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14/12/2000 | CANADA | N°2000_CSC_64

Canada | Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville), 2000 CSC 64 (14 décembre 2000)


Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville), [2000] 2 R.C.S. 919

Pacific National Investments Ltd. Appelante

c.

La Corporation de la ville de Victoria Intimée

et entre

La Corporation de la ville de Victoria Appelante

c.

Pacific National Investments Ltd. Intimée

Répertorié: Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville)

Référence neutre: 2000 CSC 64.

No du greffe: 27006.

2000: 25 mai; 2000: 14 décembre.

Présents: Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.<

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en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’app...

Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville), [2000] 2 R.C.S. 919

Pacific National Investments Ltd. Appelante

c.

La Corporation de la ville de Victoria Intimée

et entre

La Corporation de la ville de Victoria Appelante

c.

Pacific National Investments Ltd. Intimée

Répertorié: Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville)

Référence neutre: 2000 CSC 64.

No du greffe: 27006.

2000: 25 mai; 2000: 14 décembre.

Présents: Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1998), 58 B.C.L.R. (3d) 390, 165 D.L.R. (4th) 577, [1999] 7 W.W.R. 265, 112 B.C.A.C. 161, 182 W.A.C. 161, 1 M.P.L.R. (3d) 58, [1998] B.C.J. No. 2302 (QL), qui a accueilli l’appel de la ville contre une décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, [1996] B.C.J. No. 2523 (QL). Pourvoi principal rejeté, les juges Major, Bastarache et Binnie sont dissidents. Pourvoi incident rejeté.

L. John Alexander et Charles Edward Hanman, pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.

Guy McDannold, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident.

Version française du jugement des juges Gonthier, Iacobucci, Arbour et LeBel rendu par

Le juge LeBel —

I. Introduction

1 Le droit foncier peut sembler un sujet aride, rébarbatif et peu à la mode. Cependant, il fait parfois intervenir de grandes questions d’ordre public et les principes de régie municipale, comme nous le verrons dans le présent pourvoi.

2 Le présent litige concerne des terrains situés dans le port intérieur de Victoria et autour de celui-ci. Les parties ont vigoureusement débattu la question de savoir, en fin de compte, si la ville de Victoria pouvait vendre un type de zonage ou, à tout le moins, s’engager à maintenir le zonage d’un bien‑fonds particulier. Elles ont également traité de l’application d’un paragraphe obscur de la Land Title Act, R.S.B.C. 1979, ch. 219, par. 108(2), qui pouvait avoir privé l’intimée au pourvoi incident de tout droit sur le bien en cause. Après avoir exposé les faits du pourvoi et les décisions rendues par les tribunaux d’instance inférieure, j’examinerai ces questions et les motifs pour lesquels le pourvoi principal et le pourvoi incident doivent être rejetés tous les deux. En fait, j’en arrive à la conclusion que toute autre décision irait à l’encontre du libellé, de l’historique et de l’objet de la législation de la Colombie‑Britannique relative aux titres fonciers et à l’administration municipale, et pourrait mettre en péril les principes établis depuis longtemps par la jurisprudence en matière de droit municipal.

II. Les faits

3 De 1911 jusque dans les années 70, les «terres Songhees», qui appartenaient à la province de la Colombie-Britannique et qui étaient situées autour du port intérieur de Victoria, étaient louées à diverses parties pour des fins industrielles. Au cours des années 80, la province a voulu réaménager ce secteur. Elle a entamé des discussions avec la ville de Victoria et, en 1984, cette dernière a publié un plan conceptuel d’aménagement. En 1986, la province a cédé le contrôle du bien‑fonds à la société d’État qui allait devenir la British Columbia Enterprise Corporation («BCEC»).

