COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Hydro‑Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43
Date : 20080717
Dossier : 31395
Entre :
Hydro‑Québec
Appelante
et
Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et
de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ)
Intimé
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 24)
La juge Deschamps (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella, Charron et Rothstein)
* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.
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Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), [2008] 2 R.C.S. 561, 2008 CSC 43
Hydro‑Québec Appelante
c.
Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et
de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ) Intimé
Répertorié : Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ)
Référence neutre : 2008 CSC 43.
No du greffe : 31395.
2008 : 22 janvier; 2008 : 17 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Hilton, Bich et Dufresne), [2006] R.J.Q. 426, [2006] R.J.D.T. 1, [2006] J.Q. no 907 (QL), 2006 CarswellQue 770, 2006 QCCA 150, qui a infirmé une décision de la juge Matteau, [2004] J.Q. no 11048 (QL), 2004 CarswellQue 3043. Pourvoi accueilli.
Robert Bonhomme, Robert Dupont et Julie Lapierre, pour l’appelante.
Richard Bertrand, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
[1] La juge Deschamps — Le pourvoi requiert que la Cour se penche à nouveau sur les règles protégeant l’employé qui s’absente pour un motif non fautif et celles régissant le contrat de travail. Plus particulièrement, la Cour est appelée à s’interroger sur l’interaction entre l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement à l’égard d’un employé malade et l’obligation de l’employé de fournir sa prestation de travail. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel et je confirmerais le jugement de la Cour supérieure rejetant la demande de révision judiciaire de la sentence arbitrale en cause.
1. Exposé des faits et historique des procédures
[2] L’emploi de la plaignante chez l’appelante, Hydro-Québec, est marqué par de nombreux problèmes physiques et mentaux : tendinites, épicondylites, bursite, nombreuses interventions chirurgicales liées à des problèmes variés, prise de médicaments en raison d’autres problèmes physiques variés (hypothyroïdie, hypertension, etc.), dépressions situationnelles et trouble de la personnalité mixte avec des traits de caractère borderline et de dépendance.
[3] Le dossier d’absences de la plaignante indique qu’elle a manqué 960 jours de travail entre le 3 janvier 1994 et le 19 juillet 2001, soit les sept dernières années et demie de son emploi chez Hydro-Québec. Ces absences sont expliquées par les multiples problèmes qu’éprouve la plaignante. L’un des principaux problèmes est que le trouble de personnalité dont souffre la plaignante entraîne une carence de ses mécanismes d’adaptation et que ses relations avec ses supérieurs et collègues de travail sont de ce fait difficiles. Au fil des ans, l’employeur procède à des ajustements des conditions de travail de la plaignante pour tenir compte des limites de cette dernière : travail léger, retour progressif au travail après une dépression, etc. De même, à la suite d’une réorganisation administrative qui a pour effet d’éliminer le poste de la plaignante et de la rendre surnuméraire, l’employeur lui attribue un poste qui ne lui revient pas malgré l’absence de consentement du syndicat.
[4] Au moment de son congédiement, le 19 juillet 2001, la plaignante ne s’était pas présentée au travail depuis le 8 février de la même année et avait été vue par son médecin traitant qui avait prescrit un arrêt de travail d’une durée indéterminée « jusqu’à ce que le conflit de travail soit réglé ». L’employeur avait aussi obtenu une expertise d’un psychiatre, lequel avait notamment conclu que la plaignante ne serait plus en mesure de fournir « une prestation de services régulière et continue sans continuer à présenter un problème d’absentéisme comme [. . .] dans le passé ». La lettre de l’employeur informant la plaignante de son congédiement administratif fait état de son absentéisme, de son incapacité de fournir une prestation « régulière et raisonnable » et d’un pronostic défavorable concernant l’amélioration de son assiduité au travail. Alléguant que le congédiement n’est pas justifié, la plaignante dépose un grief.
[5] L’arbitre saisi du dossier rejette le grief. Il est d’avis « que l’[e]mployeur pouvait en principe mettre fin au contrat de travail qui le liait à la plaignante dans la mesure où il pouvait faire la preuve qu’au moment où fut prise cette décision administrative, la plaignante ne pouvait, dans un avenir raisonnablement prévisible, remplir la prestation de travail soutenue et régulière prévue au contrat ». L’arbitre indique que, selon les experts patronaux, aucun médicament ne permet de traiter efficacement une affection comme un trouble de la personnalité, et que la psychothérapie permet tout au plus d’apporter une très légère atténuation des symptômes. Ces experts estiment le risque de rechute dépressive à plus de 90 p. 100. Selon eux, « le futur sera à l’image du passé ». Par ailleurs, l’arbitre retient que l’expert du Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) (« Syndicat »), qui représente la plaignante et est intimé devant notre Cour, est d’avis que la plaignante pourrait
effectuer une prestation de travail satisfaisante dans la mesure où l’on réussit à éliminer les stresseurs qui affectent la plaignante, et provoquent son incapacité, tant ceux qui proviennent du travail que ceux qui proviennent de ses rapports avec sa famille immédiate. Il propose un changement complet du milieu de travail de la plaignante.
