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16/06/2005 | CANADA | N°2005_CSC_38

Canada | Ryan c. Moore, 2005 CSC 38 (16 juin 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Ryan c. Moore, [2005] 2 R.C.S. 53, 2005 CSC 38

Date : 20050616

Dossier : 29849

Entre :

Cabot Insurance Company Limited

et feu Rex Gilbert Moore, représenté par

son administratrice Muriel Smith

Appelants

c.

Peter Ryan

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, LeBel, Deschamps, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 80)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en ch

ef McLachlin et des juges Major, LeBel, Deschamps, Abella et Charron)

______________________________

Ryan c. Moore, [2005] 2 R.C.S. 53, 2005 CSC 38

Ca...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Ryan c. Moore, [2005] 2 R.C.S. 53, 2005 CSC 38

Date : 20050616

Dossier : 29849

Entre :

Cabot Insurance Company Limited

et feu Rex Gilbert Moore, représenté par

son administratrice Muriel Smith

Appelants

c.

Peter Ryan

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, LeBel, Deschamps, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 80)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Major, LeBel, Deschamps, Abella et Charron)

______________________________

Ryan c. Moore, [2005] 2 R.C.S. 53, 2005 CSC 38

Cabot Insurance Company Limited

et feu Rex Gilbert Moore, représenté par

son administratrice Muriel Smith Appelants

c.

Peter Ryan Intimé

Répertorié : Ryan c. Moore

Référence neutre : 2005 CSC 38.

No du greffe : 29849.

2004 : 7 décembre; 2005 : 16 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, LeBel, Deschamps, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de terre‑neuve‑et‑labrador

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (le juge en chef Wells et les juges Cameron, Roberts et Welsh et le juge Russell (ex officio)) (2003), 224 Nfld. & P.E.I.R. 181, 669 A.P.R. 181, 50 E.T.R. (2d) 8, [2003] N.J. No. 113 (QL), 2003 NLCA 19, qui a infirmé, en partie, une décision du juge Orsborn (2001), 205 Nfld. & P.E.I.R. 211, 615 A.P.R. 211, 18 C.P.C. (5th) 95, 41 E.T.R. (2d) 287, 19 M.V.R. (4th) 120, [2001] N.J. No. 284 (QL). Pourvoi accueilli.

Sandra R. Chaytor et Jorge P. Segovia, pour les appelants.

Ian F. Kelly, c.r., et Gregory A. French, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le juge Bastarache — La Cour est appelée à décider si le délai de prescription plus court que l’art. 5 de la Survival of Actions Act, R.S.N.L. 1990, ch. S‑32 (voir l’annexe), prévoit en cas de décès de l’une des parties à une action peut s’appliquer à une partie qui n’a pris connaissance du décès qu’après l’expiration du délai de prescription. L’intimé Peter Ryan prétend qu’il faut répondre par la négative; il a invoqué, devant notre Cour et devant les tribunaux d’instance inférieure, un certain nombre de règles juridiques que je vais examiner : la possibilité de découvrir le dommage, la confirmation, la préclusion par convention et la préclusion par assertion de fait. C’est la Cour d’appel elle-même qui a soulevé pour la première fois la question de la préclusion.

2 Selon la règle de la possibilité de découvrir le dommage, une cause d’action prend naissance, pour les besoins de la prescription, au moment où les faits substantiels sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable (Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, p. 224).

3 Le paragraphe 16(1) de la Limitations Act, S.N.L. 1995, ch. L‑16.1 (voir l’annexe), prévoit qu’une cause d’action est confirmée si une personne reconnaît la cause d’action appartenant à autrui ou si elle effectue un paiement à l’égard de cette cause d’action. Ainsi, le compte à rebours recommence dès lors, et le temps écoulé avant la date de confirmation ne compte pas.

4 Il peut y avoir préclusion par convention lorsque les parties ont convenu de présupposer que certains faits sont véridiques et constituent le fondement de l’opération qu’elles s’apprêtent à conclure (G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (4e éd. 1999), p. 140, note 302). Si les parties ont agi sur la foi de cette présupposition conventionnelle, alors, en ce qui concerne l’opération, chaque partie est précluse, par rapport à l’autre, de mettre en doute la véracité ainsi présupposée de l’exposé des faits, dans le cas où il serait injuste de permettre à l’une d’elles de revenir sur cette présupposition (G. S. Bower, The Law Relating to Estoppel by Representation (4e éd. 2004), p. 7‑8).

5 Pour que la préclusion par assertion de fait s’applique, une assertion positive doit avoir été faite par la partie que l’on souhaite voir liée par celle‑ci afin que la partie avec qui elle traitait agisse sur la foi de cette assertion, et cette dernière doit avoir agi sur la foi de l’assertion de sorte qu’il serait inéquitable de permettre à l’auteur de l’assertion d’en mettre en doute la véracité ou d’agir de quelque manière incompatible avec elle (Page c. Austin (1884), 10 R.C.S. 132, p. 164).

6 Aucune de ces règles n’est applicable en l’espèce. Je vais examiner chacune de celles‑ci et, dans la plupart des cas, approuver les motifs de la Cour d’appel en ajoutant un simple commentaire. Une notion juridique mérite que notre Cour s’y attarde davantage étant donné qu’elle est appelée à établir un critère juridique d’application : la préclusion par convention.

I. Contexte

A. Les faits

7 Un accident impliquant trois véhicules est survenu le 27 novembre 1997. Ces véhicules étaient conduits par l’intimé M. Ryan, l’appelant Rex Gilbert Moore, ainsi qu’une tierce personne (non partie à l’instance), David Crummey. M. Ryan a décidé d’intenter une action pour préjudice corporel contre M. Moore. Il ignorait que, le 26 décembre 1998, M. Moore était décédé de causes non liées à l’accident. Le 16 février 1999, des lettres d’administration ont été délivrées à Muriel Smith, l’administratrice de M. Moore. M. Ryan a déposé sa déclaration le 28 octobre 1999, soit avant l’expiration du délai de prescription de deux ans fixé par la Limitations Act, mais après celle du délai de prescription de six mois qui, aux termes de la Survival of Actions Act, commence à courir à partir de la délivrance de lettres d’homologation ou d’administration. M. Ryan prétend que l’appelant est préclus d’invoquer le délai de prescription plus court. Subsidiairement, il fait valoir que ce délai plus court peut être prolongé en vertu de la règle de la possibilité de découvrir le dommage ou de la règle de la confirmation.

8 Étant donné que la présente affaire porte sur des questions liées aux délais de prescription, il importe de rappeler les principaux faits à l’origine du litige :

27 novembre 1997

L’accident

28 novembre 1997

Cabot Insurance Co. (« Cabot Insurance ») nomme l’expert en sinistres Brian Lacey qui s’occupera de la demande d’indemnité dont fait l’objet son assuré M. Moore. M. Ryan retient les services d’un avocat, qui communique avec l’expert en sinistres pour l’informer de son mandat et l’aviser qu’en attendant que ses blessures soient évaluées M. Ryan lui présentera directement sa demande d’indemnité pour préjudice matériel.

décembre 1997 — décembre 1998

Cabot Insurance verse directement à M. Ryan une indemnité pour préjudice matériel. L’avocat de M. Ryan et l’expert en sinistres échangent une correspondance concernant l’état de santé de M. Ryan, l’expert en sinistres sollicitant des documents et des mises à jour sur l’état de santé de M. Ryan, et l’avocat fournissant les renseignements demandés. L’avocat fait parvenir à l’expert en sinistres le dossier hospitalier de M. Ryan, pour lequel Cabot Insurance rembourse à l’avocat des frais de 40 $.

26 décembre 1998

M. Moore décède à l’âge de 75 ans de causes non liées à l’accident.

25 janvier 1999

L’expert en sinistres écrit à l’avocat de M. Ryan pour obtenir des renseignements médicaux et réitérer que l’assureur est disposé à payer des frais raisonnables pour un rapport médical. Il désigne M. Moore comme étant [traduction] « Notre assuré ».

16 février 1999

Des lettres d’administration de la succession de Rex Moore sont délivrées à Muriel Smith.

5 avril 1999

L’avocat de M. Ryan fait parvenir à l’expert en sinistres une facture pour un rapport d’examen médical de M. Ryan par un chirurgien orthopédique.

29 juillet 1999

L’expert en sinistres envoie à l’avocat de M. Ryan un chèque pour payer le rapport médical. Le chèque est à l’ordre du Dr Landells. Il désigne M. Moore comme étant [traduction] « Notre assuré ».

16 août 1999

Six mois se sont écoulés depuis la délivrance des lettres d’administration de la succession de M. Moore.

28 octobre 1999

Dépôt de la déclaration désignant Rex Moore comme défendeur.

10 février 2000

L’avocat de M. Ryan écrit à l’expert en sinistres pour lui demander de payer les frais exigés pour le dossier tenu par le médecin de famille de M. Ryan. Il désigne M. Moore comme étant [traduction] « Notre assuré ».

2 mars 2000

L’avocat de M. Ryan écrit à l’expert en sinistres pour lui demander de payer les frais exigés pour le dossier tenu par un autre médecin. Il désigne M. Moore comme étant [traduction] « Notre assuré ».

18 mai 2000

L’expert en sinistres apprend le décès de M. Moore.

22 septembre 2000

L’avocat de M. Ryan apprend le décès de M. Moore après avoir tenté de signifier la déclaration.

24 octobre 2000

Lors d’une réunion (tenue pour discuter de demandes non liées à la présente affaire), l’avocat de M. Ryan laisse entendre à Valerie Moore, une rédactrice sinistres de Cabot Insurance, que le délai de prescription pourrait poser un problème.

9 novembre 2000

Cabot Insurance refuse de régler la demande de M. Ryan parce que l’action a été intentée après l’expiration du délai de prescription.

9 Cabot Insurance a présenté une demande d’intervention dans l’instance et a sollicité une ordonnance de radiation de la déclaration pour cause de tardiveté. Elle a, en outre, fait valoir que la déclaration désignant une personne décédée comme défenderesse était nulle et ne pouvait pas être modifiée. M. Ryan a également présenté une demande de modification de la déclaration en vue de désigner le défendeur comme étant [traduction] « Feu Rex Moore, représenté par son administratrice Muriel Smith ».

B. Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (2001), 205 Nfld. & P.E.I.R. 211

10 Le juge Orsborn de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a rejeté la demande de Cabot Insurance visant à obtenir le rejet de l’action. Premièrement, il a conclu que la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’appliquait pas pour reporter le point de départ du délai de prescription prévu par la Survival of Actions Act, étant donné que le décès en tant que tel ne constituait pas un élément de la cause d’action et n’était pas nécessaire pour compléter la cause d’action (par. 50‑51). Deuxièmement, le juge Orsborn a estimé que l’application des dispositions de l’art. 16 de la Limitations Act, relatives à la confirmation, n’était pas expressément limitée aux délais de prescription fixés par la Limitations Act. Il ne voyait pas pourquoi, en principe, une cause d’action ayant subsisté en vertu de la Survival of Actions Act ne pouvait pas être confirmée de manière à maintenir le délai de prescription fixé par cette loi. Il a conclu que le paiement du 29 juillet 1999, que Cabot Insurance avait effectué pour le rapport médical, confirmait la cause d’action de M. Ryan. Étant donné que les procédures avaient été engagées dans les six mois suivant ce paiement, l’action respectait encore le court délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act et n’était pas prescrite (par. 52‑63). Troisièmement, le juge Orsborn a décidé que, de toute façon, compte tenu des faits de la présente affaire, la cause d’action contre M. Moore n’était pas visée par la Survival of Actions Act. Cette loi permet qu’une cause d’action survive [traduction] « au profit » d’une succession ou « contre » celle‑ci (al. 2b)). Elle traite de l’acquisition ou de la dissipation potentielles d’éléments d’actif de la succession. En l’espèce, cependant, la demande de M. Ryan ne présente aucun risque pour les biens de la succession. C’est plutôt l’assureur qui est exposé à un risque. M. Moore n’avait de défendeur que le nom, la véritable partie à l’action étant l’assureur. La cause d’action de M. Ryan ne s’était donc pas éteinte au décès de M. Moore (par. 66‑76). Quatrièmement, le juge Orsborn a conclu que, si la cause d’action de M. Ryan n’avait pas été confirmée et que la Survival of Actions Act était effectivement applicable (ce qui n’était pas le cas, selon lui), alors l’action aurait été nulle pour cause de tardiveté. Toutefois, comme ce n’était pas le cas, l’action du demandeur n’était pas prescrite.

C. Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (2003), 224 Nfld. & P.E.I.R. 181, 2003 NLCA 19

(1) Le juge en chef Wells (au nom des juges majoritaires)

11 La Cour d’appel, à la majorité, a accueilli en partie l’appel principal et l’appel incident. Elle a confirmé l’ordonnance du juge des requêtes autorisant l’intervention de Cabot Insurance et la modification de la déclaration. Le juge en chef Wells a conclu que le juge des requêtes n’avait commis aucune erreur en tenant compte de l’existence d’une assurance pour décider si l’action présentait un risque financier pour la succession. Il a néanmoins décidé que le juge des requêtes avait commis une erreur en concluant que la cause d’action contre M. Moore n’était pas visée par la Survival of Actions Act. La cour a expliqué que, à moins que la Survival of Actions Act ne s’applique, l’action était nulle. Le droit d’intenter une action délictuelle après le décès, ou de poursuivre une action après le décès, découle de la Loi. En l’absence d’une telle loi, ce droit n’existe pas.

12 Les juges majoritaires ont partagé l’opinion du juge des requêtes selon laquelle la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’applique pas pour reporter le point de départ du délai de prescription prévu par la Survival of Actions Act. Concluant que le délai de prescription prévu par la Loi court à compter de la date d’un événement qui survient, peu importe que la partie lésée en ait connaissance ou non, les juges majoritaires ont considéré que l’application de la règle de la possibilité de découvrir le dommage aurait pour effet d’écarter l’exception à cette règle de common law, les tribunaux se trouvant alors à empiéter sur la compétence du législateur.

13 Les juges majoritaires ont exprimé leur désaccord avec la conclusion du juge Orsborn selon laquelle les dispositions de la Limitations Act relatives à la confirmation s’appliquent également au délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act. Le juge en chef Wells a statué que l’art. 16 de la Limitations Act prévoit la confirmation d’une cause d’action et non du droit d’intenter une action. Les juges majoritaires ont souligné que la nature de la cause d’action ou la question de savoir si la cause d’action est confirmée n’est pas pertinente en ce qui concerne la date de décès ou la délivrance de lettres d’homologation qui marque le point de départ du délai de prescription établi par la Survival of Actions Act. La question de la confirmation ne se posait pas en ce qui concernait le délai de prescription résultant de la Limitations Act étant donné que la déclaration avait été déposée dans les deux ans suivant la collision, c’est‑à‑dire dans le délai prévu.

14 Quant au dernier point, les juges majoritaires ont conclu que la règle de la préclusion empêchait la succession de M. Moore et Cabot Insurance d’invoquer le décès en tant que tel de M. Moore et la délivrance de lettres d’administration. La forme de préclusion invoquée était la préclusion par convention. Après avoir passé en revue la doctrine et la jurisprudence canadiennes et étrangères, le juge en chef Wells a décidé que la préclusion par convention était établie (par. 79). Les juges majoritaires considéraient qu’aucun acte de confiance préjudiciable n’était nécessaire. Cabot Insurance et M. Moore étaient donc préclus d’invoquer le délai de prescription plus court fixé par la Survival of Actions Act en faisant valoir que M. Moore était décédé ou que des lettres d’administration avaient été délivrées avant le mois de mai 2000. Par conséquent, la nullité ne pouvait pas être établie et la déclaration a été modifiée de manière à désigner l’administratrice de M. Moore comme partie défenderesse dans l’action.

(2) La juge Cameron (dissidente)

15 Dans ses motifs dissidents, auxquels le juge Welsh a souscrit, la juge Cameron s’est dite en désaccord avec l’analyse de la préclusion et a décidé que cette règle ne s’appliquait pas en l’espèce. Après avoir analysé la jurisprudence et la doctrine, elle a conclu qu’une méprise de part et d’autre (les deux parties ayant cru que M. Moore était vivant) ne constituait pas une présupposition commune. Les juges dissidents n’ont pas considéré que les lettres portant la mention [traduction] « Notre assuré : Rex Moore » que Cabot Insurance avait envoyées à l’avocat de M. Ryan avaient déterminé la conduite des parties. L’omission d’intenter l’action avant l’expiration du délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act n’était pas le fruit d’un arrangement entre les parties, si bien que l’on ne s’était fondé sur aucune convention. Par conséquent, cette règle ne s’appliquait pas. L’action de M. Ryan était donc prescrite. Les juges dissidents auraient accueilli l’appel.

II. Analyse

A. La possibilité de découvrir le dommage

(1) Les délais de prescription légaux

16 Deux délais de prescription s’appliquent en l’espèce : celui prévu par l’art. 5 de la Limitations Act (voir l’annexe) et celui prévu par l’art. 5 de la Survival of Actions Act. Le délai de prescription établi par l’art. 5 de la Limitations Act s’applique au départ. Il se superpose, par la suite, au délai fixé par l’art. 5 de la Limitations Act, sans toutefois l’éliminer. Cela découle du fait que la Survival of Actions Act ne crée pas une nouvelle cause d’action, comme je l’expliquerai plus loin.

17 Aux termes de l’art. 5 de la Limitations Act, une action en dommages‑intérêts pour préjudice, fondée sur une inexécution de contrat ou sur un délit, peut être intentée dans les deux ans suivant la date à laquelle a pris naissance le droit de l’intenter. En déposant, le 28 octobre 1999, une déclaration désignant Rex Moore comme défendeur, M. Ryan a donc respecté le délai de prescription fixé par la Limitations Act. Cependant, Rex Moore était décédé le 26 décembre 1998, à l’insu des parties, ce qui modifiait le scénario.

18 Comme l’a affirmé la Cour d’appel, il est bien connu qu’en common law une action délictuelle personnelle s’éteint au décès de la victime ou de l’auteur de la faute : actio personalis moritur cum persona (voir G. Mew, The Law of Limitations (2e éd. 2004), p. 253). L’incapacité de poursuivre la succession de l’auteur d’un délit civil décédé était particulièrement lourde de conséquences du fait qu’elle privait de toute possibilité d’indemnisation les survivants blessés d’un accident d’automobile. Cela a amené des législatures à adopter des lois destinées à adoucir la règle de common law. La Fatal Accidents Act, R.S.N.L. 1990, ch. F‑6, et la Survival of Actions Act comptent parmi ces lois. Aux termes de la Fatal Accidents Act, la succession d’une personne décédée à la suite d’un accident ou les personnes qui lui survivent ont le droit d’intenter une action pour décès causé par une faute. De plus, aux termes de l’art. 2 de la Survival of Actions Act (voir l’annexe), une action appartenant à une personne décédée ou existant contre elle peut être intentée par ou contre sa succession. Toutefois, l’art. 5 de la Survival of Actions Act prévoit qu’aucune action ne peut être intentée après les six mois qui suivent la délivrance de lettres d’homologation ou d’administration de la succession de la personne décédée et après l’expiration d’un délai d’un an suivant la date du décès. Cette disposition vise donc à assurer la « survie » de l’action pendant une période déterminée. La Survival of Actions Act fixe un autre délai de prescription. Comme le juge Orsborn l’a si bien dit, la Survival of Actions Act ne crée pas une cause d’action. Elle greffe sa disposition sur une cause d’action existante dont tous les éléments sont présents avant que la Survival of Actions Act soit appliquée (par. 45).

19 En l’espèce, la Survival of Actions Act a pour effet de raccourcir le délai dans lequel l’action pourrait être intentée parce qu’[traduction] « une action délictuelle ne peut être intentée par ou contre la succession d’une personne décédée que pendant la période de chevauchement des deux délais de prescription » : le juge en chef Wells, par. 37.

