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12/02/2004 | CANADA | N°2004_CSC_7

Canada | Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7 (12 février 2004)


Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., [2004] 1 R.C.S. 249, 2004 CSC 7

New Solutions Financial Corporation Appelante

c.

Transport North American Express Inc. Intimée

Répertorié : Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp.

Référence neutre : 2004 CSC 7.

No du greffe : 29355.

2003 : 16 octobre; 2004 : 12 février.

Présents : Les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un a

rrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2002), 60 O.R. (3d) 97, 214 D.L.R. (4th) 44, 160 O.A.C. 381, 27 B.L.R. (3d) 163,...

Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., [2004] 1 R.C.S. 249, 2004 CSC 7

New Solutions Financial Corporation Appelante

c.

Transport North American Express Inc. Intimée

Répertorié : Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp.

Référence neutre : 2004 CSC 7.

No du greffe : 29355.

2003 : 16 octobre; 2004 : 12 février.

Présents : Les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2002), 60 O.R. (3d) 97, 214 D.L.R. (4th) 44, 160 O.A.C. 381, 27 B.L.R. (3d) 163, 6 R.P.R. (4th) 1, [2002] O.J. No. 2335 (QL), qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure de justice (2001), 54 O.R. (3d) 144, 200 D.L.R. (4th) 560, 16 B.L.R. (3d) 148, [2001] O.J. No. 1948 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Bastarache, Deschamps et Fish sont dissidents.

Peter J. Cavanagh et Eric N. Hoffstein, pour l’appelante.

Robert G. Ackerman, pour l’intimée.

Version française du jugement des juges Iacobucci, Major, Arbour et LeBel rendu par

La juge Arbour —

I. Vue d’ensemble

1 En mars 2000, l’appelante, New Solutions Financial Corp. (« New Solutions »), et l’intimée, Transport North American Express Inc. (« TNAE »), ont conclu une convention de crédit par laquelle New Solutions a avancé à TNAE la somme de 500 000 $. En plus de certains droits, honoraires et autres frais, la convention prévoyait le paiement d’intérêts au taux mensuel de 4 pour 100, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance. Tous s’accordent pour dire que les divers paiements prévus par la convention constituaient un « taux criminel » au sens de l’art. 347 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (le « Code »). Les paiements sont rapidement devenus trop lourds pour TNAE, qui a alors demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario un jugement déclaratoire portant que la convention prévoyait un taux d’intérêt illégalement élevé et était inexécutoire.

2 Le juge Cullity, qui a entendu la demande de jugement déclaratoire, a estimé que, en matière de divisibilité, il n’était pas tenu d’appliquer uniquement la technique du [traduction] « trait de crayon bleu » (« blue-pencil ») pour remédier aux contrats illégaux du fait de la loi, technique qui permet seulement d’exciser certains engagements illégaux autonomes. Recourant à la [traduction] « divisibilité fictive » (« notional severance »), il a réduit le taux d’intérêt illégal pour que le contrat fixe le taux d’intérêt maximum autorisé par la loi : (2001), 54 O.R. (3d) 144.

3 Au terme de l’appel de cette décision à la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Rosenberg a conclu, au nom des juges majoritaires, que la doctrine de la divisibilité permettait uniquement de retrancher des engagements distincts dans un contrat : (2002), 60 O.R. (3d) 97. Il a infirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle les tribunaux pouvaient recourir à la divisibilité fictive comme technique réparatrice. Le juge Rosenberg a estimé qu’il convenait de retrancher ou de rayer au trait de crayon bleu la clause prévoyant le paiement d’intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance, tout en permettant l’exécution du reste de la convention conformément aux modalités y stipulées. Le juge Sharpe a exprimé sa dissidence, souscrivant plutôt aux motifs du juge de première instance Cullity.

4 Il est généralement admis que la règle traditionnelle de la nullité ab initio des contrats qui contreviennent à un texte de loi n’est pas la solution que les tribunaux devraient nécessairement privilégier en cas de violations de l’art. 347 du Code. Dans de tels cas, ceux-ci devraient plutôt exercer leur pouvoir discrétionnaire et accorder des réparations adaptées à la situation contractuelle concernée. La principale question dans le présent pourvoi interjeté par New Solutions consiste à décider si la divisibilité fictive, telle que l’a formulée et appliquée le juge Cullity, est une solution valide en droit canadien et si elle s’applique en l’espèce.

5 Vu la souplesse qu’il est souhaitable de reconnaître aux tribunaux en matière de réparations dans les affaires d’illégalité fondées sur l’art. 347 du Code, et vu aussi le caractère évolutif du droit relatif aux illégalités du fait de la loi en général et les principes judicieux sur lesquels repose ce concept, j’estime que les tribunaux peuvent, en droit, recourir à la divisibilité fictive comme réparation dans les litiges découlant de l’art. 347.

6 Les juges disposent d’un éventail de réparations lorsqu’ils examinent des contrats contrevenant à l’art. 347 du Code. Le pouvoir discrétionnaire que représente ce spectre de réparations est nécessaire pour permettre aux juges de façonner des solutions adaptées aux différentes situations contractuelles dans lesquelles peuvent se présenter les contraventions à l’art. 347. À une extrémité de ce spectre, on trouve les contrats qui sont à ce point répréhensibles que leur illégalité les invalide entièrement. Par exemple, les arrangements de prêt usuraire abusifs et les autres contrats ayant un objet criminel devraient être déclarés nuls ab initio. À l’autre extrémité, on trouve les contrats qui, quoiqu’ils contreviennent à un texte de loi, ne sont par ailleurs pas répréhensibles. Les contrats de cette nature entraînent souvent l’application de la doctrine de la divisibilité. La convention en cause dans la présente affaire est un exemple d’un tel contrat. Dans chaque cas, pour déterminer l’endroit où se situe une affaire donnée sur ce spectre et les conséquences qui en découlent du point de vue de la réparation, il faut procéder à un examen minutieux du contexte contractuel précis et de l’illégalité en cause.

7 En l’espèce, le juge de première instance a tiré les conclusions suivantes : (i) la convention intervenue entre New Solutions et TNAE ne contrevenait à l’art. 347 qu’en raison d’une inadvertance; (ii) les parties avaient de l’expérience des affaires et avaient négocié sans lien de dépendance; (iii) aucune preuve n’indiquait qu’elles n’avaient pas négocié d’égale à égale; (iv) chacune avait consulté son propre conseiller juridique durant les négociations ayant abouti à la convention. Par conséquent, la décision du juge Cullity d’appliquer la divisibilité fictive à la convention conclue par New Solutions et TNAE en l’espèce était bien fondée. J’accueillerais le pourvoi.

II. Les faits

8 Au cours de la période pertinente, TNAE faisait du transport routier de marchandises. Ken et Karen Dragosits étaient actionnaires de TNAE et participaient activement à l’exploitation de l’entreprise. Avant la fin de 1999, d’autres actionnaires détenaient une participation de 50 pour 100 dans TNAE. Une société à laquelle étaient liés ces autres actionnaires fournissait à TNAE les sommes nécessaires au titre du fonds de roulement de l’entreprise. Cette autre société a demandé à TNAE de lui rembourser les sommes qu’elle lui devait. Les Dragosits et TNAE ont décidé de rechercher une source de financement qui leur permettrait de rembourser les dettes de l’entreprise.

9 Les Dragosits se sont adressés à BDO Capital, devenue depuis New Solutions, l’appelante, pour obtenir le financement propre à permettre à TNAE de rembourser ses dettes et de racheter la participation des autres actionnaires de TNAE. Les parties ont finalement conclu une convention prévoyant un taux d’intérêt élevé ainsi que des droits, honoraires et autres frais substantiels. Le caractère onéreux de l’emprunt pour TNAE reflétait sans aucun doute le risque élevé que prenait New Solutions en avançant les fonds à TNAE.

10 Avant que les parties ne concluent la convention de crédit envisagée, New Solutions s’est dit intéressée à acheter une participation de 30 pour 100 dans TNAE. Les Dragosits se sont opposés à cette demande, puisqu’ils souhaitaient être les uniques actionnaires de TNAE. Au lieu de céder une participation, ils ont accepté que New Solutions reçoive des [traduction] « redevances » de 160 000 $, payables en huit versements trimestriels et reflétant la valeur approximative d’une participation de 30 pour 100 dans TNAE.

11 Au cours des négociations qui ont abouti à la convention, chaque partie a consulté ses propres avocats. Le 6 mars 2000, les Dragosits ont signé, relativement aux facilités de crédit proposées, une lettre d’engagement prévoyant les paiements suivants :

a) des intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance;

b) des frais de surveillance de 750 $ par mois;

c) un droit d’usage de 1 pour 100;

d) des redevances de 160 000 $ payables en huit versements trimestriels;

e) le paiement des honoraires d’avocat et d’autres frais;

f) une commission d’engagement de 5 000 $.

Le juge Cullity et le juge Rosenberg ont estimé que, à l’exception du droit d’usage, tous ces paiements constituaient des « intérêts » au sens du par. 347(2) du Code. La raison pour laquelle le droit d’usage n’a pas été pris en compte dans le calcul du taux d’intérêt effectif est vraisemblablement le fait qu’aucun paiement n’a été fait à ce titre parce que la somme de 500 000 $ a été empruntée d’un seul coup.

12 Au 30 mars 2000, les parties avaient signé, en plus de la lettre d’engagement, une convention d’affacturage, un billet et une convention de garantie générale. Chacun des époux Dragosits a également accordé, à l’égard de la dette, des garanties personnelles jusqu’à concurrence de 500 000 $, assorties d’un taux d’intérêt de 30 pour 100 par année. Dès le départ, les parties ont convenu de déroger aux modalités de la convention d’affacturage. Le 28 mars 2000, l’avocat de New Solutions a confirmé par écrit à celui de TNAE et des Dragosits que, le 27 mars, les parties avaient convenu qu’elles n’observeraient pas strictement les modalités de la convention d’affacturage, à moins que New Solutions ne choisisse d’exercer les droits que lui conférait cette convention. En effet, les parties ont plutôt décidé que TNAE emprunterait à New Solutions la somme de 500 000 $ en entier et lui paierait les intérêts, commissions, droits, frais, honoraires et redevances prévus par la lettre d’engagement. Selon le juge Cullity, [traduction] « l’idée d’affacturage a été écartée et remplacée par une facilité de crédit renouvelable » (par. 5).

13 New Solutions a avancé le capital de 500 000 $. Au début, TNAE a payé les intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à échéance, ainsi que les droits, honoraires et autres frais, le tout d’une manière généralement conforme aux modalités de la lettre d’engagement.

14 Ces divers paiements sont finalement devenus trop lourds et TNAE a consulté un avocat au sujet du remboursement des fonds empruntés. TNAE a ensuite demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario un jugement déclaratoire portant que les modalités relatives à l’intérêt de la convention contrevenaient à l’art. 347 du Code. Elle a également sollicité une ordonnance intimant la remise des intérêts déjà payés.

15 Se fondant sur la preuve actuarielle fournie, le juge Cullity a conclu que le taux d’intérêt effectif du prêt — en supposant que celui-ci soit remboursé entièrement dans un délai de deux ans — s’élevait à 90,9 pour 100 par année. À elle seule, la promesse de payer des intérêts de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance, équivalait à un taux d’intérêt annuel effectif de 60,1 pour 100. Les autres paiements correspondaient à un taux d’intérêt annuel effectif de 30,8 pour 100.

16 New Solutions a d’abord nié que la convention contrevenait au Code, mais elle a demandé que le tribunal applique la divisibilité et la rectification s’il y avait effectivement contravention. Le juge Cullity a conclu que la convention contrevenait à l’al. 347(1)a) et il a appliqué la « divisibilité fictive » afin de réduire le taux d’intérêt annuel effectif à 60 pour 100, de façon que la convention respecte l’art. 347. La Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté par TNAE; elle a biffé la clause prévoyant les intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance, mais elle n’a pas touché aux autres paiements, qui, suivant le par. 347(2), constituaient des intérêts et correspondaient à un taux annuel effectif de 30,8 pour 100. New Solutions demande le rétablissement de la décision du juge de première instance.

III. Les dispositions législatives pertinentes

17 Voici les passages pertinents de la disposition applicable du Code criminel :

347. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale, quiconque, selon le cas :

a) conclut une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel;

b) perçoit, même partiellement, des intérêts à un taux criminel,

est coupable :

c) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

d) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’une amende maximale de vingt-cinq mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines.

(2) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« capital prêté » L’ensemble des sommes d’argent et de la valeur pécuniaire globale de tous biens, services ou prestations effectivement prêtés ou qui doivent l’être dans le cadre d’une convention ou d’une entente, déduction faite, le cas échéant, du dépôt de garantie et des honoraires, agios, commissions, pénalités, indemnités et autres frais similaires résultant directement ou indirectement de la convention initiale ou de toute convention annexe.

. . .

« intérêt » L’ensemble des frais de tous genres, y compris les agios, commissions, pénalités et indemnités, qui sont payés ou payables à qui que ce soit par l’emprunteur ou pour son compte, en contrepartie du capital prêté ou à prêter. La présente définition exclut un remboursement de capital prêté, les frais d’assurance, les taxes officielles, les frais pour découvert de compte, le dépôt de garantie et, dans le cas d’un prêt hypothécaire, les sommes destinées à l’acquittement de l’impôt foncier.

« taux criminel » Tout taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises, qui dépasse soixante pour cent.

. . .

(3) Quiconque reçoit paiement, total ou partiel, d’intérêts à un taux criminel est présumé connaître, jusqu’à preuve du contraire, l’objet du paiement et le caractère criminel de celui-ci.

. . .

(7) Il ne peut être engagé de poursuites pour une infraction prévue au présent article sans le consentement du procureur général.

IV. Question en litige

18 Au Canada, le droit permet-il aux juges d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de réparation et de donner partiellement effet à un contrat contraire à l’art. 347 du Code en réduisant le taux d’intérêt prévu par les clauses relatives au taux d’intérêt pour éliminer l’illégalité dont serait autrement entaché le contrat?

