POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Dussault, Bich et Vézina), J.E. 2006‑716, SOQUIJ AZ‑50363026, [2006] J.Q. no 2519 (QL), 2006 QCCA 413, qui a infirmé une décision du juge Emery, J.E. 2005‑2066, SOQUIJ AZ‑50332482, [2005] J.Q. no 12615 (QL). Pourvoi rejeté.
Donald Kattan, pour les appelantes Impulsora Turistica de Occidente, S.A. de C.V., Vision Corporativa y Fiscal, S.A. de C.V. et Hotelera Qualton, S.A. de C.V.
Stéphane Pitre, pour l’appelante Tescor, S.A. de C.V.
Karim Renno et Dominic Dupoy, pour l’appelante MyTravel Canada Holidays Inc.
Richard A. Hinse, Élise Poisson et Bruno Verdon, pour l’intimée.
Version française du jugement rendu par
1 La Cour — L’intimée, Transat Tours Canada Inc. (« Transat »), a demandé à la Cour supérieure du Québec de prononcer contre l’appelante, Tescor, S.A. de C.V. (« Tescor »), une injonction et d’autres réparations. Essentiellement, Transat a prétendu que Tescor, une société commerciale mexicaine, n’avait pas respecté un contrat accordant à Transat le droit exclusif, pendant trois ans, de louer des chambres dans un hôtel de Puerto Vallarta. Ce contrat contenait une clause d’élection de for désignant les tribunaux du Québec. Par la suite, Transat a déclaré que trois autres sociétés mexicaines, Impulsora Turistica de Occidente, S.A. de C.V., Vision Corporativa y Fiscal, S.A. de C.V., et Hotelera Qualton, S.A. de C.V., avaient elles aussi participé à l’inobservation du contrat en acceptant de mettre des groupes de chambres à la disposition de l’entreprise canadienne MyTravel Canada Holidays Inc. (« MyTravel »), laquelle possède un établissement au Québec. Transat a mis en cause MyTravel en vertu du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C‑25.
2 En Cour supérieure, les défenderesses mexicaines — soutenues par MyTravel — ont contesté la demande d’ordonnance de sauvegarde présentée par Transat. Les appelantes ont en outre présenté conjointement une requête en exception déclinatoire dans laquelle elles affirmaient que les tribunaux québécois n’avaient pas compétence sur la question, au motif que Transat demandait une réparation à portée extraterritoriale contre des entreprises mexicaines n’ayant aucun lien avec le Québec. Les défenderesses prétendaient également dans leur requête que, suivant la règle du forum non conveniens prévue à l’art. 3135 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, la Cour supérieure devrait décliner compétence et rejeter l’action intentée par Transat.
3 La Cour supérieure s’est prononcée en faveur des appelantes. Elle a conclu à l’absence de motifs justifiant la délivrance d’une ordonnance de sauvegarde, jugeant que des dommages‑intérêts permettraient de compenser adéquatement Transat. Facteur plus important encore, la Cour supérieure a fait droit à la requête en exception déclinatoire, estimant que la réparation demandée par Transat nécessiterait la prise par les tribunaux québécois d’une mesure à portée extraterritoriale, que leurs ordonnances resteraient sans effet et que de toute façon, suivant la règle du forum non conveniens, les tribunaux mexicains étaient plus à même de trancher le litige : [2005] J.Q. no 12615 (QL).
4 Transat a fait appel de la partie du jugement de la Cour supérieure qui accueillait la requête en exception déclinatoire. Elle n’a pas contesté le rejet de sa demande d’ordonnance de sauvegarde. Le juge Dussault, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour d’appel, a infirmé la décision de la Cour supérieure et rejeté la requête en exception déclinatoire ([2006] J.Q. no 2519 (QL), 2006 QCCA 413). Il a jugé que, si l’on applique adéquatement la règle du forum non conveniens, il faut conclure que les tribunaux québécois avaient compétence sur la question et en avaient été régulièrement saisis. Par suite de ce jugement, l’affaire a été renvoyée à la Cour supérieure en vue de l’éventuelle poursuite de l’instance.
5 Nous sommes tous d’avis que l’arrêt de la Cour d’appel est bien fondé. Selon nous, le juge Dussault a bien appliqué les principes juridiques pertinents en ce qui concerne la compétence des tribunaux du Québec et la règle du forum non conveniens.
6 Premièrement, nous souscrivons à la conclusion du juge Dussault selon laquelle la Cour supérieure avait compétence pour connaître de la demande d’injonction et autre réparation accessoire. Ce dernier a dit ceci, aux par. 32 à 36 de ses motifs :
Je ne peux retenir l’argument des intimées selon lequel une Cour compétente pourrait ne pas avoir le pouvoir d’émettre une ordonnance d’injonction à portée purement extraterritoriale.
