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13/04/2006 | CANADA | N°2006_CSC_12

Canada | Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc., 2006 CSC 12 (13 avril 2006)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629‑4470 Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 420, 2006 CSC 12

Date : 20060413

Dossier : 30380, 30381

Entre :

Ville de Lévis

Appelante

et

Louis Tétreault

Intimé

et

Procureur général du Canada

Intervenant

et entre :

Ville de Lévis

Appelante

et

2629-4470 Québec Inc.

Intimée

et

Procureur général du Canada

Intervenant

Coram : La juge en chef McLachlin et l

es juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 35)

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, Fish, Abe...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629‑4470 Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 420, 2006 CSC 12

Date : 20060413

Dossier : 30380, 30381

Entre :

Ville de Lévis

Appelante

et

Louis Tétreault

Intimé

et

Procureur général du Canada

Intervenant

et entre :

Ville de Lévis

Appelante

et

2629-4470 Québec Inc.

Intimée

et

Procureur général du Canada

Intervenant

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 35)

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, Fish, Abella et Charron)

______________________________

Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629‑4470 Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 420, 2006 CSC 12

Ville de Lévis Appelante

c.

Louis Tétreault Intimé

et

Procureur général du Canada Intervenant

- et -

Ville de Lévis Appelante

c.

2629‑4470 Québec inc. Intimée

et

Procureur général du Canada Intervenant

Répertorié : Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629‑4470 Québec inc.

Référence neutre : 2006 CSC 12.

Nos du greffe : 30380, 30381.

2005 : 21 octobre; 2006 : 13 avril.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOIS contre le refus de la Cour d’appel du Québec (le juge Dussault), [2004] J.Q. no 4541 (QL), [2004] J.Q. no 4540 (QL), d’autoriser les appels de décisions du juge Desjardins, SOQUIJ AZ‑50226154, [2004] J.Q. no 2571 (QL), qui ont confirmé les acquittements des intimés. Pourvois accueillis.

Martin Bouffard, pour l’appelante.

Personne n’a comparu pour l’intimé Louis Tétreault.

Christian Desrosiers et Hélène Maillette, pour l’intimée 2629‑4470 Québec inc.

Michel F. Denis et Bernard Mandeville, pour l’intervenant.

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge LeBel —

I. Introduction

1 Dans ces deux pourvois, la Ville de Lévis (« Ville ») interjette appel des acquittements prononcés par la Cour municipale de Lévis à l’égard d’accusations portées contre les intimés en vertu du Code de la sécurité routière, L.R.Q., ch. C-24.2 (« Code de sécurité »), et conformément au Code de procédure pénale, L.R.Q., ch. C-25.1 (« C.p.p. »). La Ville plaide que les dispositions pertinentes du Code de sécurité créent des infractions de responsabilité absolue. Subsidiairement, même si on considère ces infractions comme des infractions de responsabilité stricte, selon ses prétentions, les intimés n’ont pas réussi à démontrer leur diligence raisonnable. En conséquence, notre Cour devrait accueillir les appels et prononcer des déclarations de culpabilité.

2 Pour les motifs que j’expose maintenant, je conclus que les appels sont bien fondés. Les infractions en cause doivent être considérées comme des infractions de responsabilité stricte, mais les intimés n’ont pas démontré qu’ils avaient fait preuve d’une diligence raisonnable. Par ailleurs, à mon avis, bien qu’elle soit recevable en droit pénal, la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité n’a pas été établie par l’intimée dans le dossier Ville de Lévis c. 2629-4470 Québec inc.

II. L’origine des litiges

3 La compagnie 2629-4470 Québec inc. (la « compagnie ») a reçu, le 25 avril 2002, un constat d’infraction lui reprochant d’avoir remis un véhicule automobile en circulation sans avoir payé à la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ ») les droits d’immatriculation exigés pour conserver le droit de le faire circuler, contrairement à l’art. 31.1 du Code de sécurité. Au procès, l’intimée a expliqué qu’elle avait acheté le véhicule le 17 janvier 2001. Le propriétaire antérieur avait payé les droits d’immatriculation jusqu’au 31 mars 2001. Après l’achat du véhicule, le représentant de la compagnie procéda à son immatriculation à un bureau de la SAAQ. Celle-ci remboursa au propriétaire antérieur les droits d’immatriculation pour la période du 17 janvier au 31 mars 2001 et transféra ces frais résiduels pour l’année en cours au compte de la compagnie. La compagnie paya alors les frais résiduels en plus d’acquitter, sur la recommandation d’un préposé de la SAAQ, les droits d’immatriculation de l’année suivante, pour un total d’environ 15 mois, jusqu’au 31 mars 2002. Selon le témoignage du représentant de la compagnie, le fonctionnaire lui expliqua qu’il recevrait un avis de renouvellement environ 60 jours avant l’échéance du 31 mars 2002. Le certificat d’immatriculation remis à l’intimée indiquait qu’il expirait le 31 mars 2002. Vers le 18 janvier 2002, la SAAQ envoya un avis de renouvellement à l’adresse municipale de la compagnie, sans ajouter le numéro d’appartement, qu’elle possède pourtant dans ses dossiers. En conséquence, la poste ne livra pas le document, qu’elle renvoya à la SAAQ le 14 février 2002. En avril 2002, la police intercepta le véhicule et constata que son immatriculation était expirée en raison du non-paiement des droits pour l’année en cours et n’avait pas été remise en vigueur. Une plainte fut alors portée contre la compagnie et fait l’objet du présent débat.

