus tard Juge en chef) l’a indiqué dans Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, p. 49, pour que la renonciation à un droit procédural, y compris à un droit garanti par la Charte, soit valide, « il faut qu’il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu’elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger » (soulignement omis). Voir aussi Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, p. 394‑395. Les termes « stricte » et « bien clair » ne commandent toutefois pas l’application de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

[98] Qui plus est, dans le cas de la renonciation à un droit garanti par la Charte, il est bien établi que la norme applicable est celle de la prépondérance des probabilités (R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1229, et R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, p. 998. Voir aussi : R. c. Wills (1992), 70 C.C.C. (3d) 529 (C.A. Ont.), p. 546, et R. c. Young (1997), 116 C.C.C. (3d) 350 (C.A. Ont.), par. 11). Même si ces arrêts ne portent pas sur le droit à l’assistance d’un avocat, mais sur d’autres droits garantis par la Charte, il s’ensuit que la même norme s’appliquerait à la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat. Une conclusion contraire créerait une hiérarchie des droits garantis par la Charte, ce qui irait à l’encontre du principe établi par notre Cour dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, p. 877. Voir aussi : M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, par. 100, Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769, 2002 CSC 23, par. 51, et Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710, 2002 CSC 86, par. 126. De plus, il a déjà été directement reconnu, dans la jurisprudence, que la norme applicable à la renonciation à l’assistance d’un avocat est celle de la prépondérance des probabilités : R. c. Hamelin (2001), 297 A.R. 201, 2001 ABQB 742, par. 69‑72.

(5) Cohérence avec les règles de common law

[99] Enfin, le juge Fish déclare que « [l]’adoption d’une seule et même norme de preuve pour juger du respect de chacun des éléments de l’art. 146 présente des avantages importants par rapport à une approche fragmentée. En outre, elle est compatible avec les principes d’interprétation législative pertinents — en particulier la présomption de cohérence interne des textes de lois » (par. 47). Bien qu’elle semble à première vue favoriser la cohérence, cette démarche crée en fait une incohérence dans les règles de droit qui régissent actuellement l’admissibilité de la preuve au Canada. Je me suis attaché à démontrer que la norme de common law applicable aux questions préliminaires qui conditionnent l’admissibilité de la preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable relativement à l’al. 146(2)b) et au par. 146(4) créerait des incohérences entre ces dispositions et toutes les autres conditions préalables d’admissibilité de la preuve issues de la common law. Ce résultat irait à l’encontre du par. 146(1), où il est clairement indiqué que les règles de la common law concernant l’admissibilité des déclarations s’appliquent à l’obligation d’information et aux conditions de renonciation. Notre Cour ne doit pas retenir une interprétation qui imposerait implicitement une condition que le législateur n’a pas édictée et qui serait incompatible avec les inférences qui découlent nécessairement des autres termes utilisés par le législateur.

III. Dispositif

[100] Pour ces motifs, j’estime que c’est la norme de la prépondérance des probabilités qu’il faut appliquer pour déterminer si l’obligation d’information et les conditions de renonciation énoncées à l’art. 146 ont été remplies.

[101] Comme le juge Fish, je crois que la question de savoir si l’adolescent détenu a obtenu une explication claire des droits qui lui sont garantis par l’al. 146(2)b) LSJPA et s’il y a renoncé en conformité avec le par. 146(4) sont des questions de fait. Si le juge du procès tient dûment compte de l’ensemble des circonstances pertinentes, ses conclusions ne devraient pas être modifiées « à moins qu’il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits » : Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, p. 279 (soulignement omis) (citant Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808).

[102] En l’espèce, la juge du procès a exprimé de [traduction] « sérieux doutes » quant à savoir si L.T.H. comprenait bien ses droits. Ayant accepté la preuve d’un trouble d’apprentissage, elle a fait remarquer que, [traduction] « à l’exception des réponses affirmatives données par [L.T.H.] à la question “comprenez‑vous?”, rien n’indique que [L.T.H.] a clairement compris ses droits » et que « le commentaire fait par [L.T.H.], après la lecture d’environ la moitié du formulaire, soit qu’il ne répondrait pas à toutes les questions qui lui étaient posées, m’amène à me demander s’il a réellement compris l’importance des questions qui lui étaient posées et des réponses qu’il donnait » (par. 35 et 37). Il semble ressortir des motifs de la juge du procès que, même si elle avait appliqué comme il se doit la norme de la prépondérance des probabilités à la question de savoir si la police a respecté les conditions énoncées à l’art. 146, elle serait arrivée aux mêmes conclusions.

