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22/11/2007 | CANADA | N°2007_CSC_50

Canada | ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50 (22 novembre 2007)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : ABB Inc. c. Domtar Inc., [2007] 3 R.C.S. 461, 2007 CSC 50

Date : 20071122

Dossier : 31176, 31177, 31174

Entre :

ABB Inc. et Alstom Canada Inc.

Appelantes

et

Domtar Inc.

Intimée

et entre :

Chubb du Canada Compagnie d’Assurance

Appelante

et

Domtar Inc.

Intimée

et entre :

Domtar Inc.

Appelante

c.

Arkwright Mutual Insurance Company

Intimée

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie

, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 121)

Les juges LeBel et Deschamps (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des jug...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : ABB Inc. c. Domtar Inc., [2007] 3 R.C.S. 461, 2007 CSC 50

Date : 20071122

Dossier : 31176, 31177, 31174

Entre :

ABB Inc. et Alstom Canada Inc.

Appelantes

et

Domtar Inc.

Intimée

et entre :

Chubb du Canada Compagnie d’Assurance

Appelante

et

Domtar Inc.

Intimée

et entre :

Domtar Inc.

Appelante

c.

Arkwright Mutual Insurance Company

Intimée

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 121)

Les juges LeBel et Deschamps (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

_____________________________

ABB Inc. c. Domtar Inc., [2007] 3 R.C.S. 461, 2007 CSC 50

ABB Inc. et Alstom Canada Inc. Appelantes

c.

Domtar Inc. Intimée

‑ et ‑

Chubb du Canada Compagnie d’Assurance Appelante

c.

Domtar Inc. Intimée

‑ et ‑

Domtar Inc. Appelante

c.

Arkwright Mutual Insurance Company Intimée

Répertorié : ABB Inc. c. Domtar Inc.

Référence neutre : 2007 CSC 50.

Nos du greffe : 31176, 31177, 31174.

2006 : 8 novembre; 2007 : 22 novembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Forget, Rochette et Bich), [2005] R.J.Q. 2267, [2005] J.Q. no 11604 (QL), 2005 QCCA 733, qui a infirmé en partie un jugement du juge Hilton, [2003] R.J.Q. 2194, SOQUIJ AZ‑50181950, [2003] J.Q. no 9442 (QL). Pourvoi rejeté.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Forget, Rochette et Bich), [2005] J.Q. no 11601 (QL), 2005 QCCA 730, qui a infirmé un jugement du juge Hilton, [2003] R.J.Q. 2194, SOQUIJ AZ‑50181950, [2003] J.Q. no 9442 (QL). Pourvoi rejeté.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Forget, Rochette et Bich), [2005] R.R.A. 1046, [2005] J.Q. no 11603 (QL), 2005 QCCA 732, qui a confirmé un jugement du juge Hilton, SOQUIJ AZ‑50181803, [2003] J.Q. no 13846 (QL). Pourvoi rejeté.

Éric Mongeau, Patrick Girard et Charles Nadeau, pour les appelantes ABB Inc., Alstom Canada Inc. et Chubb du Canada Compagnie d’Assurance.

Olivier F. Kott, Gregory B. Bordan, André Legrand et Emmanuelle Demers, pour l’appelante/intimée Domtar Inc.

Gordon Kugler et Stuart Kugler, pour l’intimée Arkwright Mutual Insurance Company.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1 Les juges LeBel et Deschamps — L’évolution du droit québécois des obligations a été marquée par la recherche d’un juste équilibre entre, d’une part, la liberté contractuelle des individus et, d’autre part, le respect du principe de la bonne foi dans leurs rapports les uns avec les autres. Ce courant dans le droit des obligations a profondément influencé tant les choix du législateur québécois que notre jurisprudence. Il doit évidemment inspirer l’exercice des droits et l’exécution des obligations des parties à un contrat de vente.

2 La Cour est saisie de trois pourvois. Le dossier principal a trait à une réclamation pour vice caché et oppose deux grandes entreprises industrielles. Les deux autres dossiers concernent des réclamations accessoires contre des compagnies d’assurance. Le présent jugement traite des trois dossiers, mais nous discuterons d’abord du dossier principal, de son origine et des problèmes qu’il soulève à l’égard de la nature et de la mise en —uvre de certains aspects du régime juridique du contrat de vente en droit civil québécois.

3 Notre étude se concentrera sur le régime de garantie légale contre les vices cachés. Nous examinerons notamment l’effet du degré d’expertise des parties sur leurs obligations mutuelles et la nature des présomptions qu’établit le droit civil à l’égard de la connaissance de certains vices. Cet examen inclura une discussion au sujet de l’opposabilité à l’acquéreur de clauses limitatives de responsabilité. Après un rappel des faits et de l’historique judiciaire, nous étudierons donc les principes pertinents et leur application aux faits de l’espèce.

1. Les faits

1.1 Acquisition par Domtar d’une chaudière de récupération

4 Domtar Inc. est une papetière canadienne dont les principales activités consistent en la production de pâte et papier et d’autres produits dérivés. En 1984, Domtar décide de construire une nouvelle usine de pâte et papier à Windsor, au Québec. À cette fin, elle retient les services de H.A. Simons et Sandwell & Company Limited (« Simons-Sandwell ») à titre d’experts-conseils pour l’ensemble du projet de construction de l’usine, incluant l’acquisition de la chaudière de récupération.

5 Combustion Engineering Canada Inc. (« C.E. ») (maintenant ABB Inc. et Alstom Canada Inc.) était une compagnie d’envergure internationale de fabrication et d’installation d’équipement industriel. Elle était la plus importante productrice de chaudières de récupération au Canada. En août 1984, C.E. offre à Domtar de lui vendre une chaudière de récupération conçue avec attaches rigides de type « H » pour 13 500 000 $. Domtar accepte l’offre de C.E. le 31 décembre 1984 et la chaudière entre en service le 21 septembre 1987.

6 La chaudière de récupération acquise par Domtar est un appareil complexe et de dimensions imposantes. Sa partie supérieure est munie d’un surchauffeur divisé en trois compartiments, soit de basse, moyenne et haute température (respectivement les « LTSH », « ITSH » et « HTSH »). Ces compartiments sont constitués de tubes d’une longueur de 75 milles, fixés à l’aide d’environ 48 000 attaches rigides. Destinée à la récupération de la liqueur noire, la chaudière de récupération est conçue pour une utilisation continue, à l’exception de périodes d’entretien planifiées.

1.2 Apparition de fissures et de fuites dans les tubes du surchauffeur

7 Dans les années 70, C.E. constate que la conception d’attaches rigides de type « A » qu’elle utilise alors provoque un problème de fissuration. Pour y remédier, C.E. adopte en 1977 un nouveau modèle, les attaches rigides de type « H ». Croyant avoir ainsi réglé le problème de fissuration, C.E. n’analyse pas la résistance des nouvelles attaches de type « H ». Elle attend plutôt les commentaires éventuels de ses acheteurs. De janvier 1983 à la fin de l’année 1986, plusieurs notes internes sont mises en circulation chez C.E. ainsi que chez sa compagnie-mère au sujet des problèmes découlant de l’utilisation des attaches rigides de type « H » et de l’insatisfaction qu’ils créent chez des clients américains et canadiens. Par ailleurs, à compter du début des années 80, C.E. utilise également des attaches souples qui sont recommandées à une cliente dès 1985.

8 Malgré ces faits, les détails techniques contenus dans la soumission préparée par C.E. pour Domtar en août 1984 ne précisent pas le type d’attaches proposées. Une seule discussion à ce sujet est rapportée, et ce, dans le cadre d’une réunion qui a lieu en octobre 1984. Durant cette réunion, le gérant de projet de Domtar demande à C.E. s’il est possible d’obtenir des attaches souples au lieu des attaches rigides. La réponse de C.E. se limite à confirmer cette possibilité et à mentionner que cette solution entraînera un coût additionnel de 500 000 $. Domtar ne poursuit pas les discussions.

9 Suivant le juge Hilton, de première instance, en mai 1987, une note interne de C.E. souligne que la plupart des propositions présentées à des clients utilisaient des attaches souples. D’après la même note, ce type d’attache est devenu la nouvelle norme pour le service d’ingénierie chargé de la préparation des propositions chez C.E. C.E. commence donc en 1988 à offrir les attaches souples mais, pour maintenir des prix compétitifs, elle les propose seulement en cas de problèmes avec les attaches rigides ou à la demande expresse d’un acheteur. Il faut attendre l’année suivante pour que C.E. adopte les attaches souples à titre de standard officiel. C.E. n’élimine pas complètement l’utilisation des attaches rigides de type « H »; elle les utilise encore à ce jour dans la conception de certaines nouvelles chaudières et lors de la réparation de chaudières livrées avec de telles attaches.

10 Le 24 mars 1989, soit 18 mois après la mise en service de la chaudière, Domtar procède à un arrêt imprévu de l’appareil afin de l’inspecter à la suite d’un bruit anormal provenant du surchauffeur. En effectuant des tests standards, on découvre 6 fuites et 97 fissures dans le ITSH; 667 fissures sont aussi dénombrées dans le HTSH. Domtar demande alors à C.E. de procéder aux réparations nécessaires. Durant cet arrêt de la chaudière, seulement 20 p. 100 des attaches sont inspectées en détail. C.E. remplace 99 attaches rigides dans le ITSH et 690 dans le HTSH par des attaches souples. La chaudière de récupération est remise en service seulement le 6 avril 1989.

1.3 Décision de remplacer le surchauffeur

11 À la suite de la remise en service de la chaudière, les parties poursuivent des discussions afin de trouver une solution permanente au problème. Domtar demande à C.E. de réparer le surchauffeur, mais C.E. refuse. Elle propose à Domtar de remplacer la section HTSH du surchauffeur en utilisant plus d’attaches souples et d’inspecter toutes les attaches rigides des sections LTSH et ITSH. Domtar choisit plutôt de remplacer le surchauffeur en entier.

12 Devant le désaccord, Domtar entame des poursuites judiciaires contre C.E. Parallèlement, Domtar poursuit aussi divers assureurs dont Underwriters at Lloyd’s (« Lloyd’s ») pour les dommages découlant de l’achat de la chaudière de C.E. Le 12 juin 2001, aux termes d’une entente intitulée « Confidential Settlement Agreement and Release », Domtar convient de renoncer à un ensemble de réclamations d’assurance contre Lloyd’s pour un paiement total de 10 500 000 $US, dont un montant de 1 000 000 $US est expressément prévu pour le règlement [traduction] « de toute réclamation, passée, présente et future, de quelque nature qu’elle soit » (Domtar inc. c. A.B.B. inc., [2003] R.J.Q. 2194 (C.S.) (« Domtar »), par. 228). Conformément à cette entente, Domtar se désiste de son recours contre Lloyd’s.

13 Par ailleurs, Domtar réclame la mise en —uvre du cautionnement d’exécution auquel Chubb du Canada Compagnie d’Assurance (« Chubb ») est tenue en garantie des obligations de C.E. envers Domtar. Dans un deuxième dossier, Domtar poursuit aussi Arkwright Mutual Insurance Company (« Arkwright ») en vertu d’une police d’assurance tous risques émise en sa faveur.

14 Au cours du mois d’octobre 1989, Babcock & Wilcox (« B. & W. »), un autre fabricant de chaudières de récupération, remplace les trois compartiments du surchauffeur de C.E. par des éléments dotés d’attaches souples. À la suite de ce remplacement, une analyse complète du surchauffeur de C.E. révèle l’existence de trois nouvelles fuites, d’une rupture d’un tube du ITSH ainsi que de 272 fissures dans le HTSH, 463 dans le ITSH et 124 dans le LTSH. Par ailleurs, la profondeur de certaines fissures dans le ITSH dépasse 50 p. 100 de l’épaisseur d’un des tubes. Domtar utilisera le surchauffeur B. & W. pendant 10 ans durant lesquels aucune fuite ni aucune interruption non planifiée en raison d’une fuite n’est rapportée. Ce surchauffeur est remplacé en 1999.

2. Historique judiciaire

2.1 Cour supérieure du Québec

15 Selon le juge Hilton, la fissuration et les fuites reliées au choix d’attaches rigides ne constituent pas un vice de conception, mais plutôt une particularité technique du surchauffeur, puisque celui-ci pouvait être utilisé tel qu’il était conçu malgré la présence de fissures. Le juge conclut cependant que C.E. n’a pas rempli son obligation de renseignement, car elle n’a jamais dévoilé à Domtar les informations qu’elle détenait sur les caractéristiques respectives des attaches rigides et des attaches souples. Le juge se dit convaincu que Domtar aurait choisi les attaches souples si elle avait reçu ces informations de C.E. Le juge est aussi d’avis que C.E. aurait pu opposer la clause limitative de responsabilité à une réclamation fondée sur l’existence d’un vice caché, mais qu’elle ne peut en l’espèce l’invoquer en défense à son manquement à l’obligation de renseigner Domtar. Le juge de première instance condamne C.E. à payer à Domtar les dommages-intérêts convenus entre les parties, moins le montant du paiement de 1 578 900 $ (1 000 000 $US) effectué par Lloyd’s, qui aurait opéré subrogation en sa faveur.