V. Analyse

A. L’illégalité du contrat

19 Le terme « intérêt » est défini largement au par. 347(2) : voir Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112, au par. 28. Les divers paiements effectués par TNAE, à l’exception de toute somme appliquée au remboursement du capital, correspondent à la définition d’« intérêt » au par. 347(2). Sont également visés les [traduction] « redevances » prévues par le contrat. Je souscris à la conclusion des juridictions inférieures selon laquelle l’ensemble des paiements faits par TNAE à New Solutions donne un taux d’intérêt supérieur à celui autorisé par le Code.

B. La doctrine de l’illégalité

20 L’arrêt de la Cour d’appel fédérale Still c. M.R.N., [1998] 1 C.F. 549, comporte un résumé utile de l’historique de la doctrine de l’illégalité, qui décrit notamment l’élaboration et l’évolution des deux volets de cette doctrine, à savoir les illégalités découlant de la common law et les illégalités du fait de la loi. Examinant l’état actuel de la doctrine de l’illégalité, le juge Robertson a fait les remarques suivantes au par. 12 :

Les organismes de réforme du droit ont été prompts à conclure que les règles de droit en matière d’illégalité laissent à désirer [. . .] Il existe une foule de décisions contradictoires sur les principes qui devraient guider les tribunaux, et l’incertitude est grande dans ce domaine. On peut soutenir que les exceptions qui se sont greffées à la règle de common law voulant qu’un contrat illégal soit nul ab initio sont si nombreuses que la validité de la règle elle-même est mise en question.

Vu cet excellent exposé du juge Robertson dans l’arrêt Still c. M.R.N., il ne serait guère utile en l’espèce de refaire entièrement l’historique de la doctrine de l’illégalité. Au contraire, comme il s’agit d’un domaine du droit qui est en constante évolution, un très bref survol de la jurisprudence sur l’application de cette doctrine établira le contexte nécessaire pour étayer la conclusion que la divisibilité fictive est une réparation discrétionnaire applicable dans les affaires portant sur la violation de l’art. 347.

21 L’analyse historique suivie en common law en matière d’illégalité contractuelle est décrite dans l’extrait suivant des motifs exposés par le baron Parke dans l’affaire Cope c. Rowlands (1836), 2 M. & W. 149, 150 E.R. 707 (Ex. Ct.), p. 710 :

[traduction] [S]i le contrat exprès ou tacite dont le demandeur sollicite l’exécution est explicitement ou implicitement interdit par la common law ou un texte de loi, aucun tribunal n’accordera son aide pour lui donner effet. De plus, il est clair qu’un contrat est nul s’il est interdit par une loi, même si celle-ci n’inflige qu’une sanction pécuniaire, parce que pareille sanction implique une interdiction.

Dans l’affaire Cope c. Rowlands, il s’agissait de décider si le demandeur, un courtier non agréé, pouvait obtenir, par voie judiciaire, le paiement du travail qu’il avait accompli pour le défendeur. Le tribunal a conclu que l’obligation faite par la loi aux courtiers (sous peine de sanction) d’être agréés par la ville de Londres signifiait qu’il était interdit aux personnes non agréées d’exercer les activités de courtier. Par conséquent, le tribunal a jugé que le contrat était nul ab initio et que le courtier non agréé ne pouvait demander aux tribunaux d’obliger le défendeur au paiement du travail fourni par le courtier. Dans une affaire similaire, la Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’indemniser un électricien qui demandait le paiement de travaux qu’il avait exécutés sans posséder le permis approprié : voir Kocotis c. D’Angelo (1957), 13 D.L.R. (2d) 69.

22 La règle de longue date de la common law selon laquelle sont nuls ab initio les contrats illégaux du fait de la loi a été appliquée par notre Cour : voir, par exemple, l’arrêt Bank of Toronto c. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603, et, plus récemment, l’arrêt Neider c. Carda de Rivière-la-Paix Ltée, [1972] R.C.S. 678. Toutefois, il y a un certain nombre d’années, les tribunaux canadiens ont commencé à appliquer une solution plus souple en matière d’illégalité contractuelle du fait de la loi, bien souvent en retranchant les clauses illégales et en ordonnant l’exécution du reste du contrat. Par exemple, dans l’une des premières décisions portant sur l’application de l’art. 347 du Code, Mira Design Co. c. Seascape Holdings Ltd., [1982] 4 W.W.R. 97 (C.S.C.‑B.), la juge locale Huddart a conclu que, en dépit du fait que les clauses d’un prêt hypothécaire relatives aux intérêts étaient invalides parce que ceux-ci dépassaient le taux effectif maximal permis par l’art. 305.1 du Code (maintenant l’art. 347), il n’y avait pas lieu de prononcer la nullité ab initio de l’ensemble du contrat. Selon le raisonnement exposé par la juge à la p. 104, bien que la disposition précisât que commet une infraction quiconque perçoit des intérêts à un taux illégal, cette disposition n’entendait pas rendre nulles ab initio les arrangements connexes (par exemple le transfert du bien immobilier ou le paiement du capital dû sur l’emprunt hypothécaire) :

[traduction] La plupart des Canadiens conviendraient que l’objet du Code criminel est de protéger le public en punissant les comportements que le législateur juge contraires à l’intérêt public. L’article 305.1 [maintenant l’art. 347] a pour objet de punir toute personne qui conclut une convention ou une entente en vue de percevoir des intérêts à un taux criminel. La disposition n’interdit pas expressément ce comportement et ne déclare pas non plus qu’une telle convention ou entente est frappée de nullité. La peine prévue est sévère et vise à décourager la conclusion de telles conventions. La disposition remplace la Loi sur les petits prêts, laquelle interdisait de telles conventions et donnait au tribunal le pouvoir de les reformuler. Elle tend à protéger les emprunteurs. Elle n’impose aucune sanction aux personnes qui paient des intérêts à un taux criminel, ou s’engagent à le faire. Elle ne vise pas à empêcher les gens de conclure des conventions de prêt en soi.

23 La Cour d’appel de l’Ontario a adopté la même analyse dans l’arrêt William E. Thomson Associates Inc. c. Carpenter (1989), 61 D.L.R. (4th) 1. Dans cette affaire, après avoir examiné l’art. 347 du Code, la cour a conclu que, lorsque le taux d’intérêt prévu par une convention dépasse le taux maximal de 60 pour 100 autorisé par la loi, le tribunal peut retrancher la clause relative à l’intérêt sans prononcer la nullité de l’ensemble du contrat.

24 Dans l’arrêt Thomson, p. 8, le juge Blair a tenu compte des quatre facteurs suivants pour décider s’il devait déclarer le contrat nul ab initio ou ordonner son exécution partielle : (i) la question de savoir si l’application de la divisibilité compromettait l’objectif ou la politique générale visé par l’art. 347; (ii) la question de savoir si les parties ont conclu la convention dans un but illégal ou dans une intention malveillante; (iii) le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations; (iv) la question de savoir si le débiteur tirerait un profit injustifié de la solution choisie. Le juge Blair n’a toutefois pas écarté la possibilité d’examiner d’autres considérations dans d’autres affaires, soulignant (à la p. 12) que la réponse à la question de savoir si [traduction] « un contrat entaché d’illégalité est entièrement inexécutoire dépend de l’ensemble des circonstances du contrat et de la mise en balance des facteurs énoncés précédemment ainsi que, dans certains cas, d’autres considérations ».

25 Dans l’affaire Trillium Computer Resources Inc. c. Taiwan Connection Inc. (1993), 11 B.L.R. (2d) 1 (C. Ont. (Div. gén.)), conf. par (1994), 11 B.L.R. (2d) 1 (C. div. Ont.), le juge Conant a rendu un jugement sommaire en faveur de la demanderesse, qui avait payé 8 000 $ en intérêts en contrepartie du crédit que lui avait consenti la défenderesse pendant une période de huit jours. Dans un bref jugement ne faisant état d’aucune jurisprudence sur ce point, le juge Conant a affirmé, à la p. 2 :

[traduction] Je suis convaincu qu’un taux d’intérêt annuel supérieur à 3000%, que ce soit en contrepartie du crédit consenti et/ou à titre d’indemnisation pour les dommages et autres inconvénients subis par la défenderesse, constitue une violation flagrante de l’art. 347 du Code criminel du Canada. À mon avis, un tel taux est illégal et l’intérêt versé doit être remboursé à la demanderesse, déduction faite de la somme correspondant au taux annuel maximum de 60% autorisé par le Code. [Je souligne.]

Cette démarche est similaire à celle qui, en l’espèce, a été appliquée par le juge Cullity en première instance et que le juge Sharpe (dissident) a suivie en appel.

26 Dans l’arrêt Milani c. Banks (1997), 145 D.L.R. (4th) 55, la Cour d’appel de l’Ontario a appliqué l’analyse contextuelle adoptée par le juge Blair, de la même cour, dans l’affaire Thomson, précitée. L’arrêt Milani concernait un prêt de 32 000 $ consenti pour une durée de 30 jours. Aux termes du contrat, le créancier retenait 3 000 $ de la somme prêtée pour les frais reliés au prêt, en plus d’avoir droit à des intérêts, payables sur le total du capital au taux annualisé de 18 pour 100. La juge McKinlay a conclu ainsi, au nom de la cour, aux p. 59‑60 :

[traduction] En l’espèce, l’appelante prétend que le seul élément répréhensible du prêt était la somme de 3 000 $ exigée au titre des « frais », et que si la convention était laissée intacte, sauf pour cette clause, le résultat serait juste dans les circonstances. Je suis encline à partager ce point de vue . . .

. . .

Je considère que nous sommes en présence d’une affaire où les circonstances militent fortement en faveur de l’adoption de la thèse de l’appelante. Celle-ci n’a manifestement pas droit aux frais de 3 000 $, mais je ne retrancherais que cette clause et je laisserais le reste du contrat intact, en l’occurrence un prêt de 32 000 $, consenti pour une période de 30 jours et portant intérêt au taux annuel de 18 pour 100.

L’approche retenue par la juge McKinlay de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Milani se reflète dans le raisonnement suivi par le juge Rosenberg dans l’arrêt de la même cour en l’espèce. La juge McKinlay avait retranché du contrat de prêt l’une des conditions relatives à l’« intérêt » (de fait, une condition touchant les « frais ») pour que le taux d’intérêt respecte la loi, de la même manière que le juge Rosenberg a retranché, en l’espèce, l’engagement de payer des intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance, laissant ainsi intacts les autres frais, qui constituaient cumulativement l’équivalent d’un taux d’intérêt autorisé par l’art. 347.

C. La nature problématique du test du trait de crayon bleu

27 La méthode du trait de crayon bleu est considérée à la fois comme un test permettant de déterminer s’il y a ouverture à la divisibilité pour remédier à un contrat illégal, et comme une technique d’application de la divisibilité. Lorsque la méthode du trait de crayon bleu est utilisée comme test pour décider de l’opportunité d’appliquer la divisibilité, le tribunal doit se demander si le contrat illégal peut être validé en retranchant (c’est-à-dire en rayant d’un trait) les engagements illégaux y figurant. L’ensemble de conditions légales résultant de ce retranchement doit préserver l’essence du contrat. Suivant ce test, si la nature ou l’essence du contrat est modifiée, la clause illégale du contrat ne se prête alors pas à l’application de la divisibilité et le contrat tout entier est nul. En tant que technique d’application de la divisibilité, la méthode du trait de crayon bleu consiste à amputer concrètement les clauses à l’origine de l’illégalité, tout en maintenant les engagements non viciés par l’illégalité pour qu’ils soient exécutés.

28 L’emploi de la technique du trait de crayon bleu pour retrancher une ou plusieurs clauses d’un contrat modifie les conditions de la convention conclue par les parties. La seule convention qui, peut-on affirmer avec certitude, est intervenue entre les parties est celle qu’elles ont conclue dans les faits. L’importance que la jurisprudence accorde au fait que le test du trait de crayon bleu tire sa validité du refus de changer ou d’ajouter des mots ou des clauses au contrat n’est pas convaincante. Par exemple, il est permis de douter que, dans des affaires tels les arrêts Thomson, précité, ou Mira Design, précité, les prêteurs auraient conclu les conventions litigieuses s’ils avaient su, avant le fait, qu’ils n’auraient droit qu’à la remise du capital prêté. Le changement apporté au moyen de la technique du trait de crayon bleu modifie souvent de manière fondamentale la contrepartie en cause dans le marché et il fait violence à l’intention des parties. En effet, dans de nombreux cas l’application de la technique du trait de crayon bleu donne lieu à un prêt sans intérêts, alors même que les parties avaient manifesté dans leur convention l’intention évidente de percevoir et de payer, selon le cas, des intérêts considérables.

29 Le test du trait de crayon bleu a été élaboré à l’occasion de décisions dans lesquelles les tribunaux examinaient des actes scellés, où le respect de la forme prescrite était le facteur déterminant et où l’intention des parties n’était pas pertinente. Il était donc important que tout ce qui n’avait pas été retranché demeure un acte valide :

[traduction] Seule la forme de l’acte comptait; l’intention réelle des parties était sans importance. Il était donc naturel que, dans l’examen de la possibilité de retrancher certains engagements de l’acte, le tribunal s’assure que ce qui allait rester demeure un acte valide; il était hors de question de supposer qu’un engagement produirait ses effets si une partie du marché conclu initialement était illégale. Voilà les origines historiques de ce qui a plus tard été appelé le « test du trait de crayon bleu ».

(N. S. Marsh, « The Severance of Illegality in Contract » (1948), 64 L.Q.R. 230 et 347, p. 351‑352)

Autrefois, les tribunaux ne se souciaient pas de l’intention des parties. L’artificialité du test du trait de crayon bleu découle des contraintes que la common law imposait aux tribunaux, lesquels ne pouvaient faire appel aux principes d’equity.