4 Le dossier Ville de Lévis c. Tétreault a commencé avec le dépôt d’une plainte de conduite d’un véhicule sans permis de conduire valide, contrairement à l’art. 93.1 du Code de sécurité. Un policier a intercepté M. Tétreault au volant d’une automobile et constaté que son permis de conduire était expiré. À son procès, l’intimé a affirmé que, vu son âge, il conduisait depuis peu d’années. En raison de ce fait, il ignorait que la date inscrite sur son permis était la date de son expiration et non celle de l’exigibilité d’un paiement. Il a alors souligné que les nouveaux permis délivrés par la SAAQ distinguent désormais ces deux dates.

III. L’historique judiciaire

5 La Cour municipale de la Ville de Lévis a entendu les deux plaintes. Les intimés ont plaidé que les dispositions pertinentes du Code de sécurité créaient une infraction de responsabilité stricte et qu’ils avaient fait preuve de diligence raisonnable. Le tribunal a accepté cette défense et a acquitté les deux intimés. Le 8 mars 2004, la Cour supérieure a rejeté les pourvois déposés par la poursuite en vertu du C.p.p. ([2004] J.Q. no 2571 (QL)). À son avis, le Code de sécurité a créé des infractions de responsabilité stricte. Dans le dossier de M. Tétreault, elle a accepté la défense de diligence raisonnable de l’intimé. Dans le cas de la compagnie, elle a conclu que cette dernière avait établi les défenses de diligence raisonnable et d’erreur provoquée par une personne en autorité. La Ville a alors tenté de se pourvoir devant la Cour d’appel du Québec. Invoquant la jurisprudence antérieure de la Cour d’appel du Québec, un juge de celle-ci a rejeté, le 14 avril 2004, les demandes d’autorisation de pourvoi présentées par la Ville dans ces deux dossiers ([2004] J.Q. no 4541 (QL), [2004] J.Q. no 4540 (QL)). Les affaires sont maintenant portées devant notre Cour.

IV. Analyse

A. Les questions en litige

6 Ces deux pourvois invitent notre Cour à examiner la nature des infractions reprochées aux prévenus et celle des moyens de défense ouverts à ces derniers. Malgré certaines prétentions de la compagnie, ces affaires ne remettent pas en cause la classification tripartite des infractions pénales, entre infractions de mens rea, de responsabilité stricte et de responsabilité absolue, qu’a établie l’arrêt Sault Ste-Marie en 1978 (R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299). Le débat porte plutôt sur la qualification des infractions selon cette classification avec ses conséquences sur les fardeaux de preuve de la poursuite et des prévenus et la recevabilité des défenses de diligence raisonnable et d’erreur provoquée par une personne en autorité.

7 L’appelante plaide que les infractions reprochées appartiennent à la catégorie des infractions de responsabilité absolue, ce qui exclurait tout plaidoyer de diligence raisonnable. Subsidiairement, si notre Cour retenait la classification d’infractions de responsabilité stricte, la Ville ajoute que les intimés n’ont pas établi en droit les éléments d’une défense de diligence raisonnable. Par ailleurs, dans le cas de la compagnie, l’appelante plaide aussi que l’intimée n’a pas démontré l’existence des éléments de sa défense d’erreur provoquée par une personne en autorité. La compagnie intimée répond que l’infraction qu’on lui reproche, celle d’avoir mis en circulation un véhicule non immatriculé, est de responsabilité stricte et qu’elle a établi ses défenses de diligence raisonnable et d’erreur provoquée par une personne en autorité. M. Tétreault n’est pas intervenu devant notre Cour et n’a présenté ni mémoire ni plaidoirie orale. Cependant, les mémoires et les argumentations des parties représentées devant la Cour permettent d’étudier adéquatement les questions que soulèvent les deux appels.

8 J’examinerai d’abord les deux infractions et leur mode de poursuite en droit pénal québécois. J’étudierai ensuite la méthode de classement de ces infractions et leur qualification dans le cadre des principes généraux gouvernant la responsabilité pénale ainsi que le problème de la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité. Sur la base de cette analyse, je vérifierai alors si les défenses admissibles, le cas échéant, ont été établies en droit.

B. Les infractions reprochées et leur mode de poursuite

9 Pour bien comprendre le cadre juridique de ces appels, il faut d’abord revenir à la description des infractions reprochées aux intimés. Son étude permettra ensuite de déterminer leur classification.