[103] Comme le juge Fish, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’ordonnance prévoyant la tenue d’un nouveau procès et de rétablir le verdict d’acquittement.

ANNEXE

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1

146. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les règles de droit concernant l’admissibilité des déclarations faites par des personnes inculpées s’appliquent aux adolescents.

(2) La déclaration orale ou écrite faite par l’adolescent de moins de dix‑huit ans à un agent de la paix, ou à toute autre personne en autorité d’après la loi, au moment de son arrestation ou de sa détention ou dans des circonstances où l’agent ou la personne a des motifs raisonnables de croire que l’adolescent a commis une infraction n’est pas admissible en preuve contre l’adolescent, sauf si les conditions suivantes sont remplies :

a) la déclaration est volontaire;

b) la personne à qui la déclaration a été faite a, avant de la recueillir, expliqué clairement à l’adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, que :

(i) il n’est obligé de faire aucune déclaration,

(ii) toute déclaration faite par lui pourra servir de preuve dans les poursuites intentées contre lui,

(iii) il a le droit de consulter son avocat et ses père ou mère ou une tierce personne conformément à l’alinéa c),

(iv) toute déclaration faite par lui doit l’être en présence de son avocat et de toute autre personne consultée conformément à l’alinéa c), le cas échéant, sauf s’il en décide autrement;

c) l’adolescent s’est vu donner, avant de faire la déclaration, la possibilité de consulter :

(i) d’une part, son avocat,

(ii) d’autre part, soit son père ou sa mère soit, en l’absence du père ou de la mère, un parent adulte, soit, en l’absence du père ou de la mère et du parent adulte, tout autre adulte idoine qu’il aura choisi, sauf si la personne est coaccusée de l’adolescent ou fait l’objet d’une enquête à l’égard de l’infraction reprochée à l’adolescent;

d) l’adolescent s’est vu donner, dans le cas où il a consulté une personne conformément à l’alinéa c), la possibilité de faire sa déclaration en présence de cette personne.

(3) Les conditions prévues aux alinéas (2)b) à d) ne s’appliquent pas aux déclarations orales spontanées faites par l’adolescent à un agent de la paix ou à une autre personne en autorité avant que l’agent ou cette personne n’ait eu la possibilité de se conformer aux dispositions de ces alinéas.

(4) L’adolescent peut renoncer aux droits prévus aux alinéas (2)c) ou d); la renonciation doit soit être enregistrée sur bande audio ou vidéo, soit être faite par écrit et comporter une déclaration signée par l’adolescent attestant qu’il a été informé des droits auxquels il renonce.

(5) Même si la renonciation aux droits prévus aux alinéas (2)c) ou d) n’a pas été faite en conformité avec le paragraphe (4) en raison d’irrégularités techniques, le tribunal pour adolescents peut conclure à la validité de la déclaration visée au paragraphe (2) s’il estime que l’adolescent a été informé de ces droits et qu’il y a renoncé volontairement.

(6) Le juge du tribunal pour adolescents peut admettre en preuve une déclaration faite par l’adolescent poursuivi — même dans le cas où l’observation des conditions visées aux alinéas (2)b) à d) est entachée d’irrégularités techniques — , s’il est convaincu que cela n’aura pas pour effet de déconsidérer le principe selon lequel les adolescents ont droit à la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits.

(7) Dans les poursuites intentées sous le régime de la présente loi, le juge du tribunal pour adolescents peut déclarer inadmissible une déclaration faite par l’adolescent poursuivi, si celui‑ci l’a convaincu que la déclaration lui a été extorquée par contrainte exercée par une personne qui n’est pas en autorité selon la loi.

(8) Il peut également déclarer admissible toute déclaration ou renonciation de l’adolescent si, au moment où elle [est] faite, les conditions suivantes sont remplies :

a) l’adolescent prétendait avoir dix‑huit ans ou plus;

b) la personne ayant reçu la déclaration ou la renonciation a pris des mesures raisonnables pour vérifier cet âge et avait des motifs raisonnables de croire que l’adolescent avait effectivement dix‑huit ans ou plus;

c) en toutes autres circonstances, la déclaration ou la renonciation serait par ailleurs admissible.

(9) Pour l’application du présent article, l’adulte consulté en application de l’alinéa (2)c) est réputé, sauf preuve contraire, ne pas être une personne en autorité.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelant : Dalhousie Legal Aid Service, Halifax.

Procureur de l’intimée : Public Prosecution Service, Halifax.