30 Les tribunaux établissent immanquablement un nouveau marché entre les parties lorsqu’ils appliquent la technique du trait de crayon bleu. Comme l’a fait remarquer le juge Cullity, aux par. 35‑36 :

[traduction] À mon avis, le test du trait de crayon bleu constitue un vestige d’une époque révolue où les tribunaux de common law — qui jugeaient sans l’aide des principes d’equity — avaient à l’égard de l’interprétation et de l’exécution des contrats une attitude plus rigide que ce n’est le cas aujourd’hui. Au début de l’élaboration du droit relatif aux engagements illégaux, on considérait que seul le test du trait de crayon bleu permettait de justifier le recours à la divisibilité. Comme le démontre le raisonnement exposé dans les arrêts Milani et William E. Thomson, nous avons progressé bien au-delà de cette démarche mécanique. Appliquant le genre de pouvoir discrétionnaire dont j’ai parlé, le tribunal peut refuser d’ordonner l’exécution du contrat, et ce même dans un cas où la divisibité est possible au moyen de la technique du trait de crayon bleu.

Malgré les affirmations répétées, dans la jurisprudence, que les tribunaux n’établissent pas de nouvelles conventions entre les parties, c’est bien sûr exactement ce qu’ils font à chaque fois que la divisibilité est autorisée dans des affaires tels les arrêts William E. Thomson et Milani. [Je souligne.]

Je souscris sans réserve à la conclusion selon laquelle le tribunal qui emploie le test du trait de crayon bleu se trouve à établir une nouvelle convention entre les parties. De fait, toutes les techniques d’application de la divisibilité modifient les conditions de la convention originale.

31 Je partage également l’opinion exprimée en l’espèce par le juge Rosenberg de la Cour d’appel de l’Ontario, au par. 33, à savoir que la divisibilité s’inscrit le long du spectre des réparations à la disposition des tribunaux. Selon les circonstances, le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire soit pour déclarer l’ensemble de la convention inexécutoire soit pour retrancher uniquement la ou les clauses ayant pour effet de hausser le taux d’intérêt effectif à plus de 60 pour 100 :

[traduction] [L]es juges disposent du pouvoir discrétionnaire nécessaire pour appliquer la doctrine de la divisibilité à une convention qui contrevient aux dispositions du Code relatives au taux d’intérêt criminel. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire donne naissance à un spectre de réparations à la disposition des tribunaux. Lorsque le prêt ressemble à un arrangement classique de prêt usuraire, le tribunal peut refuser d’appliquer la doctrine de la divisibilité et déclarer l’ensemble de la convention de prêt inexécutoire, y compris l’obligation de rembourser le capital. Bien que cette réparation procure un profit inattendu à l’emprunteur, une telle solution peut parfois être justifiée par la nécessité de dénoncer de telles pratiques usuraires. Voir C.A.P.S. International Inc. c. Kotello, [2002] M.J. no 205 [(QL)] (B.R.). À l’autre extrémité du spectre, dans le cas d’une opération commerciale conclue de bonne foi, où les principes d’equity favorisent le prêteur et où la divisibilité ne compromet pas l’objectif de politique générale visé par la loi, le tribunal a la faculté de retrancher uniquement les clauses de la convention de prêt qui haussent le taux d’intérêt effectif à plus de 60 pour 100, sans toucher à l’obligation de l’emprunteur de rembourser le capital et de payer une certaine somme au titre des intérêts. Voir, par exemple, l’arrêt Milani, précité. Plus près du centre du spectre, on trouve une affaire comme Terracan [Capital Corp. c. Pine Projects Ltd. (1993), 100 D.L.R. (4th) 431 (C.A.C.‑B.)], où le tribunal a retranché toutes les clauses relatives à l’intérêt mais a confirmé l’obligation du débiteur de rembourser le capital. [Je souligne.]

Cette description du pouvoir discrétionnaire du juge d’accorder réparation dans les affaires de contravention à l’art. 347 du Code tient compte de la gravité de l’illégalité en cause, de l’identité et de la nature des parties ainsi que du contexte général du contrat.

32 S’il s’agit d’une affaire où le tribunal est justifié de retrancher uniquement les clauses de la convention de prêt qui haussent le taux d’intérêt effectif à plus de 60 pour 100, et s’il est admis, comme cela se doit, qu’une telle reformulation modifie la convention des parties, il ne reste qu’à choisir la technique appropriée d’application de la divisibilité. La technique à privilégier est celle qui, compte tenu du contexte particulier du contrat, remédie le mieux à l’illégalité tout en respectant, autant que faire se peut, l’intention exprimée par les parties dans la convention. La technique du trait de crayon bleu ne permet pas nécessairement d’obtenir ce résultat.

33 La technique du trait de crayon bleu est imparfaite en ce qu’elle consiste à retrancher mécaniquement les clauses illégales du contrat, solution dont les effets risquent d’être quelque peu arbitraires. Les conséquences peuvent être arbitraires en ce sens qu’elles dépendent des hasards de la rédaction et de la forme d’expression employée dans la convention, plutôt que de la substance du marché ou de la contrepartie en cause. Par exemple, si le taux d’intérêt effectif de l’ensemble de l’obligation relative à l’intérêt (au sens du par. 347(2)) prévue par la convention conclue par New Solutions et TNAE était inférieur de 0,1 pour 100 seulement, alors l’excision des clauses relatives aux droits, frais, honoraires et redevances au moyen de la technique du trait de crayon bleu aurait produit une convention légalement valide fixant un taux d’intérêt annuel effectif de 60 pour 100. Bien que les résultats obtenus grâce à cette technique soient dans bien des cas logiques et puissent souvent être souhaitables, l’application de cette réparation est parfois inappropriée en raison de son artificialité.

34 L’application de l’art. 347 du Code ouvre la porte à des difficultés dues à l’arbitraire parce qu’il fixe une ligne de démarcation nette — 60 pour 100 — entre l’intérêt légal et l’intérêt illégal. Cette démarcation prescrite par la loi distingue les affaires fondées sur l’art. 347 de celles concernant les clauses — restreignant la liberté de commerce par exemple — à l’égard desquelles il n’existe pas de telle ligne de démarcation nette. L’interaction du test du trait de crayon bleu et de la ligne de démarcation nette séparant l’intérêt légal et l’intérêt illégal produit des résultats erratiques. Prenons les trois contrats suivants, tous essentiellement équivalents. Pour chacun de ceux-ci, supposons que les deux parties possèdent une grande expérience des affaires et un pouvoir de négociation équivalent et que chacune a consulté ses propres avocats. Imaginons également qu’aucune des parties ne savait que le taux d’intérêt payable était prohibé par le Code. L’application du test du trait de crayon bleu à ces trois contrats donne des résultats très différents.

35 Premièrement, examinons le résultat obtenu en utilisant la méthode du trait de crayon bleu en l’espèce. La preuve actuarielle admise a démontré que le contrat conclu par TNAE et New Solutions, lequel prévoyait des intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance, représentait un taux d’intérêt effectif annuel de 60,1 pour 100; les droits, honoraires et autres frais prévus se traduisaient par un intérêt annuel supplémentaire de 30,8 pour 100 qui, ajouté au taux susmentionné, donnait un taux d’intérêt global de 90,9 pour 100. L’application du test du trait de crayon bleu exigeait à tout le moins que la clause prévoyant un taux d’intérêt de 60,1 pour 100 soit retranchée du contrat, puisque sa seule présence contrevenait à l’art. 347. Après avoir examiné le contexte du contrat au regard des principes d’equity, le juge Rosenberg a conclu que TNAE devrait être contrainte de rembourser le capital et de payer au moins une certaine somme au titre des intérêts. Par conséquent, la clause fixant un taux d’intérêt annuel effectif de 60,1 pour 100 a été retranchée du contrat et TNAE a été tenue au paiement du capital ainsi que des droits, honoraires et autres frais, qui correspondaient à un taux d’intérêt annuel effectif de 30,8 pour 100.

36 Deuxièmement, examinons un contrat qui comporte une clause fixant un taux d’intérêt de 60 pour 100 et d’autres clauses prévoyant des frais correspondant à un taux d’intérêt global de 30,9 pour 100. Ce contrat imposerait lui aussi un taux d’intérêt annuel global de 90,9 pour 100. Compte tenu des conclusions des juridictions inférieures sur le contexte du contrat au regard des principes d’equity, l’application du test du trait de crayon bleu entraînerait le retranchement des droits, honoraires et autres frais prévus par le contrat et le maintien de l’obligation de payer un intérêt de 60 pour 100.

37 Enfin, voyons quel résultat donnerait l’application de la technique du trait de crayon bleu si le contrat ne comportait qu’une seule clause relativement à l’intérêt, que cette clause fixait un taux d’intérêt annuel effectif de 90,9 pour 100 et que la contrepartie totale que devrait verser l’emprunteur au prêteur était exactement la même que dans les deux contrats précédents. Suivant le test du trait de crayon bleu, l’obligation relative à l’intérêt devrait être retranchée entièrement, puisque sa seule présence contreviendrait à l’art. 347. Cette situation ferait en sorte qu’aucun intérêt ne serait payable en vertu du contrat. Dans ce dernier exemple, il est possible que l’illégalité du taux soit à ce point flagrante que les tribunaux seraient justifiés de réduire à zéro un taux d’intérêt aussi manifestement illégal. Par contre, si le taux criminel a été fixé par inadvertance — ou par suite d’une mauvaise compréhension de la loi — , comme nous l’avons supposé aux fins de comparaison des trois exemples de contrats, l’obligation de payer au moins une certaine somme au titre des intérêts devrait être maintenue. Dans un tel cas, le taux maximal permis par la loi est celui qui reflète le mieux l’intention des parties, en plus de remédier à l’illégalité.

38 Cet exercice démontre que, à tout le moins dans le cas des contrats contrevenant à l’art. 347 du Code, le résultat de l’application de la technique du trait de crayon bleu dépend davantage de la forme du contrat que de sa substance. Dans ces trois contrats similaires, les emprunteurs doivent, en raison de différences de rédaction par ailleurs négligeables, payer respectivement 30,8 pour 100, 60 pour 100 et 0 pour 100 d’intérêt. Des résultats aussi erratiques et tributaires de la formulation du contrat ne sont pas souhaitables et peuvent être évités par l’application de la divisibilité fictive dans les cas où certaines considérations tenant au contexte général du contrat plaident en faveur du prêteur.

39 Il y a peu de risques que cette souplesse en matière de réparation donne lieu à des abus susceptibles d’échapper à la vigilance des juges. Au contraire, les juges savent très bien se méfier, à juste titre d’ailleurs, des arrangements de crédit prévoyant un taux d’intérêt annuel effectif supérieur à 60 pour 100. Le recours à la divisibilité fictive pour réduire au taux maximum permis par la loi le taux prévu par les clauses relatives à l’intérêt ne serait pas ouvert à l’égard des opérations classiques de prêt usuraire. Cette réparation pourrait être accordée dans les cas où le tribunal constate que les parties ont l’expérience des affaires et ont été conseillées par des professionnels, conclut que les parties n’ont pas enfreint intentionnellement l’art. 347 et estime qu’il est équitable de donner effet à l’obligation la plus lourde que permet la loi au titre de l’intérêt. Dans de tels cas, il n’existe à mon avis aucune raison de privilégier la technique du trait de crayon bleu du fait qu’elle serait plus susceptible de décourager la perception de taux d’intérêt criminels. Je vais revenir sur ce point un peu plus loin.

40 En conséquence, la solution appropriée consiste à reconnaître aux juges de première instance un pouvoir discrétionnaire aussi large que possible en matière de réparations. Le spectre des réparations à la disposition des tribunaux va de l’annulation ab initio des contrats contrevenant à l’art. 347 dans les cas les plus inacceptables et les plus abusifs, au regard des critères énoncés dans l’arrêt Thomson, précité, jusqu’à l’application de la divisibilité fictive. Pour situer un contrat donné sur ce spectre, il faut se reporter aux facteurs dégagés par le juge Blair dans l’arrêt Thomson et les analyser soigneusement. Même si, dans cette affaire, le juge Blair s’interrogeait sur l’opportunité de retrancher l’obligation de payer l’intérêt illégal sans supprimer celle de rembourser le capital, les mêmes facteurs sont néanmoins utiles pour décider si le taux d’intérêt illégal doit être réduit à un taux permis par la loi.

D. L’application de la démarche révisée

41 Comme j’arrive à la conclusion que les juges doivent disposer de la plus grande souplesse possible en matière de réparations et pouvoir l’appliquer, pourvu toutefois qu’ils analysent soigneusement les facteurs dégagés dans l’arrêt Thomson, je vais appliquer cette analyse aux faits de l’espèce.

42 Comme je l’ai expliqué précédemment, le juge Blair a énuméré, dans l’arrêt Thomson, quatre facteurs pertinents pour décider si aucune considération d’ordre public n’empêche le tribunal d’ordonner l’exécution partielle d’une convention par ailleurs illégale, au lieu de déclarer celle-ci nulle ab initio en raison de l’illégalité du contrat :

1. la question de savoir si l’application de la divisibilité compromettrait l’objectif ou la politique générale visé par l’art. 347;

2. la question de savoir si les parties ont conclu la convention dans un but illégal ou dans une intention malveillante;

3. le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations;

4. la possibilité que le débiteur tire un profit injustifié de la solution choisie.