20 Selon M. Ryan, la Survival of Actions Act prévoit qu’une cause d’action peut prendre naissance en vertu de ses dispositions. Je ne vois pas comment les expressions [traduction] « causes d’action en vertu de la présente loi » ou « action [. . .] intentée en vertu de la présente loi », contenues respectivement au par. 8(1) et à l’art. 5, peuvent être considérées comme indiquant la création d’une nouvelle cause d’action. La Survival of Actions Act prévoit expressément la survie des causes d’action existant contre une personne décédée (art. 2). À mon avis, cela signifie que la cause d’action existait avant que la Survival of Actions Act soit appliquée. La création d’une cause d’action et sa survie pendant un certain temps sont deux choses différentes.

(2) La possibilité de découvrir le dommage : la règle prétorienne

21 Dans les arrêts Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, Central Trust et M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6, notre Cour a tranché le débat concernant l’application de la règle de la possibilité de découvrir le dommage dans les actions délictuelles.

22 Selon la règle de la possibilité de découvrir le dommage, « une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable » : Central Trust, p. 224. Dans certaines provinces, la règle de la possibilité de découvrir le dommage a été codifiée; dans d’autres provinces, elle a été jugée redondante à cause de l’existence d’autres dispositions réparatrices.

23 Bien qu’elle ait été qualifiée, par le passé, de « règle générale » (Central Trust, p. 224; Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549, par. 36), la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne doit pas être appliquée systématiquement sans une évaluation complète des intérêts opposés (Peixeiro, par. 34). Cette règle est un outil d’interprétation des lois qui établissent des délais de prescription. Je partage l’opinion de la Cour d’appel du Manitoba lorsqu’elle écrit :

[traduction] À mon avis, la règle prétorienne de la possibilité de découvrir le dommage n’est rien de plus qu’une règle d’interprétation. Dans tous les cas où une loi indique que l’action en justice doit être intentée dans un certain délai après un événement donné, il faut interpréter les termes de cette loi. Lorsque ce délai court à partir du « moment où naît la cause d’action » ou de tout autre événement qui peut être interprété comme ne survenant qu’au moment où la victime prend connaissance du dommage, c’est la règle prétorienne de la possibilité de découvrir le dommage qui s’applique. Toutefois, si le délai court à compter de la date d’un événement qui survient clairement, et sans égard à la connaissance qu’en a la victime, cette règle ne peut prolonger le délai fixé par le législateur. [Je souligne.]

(Fehr c. Jacob (1993), 14 C.C.L.T. (2d) 200, p. 206)

Voir également les arrêts Peixeiro, par. 37, et Snow c. Kashyap (1995), 125 Nfld. & P.E.I.R. 182 (C.A.T.‑N.).

24 Par conséquent, la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a raison de dire que la règle s’applique [traduction] « généralement » lorsque la loi lie le point de départ du délai de prescription à la naissance de la cause d’action. Il n’est pas permis, en droit, de recourir à la règle prétorienne de la possibilité de découvrir le dommage dans les cas où la loi applicable lie expressément le délai de prescription à un événement déterminé qui n’a rien à voir avec le moment où la partie lésée en prend connaissance ou avec le fondement de la cause d’action (voir Mew, p. 55).

(3) La règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’applique pas à la Survival of Actions Act

25 M. Ryan fait valoir que la règle de la possibilité de découvrir le dommage s’applique au délai de prescription prévu à l’art. 5 de la Survival of Actions Act. Il prétend que ce délai de prescription ne devrait commencer à courir qu’à partir du moment où il a pris connaissance, ou aurait raisonnablement dû prendre connaissance, des faits substantiels déterminants en ce qui concerne (i) sa cause d’action en vertu de la Survival of Actions Act et (ii) le délai de prescription. Somme toute, M. Ryan affirme que le décès de M. Moore fait partie intégrante de la cause d’action et que le délai de prescription ne devait commencer à courir qu’à partir du moment où il a découvert qu’il avait une cause d’action contre la succession de Rex Moore. Les appelants soutiennent que la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’applique pas à la Survival of Actions Act étant donné qu’elle transcenderait la logique de l’interprétation des lois et du régime établi par le législateur. Ils ajoutent que la règle ne s’applique pas lorsque le délai a pour point de départ un fait déterminé.

26 À l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis que la position des appelants est correcte. Pour en faciliter la consultation, je reproduis l’art. 5 de la Survival of Actions Act :

[traduction]

5. Aucune action ne peut être intentée en vertu de la présente loi à moins que les procédures ne soient engagées dans les six mois suivant la délivrance de lettres d’homologation ou d’administration de la succession de la personne décédée, et, pour les besoins d’une action fondée sur la présente loi, les procédures ne doivent pas être engagées après l’expiration d’un an suivant la date du décès de la personne en question.

27 Aux termes de la Survival of Actions Act, le délai de prescription court à compter du décès du défendeur ou de la délivrance, par un tribunal, de lettres d’administration ou d’homologation. L’article est clair et explicite : le délai commence à courir au moment où survient l’un de ces deux faits particuliers. La Loi n’établit aucun lien entre ces faits et le moment où la partie lésée en prend connaissance. Je conviens avec les appelants que la connaissance n’est pas un facteur à considérer : le décès ou la délivrance des lettres survient indépendamment de l’état d’esprit du demandeur. En l’espèce, nous nous trouvons devant une situation où, comme notre Cour l’a reconnu dans l’arrêt Peixeiro, la règle prétorienne de la possibilité de découvrir le dommage ne s’applique pas pour prolonger le délai fixé par le législateur. Je suis donc d’accord avec la Cour d’appel pour dire qu’en désignant un fait particulier comme élément déclencheur du « compte à rebours de la prescription », le législateur se trouvait à écarter la règle de la possibilité de découvrir le dommage dans tous les cas où la Survival of Actions Act s’applique.

28 Un certain nombre de cours d’appel ont examiné la question de la possibilité de découvrir le dommage dans le contexte d’actions intentées par ou contre les successions de personnes décédées. Les appelants invoquent abondamment l’arrêt Payne c. Brady (1996), 140 D.L.R. (4th) 88 (C.A.T.‑N.), autorisation de pourvoi refusée, [1997] 2 R.C.S. xiii. Bien que les faits de cet arrêt ressemblent énormément à ceux de la présente affaire, on ne sait pas clairement si la Cour d’appel de Terre‑Neuve y a décidé que la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’appliquait pas parce que le décès est toujours une possibilité ou parce que l’appelante Payne avait eu amplement le temps d’intenter son action après avoir appris le décès de M. Brady. Ce qui est clair, c’est la remarque du juge O’Neill : le décès d’un éventuel défendeur et la possibilité d’un délai de prescription plus court sont des réalités contre lesquelles les demandeurs et leurs avocats doivent se prémunir (Payne, p. 94).

29 L’intimé invoque l’arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse Burt c. LeLacheur (2000), 189 D.L.R. (4th) 193. Toutefois, le raisonnement adopté dans cette affaire ne peut pas s’appliquer en l’espèce. Dans l’arrêt Burt, la Cour d’appel a conclu que la règle de la possibilité de découvrir le dommage s’appliquait à l’art. 10 de la Fatal Injuries Act, R.S.N.S. 1989, ch. 163. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a exposé son point de vue en ces termes (p. 208) :

[traduction] Si la règle de la possibilité de découvrir le dommage s’applique à un délai de prescription qui court à compter de la date « où les dommages ont été subis » (Peixeiro) et du « règlement final de l’action intentée contre l’assuré » (Grenier), je ne pense pas qu’il soit déraisonnable de l’appliquer à ce délai un an après le décès de sorte qu’il ne commence à courir qu’au moment où le demandeur prend connaissance ou aurait dû prendre connaissance du fait qu’il se pourrait que le décès ait été causé par la faute d’autrui. Compte tenu de l’économie de la Fatal Injuries Act, ce n’est pas aller plus loin que les tribunaux l’ont fait dans les arrêts Peixeiro, Grenier et autres, toujours dans le but d’écarter un risque d’injustice.

Bien qu’il nous faille éviter d’être accusés d’usurper le rôle du législateur, j’estime qu’appliquer la règle de la possibilité de découvrir le dommage en l’espèce est compatible avec ce qui a déjà été fait. Un examen attentif de l’art. 10 de la Fatal Injuries Act révèle que le délai commence à courir non pas simplement à compter du moment où survient un fait déterminé, mais dès que sont établis les éléments constitutifs de la cause d’action créée par la loi. [Je souligne.]

30 Dans l’arrêt Burt, la mention du décès d’une personne qui peut faire l’objet d’une action fondée sur la Fatal Injuries Act renvoie non pas simplement au moment du décès, comme c’est le cas dans la Survival of Actions Act, mais à un décès « causé par la faute d’autrui ». Il ne s’agit pas d’un fait dépourvu de tout lien avec la naissance de la cause d’action. Par conséquent, le décès de la personne dans cette affaire est, en fait, un « élémen[t] constituti[f] de la cause d’action », contrairement à ce qui se passe en l’espèce.

31 À mon avis, l’affaire la plus utile à notre Cour en l’espèce est celle qui est à l’origine de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Waschkowski c. Hopkinson Estate (2000), 47 O.R. (3d) 370. La cour devait décider si la règle de la possibilité de découvrir le dommage pouvait être appliquée au par. 38(3) de la Loi sur les fiduciaires, L.R.O. 1990, ch. T.23, la disposition législative ontarienne qui prévoit qu’une action délictuelle peut être intentée par ou contre la succession d’une personne décédée et qui limite le délai dans lequel ces actions peuvent être intentées. La juge Abella (maintenant juge de notre Cour) a conclu, au par. 16, que la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’appliquait pas à cette disposition puisque, dans une action délictuelle, l’état des connaissances d’une personne lésée ou celui qu’on lui attribue n’a aucune pertinence en cas de décès. Elle a expliqué ceci, aux par. 8‑9 :

[traduction] Aux termes du par. 38(3) de la Loi sur les fiduciaires, le délai de prescription court à compter d’un décès. Contrairement aux affaires dans lesquelles le délai de prescription peut, en raison de sa formulation, avoir pour point de départ, par exemple, la date « où les dommages ont été subis » (Peixeiro) ou le moment où la cause d’action a pris naissance (Kamloops), aucune élasticité temporelle n’est possible lorsque la date de décès est l’élément décisif. Peu importe le moment où le préjudice a été causé ou est devenu une faute ouvrant droit à une action, le par. 38(3) de la Loi sur les fiduciaires empêche qu’il donne lieu à une action en justice, à moins que cette action ne soit intentée dans les deux ans suivant le décès de l’auteur de la faute ou de la personne lésée.