Procureur de l’intervenante : Justice for Children and Youth, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2008 CSC 49 ?
Date de la décision : 11/09/2008
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Adolescents - Preuve - Admissibilité des déclarations - Renonciation aux droits - Le ministère public doit‑il prouver non seulement que les explications nécessaires ont été données en des termes adaptés et compréhensibles, mais aussi que l’adolescent les a comprises? - Le ministère public doit‑il le prouver hors de tout doute raisonnable? - Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 146.

L’adolescent inculpé était accusé de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. Lors de son arrestation, les policiers lui ont lu un formulaire l’informant de son droit de recourir à l’assistance d’un avocat, de consulter son père ou sa mère ou un parent adulte en privé, et de faire sa déclaration en présence de son avocat et d’un adulte. L’adolescent a dit avoir compris. Les policiers lui ont aussi lu un formulaire de renonciation à ses droits, qu’il a signé. À l’issue d’un voir-dire, la juge du tribunal pour adolescents a jugé inadmissible la déclaration de l’adolescent enregistrée sur bande vidéo. Elle a statué que le ministère public devait prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire de la déclaration et l’observation des conditions établies par l’art. 146 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA ») relativement aux déclarations faites par un adolescent à une personne en autorité. La juge n’était pas convaincue que l’adolescent avait pleinement compris ses droits et ses choix avant de faire sa déclaration. La Cour d’appel a annulé le verdict d’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish et Abella : Les droits procéduraux prévus à l’art. 146 constituent l’une des mesures supplémentaires prises par le législateur pour protéger les adolescents. Les dispositions pertinentes de l’art. 146 prévoient que la déclaration faite par un adolescent à une personne en autorité n’est pas admissible en preuve contre l’adolescent sauf si : (i) la déclaration est volontaire (al. 146(2)a)); (ii) la personne à qui la déclaration a été faite a « expliqué clairement à l’adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension », le droit de l’adolescent de garder le silence et son droit de consulter un avocat et un autre adulte idoine (ainsi que son droit d’être interrogé en présence de toute personne consultée) (al. 146(2)b)); et (iii) l’adolescent s’est vu donner la possibilité d’exercer ces droits (al. 146(2)c)). Enfin, selon le par. 146(4), l’adolescent peut, sous réserve de certaines conditions, renoncer à son droit de consulter un avocat et un adulte avant de faire une déclaration, ainsi qu’à son droit de faire sa déclaration en présence de son avocat et de cet autre adulte. [18]

Le critère servant à déterminer si l’al. 146(2)b) a été respecté est de nature objective. Il n’exige pas que le ministère public prouve que l’adolescent a effectivement compris les droits et les choix qui lui ont été expliqués. Cela dit, le respect de cette disposition suppose une démarche personnalisée, qui tienne compte de l’âge et de la compréhension de l’adolescent interrogé. Une démarche objective personnalisée doit tenir compte des connaissances de l’adolescent détenu et de ses autres caractéristiques personnelles susceptibles de fournir des indications sur son niveau de compréhension. Avant de déterminer quels mots utiliser pour expliquer ses droits à un adolescent, les policiers doivent donc faire des efforts raisonnables pour déceler l’existence de facteurs importants, comme des troubles d’apprentissage et des démêlés antérieurs avec la justice. [21] [30]

Le législateur a jugé opportun d’inclure tous les éléments énumérés au par. 146(2) comme conditions préalables à l’admissibilité d’une déclaration faite par un adolescent, et la preuve de chacun de ces éléments doit être faite hors de tout doute raisonnable. [34]

Lorsque le juge du procès n’est pas convaincu que l’adolescent a bien compris son droit de consulter un avocat et un parent et de faire une déclaration en leur présence, ou encore qu’il a bien saisi les conséquences de sa renonciation à ces droits, la déclaration de l’adolescent ne doit pas être admise en preuve. [46]

L’adoption d’une seule et même norme de preuve pour juger du respect de chacun des éléments de l’art. 146 présente des avantages importants par rapport à une approche fragmentée. En outre, elle est compatible avec les principes d’interprétation législative pertinents — en particulier la présomption de cohérence interne des textes de loi. Les dispositions de la LSJPA doivent être interprétées en harmonie les unes avec les autres. Conformément à la présomption de cohérence, l’art. 146 doit recevoir une interprétation qui s’inspire de la déclaration de principes incluse dans la LSJPA (art. 3). Ces principes mettent l’accent sur une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec l’état de dépendance et le degré de maturité des adolescents, et sur la nécessité de leur accorder, en conséquence, des garanties procédurales supplémentaires. Considéré globalement, l’art. 146 vise à assurer la réalisation de l’un des objectifs de la LSJPA — celui d’offrir des mesures de protection supplémentaires aux adolescents pour leur garantir un traitement équitable. Concrètement, l’adoption d’une norme unique permet au juge du procès de se concentrer comme il se doit sur cette tâche. [47]

