La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2002 | CANADA | N°2002_CSC_81

Canada | 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, 2002 CSC 81 (12 décembre 2002)


373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, [2002] 4 R.C.S. 312, 2002 CSC 81

Banque de Montréal Appelante

c.

Ernst & Young Inc., en qualité de séquestre et d’administrateur

de 373409 Alberta Ltd. et Province of Alberta Treasury Branches Intimées

Répertorié : 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal

Référence neutre : 2002 CSC 81.

No du greffe : 28607.

2002 : 1er octobre; 2002 : 12 décembre.

Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (2001), 198 D.L.R. (4th) ...

373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, [2002] 4 R.C.S. 312, 2002 CSC 81

Banque de Montréal Appelante

c.

Ernst & Young Inc., en qualité de séquestre et d’administrateur

de 373409 Alberta Ltd. et Province of Alberta Treasury Branches Intimées

Répertorié : 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal

Référence neutre : 2002 CSC 81.

No du greffe : 28607.

2002 : 1er octobre; 2002 : 12 décembre.

Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (2001), 198 D.L.R. (4th) 40, 92 Alta. L.R. (3d) 280, 277 A.R. 211, 13 B.L.R. (3d) 165, [2001] 7 W.W.R. 638, [2001] A.J. No. 341 (QL), 2001 ABCA 76, confirmant une décision de la Cour du Banc de la Reine. Pourvoi accueilli.

James K. McFadyen, pour l’appelante.

Douglas N. Tkachuk et Kelsey Becker, pour les intimées.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le juge Major — L’issue du présent pourvoi dépend de la réponse à la question : l’appelante Banque de Montréal (la « banque »), seule ou avec d’autres, a‑t‑elle agi de manière à infliger une perte financière aux intimées? L’appelante ayant agi comme elle y était dûment autorisée, la réponse est négative. Le pourvoi est accueilli avec dépens.

I. Les faits

2 Les parties s’entendent sur les faits. Douglas Lakusta était l’unique actionnaire et l’âme dirigeante de 373409 Alberta Ltd. (« 373409 ») et de Legacy Holdings Ltd. (« Legacy »). Les événements qui sont à l’origine du litige se sont produits après que 373409 eut conclu un contrat de garantie générale avec l’intimée Province of Alberta Treasury Branches, mais avant que l’intimée Ernst & Young Inc. ne soit nommée séquestre et administrateur de 373409.

3 M. Lakusta a reçu un chèque payable à l’ordre de 373409 pour la vente d’une automobile à une cliente de bonne foi, Mme Lea Sanderson. Il a modifié le libellé du chèque en y ajoutant « /Legacy », de façon que le preneur devienne « 373409 Alberta Ltd./Legacy ». Il a ensuite déposé le chèque au compte de Legacy à la banque appelante. Le chèque n’était pas endossé. La banque a crédité le compte de Legacy du montant du chèque, et M. Lakusta a ensuite retiré la somme.

4 Subséquemment, 373409 a fait l’objet d’une liquidation, et son séquestre et administrateur a intenté une action pour détournement contre la banque, lui reprochant d’avoir accepté le dépôt au compte de Legacy du chèque non endossé payable à l’ordre de 373409.

II. Décisions dont appel

5 La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a statué que la banque était responsable de détournement vis‑à‑vis du séquestre et administrateur de 373409 parce qu’elle avait porté au crédit de Legacy le montant du chèque sans que celui‑ci n’ait été endossé et négocié par 373409 conformément aux dispositions de la Loi sur les lettres de change, L.R.C. 1985, ch. B‑4 (la « Loi »). Le juge de première instance a également conclu que la banque ne pouvait se prévaloir du moyen de défense prévu au par. 165(3) de la Loi, le chèque n’ayant pas été déposé au compte d’une « personne » au sens de cette disposition.

6 Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont rejeté l’appel ((2001), 198 D.L.R. (4th) 40). Le juge Girgulis (ad hoc) (avec l’accord du juge McClung) a fait siens les motifs du juge de première instance, et a conclu que la banque était responsable de détournement et ne pouvait invoquer le par. 165(3) de la Loi. Dissidente, madame le juge Conrad a estimé qu’il n’y avait pas eu détournement, le dépôt ayant été effectué par une personne qui avait légitimement droit au chèque et qui était autorisée à le négocier, malgré l’absence d’endossement formel.

III. Les questions en litige

7 1. La banque s’est‑elle rendue coupable de détournement vis‑à‑vis du séquestre et administrateur de 373409 en portant le montant du chèque au crédit du compte de Legacy, comme l’y avait autorisée M. Lakusta, l’unique actionnaire et l’âme dirigeante de 373409?