4 Le 28 août 1987, la Ville et la BCEC ont conclu un accord‑cadre appelé le «Songhees Master Agreement» (l’«accord‑cadre»). Aux termes de cet accord‑cadre, la BCEC aménagerait elle‑même quelques‑uns des terrains situés dans le secteur appelé «phase I», et vendrait à un promoteur immobilier d’autres terrains d’une superficie d’environ 22 acres, situés dans le secteur appelé «phase II». Peu après, l’accord-cadre a été approuvé officiellement lors d’une réunion du conseil municipal. Il a été enregistré à titre d’engagement de ne pas faire en vertu de l’art. 215 de la Land Title Act vraisemblablement, comme cela a été expliqué au cours des plaidoiries, pour que la BCEC s’assujettisse aux pouvoirs de la Ville de réglementer l’utilisation du sol (auxquels elle échapperait normalement en tant que partie du gouvernement provincial).

5 En même temps, après deux années de planification, la Pacific National Investments Ltd. («PNI») négociait avec la BCEC en vue d’acquérir la phase II afin d’y procéder à un aménagement commercial et résidentiel. Aux termes du contrat d’achat, les droits et obligations que l’accord‑cadre attribuait à la BCEC étaient transférés à la PNI, en sa qualité de successeur de la BCEC. Cela signifiait que la PNI respecterait les engagements de la BCEC notamment au sujet de l’aménagement de routes, d’espaces verts, d’une digue et de sentiers pour piétons. La PNI prévoyait aménager éventuellement, sur deux plans d’eau projetés dans la phase II, des ouvrages de trois étages reposant sur des plates‑formes. Comme l’a conclu le juge de première instance ([1996] B.C.J. No. 2523 (QL), au par. 22), le montant que la PNI payerait pour le bien‑fonds dépendrait manifestement de la nature des aménagements qu’elle pourrait entreprendre. Le contrat en vertu duquel la PNI achèterait le bien‑fonds de la BCEC ne serait exécutoire que si la Ville approuvait la division de la phase II en cinq lots et adoptait le zonage nécessaire.

6 La Ville approuva le plan de lotissement et adopta le zonage qui donnerait à la PNI la possibilité d’aménager le bien‑fonds tel que prévu, puisqu’il permettait la construction d’ouvrages de trois étages à des fins commerciales et résidentielles sur les plans d’eau projetés. En 1988, la PNI déposa le plan de lotissement 47008, selon lequel la phase II serait divisée en cinq lots, dont les lots 3 et 4 qui représentent les deux plans d’eau ayant fait l’objet de tant de débats en l’espèce. Les lots 3 et 4 étaient en grande partie recouverts d’eau au moment du dépôt du plan de lotissement et à toute autre époque pertinente. Un espace vert et une aire réservée à l’aménagement de routes étaient situés immédiatement au nord. Étant donné que les biens‑fonds réservés à l’aménagement de parcs et de routes étaient réservés à l’État, les lots 3 et 4 étaient de ce fait contigus à des terres publiques. La ville de Victoria a répondu à la réclamation de la PNI que les particularités de la situation de ces lots avaient déclenché l’application d’une disposition spéciale, soit le par. 108(2), de la Land Title Act au moment où la PNI avait déposé le plan de lotissement. La Ville était d’avis que l’application du par. 108(2) aurait entraîné la réversion de la propriété des lots à l’État à la suite du dépôt du plan de lotissement.

7 Quoi qu’il en soit, les travaux d’aménagement initiaux de la PNI n’ont pas été effectués sur les lots 3 et 4. La PNI a d’abord procédé à l’aménagement paysager des parcs et à l’exécution des autres travaux de viabilisation auxquels elle était tenue. Elle a construit des condominiums dans la partie sud du lot 2 et a procédé à l’aménagement des lots 1 et 5, les autres biens‑fonds littoraux. Aucun immeuble n’a été érigé sur les plans d’eau. Comme le juge de première instance l’a conclu au par. 41, la vente des lots 1 et 5 ainsi que de la partie aménagée du lot 2 a permis à la PNI de récupérer environ 7 millions de dollars, comparativement aux 5 millions de dollars déjà déboursés pour acquérir tous les terrains de la phase II; autrement dit, la PNI avait déjà réalisé un profit de 40 pour 100 sans compter les terrains qui n’étaient pas encore vendus.