Les considérations de politique générale qui sous‑tendent ce délai précis ne sont pas difficiles à comprendre. L’effet juridique draconien de la common law était que le décès écartait toute possibilité de réparation pour une conduite négligente. Par contre, il était avantageux de régler les questions de succession de manière définitive. Le compromis législatif à l’art. 38 de la Loi sur les fiduciaires consistait à ouvrir une brèche de deux ans afin de donner accès à une réparation pendant un temps limité, sans placer indéfiniment une succession dans une situation de vulnérabilité financière. [Je souligne.]

Voir aussi Canadian Red Cross Society (Re), [2003] O.J. No. 5669 (QL) (C.A.), et Edwards c. Law Society of Upper Canada (No. 1) (2000), 48 O.R. (3d) 321 (C.A.).

32 La cause d’action de M. Ryan a pris naissance avant le décès de M. Moore, et M. Ryan était bien au fait de sa cause d’action tant avant le décès de M. Moore qu’avant l’expiration du délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act. En réalité, M. Ryan a, le lendemain de l’accident, retenu les services d’un avocat en vue d’intenter une action en dommages‑intérêts contre M. Moore pour des blessures qui auraient été causées par l’accident. M. Ryan aurait alors pu poursuivre M. Moore étant donné que tous les éléments de sa cause d’action étaient connus. Il n’avait pas besoin d’être au courant du décès en question pour établir le bien‑fondé de sa demande ou pour déposer et signifier sa déclaration. Le décès subséquent de M. Moore n’avait absolument aucune incidence sur la naissance de la cause d’action de M. Ryan. En conséquence, je suis d’accord avec la conclusion du juge des requêtes, au par. 50 :

[traduction] Le décès en tant que tel n’a aucune pertinence en ce qui concerne la cause d’action en question. Il ne constitue pas un élément de la cause d’action et n’est pas nécessaire pour compléter la cause d’action. Quelle que soit la nature de la cause d’action, elle existe et est complète avant que la Survival of Actions Act s’applique, en cas de décès, pour la maintenir et fixer un délai limité dans lequel l’action devra être intentée. Le décès en tant que tel n’est pas pertinent en ce qui concerne la cause d’action et sert seulement de point de départ pour calculer le délai dans lequel l’action devra être intentée.

33 Une autre raison de ne pas appliquer la règle de la possibilité de découvrir le dommage est l’incidence évidente que cette règle aurait sur la distribution de l’actif aux bénéficiaires. En l’absence d’un délai, un exécuteur ou un administrateur hésiterait à distribuer l’actif d’une succession avant d’avoir examiné toutes les possibilités raisonnables de réclamation, ce qui serait peu pratique et irréaliste. [traduction] « Une succession ne devrait pas être gardée indéfiniment en otage par des réclamations non traitées promptement » : MacKenzie Estate c. MacKenzie (1992), 84 Man. R. (2d) 149 (B.R.), par. 18, cité dans l’arrêt Justice c. Cairnie Estate (1993), 105 D.L.R. (4th) 501 (C.A. Man.), p. 510.

34 La Survival of Actions Act constitue en soi une exception législative à la règle de common law. « Prolonger » le délai de prescription aurait pour effet d’écarter l’intention du législateur. Comme l’a dit le juge Marshall dans l’arrêt Snow, au par. 43, appliquer à une telle disposition la règle d’interprétation de la possibilité raisonnable de découvrir le dommage reviendrait à créer une fiction qui transcenderait les limites de l’interprétation logique des lois. Du même coup, il s’agirait d’une incursion inacceptable dans le processus législatif.

(4) Circonstances spéciales

35 Subsidiairement, M. Ryan fait valoir que, si la règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’applique pas, le délai de prescription doit être prolongé en raison du principe des « circonstances spéciales ». Il soutient que selon ce principe, l’équité et la justice commandent qu’un demandeur innocent ne soit pas privé d’indemnisation s’il n’a lui‑même commis aucune faute. Cet argument n’a été avancé ni devant le juge des requêtes ni devant la Cour d’appel, et ne repose sur aucun élément de preuve; dans ces circonstances, je le considère non fondé.

B. Confirmation

36 M. Ryan prétend que la confirmation de la cause d’action prévue à l’art. 16 de la Limitations Act s’applique pour prolonger le délai de prescription fixé à l’art. 5 de la Survival of Actions Act. Il fait valoir que l’échange de correspondance entre l’expert en sinistres de Cabot Insurance et son ancien avocat, le paiement effectué par Cabot Insurance relativement à sa demande d’indemnité pour préjudice matériel et le versement de 500 $ à son ancien avocat pour un rapport médical prouvent qu’il y a eu reconnaissance (comme le prévoit la Limitations Act) et donc confirmation.

37 Les appelants soutiennent que l’art. 16 de la Limitations Act ne s’applique pas à la Survival of Actions Act. Selon eux, une confirmation de la cause d’action n’aurait aucun effet sur le délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act parce que cette loi ne crée pas une cause d’action, mais ne fait que conférer un droit d’intenter une action malgré le décès de l’une des parties. Enfin, ils affirment que la cause d’action n’a pas été confirmée en l’espèce étant donné que ni les lettres ni les paiements effectués ne traduisent une reconnaissance de responsabilité.

38 Je partage le point de vue des appelants, qui a été retenu par la Cour d’appel.

39 Voici les parties pertinentes de l’art. 16 de la Limitations Act :

[traduction]

16. (1) Une cause d’action est confirmée si, selon le cas, une personne :

a) reconnaît cette cause d’action, ce droit ou ce titre appartenant à autrui;

b) effectue un paiement à l’égard de cette cause d’action, de ce droit ou de ce titre appartenant à autrui.

(2) En cas de confirmation, la période antérieure à la date de la confirmation est exclue du calcul de la prescription de l’action de la personne qui bénéficie de cette confirmation par rapport à celle qui est liée par celle‑ci.

(3) Le paragraphe (2) ne vise un droit d’action que si la confirmation a lieu avant l’expiration du délai de prescription applicable à ce droit d’action.

. . .

(5) La confirmation est valide si elle est consignée dans un écrit, signée par l’une des personnes suivantes et remise à la personne qui bénéficie de cette cause d’action ou à son mandataire :

a) soit la personne visée par la cause d’action,

b) soit son mandataire.

40 Il y a confirmation lorsqu’une personne reconnaît la cause d’action d’autrui ou effectue un paiement à l’égard de cette cause d’action. Par conséquent, la période antérieure à la date de cette confirmation est exclue du calcul du délai de prescription (par. 16(2)). La confirmation doit évidemment avoir lieu avant l’expiration du délai de prescription (par. 16(3)).

41 L’article 16 ne peut s’appliquer qu’au délai dans lequel une action peut être intentée. Comme l’a conclu la Cour d’appel, l’art. 16 ne peut pas s’appliquer au délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act étant donné qu’il supplante le premier délai de prescription fixé par la Limitations Act et ne crée pas et ne relance pas une action, mais lui permet simplement de suivre son cours (par. 67).

42 Même si ce n’était pas le cas, les faits de la présente affaire ne permettent pas de conclure à une confirmation de la part des appelants. Je vais, par principe, examiner brièvement cette question.

43 Pour prouver qu’il y a eu confirmation, il est nécessaire d’établir l’existence de l’un des deux faits suivants : (1) la partie a reconnu la cause d’action, ou (2) un paiement a été effectué à l’égard de la cause d’action (voir Mew, p. 115).

44 Le terme « acknowledges » (« reconnaît ») utilisé à l’al. 16(1)a) de la Limitations Act a été décrit par lord Denning, dans l’arrêt Good c. Parry, [1963] 2 All E.R. 59 (C.A.), p. 61, comme nécessitant une « admission » (« admission »). Bien que la jurisprudence anglaise doive être appliquée avec prudence, étant donné qu’en Angleterre la Limitation Act, 1939, 2 & 3 Geo. 6, ch. 21, prévoit non pas la reconnaissance de la « cause d’action » mais la reconnaissance de la « demande d’indemnité », cette jurisprudence reste convaincante pour les besoins de l’interprétation en l’espèce.

45 Ainsi, il est possible de conclure qu’une partie a reconnu la demande d’indemnité seulement si elle a effectivement admis qu’elle était tenue de payer ce que le demandeur tente de recouvrer (voir Surrendra Overseas Ltd. c. Government of Sri Lanka, [1977] 2 All E.R. 481 (B.R.)). Comme l’a conclu la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, dans l’arrêt Podovinikoff c. Montgomery (1984), 14 D.L.R. (4th) 716, p. 721, une personne peut simplement reconnaître que quelqu’un a fait valoir (en présentant une demande d’indemnité) une cause d’action contre elle sans reconnaître quelque responsabilité que ce soit. La simple reconnaissance de l’« existence » d’une cause d’action est insuffisante pour satisfaire aux exigences de l’al. 16(1)a). La reconnaissance doit comporter une admission de responsabilité quelconque.

46 Par conséquent, les lettres (du 18 novembre 1998 et du 25 janvier 1999) que l’expert en sinistres a envoyées à l’avocat de M. Ryan ne font pas recommencer le compte à rebours étant donné qu’elles ne constituent pas une reconnaissance de responsabilité de la part de Cabot Insurance. Il est évident que ces lettres n’étaient que des demandes de renseignements et faisaient partie du processus normal d’enquête. Comme l’ont prétendu les appelants, si le simple fait d’enquêter sur une demande devait constituer une confirmation, alors pour conserver le droit d’invoquer la prescription comme moyen de défense, les défendeurs éventuels n’auraient d’autre choix que de refuser d’enquêter jusqu’à ce qu’une déclaration soit déposée. Cela écarterait la possibilité d’un règlement rapide et entraînerait une augmentation de l’incidence et du coût des procès.