16 Enfin, en raison de sa conclusion quant à l’absence de vice caché, le juge de première instance rejette l’action contre Chubb fondée sur le cautionnement : [2003] R.J.Q. 2194. Dans un jugement séparé, il rejette aussi la réclamation de Domtar contre son autre assureur, Arkwright, au motif que les dommages reliés au surchauffeur ne constituaient pas une perte assurée : SOQUIJ AZ-50181803.

2.2 Cour d’appel du Québec

17 Sans remettre en question les constatations de fait du juge de première instance, la Cour d’appel retient la responsabilité de C.E. sur la base de la garantie légale contre les vices cachés. Selon la Cour d’appel, la preuve établit clairement que Domtar cherchait, à la connaissance de C.E., une chaudière fiable qui permettait un fonctionnement continu. Domtar n’aurait pas acquis cette chaudière si elle avait su que les attaches rigides causeraient des interruptions imprévues. La Cour d’appel se penche ensuite sur l’obligation de renseignement de C.E. Comme le juge de première instance, elle conclut que C.E. a manqué à son obligation de renseignement envers Domtar. Connaissant le vice ou étant présumée le connaître, C.E. ne peut invoquer la clause limitative de responsabilité. Pour la Cour d’appel, Domtar était donc en droit de remplacer le surchauffeur en entier aux frais de C.E. La Cour d’appel se dit cependant en désaccord avec l’opinion du juge de première instance en ce qui a trait à la déductibilité du montant de 1 578 900 $ payé par Lloyd’s. Par conséquent, la Cour d’appel accueille l’appel incident de Domtar et augmente d’autant la condamnation contre C.E. : [2005] R.J.Q. 2267, 2005 QCCA 733.

18 La Cour d’appel condamne l’assureur Chubb, solidairement avec C.E., à payer à Domtar un montant de 725 938,90 $ sur la base du contrat de cautionnement : [2005] J.Q. no 11601 (QL), 2005 QCCA 730. Enfin, dans l’action contre l’assureur Arkwright, la Cour d’appel rejette l’appel de Domtar en se fondant sur la clause d’exclusion de couverture des pertes résultant de vices cachés : [2005] R.R.A. 1046, 2005 QCCA 732.

3. Analyse

3.1 Les questions en litige

19 Dans le dossier principal, les parties posent cinq questions à notre Cour. Premièrement, le surchauffeur était-il atteint d’un vice caché? Deuxièmement, C.E. ou Domtar ont elles manqué à leurs obligations respectives de renseigner ou de se renseigner? Troisièmement, dans quelles circonstances une clause limitative de responsabilité est‑elle opposable à l’acheteur? Quatrièmement, Domtar a‑t‑elle le droit d’être remboursée des dépenses engagées pour remplacer le surchauffeur? Et cinquièmement, l’assureur Lloyd’s a-t-il été subrogé dans les droits de Domtar à l’égard du paiement qu’il lui a versé?

20 Dans les deux dossiers accessoires, les parties demandent à notre Cour de décider si Domtar peut exiger de Chubb l’exécution de son cautionnement et si le remplacement du surchauffeur constitue une perte couverte par la police d’assurance tous risques d’Arkwright.

21 Nous résumerons d’abord les prétentions des parties et rappellerons les principales dispositions législatives pertinentes. Puis, nous étudierons les questions de droit soulevées dans les trois dossiers.

3.2 Prétentions des parties dans le dossier principal

22 Les prétentions de C.E. ont évolué depuis le début du litige. En effet, l’un des arguments principaux de C.E. était, à l’origine, que les problèmes étaient dus à une mauvaise utilisation du surchauffeur. Ce moyen de défense a été abandonné. C.E. plaide maintenant que la rigidité des attaches ou la fissuration à l’intérieur du surchauffeur ne constituent pas un vice caché. Selon C.E., Domtar, à titre d’utilisatrice avertie de chaudières de récupération, ne peut prétendre qu’elle ignorait les propriétés des attaches rigides et des attaches souples et aurait d’ailleurs manqué à sa propre obligation de se renseigner.

23 C.E. soutient également qu’une clause limitative de responsabilité la protégeait parce que Domtar avait un pouvoir de négociation égal au sien. Pour C.E., il importe alors d’accorder préséance à la volonté des parties. C.E. plaide enfin que Domtar n’a pas minimisé ses dommages et que le paiement de 1 578 900 $ fait par l’assureur Lloyd’s à Domtar devrait réduire d’autant la réclamation de cette dernière à son endroit.

24 De son côté, Domtar défend la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle le surchauffeur est affecté d’un vice caché. Selon elle, C.E. connaissait ou aurait dû connaître le problème associé au type d’attaches utilisées au moment de la vente et aurait dû proposer des attaches souples à Domtar. C.E. aurait donc manqué à son obligation de communication concernant la probabilité de fuites et de fissures associées à l’utilisation d’attaches rigides. La décision de remplacer le surchauffeur était raisonnable compte tenu des informations transmises par C.E.

25 Avant d’aborder le fond du litige, il faut régler deux questions préliminaires. D’abord, vu la date et la nature de la réclamation, quelles dispositions du Code civil du Bas Canada (« C.c.B.C. ») ou du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), s’appliquent en vertu des règles du droit transitoire? Ensuite, la Cour d’appel avait-elle le pouvoir d’intervenir sur la conclusion du juge de première instance concernant l’absence de vice caché?

3.3 Le droit transitoire

26 Le dossier principal porte sur un contrat de vente conclu entre les parties le 31 décembre 1984. Comme on l’a vu plus haut, les prétentions des parties imposent à notre Cour de déterminer si le surchauffeur était affecté d’un vice caché et, le cas échéant, si C.E. peut invoquer une clause limitative de responsabilité.

27 L’article 83 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57 (« L.a.r.C.c. »), dispose que les règles du C.c.B.C. concernant les garanties légales et conventionnelles continuent de s’appliquer à un contrat conclu avant 1994. Cet article se lit comme suit :

83. Pour tout contrat conclu antérieurement au 1er janvier 1994, la loi ancienne demeure applicable aux garanties, légales ou conventionnelles, dues par les parties contractantes entre elles ou à l’égard de leurs héritiers ou ayants cause à titre particulier.

Cette disposition représente une application particulière de la règle générale énoncée par l’art. 4 L.a.r.C.c. de la survie de la loi supplétive ancienne pour déterminer la portée et l’étendue des droits et obligations des parties, de même que les effets du contrat : Commentaires du ministre de la Justice (1993), t. 3, p. 71.

28 L’article 83 L.a.r.C.c. est complété par l’art. 85 L.a.r.C.c. en matière de responsabilité civile, dont voici le texte :

85. Les conditions de la responsabilité civile sont régies par la loi en vigueur au moment de la faute ou du fait qui a causé le préjudice.

Dans ses commentaires sur cette disposition (p. 72), le ministre de la Justice prend aussi le soin de préciser

que les conditions de la responsabilité civile étant ainsi régies par la loi en vigueur au moment de la faute ou du fait préjudiciable, il s’ensuit que les causes d’exonération de responsabilité, nécessairement liées aux conditions de cette responsabilité, seront également régies par cette même loi . . .

29 Les articles 83 et 85 L.a.r.C.c. appartiennent au chapitre des dispositions particulières (art. 11 à 170). En cas de conflit, ils ont préséance sur les dispositions générales de la loi (art. 2 à 10) : P.‑A. Côté et D. Jutras, Le droit transitoire civil : Sources annotées (feuilles mobiles), p. I/3‑1 et suiv.

30 En l’espèce, Domtar exerce contre C.E. une action contractuelle en dommages-intérêts fondée sur la garantie contre les vices cachés. Tous les faits allégués au soutien de cette action se sont produits avant 1994. L’application des art. 83 et 85 L.a.r.C.c. nous amène à conclure que les questions dans le présent dossier concernant la garantie contre les vices cachés doivent être réglées par application du C.c.B.C.

31 Cela dit, l’application de l’un ou l’autre du C.c.B.C. ou du C.c.Q. n’aura pas de conséquence sur le sort du litige puisque le C.c.Q. reprend substantiellement les règles du C.c.B.C. pour ce qui est de la garantie contre les vices cachés applicable en l’espèce, malgré certains changements dans la rédaction des textes législatifs relatifs aux questions en litige. Les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe.

32 Enfin, le problème du caractère subrogatoire du paiement de Lloyd’s et les actions accessoires impliquant Chubb et Arkwright ne soulèvent pas de difficultés particulières en droit transitoire. En effet, la réponse à ces questions dépend essentiellement de l’examen des stipulations des contrats intervenus entre les parties.

33 Il convient maintenant d’examiner si la Cour d’appel avait le pouvoir d’intervenir sur la conclusion d’absence de vice caché tirée par le juge de première instance. En effet, C.E. remet en cause la légitimité de sa requalification des vices comme vices cachés, qui équivaudrait à une intervention inadmissible dans la détermination des faits par le premier juge.

3.4 La norme d’intervention de la Cour d’appel

34 Dans la discussion de la position de la Cour d’appel, il importe de bien saisir la nature de son intervention à l’égard des faits. Des distinctions fondamentales s’imposent. Dans Desgagné c. Fabrique de St‑Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19, la Cour distingue la qualification juridique des faits de leur appréciation proprement dite. Ainsi, une cour d’appel a le pouvoir, dans l’exercice de sa compétence, de requalifier juridiquement des faits dont elle accepte par ailleurs la détermination par le tribunal de première instance. Le juge Beetz s’exprime ainsi (p. 31) :

Les procureurs des intimés et de l’appelante Lauréanne Harvey Desgagné ont soutenu que le caractère graduel de la manifestation des vices de construction est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine du juge de première instance. Ce n’est pas mon avis. Il s’agit plutôt d’une question de qualification et par conséquent de bien plus qu’une simple question de fait. Il faut en effet appliquer aux faits le concept juridique de manifestation graduelle de l’art. 2259, au même titre par exemple que dans une affaire de responsabilité civile, il faut qualifier ou non de faute au sens de l’art. 1053 l’acte ou l’abstention d’une personne. C’est là porter un jugement essentiellement normatif. Il ne s’agit donc pas de substituer ma propre appréciation de la preuve à celle du premier juge, mais de tirer des conclusions en droit à partir des faits qu’il a lui‑même considérés comme établis. Lorsqu’une juridiction d’appel accepte toutes les conclusions de fait proprement dites du premier juge, comme je le fais, elle est en aussi bonne position que lui pour qualifier ces faits.

35 Un peu plus tard, dans Placement Jacpar Inc. c. Benzakour, [1989] R.J.Q. 2309, p. 2318, la Cour d’appel a confirmé que la nature juridique de la distinction entre un vice caché et un vice apparent est elle aussi une question de droit :

Pour [Benzakour], la qualification de vice caché serait fondamentalement une question de fait. Avec respect pour l’opinion exprimée dans l’affaire Lafontaine c. Audet, où l’on [y] voyait surtout une question relevant du pouvoir d’appréciation du juge du fait [p. 8 de l’opinion du juge Monet], la position de notre Cour semble plutôt à l’effet qu’il s’agit là d’un problème de qualification juridique. Elle peut aussi bien se prononcer que le juge de première instance, les faits au soutien des conclusions étant établis par celui‑ci.

Voir dans le même sens : Marquis c. Saltsman, J.E. 2002‑1729 (C.A.), SOQUIJ AZ-50143509, par. 51; Rousseau c. 2732‑1678 Québec inc., [1999] R.D.I. 565 (C.A.), p. 568-569; Société en commandite A.C. enr. c. Wadieh, [1997] R.D.I. 345 (C.A.), p. 348; Bertrand c. Pelletier, [1997] R.D.I. 321 (C.A.), p. 325; Poirier c. Martucelli, [1995] R.D.I. 319 (C.A.), p. 320; Trottier c. Robitaille, [1994] R.D.I. 537 (C.A.), p. 538; Cloutier c. Létourneau, [1993] R.L. 530 (C.A.), p. 531; Rousseau c. Gagnon, [1987] R.J.Q. 40 (C.A.), p. 46.