8 La construction par la PNI d’immeubles résidentiels au coeur de parcs paysagés et près de la nouvelle digue créa un environnement tranquille et paisible. Les résidants et les visiteurs pouvaient se prélasser dans les parcs et se promener sur la digue pour admirer les couchers de soleil.

9 Comme le juge de première instance l’a souligné au par. 17, il n’était donc pas étonnant que les personnes qui jouissaient de cet oasis de tranquillité se soient opposées aux plans que la PNI avait soumis pour les lots 3 et 4. Environ cinq ans après que la PNI eut fait l’acquisition du bien‑fonds et commencé l’aménagement des autres lots, l’architecte de la PNI avait conçu des immeubles de trois étages, reposant sur des dalles de béton, qui seraient construits sur les plans d’eau. La construction de tels immeubles était permise en vertu du règlement de zonage municipal de 1987. Les dalles de béton reposeraient sur des pieux enfoncés dans le lit du port. Avec son projet d’aménagement de restaurants et d’autres établissements commerciaux, et de construction d’un autre ensemble résidentiel, la PNI voulait faire du secteur riverain un lieu achalandé, bruyant et débordant d’activités.

10 En prenant connaissance de ces plans de nature à transformer la façade portuaire à laquelle il était habitué, le public a commencé à exprimer son mécontentement. Des citoyens ont fait part de leurs inquiétudes à leurs représentants élus au conseil municipal. Celui-ci, avec la dissidence d’un seul de ses membres, décida, le 26 août 1993, de modifier le zonage des plans d’eau afin d’y interdire la construction d’un autre ensemble résidentiel et de limiter à un étage la hauteur des immeubles qui y seraient érigés. En appliquant de nouvelles restrictions, le conseil déclara qu’il tentait d’établir un équilibre conforme aux valeurs et aux intérêts de la collectivité de 1993 et que, ce faisant, il n’était pas lié par le zonage adopté par un conseil antérieur.

11 En raison de l’incidence importante que cette modification de zonage aurait sur ses intentions relatives à ces lots, la PNI a soutenu qu’elle contrevenait aux obligations implicites qui incombaient à la Ville aux termes de l’accord‑cadre, et ainsi aux droits que la PNI possédait, à titre de successeur de la BCEC, en vertu du même accord. La PNI a donc intenté une action pour inexécution de contrat. Subsidiairement, elle a demandé la restitution pour enrichissement sans cause à l’égard des parcs et des autres installations qu’elle avait aménagés et dont la Ville bénéficierait. En raison de l’importance des questions qui y étaient soulevées, la présente affaire s’est finalement retrouvée devant notre Cour.

III. L’historique des procédures judiciaires

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, [1996] B.C.J. No. 2523 (QL)

12 Lors du procès qui s’est déroulé devant le juge Mackenzie de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, la PNI a réclamé de la Ville des dommages‑intérêts pour inexécution de contrat ou, subsidiairement, une restitution pour enrichissement sans cause. Après avoir examiné une question préliminaire, le juge de première instance a statué que la Ville était tenue de verser des dommages‑intérêts et n’a donc pas examiné l’argumentation subsidiaire sur la restitution.

13 Pour répondre à une question préliminaire soulevée lors d’un voir-dire, la Ville a plaidé que le par. 108(2) de la Land Title Act avait eu pour effet d’attribuer à la province les lots 3 et 4 au moment où la PNI avait déposé son plan de lotissement au bureau d’enregistrement foncier. Cela signifiait que la PNI ne possédait même pas le bien‑fonds à l’origine de son action contre la Ville. Le juge de première instance a rejeté cet argument, après avoir conclu que le par. 108(2) s’appliquait non pas à des secteurs compris dans des lots figurant sur le plan de lotissement, mais uniquement au reste du bien‑fonds visé par le droit de propriété. Il ne s’appliquait donc pas aux lots 3 et 4.

