La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2008 | CANADA | N°2008_CSC_35

Canada | Stein c. Stein, 2008 CSC 35 (12 juin 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Stein c. Stein, [2008] 2 R.C.S. 263, 2008 CSC 35

Date : 20080612

Dossier : 31704

Entre :

Wayne Stein

Appelant

et

Malka Stein

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 21)

Motifs dissidents :

(par. 22 à 38)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Fish et Roth

stein)

La juge Abella

______________________________

Stein c. Stein, [2008] 2 R.C.S. 263, 2008 CSC 35

Wayne Stein Appelant

c.

Malka Stein Intimée
...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Stein c. Stein, [2008] 2 R.C.S. 263, 2008 CSC 35

Date : 20080612

Dossier : 31704

Entre :

Wayne Stein

Appelant

et

Malka Stein

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 21)

Motifs dissidents :

(par. 22 à 38)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Fish et Rothstein)

La juge Abella

______________________________

Stein c. Stein, [2008] 2 R.C.S. 263, 2008 CSC 35

Wayne Stein Appelant

c.

Malka Stein Intimée

Répertorié : Stein c. Stein

Référence neutre : 2008 CSC 35.

No du greffe : 31704.

2008 : 1er février; 2008 : 12 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Saunders, Levine et Thackray), [2006] 11 W.W.R. 119, 230 B.C.A.C. 100, 380 W.A.C. 100, 56 B.C.L.R. (4th) 245, 36 R.F.L. (6th) 13, [2006] B.C.J. No. 2020 (QL), 2006 CarswellBC 2214, 2006 BCCA 391, qui a infirmé en partie une décision du juge Romilly, [2005] B.C.J. No. 1447 (QL), 2005 CarswellBC 1535, 2005 BCSC 939. Pourvoi accueilli, la juge Abella est dissidente.

Georgialee A. Lang et Benjamin J. Ingram, pour l’appelant.

Susan G. Label et Marie-France Major, pour l’intimée.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish et Rothstein rendu par

[1] Le juge Bastarache — Le pourvoi soulève une question d’interprétation législative. Il s’agit plus particulièrement de déterminer si la Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128 (« FRA »), empêche le prononcé d’une ordonnance partageant entre les conjoints, lors du divorce, une dette éventuelle dont la valeur ne peut être déterminée au moment du procès. Voici les dispositions pertinentes de la FRA :

[traduction]

56 (1) Sous réserve de la présente partie et de la partie 6, à compter du 31 mars 1979, chaque conjoint a droit à un intérêt dans chaque bien familial lorsque intervient pour la première fois

. . .

c) une ordonnance de dissolution du mariage ou de séparation judiciaire.

(2) L’intérêt visé au paragraphe (1) correspond à une moitié indivise des biens familiaux détenue en tenance commune.

. . .

65 (1) Lorsque le partage des biens entre les conjoints conformément à l’article 56, à la partie 6 ou à leur contrat de mariage, selon le cas, serait inéquitable compte tenu

a) de la durée du mariage,

b) de la durée de la séparation de fait,

c) de la date d’acquisition ou d’aliénation d’un bien,

d) de la mesure dans laquelle un bien a été acquis par l’un des conjoints par voie de succession ou de donation,

e) des besoins de chaque conjoint pour devenir ou demeurer autonome financièrement,

f) de toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien, ou aux moyens ou obligations d’un conjoint,

la Cour suprême peut, sur demande, ordonner le partage des biens visés à l’article 56, à la partie 6 ou au contrat de mariage, selon le cas, dans les proportions qu’elle fixe.

. . .

66 (1) Dans une instance engagée en application de la présente partie ou de la partie 6, ou sur demande, la Cour suprême peut statuer sur toute question concernant le droit de propriété, le droit de possession ou le partage d’un bien régi soit par la présente partie, y compris sur la dévolution d’un bien en vertu de l’article 65, soit par la partie 6, et elle peut rendre les ordonnances nécessaires, raisonnables ou accessoires pour donner effet à sa décision.

(2) Dans une ordonnance rendue en vertu du présent article, la Cour peut, sans préjudice du paragraphe (1), prendre une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) attribuer un droit de propriété ou un droit de possession sur un bien;

b) ordonner que, lors d’un partage, le titre de propriété d’un bien déterminé, octroyé à un conjoint, lui soit transféré, soit placé en fiducie à son bénéfice ou lui soit dévolu, sans réserve, sa vie durant ou pour une durée déterminée;

c) ordonner à l’un des conjoints d’indemniser l’autre par suite de l’aliénation d’un bien ou afin d’équilibrer le partage;

d) ordonner la division ou la vente d’un bien et le paiement du produit de la vente à l’un des conjoints ou aux deux conjoints, chacun recevant la part ou le montant qu’elle détermine;

e) ordonner que les biens formant la part, en tout ou en partie, de l’un ou l’autre des conjoints ou des deux conjoints soient transférés ou dévolus à un enfant ou placés en fiducie à son bénéfice;

f) ordonner à un conjoint de fournir une sûreté pour garantir l’exécution d’une obligation que lui impose une ordonnance en vertu du présent article, y compris une charge sur un bien, et ordonner qu’il renonce par écrit aux droits, aux avantages et à la protection que lui confèrent l’article 23 de la Chattel Mortgage Act, R.S.B.C. 1979, ch. 48, ou l’article 19 de la Sale of Goods on Condition Act, R.S.B.C. 1979, ch. 373;

g) lorsqu’un bien appartient aux conjoints en tenance conjointe, mettre fin à la tenance conjointe.