36 En l’espèce, la Cour d’appel a d’abord souligné que les parties ne remettaient pas en question les constatations de fait du juge de première instance ([2005] R.J.Q. 2267, par. 42). Ainsi, en raison de l’utilisation d’attaches rigides, l’apparition de fissures était inévitable et celle de fuites était probable (par. 100-101). La Cour d’appel reproche au juge de première instance de n’avoir pas accordé suffisamment d’importance à l’usage continu auquel Domtar destinait la chaudière de récupération. Elle fait remarquer que le juge de première instance a pourtant conclu que Domtar ne l’aurait pas acquise si elle avait su que ces attaches rigides étaient susceptibles de causer des interruptions imprévues. Le défaut d’usage qu’entraînent les interruptions imprévues de la chaudière permet à la Cour d’appel de qualifier cette défectuosité de vice caché.

37 Dans son intervention, la Cour d’appel ne réévalue pas la preuve au dossier. Elle s’appuie plutôt directement sur les constatations de fait du juge de première instance pour arriver à une conclusion de droit différente sur la nature du défaut (par. 99) :

Le premier juge n’a pas conclu que l’équipement vendu était affecté d’un vice caché. Avec égards, nous sommes d’opinion que ses constatations de fait auraient dû le mener à une conclusion affirmative à ce sujet. [Nous soulignons.]

Cette conclusion ne viole pas le principe de retenue judiciaire à l’égard de la détermination des faits par le juge de première instance. Il s’agit plutôt d’un problème de qualification juridique, donc d’une question de droit. Par conséquent, la Cour d’appel avait le pouvoir de modifier la conclusion du juge de première instance sur l’existence d’un vice caché. Ces questions préliminaires réglées, nous passerons à l’examen de la garantie légale contre les vices cachés dans un contrat de vente régi par le C.c.B.C.

3.5 L’effet de la qualité du fabricant et de celle de l’acheteur sur leurs obligations découlant du contrat de vente

38 En l’espèce, C.E. plaide qu’un régime distinct doit régir les contrats de vente négociés entre un vendeur et un acheteur professionnels. À son avis, la garantie du vendeur contre les vices cachés devrait varier selon l’expertise respective du vendeur et de l’acheteur. Il faut donc examiner l’effet juridique de cette expertise sur les droits et obligations découlant du contrat de vente.

39 En matière de garantie contre les vices cachés, la qualification de fabricant ou de vendeur professionnel joue un rôle important dans la détermination de sa connaissance présumée des défauts du bien offert en vente. En effet, l’art. 1527 C.c.B.C. tient tout vendeur qui connaît ou est légalement présumé connaître les vices de la chose responsable des dommages subis par l’acheteur. Dans le cadre de l’interprétation de cette disposition, le droit civil québécois a identifié trois catégories de vendeurs correspondant à un niveau d’expertise : le fabricant, le vendeur professionnel (spécialisé ou non spécialisé) et le vendeur non professionnel.

40 Le résultat de l’exercice de catégorisation déterminera l’applicabilité de la présomption de connaissance du vendeur et, en corollaire, l’étendue de son obligation de dénoncer les vices cachés. Ainsi, le vendeur non professionnel n’est pas légalement présumé connaître les vices du bien vendu, car il s’agit d’une personne qui n’a pas pour occupation habituelle la vente du bien en question. Par contre, le vendeur professionnel, beaucoup plus au fait des caractéristiques de sa marchandise, est visé par la présomption de connaissance.

41 Dans le présent dossier, la catégorie de vendeurs qui nous intéresse plus particulièrement est celle du fabricant. Le fabricant est considéré comme l’expert ultime à l’égard du bien puisqu’il contrôle la main-d’œuvre ainsi que les matériaux utilisés dans la production de ce bien : J. Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois (1998), p. 289. Aussi, l’acheteur a-t-il le droit de s’attendre à ce que le fabricant se porte garant de la qualité du produit qu’il conçoit et met en marché. En conséquence, le fabricant est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l’obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés.

42 Dans le cadre du régime de garantie contre les vices cachés, l’expertise de l’acheteur représente aussi un élément pertinent de l’analyse, mais à un niveau différent de celle du vendeur. En effet, alors que l’expertise de ce dernier permet de déterminer l’étendue de son obligation de dénonciation, l’expertise de l’acheteur sert plutôt à évaluer si le vice est caché ou apparent. Ainsi, plus l’acheteur connaît le bien qu’il acquiert, plus le vice affectant ce bien est susceptible d’être considéré comme apparent. Le vice apparent est celui que l’acheteur a décelé ou qu’il aurait pu déceler au moment de la vente en raison de ses connaissances (art. 1523 C.c.B.C. et art. 1726, al. 2 C.c.Q.). Cette exigence impose donc à l’acheteur une obligation de se renseigner en procédant à un examen raisonnable du bien. Dans tous les cas, le test consiste à se demander si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait pu déceler le vice au moment de la vente.

43 Nous terminons la discussion de cette section par quelques remarques sur une situation particulière soulevée par les parties en l’espèce, celle où le vendeur et l’acheteur sont qualifiés de « professionnels de même compétence », ce qui leur permettrait d’exclure conventionnellement la garantie contre les vices cachés. Cet argument est fondé sur trois arrêts de la Cour d’appel du Québec : Auto Peliss ltée c. Proulx Pontiac Buick ltée, [2001] R.J.Q. 856; Garage Robert inc. c. 2426‑9888 Québec inc., [2001] R.J.Q. 865; Trois Diamants Autos (1987) ltée c. M.G.B. Auto inc., [2001] R.J.Q. 860.

44 La position de la Cour d’appel dans cette trilogie n’appuie pas l’argument des appelantes. Ses arrêts ne portent pas sur la situation du fabricant. Elle ne reconnaît pas non plus une présomption de connaissance de l’acheteur qui serait incompatible avec le régime de garantie contre les vices cachés. Nous soulignons aussi que la position exprimée par notre Cour à l’égard de la garantie du fabricant dans l’arrêt General Motors Products of Canada c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790, est claire. Dans ce jugement, aux p. 798-799, notre Cour a affirmé que, pour l’application de l’art. 1527 C.c.B.C., le fabricant et le vendeur professionnel sont toujours présumés être de mauvaise foi et que la qualité professionnelle de l’acheteur, à titre de concessionnaire, ne modifie pas le caractère dolosif associé à la connaissance réelle ou présumée du vice par le fabricant. Ce raisonnement implique que l’expertise de l’acheteur n’a pas pour effet d’annihiler la présomption qui pèse sur le fabricant. Même s’il a fait lui-même le commerce de voitures provenant d’un fabricant, l’acheteur professionnel ne peut être considéré de même compétence que le fabricant. L’acheteur professionnel bénéficie lui aussi de la garantie contre les vices cachés. Si le vice est caché, le fabricant ne pourra invoquer une clause limitative de responsabilité, à moins de parvenir à réfuter la présomption de connaissance du vice.

45 De toute manière, en l’occurrence, C.E. est un fabricant de chaudières de récupération et Domtar a acheté l’une des chaudières de C.E. pour l’utiliser dans le cadre de ses activités de production de pâte et papier. Aussi experte que Domtar puisse l’être dans l’utilisation de chaudières, on ne peut la qualifier de professionnelle « de même compétence » que C.E. En tant que fabricant, C.E. avait une plus grande expertise que Domtar des caractéristiques de la chaudière de récupération en cause. Le régime de garantie contre les vices cachés demeure applicable en l’espèce.

3.6 La responsabilité du fabricant pour les vices de la chose vendue

46 Dans la mise en œuvre de la garantie légale, le tribunal doit, en premier lieu, vérifier si le bien vendu était affecté d’un vice caché. À cette étape, l’analyse porte essentiellement sur le bien et sur le comportement de l’acheteur. En deuxième lieu, le tribunal déterminera la responsabilité du vendeur; cette partie de l’analyse consiste à établir si le vendeur avait connaissance du vice allégué ou était légalement présumé le connaître. Cette détermination permettra de décider, s’il y a lieu, de l’opposabilité d’une clause limitant la responsabilité du vendeur. Il importe donc de distinguer les conditions de la responsabilité du vendeur en présence d’un vice caché d’avec l’étendue de sa responsabilité.

3.6.1 Les conditions de la responsabilité : l’existence d’un vice caché

3.6.1.1 Différentes formes de vices cachés

47 Le législateur n’a pas expressément défini ce qui constitue un « défaut » ou un « vice ». Le texte de l’art. 1522 C.c.B.C. comporte toutefois certaines précisions utiles. Ainsi, le premier critère qui permet de déterminer si l’on est en présence d’un défaut caché est le déficit d’usage qu’il engendre. La garantie contre les vices cachés vise ainsi à assurer à l’acheteur l’utilité pratique et économique du bien acquis.

48 Il existe trois formes principales de défauts cachés, soit le défaut matériel qui touche un bien en particulier, le défaut fonctionnel qui affecte la conception du bien et le défaut conventionnel dans le cas où l’acheteur a indiqué l’usage particulier qu’il entend faire du bien. Les défauts matériel et fonctionnel s’apprécient en fonction de l’usage normal que font les acheteurs du bien, alors que le défaut conventionnel s’évalue plutôt en fonction de l’usage particulier que l’acheteur a déclaré au vendeur. Dans l’examen de cette classification, il faut toutefois s’arrêter un instant au problème des changements technologiques.

49 Ces changements technologiques représentent une réalité moderne caractérisée par la rapidité avec laquelle les produits sont perfectionnés. Le juge de première instance a souligné avec à propos que les fabricants révisent constamment la conception technique de leurs produits : [2003] R.J.Q. 2194, par. 161. Avec raison, il s’est mis en garde contre la tendance à condamner un fabricant pour la simple raison qu’une version différente du produit original a été subséquemment mise en marché. La vente d’une version améliorée ou plus performante d’un produit ne rend pas déficiente la version antérieure. L’écart de qualité et la différence dans l’utilisation possible du bien entre ces versions ne sauraient être qualifiés de vice caché. L’élément-clé de l’analyse se retrouve dans le déficit d’usage évalué à la lumière des attentes raisonnables de l’acheteur.

50 Les différentes qualifications du vice peuvent parfois se chevaucher. Ainsi, en l’espèce, Domtar se plaint du fait que les attaches rigides, partie intégrante du surchauffeur, nuisent au fonctionnement normal de la chaudière en ce qu’elles provoquent des fissures et des arrêts imprévisibles. Selon Domtar, le fait qu’elle n’ait pas à s’exposer à des arrêts inopportuns découle de la nature même de l’équipement acheté et de son fonctionnement continu. En ce sens, le défaut dont se plaint Domtar est à la fois fonctionnel et conventionnel. Cependant, quelle que soit la qualification du vice, il doit présenter quatre caractères, tous essentiels à la garantie : il doit être caché, suffisamment grave, existant au moment de la vente et inconnu de l’acheteur.

3.6.1.2 Caractère caché du vice

51 Le caractère caché du vice s’apprécie selon une norme objective, c’est-à-dire en évaluant l’examen fait par l’acheteur en fonction de celui qu’aurait fait un acheteur prudent et diligent de même compétence : P.-G. Jobin, « Précis sur la vente », dans La réforme du Code civil (1993), vol. 2, 359, p. 466; M. Pourcelet, La vente (5e éd. 1987), p. 149. Autrement dit, on ne s’interroge pas simplement sur l’ignorance du vice; on cherchera aussi à déterminer si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait constaté le vice.

3.6.1.3 Gravité du vice

52 La simple présence d’un déficit d’usage ne suffit pas en elle-même pour justifier la qualification de vice caché. Encore faut-il que ce déficit d’usage soit grave, c’est-à-dire qu’il rende le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou en diminue tellement l’utilité que son acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix. Ce deuxième critère, celui de la gravité du vice, découle du texte de l’art. 1522 C.c.B.C. Cela dit, il n’est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien, mais simplement qu’il en réduise l’utilité de façon importante, en regard des attentes légitimes d’un acheteur prudent et diligent.

3.6.1.4 Existence du vice au moment de la vente

53 Le vice doit aussi exister au moment de la vente. D’abord établi par la jurisprudence et la doctrine, ce troisième critère est aujourd’hui codifié à l’art. 1726, al. 1 C.c.Q. : Commentaires du ministre de la Justice (1993), t. I, p. 1078. Essentiellement, il s’agit de ne pas imputer au vendeur la responsabilité d’un vice qui découle d’une utilisation anormale du bien par l’acheteur.