10 Comme je l’ai mentionné précédemment, la poursuite reproche à la compagnie, propriétaire d’un véhicule automobile, d’avoir remis celui-ci en circulation sans avoir payé les droits prescrits relatifs à son immatriculation à la SAAQ, contrairement à l’art. 31.1 du Code de sécurité. Cette disposition lui imposait en effet l’obligation d’immatriculer le véhicule en acquittant un ensemble de droits divers. Je reproduis ici la version de cette disposition législative en vigueur à l’époque pertinente :

31.1. Pour conserver le droit de circuler avec un véhicule routier immatriculé, le propriétaire de celui-ci, à moins d’en être exempté par règlement, doit, selon la fréquence prévue par règlement, payer à la Société les frais fixés par règlement, les droits fixés par règlement et revalorisés, le cas échéant, conformément à l’article 151.4 de la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25), la contribution d’assurance fixée en vertu de l’article 151.1 de cette loi et revalorisée, le cas échéant, conformément à l’article 151.4 de cette loi ainsi que, le cas échéant, la contribution des automobilistes au transport en commun fixée en vertu de l’article 88.3 de la Loi sur les transports (chapitre T-12) et à l’égard d’un véhicule routier de la catégorie déterminée par règlement qui a sept années ou moins et dont la valeur est de plus de 40 000 $, un droit additionnel qui, lorsque calculé sur une base annuelle, correspond à 1 % de la valeur du véhicule excédant 40 000 $, au cours des périodes déterminées par règlement.

Le propriétaire qui renonce à circuler avec ce véhicule pendant la totalité ou une partie de la durée correspondant au paiement des sommes visées au premier alinéa, doit en aviser la Société avant la date d’échéance du paiement de ces sommes ou à toute date ultérieure déterminée par règlement. Il ne sera alors pas tenu de payer les droits, le droit additionnel et les frais, ni la contribution d’assurance prescrits pour la période au cours de laquelle cette renonciation a effet.

Lorsque le propriétaire n’a pas payé les sommes prévues au premier alinéa à la date d’échéance ou lorsqu’il a avisé la Société qu’il renonce à circuler avec ce véhicule conformément au deuxième alinéa, nul ne peut, à compter de la date d’échéance ou de la date à laquelle la Société a reçu l’avis de renonciation, selon le cas, et sans autre avis, remettre le véhicule routier en circulation.

Le propriétaire peut demander à la Société, pendant la durée correspondant au paiement des sommes visées au premier alinéa, l’autorisation de remettre ce véhicule routier en circulation. Il doit alors acquitter les droits, le droit additionnel, les frais, la contribution d’assurance et les frais supplémentaires prévus par règlement, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement.

11 L’accusation portée contre M. Tétreault lui fait grief d’avoir conduit une automobile sans avoir maintenu en vigueur son permis de conduire, puisqu’il n’avait pas payé les droits de renouvellement de celui-ci à la date prévue, contrairement à l’art. 93.1 du Code de sécurité. Cette disposition impose, en effet, le paiement des droits prescrits, aux échéances prévues, comme condition du maintien en vigueur d’un permis de conduire. La voici telle qu’elle était libellée au moment du constat d’infraction :

93.1. Le titulaire d’un permis de conduire doit, selon la fréquence prévue par règlement, payer à la Société les frais fixés par règlement, les droits fixés par règlement et revalorisés, le cas échéant, conformément à l’article 151.4 de la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25) ainsi que la contribution d’assurance fixée en vertu de l’article 151 de cette loi et revalorisée, le cas échéant, conformément à l’article 151.4 de cette loi, au cours de la période déterminée par règlement. À défaut de paiement au cours de cette période, le titulaire ne peut, à compter du premier jour suivant la date d’expiration de cette période et sans autre avis de la Société, conduire un véhicule routier.

Le titulaire d’un permis probatoire doit, avant l’expiration de celui-ci, payer les sommes visées à l’article 69 pour l’obtention d’un premier permis de conduire ou aviser la Société de son intention de ne pas en obtenir un.

Le titulaire d’un permis de conduire qui, au cours de la période déterminée par règlement, demande l’annulation de son permis ou avise la Société de son intention de ne pas le renouveler, n’est pas tenu de payer les sommes visées au premier alinéa.

La personne qui ne s’est pas conformée au premier ou au deuxième alinéa et qui demande à la Société, pendant la durée correspondant au paiement des sommes visées au premier ou au deuxième alinéa, l’obtention d’un premier permis de conduire, le renouvellement de son permis de conduire ou l’autorisation de conduire de nouveau un véhicule routier, doit alors acquitter ces sommes ainsi que les frais supplémentaires prévus par règlement, conformément aux conditions et aux modalités prévues par règlement.

12 Les violations des art. 31.1 et 93.1 sont sanctionnées par des amendes d’au moins 300 $ et d’au plus 600 $ imposées en vertu des art. 59 et 141 du Code de sécurité. Les amendes sont recouvrées en vertu des dispositions du C.p.p. Sauf dérogation, l’art. 231 C.p.p. interdit le recours à l’emprisonnement pour le recouvrement des amendes. Cependant, l’art. 366 C.p.p. crée désormais une infraction de non-paiement délibéré de l’amende imposée dont une des sanctions peut être l’emprisonnement.

C. La classification des infractions pénales et sa méthode d’application

13 Les infractions reprochées aux intimés se situent dans l’immense catégorie des infractions dites réglementaires. Le législateur les édicte comme sanctions accessoires destinées à assurer le respect d’obligations diverses, préservant ainsi le bien‑être commun de la société (Sault Ste-Marie, p. 1310, le juge Dickson). La détermination de leur régime juridique a soulevé des incertitudes, en raison de leurs rapports parfois malaisés avec les principes fondamentaux du droit criminel et de la difficulté de cerner le contenu des moyens de défense du prévenu. C’est à ces difficultés que s’est attaqué l’arrêt Sault Ste-Marie.