. . .

[2] En l’espèce, le juge de première instance a partagé des biens d’une valeur de plus de 1,7 million de dollars entre les parties, qui ont été mariées pendant 12 ans. Durant le mariage, M. Stein, l’appelant, a subvenu aux besoins financiers de la famille, et Mme Stein, l’intimée, s’est occupée de la maison et de l’éducation des deux enfants du couple. Lors du divorce, le juge de première instance a ordonné le partage des biens en parts égales. Dans le cadre de ce partage, la propriété de la maison familiale a été attribuée à Mme Stein alors que M. Stein a conservé ses intérêts dans l’entreprise familiale. Les deux parties ont reçu des droits importants sur les comptes bancaires, les investissements et les REER de la famille.

[3] Le juge de première instance a également tenu compte des dettes et obligations contractées pendant le mariage. Il a équilibré la valeur des biens attribués à Mme Stein en fonction de la dette que M. Stein continuerait à assumer. Par la suite, il a conclu que, pendant le mariage, les deux parties avaient tiré avantage des abris fiscaux enregistrés au nom de l’appelant et que toute dette éventuelle y afférente devait donc être partagée en parts égales entre elles. La preuve d’expert, qui n’a pas été contestée, a toutefois démontré qu’il était impossible d’établir la valeur des abris fiscaux qui n’avaient pas encore été liquidés. Le juge de première instance a donc ordonné que les parties [traduction] « assument à parts égales toute dette découlant de l’établissement de nouvelles cotisations relatives aux abris fiscaux ou de leur liquidation » ([2005] B.C.J. No. 1447 (QL), 2005 BCSC 939, par. 48).

[4] La Cour d’appel a infirmé cette décision et statué que la FRA empêche le tribunal de procéder, comme l’avait fait le juge du procès, à un partage « distinct » de la dette ((2006), 56 B.C.L.R. (4th) 245, 2006 BCCA 391). Elle a conclu que, compte tenu de la nature conjecturale de la dette, il était impossible d’équilibrer rationnellement les biens en fonction de la dette éventuelle et que, par conséquent, seul M. Stein en serait responsable. C’est cette conclusion que l’appelant conteste dans le présent pourvoi.

[5] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi. La FRA ne fait pas obstacle à une ordonnance qui partage, entre les conjoints, une dette éventuelle dont la valeur ne peut être déterminée au moment du procès, et il ne s’agit pas d’un cas où d’autres facteurs l’emporteraient sur le fait que les deux parties ont tiré avantage des abris fiscaux susceptibles de générer les dettes éventuelles. Le juge du procès a conclu que M. et Mme Stein sont tous deux stables financièrement et qu’ils ont tous deux tiré avantage des abris fiscaux. L’équité exige donc que soit rétablie l’ordonnance initiale prévoyant que les parties assumeront la dette éventuelle à parts égales. J’expliquerai ci‑après cette conclusion de façon plus approfondie.

Analyse

A. Partage des dettes éventuelles sous le régime de la FRA

[6] Selon la FRA, chacun des conjoints est présumé, lors de la rupture du mariage, avoir droit à la moitié des biens familiaux (FRA, par. 56(1) et (2)). Cette loi est muette quant au partage des dettes; elle autorise toutefois le tribunal à répartir les biens autrement qu’en parts égales lorsqu’un tel partage serait « inéquitable » compte tenu d’un certain nombre de facteurs (FRA, par. 65(1)). Les « obligations d’un conjoint » constituent un facteur susceptible de rendre un partage égal inéquitable (FRA, al. 65(1)f)).

[7] Dans Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, notre Cour a cité en l’approuvant la conclusion de la juge Southin de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, selon laquelle

[traduction] [l]e tribunal ne peut rendre un conjoint solidairement responsable envers le créancier de la dette de l’autre conjoint, peu importe à quelles fins cette dette a été contractée, ou, en l’absence d’un fondement contractuel quelconque, obliger un conjoint à indemniser l’autre, en tout ou en partie, d’une obligation qui lui incombe. [p. 133‑134]

Cette conclusion est compatible avec la FRA et elle confirme qu’une dette, en soi, ne peut être simplement partagée entre les conjoints.

[8] En l’espèce, la Cour d’appel a statué, à juste titre, que la structure de la FRA empêche la [traduction] « création d’une obligation distincte entre les parties relativement à une dette » (par. 23). Toutefois, elle a aussi conclu que pour partager une dette qui se cristallisera dans le futur, il faut nécessairement prononcer une ordonnance créant une obligation distincte de cette nature. Selon cette conclusion, le tribunal ne peut donc jamais tenir compte d’une obligation dont la valeur ne peut être établie au moment du partage initial des biens, puisqu’une ordonnance concernant un partage à venir sera dans tous les cas réputée être une ordonnance créant une obligation « distincte », plutôt qu’une « redistribution des biens ». À mon avis, cette conclusion fait obstacle à un partage équitable des biens entre les conjoints et va à l’encontre du sens ordinaire des dispositions de la FRA.