14 Quant à la question contractuelle, le juge de première instance était disposé à trancher en faveur de la PNI. Malgré l’inexistence d’une clause expresse en ce sens, il a estimé qu’il était nécessairement implicite dans l’accord‑cadre que le zonage municipal serait maintenu pendant un délai raisonnable. Une telle clause implicite n’obligeait pas les futurs conseils à maintenir un zonage particulier, mais voulait simplement qu’un futur conseil soit tenu de verser des dommages‑intérêts s’il violait cette stipulation contractuelle. En décidant qu’il convenait de conclure à l’existence de cette clause implicite, le juge de première instance a tenu compte des raisons de principe selon lesquelles [traduction] «[d]ans la mesure où la certitude diminue le risque commercial, elle réduit les coûts d’aménagement» (par. 39), et [traduction] «[l]es membres du conseil [. . .] étaient les mieux placés pour évaluer les mentalités et le risque que ces dernières changent pendant l’exécution d’un projet d’aménagement qui doit se prolonger pendant un certain temps» (par. 40). Le juge de première instance a conclu que, dans les circonstances, la PNI avait agi dans un délai raisonnable. Il a rejeté tout argument que la Ville n’avait pas à verser des dommages‑intérêts si elle rompait un contrat. Dans ses motifs écrits, il a donc conclu à la responsabilité de la Ville pour inexécution de contrat.

15 Le juge de première instance n’a tiré aucune conclusion sur la question du montant des dommages‑intérêts qui, selon lui, n’était toujours pas réglée, ni sur la demande subsidiaire de restitution pour enrichissement sans cause.

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1998), 58 B.C.L.R. (3d) 390

16 Le juge Esson a rédigé les motifs unanimes de la Cour d’appel. Il a infirmé le jugement de première instance et renvoyé l’affaire à procès sur la question résiduelle de la restitution pour enrichissement sans cause.

17 Dans l’arrêt, le juge Esson a d’abord dû examiner la tentative de la Ville de relancer l’argument du par. 108(2) qui avait été avancé lors du voir-dire. Compte tenu des principes de l’intangibilité des titres, il s’en est fallu de peu qu’il affirme que la Ville n’avait pas qualité pour avancer ce moyen. Quoi qu’il en soit, la Ville n’a pas eu gain de cause quant au fond de cette question. Le juge Esson a estimé que le texte obscur du par. 108(2) visait la récupération de l’estran cédé antérieurement et ne s’appliquait donc pas à l’affaire en cause. En fait, il était d’avis que toute application du par. 108(2) entraînerait un résultat absurde et inique en l’espèce. Par conséquent, la Cour d’appel a rejeté l’argument de la Ville sur ce point et a même accordé des dépens spéciaux pour montrer le peu d’importance accordé à cet argument.

18 Au sujet de la question contractuelle, le juge Esson a d’abord mentionné le principe fondamental selon lequel un conseil municipal ne saurait lier les conseils qui le suivront. En Colombie‑Britannique, des mesures législatives antérieures, qui comportaient des dispositions particulières permettant à une municipalité de faire exactement cela dans certaines circonstances, avaient été abrogées. En l’absence d’une telle mesure législative, il convenait d’interpréter les pouvoirs municipaux de manière à ce que le conseil municipal d’aujourd’hui ne puisse pas lier de futurs citoyens. Se fondant sur les affaires Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, [1955] 2 D.L.R. 709 (C.A.C.‑B.), et Ingledew’s Ltd. c. City of Vancouver (1967), 61 D.L.R. (2d) 41 (C.S.C.‑B.), le juge Esson a statué que le seul fait de prévoir que la Ville serait tenue de verser des dommages‑intérêts pouvait effectivement lier une future administration municipale. Le juge Esson a conclu que la Ville n’avait pas compétence pour lier de futurs conseils dans un contexte comme celui de la soi-disant clause implicite.