14 Le système de responsabilité pénale en droit criminel canadien est structuré pour l’essentiel autour de l’acceptation et de l’application du concept de faute. Celle-ci consiste habituellement en la volonté délibérée de commettre un acte déterminé ou en des formes graves de négligence ou d’imprudence. La poursuite doit démontrer l’actus reus et la mens rea (Sault Ste-Marie, p. 1309-1310). Toutefois, avant l’arrêt Sault Ste-Marie, un régime de responsabilité objective et absolue gouvernait en général les infractions réglementaires. La culpabilité s’inférait, en substance, de la seule preuve de la commission de l’acte prohibé, de l’actus reus. L’accusé n’était même pas admis à plaider qu’il n’avait commis aucune faute (Sault Ste-Marie, p. 1310).

15 Devant les difficultés et les injustices causées par cette dichotomie entre les infractions de mens rea et celles de responsabilité absolue, notre Cour a reconnu à l’occasion de l’arrêt Sault Ste-Marie la nécessité et l’existence d’une catégorie intermédiaire d’infractions de responsabilité stricte. Une classification proposée alors par certains auteurs suggérait de les identifier à des infractions de négligence. Le prévenu pourrait se disculper en démontrant de manière positive son absence de négligence, sans obliger, par contre, la poursuite à démontrer la mens rea ou l’absence de diligence raisonnable (Sault Ste-Marie, p. 1313 et 1325). Dans l’approche qui a été adoptée par notre Cour, il s’agit en réalité de laisser au prévenu la possibilité et le fardeau de démontrer une diligence raisonnable. On applique à ce moment une norme objective, qui apprécie son comportement par rapport à celui d’une personne raisonnable, placée dans un contexte similaire. Le juge Dickson décrivait ainsi les infractions de responsabilité stricte :

2. Les infractions dans lesquelles il n’est pas nécessaire que la poursuite prouve l’existence de la mens rea; l’accomplissement de l’acte comporte une présomption d’infraction, laissant à l’accusé la possibilité d’écarter sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. Ces infractions peuvent être à juste titre appelées des infractions de responsabilité stricte. C’est ainsi que le juge Estey les a appelées dans l’affaire Hickey.

(Sault Ste-Marie, p. 1326)

16 Le classement de l’infraction dans l’une des trois catégories désormais reconnues par la jurisprudence devient alors une question d’interprétation législative. Le juge Dickson souligne que les infractions réglementaires ou de bien-être public se retrouvent habituellement dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte, plutôt que dans celle des infractions de mens rea. En effet, on présume, en règle générale, qu’elles appartiennent à la catégorie intermédiaire, pour respecter le principe de droit reconnu par la common law selon lequel, ordinairement, l’imposition d’une responsabilité pénale suppose l’existence d’une faute :

Les infractions contre le bien-être public appartiennent généralement à la deuxième catégorie. Elles ne sont pas assujetties à la présomption de mens rea proprement dite. Une infraction de ce genre tombera dans la première catégorie dans le seul cas où l’on trouve des termes tels que « volontairement », « avec l’intention de », « sciemment » ou « intentionnellement » dans la disposition créant l’infraction.

(Sault Ste-Marie, p. 1326)

17 La catégorie des infractions de responsabilité absolue demeure. Elle devient cependant une exception dont la reconnaissance dépend de la démonstration claire de l’intention du législateur. Cette intention se dégage de facteurs divers dont le principal paraît être le texte même de la loi :

En revanche, le principe selon lequel une peine ne doit pas être infligée à ceux qui n’ont commis aucune faute est applicable. Les infractions de responsabilité absolue seront celles pour lesquelles le législateur indique clairement que la culpabilité suit la simple preuve de l’accomplissement de l’acte prohibé. L’économie générale de la réglementation adoptée par le législateur, l’objet de la législation, la gravité de la peine et la précision des termes utilisés sont essentiels . . .

(Sault Ste-Marie, p. 1326)

18 La classification établie par notre Cour reposait alors sur une présomption d’interprétation. L’évolution constitutionnelle, depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés, a consolidé ses fondements juridiques. En effet, sans abolir la catégorie des infractions de responsabilité absolue, notre Cour a décidé que l’imposition d’une responsabilité pénale de cette nature violerait les principes de justice fondamentale protégés par la Charte lorsqu’une déclaration de culpabilité exposerait le prévenu à une peine d’emprisonnement (Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 516; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, p. 652, le juge Lamer).