43 Le premier facteur — la question de savoir si la réalisation de la politique générale à la base de l’art. 347 serait compromise en l’espèce par l’exécution partielle de la convention — rejoint la crainte exprimée dans la présente affaire par le juge Rosenberg, à savoir que les réparations accordées en matière civile ne devraient pas nuire à l’objectif de dissuasion visé par l’interdiction criminelle. À cet égard, il est important de discerner la politique générale à la base de l’art. 347. À première vue, cette disposition a pour objet de mettre un frein aux activités de prêt usuraire. Il est toutefois difficile de déterminer la raison d’être précise de la disposition, étant donné que l’historique législatif renferme peu d’indices. Selon le professeur Ziegel :

[traduction] Le 22 juillet 1980, un jour seulement après la première lecture, la Chambre des Communes a procédé aux deuxième et troisième lectures du projet de loi C‑44, intitulé « Loi portant modification et abrogation de la Loi sur les petits prêts et modifiant le Code criminel ». Le projet de loi n’a pas été débattu et les trois partis politiques ont appuyé unanimement son adoption. L’adoption hâtive du projet de loi par la Chambre a pour ainsi dire empêché tout débat public sur le bien-fondé de celui-ci. Le fait de ne pas avoir donné aux intéressés l’occasion d’étudier le projet de loi et de le commenter serait en soi suffisamment grave si ce projet de loi ne portait que sur des détails techniques. Mais ce n’est pas le cas. Le projet de loi traite de questions d’importance considérable sur les plans social, économique et juridique, qui méritaient un examen attentif. Même si l’on admet le bien-fondé des objectifs du projet de loi, il ne s’ensuit pas que sa mise en œuvre sur le plan technique est elle aussi à l’abri de toute critique ou qu’il n’aurait pas été possible d’atteindre les mêmes buts d’une manière moins controversée. L’auteur est d’avis que le projet de loi prête le flanc à la critique à ces deux égards et pourrait créer autant de problèmes qu’il était censé en résoudre.

(J. S. Ziegel, « Bill C‑44 : Repeal of the Small Loans Act and Enactment of a New Usury Law » (1981), 59 R. du B. can. 188, p. 188)

Comme l’a précisé la Cour dans l’arrêt Garland, précité, par. 25 :

Le but apparent de l’art. 347 était d’aider à poursuivre les usuriers. Voir Débats de la Chambre des communes, 1re sess., 32e législ., vol. III, 21 juillet 1980, à la p. 3146; Thomson, précité, à la p. 549. Toutefois, il ressort clairement de cette disposition — notamment de la mention qu’elle fait des frais d’assurance, des frais pour découvert de compte, des taxes officielles et des taxes foncières dans le cas de prêts hypothécaires — qu’elle était destinée à avoir une portée beaucoup plus large, et en fait, elle a très souvent été appliquée à des opérations commerciales qui n’ont rien à voir avec les prêts usuraires classiques. Bien que l’art. 347 soit une disposition en matière criminelle, la plupart du temps il n’est pas invoqué dans le cadre de poursuites criminelles. Il s’agit plutôt, comme en l’espèce, de poursuites civiles dans lesquelles un emprunteur invoque la théorie de l’illégalité en common law dans le but d’éviter ou d’obtenir un paiement d’intérêt, ou dans le but de rendre une entente non exécutoire. Pour cette raison, la disposition a été critiquée par certains avocats et auteurs de doctrine spécialisés en droit commercial, et sa modification ou son abrogation a été réclamée à maintes reprises. [. . .] Cependant, il est maintenant bien établi que l’art. 347 s’applique à une très large gamme d’opérations en matière de commerce et de consommation qui comportent un prêt de capital, notamment les prêts garantis et non garantis, les prêts hypothécaires et les contrats de financement commercial.

Puisqu’il est très difficile de dégager la politique générale à la base de l’art. 347 du Code, outre la prévention des prêts usuraires, les contraventions à cet article qui ne comportent de toute évidence pas de telles activités devraient être analysées avec prudence, en gardant à l’esprit qu’il n’est pas nécessaire de décourager, au moyen du droit criminel, la perception de taux d’intérêt annuels effectifs pouvant atteindre 60 pour 100. Comme il s’agissait en l’espèce d’une opération commerciale conclue par des parties possédant l’expérience des affaires et ayant chacune consulté ses propres conseillers, il est difficile de voir en quoi le fait de choisir le taux de 30,8 pour 100 plutôt que celui de 60 pour 100 favorise davantage le respect de l’al. 347(1)a) du Code.

44 Le deuxième facteur est la question de savoir si la convention a été conclue dans un but illégal ou dans une intention malveillante. Rien au dossier n’indique que New Solutions a été accusée d’avoir enfreint l’al. 347(1)a). En l’absence de déclaration de culpabilité criminelle, New Solutions bénéficie de la présomption d’innocence. Il est préférable de recourir au droit criminel pour faire face aux problèmes de dissuasion spécifique et générale. Aucune poursuite fondée sur l’art. 347 du Code ne peut être intentée sans l’autorisation du procureur général. Cela tend à indiquer que même une sanction criminelle n’est pas toujours la réparation appropriée en cas de violation de l’art. 347, à plus forte raison une réparation civile visant à réaliser l’objectif de dissuasion du droit criminel. Le juge Cullity a conclu que les parties ignoraient que la convention contrevenait à l’art. 347 et qu’elles avaient uniquement voulu doter TNAE des moyens de racheter la participation des autres actionnaires et du fonds de roulement nécessaire à l’exercice de ses activités. Il s’agissait d’un contrat conclu à des fins commerciales ordinaires. Cette intention n’avait fondamentalement rien d’illégal ou de malveillant. Le pire qu’on puisse dire est que TNAE était un emprunteur présentant un risque élevé pour le prêteur, New Solutions (et ce malgré les garanties personnelles consenties par les Dragosits), que les besoins de crédit de l’entreprise étaient grands comparativement à sa valeur et que celle-ci avait besoin des fonds à assez brève échéance. Ce deuxième facteur milite en faveur de l’application d’une réparation souple.

45 Le troisième facteur est le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations. Chaque partie a consulté ses propres avocats. Chaque partie avait l’expérience des affaires. Tout comme New Solutions, les Dragosits et TNAE savaient dans quoi ils s’engageaient. Le seul problème semble être le fait que ni l’une ni l’autre des parties n’a constaté que la convention contrevenait à l’art. 347 du Code. Ce troisième facteur milite lui aussi en faveur de l’application d’une réparation souple.

46 Enfin, seule TNAE pourrait en l’espèce être la bénéficiaire d’un profit injustifié, du fait qu’elle pourrait ne pas être obligée de rembourser le capital et de payer les intérêts ou qu’elle pourrait être dispensée de payer, à l’égard du prêt, un taux d’intérêt approprié d’un point de vue commercial. Étant donné que chaque partie a consulté ses propres conseillers juridiques et connaissait exactement les obligations qu’elle contractait, j’estime que, du point de vue de l’equity, la situation est favorable à New Solutions. Cette conclusion est conforme aux constatations des juridictions inférieures en l’espèce.

47 New Solutions a droit au remboursement du capital du prêt, ainsi qu’au taux d’intérêt le plus élevé que la loi autorise, à savoir 60 pour 100. Ce taux est inférieur au taux de 90,9 pour 100 prévu par le contrat, mais, eu égard à l’art. 347 du Code, il s’agit du taux le plus élevé que New Solutions peut légalement percevoir. Cette modification ne constitue pas davantage une reformulation du contrat que ne le serait la solution d’ordonner l’exécution des autres obligations seulement, lesquelles correspondent cumulativement à un « intérêt » de 30,8 pour 100.

48 Mon collègue le juge Bastarache invoque la clause 9.1 de la convention d’affacturage (par. 68), faisant valoir qu’elle justifie le recours à la divisibilité au moyen de la technique du trait de crayon bleu. J’admets que, par cette clause, les parties ont exprimé leur désir de recourir à la divisibilité pour donner plein effet aux dispositions valides de leur convention. Toutefois, l’opinion selon laquelle la clause commande l’emploi de la technique du trait de crayon bleu au lieu de la divisibilité fictive m’inspire deux observations. Premièrement, dès le départ les parties ont convenu de ne pas observer de manière stricte les modalités de la convention d’affacturage. Par conséquent, je m’interroge sur le bien-fondé d’invoquer la clause 9.1 de cette convention. Deuxièmement, même en supposant, pour les besoins de l’argument, que la convention d’affacturage soit pertinente, l’application de la divisibilité fictive n’est pas exclue en raison de l’intention à la base de l’insertion de la clause 9.1 dans la convention d’affacturage. L’objet véritable de cette clause était de préserver la plus grande partie possible de la convention dans l’éventualité où quelque élément de celle-ci serait jugé invalide. À la lumière de l’analyse qui précède, la partie de la convention qui est invalide est l’obligation de payer un taux d’intérêt effectif dépassant 60 pour 100 par année. Par conséquent, la divisibilité fictive est la réparation la plus appropriée en l’espèce, car elle donne l’effet juridique le plus large possible aux aspects valides de la convention, résultat qui est conforme à l’intention à la base de l’inclusion de la clause 9.1 dans la convention.

VI. Conclusion

49 Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel et de rétablir celle du juge Cullity, avec dépens en faveur de l’appelante devant la Cour et devant la Cour d’appel.

Version française des motifs rendus par

50 Le juge Bastarache (dissident) — J’ai lu les motifs de la juge Arbour et, en toute déférence, je ne peux y souscrire. Je n’autoriserais pas le recours à la méthode dite de la [traduction] « divisibilité fictive » (« notional severance »), qui permet aux juges de reformuler les clauses illégales d’un contrat pour les rendre conformes à la loi. Je limiterais plutôt la réparation ouverte dans de telles circonstances à la divisibilité, au sens traditionnel, qui permet aux juges de retrancher les clauses illégales d’un contrat, pourvu que celles-ci représentent des engagements distincts.

51 Ma dissidence repose sur trois considérations principales.

52 Premièrement, à l’instar du juge Rosenberg de la Cour d’appel de l’Ontario, j’estime qu’il existe une différence fondamentale entre le fait de retrancher des clauses illégales d’un contrat et celui de reformuler une clause cruciale d’un contrat. Même s’il est vrai que les deux méthodes modifient d’une certaine manière l’intention des parties, la souplesse accrue que permet la reformulation s’accompagne toutefois d’un coût considérable. En outre, aucun principe du droit des contrats n’étaye le recours à cette méthode. À l’opposé, la divisibilité est une doctrine établie depuis longtemps. L’arrêt Still c. M.R.N., [1998] 1 C.F. 549 (C.A.), décrit fort utilement l’historique et l’évolution de la divisibilité en tant qu’instrument permettant de remédier à l’illégalité.

53 Pendant longtemps, les tribunaux ont jugé que l’illégalité d’un contrat rendait celui-ci entièrement inexécutable et ils refusaient d’ordonner la remise de l’argent ou des biens transférés en vertu du contrat. Dans l’arrêt Cope c. Rowlands (1836), 2 M. & W. 149, 150 E.R. 707 (Ex. Ct.), p. 710, le baron Parke a énoncé ainsi cette solution classique en matière d’illégalité contractuelle :

[traduction] [S]i le contrat exprès ou tacite dont le demandeur sollicite l’exécution est explicitement ou implicitement interdit par la common law ou un texte de loi, aucun tribunal n’accordera son aide pour lui donner effet. De plus, il est clair qu’un contrat est nul s’il est interdit par une loi, même si celle-ci n’inflige qu’une sanction pécuniaire, parce que pareille sanction implique une interdiction.

54 Notre Cour a elle aussi souscrit à la doctrine traditionnelle de l’illégalité du fait de la loi. Dans l’arrêt Bank of Toronto c. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603, le juge en chef Ritchie a dit ceci, à la p. 610 :

[traduction] Il s’agirait d’un curieux état du droit si les parties pouvaient conclure une opération interdite par le législateur et, au mépris de la loi, obliger les tribunaux à donner effet à leurs opérations illégales.

Le juge Strong a pour sa part ajouté ce qui suit, à la p. 613 :

[traduction] Chaque fois que l’accomplissement d’un acte est expressément interdit par une loi, que ce soit pour des raisons fondées sur l’intérêt public ou pour d’autres raisons, les tribunaux anglais jugent que l’acte ainsi accompli est frappé de nullité, malgré l’absence de termes exprès d’annulation dans la loi même.

Voir également, les arrêts Steinberg c. Cohen, [1930] 2 D.L.R. 916 (C.A. Ont.), et Hasiuk c. Oshanek, [1936] 1 D.L.R. 232 (C.A. Man.).

55 Au fil du temps, les tribunaux d’instance inférieure canadiens ont délaissé cette doctrine stricte, parce qu’elle était considérée dure et inéquitable dans certains cas et que son application pouvait se traduire par une rentrée inattendue pour une partie. Les tribunaux en sont venus à appliquer une approche moderne lorsqu’ils sont en présence d’un contrat comportant une clause illégale. Selon cette solution moderne à l’illégalité, un contrat qui contrevient à une loi peut être déclaré exécutoire mais non intégralement. Dans l’arrêt Carney c. Herbert, [1985] 1 All E.R. 438, le Conseil privé a résumé succinctement les principes applicables. À la page 443 de la décision, les lords juges ont cité avec approbation les observations suivantes, tirées d’une décision australienne, McFarlane c. Daniell (1938), 38 S.R. 337 (N.S.W. Dist. Ct. App.), p. 345 :

[traduction] Lorsque des engagements valides et accompagnés d’une contrepartie licite sont joints à des engagements invalides, mais formulés distinctement de ceux-ci, le critère permettant de décider si les premiers peuvent être dissociés des seconds consiste à se demander si, du point de vue du fond, tous ces engagements sont à ce point interreliés qu’ils forment un tout indivisible, dont les diverses parties ne peuvent être séparées sans modifier la nature de l’ensemble [. . .] Si la suppression des engagements invalides ne modifient que la portée du contrat, mais non sa nature, les engagements valides sont dissociables [. . .] Si les engagements essentiels sont tous illégaux ou nuls, les engagements qui ne sont qu’accessoires ne seraient pas dissociables.

En conséquence, l’engagement illégal peut être retranché du reste du contrat, ce qui permet au tribunal de donner force exécutoire aux autres engagements. Voir G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (4e éd. 1999), p. 441‑445; S. M. Waddams, The Law of Contracts (4e éd. 1999), p. 421. Cette méthode a été qualifiée de test du [traduction] « trait de crayon bleu » (« blue-pencil »), désignation utilisée pour la première fois dans l’arrêt Attwood c. Lamont, [1920] 3 K.B. 571 (C.A.).