3.6.1.5 Vice inconnu de l’acheteur

54 Il ne suffit pas que le vice soit caché. Il faut encore qu’il soit inconnu de l’acheteur, comme l’exige l’art. 1522 in fine C.c.B.C. Ce caractère s’évalue en fonction d’une norme subjective. Contrairement à la présomption de connaissance imposée au vendeur, aucune présomption de connaissance ne pèse sur l’acheteur, qui est toujours présumé de bonne foi. Le fardeau de prouver la connaissance réelle du vice repose donc toujours sur le vendeur : Jobin, p. 464; Pourcelet, p. 149; T. Rousseau-Houle, Précis du droit de la vente et du louage (2e éd. 1986), p. 134.

55 La responsabilité du vendeur n’est pas la même dans tous les cas de vice caché. Il convient donc d’étudier les conditions qui déterminent l’étendue et l’application de la responsabilité du vendeur.

3.6.2 L’étendue de la responsabilité du vendeur

3.6.2.1 La présomption de connaissance des vices cachés par le vendeur

56 Selon l’art. 1524 C.c.B.C., lorsque l’acheteur a démontré l’existence du vice caché, la responsabilité du vendeur est engagée, « à moins qu’il n’ait stipulé qu’il ne serait obligé à aucune garantie ». Cependant, même si une clause limitant sa responsabilité est stipulée, le vendeur n’est pas toujours admis à l’invoquer. Ainsi, la connaissance présumée ou réelle du vice peut, dans certaines circonstances, empêcher le vendeur de se prévaloir d’une telle clause. Comme la connaissance réelle ou présumée du vice par le vendeur l’identifie comme vendeur de mauvaise foi, elle lui impose non seulement le remboursement du prix de vente, mais aussi l’indemnisation de tous les dommages découlant du vice caché. Une clause limitative de responsabilité reste inopposable à l’acheteur dans la mesure où le vendeur connaissait le vice ou était légalement présumé le connaître : J. Deslauriers, « La vente 1 », dans les Cours de la formation professionnelle du Barreau du Québec 1988-1989, vol. 3, 51, p. 82; Pourcelet, p. 160; Rousseau-Houle, p. 135 et 156. La présomption de connaissance joue donc un rôle déterminant non seulement quant à la possibilité pour un vendeur de limiter la garantie contre les vices cachés, mais surtout quant à la détermination de l’étendue de sa responsabilité.

57 Alors que les origines de la garantie contre les vices cachés remontent à l’époque romaine, la présomption de connaissance est apparue seulement dans l’ancien droit français, notamment dans les —uvres de DuMoulin, Domat et Pothier : Edwards, p. 275. Auparavant, seule la connaissance réelle du vice par le vendeur engageait sa responsabilité, tous les vendeurs étant alors considérés de bonne foi. La nouvelle présomption est apparue sous l’impulsion des travaux de certains auteurs qui considéraient que le fabricant et le vendeur spécialisé devraient connaître les vices affectant leur bien, en raison de leur profession. Ainsi, selon Pothier, il convenait d’imputer au fabricant la maîtrise de son art et au vendeur spécialisé une connaissance approfondie du produit vendu, les privant ainsi de la protection accordée aux vendeurs de bonne foi :

Il y a un cas auquel le vendeur, quand même il aurait ignoré absolument le vice de la chose vendue, est néanmoins tenu de la réparation du tort que ce vice a causé à l’acheteur dans ses autres biens; c’est le cas auquel le vendeur est un ouvrier, ou un marchand qui vend des ouvrages de son art, ou du commerce dont il fait profession. Cet ouvrier ou ce marchand est tenu de la réparation de tout le dommage que l’acheteur a souffert par le vice de la chose vendue, en s’en servant, à l’usage auquel elle est destinée, quand même cet ouvrier ou ce marchand prétendrait avoir ignoré ce vice. [. . .] La raison est qu’un ouvrier, par la profession de son art, spondet peritiam artis. Il se rend, envers tous ceux qui contractent avec lui, responsable de la bonté de ses ouvrages, pour l’usage auquel ils sont naturellement destinés. Son impéritie ou défaut de connaissance dans tout ce qui concerne son art, est une faute qui lui est imputée, personne ne devant professer publiquement un art, s’il n’a toutes les connaissances nécessaires pour le bien exercer : Imperitia culp— annumeratur; l. 132, ff. Reg. J. Il en est de même du marchand fabricant ou non fabricant. Par la profession publique qu’il fait de son commerce, il se rend responsable de la bonté des marchandises qu’il débite, pour l’usage auquel elles sont destinées. S’il est fabricant, il ne doit employer, pour les fabriquer, que de bons ouvriers, du fait desquels il répond. S’il n’est pas fabricant, il ne doit exposer en vente que de bonnes marchandises; il doit s’y connaître, et n’en débiter que de bonnes. [Nous soulignons.]

(Œuvres de Pothier (nouv. éd. 1823), t. II, no 214)

58 Ce passage, parfois qualifié de « règle de Pothier », a été considéré comme la source principale de l’art. 1527, al. 2 C.c.B.C. : Edwards, p. 280-281; Traité de droit civil du Québec, t. 11, par L. Faribault, 1961, p. 295; P.-B. Mignault, Le droit civil canadien, t. VII, 1906, p. 112. Inspirés par les enseignements de Pothier, les commissaires chargés de la rédaction du C.c.B.C. ont introduit la connaissance présumée en droit civil québécois : Edwards, p. 276. Cette connaissance imputée est prévue aux art. 1527 et 1528 C.c.B.C. En principe, tout vendeur est présumé de bonne foi (art. 2202 C.c.B.C.), mais la connaissance effective du vendeur engage sa responsabilité (art. 1527, al. 1 C.c.B.C.). De plus, l’art. 1527, al. 2 C.c.B.C. dégage l’acheteur de son fardeau de démontrer la mauvaise foi du vendeur lorsque la connaissance de ce dernier est légalement présumée. Il reste alors à déterminer à quels vendeurs cette présomption de connaissance s’applique.

3.6.2.2 Les vendeurs visés par la présomption de connaissance

59 Les auteurs s’entendent pour reconnaître que la présomption de connaissance sous le régime du C.c.B.C. s’applique aux fabricants et aux vendeurs professionnels spécialisés. Ils refusent ainsi d’appliquer la présomption de connaissance aux vendeurs professionnels non spécialisés ou aux vendeurs non professionnels, puisqu’en l’absence de compétence technique ou d’expérience commerciale du bien, ils ne peuvent en vérifier eux-mêmes la qualité : Pourcelet, p. 158; Rousseau-Houle, p. 139-152; F. Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. V, 1909, p. 77; Mignault, p. 118.

60 Il importe cependant de noter que, depuis l’adoption de l’art. 1733 C.c.Q., la présomption de connaissance s’applique à tous les vendeurs professionnels sans distinction. Seuls les vendeurs non professionnels échappent désormais à la présomption de connaissance.

3.6.2.3 Caractère réfutable de la présomption de connaissance

61 Il faut maintenant examiner la nature de cette présomption pour déterminer son effet, c’est-à-dire, en définitive, si elle peut être renversée et à quelles conditions. Notre Cour a étudié cette question dans quelques jugements. L’arrêt Samson & Filion c. Davie Shipbuilding & Repairing Co., [1925] R.C.S. 202, a été l’un des premiers jugements de principe traitant de la présomption de connaissance du vendeur. Cette affaire portait sur la vente de tuyaux usagés. Le contrat de vente avait été conclu sans clause limitative de responsabilité. Notre Cour a décidé que le vendeur non professionnel qui ne jouit d’aucune expertise n’est pas visé par la présomption de connaissance. Il ne répond des dommages causés par la chose que dans la mesure où il avait une connaissance effective du vice. Par contre, le fabricant et le vendeur professionnel (« qui vend des ouvrages de son art, ou du commerce dont il fait profession ») sont soumis à une présomption de connaissance qu’ils peuvent réfuter.

62 Quelques années plus tard, notre Cour rendit l’arrêt Touchette c. Pizzagalli, [1938] R.C.S. 433, qui concernait la vente d’une voiture neuve par un vendeur professionnel à un acheteur non professionnel, sans intervention du fabricant. Le contrat mentionnait que la garantie était limitée à celle fournie par le fabricant. La Cour a rappelé qu’un vendeur professionnel est présumé connaître les vices qui affectent les biens qu’il vend, tout en reconnaissant implicitement que la présomption de connaissance peut être réfutée par le fabricant ou le vendeur professionnel spécialisé :

[traduction] Il est maintenant bien établi que le vendeur est responsable de tous les dommages subis par l’acheteur en raison d’un vice caché si le vendeur est soit un fabricant, soit un marchand qui fait le commerce d’articles de même nature que l’objet vendu. À moins de démontrer que la personne la plus diligente et la plus compétente placée dans la même situation n’aurait pas pu découvrir le vice, il ne peut invoquer son ignorance, parce que le vice est présumé de façon concluante (en l’absence d’une telle preuve) résulter de sa négligence ou de son impéritie dans le métier qu’il exerce publiquement et dans lequel il s’affirme donc compétent. Le principe veut que le professionnel réponde de la connaissance de son art. [Nous soulignons; p. 439 (le juge en chef Duff).]

63 Comme nous l’avons déjà signalé, dans Kravitz, notre Cour rappelle que, dans le contexte de la garantie contre les vices cachés, une présomption de mauvaise foi pèse sur le fabricant et le vendeur professionnel d’un bien vicié (p. 798). Dans cette affaire, la Cour va cependant plus loin et refuse de permettre au fabricant de transférer sa responsabilité au concessionnaire, et ce, malgré les connaissances professionnelles de ce dernier (p. 798) :

Mais, quelle est la situation lorsque, comme dans l’espèce, le fabricant a vendu un objet neuf à un concessionnaire lui‑même vendeur professionnel? Si lors de la revente, ce dernier est présumé connaître les vices, ne doit‑on donc pas dire qu’il est également présumé les connaître lorsqu’il achète la chose du manufacturier? Ce raisonnement pourrait peut‑être avoir quelque attrait dans certaines circonstances, mais il ne saurait être retenu de façon à permettre au manufacturier de se libérer de toute responsabilité pour les vices cachés dont est atteinte la chose qu’il a fabriquée, du seul fait qu’il la vend à un concessionnaire qui est lui‑même chargé de la revendre. Le fabricant d’une chose [viciée] doit porter l’ultime responsabilité de son impéritie, actuelle ou présumée. La mauvaise foi du vendeur professionnel à l’égard de l’acheteur d’occasion ne transforme pas en bonne foi la man—uvre dolosive du fabricant à l’égard de son concessionnaire; [Nous soulignons.]

64 Analysant ensuite le recours du sous-acquéreur contre le concessionnaire, la Cour rappelle qu’en France, les clauses limitatives de responsabilité ne dégagent pas les fabricants de leur responsabilité, la présomption de connaissance qui pèse contre eux étant irréfragable (p. 799-801). La Cour ne se prononce pas sur la nature de la présomption de connaissance applicable au fabricant (p. 802). Elle conclut simplement que la clause limitative de responsabilité contenue dans le contrat de vente par le concessionnaire de même que la garantie limitée du fabricant ne peuvent faire obstacle au recours extracontractuel du sous-acquéreur contre le fabricant, fondé sur la garantie contre les vices cachés.

65 S’appuyant sur des enseignements de Pothier ou à la lumière de la mention du droit français dans Kravitz, certains auteurs qualifient la présomption de connaissance d’irréfragable pour le fabricant ou les vendeurs professionnels spécialisés, puisque ces derniers ont le devoir de maîtriser leur art. Ils concèdent par contre qu’elle demeure réfutable pour les vendeurs professionnels non spécialisés, qui ne contrôlent pas la fabrication du produit vendu ou ne possèdent pas de connaissances spécifiques du produit : Edwards, p. 289-294; Pourcelet, p. 158-159; Mignault, p. 113.

66 La position majoritaire en droit québécois veut cependant que la présomption de connaissance prévue à l’art. 1527 C.c.B.C. demeure réfutable, même pour le fabricant : Manac inc./Nortex c. Boiler Inspection and Insurance Co. of Canada, [2006] R.R.A. 879 (C.A.); aussi Oakwood Construction Inc. c. Ratthé, [1993] R.D.I. 181 (C.A.), p. 183; Blandino c. Colagiacomo, [1989] R.D.I. 148 (C.A.), p. 151 et 153; Oppenheim c. Forestiers R.P.G.M. inc., J.E. 2002-1197 (C.A.), SOQUIJ AZ-50133145, par. 24. Plusieurs auteurs observent qu’il est très difficile pour un manufacturier de réfuter la présomption, en démontrant au tribunal qu’il ne pouvait pas connaître le vice : D.‑C. Lamontagne, Droit de la vente (1995), p. 103-104; Jobin, p. 467-468; Deslauriers, p. 82; Faribault, p. 295-296. On a d’ailleurs souligné que selon la jurisprudence connue, aucun fabricant n’a réussi en pratique à repousser la présomption : Rousseau-Houle, p. 138-152; Langelier, p. 77.