2. Dans l’affirmative, la banque peut‑elle se prévaloir du moyen de défense prévu au par. 165(3) de la Loi?

IV. L’analyse

A. Le délit de détournement

8 Le délit de détournement « comporte une ingérence illégitime dans les objets appartenant à autrui, comme le fait de prendre, utiliser ou détruire ces objets d’une façon incompatible avec le droit de possession de leur propriétaire » : Boma Manufacturing Ltd. c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [1996] 3 R.C.S. 727, le juge Iacobucci, par. 31. Il est depuis longtemps établi que le détenteur légitime d’un chèque peut intenter une action pour détournement contre la personne qui l’en a dépossédé illégitimement : Crawford et Falconbridge : Banking and Bills of Exchange (8e éd. 1986), vol. 2, p. 1386 (« Crawford et Falconbridge »). Le délit en question en est un de stricte responsabilité, et bien que la dépossession doive résulter de l'acte intentionnel du défendeur, « l'on ne peut donc opposer, comme moyen de défense, que l'acte illégitime a été accompli en toute innocence » : Boma, précité, par. 31.

9 Le droit de possession du propriétaire comprend le droit d’autoriser autrui à agir d’une manière donnée à l’égard de son bien. Partant, agir à l’égard d’un bien d’une manière autorisée par son propriétaire légitime est compatible avec le droit de possession de ce dernier et n’équivaut pas à une ingérence illégitime. Le principe est bien énoncé dans l’ouvrage de R. D. Bowers, intitulé A Treatise on the Law of Conversion (1917), par. 10 :

[traduction] Signalons que la dépossession doit être fautive, car il ne peut y avoir de délit sans faute ni, par conséquent, de détournement. Pour qu’elle soit fautive, elle doit intervenir sans aucune approbation ni aucun assentiment, exprès ou tacite, du propriétaire. Lorsque ce dernier accorde à un tiers la possession de son bien ou l’autorise à le posséder, celui qui s’en tient à cette utilisation du bien ou qui n’exerce à son égard que le pouvoir qui lui a été conféré ne peut être tenu délictuellement responsable de détournement. En d’autres termes, l’ingérence légitime à l'égard du bien d’autrui ne saurait constituer un détournement. [Notes en bas de page omises.]

Ce principe est repris dans l’ouvrage de A. Grubb, dir., intitulé The Law of Tort (2002), par. 11.170 :

[traduction] Une action pour détournement d’un bien ou atteinte à sa possession ne peut être intentée lorsqu’il y a eu consentement à l’ingérence : la nature de ce délit suppose une ingérence illégitime à l’égard du bien, et une ingérence consensuelle ne saurait être illégitime. Le consentement peut être exprès, comme dans un contrat ou une convention de bail ou de location, ou il peut être déduit des circonstances. [Souligné dans l’original.]

10 Dans Boma, précité, les faits étaient totalement différents de ceux de la présente espèce. Une comptable avait fraudé les sociétés pour lesquelles elle travaillait en émettant une série de chèques frauduleux payables à diverses personnes. La banque d’encaissement avait déposé le montant des chèques frauduleux au compte de la comptable. Le juge Iacobucci a cité (au par. 36) en l’approuvant l’extrait suivant de Crawford et Falconbridge, p. 1386 :

[traduction] On a conclu, à maintes reprises, qu’une banque détourne un effet si elle le négocie sur l’ordre d’une personne non autorisée, en l’encaissant ou, semble‑t‑il (quoique cela n’ait pas été encore tranché) en le payant et, dans un cas comme dans l’autre, en remettant le montant à une personne autre que celle qui y a légitimement droit. [Notes en bas de page omises.]

Il ne peut donc y avoir détournement par une institution prêteuse que si le chèque a été payé à une autre personne que son détenteur légitime et que ce dernier n’a pas autorisé ce paiement. Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, il n’y a pas de délit. Dans Boma, précité, le juge Iacobucci a conclu au par. 40 que la comptable avait outrepassé les pouvoirs que lui avaient conférés les sociétés pour lesquelles elle travaillait. La banque avait donc agi sans l’autorisation des sociétés qui avaient légitimement droit aux montants des chèques et elle les avait ainsi dépossédées de leurs droits. Par conséquent, la banque a été jugée responsable à première vue de détournement pour avoir déposé le montant des chèques au compte de la comptable.