47 La même conclusion s’applique à la deuxième façon de confirmer, c’est‑à‑dire au moyen d’un paiement. Il importe de souligner que les deux paiements mentionnés par M. Ryan, à savoir ceux effectués pour le dossier médical de M. Ryan et le rapport médical du Dr Landells, ne constituaient pas une preuve de responsabilité de la part de Cabot Insurance, et n’indemnisaient pas non plus M. Ryan, en partie du moins, pour le préjudice causé par l’accident. Ainsi, ils ne sauraient être des paiements à l’égard de la « cause d’action ». M. Ryan se fonde sur la décision rendue par la Cour d’appel de Terre‑Neuve dans l’affaire Wheaton c. Palmer (2001), 205 Nfld. & P.E.I.R. 304, pour affirmer qu’un paiement fait à un médecin, mais envoyé à l’avocat du demandeur, constitue une confirmation. En toute déférence, j’estime que cette décision de la Cour d’appel est erronée. Je préfère le point de vue contraire que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a exprimé dans l’arrêt MacKay c. Lemley (1997), 44 B.C.L.R. (3d) 382, par. 21. Le paiement pour un rapport médical, effectué par chèque à l’ordre d’un médecin mais envoyé à l’avocat du demandeur, ne constitue pas une confirmation de la cause d’action du demandeur :

[traduction] J’estime que le simple fait d’avoir transmis par le bureau de l’avocat le paiement destiné au médecin n’en fait pas un paiement au sens du libellé exprès de la disposition. Le paiement effectué en l’espèce était, comme dans l’affaire Germyn, destiné au médecin. Le médecin n’était pas une personne dont l’appelant pouvait se servir comme intermédiaire pour présenter une demande d’indemnité. Il s’agissait non pas d’un remboursement destiné à une personne ayant payé le rapport médical, mais d’un paiement direct fait au médecin par [l’Insurance Corporation of British Columbia].

48 Le but de ces types de paiement et de correspondance est crucial. En l’espèce, ils étaient censés non pas constituer une reconnaissance de responsabilité, mais seulement faire avancer l’enquête et favoriser le règlement rapide de certains aspects de la demande d’indemnité.

C. La préclusion

49 La succession de M. Moore et Cabot Insurance soutiennent que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu tort de conclure qu’ils étaient préclus d’invoquer le décès en tant que tel de M. Moore et la délivrance des lettres d’administration, ce qui les empêchait de faire valoir que l’action de M. Ryan avait été intentée après l’expiration du délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act. Elles prétendent que ni la préclusion par convention ni la préclusion par assertion de fait ne s’applique aux faits de la présente affaire. Selon M. Ryan, les appelants sont préclus d’invoquer le délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act en raison de l’application de l’un ou l’autre de ces deux types de préclusion.

50 Bien que la règle de la préclusion soit souvent mentionnée à l’égard d’affaires de renonciation, d’exercice d’un choix, d’abandon, d’acquiescement et de manque de diligence dans le contexte de rapports commerciaux et contractuels, la jurisprudence canadienne sur ce sujet n’est pas aussi abondante que celle du Royaume‑Uni. Il est donc utile que notre Cour procède à un examen assez approfondi de la question, d’autant plus qu’il est reconnu depuis longtemps que les préclusions doivent être admises avec prudence et appliquées avec soin (voir Harper c. Cameron (1892), 2 B.C.R. 365 (Div. Ct.), p. 383).

51 Dans l’arrêt Amalgamated Investment & Property Co. (In Liquidation) c. Texas Commerce International Bank Ltd., [1982] 1 Q.B. 84 (C.A.), p. 122, lord Denning a décrit ainsi l’état du droit en matière de préclusion :

[traduction] La règle de la préclusion est l’une des plus souples et des plus utiles de l’arsenal du droit. Cependant, elle a été appliquée dans une multitude d’affaires. C’est pourquoi je ne les ai pas toutes examinées dans le présent jugement. Cette règle a connu, au cours des 150 dernières années, une évolution en plusieurs étapes : la préclusion propriétale, la préclusion par assertion de fait, la préclusion par acquiescement et la préclusion promissoire. On a par ailleurs cherché à en limiter la portée au moyen d’une série de maximes : la préclusion n’est qu’une règle de preuve, la préclusion ne peut pas donner naissance à une cause d’action, la préclusion n’élimine pas la nécessité de s’interroger, et ainsi de suite. On peut maintenant considérer que toutes ces maximes forment une seule règle générale dénuée de restriction. Lorsque les parties à une opération se fondent sur une présupposition sous‑jacente — de fait ou de droit — peu importe qu’elle découle d’une affirmation inexacte ou d’une erreur — qui a guidé leurs rapports — , aucune d’elles ne peut revenir sur cette présupposition lorsqu’il serait inéquitable ou injuste de lui permettre de le faire. Si l’une des parties souhaite revenir sur la présupposition, les tribunaux accorderont à l’autre partie la réparation qui s’impose en equity.

52 Six types de préclusion se dégagent de la jurisprudence : la préclusion par assertion de fait, la préclusion propriétale, la préclusion promissoire, la préclusion par convention, la préclusion du fait d’un acte formaliste et la préclusion fondée sur la négligence (voir Bower, p. 3‑9). J’examinerai ici celles qui sont au cœur du présent litige, soit la préclusion par convention et la préclusion par assertion de fait.

(1) Préclusion par convention

a) Définition et principes

53 Les origines de la règle de la préclusion par convention remontent à la préclusion du fait d’un acte formaliste, pour laquelle le cachetage et la remise étaient essentiels et où le fondement de l’obligation résidait non pas dans la convention elle‑même, ou dans le fait de s’y fier, mais dans le caractère solennel et officiel de l’acte, ce qui traduisait l’intérêt de la jurisprudence ancienne pour la forme plutôt que pour le fond. La règle moderne a changé énormément (voir Bower, p. 179‑180; T. B. Dawson, « Estoppel and obligation : the modern role of estoppel by convention » (1989), 9 L.S. 16).

54 Bower définit ainsi la notion moderne de préclusion par convention (p. 180) :

[traduction] La préclusion par convention, soutient‑on, est une préclusion par assertion de fait, une préclusion promissoire ou une préclusion propriétale où la proposition pertinente est établie non par voie d’assertion ou de promesse faite par une partie à une autre, mais par voie d’assentiment réciproque, exprès ou implicite. Cette forme de préclusion repose non pas sur une assertion faite par une personne et crue par celle à qui elle est destinée, mais sur un exposé conjoint des faits ou du droit dont la véracité est supposée constituer, par convention entre les parties, un fondement de leurs rapports. Lorsque, dans leurs rapports, les parties ont agi en fonction de la présupposition conventionnelle qu’elles devraient tenir pour véridique l’état de fait ou de droit en question, de sorte qu’il serait inéquitable pour l’une d’elles que l’autre revienne sur cette présupposition conventionnelle, alors cette partie aura un recours contre l’autre selon qu’il s’agit d’une préclusion relative à une question de fait, ou encore d’une préclusion promissoire ou propriétale, ou les deux à la fois.

55 Dans Wilken and Villiers : The Law of Waiver, Variation and Estoppel (2e éd. 2002), p. 223, S. Wilken affirme qu’il y a préclusion par convention lorsque :

[traduction] (i) les parties ont, par leur interprétation de leur convention ou par leur compréhension commune de ses effets juridiques, établi un fondement conventionnel; (ii) les parties ont réglé leurs rapports subséquents sur ce fondement; (iii) une des parties subirait un préjudice s’il était permis à l’autre partie de revenir sur cette convention.

Voir également Chitty on Contracts (29e éd. 2004), vol. 1, p. 283.

56 Après avoir examiné la jurisprudence du Royaume‑Uni et du Canada, la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a énoncé les quatre éléments suivants qui doivent être prouvés (par. 79) :

[traduction]

(i) la preuve établit l’existence d’une présupposition commune aux parties quant à un état de fait;

(ii) les parties ont adopté la présupposition commune comme fondement conventionnel de l’opération qu’elles ont conclue;

(iii) le litige à l’égard duquel la préclusion par convention est invoquée découle de cette opération;

(iv) la partie qui invoque la préclusion subirait un préjudice s’il était permis à l’autre partie de revenir sur l’état de fait présupposé.

L’intimé a reconnu ces conditions.

57 Les appelants affirment que six conditions doivent être remplies pour qu’il y ait préclusion par convention. À l’appui de cette affirmation, ils citent l’arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande National Westminster Finance NZ Ltd. c. National Bank of NZ Ltd., [1996] 1 N.Z.L.R. 548, p. 550. En fait, ils préconisent simplement une description plus détaillée des conditions qui sont également énoncées dans d’autres décisions étrangères.

58 La jurisprudence du Royaume‑Uni est effectivement abondante comparativement à celle qui existe au Canada (voir, par exemple, The « Indian Grace », [1998] 1 Lloyd’s L.R. 1 (H.L.), p. 10; The « August Leonhardt », [1985] 2 Lloyd’s L.R. 28 (C.A.), p. 34‑35; The « Vistafjord », [1988] 2 Lloyd’s L.R. 343 (C.A.), p. 349‑353).

59 Notre Cour n’est liée par aucun des cadres analytiques susmentionnés. Après avoir examiné la jurisprudence du Royaume‑Uni et du Canada ainsi que les commentaires de certains auteurs sur le sujet, j’estime que les critères suivants constituent le fondement de la règle de la préclusion par convention :

(1) Les rapports des parties doivent avoir reposé sur une présupposition de fait ou de droit commune : la préclusion exige qu’une assertion manifeste émanant d’une déclaration ou d’une conduite ait créé une présupposition commune. La préclusion peut néanmoins résulter (implicitement) d’un silence.

(2) Une partie doit avoir agi sur la foi de cette présupposition commune, et ses actes doivent avoir entraîné une modification de sa situation juridique.