67 La nouvelle rédaction du C.c.Q., qui codifie la jurisprudence établie sous le C.c.B.C., confirme la position majoritaire. À l’article 1729 C.c.Q., le législateur a conservé le terme « présumé » au lieu d’employer le terme « réputé ». Or, la présomption « qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire » (art. 2847, al. 2 C.c.Q.). Par ailleurs, en combinant les premier et deuxième alinéas de l’art. 1733 C.c.Q., on constate que le législateur précise que le vendeur professionnel qui « connaissait ou ne pouvait ignorer » le vice ne peut exclure sa responsabilité. À notre avis, si le législateur a pris le soin d’indiquer deux situations où le vendeur professionnel ne peut exclure sa responsabilité, c’est qu’il reconnaît que, dans certaines situations, des vendeurs professionnels seraient admis à soulever en défense qu’ils ignoraient le vice de la chose ou ne pouvaient le connaître. Autrement, le législateur aurait simplement énoncé que le vendeur professionnel ne peut exclure conventionnellement sa responsabilité.

3.6.2.4 Moyens de réfuter la présomption de connaissance du fabricant

68 Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu’un seul standard régit les moyens de défense qui permettent à tous les vendeurs de réfuter la présomption de connaissance pesant contre eux. Comme l’a décidé notre Cour dans l’affaire Samson & Filion, il faut déterminer si le vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait été en mesure de découvrir le vice lors de la vente du bien.

69 Contrairement à ce que plaide C.E., le fabricant n’est jamais admis à invoquer comme seul moyen de défense son ignorance du vice en question : Samson & Filion, Touchette et Kravitz. Il ne peut réfuter la présomption qu’en démontrant qu’il ignorait le vice et que son ignorance était justifiée, c’est-à-dire qu’il n’aurait pu découvrir le vice et ce, même en prenant toutes les précautions auxquelles l’acheteur est en droit de s’attendre d’un vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances.

70 Le principe qui sous-tend cette règle est qu’il est justifié de ne pas engager la responsabilité du fabricant lorsqu’il démontre qu’il maîtrisait sa technique au moment de la conception du bien et que le vice en question ne saurait lui être imputable. Ce principe rejoint l’idée qui a donné lieu à la présomption de connaissance, telle que l’a exposée Pothier et selon laquelle on exige du fabricant qu’il maîtrise son art.

71 Même si on a toujours recours à un standard objectif pour réfuter la présomption de connaissance, la rigueur de celle-ci variera en fonction de l’expertise du vendeur. Le vendeur professionnel non spécialisé pourra réfuter la présomption de connaissance plus facilement que le vendeur professionnel spécialisé. Le fabricant réfutera difficilement la présomption de connaissance qui pèse contre lui en raison de ses connaissances privilégiées et du fait qu’il est responsable de la fabrication.

72 Même si on reconnaît au fabricant la possibilité de réfuter la présomption, le haut niveau de diligence qui lui est imposé rend très limité le spectre des moyens mis à sa disposition. Seulement deux moyens ont été reconnus jusqu’à présent et C.E. ne les invoque ni l’un ni l’autre. Selon un premier moyen, le fabricant peut réfuter la présomption s’il prouve la faute causale de l’acheteur ou d’un tiers ou encore la force majeure : Manac inc./Nortex, par. 138; Commentaires du ministre de la Justice, t. 1, p. 902. Le deuxième moyen est celui du risque de développement, mais il demeure controversé en matière contractuelle. Il s’agit d’un moyen pour le fabricant de s’exonérer lorsque le défaut du bien vendu ne pouvait être découvert en raison de l’état des connaissances scientifiques et techniques lors de sa mise en marché. Dans ces cas, seules les découvertes scientifiques ou technologiques subséquentes à la mise en marché permettent de découvrir le vice du produit. Cette défense s’inspire de l’arrêt London & Lancashire Guarantee & Accident Co. of Canada c. Cie F.X. Drolet, [1944] R.C.S. 82, et est maintenant partiellement codifiée en matière extracontractuelle à l’art. 1473 C.c.Q.

3.6.2.5 Application de la clause limitative de responsabilité

73 En raison des règles qui précèdent, le vendeur professionnel qui connaissait le vice ou qui n’a pas réfuté la présomption de connaissance n’est pas admis à exclure sa responsabilité. Il ne peut invoquer une clause limitative et est tenu de restituer le prix de vente à l’acheteur et de l’indemniser de tous les dommages qui découlent du vice caché (art. 1527 C.c.B.C.).

3.6.3 Aspects comparatifs

74 À la suite de ce tour d’horizon du droit civil québécois en matière de vices cachés, il peut être intéressant de se demander dans quelle mesure ces règles sont similaires à celles du droit français ou à celles qui s’appliquent dans le reste du Canada. En effet, chaque disposition du C.c.B.C. sur le régime de garantie contre les vices cachés reprend les règles du Code civil français (« C.c.fr. »). Il est donc intéressant de voir comment le droit français a examiné ces questions. Par ailleurs, un survol des règles de common law permet de constater qu’elles se distinguent substantiellement des règles applicables en droit québécois et en droit français.

3.6.3.1 Droit français

75 En droit français, les conditions d’ouverture de la garantie contre les vices cachés sont essentiellement les mêmes qu’en droit québécois : le vice doit être grave, antérieur au moment du transfert de propriété, et caché (art. 1641 et 1642 C.c.fr.).

76 Dans l’évaluation du caractère caché du vice, une présomption relative de connaissance du vice pèserait contre l’acheteur professionnel : A. Bénabent, Droit civil : Les contrats spéciaux civils et commerciaux (5e éd. 2001), no 226; voir aussi O. Barret, « Vente », dans Répertoire de droit civil (2e éd. (feuilles mobiles)), t. X, nos 563 et 565, et J. Huet, Les principaux contrats spéciaux (2e éd. 2001), p. 329-330. Cette présomption s’alourdit si celui-ci est de même spécialité que le vendeur. Toutefois, l’acheteur professionnel peut en tout temps renverser cette présomption en démontrant que le vice était indécelable pour lui : Barret, nos 569 et 571, et Bénabent, no 226.

77 Lorsque les conditions d’ouverture de la garantie sont remplies, l’acheteur possède un recours rédhibitoire ou estimatoire contre le vendeur (art. 1644 C.c.fr.). De plus, l’acheteur a aussi la faculté de demander des dommages-intérêts si le vendeur avait la connaissance du vice (art. 1645 C.c.fr.) ou était présumé le connaître. Cependant, ces recours peuvent être sujets à l’application de clauses limitatives de responsabilité (art. 1643 C.c.fr.).

78 Le vendeur professionnel est soumis à une présomption de connaissance des vices cachés affectant le bien vendu (Civ. 1re, 24 novembre 1954, J.C.P. 1955.II.8565, obs. H.B.; aussi Civ. 1re, 19 janvier 1965, D. 1965.389, et obs. G. Cornu, Rev. trim. dr. civ. 1965.665). Cette présomption est quasi irréfragable, la seule exception étant lorsque le vice n’était pas indécelable et que le vendeur professionnel et l’acheteur professionnel sont « de la même spécialité ». Cette exception a été rarement utilisée par la jurisprudence, qui l’interprète de façon restrictive : Com., 6 novembre 1978, J.C.P. 1979.II.19178, obs. J. Ghestin, et obs. G. Cornu, Rev. trim. dr. civ. 1979.392; aussi Huet, p. 348‑349, et P. le Tourneau, La responsabilité civile (3e éd. 1982), p. 375, no 1183.

79 Les développements en droit français sur la présomption de connaissance du vendeur professionnel ont intégré les règles gouvernant cette présomption au régime juridique des clauses limitatives et ont confirmé son caractère quasi irréfragable. L’analyse de la présomption de connaissance du vendeur professionnel s’applique donc aussi à l’examen des clauses limitatives. Cela signifie que ces clauses sont valides en principe (art. 1645 C.c.fr.), mais inapplicables en présence d’un vendeur professionnel. À titre d’exception, le vendeur professionnel pourra bénéficier d’une clause limitative lorsque son acheteur est un professionnel de même spécialité et que le vice n’était pas indécelable : Com., 8 octobre 1973, J.C.P. 1975.II.17927, obs. J. Ghestin; Civ. 3e, 30 octobre 1978, J.C.P. 1979.II.19178, obs. J. Ghestin, et obs. G. Cornu, Rev. trim. dr. civ. 1979.392; Com., 6 novembre 1978, J.C.P. 1979.II.19178, obs. J. Ghestin, et obs. G. Cornu, Rev. trim. dr. civ. 1979.392. Ainsi, le vice indécelable pour l’acheteur se trouve toujours à la charge du vendeur professionnel, indépendamment de la qualité de son acheteur.

3.6.3.2 Common law

80 Suivant la common law canadienne, le vice caché doit porter sur une caractéristique essentielle du bien et faire en sorte que celui-ci ne puisse pas servir à l’usage auquel il est destiné : Tony’s Broadloom & Floor Covering Ltd. c. NMC Canada Inc. (1995), 22 O.R. (3d) 244 (Div. gén.), conf. par (1996), 31 O.R. (3d) 481 (C.A.); Jenkins c. Foley (2002), 215 Nfld. & P.E.I.R. 257, 2002 NFCA 46. L’acheteur a le fardeau de démontrer que le vice caché était connu du vendeur ou que ce dernier a fait preuve d’insouciance téméraire à l’égard de ce qu’il aurait dû savoir. Cependant, dans la mesure où il est établi que le vendeur aurait pu connaître l’information portant sur une caractéristique essentielle du bien, le vendeur ne peut alléguer uniquement une croyance sincère : Parlby Construction Ltd. c. Stewart Equipment Co., [1972] 1 W.W.R. 503 (B.C.S.C.), p. 507 et 509-510.

81 Sauf exceptions, les lois provinciales et territoriales permettent généralement au vendeur de limiter par écrit la garantie contre les vices cachés. Contrairement aux droits français et québécois, la common law ne régit pas spécifiquement la situation particulière entre vendeur et acheteur professionnels de même compétence. Une clause limitative de responsabilité négociée entre deux commerçants demeure en principe valide à moins d’être déclarée inapplicable, soit en vertu de la théorie de l’iniquité (unconscionability), soit parce que la clause vise une obligation dont le non-respect constitue une inexécution fondamentale du contrat (fundamental breach of contract).

82 La théorie de l’iniquité rend inapplicable une clause limitative de responsabilité lorsqu’une partie abuse de son pouvoir de négociation pour tirer un avantage indu de son cocontractant. Cette théorie s’applique généralement dans le cadre d’un contrat de consommation ou d’adhésion.

83 Quant à la théorie de l’inexécution fondamentale, elle permet dans certains cas à des parties bénéficiant d’un pouvoir égal de négociation de demander l’inapplicabilité d’une clause déraisonnable qui ne reflète pas l’intention des parties. Pour ce faire, l’inexécution contractuelle de la partie débitrice doit avoir « pour effet de priver l’autre partie de la quasi‑totalité du bénéfice du contrat » : Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423, par. 50. Ainsi, la présence d’un vice caché n’équivaut pas automatiquement à une inexécution fondamentale du contrat : G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (5e éd. 2006), p. 592; il faut que le vice caché soit « irréparable » ou que le bien s’avère inutilisable : Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426, p. 501-502; Guarantee Co. of North America; R. G. McLean Ltd. c. Canadian Vickers Ltd., [1971] 1 O.R. 207 (C.A.), p. 211-212.

84 Une fois l’inexécution fondamentale constatée, le tribunal doit encore analyser la clause limitative selon les règles générales d’interprétation des contrats. Dans la mesure où les termes sont raisonnablement susceptibles d’une seule interprétation, le tribunal ne pourra déclarer la clause limitative de responsabilité inapplicable, même pour des motifs d’équité ou de raisonnabilité, puisque cela reviendrait à réécrire le contrat négocié entre les parties.

3.6.3.3 Conclusion sur le droit comparé

85 Bref, encore plus que le droit français, la common law présente des caractéristiques qui font qu’elle est difficilement transposable en droit civil québécois. Par ailleurs, en dépit des liens du droit civil québécois avec le droit français, il n’apparaît pas non plus souhaitable de transposer dans le droit du Québec les règles de ce système de droit. Il reste donc maintenant à analyser comment les règles québécoises doivent être appliquées aux faits de l’espèce.