11 Les intimées invoquent l’arrêt Toronto‑Dominion Bank c. Dauphin Plains Credit Union Ltd. (1992), 98 D.L.R. (4th) 736, de la Cour d’appel du Manitoba. Les faits s’apparentent à ceux de la présente affaire : l’unique actionnaire d’une société qui tentait d’échapper à ses créanciers avait déposé à son propre compte deux chèques non endossés payables à l’ordre de la société. La Cour d’appel est arrivée à la conclusion que la coopérative d’épargne et de crédit qui avait encaissé les chèques était responsable envers le séquestre et administrateur du preneur des chèques. Cette décision est peu pertinente en l’espèce puisqu’il ne s’agissait pas d’une action pour détournement et que la Cour d’appel ne paraît pas s’être penchée, de son propre chef ou à la demande d’une partie, sur la question de savoir si les actes de la coopérative d’épargne et de crédit avaient été autorisés par le preneur légitime, malgré l’absence d’endossement par celui‑ci.

12 Aux fins du présent pourvoi, il est reconnu que, si elles n’étaient pas autorisées, les opérations effectuées par la banque relativement au chèque de 373409 équivalent à un détournement. Avant que M. Lakusta ne présente le chèque à la banque, 373409 en était le détenteur légitime et avait droit à son montant. La modification du libellé du chèque par M. Lakusta n’a eu aucun effet sur le droit de 373409 d’en toucher, seule, le montant. Le dépôt du chèque au compte de Legacy a dépossédé 373409 de son droit. La question est de savoir si la banque était autorisée par 373409 à agir comme elle l’a fait, privant ainsi 373409 du montant du chèque. Si 373409 avait autorisé la banque à déposer le chèque au compte de Legacy, alors les actes de la banque ne peuvent être assimilés à une ingérence illégitime et la banque ne peut être tenue responsable de détournement puisqu’elle a agi avec l’autorisation du propriétaire véritable du chèque.

13 Les intimées font essentiellement valoir que seul l’endossement en bonne et due forme du chèque aurait conféré à la banque l’autorisation nécessaire. Selon elles, M. Lakusta devait endosser le chèque conformément à la Loi. Sans un tel endossement, les instructions expresses que M. Lakusta a données à la banque n’emportaient pas l’autorisation de payer le chèque. Le juge de première instance et les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont été de cet avis. Au paragraphe 6 de ses motifs, la Cour d’appel dit que [traduction] « la banque ne peut soutenir que M. Lakusta avait l’autorisation de la société à dénomination numérique sans avoir obtenu, dans les faits, un endossement le confirmant ». En toute déférence, il s’agit d’une conclusion erronée en ce qu’elle fait fi des droits de possession découlant de la propriété du chèque.

14 Dans Boma, précité, le juge Iacobucci a dit au par. 30 qu’« [u]ne personne obtient le titre sur une lettre par négociation ». Il y a négociation lorsqu’une partie cède à une autre son droit sur une lettre de change. Aux termes du par. 59(3) de la Loi, « [l]a lettre payable à ordre se négocie par endossement du détenteur ». L’endossement est donc le mécanisme formel par lequel le détenteur d’une lettre de change payable à ordre cède à un tiers son droit sur cette lettre de change.

15 Toutefois, la question qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir si 373409 a cédé à Legacy son droit sur le chèque, mais bien si la banque a payé le chèque avec l’autorisation de 373409. Si les actes de la banque étaient autorisés par 373409, il n’y a pas eu d’ingérence illégitime. La faculté du propriétaire d’autoriser autrui à accomplir un acte à l’égard de son bien est essentielle à son droit de possession. Les dispositions de la Loi ne limitent aucunement la faculté du propriétaire d’un chèque de déléguer ce pouvoir. Le propriétaire légitime d’un bien, y compris une lettre de change, peut autoriser une autre personne à accomplir un acte à l’égard de ce bien même s’il n’y a pas cession formelle de droit.

16 En conséquence, la réponse à la question de savoir si 373409 a négocié le chèque et procédé à une cession de droit au bénéfice de Legacy ne permet pas de décider si 373409 a autorisé la banque à agir comme elle l’a fait à l’égard du chèque. Le propriétaire d’un chèque peut autoriser une autre personne à l’encaisser et à en transférer le montant à un tiers. L’octroi de ce pouvoir ne dépend pas de l’existence d’une cession de droit conforme aux exigences de la Loi.