[9] Il semble aller de soi que, règle générale, il faut tenir compte à la fois de l’actif et des dettes pour assurer un résultat équitable lors de la rupture d’un mariage. Comme l’a affirmé la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Mallen c. Mallen (1992), 65 B.C.L.R. (2d) 241 :

[traduction] . . . l’égalité de traitement, que le régime législatif garantit aux deux conjoints, est une véritable égalité, ancrée dans la réalité, et non une égalité factice que l’on établirait en négligeant certains éléments et en insistant sur d’autres. Pour atteindre une véritable égalité, il faut tenir compte des dettes et des autres obligations des conjoints au moment de l’événement déclencheur, ou avant, d’une façon qui témoigne du véritable lien entre, d’une part, les dettes et, d’autre part, l’atteinte de l’égalité et d’un résultat équitable. [par. 5]

[10] D’ailleurs, dans la jurisprudence, la notion de « dettes familiales » a évolué à la faveur de la reconnaissance du fait que les conjoints contribuent tous deux non seulement à l’acquisition des biens, mais aussi à l’endettement. Bien que le régime législatif ne parle pas des « dettes familiales », les tribunaux de première instance utilisent de plus en plus fréquemment cette expression ou son équivalent anglais « family debt » (particulièrement en Colombie‑Britannique) pour désigner [traduction] « une obligation de l’un ou des deux conjoints, contractée pendant le mariage à une fin familiale » (Mallen, par. 26). L’existence même de l’expression « dettes familiales » témoigne du fait que, pour parvenir à un résultat équitable après la rupture du mariage, il faut tenir compte tout autant des dettes que des éléments d’actif.

[11] À mon avis, le fait qu’on ne puisse établir avec précision la valeur d’un bien ou d’une dette au moment de la rupture ne change rien au principe qu’il faut tenir compte de l’ensemble de la situation financière des deux conjoints pour parvenir à un résultat équitable. En ce qui concerne les éléments d’actif, les tribunaux ont conclu que les conjoints peuvent revendiquer des droits même à l’égard d’un élément [traduction] « imparfait, conditionnel, non échu ou non acquis » (Rutherford c. Rutherford (1981), 23 R.F.L. (2d) 337 (C.A.C.‑B.), p. 342. Voir également Grove c. Grove, [1996] B.C.J. No. 658 (QL) (C.S.), et Webb c. Webb (1994), 135 N.S.R. (2d) 161 (C.S.)). Je crois qu’il faut adopter la même approche en ce qui concerne les dettes — le principe de l’équité exige qu’on tienne compte des dettes, même lorsqu’on ne peut en établir pleinement la valeur au moment de la rupture.

[12] Le sens ordinaire de la FRA mène à la même conclusion. Bien qu’il soit clair que les dettes ne doivent pas être réparties entre les conjoints, la FRA ne fixe pas de limites temporelles au partage des biens. Elle n’interdit pas non plus qu’on procède à une redistribution après le partage initial des biens. Au contraire, le par. 66(1) permet à un tribunal de rendre les ordonnances « nécessaires, raisonnables ou accessoires » pour donner effet à une décision concernant le partage des biens et l’al. 66(2)c) précise que le tribunal peut ainsi notamment ordonner à l’un des conjoints « d’indemniser l’autre [. . .] afin d’équilibrer le partage ». Selon moi, cette disposition vise clairement le cas où le partage doit être « équilibré » à un moment donné après le partage initial des biens. De plus, le fait d’exiger que l’un des conjoints « indemnise l’autre » confirme qu’une redistribution à venir peut s’opérer par le versement d’une somme d’argent par un conjoint à l’autre. Ainsi, lorsque l’équité commande qu’on équilibre le partage, à quelque moment que ce soit, l’al. 66(2)c) autorise le tribunal à ordonner qu’un paiement soit effectué.

[13] Bref, je suis d’avis que la FRA ne fait pas obstacle au prononcé d’une ordonnance qui partage entre les conjoints une dette éventuelle dont la valeur ne peut être établie au moment du procès.

B. Le résultat équitable exigé par la FRA

[14] Comme nous l’avons vu, la FRA n’exige pas le partage des dettes en parts égales entre les conjoints lors de la séparation ou du divorce, et on présume au départ que seuls les biens seront partagés également. Certes, la proportion de 50 p. 100, présumée s’appliquer peut être modifiée pour tenir compte des « obligations d’un conjoint », mais la FRA énumère d’autres facteurs susceptibles de rendre ce partage inéquitable. À mon avis, il faut examiner et soupeser chacun de ces facteurs pour déterminer s’il y a lieu de déroger à la norme du partage en parts égales.

[15] Le paragraphe 65(1) permet d’équilibrer les parts lorsque le partage présumé en parts égales serait « inéquitable » compte tenu :

[traduction]

a) de la durée du mariage,

b) de la durée de la séparation de fait,

c) de la date d’acquisition ou d’aliénation d’un bien,

d) de la mesure dans laquelle un bien a été acquis par l’un des conjoints par voie de succession ou de donation,

e) des besoins de chaque conjoint pour devenir ou demeurer autonome financièrement,

f) de toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien, ou aux moyens ou obligations d’un conjoint . . .