[6] L’arbitre conclut que, compte tenu des particularités de la maladie de la plaignante, si la suggestion de l’expert du Syndicat était retenue « l’[e]mployeur devrait fournir périodiquement, sur une base récurrente, un nouvel environnement de travail, un nouveau supérieur immédiat et de nouveaux collègues de travail, pour suivre l’évolution du cycle amour-haine que [. . .] la plaignante entretiendra avec ses supérieurs et ses collègues ». L’arbitre souligne que la condition de la plaignante dépend aussi de facteurs qui ne relèvent pas de l’employeur, que celui-ci ne peut, comme le requerrait la suggestion de l’expert du Syndicat, supprimer les facteurs de stress liés au milieu familial de la plaignante. Pour l’arbitre, les conditions suggérées par l’expert du Syndicat constitueraient une contrainte excessive. Selon lui, l’employeur a agi de façon correcte, patiente, voire tolérante envers la plaignante. Il rejette le grief. Le Syndicat demande alors la révision judiciaire de la décision de l’arbitre.
[7] La juge Matteau de la Cour supérieure signale d’entrée de jeu que la maladie dont souffre la plaignante constitue un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, et que la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante est fondée sur l’incapacité de celle-ci de fournir une prestation de travail régulière et soutenue en raison de son état de santé ([2004] J.Q. no 11048 (QL), par. 29-30). La juge s’interroge sur l’évaluation par l’arbitre de l’obligation d’accommodement. Elle rejette la prétention du Syndicat selon laquelle l’employeur devait démontrer que les absences de la plaignante entraîneraient des « répercussions insurmontables ». Selon la juge,
[l]es conclusions de l’arbitre quant à l’obligation d’accommodement sont donc justes et prennent appui sur les opinions émises par les différents psychiatres qui ont examiné la salariée. Même si son raisonnement ne fait pas clairement référence aux différentes étapes établies par la Cour suprême, l’arbitre en est arrivé à la conclusion que la décision de l’employeur n’était pas discriminatoire. Il s’agit d’une conclusion conforme aux dispositions de la Charte [des droits et libertés de la personne], ainsi qu’aux enseignements de la Cour suprême sur cette question. [par.51]
Face à ce résultat, le Syndicat porte le jugement de la Cour supérieure en appel.
[8] La Cour d’appel exprime l’avis que l’incapacité de la plaignante n’est pas totale et que l’arbitre a mal appliqué l’analyse établie dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »). Selon la Cour d’appel, l’employeur devait prouver qu’il lui était impossible de composer avec les caractéristiques de la plaignante. De plus, la cour estime que l’arbitre ne devait pas uniquement tenir compte des absences, car l’obligation d’accommodement doit être évaluée au moment de la décision de mettre fin à l’emploi ([2006] R.J.Q. 426, 2006 QCCA 150).
2. Question en litige
[9] L’application de l’analyse établie dans l’arrêt Meiorin est au cœur du pourvoi. Devant la Cour supérieure et devant la Cour d’appel, seule l’étendue de l’obligation d’accommodement a réellement fait l’objet du débat, les deux cours énonçant brièvement l’assujettissement de l’employeur à cette obligation (C.S., par. 29-31; C.A., par. 63-64). Devant notre Cour, l’appelante a aussi soutenu qu’il n’y avait pas discrimination à première vue et que les règles concernant l’accommodement ne s’appliquaient donc pas. Quant à lui, l’intimé a contesté que l’employeur ait démontré que sa norme d’assiduité au travail était nécessaire pour que l’entreprise puisse atteindre ses objectifs. Les conditions préalables à l’existence de l’obligation d’accommodement ne sont pas vraiment contestées. Le véritable débat porte plutôt sur l’interprétation et l’application de la norme de la contrainte excessive.
3. Analyse
[10] La lecture de l’arrêt de la Cour d’appel révèle deux problèmes. Le premier est que la norme qu’a utilisée la Cour d’appel pour décider si l’employeur a satisfait à son obligation d’accommodement consistait à se demander s’« il lui était impossible de composer avec [les] caractéristiques [de la plaignante] » et le second est que le moment retenu par la cour pour apprécier l’obligation d’accommodement est celui de la décision de congédier.