3.7 Analyse de la responsabilité de C.E.

86 Les faits ont été déterminés par le juge de première instance. La Cour d’appel n’y a vu aucune erreur manifeste et les parties ne nous invitent pas à les revoir. Seules les conclusions de droit tirées de ces faits sont contestées. Rappelons que le juge de première instance a conclu que la fissuration des tubes constituait une particularité technique plutôt qu’un vice de conception. Domtar conteste cette conclusion et plaide qu’il s’agit d’un vice caché. Il s’agit donc de déterminer si la chaudière de récupération de C.E. était effectivement affectée d’un vice caché et, le cas échéant, si cette dernière connaissait ou était présumée connaître l’existence d’un tel vice.

3.7.1 L’existence d’un vice caché

3.7.1.1 La gravité du déficit d’usage

87 En l’espèce, la conclusion du juge de première instance que le surchauffeur n’était pas atteint d’un vice caché repose sur deux erreurs relatives à l’interprétation de ce premier critère. D’abord, il définit le vice uniquement comme un problème qui empêche toute utilisation du bien, puis il confond la mise en marché d’une version moins performante d’un bien avec celle d’un bien déficient.

88 Un vice sera considéré grave s’il rend le bien impropre à l’usage auquel on le destine, ou en diminue tellement l’utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix (art. 1522 C.c.B.C. et 1726 C.c.Q.). Un exemple souvent repris par la doctrine est celui des fondations fissurées d’une maison, exposant l’immeuble à un risque d’inondation. Or, il n’est pas nécessaire que la maison soit inondée en raison de la fissure pour qu’il y ait vice caché; il suffit que la fissure soit présente et qu’il soit probable qu’elle entraîne des dommages importants.

89 C.E. ne s’attarde qu’au premier aspect de la gravité du vice. Si l’on se fie à son interprétation, il faudrait que la chaudière ait été dans l’impossibilité totale de fonctionner pour qu’on puisse la considérer comme atteinte d’un vice. Le juge de première instance omet lui aussi de considérer la diminution d’usage du bien, insistant sur le fait que la chaudière de récupération pouvait continuer de fonctionner, malgré la présence de fissures.

90 En l’espèce, le surchauffeur était un produit neuf au moment de la livraison. Après 18 mois d’utilisation, six fuites ont dû être réparées, 789 attaches de type « H » remplacées et 764 fissures ont été observées dans les différents compartiments du surchauffeur. Le coût de ces réparations atteignait 445 483,57 $ et le fonctionnement de la chaudière a été interrompu durant une période de 13 jours. Six mois plus tard, une inspection complète fait état de l’apparition de trois nouvelles fuites et de 859 nouvelles fissures, dont certaines sont qualifiées de sévères par l’expert de C.E. et de susceptibles de se transformer en nouvelles fuites. Domtar a remplacé le surchauffeur deux ans après sa mise en service. Or, le juge de première instance indique lui-même que ce type d’appareil est conçu pour un usage continu, sauf pour les interruptions planifiées, et a généralement une durée de vie d’au moins une quinzaine d’années sans que des problèmes majeurs ne surviennent. Le fait que Domtar ait constaté des fuites par hasard n’atténue pas l’importance du vice, particulièrement lorsqu’un court laps de temps s’est écoulé depuis la mise en service de l’équipement. Cette situation suggère clairement une usure anormale de l’appareil en question. De plus, une ingénieure, témoignant pour C.E., reconnaît qu’il ne devrait normalement pas survenir de fissures dans les tubes du surchauffeur avant une période de 15 à 20 ans.

91 Pour qualifier le vice de grave, il suffisait que la chaudière soit atteinte d’un problème si important que l’acheteur ne l’aurait pas achetée s’il avait connu ce problème. Or, le juge de première instance a lui-même conclu que Domtar aurait certainement choisi d’utiliser des attaches souples, tout comme n’importe quelle autre papetière à qui les informations appropriées sur les deux types d’attaches auraient été communiquées. Le juge de première instance s’est aussi dit d’avis que, si Domtar avait choisi les attaches souples, il est probable qu’aucune fuite dans le ITSH, ni un nombre aussi élevé de fissures dans les ITSH et HTSH n’auraient été découverts. À notre avis, ces constatations de fait soutiennent la conclusion de la Cour d’appel à l’effet que Domtar n’aurait pas acheté une chaudière conçue avec des attaches de type « H » si on lui avait fait part des risques associés à ce type d’attaches.

92 Une autre difficulté peut être notée dans la caractérisation des faits du juge de première instance. Il a confondu performance et défectuosité du produit. En l’espèce, C.E. a allégué que les attaches souples étaient simplement de meilleure qualité que celles de type « H ». Certes, un fabricant peut concevoir des biens de qualité différente. Néanmoins, chaque version du bien doit pouvoir être utilisée à la fin à laquelle il est destiné et ce, pour la durée raisonnable à laquelle l’acheteur est en droit de s’attendre. Or, la technologie des attaches souples existait au moment où la chaudière a été fabriquée. Il n’est pas ici question de deux types d’attaches de qualité ou de marque différentes, mais plutôt de deux types d’attaches dont l’un tend à fragiliser les tubes, ce qui est susceptible d’engendrer des interruptions imprévues du fonctionnement de la chaudière, même après une courte période d’utilisation.

93 C.E. connaissait les problèmes associés à la rigidité des attaches, autant de type « A » que de type « H ». D’ailleurs, c’est en raison de la rigidité des attaches de type « H » que la compagnie-mère de C.E. a décidé d’offrir à titre de standard des attaches souples dans la conception de surchauffeurs. Toutefois, C.E. a utilisé les attaches de types « A » et « H » sans procéder à des analyses de résistance indépendantes pour déterminer si ces types d’attaches pouvaient supporter la contrainte exercée sur les tubes par la circulation de la vapeur à haute température. Le juge de première instance a indiqué que C.E. avait plutôt choisi de s’en remettre à l’expérience de ses clients à cet égard pour évaluer l’efficacité réelle de son nouveau produit. Une note de service déposée au procès établit d’ailleurs que C.E. a retardé l’adoption des attaches souples afin de demeurer compétitive sur le marché et que la décision de les adopter à titre de standard a été graduellement imposée au fabricant par le marché :

[traduction] . . . elle répondait apparemment à regret aux forces du marché selon lesquelles « l’industrie des pâtes et papiers ne considère plus acceptable l’utilisation d’attaches rigides pour un surchauffeur . . . »

([2003] R.J.Q. 2194, par. 41)

94 Lorsqu’un problème important affecte l’usage du bien et que le fabricant est au courant du problème, il doit y pourvoir s’il entend éviter d’engager sa responsabilité. Il ne peut se contenter de mettre en marché un produit et d’attendre simplement ensuite la réaction des utilisateurs.

95 Cela dit, C.E. utilise toujours des attaches de type « H » dans la conception de certains de ses produits, parfois en combinaison avec des attaches souples. Les présents motifs ne doivent pas être interprétés comme signifiant que les attaches de type « H » ne doivent jamais être utilisées dans la conception de surchauffeurs. À titre de fabricant de chaudières, C.E. est cependant tenue de tenir compte des besoins et des objectifs de ses clients dans la conception de ses chaudières. C’est à cette norme que Domtar était en droit de s’attendre.

3.7.1.2 L’existence du vice au moment de la vente

96 En l’espèce, le problème de fissuration engendré par l’utilisation d’attaches de type « H » ne découle pas d’une utilisation anormale de la chaudière de récupération comme l’a d’abord prétendu C.E. Par ailleurs, le juge de première instance conclut que la cause des fissures est liée à la rigidité des attaches utilisées. Avec raison, C.E. a décidé de ne pas reprendre son argument initial devant notre Cour. Le vice existait, selon toute probabilité, au moment de la vente.

3.7.1.3 Le vice était inconnu de Domtar au moment de la vente

97 Ce critère doit être évalué suivant une norme subjective. Le juge de première instance a conclu que Domtar n’avait pas la connaissance effective de ce qu’il a qualifié de particularité technique. Selon la preuve, C.E. n’a pas transmis à Domtar les informations internes qu’elle détenait à cet égard.

3.7.1.4 La nature occulte du vice malgré l’expertise de Domtar

98 La nature occulte du vice s’analyse en fonction du degré d’expertise dont bénéficie l’acheteur. En d’autres termes, Domtar aurait-elle dû découvrir le problème de fissuration excessive auquel elle s’exposait en raison de l’utilisation d’attaches de type « H »?

99 Le juge de première instance conclut que le principal interlocuteur de Domtar avait connaissance des deux opinions distinctes sur les attaches, puisqu’il avait été membre du Black Liquor Recovery Boiler Advisory Committee, dont l’objet était de discuter de problèmes récents de chaudières de récupération à l’origine d’interruptions non planifiées. Il a également souligné l’expertise du service d’ingénierie interne de Domtar et de Simons-Sandwell à l’égard de l’exploitation d’usines de pâte et papier. Bien que Domtar ait été qualifiée d’utilisatrice avertie de l’équipement employé dans le cadre des activités d’une usine de pâte et papier, il est ici question de la conception d’un appareil industriel conçu sur mesure. C.E. est une compagnie spécialisée dans la conception de chaudières de récupération. Ainsi, le juge de première instance indique qu’environ 50 p. 100 à 60 p. 100 des revenus de C.E. provenaient de la conception et de la vente de chaudières. Sa part du marché canadien pour ces appareils atteignait alors 80 p. 100. Or, l’expertise dans l’utilisation d’un tel équipement n’emporte pas automatiquement l’expertise dans la conception du produit comme tel. Le fabricant possède nécessairement une connaissance plus approfondie du produit qu’il conçoit, puisqu’il contrôle les matériaux et la main-d’œuvre.

100 Discutant les qualités professionnelles des représentants de Domtar, le juge de première instance a affirmé que Simons‑Sandwell possédait une certaine connaissance des chaudières et connaissait notamment l’existence des attaches souples ainsi que leurs avantages potentiels. Toutefois, ni Simons-Sandwell, ni Domtar ne savaient que les attaches rigides étaient vraisemblablement la cause de l’apparition de nombreuses fissures.

101 C.E. prétend que le juge de première instance n’a pas attribué suffisamment d’importance à la connaissance de Simons-Sandwell. Cette prétention ne peut être retenue. Le fait que Domtar ait été assistée d’un expert ne fait pas en sorte que le vice soit apparent. La cause de la fissuration excessive restant inconnue à la fois pour Domtar et pour Simons-Sandwell, le vice en l’espèce était véritablement caché.

3.7.2 L’applicabilité de la clause limitative de responsabilité

102 Rappelons que la clause limitative de responsabilité ne peut être invoquée que si C.E., à titre de fabricant, peut réfuter la présomption de connaissance qui pèse sur elle. C.E. devait prouver qu’un autre fabricant placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas eu connaissance du vice : Samson & Filion. Devant notre Cour, C.E. ne plaide ni la faute de Domtar ou d’un tiers, ni la force majeure, ni le risque de développement, mais plutôt sa bonne foi tout au cours de sa relation d’affaires avec Domtar. Bien que la bonne foi n’ait pas, à ce jour, été reconnue comme moyen de repousser la présomption, il convient d’examiner les faits tels qu’ils ont été plaidés par C.E. et constatés par le juge de première instance.

103 Le juge de première instance a relaté de façon détaillée l’évolution des systèmes d’attaches utilisées dans les chaudières de récupération. En 1977, C.E. avait décidé de remplacer les attaches rigides de type « A » par des attaches rigides de type « H » parce que les attaches de type « A » causaient déjà depuis cinq années des problèmes majeurs de fuites. C.E. a jugé les attaches de type « H » préférables malgré l’absence de travaux de vérification.

104 Au début des années 80, des fabricants ont commencé à utiliser des attaches souples. Des mémos internes de C.E. démontraient que plusieurs clients américains s’étaient plaints de problèmes de fissures et de fuites reliées aux attaches rigides. En conséquence, la compagnie-mère de C.E. a imposé les attaches souples à titre de standard de l’entreprise en 1984 aux États-Unis. Or, un problème similaire existait au Canada : C.E. avait reçu des plaintes de clients canadiens en date de janvier 1983, mai 1983 et décembre 1984 concernant des attaches de type « A ». En juin 1985, C.E. avait recommandé à l’un de ses clients d’utiliser des attaches souples pour éviter les fissures et fuites. Au cours de l’année 1988, C.E. décide de restreindre son utilisation des attaches souples afin de demeurer compétitive sur le marché :

[traduction] Une note de service interne insistait sur l’utilisation d’attaches rigides (tie welds) en raison du coût additionnel lié à la fabrication d’attaches souples (hinge pins) et du fait que, pour maintenir la situation concurrentielle de C.E. sur le marché, les attaches souples ne devaient être utilisées qu’en cas de « déficience, détérioration, mauvais alignement, etc., connu de nos attaches standards actuelles (flex ties) de tube tangent » ou « si le client l’exige expressément ou lorsqu’il est fait mention de la conception la plus nouvelle “à la fine pointe de la technologie” ».