[16] De nombreux tribunaux de première instance ont récemment statué que les « dettes familiales », contractées pour subvenir aux besoins de la famille, devraient être prises en compte dans la redistribution des biens. Je conviens que, dans le cas des dettes contractées à l’usage de la famille plutôt qu’exclusivement à un autre usage, il conviendra plus vraisemblablement de redistribuer les biens en tenant compte de la dette. L’existence d’une dette (« familiale » ou non) n’est qu’un des facteurs énumérés au par. 65(1); je suis néanmoins d’avis que le tribunal doit examiner tous les facteurs pertinents pour déterminer si le partage dans les proportions présumées est inéquitable.

C. Application à la présente espèce

[17] La Cour d’appel a conclu qu’il était inapproprié, en l’espèce, d’attribuer 50 p. 100 de la dette éventuelle à Mme Stein, notamment parce que M. Stein est davantage en mesure de demeurer financièrement autonome. Comme la Cour d’appel, je suis d’avis qu’il s’agit d’un facteur pertinent pour déterminer si la redistribution des biens est appropriée, mais je n’accepte pas la conclusion à laquelle elle arrive en dernière analyse. Comme l’a fait remarquer le juge du procès, M. et Mme Stein posséderont tous deux [traduction] « des biens importants après le partage » (par. 49) puisque des biens d’une valeur excédant 1,7 million de dollars ont été partagés entre eux. En outre, le juge a conclu que Mme Stein s’était recyclée pour travailler dans le domaine de l’animation et qu’elle serait vraisemblablement [traduction] « autonome dans un proche avenir » (par. 56). Ainsi, bien que M. Stein gagne un revenu plus élevé que Mme Stein, le tribunal a conclu que les deux conjoints étaient stables financièrement au moment du partage des biens et je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’un cas où il serait inéquitable d’exiger que les deux conjoints assument la responsabilité des dettes éventuelles se rapportant à des abris fiscaux dont ils ont tous les deux tiré avantage. Aucun des autres facteurs énumérés au par. 65(1) de la FRA ne milite en faveur de l’attribution de ce fardeau à une seule des parties; l’équité commande donc qu’il soit partagé entre elles. Bien entendu, s’il survenait des changements importants dans la situation de l’une ou l’autre des parties ou si l’incidence de l’obligation éventuelle sur l’une d’elles entraînait un résultat inéquitable, il lui serait loisible de s’adresser au tribunal pour obtenir des rajustements. Toutefois, il semblerait équitable actuellement de partager cette obligation en parts égales.

[18] Je tiens à préciser que le montant de l’obligation à partager entre les conjoints doit être un montant net, déduction faite de tout profit découlant de la propriété ou de la vente des instruments. Ainsi, si M. Stein tire des abris fiscaux un revenu qui ne se traduit pas par une augmentation de la pension alimentaire pour les enfants ou pour sa conjointe, ce revenu devra être soustrait du montant de la dette avant qu’elle soit partagée. De plus, dans le cas peu probable où M. Stein réaliserait un profit au moment de la liquidation des instruments, ce profit devra lui aussi être partagé entre les conjoints. Si Mme Stein est responsable de la moitié des dettes associées aux abris fiscaux, elle a aussi droit à la moitié du produit qu’ils généreront, le cas échéant. Selon moi, les motifs du juge du procès indiquent de façon implicite qu’il faut partager un montant net, mais je préfère le préciser ici en termes explicites.

[19] Il reste une dernière question à examiner. Au procès, le juge a conclu qu’une dette fiscale de 56 339,44 $ due par M. Stein devait être partagée en parts égales entre les parties. Il a établi la valeur des biens de Mme Stein en tenant compte de sa part de responsabilité à cet égard. Il n’a pas précisé dans ses motifs que M. Stein avait déposé un avis d’opposition à l’avis de cotisation concernant cette dette fiscale. Mme Stein a interjeté appel de cette conclusion, faisant valoir que le juge de première instance a commis une erreur en omettant d’ordonner qu’elle soit remboursée si l’opposition de M. Stein est accueillie. La Cour d’appel a rejeté cet argument. À son avis, comme M. Stein assume seul les risques associés aux abris fiscaux, il est logique qu’il soit le seul à bénéficier d’éventuelles décisions fiscales favorables (par. 32). La décision de la Cour d’appel concernant la dette fiscale de 56 339,44 $ n’est pas expressément portée en appel dans le présent pourvoi, mais il est évident que sa conclusion à cet égard est directement liée à sa conclusion concernant les abris fiscaux. Ayant statué que les conclusions de la Cour d’appel sur les dettes éventuelles afférentes aux abris fiscaux sont erronées, j’estime qu’il est nécessaire de revoir également sa conclusion connexe relative à l’avis d’opposition. Comme les conjoints ont payé à parts égales la somme de 56 339,44 $ et qu’ils assumeront à parts égales les dettes résultant soit de la liquidation des abris fiscaux soit de nouvelles cotisations relatives à ces instruments, il m’apparaît approprié de répartir, entre M. et Mme Stein, les sommes qui pourraient être remboursées à M. Stein par suite de son opposition. Devant notre Cour, l’avocat de M. Stein a admis que ce partage est nécessaire pour assurer un résultat équitable et qu’un partage en parts égales à la fois des risques et des bénéfices respecte le principe du montant net dont il a été question précédemment.