(3) Il doit également être injuste ou inéquitable de permettre à l’une des parties de revenir sur la présupposition commune ou de s’en écarter. La partie qui cherche à établir la préclusion doit donc démontrer que, s’il est permis à l’autre partie de revenir sur la présupposition, elle subira un préjudice en raison du changement de la situation présupposée.

Voir Wilken, p. 227‑228; Canacemal Investment Inc. c. PCI Realty Corp., [1999] B.C.J. No. 2029 (QL) (C.S.), par. 35; Capro Investments Ltd. c. Tartan Development Corp., [1998] O.J. No. 1763 (QL) (Div. gén.), par. 31.

b) Application du droit

60 La Cour d’appel, à la majorité, a décidé que la préclusion par convention s’appliquait en l’espèce. Elle a conclu que les parties avaient présupposé l’existence d’un état de fait, à savoir que M. Moore était vivant, que les parties avaient convenu d’agir sur la foi de cette présupposition dans leurs opérations relatives à la demande de M. Ryan, que le litige à l’égard duquel la préclusion était invoquée découlait des opérations que les parties avaient conclues en traitant la demande de M. Ryan, et que M. Ryan subirait un préjudice s’il était permis à la succession de M. Moore ou à l’assureur de revenir sur la présupposition commune. Comme le montrera l’analyse ci‑dessous, je ne puis souscrire à cette conclusion.

(i) Présupposition commune et communiquée

61 La condition essentielle de la préclusion par convention, qui la distingue des autres types de préclusion, est que les deux parties soient, au moment pertinent, [traduction] « sur la même longueur d’onde » (Troop c. Gibson, [1986] 1 E.G.L.R. 1 (C.A.), p. 5; Hillingdon London Borough c. ARC Ltd., [2000] E.W.J. No. 3278 (QL) (C.A.), par. 49). La cour doit déterminer quel état de fait a été accepté par les parties, et décider si les conditions de la convention sont assez claires et dénuées d’ambiguïté pour donner naissance à un droit exécutoire en equity : Troop, p. 6; voir également Baird Textile Holdings Ltd. c. Marks & Spencer plc, [2002] 1 All E.R. (Comm) 737, [2001] EWCA Civ 274, par. 84.

62 Même s’il se peut qu’il ne soit pas nécessaire que la présupposition de la partie qui invoque la préclusion ait été créée ou encouragée par la partie précluse, elle doit être commune en ce sens que chacune des parties est au courant de la présupposition de l’autre (John c. George, [1995] E.W.J. No. 4375 (QL) (C.A.), par. 37). C’est l’assentiment réciproque qui distingue la préclusion par convention des autres types de préclusion (Bower, p. 184). Les tribunaux ont affirmé que les communications qui satisfont à cette exigence sont celles [traduction] « qui passent » de leur auteur à leur destinataire. Dans l’arrêt The « August Leonhardt », p. 34‑35, le lord juge Kerr a conclu que

[traduction] [t]oute préclusion doit comporter une déclaration ou une conduite de la partie qui serait précluse, à laquelle le prétendu destinataire de l’assertion était en droit de se fier et s’est effectivement fié. En ce sens, toute préclusion peut être considérée comme nécessitant une assertion manifeste émanant soit d’une déclaration soit d’une conduite, qui passe de son auteur à son destinataire. Cette assertion peut prendre la forme d’une déclaration expresse ou découler implicitement d’une conduite, comme l’omission du prétendu auteur de l’assertion de réagir à quelque chose qui a été dit ou fait par son prétendu destinataire, qui semble manifester un assentiment donnant lieu à une préclusion par silence ou acquiescement. De même, dans les soi‑disant cas de préclusion par convention, les parties doivent adopter une conduite manifeste de part et d’autre qui est fondée sur une présupposition commune, mais erronée. . .

Il ne saurait y avoir de préclusion à moins que le prétendu auteur de l’assertion n’ait dit ou fait quelque chose, ou omis de faire quelque chose, de sorte que — de manière générale entre les parties — son action ou son inaction a fait naître une certaine croyance ou attente dans l’esprit du prétendu destinataire de l’assertion, qui fait que, selon les circonstances, il ne serait plus acceptable de permettre au prétendu auteur de l’assertion de revenir sur celle‑ci en contestant la croyance ou l’attente qu’elle a engendrée. Par conséquent, le prétendu auteur de l’assertion doit, tout au moins dans cette mesure, prêter le flanc à la critique. [Je souligne.]

Voir également The « Vistafjord », p. 350. Il ne suffit donc pas que chacune des deux parties agisse sur la foi d’une présupposition non communiquée à l’autre (The « Indian Grace », p. 10). En outre, la partie précluse doit, à tout le moins, avoir informé l’autre partie qu’elle partageait effectivement sa présupposition erronée (ex hypothesi) (John, par. 81; Bower, p. 184).

63 En l’espèce, le dossier révèle que l’avocat de M. Ryan et l’expert en sinistres ont échangé 14 lettres relativement à l’action pour préjudice corporel de l’intimé (d.a., vol. II, p. 150‑170). Cependant, aucune de ces lettres n’établit l’existence d’une présupposition commune. Les lettres manquent de clarté et de certitude. Le seul fait que des communications aient eu lieu entre les parties n’établit pas qu’elles ont toutes les deux présupposé que M. Moore était vivant. Il est peu probable que la question de savoir si M. Moore était vivant ou mort ait traversé l’esprit des appelants ou de l’intimé. Le fait que l’avocat de M. Ryan ait, au départ, inscrit dans son calendrier que l’action était assujettie à un délai de prescription de deux ans en vertu de la Limitations Act démontre qu’il n’avait pas songé à la possibilité qu’un délai de prescription plus court s’applique en vertu de la Survival of Actions Act. En réalité notre Cour se trouve en présence d’une ignorance de part et d’autre et non d’une présupposition commune.

64 M. Ryan prétend, ce dont la Cour d’appel a convenu, que l’objet des lettres échangées par son avocat et l’expert en sinistres, qui se lit [traduction] « Votre assuré : Rex Moore » ou « Notre assuré : Rex Moore », est éloquent et indique que les deux parties présupposaient que M. Moore était vivant. Je ne suis pas du tout d’accord. Il s’agit là d’une interprétation irréaliste de l’objet de ces lettres. Une telle mention ne peut signifier qu’une chose : la personne assurée en vertu de la police d’assurance automobile était Rex Moore. Ces mots ne servent qu’à identifier le dossier dont traite le signataire de la lettre. La Cour d’appel a commis une erreur en accordant de l’importance à la mention de l’objet de ces lettres qui, interprétée correctement, n’établit pas l’existence d’une présupposition commune que M. Moore était vivant.

65 Le fait que les parties se soient entretenues sans tenir compte du délai de prescription n’établissait pas non plus l’existence d’une présupposition commune que la prescription ne serait pas invoquée comme moyen de défense. Ces lettres renferment de simples demandes de détails concernant l’action et n’établissent pas l’existence d’une convention entre les parties (voir Hillingdon London Borough, par. 57 et 60; Seechurn c. ACE Insurance S.A.‑N.V., [2002] 2 Lloyd’s L.R. 390, [2002] EWCA Civ 67, p. 396). En fait, l’affaire n’a pas dépassé le stade préliminaire de l’enquête relative au bien‑fondé de l’action pour préjudice corporel. Il n’y a eu aucune négociation ou discussion de conciliation, aucune reconnaissance de responsabilité ou entente de renonciation à la possibilité d’invoquer la prescription comme moyen de défense.

66 Même si on pouvait conclure à l’existence d’une présupposition commune des parties, j’estime qu’on ne saurait réalistement affirmer que l’intimé a informé les appelants qu’il partageait effectivement leur présupposition erronée. À cet égard, je suis du même avis que les juges dissidents de la Cour d’appel lorsqu’ils affirment (par. 108) :

[traduction] Il est vrai que les deux parties ont présupposé que M. Moore était vivant. Comme nous l’avons déjà souligné, cela n’est pas suffisant pour établir la préclusion par convention. Avant le décès de M. Moore, toute mention de son nom laissant entendre qu’il était vivant reflétait alors la réalité. On ne saurait dire que cela constitue une communication sur la foi de laquelle les parties ont convenu d’agir en présupposant que M. Moore serait vivant, même après son décès. Aucune preuve directe ou indirecte ne permet d’arriver à une telle conclusion. Il faut alors se demander si une convention aurait pu survenir après le décès de M. Moore. Les deux lettres écrites par l’expert en sinistres après le décès de M. Moore étaient erronées lorsqu’elles mentionnaient « Notre assuré — Rex Moore », mais aucune partie n’a informé l’autre partie ou accepté que cela déterminerait leur conduite future.

(ii) L’acte de confiance préjudiciable

67 Selon les appelants, l’acte de confiance préjudiciable est une condition dont l’existence doit être prouvée pour que l’on puisse conclure à la préclusion par convention. Je suis d’accord. La Cour d’appel a eu tort de conclure que, pour que cette condition soit remplie, il suffisait de prouver que la partie invoquant la préclusion subirait un préjudice s’il était permis à l’autre partie de revenir sur l’état de fait présupposé, sans qu’il soit nécessaire de conclure à l’existence d’un acte de confiance.

68 La jurisprudence et la doctrine confirment que la condition de l’acte de confiance préjudiciable est au cœur de la véritable préclusion (voir Bower, p. 6 et 184; John, par. 86; Hillingdon London Borough; The « August Leonhardt », p. 35; Litwin Construction (1973) Ltd. c. Pan (1988), 52 D.L.R. (4th) 459 (C.A.C.‑B.), p. 469‑470; Canacemal, par. 33‑35; Vancouver City Savings Credit Union c. Norenger Development (Canada) Inc., [2002] B.C.J. No. 1417 (QL), 2002 BCSC 934, par. 74; 32262 B.C. Ltd. c. Companions Restaurant Inc. (1995), 17 B.L.R. (2d) 227 (C.S.C.-B.), p. 235‑236).