19 Notre Cour a réexaminé les méthodes de classification des infractions réglementaires dans l’arrêt R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44. À l’occasion de cette affaire où elle devait décider si une infraction relative à la circulation routière était de responsabilité absolue, le juge Cory, pour la majorité, a paru suggérer un test en deux volets pour déterminer si une infraction est de responsabilité absolue. Dans un premier temps, on s’en rapporterait à la méthode d’analyse et aux présomptions d’interprétation proposées par le juge Dickson dans l’arrêt Sault Ste-Marie (par. 27). Cependant, l’on pourrait aussi rechercher si le législateur entendait reconnaître l’admissibilité d’une défense de diligence raisonnable (par. 28). Ce raffinement ajouté à la méthode de classification établie dans l’arrêt Sault Ste-Marie ne facilite pas son application. En effet, l’objectif de la méthode d’interprétation adoptée dans l’arrêt Sault Ste-Marie demeure précisément la découverte de la nature des moyens de défense ouverts au prévenu. Affirmer que l’on doit rechercher si l’accusé peut plaider sa diligence raisonnable constitue une simple répétition, sous une forme différente, de toute la finalité de cette opération juridique. Il vaudrait donc mieux s’en reporter au cadre d’analyse clair et à la méthode de classification adoptés dans l’arrêt Sault Ste-Marie. C’est ce que je me propose de faire dans les présents dossiers. J’examinerai toutefois auparavant la nature et la recevabilité de la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité, ainsi que ses liens avec le plaidoyer de diligence raisonnable.

D. La défense d’erreur provoquée par une personne en autorité

20 Puisque la compagnie intimée plaide qu’elle a été victime de l’information erronée qu’elle aurait reçue d’un fonctionnaire de la SAAQ au sujet de la procédure de paiement des droits relatifs à l’immatriculation de son véhicule, il faut maintenant examiner la nature et la recevabilité de la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité. En effet, notre Cour n’a jamais clairement accepté cette défense, bien que plusieurs décisions de tribunaux canadiens aient reconnu la pertinence et la légitimité de ce plaidoyer.

21 Au départ, pour bien situer la nature et les limites de cette défense, il convient de rappeler que le droit pénal canadien refuse d’accepter que l’ignorance de la loi supprime ou atténue la responsabilité pénale, malgré les critiques formulées parfois à propos de la rigueur de cette règle (D. Stuart, Canadian Criminal Law : A Treatise (4e éd. 2001), p. 323‑331). Ainsi, l’art. 19 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, dispose que l’ignorance de la loi n’excuse pas la commission d’une infraction. En vertu de l’art. 60 C.p.p., ce principe s’applique à l’égard des infractions réglementaires créées par la législation québécoise. En effet, cette disposition rend applicables en droit pénal québécois les règles et principes du droit pénal canadien gouvernant la définition et la mise en œuvre des moyens de défense admissibles à l’égard d’une accusation criminelle (G. Létourneau et P. Robert, Code de procédure pénale du Québec annoté (6e éd. 2004), p. 8-9 et 88).

22 Notre Cour a appliqué fermement et constamment le principe de l’irrecevabilité d’une défense d’ignorance de la loi. Elle a d’ailleurs donné effet à ce principe, non seulement en droit criminel proprement dit, mais aussi à l’égard des infractions réglementaires (Molis c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 356; Pontes). Cependant, l’absolutisme de cette règle soulève des inquiétudes lorsque l’erreur de droit du prévenu découle de l’erreur d’un représentant autorisé de l’État qui, par ailleurs, réclame par d’autres de ses agents que les rigueurs du droit pénal sanctionnent la conduite de cet accusé. L’équité fondamentale du processus pénal paraît alors ébranlée, qu’il s’agisse d’infractions de responsabilité stricte ou d’infractions de responsabilité absolue. Bien que notre Cour ne se soit pas prononcée sur le sujet, pour répondre à ces inquiétudes, le juge en chef Lamer, dans des motifs concurrents, a déjà proposé de reconnaître la défense d’erreur causée par une personne en autorité et tenté de définir ses conditions d’admissibilité dans l’arrêt R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55.

23 À l’occasion de cette affaire, qui portait sur une accusation de vente de matériel obscène, le juge en chef Lamer a examiné avec attention le développement jurisprudentiel de ce moyen de défense. Il a souligné que cette défense était apparue graduellement en droit pénal et avait été appliquée par des tribunaux de première instance et d’appel tant à l’égard d’actes criminels que d’infractions réglementaires (Jorgensen, par. 12-24). À l’occasion, d’ailleurs, rappelait le Juge en chef, des juges de notre Cour avaient paru reconnaître l’opportunité d’un tel moyen de défense. Tel avait été le cas du juge Ritchie dans R. c. MacDougall, [1982] 2 R.C.S. 605, p. 613 (Jorgensen, par. 17). Plus tard, le juge Gonthier avait lui aussi évoqué le cadre et la nature de la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité dans sa dissidence dans l’affaire Pontes, p. 88 (Jorgensen, par. 23).

24 Selon l’opinion du juge en chef Lamer, cette défense constituait une exception limitée, mais nécessaire, à la règle selon laquelle l’ignorance de la loi ne saurait justifier la commission d’une infraction pénale :

L’erreur de droit provoquée par une personne en autorité existe à titre d’exception à la règle selon laquelle l’ignorance de la loi ne constitue pas une excuse. Comme il a été souligné dans plusieurs des affaires où cette règle a été analysée, la complexité des règlements actuels permet de présumer qu’un citoyen responsable ne peut raisonnablement avoir une connaissance approfondie du droit. Toutefois, cette complexité ne justifie pas le rejet d’une règle qui encourage les citoyens à devenir responsables et le gouvernement à rendre publiques les règles de droit, et qui constitue un fondement essentiel de la primauté du droit. La multiplicité des règlements est un motif qui permet de créer une exception limitée à la règle selon laquelle l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.