19 De plus, le juge Esson était d’avis que le par. 972(1) de la Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290, empêchait d’intenter contre une municipalité des actions fondées sur les changements de valeur résultant d’une modification de zonage. Le législateur avait établi une exception à cette règle au par. 972(2). Il aurait pu créer d’autres exceptions, mais il ne l’a pas fait. Cela étayait d’autant plus le point de vue du juge Esson, selon lequel l’économie de la mesure législative militait contre l’idée que la responsabilité d’un conseil municipal soit engagée en vertu de clauses implicites comme celle dont il est question en l’espèce. Le juge Esson considérait qu’il appartenait au législateur de trancher de telles questions de politique générale.

20 Le juge Esson a alors conclu qu’il était douteux que s’engager par contrat à ne pas modifier le zonage soit intra vires. Cependant, il a préféré fonder sa décision sur la question de savoir si la soi‑disant clause implicite était vraiment implicite. Selon son interprétation du dossier, il avait été reconnu, au cours du processus de négociation, que la Ville conserverait en fin de compte le contrôle de certaines matières comme le zonage. Après avoir examiné la règle de l’efficacité commerciale, le juge Esson a déclaré que la clause ne pouvait être ni implicite en fait parce que la Ville n’y aurait pas souscrit, ni implicite en droit parce qu’elle allait à l’encontre de la politique explicite du législateur. Ainsi, l’existence implicite de cette clause devait être écartée.

21 Dans les circonstances, le juge Esson a statué, au nom d’une cour d’appel unanime que la clause dont l’existence était alléguée ne pouvait être implicite et qu’elle serait vraisemblablement ultra vires. La responsabilité contractuelle de la Ville ne pouvait donc pas être engagée. Cependant, du fait que cette question n’avait pas été examinée en première instance, l’affaire a été renvoyée à procès sur la question de l’enrichissement sans cause.

IV. Les dispositions législatives pertinentes

22 Land Title Act, R.S.B.C. 1979, ch. 219 (maintenant R.S.B.C. 1996, ch. 250)

[traduction]

23. (1) Tant qu’il reste en vigueur et n’a pas été révoqué, le titre inattaquable est une preuve concluante en common law et en equity, opposable à l’État et à toute autre personne, que la personne dont le nom figure sur ce titre possède de façon irrévocable le droit de propriété foncière en fief simple sur le bien‑fonds y décrit, sous réserve de . . .

108. . . .

(2) Lorsque le secteur loti qui figure sur le plan de lotissement ou de renvoi déposé au bureau d’enregistrement foncier avant la date d’entrée en vigueur du présent article, ou après cette date, est contigu à un bien‑fonds recouvert d’eau et que celui-ci est assujetti au titre de propriété inattaquable du lotisseur et est contigu à un bien‑fonds dévolu à Sa Majesté la Reine du chef de la province, le dépôt en question est réputé constituer une cession en fief simple du bien‑fonds recouvert d’eau à Sa Majesté la Reine du chef de la province, et le titre du propriétaire inscrit du bien‑fonds recouvert d’eau est réputé éteint.

215. (1) L’engagement de faire ou de ne pas faire qui, selon le cas:

a) concerne:

(i) soit l’utilisation d’un bien‑fonds,

(ii) soit l’utilisation d’un immeuble situé sur un bien‑fonds ou devant y être érigé;

b) prévoit que des ouvrages pourront ou ne pourront pas être construits sur un bien‑fonds;

c) prévoit que le bien‑fonds ne doit pas être loti, sauf conformément à l’engagement;

d) prévoit que certaines parcelles qui y sont désignées et pour lesquelles un seul ou plusieurs titres inattaquables ont été enregistrés ne doivent être ni vendues ni cédées séparément

en faveur de l’État, d’une société d’État ou de tout autre organisme public, ou encore d’une municipalité ou d’un district régional, appelés dans le présent article «bénéficiaire de l’engagement», peut être enregistré comme une charge grevant le titre de ce bien‑fonds et est opposable à l’auteur de l’engagement et à ses ayants droit, même si cet engagement n’est pas annexé au bien‑fonds appartenant au bénéficiaire de l’engagement.

. . .