D’une part, l’article 46, alinéa 1 C.p.c. énonce que « [l]es tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence ».
D’autre part, dans la mesure où l’article 3148 C.c.Q. définit l’étendue de la compétence des tribunaux québécois en droit international privé et qu’en l’espèce la Cour supérieure est compétente en vertu du paragraphe 3° du premier alinéa de cet article pour trancher le litige, elle a le pouvoir d’émettre une ordonnance d’injonction contre les intimées.
Que la Cour supérieure puisse avoir de la difficulté à sanctionner un éventuel non‑respect de ses ordonnances ne constitue pas un facteur affectant son pouvoir d’émettre une ordonnance d’injonction. Ainsi que le souligne le juge Barclay de la [Cour du Banc de la Reine] de la Saskatchewan, [traduction] « [b]ien que les tribunaux soient réticents à prononcer des injonctions visant des parties à l’extérieur de leur ressort, ils possèdent effectivement le pouvoir de le faire » (Super Seamless Steel Siding of Canada Ltd. v. Eastside Machine Co. (1993), 103 Sask. R. 293, au paragr. [47], se reportant à Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, Toronto, Canada Law Book, 1983, au paragr. 123 et Looseleaf Edition, 2005, au paragr. 1.1190).
C’est plutôt lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 3135 C.c.Q. qui lui permet, « [b]ien qu’elle soit compétente pour connaître d’un litige, [. . .] exceptionnellement et à la demande d’une partie, [de] décliner cette compétence si elle estime que les autorités d’un autre État sont mieux à même de trancher le litige » qu’elle aura à tenir compte des difficultés liées à la sanction d’un éventuel non‑respect de l’ordonnance recherchée (I.C.F. Spry, The Principles of Equitable Remedies, Scarborough, Carswell, 1984, à la p. 38).
7 Deuxièment, nous souscrivons également à la conclusion du juge Dussault sur l’application de la règle du forum non conveniens. Ce dernier a en effet jugé que, en s’attachant aux difficultés que présenterait la mise à exécution de ses ordonnances, la Cour supérieure avait omis de tenir compte des facteurs pertinents dans son analyse. À cet égard, nous estimons qu’il est utile de citer les commentaires suivants faits par le juge Dussault aux par. 39 et 40 de ses motifs :
En effet, contrairement à ce que MyTravel plaide, j’estime que lors de sa détermination du forum le plus approprié pour entendre le litige, le juge de première instance n’a pas procédé à un exercice de pondération des 10 critères développés par la jurisprudence et n’a pas traité de façon purement théorique la question du pouvoir de la Cour supérieure d’émettre une injonction à portée extraterritoriale. Au contraire, sa décision d’accueillir les requêtes en rejet d’action des intimées sur la base du forum non conveniens se fonde uniquement sur sa conclusion qu’il n’a pas le pouvoir d’émettre une telle ordonnance.
Cette conclusion étant erronée, la décision qu’elle fonde l’est également. Je ne peux donc davantage retenir l’argument des intimées selon lequel le juge de première instance aurait judicieusement usé de son pouvoir discrétionnaire pour décliner compétence.
8 Il convient également de souligner que Tescor avait choisi de se soumettre aux lois et tribunaux du Québec. Qui plus est, toute ordonnance rendue par la Cour supérieure aurait des incidences sur MyTravel. La Cour supérieure semble avoir associé la question de la compétence des tribunaux québécois à celle de l’exécution de leurs jugements dans un ressort étranger en application des règles pertinentes du droit international privé.
9 Aucun motif ne justifiait de nier ou de décliner la compétence des tribunaux québécois à l’égard du litige qui oppose les parties au présent pourvoi. N’étant saisis que de la question de la compétence, nous nous abstenons d’exprimer quelque opinion sur le bien‑fondé de l’action intentée par Transat, laquelle doit être tranchée par la Cour supérieure.
10 Pour ces motifs, le pourvoi est rejeté avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelantes Impulsora Turistica de Occidente, S.A. de C.V., Vision Corporativa y Fiscal, S.A. de C.V. et Hotelera Qualton, S.A. de C.V. : Péloquin Kattan, Montréal.
Procureurs de l’appelante Tescor, S.A. de C.V. : Borden Ladner Gervais, Montréal.
Procureurs de l’appelante MyTravel Canada Holidays Inc. : Osler, Hoskin & Harcourt, Montréal.
Procureurs de l’intimée : Lavery, de Billy, Montréal.
Date de l'import : 06/04/2012 Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-05-25;2007.csc.20
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