Conclusion

[20] À mon avis, le pourvoi devrait être accueilli. J’estime que la Cour d’appel a commis une erreur en statuant que la FRA empêche le partage des dettes fiscales éventuelles entre les parties et en concluant que la nature conjecturale de la dette rend impossible une redistribution équitable des biens. Selon moi, le fait qu’on procédera à cette redistribution un jour, une fois la dette cristallisée, n’est pas contraire au sens ordinaire des dispositions de la FRA. Je suis donc d’avis de rétablir l’ordonnance du juge de première instance prévoyant que les parties assumeront à parts égales toute dette découlant d’une nouvelle cotisation relativement aux abris fiscaux ou de leur liquidation, étant entendu que le partage sera effectué après déduction de tout revenu tiré de ces instruments.

[21] L’appelant a droit à ses dépens devant notre Cour. Étant donné que de nombreuses questions tranchées par les juridictions inférieures n’ont pas été plaidées devant notre Cour, il ne s’agit pas d’un cas où il conviendrait d’adjuger les dépens devant toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

[22] La juge Abella (dissidente) — Le pourvoi porte sur la question de savoir s’il est « inéquitable », au sens de l’art. 65 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, de faire supporter aux deux conjoints en parts égales une dette éventuelle relative à des abris fiscaux. L’ordonnance en ce sens du juge de première instance leur a été imposée à titre d’obligation conditionnelle distincte, étrangère et postérieure au partage des biens. Cette obligation a été imposée à l’épouse en plus de sa responsabilité quant à la moitié des dettes familiales s’élevant à 93 339 $. L’ordonnance n’a pas contraint l’époux à renoncer à la propriété exclusive des abris fiscaux, ni à créditer son épouse de la moitié du remboursement fiscal de 43 323 $ qu’il a reçu. Cette approche met fin à un courant d’interprétation des dispositions législatives de la Colombie-Britannique en matière de biens familiaux, que les tribunaux suivent presque invariablement et conformément auquel ils imposent rarement une dette indéterminée et éventuelle au conjoint le plus vulnérable sur le plan économique et, le cas échéant, ils l’assortissent habituellement d’une redistribution des biens en faveur de ce conjoint pour lui permettre d’amortir le coup sur le plan financier. (Voir, par exemple, Danish c. Danish (1981), 33 B.C.L.R. 176 (C.A.); Tearle c. Tearle, [1985] B.C.J. No. 1241 (QL) (C.S.); Moore c. Moore, [1988] B.C.J. No. 740 (QL) (C.S.); Mallen c. Mallen (1992), 65 B.C.L.R. (2d) 241 (C.A.); McAlister c. McAlister, [1996] B.C.J. No. 150 (QL) (C.S.); D.G.A. v. K.J.A., [2003] B.C.J. No. 2711 (QL), 2003 BCSC 1736, et G. (J.S.) v. G. (A.G.) (2005), 20 R.F.L. (6th) 143, 2005 BCSC 1457.)

[23] Compte tenu des différences considérables entre la situation financière, le savoir et l’expérience de chaque conjoint, j’estime que la répartition de la dette fiscale éventuelle en parts égales par le juge de première instance est manifestement inéquitable envers l’épouse.

[24] Voici les dispositions législatives pertinentes :

[traduction]

65 (1) Lorsque le partage des biens entre les conjoints conformément à l’article 56, à la partie 6 ou à leur contrat de mariage, selon le cas, serait inéquitable compte tenu

a) de la durée du mariage,

. . .

e) des besoins de chaque conjoint pour devenir ou demeurer autonome financièrement,

f) de toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien, ou aux moyens ou obligations d’un conjoint,

la Cour suprême peut, sur demande, ordonner le partage des biens visés à l’article 56, à la partie 6 ou au contrat de mariage, selon le cas, dans les proportions qu’elle fixe.

[25] Comme l’énonce la loi, l’équité est le principe prépondérant. En droit de la famille, l’équité tient scrupuleusement compte des conséquences économiques des choix faits par les conjoints quant à la répartition des responsabilités familiales. La dissidence du juge Laskin dans Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423, a ouvert la voie à ce courant philosophique, qui a fait une véritable percée dans l’opinion majoritaire du juge Dickson dans Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436, et connu son apogée jurisprudentiel dans Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813.

[26] Cette révolution en droit de la famille est à l’origine du principe selon lequel la décision d’accomplir, au foyer, un travail non rémunéré au profit de la famille et celle d’accomplir un travail rémunéré à l’extérieur du foyer doivent être reconnues au même titre l’une que l’autre lorsqu’il s’agit d’évaluer les conséquences économiques d’une séparation. La reconnaissance de ces deux formes de travail comme des contributions équivalentes à la situation financière de la famille visait à remédier à la dépendance et au désavantage économiques traditionnels que subissait l’un des conjoints, généralement l’épouse, pour s’être consacré aux tâches domestiques non rémunérées. En droit de la famille, l’équité en est donc venue à signifier, entre autres choses, qu’il faut faire des aménagements pour tenir compte des capacités réduites de gagner un revenu de la conjointe qui s’est retirée du marché du travail rémunéré au profit de la famille et qui, en conséquence, éprouve des difficultés à réintégrer ce marché plusieurs années plus tard.