17 Comme le signale madame le juge Conrad, au par. 37 de ses motifs de dissidence, une banque court un risque important lorsqu’elle accepte de déposer au compte d’un client le chèque non endossé d’un tiers. L’endossement est le mécanisme formel qui permet à la banque de s’assurer qu’elle est autorisée à déposer le montant du chèque au compte d’un client. Toutefois, lorsque le propriétaire légitime a de fait autorisé la banque à payer le chèque, l’absence d’endossement n’a pas pour effet d’annuler cette autorisation. En d’autres termes, le juge Conrad conclut au par. 49 que le fait, pour la banque, [traduction] « de courir ce risque [. . .] ne constitue pas en soi un détournement ».

18 Dans la présente affaire, M. Lakusta a donné à la banque l’instruction de déposer le montant du chèque payable à 373409 au compte de Legacy. En sa qualité d’unique propriétaire de 373409, M. Lakusta pouvait, comme il l’a fait, autoriser la banque à payer le chèque libellé à l'ordre de 373409, de sorte que la banque n’a joué aucun rôle dans le détournement. Il va sans dire que si M. Lakusta n’avait pas agi pour le compte de 373409, la banque n’aurait pas eu l’autorisation de payer le chèque et aurait pu être tenue responsable de détournement pour avoir dépossédé 373409 du montant du chèque.

19 Il ne fait aucun doute que l’acte qu’a accompli M. Lakusta en donnant à la banque l’instruction de déposer le chèque au compte de Legacy peut être imputé à 373409 et tenu pour autorisé par cette dernière. Voir Lennard’s Carrying Co. c. Asiatic Petroleum Co., [1915] A.C. 705 (H.L.), le vicomte Haldane, lord chancelier, p. 713 :

[traduction] . . . une compagnie est une abstraction. Dénuée de corps et d’esprit, sa volonté ne peut se manifester que par l’intermédiaire d’une personne qui, à certaines fins, peut être appelée un mandataire, mais qui est en réalité l’âme dirigeante de ladite compagnie, l’incarnation même de celle‑ci. Cette personne peut relever des actionnaires réunis en assemblée générale; dans d’autres cas, l’âme dirigeante peut être le conseil d’administration lui‑même . . .

20 En l’espèce, M. Lakusta était l’unique actionnaire, administrateur et dirigeant de 373409. Il était la seule personne susceptible d’en être l’âme dirigeante et il en était l’« incarnation même ». En qualité d’unique actionnaire et administrateur de la société, il était pleinement habilité à déléguer des pouvoirs aux mandataires de la société. Il était l’unique dirigeant de la société et son seul mandataire. Partant, toute mesure qu’il a prise à titre de mandataire de 373409 doit être réputée autorisée par la société. La seule conclusion qui peut être tirée à partir de la preuve est que M. Lakusta, en qualité d’actionnaire et d’administrateur, a autorisé M. Lakusta, en qualité de dirigeant, à déposer les fonds de 373409 au compte de Legacy.

21 En Cour d’appel, madame le juge Conrad, dissidente, s’est rangée à cet avis. Les juges majoritaires ont fondé leur décision sur l’invalidité de l’endossement et ont conclu, au par. 14, qu’il n’était pas nécessaire de se demander si le pouvoir de M. Lakusta de transférer les fonds pour le compte de 373409 était compromis par le fait qu’il [traduction] « retirait l’argent au preneur légitime, la société à dénomination numérique, et l’utilisait indûment au bénéfice de l’autre société ou à ses propres fins ».

22 Dans Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662, p. 713, notre Cour a statué que, lorsqu’un acte criminel « est complètement frauduleux envers la compagnie employeur, que cet acte était censé profiter exclusivement au directeur employé et que tel a été le résultat », cet acte ne peut être imputé à la société. En l’espèce, le détournement des fonds de 373409 au bénéfice de Legacy peut fort bien avoir été préjudiciable aux créanciers de la société. Cependant, M. Lakusta n’a pas commis de fraude vis‑à‑vis de la société elle‑même. Comme il a ordonné le dépôt des fonds au compte de Legacy, avec la pleine autorisation de l’unique actionnaire et administrateur de 373409, c’est‑à‑dire lui‑même, cette mesure ne constituait pas une fraude à l’égard de 373409.

23 Bien qu’il ait été répréhensible de la part de la société de détourner les fonds au détriment de ses créanciers, M. Lakusta avait le pouvoir de gérer les fonds en question pour le compte de la société. Le caractère préjudiciable de l’acte d’un dirigeant, vis‑à‑vis d’un tiers, n’empêche pas d’attribuer cet acte à la personne morale. Par exemple, une société peut être tenue responsable des actes criminels de ses mandataires, comme dans Dredge & Dock, précité. La question fondamentale en ce qui a trait à l’imputation est de savoir si l’acte du mandataire relevait des pouvoirs délégués par la société. M. Lakusta ayant agi dans les limites du mandat que lui a confié 373409, l’ordre donné à la banque de déposer le chèque au compte de Legacy doit être imputé à la société.