([2003] R.J.Q. 2194, par. 39)

C.E. n’a finalement adopté les attaches souples à titre de standard canadien que l’année suivante. Pourtant, C.E. connaissait les problèmes associés à l’installation d’attaches rigides depuis le début des années 80, donc avant que le bon de commande de Domtar ne soit émis en septembre 1985.

105 Il ressort de la preuve que les connaissances techniques de l’heure avaient permis à des concurrents, et même à la compagnie-mère de C.E., de modifier leur standard. Or, pour réussir à réfuter la présomption de connaissance, il importe peu que C.E. ait cru de bonne foi avoir réglé le problème. La seule croyance sincère du fabricant quant au caractère adéquat de son produit ne lui permet pas de s’exonérer de sa responsabilité. Force est de constater que C.E., n’ayant pas invoqué de défense valable, n’a pas réussi à réfuter la présomption de connaissance qui pesait contre elle suivant la norme établie dans Samson & Filion.

106 Par conséquent, nous sommes d’avis que la Cour d’appel a eu raison de conclure que le surchauffeur était atteint d’un vice caché que C.E. connaissait ou aurait dû connaître. Compte tenu que C.E. n’a pas réussi à réfuter la présomption de connaissance qui pesait contre elle, elle ne peut invoquer en sa faveur la clause limitative de responsabilité.

3.8 L’obligation de renseignement

107 Le juge de première instance a conclu à une violation de l’obligation de renseignement alors que, pour la Cour d’appel, il s’agissait de garantie contre les vices cachés. Les deux notions se recoupent, mais il est important de les distinguer afin de préciser dans quelles circonstances chaque règle sera mise en —uvre.

108 Alors que la garantie contre les vices cachés est expressément prévue au C.c.B.C. et au C.c.Q., l’obligation de renseignement découle plutôt du principe général de bonne foi (Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, p. 586; art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.) et du principe du consentement libre et éclairé. De plus, l’obligation générale de renseignement a un champ d’application beaucoup plus vaste que la simple dénonciation d’un vice caché. Elle englobe toute information déterminante pour une partie à un contrat, comme l’a souligné le juge Gonthier dans l’arrêt Bail (voir p. 586‑587). Ainsi, l’on peut aisément concevoir une situation où le vendeur manquerait à son obligation de renseignement sans qu’il soit question de vice caché.

109 Par ailleurs, dans la mesure où le vendeur manque à son obligation de dénoncer un vice, l’on peut probablement affirmer du même coup qu’il aura aussi violé son obligation générale de renseigner l’acheteur sur un élément déterminant en rapport avec le bien vendu, c’est‑à‑dire l’existence d’un vice caché. Le présent litige se trouve dans cette dernière situation. Dans la mesure où une partie invoque la garantie du vendeur contre les vices cachés, l’obligation de renseignement se trouve en quelque sorte subsumée dans la grille d’analyse de la responsabilité du vendeur pour vices cachés et le tribunal n’a pas à procéder à une analyse distincte de l’obligation de renseignement du vendeur. C’est pourquoi notre analyse et notre conclusion quant à la responsabilité de C.E. fondée sur la garantie contre les vices cachés suffisent pour statuer sur le présent dossier.

110 Il reste désormais à examiner le moyen soulevé par C.E. concernant la réduction du montant accordé à Domtar en raison de son omission de réduire ses dommages et de l’indemnité qu’elle a reçue de son assureur Lloyd’s, ainsi que les recours contre Chubb, fondé sur le cautionnement d’exécution, et contre Arkwright, sur la base de la police d’assurance tous risques.

3.9 La réduction des dommages

111 Devant notre Cour, C.E. a présenté deux arguments pour réduire le montant des dommages-intérêts accordés à Domtar par la Cour d’appel. D’abord, C.E. prétend que Domtar a omis de réduire ses dommages en remplaçant un surchauffeur qui était pleinement fonctionnel et que, par conséquent, Domtar ne peut obtenir que le remboursement des réparations du printemps 1989. Ensuite, C.E. prétend que la détermination a posteriori par un tribunal, selon laquelle le dommage n’est pas couvert par la police d’assurance, n’enlève pas au paiement déjà effectué son caractère indemnitaire. Selon C.E., le paiement de l’assureur Lloyd’s à Domtar avait pour objet le règlement de certaines réclamations, dont celle relative à l’achat de la chaudière de C.E. Une fois ce paiement versé, Lloyd’s aurait été subrogée dans les droits de Domtar, ce qui aurait dû réduire d’autant les dommages-intérêts réclamés par cette dernière à C.E.

112 Le juge de première instance a rejeté la suggestion de C.E. que Domtar aurait pu procéder à des réparations au lieu de remplacer le surchauffeur. Le juge a souligné que Domtar a dû prendre sa décision en se fondant sur les informations qui étaient disponibles et que c’est à cause du manquement à l’obligation de renseignement de C.E. que Domtar n’a pu convenablement évaluer les autres solutions. Quant à l’argument de la subrogation, le juge de première instance a donné raison à C.E. et décidé que les dommages-intérêts réclamés par Domtar devraient être réduits du montant reçu de Lloyd’s.

113 La Cour d’appel a aussi rejeté les scénarios de réparation présentés par C.E. au motif que Domtar avait besoin d’un équipement fiable. Cependant, elle a renversé la conclusion du juge de première instance sur la question de la subrogation. Selon la Cour d’appel, pour qu’un paiement subroge l’assureur dans les droits de l’assuré, il faut d’abord que ce paiement soit versé à l’assuré en raison d’une obligation qui découle du contrat d’assurance ou de la loi. En l’espèce, puisqu’une clause du contrat d’assurance entre Lloyd’s et Domtar excluait expressément les dommages subis par suite de bris ou de défectuosité de la chaudière de récupération, le paiement versé par Lloyd’s ne pouvait viser les dommages réclamés par Domtar. Par conséquent, Lloyd’s n’a pas été subrogée dans les droits de Domtar. Les motifs de la Cour d’appel sont bien fondés et il n’y a pas lieu d’intervenir.

3.10 L’appel de Chubb

114 Notre Cour a autorisé l’appel de ce dossier accessoire parce que son sort dépendait directement de l’issue du dossier principal. En l’espèce, Domtar invoque un contrat de cautionnement en sa faveur. En vertu de ce contrat, Chubb a accepté de cautionner l’exécution des obligations de C.E. découlant du contrat de vente de la chaudière de récupération. Comme le surchauffeur était affecté d’un vice caché, Chubb est solidairement responsable du montant pour lequel elle s’était engagée à titre de caution envers Domtar, comme l’a décidé la Cour d’appel.

3.11 L’appel de Domtar contre Arkwright

115 Ce dossier accessoire porte sur une police d’assurance de dommages « tous risques » émise par Arkwright, qui protégeait les biens de Domtar au moment des événements, incluant la chaudière de récupération. Cette police d’assurance a déjà permis à Domtar d’être indemnisée pour les dommages subis au moment des réparations du printemps 1989. Cette police contient cependant une clause excluant les dommages pour vices cachés de la chaudière.

116 Dans son appel, Domtar cherche à démontrer que les pertes étaient tout de même couvertes par la police d’assurance. Plus particulièrement, Domtar prétend que la perte de profits subie lorsque le surchauffeur de C.E. a été remplacé à l’automne 1989 par un surchauffeur de B. & W. résulte de la conception viciée des attaches rigides de type « H ». Autrement dit, le vice caché n’affecterait pas l’ensemble de la chaudière, ni le surchauffeur, mais strictement les attaches de type H. Par conséquent, les dommages subis seraient couverts par la police d’assurance.

117 En première instance, le juge a donné raison à Arkwright. Selon lui, le remplacement du surchauffeur n’était pas la seule solution possible pour Domtar puisqu’au moment de le remplacer, l’appareil pouvait continuer à fonctionner pour une période indéfinie. Domtar ne pouvait donc invoquer sa police d’assurance tous risques pour réclamer des déboursés effectués en vue de prévenir une perte éventuelle et hypothétique.

118 Domtar a porté ce jugement en appel. Selon la Cour d’appel, le remplacement du surchauffeur était nécessaire. Elle se dit d’avis qu’il est impossible de dissocier les attaches du surchauffeur même et que l’assureur peut invoquer la clause d’exclusion parce que c’est l’ensemble du surchauffeur qui est atteint du vice de conception, et pas seulement les attaches. Selon la Cour d’appel, l’interprétation restrictive que Domtar cherche à donner à la clause d’exclusion priverait cette dernière de tout effet. La réclamation de Domtar se situait clairement en dehors de la couverture d’assurance prévue dans la police d’Arkwright.

119 Dans le dossier principal, nous avons conclu que la conception du surchauffeur était viciée en raison de la fissuration excessive des tubes engendrée par l’utilisation des attaches de type H et que C.E., à titre de fabricant, était entre autres responsable du coût du remplacement du surchauffeur. Accepter la prétention de Domtar selon laquelle les attaches sont dissociables du surchauffeur viderait la clause d’exclusion de couverture de sa raison d’être, puisqu’il serait presque toujours possible d’isoler une composante à l’origine du vice.

120 En somme, les prétentions de Domtar dans cet appel contre Arkwright sont mal fondées en droit. Pour les motifs exprimés par la Cour d’appel, nous sommes donc d’avis que le coût du remplacement du surchauffeur vicié était exclu de la police d’assurance.

4. Dispositif

121 Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter les trois pourvois et de confirmer les jugements de la Cour d’appel, le tout avec dépens devant toutes les cours.

ANNEXE

Code civil du Bas Canada

1522. Le vendeur est tenu de garantir l’acheteur à raison des défauts cachés de la chose vendue et de ses accessoires, qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement son utilité que l’acquéreur ne l’aurait pas achetée, ou n’en aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.

1523. Le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu lui‑même connaître l’existence.

1524. Le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins qu’il n’ait stipulé qu’il ne serait obligé à aucune garantie.

1527. Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages‑intérêts soufferts par l’acheteur.

Il est tenu de la même manière dans tous les cas où il est légalement présumé connaître les vices de la chose.

1528. Si le vendeur ignorait les vices de la chose ou n’est pas légalement présumé les avoir connus, il n’est tenu envers l’acheteur qu’au remboursement du prix et des frais occasionnés par la vente.

Code civil du Québec

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.

Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l’ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages‑intérêts soufferts par l’acheteur.

1733. Le vendeur ne peut exclure ni limiter sa responsabilité s’il n’a pas révélé les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien.

Cette règle reçoit exception lorsque l’acheteur achète à ses risques et périls d’un vendeur non professionnel.

Pourvois rejetés avec dépens.

Procureurs des appelantes ABB Inc., Alstom Canada Inc. et Chubb du Canada Compagnie d’Assurance : Stikeman Elliott, Montréal.

Procureurs de l’appelante/intimée Domtar Inc. : Ogilvy, Renault, Montréal.

Procureurs de l’intimée Arkwright Mutual Insurance Company : Kugler, Kandestin, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2007 CSC 50 ?
Date de la décision : 22/11/2007
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont rejetés

Analyses

Vente - Vice caché - Limitation de responsabilité - Dommages‑intérêts - Achat par une papetière d’une chaudière de récupération - Fuites et fissurations du surchauffeur de la chaudière causées par les attaches rigides de ses tubes - Surchauffeur réparé mais par la suite remplacé par la papetière par un produit fourni par un autre fabricant - Poursuite en dommages‑intérêts pour vices cachés et pour manquement à l’obligation de renseigner l’acheteur - Les conditions d’existence d’un vice caché sont‑elles réunies? - Une clause de limitation de la responsabilité du vendeur a‑t‑elle un effet dans le cas où celui‑ci connaissait ou était présumé connaître le vice caché? - Le vendeur ou l’acheteur ont‑ils manqué à leurs obligations respectives de renseigner ou de se renseigner? - L’acheteur a‑t‑il le droit d’être remboursé des pertes subies lors des réparations et des dépenses engagées pour remplacer le surchauffeur? - L’assureur a‑t‑il été subrogé dans les droits de l’acheteur à l’égard du paiement qu’il lui a versé et les dommages‑intérêts accordés à l’acheteur doivent‑ils être réduits dans cette proportion? - Code civil du Bas Canada, art. 1527.

Vente - Obligation de renseignement - Vice caché - Inclusion de l’obligation de renseignement du vendeur dans la garantie contre les vices cachés.