[27] L’ordonnance du juge de première instance qui est portée en appel ne reflète pas autant qu’elle le devrait les fruits de cette évolution historique. Le juge n’en a pas tenu compte non plus en réduisant la pension alimentaire de 3 000 $, que recevait provisoirement l’épouse, pour la fixer à 2 500 $, en plus d’en limiter la durée à 3 ans. Il était totalement irréaliste de s’attendre à ce que l’épouse remédie en seulement 3 ans aux conséquences économiques de son retrait du marché du travail pendant 12 ans. La Cour d’appel a reconnu ces erreurs relatives au montant et à la durée limitée de la pension alimentaire. Aussi a‑t‑elle assoupli l’échéance de l’ordonnance et haussé la pension alimentaire de l’épouse à 4 200 $ par mois conformément aux Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux. Bien que cet aspect de l’ordonnance du juge de première instance ne soit pas porté en appel, je le mentionne parce qu’il permet de mieux comprendre à quel point son ordonnance attribuant la moitié de la dette fiscale à l’épouse reposait sur une appréciation indûment limitée de sa situation.

[28] La disparité des situations financières des conjoints est considérable. Au moment de la séparation, Malka Stein s’était retirée du marché du travail rémunéré depuis 12 ans pour prendre soin de la maison et des deux enfants, dont un avait besoin d’une attention particulière. Pendant la plupart des années qu’a duré le mariage, elle n’avait pas de compte bancaire à son nom, pas de carte de crédit secondaire jumelée à la carte de crédit de son mari et pas d’argent à elle.

[29] Après la séparation, elle a suivi une formation en animation. Selon les conclusions du juge de première instance, son avenir professionnel dans cette nouvelle carrière est loin d’être assuré. Il a noté qu’elle [traduction] « semble bien préparée pour joindre l’industrie de l’animation qui est en plein essor », qu’elle « prévoit gagner de 30 000 $ à 40 000 $ par année si elle obtient un emploi à temps plein », et qu’elle « espère gagner plus si elle peut obtenir des contrats pour son entreprise » ([2005] B.C.J. No. 1447 (QL), 2005 BCSC 939, par. 13 (je souligne)). Ce n’est pas ainsi qu’on s’exprimerait pour parler de sécurité financière.

[30] En revanche, la situation financière de Wayne Stein est stable et très confortable. Il touche annuellement un revenu total brut de 233 675 $. En plus de certains investissements, il détient un intérêt de un quart dans une entreprise familiale — intérêt évalué à 650 000 $ par le juge du procès. Homme d’affaires expérimenté, il s’occupait seul des finances du ménage. La résidence familiale était enregistrée à son nom.

[31] La possibilité que cette disparité s’accentue est encore plus grande lorsqu’on tient compte du fait que la dette attribuée aux deux conjoints est incertaine, éventuelle et indéterminée. Pour reprendre les propos du juge Saunders de la Cour d’appel :

[traduction] La dette est liée aux abris fiscaux qui n’ont été ni évalués, ni même mentionnés dans le partage des biens ordonné par le juge de première instance. . .

. . . En l’espèce, la preuve établit que l’ampleur de la dette est hautement hypothétique. Rien dans le dossier ne pourrait servir de fondement à un rajustement rationnel des éléments d’actif pour tenir compte de cette obligation potentielle.

((2006), 56 B.C.L.R. (4th) 245, 2006 BCCA 391, par. 25‑26)

[32] Comme en a convenu la Cour d’appel, un mari qui gagne près d’un quart de million de dollars par année et qui a la capacité financière d’acquérir davantage de biens est nettement mieux placé que son épouse qui ne gagnera pas plus de 40 000 $ pour s’ajuster et réagir à la survenance d’une importante dette fiscale. Les conséquences de cette dette pourraient certes être sérieuses pour lui, mais elles demeureraient supportables. En revanche, l’épouse pourrait fort bien perdre la maison où elle vit avec les enfants. Encore une fois, les remarques de la Cour d’appel sont fort à propos :

[traduction] . . . le revenu de M. Stein et, partant, sa capacité à rester autosuffisant et autonome financièrement, excèdent de loin ceux de Mme Stein, et cette disparité persistera vraisemblablement à l’avenir. Il est en meilleure posture, tant financièrement que sur le plan des connaissances, pour réagir à de nouvelles cotisations. [par. 27]

[33] En outre, la répartition de cette dette fiscale éventuelle en parts égales ne tient pas suffisamment compte de son effet négatif sur la capacité de l’épouse d’avoir un niveau de vie relativement comparable à celui de son mari (Toth c. Toth (1995), 13 B.C.L.R. (3d) 1 (C.A.), par. 66‑67). Elle est incompatible avec l’al. 65(1)e) de la Loi selon lequel il faut, lors du partage des biens entre les conjoints, se préoccuper de savoir s’il « serait inéquitable compte tenu [. . .] des besoins de chaque conjoint pour devenir ou demeurer autonome financièrement ». La capacité de gagner un revenu et l’expérience financière limitées de l’épouse créent un risque réel que l’imposition en parts égales d’un fardeau fiscal important réduise considérablement son niveau de vie et celui des enfants, ce dont elle risque de ne jamais se remettre financièrement.