(Jorgensen, par. 25)

25 Le juge en chef Lamer a assimilé cette défense à une excuse qui opère comme le moyen basé sur la provocation policière. Le caractère répréhensible de l’acte est établi. Cependant, le droit pénal se refuse à en imputer la responsabilité à son auteur en raison des circonstances qui l’ont produit. Le prévenu a droit alors à un arrêt des procédures plutôt qu’à un acquittement (Jorgensen, par. 37).

26 Après son analyse de la jurisprudence, le juge en chef Lamer définit les éléments constitutifs et les conditions d’ouverture de la défense. Il impose au prévenu l’obligation de démontrer la présence de six éléments :

(1) la présence d’une erreur de droit ou d’une erreur mixte de droit et de fait;

(2) la considération par son auteur des conséquences juridiques de l’acte accompli;

(3) le fait que l’avis obtenu provenait d’une personne compétente en la matière;

(4) le caractère raisonnable de l’avis;

(5) le caractère erroné de l’avis reçu;

(6) l’accomplissement de l’acte sur la base de cet avis.

(Jorgensen, par. 28-35)

27 Ce cadre d’analyse me paraît s’être imposé, bien que notre Cour ne se soit pas exprimée à son sujet dans l’arrêt Jorgensen. Ainsi, cette méthode a été employée par des cours d’appel provinciales pour étudier et appliquer la défense d’erreur causée par une personne en autorité (R. c. Larivière (2000), 38 C.R. (5th) 130 (C.A. Qué.); Maitland Valley Conservation Authority c. Cranbrook Swine Inc. (2003), 64 O.R. (3d) 417 (C.A.)). Je remarque d’ailleurs dans le présent pourvoi que ni le poursuivant, ni l’intervenant, le procureur général du Canada, n’ont mis en doute l’existence de ce moyen de défense dans l’état actuel du droit pénal canadien. Le procureur général du Canada a tout au plus suggéré d’ajouter aux conditions énumérées par le juge en chef Lamer, celle de la contemporanéité des informations reçues et de l’acte posé. Je ne crois pas nécessaire cet ajout. Les préoccupations du procureur général du Canada se rattachent plutôt à la nécessité de démontrer le caractère raisonnable de l’avis et de la confiance que lui a accordée le prévenu. Comme l’a fait la Cour d’appel de l’Ontario, il convient de souligner la nécessité d’établir le caractère objectivement raisonnable non seulement de l’avis, mais aussi de la confiance qui lui a été accordée (R. c. Cancoil Thermal Corp. (1986), 27 C.C.C. (3d) 295; Cranbrook Swine). Des facteurs divers seront pris en considération dans le cours de cette évaluation, comme les efforts faits par le prévenu pour se renseigner, la clarté ou l’obscurité du texte de la loi, le poste et le rôle du fonctionnaire qui a fourni le renseignement ou l’opinion, ainsi que la précision, la fermeté et le caractère raisonnable de ceux-ci (Cancoil Thermal, p. 303). On ne saurait se satisfaire dans ces cas d’une analyse purement subjective de ce caractère raisonnable. Il faut examiner cet aspect de la question par rapport à la perspective de la personne raisonnable placée dans une situation semblable à celle du prévenu.

28 Sur la base des principes posés de cette manière, j’examinerai si les acquittements prononcés par la Cour municipale de Lévis et confirmés par la Cour supérieure du Québec étaient justifiés. Je me pencherai d’abord sur le cas de l’intimé Tétreault. J’étudierai ensuite celui de la compagnie.

E. La validité des acquittements

1. Le cas de l’intimé Tétreault

29 Dans ce dossier, comme je l’ai expliqué plus haut, l’accusation portée par la Ville de Lévis est celle d’avoir conduit un véhicule automobile sans détenir un permis de conduire valide, contrairement à l’art. 93.1 du Code de sécurité. L’examen de cette disposition ne révèle pas la présence d’un langage qui indiquerait une intention de créer une infraction de mens rea ou, à l’inverse, d’imposer une responsabilité absolue excluant la défense de diligence raisonnable. Le texte de la disposition n’impose nulle part au poursuivant le fardeau de démontrer l’existence de la mens rea. Par contre, le même texte ne comporte aucune expression d’une volonté législative de créer un régime de responsabilité absolue. Une telle volonté ne saurait s’induire non plus de l’économie de cette disposition, qui veut assurer le respect des exigences du contrôle de la sécurité routière, par la surveillance des permis de conduire, sans qu’il soit nécessaire de priver un prévenu de toute défense de diligence raisonnable. Un régime de responsabilité stricte répond d’ailleurs adéquatement au souci de rendre le conducteur d’automobile conscient de ses obligations légales, notamment de son devoir de faire les démarches nécessaires pour maintenir son permis en vigueur et de ne conduire que pendant la période de validité de celui-ci. La seule question en jeu consiste alors à déterminer si la défense de l’accusé correspond à la notion de diligence raisonnable.