(3) Lorsqu’un acte contient un engagement qui peut être enregistré en vertu du présent article, celui-ci lie le bénéficiaire de l’engagement et ses ayants droit, même s’il n’a pas signé l’acte ni souscrit à une autre forme d’aliénation.

Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290 (maintenant R.S.B.C. 1996, ch. 323)

[traduction]

963. (1) Une administration municipale peut, par règlement:

a) diviser en zones la totalité ou une partie de la municipalité ou du district régional, selon le cas, nommer chacune d’elles et les délimiter au moyen d’une carte ou d’une description légale;

b) limiter l’étendue verticale d’une zone et établir d’autres zones au‑dessus ou au‑dessous de celle‑ci;

c) régir à l’intérieur des zones:

(i) l’utilisation du sol, des immeubles et des ouvrages,

(ii) la densité de l’utilisation du sol, des immeubles et des ouvrages,

(iii) le choix de l’emplacement, la taille et les dimensions:

(A) des immeubles et ouvrages,

(B) des usages qui peuvent être faits du sol;

d) régir la forme, les dimensions et la superficie, y compris l’établissement des tailles minimale et maximale, de toutes les parcelles qui peuvent être créées par lotissement, sauf que:

(i) la réglementation peut varier d’un secteur à l’autre,

(ii) les limites de ces secteurs peuvent être différentes de celles des zones créées en vertu de l’alinéa a).

(2) La réglementation en vertu du paragraphe (1) peut, selon ce qui est prévu par le règlement, varier selon:

a) les zones;

b) les usages à l’intérieur d’une zone;

c) les normes des travaux effectués et des services fournis;

d) les circonstances du choix de l’emplacement.

(3) Le pouvoir de réglementation prévu au paragraphe (1) comprend le pouvoir d’interdire toute utilisation dans une zone donnée.

972. (1) Aucune indemnité n’est payable à quiconque pour la diminution de la valeur d’un bien‑fonds, ou pour toute perte ou tous dommages résultant de l’adoption d’un plan communautaire officiel, d’un règlement relatif à l’utilisation de terres rurales, d’un règlement pris en vertu de la présente division ou de la délivrance d’un permis en vertu de la division (5).

980. . . .

(5) Une administration locale peut délivrer plus d’un permis pour un secteur, et les biens‑fonds de ce secteur doivent être aménagés strictement en conformité avec le ou les permis délivrés, lesquels lient également l’administration locale.

V. Questions en litige

23 Deux questions fondamentales sont soulevées en l’espèce. Premièrement, dans le pourvoi principal, la question est de savoir si la Ville était tenue de verser des dommages‑intérêts en vertu d’une clause contractuelle implicite selon laquelle la municipalité ne modifierait pas le zonage avant l’expiration d’un délai raisonnable. Deuxièmement, dans le pourvoi incident, il s’agit de savoir si la Ville peut soutenir avec succès que, selon le par. 108(2) de la Land Title Act, la PNI n’a même pas un droit de propriété sur le bien‑fonds en question. Je vais maintenant analyser ces questions.

VI. Analyse

24 Si nous devions accueillir le pourvoi incident de la Ville, la PNI n’aurait plus aucun droit de propriété sur le bien‑fonds en question et le pourvoi principal deviendrait ainsi dénué de sens. Je compte donc commencer par examiner le pourvoi incident. Après avoir expliqué pourquoi il doit être rejeté, je vais examiner le pourvoi principal et expliquer pourquoi il ne doit pas, lui non plus, être accueilli.

A. Le paragraphe 108(2) de la Land Title Act signifie-t-il que la PNI n’a même pas un droit de propriété sur le bien‑fonds en question?

25 Le pourvoi incident pose un problème technique distinct d’interprétation législative. On y a, en fin de compte, beaucoup débattu le par. 108(2) de la Land Title Act de la Colombie‑Britannique, qui est une petite disposition obscure et quelque peu singulière. Ce paragraphe établit, dans certaines circonstances, une présomption de cession du droit de propriété à l’État et d’extinction de la propriété en fief simple. Je ne vois aucune raison valable de modifier l’interprétation que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a donnée à ce paragraphe de la loi de cette province. En fait, il existe au contraire un motif sérieux de rejeter l’interprétation donnée par la Ville et de confirmer la conclusion tirée par les deux tribunaux de la Colombie‑Britannique.