[34] De plus, ne sachant pas à quel moment la dette deviendra exigible et quel en sera le montant, l’épouse ne peut pas facilement planifier son avenir financier et celui des enfants. Cela va à l’encontre de l’objectif du droit de la famille voulant que, dans la mesure du possible, les membres de l’ancienne famille [traduction] « connaissent leurs droits et obligations à l’avance, de façon à pouvoir planifier et vivre leur vie, sans crainte de bouleversement ultérieur » (D. A. Rollie Thompson, « Rules and Rulelessness in Family Law : Recent Developments, Judicial and Legislative » (2000‑2001), 18 C.F.L.Q. 25, p. 28). Dans Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303, 2003 CSC 24, par. 57, la Cour a reconnu « les objectifs impérieux de la certitude, de l’autonomie et du règlement définitif » pour les époux qui divorcent. Dans Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795, la juge Wilson a expliqué :

Pour choisir la méthode de partage appropriée, il convient de se rappeler que le but principal de la loi est de répartir les biens d’une manière équitable. Dans certains cas il est également important de rompre les liens financiers entre les parties. [Je souligne; p. 836.]

(Voir aussi Best c. Best, [1999] 2 R.C.S. 868, par. 111.)

[35] Malgré la fluidité intrinsèque de certaines questions, comme celles de la garde et des droits d’accès, qui changent au gré des besoins variables des enfants, et bien que la pension alimentaire puisse être modifiée s’il survient un changement important dans la situation des parties, les questions qui concernent les biens peuvent habituellement être fixées assez nettement pour permettre aux parties d’avoir, dès la dissolution du mariage, un portrait précis de leur situation financière, qui en délimite clairement les tenants et aboutissants. Quelle que soit la question en litige, mais toujours sous réserve de l’obligation prééminente d’équité, l’objectif consiste à créer un degré de certitude suffisant pour que chaque conjoint puisse prendre, pour le futur, des décisions financières et personnelles fondées sur des attentes légitimes et exécutoires.

[36] Cela ne signifie pas qu’un tribunal ne peut jamais prononcer, à l’égard d’une famille qui se disloque, une ordonnance prévoyant une éventualité à caractère financier. Cependant, dans la mesure du possible, les tribunaux doivent s’efforcer d’éviter de le faire d’une manière qui mine l’objectif qui consiste à maintenir un équilibre économique entre les deux ménages issus de l’ancien. Un partage égal des fardeaux et des avantages peut parfois créer cet équilibre, mais il peut parfois le rompre.

[37] Il s’agit ici d’un cas où l’imposition en parts égales de la responsabilité relative à la dette fiscale — conditionnelle à ce que celle‑ci se concrétise — ne reconnaît pas et ne pallie pas les répercussions financières de la répartition des tâches dans le ménage que formaient les Stein, compromet inéquitablement la capacité de l’épouse de planifier et d’organiser son avenir financier, menace considérablement sa capacité de préserver sa viabilité financière et accroît énormément la probabilité que son niveau de vie et celui des enfants soient considérablement moins élevés que celui de M. Stein.

[38] Tous ces motifs justifient la décision de la Cour d’appel d’annuler l’ordonnance conditionnelle du juge de première instance. Selon moi, c’est à bon droit qu’elle a rendu cette décision. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens, la juge Abella est dissidente.

Procureurs de l’appelant : Georgialee Lang & Associates, Vancouver.

Procureur de l’intimée : Susan G. Label, Richmond, C.-B.


Synthèse
Référence neutre : 2008 CSC 35 ?
Date de la décision : 12/06/2008
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit de la famille - Divorce - Biens familiaux - Partage d’une dette éventuelle - La Family Relations Act de la Colombie‑Britannique empêche‑t‑elle le partage entre les conjoints de dettes familiales éventuelles dont la valeur ne peut être déterminée au moment du procès? - Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, art. 56, 65, 66.

Les conjoints se sont séparés en 2003 après 12 ans de mariage au cours desquels l’épouse est demeurée au foyer pour s’occuper des deux enfants du couple. Au moment de l’action en divorce, les biens familiaux d’une valeur de 1,7 million de dollars ont été partagés en parts égales et l’épouse a obtenu une pension alimentaire fondée sur le revenu de l’époux qui dépassait 200 000 $ par année. Le juge de première instance a aussi ordonné que les dettes fiscales éventuelles relatives aux abris fiscaux de l’époux, dont on ne sait ni quand elles deviendront exigibles, ni quel en sera le montant, soient partagées en parts égales entre les conjoints sur une base « conditionnelle », parce qu’ils avaient tous deux profité de ces abris. La Cour d’appel a annulé cette ordonnance au motif que la Family Relations Act (“FRA”) de la Colombie‑Britannique empêchait la création d’une ordonnance distincte partageant une dette entre les conjoints et ordonné que l’époux seul soit responsable de la dette éventuelle.