56 À mon avis, le test du « trait de crayon bleu » n’est rien de plus qu’une expression décrivant l’application du principe de la divisibilité. Dans l’arrêt Canadian American Financial Corp. (Canada) Ltd. c. King (1989), 60 D.L.R. (4th) 293 (C.A.C.‑B.), aux p. 299‑300, le juge Hinkson a cité l’arrêt Attwood c. Lamont dans lequel lord Sterndale, maître des rôles, a exprimé ainsi, aux p. 577‑578, l’essence du principe applicable :

[traduction] J’estime en conséquence que le droit n’a pas changé et autorise encore la divisibilité du contrat si les parties retranchées sont indépendantes des autres et peuvent être retranchées sans que soit affecté le sens des dispositions restantes.

Les tribunaux expriment parfois cette idée en disant, comme le fait la Cour divisionnaire en l’espèce, que la divisibilité peut être réalisée lorsqu’on peut supprimer la partie retranchée en la rayant d’un trait de crayon bleu.

57 D’après le test du trait de crayon bleu, la divisibilité peut être appliquée uniquement lorsque le juge peut retrancher, en la raturant, la partie du contrat qu’on entend supprimer, tout en conservant les parties non viciées par l’illégalité, et ce sans que ne soit affecté le sens du reste du document. En d’autres termes, la clause illégale doit constituer un engagement distinct, qui ne soit pas partie de l’objet et de l’essence même du contrat. La clause doit paraître retranchable. Voir Fridman, op. cit., p. 443.

58 Le test du trait de crayon bleu a été appliqué à plusieurs reprises dans le contexte de violations de l’art. 347 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, afin de supprimer des clauses relatives à l’intérêt contraires à la loi. Par exemple, dans une des premières décisions portant sur l’application de l’art. 347 (l’art. 305.1 à l’époque), Mira Design Co. c. Seascape Holdings Ltd., [1982] 4 W.W.R. 97 (C.S.C.‑B.), la juge locale Huddart a conclu ainsi, à la p. 105 :

[traduction] Vu ces circonstances et comme les clauses illégales peuvent être éliminées en supprimant la première condition de la p. 2 du prêt hypothécaire, les passages « si la somme est payée au créancier hypothécaire » et « en plus des intérêts, au taux indiqué précédemment, sur le capital de Quatre-Vingt Mille (80 000 $) Dollars » figurant dans la deuxième condition, le paragraphe suivant en entier et les mots « et les intérêts » dans le covenant figurant au par. A, à la même page, je conclus que les passages illégaux sont effectivement retranchables.

De plus, à la p. 104, la juge locale Huddart a décrit en ces termes la portée et l’application de l’art. 305.1 du Code criminel :

[traduction] La plupart des Canadiens conviendraient que l’objet du Code criminel est de protéger le public en punissant les comportements que le législateur juge contraires à l’intérêt public. L’article 305.1 [maintenant l’art. 347] a pour objet de punir toute personne qui conclut une convention ou une entente en vue de percevoir des intérêts à un taux criminel. La disposition n’interdit pas expressément ce comportement et ne déclare pas non plus qu’une telle convention ou entente est frappée de nullité. La peine prévue est sévère et vise à décourager la conclusion de telles conventions. La disposition remplace la Loi sur les petits prêts, laquelle interdisait de telles conventions et donnait au tribunal le pouvoir de les reformuler. Elle tend à protéger les emprunteurs. Elle n’impose aucune sanction aux personnes qui paient des intérêts à un taux criminel, ou s’engagent à le faire. Elle ne vise pas à empêcher les gens de conclure des conventions de prêt en soi. Quant à l’objet de cette disposition, sa portée et son application se limitent aux ententes portant sur les intérêts. Qui plus est, le fait de conclure que l’art. 305.1 prohibe nécessairement la conclusion de conventions ou d’ententes de perception d’intérêts à un taux criminel reviendrait à faire ce que le législateur a choisi de ne pas faire ou ne peut pas faire directement.

59 Deuxièmement, il n’existe aucune considération juridique ou autre raison de principe justifiant d’appliquer seulement aux taux d’intérêt criminels la nouvelle démarche à laquelle a souscrit ma collègue, en l’occurrence la divisibilité fictive. Cela signifie que d’autres clauses illégales pourraient être reformulées par les tribunaux. À mon avis, la possibilité de recourir à la « divisibilité fictive » comme réparation crée une incertitude encore plus grande en droit. Il est clair que tant la divisibilité pure et simple que la divisibilité fictive ont pour effet de modifier d’une certaine manière la convention des parties. Toutefois, lorsqu’ils appliquent la divisibilité traditionnelle les tribunaux continuent de s’en tenir aux termes choisis par les parties elles-mêmes, et ils ne retranchent du contrat que les passages qui lui donnent son caractère illégal. À l’opposé, la divisibilité fictive permettra concrètement aux tribunaux d’ajouter des mots nouveaux à la convention des parties. Ce faisant, ils substitueront leur volonté à celle des parties. La divisibilité fictive élargirait le rôle des tribunaux d’une manière qui, à mon avis, serait regrettable. Un exemple précis de cela me vient à l’esprit.

60 Dans l’arrêt Canadian American Financial Corp. (Canada) Ltd. c. King, précité, les juges Hinkson, Lambert et Southin ont, dans des opinions individuelles, refusé d’accorder une injonction interlocutoire qui aurait forcé les intéressés à respecter une clause restreignant la liberté de commerce. La stipulation du contrat en question était une clause de non-concurrence interdisant à certaines personnes d’exercer leurs activités au Canada et aux Bermudes. Les trois juges ont estimé que cette clause avait une portée trop large. Ils ont refusé de remplacer cette clause déraisonnable par des termes raisonnables. Le juge Lambert a conclu que la jurisprudence indiquait clairement que les tribunaux ne peuvent établir, pour les parties, des contrats dont celles-ci n’ont pas elles-mêmes convenu. À son avis, substituer les mots [traduction] « Colombie-Britannique et Alberta » aux mots « Canada et Bermudes » aurait rendu la clause exécutoire (p. 307), mais il appartenait aux parties, et non au tribunal, de prendre une telle mesure. En vertu de la nouvelle méthode, les juges seraient-ils autorisés à faire de telles substitutions afin de donner force exécutoire au contrat?

61 Il importe de souligner que, à la même page, le juge Lambert a également conclu que la règle du trait de crayon bleu n’aurait rien changé à sa décision, car il n’aurait pas été davantage disposé à retrancher quelque partie que ce soit de cette clause, même si celle-ci avait distinctement énuméré chaque province et territoire du Canada et se serait ainsi prêtée à l’application de la règle susmentionnée. (Je ne suis pas convaincu qu’un tribunal ne pourrait pas, en application de la divisibilité traditionnelle, biffer certaines clauses illégales, ou encore un certain nombre de provinces figurant dans une liste, afin de rendre le contrat conforme à la loi. Comme la décision des juges majoritaires maintient la divisibilité traditionnelle comme réparation relevant du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, cette question sera probablement examinée un jour dans une instance plus appropriée.)

62 En outre, le juge Lambert s’est dit d’avis qu’une clause prévoyant une solution en englobant une autre serait nulle pour cause d’incertitude et ne devrait pas être validée par l’application de la divisibilité. Par exemple, un contrat comportant une clause par laquelle l’intéressé s’engage à ne pas faire de concurrence (1) à Ottawa et (2) dans le reste de l’Ontario pourrait être valide dans le cas d’Ottawa, mais trop large et, partant, entièrement invalide pour ce qui concerne l’Ontario. La stipulation des deux engagements dans le même contrat invalide toute la clause. Selon le juge Lambert, le seul élément qui ressort nettement de la clause restrictive est qu’elle est valide au moins à Ottawa. Mais les parties auraient pu simplement dire cela. Ici aussi, est-ce que selon la méthode adoptée par ma collègue, le tribunal pourrait, par exemple, reformuler ainsi la deuxième clause, « dans le reste du nord-est de l’Ontario », pour qu’elle ne constitue plus une restriction illégale à la liberté de commerce?

63 Troisièmement, je suis d’avis que l’analyse adoptée par les juges majoritaires en l’espèce est incompatible avec celle retenue dans l’affaire Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112. Dans cet arrêt, notre Cour a interprété largement la définition d’intérêt afin d’empêcher les créanciers de contourner la loi en manipulant la forme des paiements. Le juge Major a écrit ceci, aux par. 27‑28 :

Il ressort de cette définition que, pour les fins de l’art. 347, l’« intérêt » est un terme qui a un sens très large et qui désigne de nombreux types de paiements fixes qui ne seraient pas considérés comme un intérêt proprement dit en common law ou selon des principes comptables généraux. . .

. . . Le texte général de l’art. 347 visait probablement [. . .] à empêcher les créanciers de contourner la loi en manipulant simplement la forme du paiement exigé de leurs débiteurs [. . .] C’est la nature, et non seulement la forme, des frais qui détermine s’ils sont régis par l’art. 347.

64 La démarche retenue par ma collègue permettrait au créancier d’échapper aux conséquences des mesures qu’il a prises pour contourner la loi simplement en réduisant le taux d’intérêt au taux maximum permis par le Code criminel. À mon avis, cette analyse est incompatible avec les objectifs généraux énoncés dans le Code et avec l’idée de dissuasion. Tout prêteur, même un créancier commercial, commet une infraction criminelle lorsqu’il conclut une convention de prêt fixant un taux d’intérêt effectif annuel supérieur à 60 pour 100. En outre, comme l’indiquait le juge Rosenberg pour la majorité ((2002), 60 O.R. (3d) 97, par. 31), le fait d’autoriser la sorte de divisibilité fictive ordonnée par le juge de première instance revient à apporter à la doctrine de la divisibilité prévue par la common law une innovation substantielle en faveur de personnes qui, à première vue, contreviennent au droit criminel.

65 Il importe également de souligner que notre Cour a élaboré une méthode pour déterminer si des raisons de principe justifient d’écarter une jurisprudence bien établie. Dans l’arrêt Friedmann Equity Developments Inc. c. Final Note Ltd., [2000] 1 R.C.S. 842, 2000 CSC 34, j’ai fait état des facteurs pertinents à cet égard, au par. 43 :

Récemment, dans l’affaire Robinson [R. c. Robinson, [1996] 1 R.C.S. 683], le juge en chef Lamer, s’exprimant au nom des juges majoritaires de notre Cour, s’est fondé sur cinq facteurs pour justifier la décision d’écarter l’arrêt antérieur de notre Cour MacAskill c. The King, [1931] R.C.S. 330. Ces facteurs étaient l’existence d’opinions dissidentes exprimées antérieurement au sein de notre Cour, la constatation d’une tendance parmi les cours d’appel provinciales à s’écarter des principes adoptés dans l’arrêt en question, les critiques formulées à l’égard de cet arrêt ou l’adoption d’une règle contraire dans d’autres pays, la critique de cet arrêt et de ses fondements dans la doctrine, ainsi que l’incompatibilité de cet arrêt avec d’autres décisions. Bien que ces facteurs ne soient pas des préalables à la modification de la common law, ils permettent néanmoins de constater l’existence de motifs de réforme convaincants. Par ailleurs, les tribunaux n’interviendront pas lorsque la modification proposée aurait des effets complexes et d’une grande portée, qui placeraient le droit sur une trajectoire inconnue dont les conséquences ne peuvent pas être mesurées avec précisions : voir Bow Valley [Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210], au par. 93.

Ici, il ne semble y avoir aucune raison impérieuse d’écarter la jurisprudence établie par les tribunaux inférieurs et par le Conseil privé.

66 Ma collègue a fait un résumé complet des faits de l’espèce. À mon avis, la conclusion du juge de première instance selon laquelle il y avait absence d’intention criminelle ne doit pas influencer notre analyse. En effet, la disposition n’exige pas que l’infraction ait été commise sciemment. De fait, comme l’a souligné le juge Rosenberg dans l’opinion majoritaire, au par. 15, en général dans les affaires de ce genre les parties n’entendaient pas contrevenir au droit criminel et ont négocié d’égale à égale.

67 De plus, bien que le fait d’avoir obtenu des conseils juridiques sera certainement utile, les parties ne peuvent invoquer ces conseils pour justifier leur inobservation de la loi. En l’espèce, l’opinion obtenue ne portait que sur la clause même traitant des intérêts et disait que leur taux s’élevait à 48 pour 100; mais cette opinion était erronée. Aucune des parties n’a été informée de la portée de l’art. 347 du Code criminel (voir le par. 5 du mémoire de l’appelante et le par. 1 de celui de l’intimée). Les parties contractantes doivent tenir compte de toutes les clauses de la convention lorsqu’elles calculent l’intérêt total demandé.

68 J’aimerais conclure en m’arrêtant sur la clause 9.1 de la convention d’affacturage, qui reflète l’intention des parties en ce qui a trait à la réparation (voir l’onglet 4 du mémoire de l’intimée). La classe 9.1 est ainsi rédigée :

[traduction] 9.1 Divisibilité de la convention. Si un tribunal compétent déclare l’une quelconque des clauses de la présente convention totalement ou partiellement invalide, cette clause est considérée comme n’ayant jamais fait partie de la convention, de sorte que sa validité n’a aucune incidence sur celle des autres clauses de la convention, laquelle est considérée comme ayant été signée sans la clause en question.

69 Durant l’audition du pourvoi devant notre Cour, l’avocat de l’appelante a plaidé que [traduction] « cette clause de divisibilité ne s’applique pas réellement à la clause relative au taux d’intérêt en vigueur dans la présente affaire, que l’on trouve dans un document distinct dans la lettre d’engagement ». Toutefois, l’avocat a concédé que la clause 9.1 [traduction] « reflète l’intention qu’une clause entachée d’illégalité ne rende pas le contrat invalide, et que cette clause s’applique dans la mesure où on n’a pas recours à la divisibilité fictive » (je souligne). La réserve soulignée dans l’extrait qui précède est évidemment incompatible avec le sens évident de la clause 9.1 et elle n’est pas étayée par le dossier.