A. Norme à satisfaire pour démontrer une contrainte excessive
[11] Malgré le nombre important de décisions portant sur les règles élaborées dans l’arrêt Meiorin, il semble que le concept de contrainte excessive présente des difficultés. Il convient donc de revenir sur certains éléments qui, dans la présente affaire, ont causé des problèmes d’interprétation. Dans un premier temps, il est utile de rappeler l’analyse, telle qu’elle a été formulée dans Meiorin (par. 54) :
L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :
(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[12] La pertinence de l’analyse n’est pas remise en question. Un problème d’interprétation se pose cependant en l’espèce et il semble provenir de l’utilisation du mot « impossible ». Or, si on lit l’explication de l’analyse donnée par la juge McLachlin, on voit que l’expression est liée à la contrainte excessive (par. 55) :
Cette méthode est fondée sur la nécessité d’établir des normes qui composent avec l’apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d’un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l’a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool, [[1990] 2 R.C.S. 489], à la p. 518, « [s]’il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d’imposer une règle donnée aux membres d’un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une EPJ] ». Il s’ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu’aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu’elle existe n’est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l’existence de discrimination n’est pas réfutée. [Je souligne.]
Ce qui est véritablement requis ce n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances. C’est ce qui ressort des commentaires additionnels fournis dans l’arrêt Meiorin concernant la contrainte excessive (par. 63) :
Par exemple, en étudiant la question de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable dans Central Alberta Dairy Pool, précité, aux pp. 520 et 521, le juge Wilson a abordé les facteurs qui peuvent être pris en considération en évaluant l’obligation d’un employeur de composer avec un employé tant qu’il n’en résulte pas pour lui une contrainte excessive. Parmi les facteurs pertinents, il y a le coût de la méthode d’accommodement possible, l’interchangeabilité relative des employés et des installations, de même que la perspective d’atteinte réelle aux droits d’autres employés. Voir également l’arrêt Renaud, [[1992] 2 R.C.S. 970], à la p. 984, le juge Sopinka. Les divers facteurs ne sont pas consacrés, sauf dans la mesure où ils sont inclus ou écartés expressément par la loi. De toute manière, comme le juge Cory l’a souligné dans Chambly, [[1994] 2 R.C.S. 525], à la p. 546, « [i]l y a lieu de les appliquer d’une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas ».
[13] Ainsi que l’indiquent ces passages, l’obligation d’accommodement dans un contexte d’emploi implique que l’employeur est tenu de faire preuve de souplesse dans l’application de sa norme si un tel assouplissement permet à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. Dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27, la juge L’Heureux-Dubé a bien exprimé l’objet de la protection des personnes handicapées dans ce contexte (par. 36) :
La législation canadienne en matière de droits de la personne envisage essentiellement la protection contre la discrimination et la jouissance des droits et libertés y garantis. Dans le domaine de l’emploi, son objet plus particulier est de mettre fin à une exclusion arbitraire basée sur des idées préconçues à l’égard de caractéristiques personnelles qui, tout en tenant compte du devoir d’accommodement, n’affectent aucunement la capacité de faire le travail.
[14] Comme le dit la juge L’Heureux-Dubé, les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.
[15] L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. Le fardeau qu’a imposé la Cour d’appel en l’espèce est mal formulé. Voici ce qu’a dit la Cour d’appel :
Hydro-Québec n’a pas fait la preuve que, à la suite des évaluations de [la plaignante], il lui était impossible de composer avec ses caractéristiques, alors que certaines mesures étaient envisageables et même proposées par les experts. [Je souligne; par. 100.]
[16] Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.
[17] En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l’employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l’employé de fournir sa prestation de travail, l’employeur devra alors ainsi accommoder l’employé. Ainsi, dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, 2007 CSC 4, l’employeur avait autorisé des absences non prévues à la convention collective. De même, en l’espèce, Hydro-Québec a tenté pendant plusieurs années d’adapter les conditions de travail de la plaignante : aménagement physique du poste de travail, horaires à temps partiel, attribution d’un nouveau poste, etc. Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive.