30 Dans le cas de M. Tétreault, les jugements attaqués ont confondu passivité et diligence. Le prévenu s’est contenté d’affirmer qu’il s’attendait à recevoir un avis de renouvellement de son permis et qu’il avait confondu date d’expiration du permis et date d’exigibilité des droits payables pour le maintenir en vigueur. Il n’a justifié d’aucune démarche ou tentative de se renseigner. Le concept de diligence repose sur l’acceptation d’un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées. L’ignorance passive ne constitue pas un moyen de défense valable en droit pénal. En conséquence, les jugements d’acquittement dans ce cas sont mal fondés. La Cour municipale aurait dû reconnaître la culpabilité de l’intimé à l’accusation et lui imposer l’amende prévue par la loi.

2. Le cas de l’intimée 2629-4470 Québec inc.

31 Dans ce dossier, l’intimée a plaidé sa diligence raisonnable et la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité pour obtenir le rejet d’une accusation d’avoir conduit un véhicule automobile dont les droits relatifs à son immatriculation n’avaient pas été payés contrairement à l’art. 31.1 du Code de sécurité. La rédaction de cette disposition, je le constate, ne crée pas une infraction de responsabilité absolue. À défaut d’indication claire de la volonté législative, elle doit être rangée parmi les infractions de responsabilité stricte. Les mêmes facteurs que dans le cas de l’obligation de conduire en possession d’un permis de conduire en vigueur sont pertinents et justifient l’admissibilité d’une défense de diligence raisonnable. Cependant, en l’espèce, la défense de diligence raisonnable n’est pas établie et l’existence de l’ensemble des conditions de mise en œuvre de la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité n’est pas démontrée.

32 Les deux défenses reposent sur les mêmes allégations de fait. En substance, l’intimée plaide qu’elle a été induite en erreur. En effet, un représentant de la SAAQ lui a fait payer 15 mois de droits d’immatriculation et lui aurait expliqué qu’un avis de renouvellement lui serait envoyé avant l’expiration de ce délai. Par suite d’une erreur dans la tenue des dossiers de la SAAQ, on lui a envoyé un avis adressé incomplètement, que la poste a renvoyé à l’expéditeur. L’intimée se croyait toujours en règle lors de son interception.

33 À mon avis, les faits allégués par l’intimée ne constituent pas un comportement correspondant à la norme de diligence raisonnable. Elle connaissait la date à laquelle les droits relatifs à l’immatriculation de son véhicule viendraient à échéance et, partant, la date à laquelle l’immatriculation n’avait plus d’effet. Elle aurait pu et dû s’inquiéter en constatant qu’elle n’avait rien reçu. Elle est demeurée passive. Elle avait l’obligation de faire plus. L’acquittement était donc injustifié.

34 Par ailleurs, l’intimée n’a pas non plus démontré que les conditions d’application de la défense ou de l’excuse d’erreur provoquée par une personne en autorité étaient remplies en l’espèce et justifiaient un arrêt des procédures. Les questions posées portaient tout au plus sur la pratique administrative, mais non sur l’obligation légale de payer les droits à la date prévue. Deux conditions fondamentales pour la reconnaissance d’une telle défense de droit faisaient alors défaut. En effet, dans ces circonstances, l’intimée ne pouvait avoir considéré les conséquences juridiques de son comportement sur la base d’un avis du fonctionnaire en question, ni agi sur la base de cette opinion, puisque aucune information n’avait été demandée ni obtenue sur la nature des obligations légales pertinentes et sur leurs effets.

V. Conclusion

35 Pour ces motifs, j’accueillerais les pourvois dans ces deux dossiers. J’annulerais les acquittements des intimés. J’inscrirais des verdicts de culpabilité aux accusations portées et je condamnerais chacun des intimés au paiement de l’amende minimum de 300 $ prévue par la loi.

Pourvois accueillis.

Procureurs de l’appelante : Pothier Delisle, Saint‑Romuald, Québec.

Procureurs de l’intimée 2629‑4470 Québec inc. : St‑Pierre, Maillette, Chambly, Québec.

Procureur de l’intervenant : Procureur général du Canada, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2006 CSC 12 ?
Date de la décision : 13/04/2006
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont accueillis

Analyses

Infractions provinciales - Sécurité routière - Nature des infractions - Responsabilité stricte ou absolue - Mise en circulation d’un véhicule automobile sans avoir payé les droits d’immatriculation exigés - Conduite d’un véhicule automobile sans avoir payé les droits de renouvellement du permis de conduire - Les articles 31.1 et 93.1 du Code de la sécurité routière créent‑ils des infractions de responsabilité stricte? - Dans l’affirmative, la défense de diligence raisonnable a‑t‑elle été établie? - Code de la sécurité routière, L.R.Q., ch. C‑24.2, art. 31.1, 93.1.

Infractions provinciales - Moyens de défense - Erreur provoquée par une personne en autorité - Mise en circulation d’un véhicule automobile sans avoir payé les droits d’immatriculation exigés - Accusée prétendant avoir été victime de l’information erronée qu’elle aurait reçue d’un fonctionnaire au sujet de la procédure de paiement des droits relatifs à l’immatriculation - La défense d’erreur provoquée par une personne en autorité est‑elle recevable en droit pénal canadien? - Dans l’affirmative, l’accusée a‑t‑elle démontré que les conditions d’application de cette défense ont été remplies?.