24 Par l’entremise de M. Lakusta, 373409 a autorisé la banque, comme elle avait le droit de le faire, à déposer le chèque au compte de Legacy. Il n’y a donc pas eu, de la part de la banque, d’ingérence illégitime, puisqu’elle n’a pas agi, à l’égard du chèque de 373409, d’une manière incompatible avec les instructions de 373409. Partant, la banque ne peut être tenue responsable du détournement du montant du chèque vis‑à‑vis du séquestre et administrateur de 373409.

B. Le paragraphe 165(3) de la Loi

25 Vu la conclusion tirée, il est inutile de décider si la banque peut invoquer le moyen de défense prévu au par. 165(3) de la Loi en réponse à l’allégation de détournement.

V. Conclusion

26 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens et d’annuler les jugements de la Cour d’appel de l’Alberta et de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Parlee McLaws, Edmonton.

Procureurs des intimées : Reynolds Mirth Richards & Farmer, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : 2002 CSC 81 ?
Date de la décision : 12/12/2002
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Banques et opérations bancaires - Lettres de change - Détournement - L'unique actionnaire et l'âme dirigeante des sociétés A et B a modifié le libellé du chèque payable à A en y ajoutant B en qualité de preneur - La banque a accepté le chèque non endossé pour le déposer au compte de B et l'actionnaire a par la suite retiré les fonds - La banque est‑elle responsable de détournement?.

L était l'unique actionnaire, l'administrateur et le directeur de deux sociétés, A et B. L a reçu un chèque payable à l'ordre de A, dont il a modifié le libellé en y ajoutant B en qualité de preneur. L n'a pas endossé le chèque et il a déposé le chèque modifié au compte de B à la banque appelante. La banque a crédité le compte de B du montant du chèque et L a ensuite retiré la somme. Subséquemment, A a fait l'objet d'une liquidation, et son séquestre et administrateur a intenté une action pour détournement contre la banque parce qu'elle avait accepté le dépôt au compte de B d'un chèque non endossé. Le juge de première instance a statué que la banque était responsable de détournement et qu'elle ne pouvait se prévaloir du moyen de défense prévu au par. 165(3) de la Loi sur les lettres de change. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont confirmé cette décision.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

La question en l'espèce n'est pas de savoir si A a cédé à B son droit sur le chèque, mais bien si la banque a payé le chèque avec l'autorisation de A. Il ne peut y avoir détournement par une institution prêteuse que si le chèque a été payé à une autre personne que son détenteur légitime et que ce dernier n'a pas autorisé ce paiement. Si l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, il n'y a pas de délit. En l'espèce, par l'entremise de L, A a autorisé la banque, comme elle avait le droit de le faire, à déposer le chèque au compte de B. Il n'y a donc pas eu, de la part de la banque, d'ingérence illégitime à l'égard du chèque de A puisqu'elle n'a pas agi d'une manière incompatible avec les instructions de A. Partant, la banque ne peut être tenue responsable du détournement du montant du chèque vis‑à‑vis du séquestre et administrateur de A. Bien qu'il ait été répréhensible de la part de A de détourner les fonds au détriment de ses créanciers, L avait le pouvoir de gérer les fonds en question pour le compte de A.


Parties
Demandeurs : 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de)
Défendeurs : Banque de Montréal

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Boma Manufacturing Ltd. c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [1996] 3 R.C.S. 727
Toronto‑Dominion Bank c. Dauphin Plains Credit Union Ltd. (1992), 98 D.L.R. (4th) 736
Lennard’s Carrying Co. c. Asiatic Petroleum Co., [1915] A.C. 705
Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662.
Lois et règlements cités
Loi sur les lettres de change, L.R.C. 1985, ch. B‑4, art. 59(3), 165(3).
Doctrine citée
Bowers, Renzo D. A Treatise on the Law of Conversion. Boston : Little, Brown, 1917.
Crawford and Falconbridge : Banking and Bills of Exchange : A Treatise on the Law of Banks, Banking, Bills of Exchange and the Payment System in Canada, vol. 2, 8th ed. by Bradley Crawford. Toronto: Canada Law Book, 1986.
Grubb, Andrew, ed. The Law of Tort. London : Butterworths LexisNexis, 2002.

Proposition de citation de la décision: 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, 2002 CSC 81 (12 décembre 2002)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2002-12-12;2002.csc.81 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award