[18] L’incapacité totale d’un salarié de fournir toute prestation de travail dans un avenir prévisible n’est donc pas le critère de détermination de la contrainte excessive. Lorsque les caractéristiques d’une maladie sont telles que la bonne marche de l’entreprise est entravée de façon excessive ou lorsque l’employeur a tenté de convenir de mesures d’accommodement avec l’employé aux prises avec une telle maladie, mais que ce dernier demeure néanmoins incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible, l’employeur aura satisfait à son obligation. Dans ces circonstances, l’impact causé par la norme est légitime et le congédiement sera réputé non discriminatoire. Je reprends à mon compte l’énoncé de la juge Thibault dans l’arrêt que cite la Cour d’appel, Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), [2005] R.J.Q. 944, 2005 QCCA 311, « [dans ces cas] ce n’est pas tant son handicap qui fonde la mesure de congédiement que son incapacité de remplir les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail » (par. 76).
[19] L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.
B. Le moment de l’accommodement
[20] La Cour d’appel a estimé que l’obligation d’accommodement devait être évaluée au moment de la décision de congédier la plaignante. Elle s’est exprimée ainsi :
Malgré cela, peut-on affirmer qu’Hydro-Québec, ayant en main des rapports d’expertise relativement défavorables à [la plaignante], a fait la preuve qu’elle avait envisagé toutes les mesures d’accommodement raisonnablement possibles au moment de congédier [la plaignante]? [Je souligne; en italique dans l’original; par. 78.]
Il convient de souligner que la décision de la Cour d’appel a été prononcée avant que notre Cour ne rende l’arrêt Centre universitaire de santé McGill. Dans cette affaire, notre Cour a infirmé la décision de la Cour d’appel, qui retenait comme pertinente la date du congédiement. Notre Cour a opté pour une évaluation globale de l’obligation d’accommodement qui tient compte de l’ensemble de la période pendant laquelle l’employée s’était absentée (par. 33) :
La Cour d’appel semble estimer que l’obligation d’accommodement devait être appréciée au moment où l’employée s’était vu en définitive refuser une mesure additionnelle (par. 31). À mon avis, cette approche repose sur une compartimentation des différents problèmes de santé de l’employée. La contrainte excessive résultant de l’absence de l’employée doit s’évaluer globalement à compter du moment où l’employée s’absente et non à l’expiration de la période de trois ans.
[21] En l’espèce, la Cour d’appel a appliqué de façon tout aussi inappropriée une approche compartimentée. La décision de congédier un employé parce qu’il ne peut fournir sa prestation dans un avenir raisonnablement prévisible doit nécessairement reposer sur une évaluation de l’ensemble de la situation. Lorsque, comme en l’espèce, une maladie a causé des absences dans le passé, que l’employeur a pris des mesures d’accommodement en faveur de l’employé pendant plusieurs années et que le pronostic des médecins est peu optimiste en ce qui a trait à une amélioration de l’assiduité au travail, ni l’employeur ni l’employé ne peuvent faire abstraction du passé pour évaluer la contrainte excessive.
[22] L’approche de la Cour d’appel l’a amenée à reprocher à l’employeur de n’avoir pas tenté de composer avec la plaignante après le 8 février 2001, soit le dernier jour où elle s’est présentée au travail. Même si l’employeur n’avait pas connu les causes de l’absentéisme de la plaignante au moment où il a consenti à des mesures d’accommodement, il n’en demeure pas moins que le dossier personnel de cette dernière, y compris le relevé de ses absences passées, conservait toute sa pertinence pour bien contextualiser le pronostic des experts pour la période postérieure au 8 février. En l’espèce, la Cour d’appel a considéré que l’employeur ne connaissait pas la nature des troubles mentaux de la plaignante et ne pouvait donc pas avoir pris de mesures à cet égard. Ayant cru déceler une erreur dans l’approche de l’arbitre, la Cour d’appel a réinterprété la preuve et conclu qu’un retour progressif au travail était une mesure d’accommodement possible. J’estime plutôt que c’est la Cour d’appel qui a commis une erreur et qu’elle n’aurait pas dû intervenir dans l’évaluation de la preuve faite par l’arbitre.
4. Conclusion
[23] Je conclus donc que la décision de la Cour d’appel est entachée de deux erreurs de droit, l’une portant sur la norme d’évaluation de la contrainte excessive et l’autre portant sur le moment pertinent pour décider si l’employeur a satisfait à son obligation d’accommodement. Par contre, l’arbitre, n’a commis aucune erreur de droit et rien ne justifiait d’intervenir à l’égard de son appréciation des faits.
[24] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de confirmer le jugement de la Cour supérieure rejetant la requête en révision judiciaire, le tout avec dépens devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Heenan Blaikie, Montréal; Affaires juridiques, Hydro‑Québec, Montréal.
Procureurs de l’intimé : Trudel, Nadeau, Montréal.
* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.