69 L’acte de confiance préjudiciable englobe deux notions distinctes, mais connexes : l’acte de confiance et le préjudice. La première notion exige de conclure que la partie qui cherche à établir la préclusion a modifié sa conduite en agissant ou en s’abstenant d’agir sur la foi de la présupposition, ce qui a eu pour effet de modifier sa situation juridique. Lorsque la première étape est franchie, la deuxième exige de conclure que, s’il est permis à l’autre partie de revenir sur la présupposition, la partie invoquant la préclusion subira un préjudice en raison du changement de sa situation présupposée (voir Wilken, p. 228; Grundt c. Great Boulder Proprietary Gold Mines Ltd. (1937), 59 C.L.R. 641 (H.C. Austr.), p. 674).

70 Pour revenir aux faits de la présente affaire, même si on présumait l’existence d’une présupposition commune communiquée entre les parties, rien ne prouve que l’intimé s’est fié à cette présupposition. La preuve indique que l’intimé n’a jamais songé au délai de prescription plus court prévu par la Survival of Actions Act. Premièrement, l’avocat de M. Ryan a inscrit dans son calendrier que l’affaire était assujettie à un délai de prescription de deux ans. Deuxièmement, la question de la préclusion par convention a été soulevée pour la première fois par la Cour d’appel elle‑même et n’a jamais été débattue devant le juge des requêtes. En outre, dans son affidavit, l’avocat de M. Ryan ne mentionne nulle part qu’il croyait que l’expert en sinistres souhaitait qu’il agisse ou s’abstienne d’agir sur la foi d’une convention quelconque (d.a., vol. II, p. 137‑146). Entre la date de l’accident, soit le 27 novembre 1997, et la date d’expiration du délai de prescription prévu par la Survival of Actions Act, soit le 16 août 1999, l’intimé n’a jamais discuté du délai de prescription. Lorsque, le 24 octobre 2000, l’avocat de M. Ryan a indiqué pour la première fois à la rédactrice sinistres de Cabot Insurance que le délai de prescription pourrait poser un problème, il n’a pas mentionné que les parties s’étaient entendues pour traiter M. Moore comme s’il était vivant pour les besoins de la demande de M. Ryan et n’a pas soulevé non plus l’existence d’une convention.

71 Il n’était pas loisible à l’avocat de M. Ryan de s’abstenir de poursuivre Rex Gilbert Moore en raison seulement des communications limitées qui ont eu lieu entre les avocats. Les lettres invoquées ne concernaient que le rassemblement de renseignements et de documents médicaux concernant les blessures qu’aurait subi M. Ryan, rien de plus. J’ai déjà parlé de la mention de l’objet; on ne peut faire abstraction du fait que toutes les négociations et communications ont également été effectuées sous réserve de tous droits.

72 Par conséquent, je suis d’accord avec les juges dissidents de la Cour d’appel pour dire que non seulement l’intimé ne s’est pas fié à la présupposition dont on allègue l’existence, mais encore sa conduite ne démontre aucune intention de modifier les rapports juridiques entre les parties. Le dossier ne montre pas que l’intimé a modifié de quelque façon que ce soit sa situation en raison de la présupposition commune dont on allègue l’existence.

(iii) Préjudice

73 Dès que la partie qui cherche à établir la préclusion démontre qu’elle a agi sur la foi d’une présupposition commune, elle doit prouver l’existence d’un préjudice. Pour que ce moyen soit retenu, il doit être injuste ou inéquitable de permettre à une partie de revenir sur la présupposition commune (Wilken, p. 228). On dit souvent que le fait qu’il y ait eu modification de la situation juridique présupposée facilite l’établissement de l’existence d’un préjudice : [traduction] « Cela est dû au fait que la notion de présupposition commune comporte forcément un élément d’injustice — une partie a agi de manière injuste en permettant que la croyance ou l’attente “passe” dans l’esprit de l’autre » : Wilken, p. 228.

74 On a dit que cette dernière condition de la préclusion prouve qu’il serait « injuste », « inique » ou « inéquitable » de permettre à une partie de revenir sur la présupposition commune (voir, par exemple, Bower, p. 181; John; The « Indian Grace »; The « Vistafjord »). Cependant, il peut être préférable de s’abstenir d’utiliser le mot « inique » afin d’éviter toute confusion avec cette dernière notion, qui a pris un sens particulier en ce qui concerne l’inégalité du pouvoir de négociation en droit des contrats (où l’on parle d’opérations iniques, par exemple) (voir Litwin Construction, p. 468).

75 En l’espèce, étant donné l’absence de présupposition commune ou d’acte de confiance, il n’est pas nécessaire d’examiner le critère du préjudice. Je tiens toutefois à souligner qu’un délai de prescription plus court n’est pas une preuve de préjudice, comme l’a laissé entendre l’intimé. Le délai de prescription et la prescription ont, dans les divers domaines du droit, un effet et une incidence similaires. La Survival of Actions Act procure un avantage que n’offre pas la common law; on ne saurait légitimement qualifier cet avantage d’inéquitable et injuste.

(2) Préclusion par assertion de fait

76 En l’absence de présupposition commune, comme c’est le cas en l’espèce, il ne peut y avoir de préclusion par convention, aussi injuste que puisse paraître la conduite de l’autre partie. Toutefois, dans certaines circonstances, la partie qui cherche à établir la préclusion peut être en mesure d’invoquer la préclusion par assertion de fait, une solution que l’intimé préconise en l’espèce. La difficulté additionnelle qui se pose dans un tel cas tient au fait que la préclusion par assertion de fait ne peut pas découler d’un silence, à moins qu’une partie ne soit tenue de parler. Le silence ou l’inaction seront considérés comme une assertion si l’auteur de l’assertion avait envers le destinataire de celle‑ci une obligation légale de divulguer ou de prendre des mesures, et que l’omission de le faire est invoquée comme donnant lieu à la préclusion : voir Wilken, p. 227; Bower, p. 46‑47.

77 M. Ryan prétend que, dans la présente affaire, le silence constituait une assertion justifiant la préclusion parce qu’il y avait une obligation de divulguer les renseignements pertinents due au fait qu’il serait inéquitable que les appelants profitent de l’absence de divulgation. Je ne suis pas d’accord. En l’espèce, les appelants, qui n’étaient à l’époque que des défendeurs éventuels, n’étaient pas tenus d’informer M. Ryan de l’existence d’un délai de prescription, de l’aider à intenter son action ou de l’aviser des conséquences du décès de l’une des parties. Il n’existe aucun rapport fiduciaire ou contractuel en l’espèce (contrairement à l’affaire Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87). Les appelants n’étaient tenus ni de faire preuve de diligence raisonnable ni de divulguer quelque renseignement que ce soit.

78 Il n’y avait donc, en l’espèce, aucune assertion, aucune obligation de parler, aucune intention de modifier les rapports juridiques ni aucun acte de confiance.

III. Conclusion

79 Le législateur a créé une exception à la règle de common law en édictant la Survival of Actions Act. Il a élargi la portée des droits des parties afin de leur permettre de poursuivre une action contre une personne décédée. La disposition pertinente modifie la common law. Il n’appartient pas à notre Cour de modifier le régime établi par le législateur.

80 Il n’y a aucune raison fondée sur la préclusion ou quelque autre règle juridique d’empêcher la succession de M. Moore ou Cabot Insurance d’invoquer le délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en ce qui concerne la question de la préclusion, de confirmer la décision de la Cour d’appel relativement aux autres questions et de radier la déclaration, avec dépens dans toutes les cours.

ANNEXE

Limitations Act, S.N.L. 1995, ch. L‑16.1

[traduction]

5. [Délai de prescription de 2 ans] Les actions suivantes se prescrivent par deux ans suivant la date à laquelle a pris naissance le droit de les intenter :

a) l’action en dommages‑intérêts pour préjudice corporel ou matériel, y compris la perte économique découlant du préjudice, que ce soit pour un délit, une inexécution de contrat ou un manquement à une obligation légale;

. . .

16. [Confirmation] (1) Une cause d’action est confirmée si, selon le cas, une personne :

a) reconnaît cette cause d’action, ce droit ou ce titre appartenant à autrui;

b) effectue un paiement à l’égard de cette cause d’action, de ce droit ou de ce titre appartenant à autrui.

(2) En cas de confirmation, la période antérieure à la date de la confirmation est exclue du calcul de la prescription de l’action de la personne qui bénéficie de cette confirmation par rapport à celle qui est liée par celle‑ci.

(3) Le paragraphe (2) ne vise un droit d’action que si la confirmation a lieu avant l’expiration du délai de prescription applicable à ce droit d’action.

. . .

(5) La confirmation est valide si elle est consignée dans un écrit, signée par l’une des personnes suivantes et remise à la personne qui bénéficie de cette cause d’action ou à son mandataire :

a) soit la personne visée par la cause d’action,

b) soit son mandataire.

Survival of Actions Act, R.S.N.L. 1990, ch. S‑32

[traduction]

2. [Survie des causes d’action] Les actions et causes d’action :

a) appartenant à une personne décédée survivent au profit de sa succession;

b) existant contre une personne décédée survivent contre sa succession.

5. [Prescription des actions] Aucune action ne peut être intentée en vertu de la présente loi à moins que les procédures ne soient engagées dans les six mois suivant la délivrance de lettres d’homologation ou d’administration de la succession de la personne décédée, et, pour les besoins d’une action fondée sur la présente loi, les procédures ne doivent pas être engagées après l’expiration d’un an suivant la date du décès de la personne en question.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelants : Cox Hanson O’Reilly Matheson, St. John’s.

Procureurs de l’intimé : Curtis, Dawe, St. John’s.