Droit criminel - Moyens de défense - Erreur provoquée par une personne en autorité - Éléments constitutifs et conditions d’ouverture de la défense.

La compagnie intimée, qui est accusée d’avoir conduit une automobile dont les droits relatifs à son immatriculation n’avaient pas été payés, invoque la défense de diligence raisonnable et la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité en alléguant qu’un représentant de la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ ») lui a fait payer 15 mois de droits d’immatriculation et lui aurait expliqué qu’un avis de renouvellement lui serait envoyé avant l’expiration de ce délai. Par suite d’une erreur, la SAAQ lui a envoyé un avis adressé incomplètement, que la poste a renvoyé à l’expéditeur. Quant à l’intimé T, qui est accusé d’avoir conduit une automobile sans détenir un permis de conduire valide, il plaide la diligence raisonnable en affirmant qu’il ignorait que la date inscrite sur son permis était la date de son expiration et non celle de l’exigibilité d’un paiement. La Cour municipale de la Ville de Lévis conclut que les art. 31.1 (immatriculation) et 93.1 (permis de conduire) du Code de la sécurité routière créent des infractions de responsabilité stricte et, acceptant leur défense de diligence raisonnable, elle acquitte la compagnie et T. La Cour supérieure confirme les acquittements et la Cour d’appel rejette les demandes d’autorisation de pourvoi de la ville.

Arrêt : Les pourvois sont accueillis.

Les infractions reprochées appartiennent à la catégorie des infractions de responsabilité stricte. Le texte de l’art. 93.1 n’impose pas au poursuivant le fardeau de démontrer l’existence de la mens rea et ne comporte aucune expression d’une volonté législative de créer un régime de responsabilité absolue. Une telle volonté ne saurait s’induire non plus de l’économie de cette disposition, qui veut assurer le respect des exigences du contrôle de la sécurité routière par la surveillance des permis de conduire, sans qu’il soit nécessaire de priver un prévenu de toute défense de diligence raisonnable. Un régime de responsabilité stricte répond d’ailleurs adéquatement au souci de rendre le conducteur d’automobile conscient de ses obligations légales, notamment de son devoir de faire les démarches nécessaires pour maintenir son permis en vigueur et de ne conduire que pendant la période de validité de celui‑ci. La rédaction de l’art. 31.1 ne crée pas, non plus, une infraction de responsabilité absolue. À défaut d’indication claire de la volonté législative, elle doit être rangée parmi les infractions de responsabilité stricte. Les mêmes facteurs que dans le cas de l’obligation de conduire en possession d’un permis en vigueur sont pertinents et justifient l’admissibilité d’une défense de diligence raisonnable. [7] [29] [31]

La défense de diligence raisonnable invoquée par la compagnie et T n’a pas été établie. Le concept de diligence repose sur l’acceptation d’un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées. L’ignorance passive ne constitue pas un moyen de défense valable en droit pénal. En l’espèce, T s’est contenté d’affirmer qu’il s’attendait à recevoir un avis de renouvellement de son permis et qu’il avait confondu date d’expiration du permis et date d’exigibilité des droits payables pour le maintenir en vigueur. Il n’a justifié d’aucune démarche ou tentative de se renseigner. Il en va de même pour la compagnie qui est demeurée passive même si elle connaissait la date à laquelle les droits relatifs à l’immatriculation de son véhicule viendraient à échéance. Quant à la défense d’erreur causée par une personne en autorité, bien qu’elle soit recevable en droit pénal canadien, la compagnie n’a pas démontré que les conditions d’application de cette défense ont été remplies. Les questions que la compagnie a posées au représentant de la SAAQ portaient tout au plus sur la pratique administrative, mais non sur l’obligation légale de payer les droits à la date prévue. Deux conditions fondamentales pour la reconnaissance de cette défense faisaient donc défaut : la compagnie ne pouvait avoir considéré les conséquences juridiques de son comportement sur la base d’un avis du fonctionnaire en question, ni agi sur la base de cette opinion, puisque aucune information n’avait été demandée ni obtenue sur la nature des obligations légales pertinentes et sur leurs effets. [2] [30] [32‑34]


Parties
Demandeurs : Lévis (Ville)
Défendeurs : Tétreault; Lévis (Ville)

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : R. c. Ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299
arrêt examiné : R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55
arrêts mentionnés : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636
R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44
Molis c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 356
R. c. MacDougall, [1982] 2 R.C.S. 605
R. c. Larivière (2000), 38 C.R. (5th) 130
Maitland Valley Conservation Authority c. Cranbrook Swine Inc. (2003), 64 O.R. (3d) 417
R. c. Cancoil Thermal Corp. (1986), 27 C.C.C. (3d) 295.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 19.
Code de la sécurité routière, L.R.Q., ch. C‑24.2, art. 31.1, 59, 93.1, 141.
Code de procédure pénale, L.R.Q., ch. C‑25.1, art. 60, 231, 366.
Doctrine citée
Létourneau, Gilles, et Pierre Robert. Code de procédure pénale du Québec annoté, 6e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2004.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law : A Treatise, 4th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 2001.

Proposition de citation de la décision: Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc., 2006 CSC 12 (13 avril 2006)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2006-04-13;2006.csc.12 ?
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