Domtar construit une nouvelle usine de pâte et papier à Windsor, au Québec. En décembre 1984, elle acquiert pour 13 500 000 $ une chaudière de récupération fabriquée par C.E. (maintenant ABB et Alstom). Le contrat de vente comporte une clause limitant la responsabilité du vendeur. La chaudière est conçue avec un surchauffeur muni d’attaches rigides de type « H » même si, à l’époque, C.E. connaît les problèmes découlant de l’utilisation de telles attaches et la technologie des attaches souples. En mars 1989, soit 18 mois après la mise en service de la chaudière, des tests chez Domtar révèlent la présence de quelques fuites et de centaines de fissures dans les tubes du surchauffeur. C.E. remplace plusieurs attaches rigides de type « H » par des attaches souples mais il y a désaccord quant à une solution permanente au problème. En octobre 1989, à la demande de Domtar, un concurrent de C.E. remplace les trois compartiments du surchauffeur par des éléments dotés d’attaches souples. Domtar intente contre C.E. une action en dommages‑intérêts fondée sur la garantie contre les vices cachés puis sur l’obligation de renseignement. Parallèlement, elle poursuit divers assureurs, dont Chubb et Arkwright, la première sur la base d’un contrat de cautionnement consenti à C.E. pour vice caché, la deuxième en vertu d’une police d’assurance « tous risques » protégeant Domtar. Elle se désiste toutefois de son recours contre l’assureur Lloyd’s à la suite d’une entente qui comprend le versement d’une somme de 1 578 900 $.

La Cour supérieure rejette la prétention de vice caché mais conclut que C.E. n’a pas rempli son obligation de renseignement quant aux risques liés aux attaches rigides. Elle condamne C.E. à payer 13 366 583 $ en dommages‑intérêts, moins le paiement de 1 578 900 $ effectué par Lloyd’s, qui aurait opéré subrogation en faveur de cette dernière. Vu l’absence de vice caché, le tribunal rejette l’action contre Chubb; il rejette aussi la réclamation contre Arkwright, au motif que le coût du remplacement du surchauffeur n’était pas assuré. La Cour d’appel retient la responsabilité de C.E. sur la double base de la garantie légale contre les vices cachés et de l’obligation de renseignement. Elle rejette la déductibilité du montant payé par Lloyd’s. Elle condamne l’assureur Chubb, solidairement avec C.E., à payer à Domtar la somme prévue au contrat de cautionnement. Elle confirme le rejet de l’action de Domtar contre Arkwright.

Arrêt : Les pourvois sont rejetés.

Étant donné que tous les faits allégués au soutien de l’action de Domtar se sont produits avant 1994, l’application des art. 83 et 85 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil mène à la conclusion que les questions concernant la garantie contre les vices cachés doivent ici être réglées par l’application du Code civil du Bas Canada (« C.c.B.C. »). [30]

Dans son intervention, la Cour d’appel ne réévalue pas la preuve au dossier. Elle s’appuie sur les constatations de fait du juge de première instance pour arriver à une conclusion de droit différente sur la nature du défaut. Cette conclusion ne viole donc pas le principe de retenue judiciaire à l’égard de la détermination des faits par le juge de première instance. Il s’agit plutôt d’un problème de qualification juridique. [37]

L’article 1527 C.c.B.C. tient tout vendeur qui connaît ou est légalement présumé connaître les vices de la chose responsable des dommages subis par l’acheteur. Le fabricant est considéré en droit civil du Québec comme l’expert ultime à l’égard du bien puisqu’il contrôle la main‑d’œuvre ainsi que les matériaux utilisés dans la production de ce bien. En conséquence, il est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l’obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés. L’expertise de l’acheteur est également pertinente car elle sert à évaluer si le vice est caché ou apparent. Plus l’acheteur connaît le bien qu’il acquiert, plus le vice affectant ce bien est susceptible d’être considéré comme apparent. L’acheteur a donc une obligation de se renseigner en procédant à un examen raisonnable du bien. Le test consiste à se demander si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait pu déceler le vice au moment de la vente. L’expertise de l’acheteur n’a toutefois pas pour effet d’annihiler la présomption qui pèse sur le fabricant. Le fabricant ne pourra invoquer une clause limitative de responsabilité à moins de parvenir à réfuter la présomption de connaissance du vice. [39] [41-42] [44]

Que le défaut soit matériel, fonctionnel ou conventionnel, il doit présenter quatre caractères, tous essentiels à la garantie : il doit être caché, suffisamment grave, existant au moment de la vente et inconnu de l’acheteur. En l’espèce, ces conditions sont réunies. Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la fissuration des tubes constituait une particularité technique plutôt qu’un vice de conception. D’abord, il définit le vice uniquement comme un problème qui empêche toute utilisation du bien, puis il confond la mise en marché d’une version moins performante d’un bien avec celle d’un bien déficient. Un vice sera considéré grave s’il rend le bien impropre à l’usage auquel on le destine, ou en diminue tellement l’utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix. Domtar n’aurait pas acheté une chaudière conçue avec des attaches de type « H » si on lui avait fait part des risques associés à ce type d’attaches. C.E. a utilisé ces attaches sans procéder à des analyses de résistance indépendantes pour déterminer si elles pouvaient supporter la contrainte exercée sur les tubes par la circulation de la vapeur à haute température. Elle a choisi de s’en remettre à l’appréciation de ses clients et elle a retardé l’adoption des attaches souples afin de demeurer compétitive. Le vice était inconnu de Domtar au moment de la vente parce que C.E. ne lui a pas transmis les informations internes qu’elle détenait à cet égard. Bien que Domtar ait été qualifiée d’utilisatrice avertie et aussi experte qu’elle soit dans l’utilisation de chaudières, on ne peut la qualifier de professionnelle « de même compétence » que C.E. Le fait que Domtar ait été assistée d’un expert ne fait pas non plus en sorte que le vice soit apparent. La cause de la fissuration excessive était inconnue à la fois de Domtar et de son expert. [45] [50] [86-88] [91] [93] [97] [99] [101]

Pour réfuter la présomption de connaissance du vice prévue à l’art. 1527 C.c.B.C., un fabricant n’est jamais admis à invoquer comme seul moyen de défense son ignorance du vice. Il doit démontrer qu’il ignorait le vice et que son ignorance était justifiée, c’est‑à‑dire qu’il n’aurait pu découvrir le vice, même en prenant toutes les précautions auxquelles l’acheteur est en droit de s’attendre d’un vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Il n’est justifié de ne pas engager la responsabilité du fabricant que lorsque celui‑ci démontre qu’il maîtrisait sa technique au moment de la conception du bien et que le vice en question ne saurait lui être imputable. Vu la rigueur de la présomption de connaissance applicable au fabricant, elle impose un haut niveau de diligence et rend très limité le spectre des moyens mis à sa disposition pour réfuter la présomption. Or, C.E. ne plaide ni la faute de Domtar ou d’un tiers, ni la force majeure, ni le risque de développement, mais plutôt sa bonne foi tout au cours de sa relation d’affaires avec Domtar. En l’espèce, la preuve révèle que C.E. connaissait les problèmes associés à l’installation d’attaches rigides depuis le début des années 80 et qu’elle avait accès dès cette époque à une meilleure technologie. [69‑72] [102] [104]

L’obligation de renseignement et la garantie contre les vices cachés sont deux notions qui se recoupent mais la première découle du principe général de bonne foi tandis que la seconde est expressément prévue au C.c.B.C. et au Code civil du Québec. De plus, l’obligation générale de renseignement a un champ d’application beaucoup plus vaste que la simple dénonciation d’un vice caché. L’obligation de renseignement se trouve subsumée dans la grille d’analyse de la responsabilité du vendeur pour vices cachés et le tribunal n’a pas à procéder à une analyse distincte de cette obligation. [107‑109]

Puisqu’une clause du contrat d’assurance entre Lloyd’s et Domtar excluait expressément les dommages subis par suite de bris ou de défectuosité de la chaudière de récupération, le paiement versé par Lloyd’s ne pouvait viser les dommages réclamés par Domtar. Lloyd’s n’a donc pas été subrogée dans les droits de Domtar et celle‑ci n’avait pas à réduire ses dommages en conséquence. [113]

Chubb a accepté de cautionner l’exécution des obligations de C.E. découlant du contrat de vente de la chaudière de récupération. Comme le surchauffeur est affecté d’un vice caché, Chubb est solidairement responsable du montant pour lequel elle s’était engagée. [114]

La police d’assurance de dommages « tous risques » émise par Arkwright pour les biens de Domtar contenait une clause excluant les dommages pour vices cachés. Accepter la prétention de Domtar de dissocier les attaches du surchauffeur même viderait la clause d’exclusion de couverture de sa raison d’être. [115] [119]


Parties
Demandeurs : ABB Inc.
Défendeurs : Domtar Inc.

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués : Desgagné c. Fabrique de St‑Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19
Placement Jacpar Inc. c. Benzakour, [1989] R.J.Q. 2309
Samson & Filion c. Davie Shipbuilding & Repairing Co., [1925] R.C.S. 202
Touchette c. Pizzagalli, [1938] R.C.S. 433
Manac inc./Nortex c. Boiler Inspection and Insurance Co. of Canada, [2006] R.R.A. 879
arrêts mentionnés : Marquis c. Saltsman, J.E. 2002‑1729, SOQUIJ AZ‑50143509
Rousseau c. 2732‑1678 Québec inc., [1999] R.D.I. 565
Société en commandite A.C. enr. c. Wadieh, [1997] R.D.I. 345
Bertrand c. Pelletier, [1997] R.D.I. 321
Poirier c. Martucelli, [1995] R.D.I. 319
Trottier c. Robitaille, [1994] R.D.I. 537
Cloutier c. Létourneau, [1993] R.L. 530
Rousseau c. Gagnon, [1987] R.J.Q. 40
Auto Peliss ltée c. Proulx Pontiac Buick ltée, [2001] R.J.Q. 856
Garage Robert inc. c. 2426‑9888 Québec inc., [2001] R.J.Q. 865
Trois Diamants Autos (1987) ltée c. M.G.B. Auto inc., [2001] R.J.Q. 860
General Motors Products of Canada c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790
Oakwood Construction Inc. c. Ratthé, [1993] R.D.I. 181
Blandino c. Colagiacomo, [1989] R.D.I. 148
Oppenheim c. Forestiers R.P.G.M. inc., J.E. 2002‑1197, SOQUIJ AZ‑50133145
London & Lancashire Guarantee & Accident Co. of Canada c. Cie F.X. Drolet, [1944] R.C.S. 82
Civ. 1re, 24 novembre 1954, J.C.P. 1955.II.8565, obs. H. B.
Civ. 1re, 19 janvier 1965, D. 1965.389, obs. Cornu
Com., 6 novembre 1978, J.C.P. 1979.II.19178, obs. Ghestin
Com., 8 octobre 1973, J.C.P. 1975.II.17927, obs. Ghestin
Civ. 3e, 30 octobre 1978, J.C.P. 1979.II.19178
Tony’s Broadloom & Floor Covering Ltd. c. NMC Canada Inc. (1995), 22 O.R. (3d) 244, conf. par (1996), 31 O.R. (3d) 481
Jenkins c. Foley (2002), 215 Nfld. & P.E.I.R. 257, 2002 NFCA 46
Parlby Construction Ltd. c. Stewart Equipment Co., [1972] 1 W.W.R. 503
Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423
Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426
R. G. McLean Ltd. c. Canadian Vickers Ltd., [1971] 1 O.R. 207
Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554.
Lois et règlements cités
Code civil du Bas Canada, art. 1522, 1523, 1524, 1527, 1528, 2202.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 6, 7, 1375, 1473, 1726, 1728, 1729, 1733, 2847.
Code civil (France), art. 1641, 1642, 1643, 1644, 1645.
Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57, art. 4, 83, 85.
Doctrine citée
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Barret, Olivier. « Vente », dans P. Raynaud, dir., Répertoire de droit civil, t. X, 2e éd. Paris : Dalloz, 1979 (mise à jour 2007).
Bénabent, Alain. Droit civil : Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 5e éd. Paris : Montchrestien, 2001.
Cornu, Gérard. Observation sous Civ. 1re, 19 janvier 1965, Rev. trim. dr. civ. 1965.665.
Cornu, Gérard. Observation sous Com., 6 novembre 1978 et Civ. 3e, 30 octobre 1978, Rev. trim. dr. civ. 1979.392.
Côté, Pierre‑André, et Daniel Jutras. Le droit transitoire civil : Sources annotées. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1994 (mise à jour février 2006, envoi no 17).
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Traité de droit civil du Québec, t. 11, par Léon Faribault. Montréal : Wilson & Lafleur, 1961.

Proposition de citation de la décision: ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50 (22 novembre 2007)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-11-22;2007.csc.50 ?
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