Synthèse
Référence neutre : 2005 CSC 38 ?
Date de la décision : 16/06/2005
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en ce qui concerne la question de la préclusion et la déclaration est radiée. La décision de la Cour d’appel est par ailleurs confirmée. Il n’y avait aucune raison fondée sur quelque règle juridique d’empêcher la succession de M ou l’assureur d’invoquer le délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act

Analyses

Prescription - Survie d’une action intentée contre une personne décédée - Délais de prescription - Préclusion par convention - Préclusion par assertion de fait - Règle de la possibilité de découvrir le dommage - Confirmation de la cause d’action - Délai de prescription prévu par la Survival of Actions Act expirant un an après le décès d’une partie à une action ou six mois après la date de délivrance de lettres d’administration - Déclaration relative à un préjudice résultant d’un accident d’automobile déposée contre le défendeur avant l’expiration du délai de prescription de deux ans fixé par la Limitations Act - Demandeur apprenant le décès du défendeur seulement après l’expiration du délai de prescription plus court établi par la Survival of Actions Act - La règle de la préclusion par convention ou par assertion de fait empêche‑t‑elle le défendeur d’invoquer la prescription comme moyen de défense? - La confirmation de la cause d’action ou la règle de la possibilité de découvrir le dommage a‑t‑elle pour effet de prolonger le délai de prescription prévu par la Survival of Actions Act? - Survival of Actions Act, R.S.N.L. 1990, ch. S‑32, art. 5 - Limitations Act, S.N.L. 1995, ch. L‑16.1, art. 5, 16.

Préclusion - Préclusion par convention - Conditions - Les conditions de la règle de la préclusion sont‑elles remplies?.

Préclusion - Préclusion par assertion de fait - Prescription - Le silence du défendeur concernant le délai de prescription plus court constitue‑t‑il une assertion justifiant la préclusion?.

Un accident impliquant trois véhicules conduits par l’intimé R, l’appelant M et une tierce personne est survenu le 27 novembre 1997. R a décidé d’intenter une action pour préjudice corporel contre M. Il ignorait que, le 26 décembre 1998, M était décédé de causes non liées à l’accident. Le 16 février 1999, des lettres d’administration ont été délivrées à l’administratrice de M. Le 28 octobre 1999, R a déposé sa déclaration désignant M comme défendeur; ce dépôt a été fait avant l’expiration du délai de prescription de deux ans fixé par la Limitations Act, mais après celle du délai de prescription prévu par la Survival of Actions Act, qui est d’un an suivant la date du décès d’une partie à une action ou de six mois suivant la délivrance de lettres d’administration. L’assureur appelant a sollicité une ordonnance de radiation de la déclaration pour cause de tardiveté. R a également présenté une demande de modification du nom de la partie défenderesse inscrit dans la déclaration. La Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a rejeté la demande de l’assureur visant à obtenir le rejet de l’action et a accueilli la demande de R. La Cour d’appel a accueilli en partie l’appel principal et l’appel incident, concluant que la Survival of Actions Act s’appliquait à l’action, mais que les appelants étaient néanmoins préclus d’invoquer le délai de prescription plus court.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli en ce qui concerne la question de la préclusion et la déclaration est radiée. La décision de la Cour d’appel est par ailleurs confirmée. Il n’y avait aucune raison fondée sur quelque règle juridique d’empêcher la succession de M ou l’assureur d’invoquer le délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act.

La règle de la possibilité de découvrir le dommage ne s’applique pas à la Survival of Actions Act. Cette règle ne peut pas être invoquée dans les cas où, comme en l’espèce, la loi applicable lie expressément le délai de prescription à un événement déterminé qui n’a rien à voir avec le moment où la partie lésée en prend connaissance ou avec le fondement de la cause d’action. En désignant un fait particulier comme élément déclencheur du « compte à rebours de la prescription », le législateur a écarté la règle de la possibilité de découvrir le dommage dans tous les cas où la Survival of Actions Act s’applique. [24‑25] [27]

L’article 16 de la Limitations Act ne s’applique pas non plus à la Survival of Actions Act. Une confirmation de la cause d’action n’aurait aucun effet sur le délai de prescription fixé par la Survival of Actions Act parce que cette loi ne crée pas une cause d’action, mais ne fait que conférer un droit d’intenter une action malgré le décès de l’une des parties. De toute façon, la cause d’action n’a pas été confirmée en l’espèce étant donné que ni les lettres (échangées entre les représentants des parties) ni les paiements effectués (par l’assureur à l’avocat de R pour le préjudice matériel ou des rapports médicaux) ne traduisent une reconnaissance de responsabilité. Les lettres et les paiements étaient seulement destinés à faire avancer l’enquête et à favoriser le règlement rapide de certains aspects de la demande d’indemnité. [37] [42] [45‑48]

Les conditions pour qu’il y ait préclusion par convention — présupposition commune communiquée entre les parties, avoir agi sur la foi de cette présupposition commune (acte de confiance) et préjudice — ne sont pas remplies. Aucune des lettres que l’avocat de R et l’expert en sinistres ont échangées relativement à l’action pour préjudice corporel de R n’établit l’existence d’une présupposition commune que M était vivant ou que la prescription ne serait pas invoquée comme moyen de défense. Ces lettres manquent de clarté et de certitude. Même si on pouvait conclure à l’existence d’une présupposition commune des parties, on ne saurait réalistement affirmer que R a informé les appelants qu’il partageait leur présupposition erronée. De plus, non seulement R ne s’est‑il pas fié à la présupposition dont on allègue l’existence, mais encore sa conduite ne démontre aucune intention de modifier les rapports juridiques entre les parties. Le dossier ne montre pas que R a modifié de quelque façon que ce soit sa situation en raison de la présupposition commune dont on allègue l’existence. La preuve indique plutôt qu’il n’a jamais songé au délai de prescription plus court prévu par la Survival of Actions Act. Étant donné l’absence de présupposition commune ou d’acte de confiance, il n’est pas nécessaire d’examiner le critère du préjudice. Toutefois, il y a lieu de souligner qu’un délai de prescription plus court n’est pas une preuve de préjudice. [63‑66] [70‑72] [75]

Enfin, R ne peut pas invoquer la préclusion par assertion de fait. La préclusion par assertion de fait ne peut pas découler d’un silence, à moins qu’une partie ne soit tenue de parler. En l’espèce, les appelants n’étaient pas tenus d’informer R de l’existence d’un délai de prescription, de l’aider à intenter son action ou de l’aviser des conséquences du décès de l’une des parties. [76‑77]


Parties
Demandeurs : Ryan
Défendeurs : Moore

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147
Page c. Austin (1884), 10 R.C.S. 132
Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2
M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6
Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549
Fehr c. Jacob (1993), 14 C.C.L.T. (2d) 200
Snow c. Kashyap (1995), 125 Nfld. & P.E.I.R. 182
Payne c. Brady (1996), 140 D.L.R. (4th) 88, autorisation de pourvoi refusée, [1997] 2 R.C.S. xiii
Burt c. LeLacheur (2000), 189 D.L.R. (4th) 193
Waschkowski c. Hopkinson Estate (2000), 47 O.R. (3d) 370
Canadian Red Cross Society (Re), [2003] O.J. No. 5669 (QL)
Edwards c. Law Society of Upper Canada (No. 1) (2000), 48 O.R. (3d) 321
MacKenzie Estate c. MacKenzie (1992), 84 Man. R. (2d) 149
Justice c. Cairnie Estate (1993), 105 D.L.R. (4th) 501
Good c. Parry, [1963] 2 All E.R. 59
Surrendra Overseas Ltd. c. Government of Sri Lanka, [1977] 2 All E.R. 481
Podovinikoff c. Montgomery (1984), 14 D.L.R. (4th) 716
Wheaton c. Palmer (2001), 205 Nfld. & P.E.I.R. 304
MacKay c. Lemley (1997), 44 B.C.L.R. (3d) 382
Harper c. Cameron (1892), 2 B.C.R. 365
Amalgamated Investment & Property Co. (In Liquidation) c. Texas Commerce International Bank Ltd., [1982] 1 Q.B. 84
National Westminster Finance NZ Ltd. c. National Bank of NZ Ltd., [1996] 1 N.Z.L.R. 548
The « Indian Grace », [1998] 1 Lloyd’s L.R. 1
The « August Leonhardt », [1985] 2 Lloyd’s L.R. 28
The « Vistafjord », [1988] 2 Lloyd’s L.R. 343
Canacemal Investment Inc. c. PCI Realty Corp., [1999] B.C.J. No. 2029 (QL)
Capro Investments Ltd. c. Tartan Development Corp., [1998] O.J. No. 1763 (QL)
Troop c. Gibson, [1986] 1 E.G.L.R. 1
Hillingdon London Borough c. ARC Ltd., [2000] E.W.J. No. 3278 (QL)
Baird Textile Holdings Ltd. c. Marks & Spencer plc, [2002] 1 All E.R. (Comm) 737, [2001] EWCA Civ 274
John c. George, [1995] E.W.J. No. 4375 (QL)
Seechurn c. ACE Insurance S.A.‑N.V., [2002] 2 Lloyd’s L.R. 390, [2002] EWCA Civ 67
Litwin Construction (1973) Ltd. c. Pan (1988), 52 D.L.R. (4th) 459
Vancouver City Savings Credit Union c. Norenger Development (Canada) Inc., [2002] B.C.J. No. 1417 (QL), 2002 BCSC 934
32262 B.C. Ltd. c. Companions Restaurant Inc. (1995), 17 B.L.R. (2d) 227
Grundt c. Great Boulder Proprietary Gold Mines Ltd. (1937), 59 C.L.R. 641
Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87.
Lois et règlements cités
Fatal Accidents Act, R.S.N.L. 1990, ch. F‑6.
Limitations Act, S.N.L. 1995, ch. L‑16.1, art. 5, 16.
Survival of Actions Act, R.S.N.L. 1990, ch. S‑32, art. 2, 5, 8(1).
Doctrine citée
Bower, George Spencer. The Law Relating to Estoppel by Representation, 4th ed. by P. Feltham, D. Hochberg and T. Leech. London : LexisNexis UK, 2004.
Chitty on Contracts, vol. 1, 29th ed. London : Sweet & Maxwell, 2004.
Dawson, T. Brettel. « Estoppel and obligation : the modern role of estoppel by convention » (1989), 9 L.S. 16.
Fridman, G. H. L. The Law of Contract in Canada, 4th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1999.
Mew, Graeme. The Law of Limitations, 2nd ed. Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2004.
Wilken, Sean. Wilken and Villiers : The Law of Waiver, Variation and Estoppel, 2nd ed. Oxford : Oxford University Press, 2002.

Proposition de citation de la décision: Ryan c. Moore, 2005 CSC 38 (16 juin 2005)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-06-16;2005.csc.38 ?
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