70 Quoi qu’il en soit, la lettre d’engagement mentionnée par l’avocat est datée du 6 mars 2000 et la convention d’affacturage où figure la clause 9.1 porte l’indication qu’elle a été faite le 30 mars 2000. De plus, fait significatif, les lettre et convention susmentionnées prévoient la même redevance de 160 000 $, les mêmes frais de surveillance de 750 $ par mois et le même droit d’usage de 1 pour 100 par mois.

71 Une lettre expédiée à l’intimée par l’avocat de l’appelante est instructive à cet égard. Comme l’explique le juge de première instance, aux par. 4 et 5 de ses motifs ((2001), 54 O.R. (3d) 144) :

[traduction] Bien qu’une convention d’affacturage, un billet et une convention générale de garantie aient été établis le — ou vers le — 30 mars 2000, les parties avaient déjà convenu de ne pas s’en tenir aux clauses du premier document susmentionné. Le 28 mars 2000, l’avocat de l’intimée a écrit à celui qui représentait la requérante et les Dragosits :

Pour donner suite à notre conversation du 27 mars 2000, je vous confirme de la part de ma cliente que, à titre d’arrangement financier avec votre cliente, l’administration des facilités d’affacturage ne se fera pas strictement selon les clauses de la convention d’affacturage, à moins que ma cliente ne choisisse d’exercer les droits que lui accorde cette convention. Il est prévu que votre cliente utilisera le montant total de ce crédit et paiera les intérêts, droits, commissions, frais honoraires et redevances énoncés dans la lettre d’engagement. Veuillez prendre note que le taux d’intérêt est 48 (pour cent) par année.

En conséquence, l’idée d’affacturage a été écartée et remplacée par une facilité de crédit renouvelable garantie par les éléments d’actif de la demanderesse, y compris ses comptes recevables. Chacun des Dragosits a signé une garantie personnelle pour la somme complète de 500 000 $. [Je souligne.]

72 Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que la clause 9.1 de la convention d’affacturage devait céder le pas à la lettre d’engagement portant une date antérieure. Bien que certains aspects des arrangements financiers fussent régis uniquement par la lettre d’engagement, il ressort clairement de la lettre expédiée par l’avocat de l’appelante que les modalités de la convention d’affacturage continuaient encore de s’appliquer.

73 La simple lecture de la clause indique que, si une condition de la convention liant les parties était [traduction] « déclar[ée] [. . .] totalement ou partiellement invalide », les parties entendaient que la convention soit « considérée comme ayant été signée sans la clause [illégale] ». Je ne vois pas comment on pourrait affirmer que cette clause envisageait le recours à la divisibilité fictive — et encore moins qu’elle pourvoyait à son application.

74 Gardant à l’esprit le sens clair de la clause 9.1, la concession de l’avocat quant à l’intention des parties et la lettre expédiée par l’avocat de l’appelante à l’intimée le 28 mars 2000 — trois semaines après la signature de la lettre d’engagement sur laquelle s’appuie l’appelante — , j’estime devoir conclure que la technique du trait de crayon bleu adoptée par la Cour d’appel est tout à fait compatible avec l’intention des parties, mais que la divisibilité fictive ne l’est pas.

75 Vu cette constatation, je ne peux me rallier à l’avis de ma collègue que le fait de réduire le taux stipulé au taux de 60 pour 100 prescrit par la loi, ou concrètement de reformuler le taux d’intérêt convenu, respecte davantage le caractère sacré du marché intervenu entre les parties. La clause 9.1 tend à indiquer que les parties se sont penchées sur cette question et ont convenu que si un tribunal déclarait invalide une des clauses de la convention, elles ne reformuleraient pas celle-ci mais considéreraient plutôt que la clause en question n’en faisait pas partie.

76 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs des juges Deschamps et Fish rendus par

77 Le juge Fish (dissident) — Avec égards pour l’opinion contraire exprimée par la juge Arbour, je suis d’avis, tout comme le juge Bastarache et pour les motifs suivants, de rejeter le pourvoi avec dépens.

I

78 Le présent pourvoi porte sur les conséquences civiles d’une violation grave du droit criminel canadien.

79 Aux termes de l’art. 347 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, commet une infraction criminelle, quiconque impose ou accepte de percevoir « des intérêts à un taux criminel », lequel est défini comme étant un taux d’intérêt annuel qui dépasse 60 pour 100. J’estime que nous sommes en présence d’une violation grave, car l’appelante a imposé à l’intimée un taux d’intérêt effectif supérieur à 90 pour 100.

80 Je reconnais que les règles d’equity ne constituent pas une liste exhaustive de réparations toutes faites. À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, cependant, je ne crois pas qu’une réparation nouvelle et originale s’imposait en l’espèce pour apporter une solution juste et raisonnable au litige. La réparation bien établie du [traduction] « trait de crayon bleu » (« blue-pencil »), décrite par mes collègues et appliquée par la Cour d’appel, respecte comme il se doit les conclusions de fait du juge de première instance et produit un résultat équitable, en harmonie avec les principes reconnus.

81 Enfin, je souscris à l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel selon laquelle le juge de première instance a à tort forcé les règles d’equity reconnues en utilisant ce qu’il a appelé la [traduction] « divisibilité fictive » (« notional severance »). Dans d’autres circonstances, son approche originale et créative pourrait fort bien se révéler appropriée. Ce serait le cas, par exemple, lorsque l’application de la divisibilité fictive est nécessaire pour trancher un litige privé d’une manière équitable et non incompatible avec les objectifs sociaux et juridiques du droit criminel — situation différente, à mon humble avis, de celle dont nous sommes ici saisis.

II

82 L’appelante a consenti à l’intimée un prêt à un « taux criminel » au sens de l’art. 347 du Code criminel. Comme je l’ai mentionné précédemment, selon cette disposition tout taux d’intérêt annuel supérieur à 60 pour 100 constitue en droit un « taux criminel ».

83 En l’espèce, le prêt a été consenti au taux annuel effectif de 90,9 pour 100, soit 150 pour 100 du maximum autorisé par la loi.

84 L’intérêt à payer comportait deux éléments.

85 Le premier était constitué d’intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance. L’avocat de l’appelante a mentionné par écrit à l’avocat de l’intimée, erronément — mais sans intention de tromper — , [traduction] « que le taux d’intérêt [s’élevait à] 48 (pour cent) par année », alors qu’il s’élevait en réalité à 60,1 pour 100, un taux criminel en soi.

86 Le deuxième élément était composé de frais divers qui, considérés globalement, faisaient grimper le taux d’intérêt annuel effectif de 60,1 pour 100 à 90,9 pour 100.

87 Ces faits ne sont pas contestés.

88 De plus, bien qu’elle ait contesté ces points au départ, l’appelante reconnaît maintenant (1) que le taux d’intérêt prévu constituait un « taux criminel » au sens de l’art. 347 du Code criminel et (2) que les frais additionnels dont j’ai fait état plus tôt sont visés par la définition d’« intérêt » à l’art. 347. En outre, il est établi que l’art. 347 s’applique au genre de prêt commercial qui nous intéresse en l’espèce.

89 Il importe donc, d’entrée de jeu, de retenir deux caractéristiques déterminantes du contrat de prêt. Premièrement, nous ne sommes pas en présence d’un contrat enfreignant une disposition législative de nature civile, commerciale ou réglementaire, mais plutôt d’une convention contrevenant au Code criminel du Canada; deuxièmement, le taux d’intérêt effectif stipulé correspond à plus d’une fois et demie le taux criminel minimal, et il ne le dépasse pas qu’à peine, légèrement ou de 0,1 pour 100 seulement.

90 Le juge du procès a conclu que l’appelante n’avait pas eu l’intention d’enfreindre l’art. 347 du Code criminel. Le retranchement des clauses illégales du contrat était donc, à son avis, la solution qui s’imposait en l’espèce.

91 Il est important de se rappeler qu’une seule des clauses du contrat était illégale en soi : la stipulation fixant l’intérêt au taux criminellement interdit de 60,1 pour 100. Les autres frais, qui sont également visés par la définition d’intérêt énoncée à l’art. 347, étaient mentionnés séparément dans la convention qui ne stipulait pas qu’ils constituaient de l’intérêt.

92 Si le premier juge avait retranché la clause relative à l’intérêt et qu’il avait laissé celles visant les autres frais intactes, sa décision aurait respecté les limites de son pouvoir discrétionnaire.

93 Il a toutefois refusé d’agir ainsi.

94 Il a plutôt appliqué une réparation nouvelle et originale, qu’il a appelée « divisibilité fictive » et au moyen de laquelle il a reformulé la clause relative à l’intérêt pour obtenir, une fois les autres frais pris en compte, un taux cumulatif d’intérêt effectif de 60 pour 100 — limite même passée laquelle un taux d’intérêt devient un taux criminel interdit par l’art. 347 du Code.

95 En Cour d’appel de l’Ontario, la majorité a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en [traduction] « forçant » ainsi la portée du droit applicable pertinent. Comme l’appelante avait imposé à la défenderesse un taux d’intérêt criminel dépassant largement la limite établie par le législateur, la Cour d’appel a estimé qu’il ne convenait pas, en tant que principe juridique et politique judiciaire, de dénaturer ou d’élargir la réparation en equity que constitue la divisibilité pour accorder à l’appelante le taux d’intérêt le plus élevé qu’elle aurait pu obtenir si elle n’avait pas enfreint la loi.

96 Gardant à l’esprit les conclusions de fait du premier juge et appliquant la méthode reconnue du trait de crayon bleu, la Cour d’appel a plutôt retranché le taux d’intérêt criminel convenu par les parties au titre des intérêts, et elle a permis à l’appelante d’obtenir paiement des frais précisés dans des clauses distinctes, ce qui a eu pour effet de maintenir un taux d’intérêt effectif légèrement supérieur à 30 pour 100.

97 Devant notre Cour, la question déterminante consiste à décider si la Cour d’appel a commis une erreur de droit en retenant cette solution.

98 Je répondrais à cette question par la négative.

III

99 Sans pour autant conclure en ce sens, je suis disposé, pour les besoins du présent pourvoi, à me rallier à l’opinion exprimée par la juge Arbour, au par. 5, où elle dit « que les tribunaux peuvent, en droit, recourir à la divisibilité fictive comme réparation dans les litiges découlant de l’art. 347 » du Code criminel.

100 Même en acceptant cette hypothèse, toutefois, je n’autoriserais l’application de la divisibilité fictive que dans les cas où les conditions suivantes sont réunies : (1) aucune raison d’ordre public ne requiert que l’accord au complet soit déclaré inexécutoire; (2) la divisibilité est jugée justifiée; (3) la divisibilité pure et simple — ou [traduction] « divisibilité au moyen du trait de crayon bleu » — n’est pas faisable ou produirait un résultat injuste.

101 En l’espèce, à la lumière des faits constatés par le juge du procès, les deux premières conditions sont respectées, mais la troisième ne l’est pas : la divisibilité au moyen du trait de crayon bleu est une solution à la fois possible et juste. Qui plus est, contrairement à la méthode de la divisibilité fictive, telle qu’elle a été appliquée par le juge de première instance, la divisibilité au moyen du trait de crayon bleu ne fait pas violence aux objectifs d’intérêt général visés par l’art. 347 du Code criminel ni ne requiert du tribunal qu’il réécrive la clause relative aux intérêts dont ont convenu, en tant que telle, les parties.

102 Le paragraphe 347(1) du Code dispose que quiconque selon le cas :

a) conclut une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel;

b) perçoit, même partiellement, des intérêts à un taux criminel,

est coupable:

c) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

d) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’une amende maximale de vingt-cinq mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines.

103 L’expression « taux criminel » est définie ainsi au par. 347(2) :

(2) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

. . .

« taux criminel » Tout taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises, qui dépasse soixante pour cent.

104 En contrepartie du prêt qu’elle a consenti à l’intimée, l’appelante a, comme je l’ai mentionné plus tôt, exigé en sus des intérêts désignés comme tels dans le contrat divers autres frais qui constituaient de l’intérêt mais étaient qualifiés autrement. Comme le dit la juge Arbour, il est incontestable que ces frais correspondent exactement à la définition du terme « intérêt » énoncée au par. 347(2) du Code criminel. Ensemble, ils majoraient de 30,8 pour 100 le taux de 60,1 pour 100 expressément prévu par l’accord.

105 Le juge du procès a tiré la conclusion de fait selon laquelle l’appelante, en exigeant de l’intimée un taux d’intérêt annuel effectif de 90,9 pour 100, n’avait pas eu l’intention d’enfreindre les dispositions de l’art. 347. Il ne faut pas mal interpréter sa conclusion à cet égard : l’intention d’enfreindre cette disposition ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction.

106 En outre, il est certain que l’appelante était parfaitement au fait du taux d’intérêt stipulé (même si elle ignorait peut-être sa valeur actuarielle) et elle était également au fait de tous les autres frais qui, en droit, constituent eux aussi de l’intérêt.

107 Comme je l’ai dit précédemment, je suis disposé à accepter, pour les besoins du présent pourvoi, que la divisibilité fictive est une réparation reconnue en droit, mais je n’autoriserais son application à l’égard des violations du droit criminel que dans les cas où la divisibilité est néanmoins justifiée en equity et où la divisibilité pure et simple n’est pas faisable ou produirait un résultat injuste.

108 Il s’agit donc de décider si nous sommes en présence d’un tel cas.

109 En toute déférence, je suis convaincu que non, essentiellement pour les raisons exprimées par le juge Rosenberg, au nom des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario ((2002), 60 O.R. (3d) 97, par. 31‑35) :

[traduction] Commet une infraction criminelle tout prêteur, même un créancier commercial, qui conclut une convention de prêt prévoyant un taux d’intérêt annuel effectif supérieur à 60 pour 100. Et autoriser le genre de divisibilité fictive ordonnée par le juge de première instance constitue une innovation substantielle dans la doctrine de la divisibilité fictive en common law. Certes, la common law évolue avec le temps, mais les tribunaux iraient à l’encontre des objectifs de dissuasion s’ils apportaient une telle innovation en faveur de personnes qui, à première vue, ont enfreint le droit criminel. Comme l’a indiqué la juge Huddart [maintenant juge à la Cour d’appel] dans l’affaire Pacific National Developments [Ltd. c. Standard Trust Co. (1991), 53 B.C.L.R. (2d) 158 (C.S.),] à la p. 163 [. . .] : « Il n’appartient pas aux tribunaux de s’efforcer de trouver des moyens d’éviter l’application du Code criminel, ni d’aider ceux qui cherchent à le faire, quoiqu’il leur incombe d’interpréter strictement les dispositions législatives pénales ».