La juge du procès était donc tenue de conclure à l’inadmissibilité des déclarations si elle n’était pas convaincue hors de tout doute raisonnable que les droits garantis à l’adolescent lui avaient été expliqués en des termes adaptés à sa compréhension ou si elle avait un doute raisonnable quant à la compréhension par l’adolescent de son droit de consulter un avocat et, partant, quant à la validité de sa renonciation. Il ressort clairement de ses motifs qu’il subsistait un doute raisonnable dans son esprit sur ces deux points. [52]

Les questions de savoir si l’adolescent détenu a obtenu des explications claires au sujet de ses droits et des choix qui lui étaient offerts et s’il a suffisamment compris ces droits pour y renoncer valablement constituent essentiellement des questions de fait. En l’occurrence, la conclusion de la juge du procès est étayée par le dossier et commande la déférence de la Cour. Il n’existe aucune raison de modifier sa décision sur l’admissibilité de la déclaration. [55-56]

Les juges Deschamps, Charron et Rothstein : La norme de common law applicable aux questions préliminaires qui conditionnent l’admissibilité de la preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable relativement à l’al. 146(2)b) et au par. 146(4) créerait une incohérence entre ces dispositions et toutes les autres conditions préalables d’admissibilité de la preuve issues de la common law. Dans le cas de la renonciation à un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, et notamment au droit à l’assistance d’un avocat, il est bien établi que la norme applicable est celle de la prépondérance des probabilités. Une conclusion contraire créerait une hiérarchie des droits garantis par la Charte, ce qui irait à l’encontre du principe établi par notre Cour. L’application de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable irait à l’encontre du par. 146(1), où il est clairement indiqué que les règles de la common law concernant l’admissibilité des déclarations s’appliquent à l’obligation d’information et aux conditions de renonciation. Notre Cour ne doit pas retenir une interprétation qui imposerait implicitement une condition que le législateur n’a pas édictée et qui serait incompatible avec les inférences qui découlent nécessairement des autres termes utilisés par le législateur. Pour ces motifs, c’est la norme de la prépondérance des probabilités qu’il faut appliquer pour déterminer si l’obligation d’information et les conditions de renonciation énoncées à l’art. 146 ont été remplies. [98-100]

Il semble ressortir des motifs de la juge du procès que, même si elle avait appliqué comme il se doit la norme de la prépondérance des probabilités à la question de savoir si la police a respecté les conditions énoncées à l’art. 146, elle serait arrivée aux mêmes conclusions. En l’absence d’une erreur manifeste et dominante ayant faussé son appréciation des faits, ses conclusions ne doivent pas être modifiées. [101-102]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : L.T.H.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Fish
Arrêts mentionnés : Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41
R. c. C.G., 1986 CarswellOnt 1556
R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504
R. c. J. (J.T.), [1990] 2 R.C.S. 755
R. c. Yensen, [1961] O.R. 703
Re A., [1975] 5 W.W.R. 425
R. c. B.S.M. (1995), 100 Man. R. (2d) 151
R. c. S. (S.) (2007), 222 C.C.C. (3d) 545, 2007 ONCA 481
R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, 2007 CSC 48
R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236
Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383
R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233
R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869
R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173
R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199
R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339
R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653.
Citée par le juge Rothstein
Arrêts mentionnés : R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653
R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938
R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339
Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599
Prosko c. The King (1922), 63 R.C.S. 226
Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262
Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640
R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, 2007 CSC 48
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
R. c. White, [1998] 2 R.C.S. 72
R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56
R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58
R. c. Terceira (1998), 15 C.R. (5th) 359, conf. par [1999] 3 R.C.S. 866
R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
Stewart c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 748
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151
Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41
Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383
R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199
R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951
R. c. Wills (1992), 70 C.C.C. (3d) 529
R. c. Young (1997), 116 C.C.C. (3d) 350
Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835
M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157
Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769, 2002 CSC 23
Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710, 2002 CSC 86
R. c. Hamelin (2001), 297 A.R. 201, 2001 ABQB 742
Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254
Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 10, 11b), 14, 24(2).
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 3, 146.
Doctrine citée
Bala, Nicholas. Youth Criminal Justice Law. Toronto : Irwin Law, 2003.
Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 4th ed. Toronto : Irwin Law, 2005.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.

Proposition de citation de la décision: R. c. L.T.H., 2008 CSC 49 (11 septembre 2008)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-09-11;2008.csc.49 ?
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