Arrêt (la juge Abella est dissidente) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish et Rothstein : Le fait qu’une redistribution survienne un jour, une fois la dette cristallisée, n’emporte pas nécessairement la création d’une « ordonnance créant une obligation distincte » et n’est pas contraire au sens ordinaire des dispositions de la FRA. Aucune disposition de la FRA ne fait obstacle à une ordonnance qui partage, entre les conjoints, une dette éventuelle dont la valeur ne peut être déterminée au moment du procès. Bien qu’il soit clair que les dettes ne doivent pas être réparties entre les conjoints, la FRA ne fixe pas de limites temporelles au partage des biens et, après le partage initial des biens, l’art. 66 permet à un tribunal d’ordonner à l’un des conjoints « d’indemniser l’autre [. . .] afin d’équilibrer le partage » à quelque moment que ce soit. De plus, bien que l’art. 65 autorise le tribunal à répartir les biens autrement qu’en parts égales lorsqu’un tel partage serait « inéquitable » compte tenu des facteurs énumérés au par. 65(1), et notamment des « obligations d’un conjoint », aucun des autres facteurs ne milite en faveur de l’imposition du fardeau de ces dettes à une seule des parties en l’espèce. En outre, l’équité exige qu’il soit tenu compte à la fois de l’actif et des dettes lors de la rupture du mariage — même lorsqu’on ne peut en établir la valeur avec précision au moment de la séparation — en reconnaissance du fait que les conjoints contribuent tous deux non seulement à l’acquisition des biens, mais aussi à l’endettement lié aux dépenses de la famille. Le juge de première instance ayant conclu que les deux parties avaient obtenu des biens importants et étaient stables financièrement après le partage, et que l’épouse deviendrait autonome dans un proche avenir, l’équité exige que les deux conjoints assument la responsabilité des dettes éventuelles liées aux abris fiscaux dont ils ont tous les deux tiré avantage, malgré que l’époux soit davantage en mesure de demeurer financièrement autonome dans l’éventualité où la dette fiscale deviendrait exigible. Toutefois, si l’incidence de l’obligation éventuelle sur l’une des parties entraînait un résultat inéquitable, il lui serait loisible de s’adresser au tribunal pour obtenir des rajustements. [5-6] [10-12] [17] [20]

La juge Abella (dissidente) : L’ordonnance du juge de première instance crée à tort une obligation distincte, conditionnelle, étrangère et postérieure au partage des biens. Elle est manifestement inéquitable envers l’épouse au sens de l’art. 65 de la FRA, car elle ne tient pas compte des différences considérables entre la situation financière, le savoir et l’expérience de chaque conjoint. Le juge de première instance n’a pas tenu compte, comme la FRA l’exige pourtant, des conséquences économiques des choix faits par les conjoints quant à la répartition des responsabilités familiales, et notamment du fait que l’épouse s’est retirée du marché du travail rémunéré pendant 12 ans. Il n’a pas non plus reconnu que, malgré qu’elle se soit recyclée comme animatrice pour le cinéma après la séparation, son avenir professionnel était loin d’être assuré. En revanche, grâce à son revenu confortable, à sa capacité financière et à son expérience en affaires, l’époux était nettement mieux placé pour réagir à la survenance éventuelle d’une dette fiscale. Les tribunaux doivent s’efforcer d’éviter de miner l’objectif qui consiste à maintenir un équilibre économique entre les deux ménages issus de l’ancien. Il s’agit ici d’un cas où l’imposition en parts égales d’un important fardeau fiscal éventuel crée un risque réel que le niveau de vie de l’épouse et celui des enfants soient considérablement moins élevés que celui de l’époux et compromet inéquitablement la capacité de l’épouse de prendre des décisions personnelles et financières pour elle et les enfants avec un degré acceptable de certitude et de sûreté. [22-23] [25-30] [32-36]


Parties
Demandeurs : Stein
Défendeurs : Stein

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Bastarache
Arrêts mentionnés : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3
Mallen c. Mallen (1992), 65 B.C.L.R. (2d) 241
Rutherford c. Rutherford (1981), 23 R.F.L. (2d) 337
Grove c. Grove, [1996] B.C.J. No. 658 (QL)
Webb c. Webb (1994), 135 N.S.R. (2d) 161.
Citée par la juge Abella (dissidente)
Danish c. Danish (1981), 33 B.C.L.R. 176
Tearle c. Tearle, [1985] B.C.J.
No. 1241 (QL)
Moore c. Moore, [1988] B.C.J. No. 740 (QL)
Mallen c. Mallen (1992), 65 B.C.L.R. (2d) 241
McAlister c. McAlister, [1996] B.C.J. No. 150 (QL)
D.G.A. c. K.J.A., [2003] B.C.J. No. 2711 (QL), 2003 BCSC 1736
G. (J.S.) c. G. (A.G.) (2005), 20 R.F.L. (6th) 143, 2005 BCSC 1457
Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423
Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436
Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813
Toth c. Toth (1995), 13 B.C.L.R. (3d) 1
Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303, 2003 CSC 24
Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795
Best c. Best, [1999] 2 R.C.S. 868.
Lois et règlements cités
Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, art. 56(1), (2), 65(1), 66(1), (2).
Doctrine citée
Thompson, D. A. Rollie. « Rules and Rulelessness in Family Law : Recent Developments, Judicial and Legislative » (2000‑2001), 18 C.F.L.Q. 25.

Proposition de citation de la décision: Stein c. Stein, 2008 CSC 35 (12 juin 2008)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-06-12;2008.csc.35 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award