. . .

À l’instar de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Terracan, précité, j’estime que les juges disposent du pouvoir discrétionnaire nécessaire pour appliquer la doctrine de la divisibilité à une convention qui contrevient aux dispositions du Code relatives au taux d’intérêt criminel. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire donne naissance à un spectre de réparations à la disposition des tribunaux. Lorsque le prêt ressemble à un arrangement classique de prêt usuraire, le tribunal peut refuser d’appliquer la doctrine de la divisibilité et déclarer l’ensemble de la convention de prêt inexécutoire, y compris l’obligation de rembourser le capital. Bien que cette réparation procure un profit inattendu à l’emprunteur, une telle solution peut parfois être justifiée par la nécessité de dénoncer de telles pratiques usuraires. Voir C.A.P.S. International Inc. c. Kotello, [2002] M.J. no 205 [(QL)] (B.R.). À l’autre extrémité du spectre, dans le cas d’une opération commerciale conclue de bonne foi, où les principes d’equity favorisent le prêteur et où la divisibilité ne compromet pas l’objectif de politique générale visé par la loi, le tribunal a la faculté de retrancher uniquement les clauses de la convention de prêt qui haussent le taux d’intérêt effectif à plus de 60 pour 100, sans toucher à l’obligation de l’emprunteur de rembourser le capital et de payer une certaine somme au titre des intérêts. Voir, par exemple, l’arrêt Milani, précité. Plus près du centre du spectre, on trouve une affaire comme Terracan, où le tribunal a retranché toutes les clauses relatives à l’intérêt mais a confirmé l’obligation du débiteur de rembourser le capital.

Où se situe la présente affaire sur ce spectre? Le juge de première instance a conclu — conclusion à laquelle je souscris — que les principes d’equity favorisent le prêteur. Il ressort clairement de ses motifs que, s’il avait jugé qu’il n’y avait pas ouverture à la divisibilité fictive, il aurait retranché la clause qui exige le paiement d’intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance. Je suis d’avis qu’il s’agit là de la réparation appropriée.

En l’espèce, il existe au moins deux clauses distinctes dont les origines remontent aux négociations ayant abouti à la convention. Comme il a été indiqué plus tôt, la défenderesse voulait au départ obtenir une participation dans l’entreprise de l’appelante. C’est ce qui a amené le paiement de redevances. L’autre clause était l’arrangement, plus traditionnel, concernant l’intérêt. À mon avis, il est possible de retrancher l’une d’elles, ou les deux, d’une manière qui respecte les principes bien établis en matière de divisibilité. La clause fixant à 4 pour 100 le taux d’intérêt mensuel doit être retranchée, parce qu’elle contrevient à l’art. 347 du Code criminel. Je ne vois aucune raison d’essayer de sauvegarder cette clause simplement parce qu’elle ne dépasse que légèrement 60 pour 100. La défenderesse est une société prêteuse expérimentée. Bien qu’elle n’en ait pas eu l’intention, elle a induit l’appelante en erreur lorsque son avocat a indiqué que le taux d’intérêt n’était que de 48 pour 100. L’appelante n’a pas démontré que les droits, honoraires et autres frais, par exemple la commission d’engagement et les frais de surveillance, font clairement partie du taux d’intérêt à percevoir et il n’y a donc pas lieu de les retrancher.

110 Je souscris à l’analyse du juge Rosenberg et j’y ajouterais les considérations suivantes.

111 La première se rapporte à la présumée bonne foi de l’appelante. Si je comprends bien, cette bonne foi ressortirait des éléments suivants :

(1) la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’appelante n’avait pas l’intention de violer l’art. 347, en ce sens qu’elle semble ne pas s’être rendue compte que les frais, qui étaient par ailleurs bien compris par tous les intéressés, contrevenaient au Code criminel;

(2) le fait que l’appelante ignorait que les frais distincts, qui majoraient d’un peu plus de 30 pour 100 le taux d’intérêt annuel stipulé dans la convention, constituaient de l’intérêt au sens de ce terme au par. 347(2) du Code.

112 J’accepte que ni l’appelante ni l’intimée ne considéraient les frais additionnels comme de l’intérêt.

113 Suivant ce raisonnement, il ne m’apparaît ni « artificiel » ni « arbitraire » de retrancher le taux d’intérêt criminel, convenu au titre de l’intérêt, et de maintenir les frais distincts, non stipulés comme de l’intérêt et non considérés comme de l’intérêt par l’une ou l’autre des parties.

114 Cette solution répond adéquatement aux considérations de politique générale mentionnées par les juges de la Cour d’appel. Contrairement à la divisibilité fictive, cette solution n’oblige pas le tribunal à réécrire la clause relative aux intérêts dont ont expressément convenu les parties. Elle permet également à l’appelante d’obtenir un rendement légèrement supérieur à 30 pour 100 par année.

IV

115 La juge Arbour a conclu que les quatre facteurs énumérés par le juge Blair dans l’arrêt William E. Thomson Associates Inc. c. Carpenter (1989), 61 D.L.R. (4th) 1 (C.A. Ont.), militent en faveur de la divisibilité en l’espèce. Je partage cette opinion. Voilà pourquoi je confirmerais l’arrêt de la Cour d’appel.

116 Toutefois, il reste encore la question plus difficile de savoir si ces quatre facteurs militent en faveur de l’application de la divisibilité fictive plutôt que de la technique de divisibilité au moyen du trait de crayon bleu envisagée par le juge Blair dans l’arrêt Thomson. En toute déférence, je répondrais à cette question par la négative.

117 Le premier élément ou facteur consiste à se demander si l’objectif et la politique générale visés par l’art. 347 du Code criminel seraient mieux servis par la divisibilité pure et simple ou par la divisibilité fictive.

118 Pour étayer sa conclusion sur ce volet, la juge Arbour cite, au par. 43, un article dans lequel le professeur Ziegel explique ses réserves à l’égard de l’art. 347 (J. S. Ziegel, « Bill C‑44 : Repeal of the Small Loans Act and Enactment of a New Usury Law » (1981), 59 R. du B. can. 188). Sur la question qui nous intéresse en l’espèce, toutefois, le professeur Ziegel dit ceci dans un autre article :

[traduction] En ce qui concerne les intérêts, il est évident que le prêteur ne peut obtenir paiement de la partie qui excède 60%. Peut-il toutefois obtenir 60%? À mon avis, il faut répondre par la négative, et ce pour deux raisons. Premièrement, il est peu probable que le contrat prévoit une distinction entre les deux éléments de l’intérêt. En conséquence, l’application de la théorie de la divisibilité ne repose sur aucune assise. Deuxièmement, la divisibilité pourrait nuire à la politique générale visée par l’art. 305.1 [maintenant l’art. 347] (même si certains, dont l’auteur, estiment qu’il s’agit d’une mauvaise politique) et pourrait inciter les prêteurs à prendre des risques calculés, étant certains qu’ils ne perdraient que la partie des intérêts excédant 60%. [Je souligne.]

(J. S. Ziegel, « The Usury Provisions in the Criminal Code : The Chickens Come Home to Roost » (1986), 11 Rev. can. dr. comm. 233, p. 242)

119 La première raison donnée par le professeur Ziegel n’a qu’une application restreinte en l’espèce, puisque les parties ont effectivement distingué les deux éléments du taux d’intérêt illégal. En outre, la distinction repose sur des motifs valables : le premier élément — dont ont convenu les parties en tant qu’intérêt — excède lui-même légèrement la limite prévue, alors que le second n’était pas considéré par les parties comme faisant partie du taux d’intérêt, bien que l’art. 347 lui donne cet effet.

120 La deuxième raison donnée par le professeur Ziegel, à laquelle je souscris, milite clairement en faveur de la divisibilité au moyen du trait de crayon bleu (« blue-pencil severance ») — la solution retenue par les juges majoritaires de la Cour d’appel — et contre la « divisibilité fictive », la solution qu’a appliquée le juge du procès en accordant à l’appelante des intérêts frôlant le taux criminel.

121 À l’instar de la juge Arbour, j’estime que la deuxième considération — la question de savoir si les parties ont conclu une convention dans un but illégal ou dans une intention malveillante — milite en l’espèce en faveur de l’application d’une réparation souple. Toutefois, il est possible d’atteindre ce but en retranchant la clause relative à l’intérêt et en laissant intactes celles concernant les autres frais, puisque cette solution permet à l’appelante de percevoir, tout en obligeant l’intimée à payer, un taux d’intérêt effectif supérieur à 30 pour 100 à l’égard du prêt commercial qui était l’objet de l’accord entre les parties.

122 Certes, cette réparation est différente — bien qu’elle soit tout aussi « souple » — que celle conçue par le juge du procès.

123 Si on avait été en présence d’un taux d’intérêt effectif de 60,1 pour 100 seulement, et non d’un taux d’intérêt effectif cumulatif de 90,9 pour 100, il aurait pu être souhaitable, je l’admets, de ne pas retrancher en entier la clause relative à l’intérêt. Mais ce n’était pas le cas en l’espèce.

124 La troisième considération concerne le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations.

125 Sur ce point, il est vrai que l’intimée a obtenu les conseils d’un avocat et ne semble pas être la victime naïve ou inexpérimentée d’un malentendu. Néanmoins, il est difficile d’affirmer que l’emprunteur commercial qui, en l’absence d’autres sources de financement, accepte de payer un taux d’intérêt annuel effectif de 90,9 pour 100 — taux bien des fois supérieur au taux commercial normal — , et de fournir des garanties personnelles à l’égard de l’emprunt, a un pouvoir de négociation équivalent à celui du prêteur.

126 Je vais maintenant examiner la quatrième considération, qui concerne la possibilité d’enrichissement injuste ou, pour reprendre les mots de la juge Arbour, d’un « profit injustifié » (par. 42).

127 Contrairement à la juge Arbour, je ne crois pas qu’il soit possible de dire que l’intimée s’enrichit injustement parce que le tribunal la dégage de son engagement contractuel de payer un taux d’intérêt criminel si, comme en l’espèce, il l’oblige en même temps à payer un taux d’intérêt annuel effectif supérieur à 30 pour 100 et à rembourser le capital — en entier.

128 Bref, il me semble que, examinées individuellement et appréciées globalement, les quatre considérations énoncées par le juge Blair dans l’arrêt Thomson, précité, militent en l’espèce en faveur de la réparation appliquée par la Cour d’appel et contre celle retenue par le juge de première instance.

129 Je partage donc l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle le premier juge a commis une erreur en remplaçant le taux d’intérêt criminel demandé par l’appelante à l’intimée par le taux le plus élevé que l’appelante aurait par ailleurs pu exiger.

130 De plus, tout comme la Cour d’appel, je ne peux trouver dans les règles d’equity reconnues aucun fondement autorisant le juge de première instance à réécrire de la sorte la clause illégale relative aux intérêts dont ont convenu les parties. Cette clause aurait simplement dû être biffée au moyen de la méthode reconnue du trait de crayon bleu.

131 La décision du juge du procès a eu pour effet de forcer indûment les principes d’equity et d’envoyer un message inapproprié à ceux qui prêtent de l’argent à un taux interdit par le droit criminel à des emprunteurs « consentants », qui ne peuvent emprunter auprès de personne d’autre.

132 Il ne faudrait pas laisser croire aux prêteurs que, même si leurs arrangements illégaux sont contrôlés par les tribunaux, ils pourront néanmoins obtenir le taux le plus élevé qu’ils auraient pu légalement imposer — et éviter en conséquence tout désavantage financier susceptible de découler de leur contravention à l’art. 347 du Code criminel.

V

133 Comme je l’ai dit au départ, j’ai tenu pour acquis en l’espèce le bien-fondé de la prémisse de la juge Arbour selon laquelle « les tribunaux peuvent, en droit, recourir à la divisibilité fictive comme réparation dans les litiges découlant de l’art. 347 » du Code criminel.

134 Conformément à cette hypothèse, j’appliquerais la divisibilité fictive aux seuls cas de violation du Code criminel où cette méthode ne fait pas violence à des considérations d’ordre public, où elle est justifiée par les principes d’equity et où la divisibilité pure et simple est irréalisable ou, bien que réalisable, produirait un résultat injuste.

135 Pour tous ces motifs et, dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles, pour ceux exposés par le juge Bastarache, je rejetterais le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Bastarache, Deschamps et Fish sont dissidents.

Procureurs de l’appelante : Fraser Milner Casgrain, Toronto.

Procureurs de l’intimée : Ackerman Law Office, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Contrats - Intérêt - Taux criminel - Illégalité - Divisibilité - Prohibition par l’art. 347 du Code criminel des taux d’intérêt annuels effectifs dépassant 60 pour 100 - Contrat jugé contraire à cette prohibition - Réduction du taux d’intérêt illégal prévu par le contrat pour que celui-ci prévoit le taux d’intérêt maximum autorisé par la loi - La « divisibilité fictive » peut-elle être utilisée comme réparation en cas de contraventions à l’art. 347? - Convient-il d’appliquer la divisibilité fictive en l’espèce? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 347.

L’appelante et l’intimée ont conclu une convention de crédit par laquelle la première a avancé à la seconde la somme de 500 000 $. Les parties ont signé, relativement aux facilités de crédit proposées, une lettre d’engagement prévoyant les paiements suivants : a) des intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance; b) des frais de surveillance de 750 $ par mois; c) un droit d’usage de 1 pour 100; d) des redevances de 160 000 $ payables en huit versements trimestriels; e) le paiement des honoraires d’avocat et d’autres frais; f) une commission d’engagement de 5 000 $. En plus de la lettre d’engagement, les parties avaient signé une convention d’affacturage, un billet et une convention de garantie générale, et des garanties personnelles avaient été accordées, à l’égard de la dette, jusqu’à concurrence de 500 000 $. Dès le départ, les parties ont convenu de déroger aux modalités de la convention d’affacturage. Le juge de première instance a prononcé, en faveur de l’intimée, un jugement déclaratoire portant que les modalités relatives à l’intérêt prévues par la convention contrevenaient à l’art. 347 du Code criminel et il a appliqué la « divisibilité fictive » (« notional severance ») afin de réduire le taux d’intérêt annuel effectif à 60 pour 100, de façon que la convention respecte l’art. 347. La Cour d’appel à la majorité a accueilli l’appel interjeté par l’intimée et a biffé la clause prévoyant les intérêts au taux de 4 pour 100 par mois, calculés quotidiennement et payables mensuellement à l’échéance, mais elle n’a pas touché aux autres paiements, qui, suivant le par. 347(2), constituaient des intérêts et correspondaient à un taux annuel effectif de 30,8 pour 100.

Arrêt (les juges Bastarache, Deschamps et Fish sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

Les juges Iacobucci, Major, Arbour et LeBel : Les divers paiements effectués par l’intimée, à l’exception de toute somme appliquée au remboursement du capital, correspondent à la définition d’« intérêt » au par. 347(2) et, globalement, donne un taux d’intérêt supérieur à celui autorisé par le Code. Les tribunaux peuvent, en droit, recourir à la divisibilité fictive comme réparation dans les litiges découlant de l’art. 347. La règle traditionnelle de la nullité ab initio des contrats qui contreviennent à un texte de loi n’est pas la solution que les tribunaux devraient nécessairement privilégier en cas de violations de l’art. 347. Dans de tels cas, ceux-ci devraient plutôt exercer leur pouvoir discrétionnaire et puiser parmi l’éventail des réparations dont ils disposent. À une extrémité du spectre des réparations disponibles, on trouve les contrats qui sont à ce point répréhensibles que leur illégalité les invalide entièrement — les arrangements de prêt usuraire abusifs et les autres contrats ayant un objet criminel devraient être déclarés nuls ab initio. À l’autre extrémité du spectre, on trouve les contrats qui, quoiqu’ils contreviennent à un texte de loi, ne sont par ailleurs pas répréhensibles. Les contrats de cette nature entraînent souvent l’application de la doctrine de la divisibilité. Dans chaque cas, pour déterminer l’endroit où se situe une affaire donnée sur ce spectre et les conséquences qui en découlent du point de vue de la réparation, il faut procéder à un examen minutieux du contexte contractuel précis et de l’illégalité en cause. S’il s’agit d’une affaire où le tribunal est justifié de retrancher uniquement les clauses de la convention de prêt qui haussent le taux d’intérêt effectif à plus de 60 pour 100, et s’il est admis, comme cela se doit, qu’une telle reformulation modifie la convention des parties, il ne reste qu’à choisir la technique appropriée d’application de la divisibilité. La technique à privilégier est celle qui, compte tenu du contexte particulier du contrat, remédie le mieux à l’illégalité tout en respectant, autant que faire se peut, l’intention exprimée par les parties dans la convention. La technique du « trait de crayon bleu » ne permet pas nécessairement d’obtenir ce résultat. Le changement apporté au moyen de cette technique modifie souvent de manière fondamentale la contrepartie en cause dans le marché et il fait violence à l’intention des parties. En effet, dans de nombreux cas l’application de la technique du trait de crayon bleu donne lieu à un prêt sans intérêts, alors même que les parties avaient manifesté dans leur convention l’intention évidente de percevoir et de payer, selon le cas, des intérêts considérables.

L’application de la divisibilité fictive à la convention des parties en l’espèce était bien fondée. Quatre facteurs sont pertinents pour décider si aucune considération d’ordre public n’empêche le tribunal d’ordonner l’exécution partielle d’une convention par ailleurs illégale, au lieu de déclarer celle-ci nulle ab initio en raison de l’illégalité du contrat : (1) la question de savoir si l’application de la divisibilité compromettrait l’objectif ou la politique générale visé par l’art. 347; (2) la question de savoir si les parties ont conclu la convention dans un but illégal ou dans une intention malveillante; (3) le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations; (4) la possibilité que le débiteur tire un profit injustifié de la solution choisie. Comme il s’agissait en l’espèce d’une opération commerciale conclue par des parties possédant l’expérience des affaires et ayant chacune consulté ses propres conseillers, il est difficile de voir en quoi le fait de choisir le taux de 30,8 pour 100 plutôt que celui de 60 pour 100 favorise davantage le respect de l’al. 347(1)a) du Code. Les autres facteurs militent eux aussi en faveur de l’application d’une réparation souple. Rien au dossier n’indique que l’appelante a été accusée d’avoir enfreint l’al. 347(1)a). Il s’agissait d’un contrat conclu à des fins commerciales ordinaires et l’intention des parties n’avait fondamentalement rien d’illégal ou de malveillant. Relativement au troisième facteur, il convient de signaler que chaque partie a consulté ses propres avocats, avait l’expérience des affaires et savait dans quoi elle s’engageait. Enfin, seule l’intimée pourrait en l’espèce être la bénéficiaire d’un profit injustifié, du fait qu’elle pourrait ne pas être obligée de rembourser le capital et de payer les intérêts ou qu’elle pourrait être dispensée de payer, à l’égard du prêt, un taux d’intérêt approprié d’un point de vue commercial. Étant donné que chaque partie a consulté ses propres conseillers juridiques et connaissait exactement les obligations qu’elle contractait, du point de vue de l’equity la situation est favorable à l’appelante.

Les juges Deschamps et Fish (dissidents) : La réparation bien établie du « trait de crayon bleu » appliquée par la Cour d’appel respecte comme il se doit les conclusions de fait du juge de première instance et produit un résultat équitable, en harmonie avec les principes reconnus. Le juge de première instance a à tort forcé les règles d’equity reconnues en utilisant ce qu’il a appelé la « divisibilité fictive ». Même en acceptant l’hypothèse que les tribunaux peuvent, en droit, recourir à la divisibilité fictive comme réparation dans les litiges découlant de l’art. 347 du Code, le recours à la divisibilité fictive ne devrait être autorisé que dans les cas où les conditions suivantes sont réunies : (1) aucune raison d’ordre public ne requiert que l’accord au complet soit déclaré inexécutoire; (2) la divisibilité est jugée justifiée; (3) la divisibilité pure et simple — ou « divisibilité au moyen du trait de crayon bleu » — n’est pas faisable ou produirait un résultat injuste. En l’espèce, à la lumière des faits constatés par le juge de première instance, les deux premières conditions sont respectées, mais la troisième ne l’est pas : la divisibilité au moyen du trait de crayon bleu est une solution à la fois possible et juste. Contrairement à la méthode de la divisibilité fictive, telle qu’elle a été appliquée par le juge de première instance, la divisibilité au moyen du trait de crayon bleu ne fait pas violence aux objectifs d’intérêt général visés par l’art. 347 du Code ni ne requiert du tribunal qu’il réécrive la clause relative aux intérêts dont ont convenu, en tant que telle, les parties. Il n’apparaît ni « artificiel » ni « arbitraire » de retrancher le taux d’intérêt criminel, convenu au titre de l’intérêt, et de maintenir les frais distincts, non stipulés comme de l’intérêt et non considérés comme de l’intérêt par l’une ou l’autre des parties. Cette solution permet malgré tout à l’appelante d’obtenir un rendement légèrement supérieur à 30 pour 100 par année. De plus, il semble que, examinées individuellement et appréciées globalement, les quatre considérations pertinentes militent en l’espèce en faveur de la réparation appliquée par la Cour d’appel et contre celle retenue par le juge de première instance. La décision de ce dernier a eu pour effet de forcer indûment les principes d’equity et d’envoyer un message inapproprié à ceux qui prêtent de l’argent à un taux interdit par le droit criminel à des emprunteurs « consentants », qui ne peuvent emprunter auprès de personne d’autre. Il ne faudrait pas laisser croire aux prêteurs que, même si leurs arrangements illégaux sont contrôlés par les tribunaux, ils pourront néanmoins obtenir le taux le plus élevé qu’ils auraient pu légalement imposer — et éviter en conséquence tout désavantage financier susceptible de découler de leur contravention à l’art. 347 du Code.

Le juge Bastarache (dissident) : La réparation ouverte dans les présentes circonstances est la divisibilité, au sens traditionnel, et non la « divisibilité fictive ». Il existe une différence fondamentale entre le fait de retrancher des clauses illégales d’un contrat et celui de reformuler une clause cruciale d’un contrat. Quoique les deux méthodes modifient d’une certaine manière l’intention des parties, la souplesse accrue que permet la reformulation s’accompagne toutefois d’un coût considérable et aucun principe du droit des contrats n’étaye le recours à cette méthode. À l’opposé, la divisibilité est une doctrine établie depuis longtemps. Le test du « trait de crayon bleu » a été appliqué à plusieurs reprises dans le contexte de violations de l’art. 347 du Code afin de supprimer des clauses relatives à l’intérêt contraires à la loi. Qui plus est, il n’existe aucune considération juridique ou autre raison de principe justifiant d’appliquer seulement aux taux d’intérêt criminels la nouvelle démarche à laquelle souscrit la majorité, ce qui signifie que d’autres clauses illégales pourraient être reformulées par les tribunaux. La possibilité de recourir à la « divisibilité fictive » comme réparation crée une incertitude encore plus grande en droit. La divisibilité fictive permettra concrètement aux tribunaux d’ajouter des mots nouveaux à la convention des parties et, ce faisant, de substituer leur volonté à celle des parties.

L’analyse adoptée par les juges majoritaires en l’espèce est incompatible avec celle retenue dans l’arrêt Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112, où notre Cour a interprété largement la définition d’intérêt afin d’empêcher les créanciers de contourner la loi en manipulant la forme des paiements. La démarche retenue par la majorité permettrait au créancier d’échapper aux conséquences des mesures qu’il a prises pour contourner la loi simplement en réduisant le taux d’intérêt au taux maximum permis par le Code. Cette approche est incompatible avec les objectifs généraux énoncés dans le Code et avec l’idée de dissuasion. De plus, il ne semble y avoir ici aucune raison impérieuse d’écarter une jurisprudence bien établie.

Enfin, la clause 9.1 de la convention d’affacturage reflète l’intention des parties en ce qui a trait à la réparation. Il est impossible d’affirmer que cette clause envisageait le recours à la divisibilité fictive — et encore moins qu’elle pourvoyait à son application. Vu le sens clair de cette clause, la concession de l’avocat quant à l’intention des parties et la lettre expédiée par l’avocat de l’appelante à l’intimée trois semaines après la signature de la lettre d’engagement, la technique du trait de crayon bleu adoptée par la Cour d’appel est tout à fait compatible avec l’intention des parties, alors que la divisibilité fictive ne l’est pas.


Parties
Demandeurs : Transport North American Express Inc.
Défendeurs : New Solutions Financial Corp.

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Arbour
Arrêt appliqué : William E. Thomson Associates Inc. c. Carpenter (1989), 61 D.L.R. (4th) 1
arrêts mentionnés : Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112
Still c. M.R.N., [1998] 1 C.F. 549
Cope c. Rowlands (1836), 2 M. & W. 149, 150 E.R. 707
Kocotis c. D’Angelo (1957), 13 D.L.R. (2d) 69
Bank of Toronto c. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603
Neider c. Carda de Rivière-la-Paix Ltée, [1972] R.C.S. 678
Mira Design Co. c. Seascape Holdings Ltd., [1982] 4 W.W.R. 97
Trillium Computer Resources Inc. c. Taiwan Connection Inc. (1993), 11 B.L.R. (2d) 1, conf. par (1994), 11 B.L.R. (2d) 1
Milani c. Banks (1997), 145 D.L.R. (4th) 55.
Citée par le juge Fish (dissident)
William E. Thomson Associates Inc. c. Carpenter (1989), 61 D.L.R. (4th) 1.
Citée par le juge Bastarache (dissident)
Still c. M.R.N., [1998] 1 C.F. 549
Cope c. Rowlands (1836), 2 M. & W. 149, 150 E.R. 707
Bank of Toronto c. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603
Steinberg c. Cohen, [1930] 2 D.L.R. 916
Hasiuk c. Oshanek, [1936] 1 D.L.R. 232
Carney c. Herbert, [1985] 1 All E.R. 438
McFarlane c. Daniell (1938), 38 S.R. 337
Attwood c. Lamont, [1920] 3 K.B. 571
Canadian American Financial Corp. (Canada) Ltd. c. King (1989), 60 D.L.R. (4th) 293
Mira Design Co. c. Seascape Holdings Ltd., [1982] 4 W.W.R. 97
Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112
Friedmann Equity Developments Inc. c. Final Note Ltd., [2000] 1 R.C.S. 842, 2000 CSC 34.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 347 [mod. 1992, ch. 1, art. 60, ann. 1, art. 25].
Doctrine citée
Fridman, G. H. L. The Law of Contract in Canada, 4th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1999.
Marsh, Norman S. « The Severance of Illegality in Contract » (1948), 64 L.Q.R. 230 and 347.
Waddams, S. M. The Law of Contracts, 4th ed. Toronto : Canada Law Book, 1999.
Ziegel, Jacob S. « Bill C‑44 : Repeal of the Small Loans Act and Enactment of a New Usury Law » (1981), 59 R. du B. can. 188.
Ziegel, Jacob S. « The Usury Provisions in the Criminal Code : The Chickens Come Home to Roost » (1986), 11 Rev. can. dr. comm. 233.

Proposition de citation de la décision: Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7 (12 février 2004)


Origine de la décision
Date de la décision : 12/02/2004
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2004 CSC 7 ?
Numéro d'affaire : 29355
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-02-12;2004.csc.7 ?
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