26 Lorsqu’ils interprètent des lois, les juges de notre Cour doivent être guidés par des principes d’interprétation législative traditionnels reconnus. L’un de ces principes veut que l’on interprète avec prudence une mesure législative potentiellement spoliatrice afin d’éviter que des individus ne soient dépouillés de leurs droits en l’absence d’une intention claire en ce sens dans la mesure législative en cause. Comme l’explique P.‑A. Côté, dans Interprétation des lois (3e éd. 1999), à la p. 607, il existe un principe d’interprétation «qui veut que les restrictions au droit de jouir librement des biens soient interprétées d’une manière rigoureuse et restrictive. [. . .] [L]es tribunaux exigent du législateur qui veut opérer une expropriation sans indemnité ou une confiscation qu’il s’exprime très clairement à cet effet.» (Voir également Leiriao c. Val‑Bélair (Ville), [1991] 3 R.C.S. 349, à la p. 357; Banque Hongkong du Canada c. Wheeler Holdings Ltd., [1993] 1 R.C.S. 167, à la p. 197.)

27 Étant donné l’effet clairement spoliateur du par. 108(2), les tribunaux d’instance inférieure lui ont donné à juste titre une interprétation stricte et ont ainsi évité ce que la Cour d’appel considérait comme un [traduction] «résultat qui pourrait vraiment être qualifié d’absurde et d’inique» (par. 15). Lors de l’audition relative au voir-dire, le juge de première instance a conclu qu’il était nécessairement implicite dans le texte du paragraphe en cause que celui‑ci s’appliquait non pas au secteur loti lui‑même, mais uniquement aux biens‑fonds contigus. La Cour d’appel a confirmé [traduction] «l’interprétation raisonnable [du juge de première instance] [qui est] conforme à l’objet du texte législatif» (par. 15). J’estime moi aussi que c’est la bonne façon d’interpréter le paragraphe. On y retrouve deux expressions, [traduction] «secteur loti» et «bien‑fonds», qui doivent s’interpréter comme désignant deux choses différentes. Après tout, le texte parle du «bien‑fonds» qui est contigu au «secteur loti». Le paragraphe entraîne ainsi un changement du droit de propriété seulement à l’égard de ce «bien‑fonds» et non pas à l’égard du «secteur loti». Il vise non pas les lots résultant d’un lotissement, mais plutôt les autres secteurs qui constituent le reste du bien‑fonds visé par le droit de propriété.

28 Suivant cette interprétation du par. 108(2), il est clair qu’il ne peut pas s’appliquer aux faits dont nous sommes saisis. Comme les tribunaux d’instance inférieure l’ont décidé à juste titre, les plans d’eau en question font partie du secteur loti figurant dans le plan de lotissement et ne sont aucunement résiduels. Ils ne sont donc pas visés par le par. 108(2). Étant donné cette conclusion, je ne vois pas l’utilité d’analyser l’argument selon lequel la Ville n’avait pas qualité pour avancer cet argument. En passant, j’ai des doutes au sujet de la proposition selon laquelle le principe de l’intangibilité, prévu au par. 23(1) pour protéger contre certains droits antérieurs, peut faire disparaître la qualité pour agir en vertu d’une disposition législative comme le par. 108(2) de la Land Title Act. Cependant, les principes qui régissent la qualité pour agir sont énoncés ailleurs dans notre jurisprudence et je n’ai pas à trancher ces questions en l’espèce puisque le pourvoi incident est, en définitive, rejeté sur le plan du fond.

29 Les tribunaux d’instance inférieure n’ont ainsi commis aucune erreur quant au fond de cette question. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi incident.

B. La Ville était‑elle tenue de verser des dommages‑intérêts en vertu d’une clause contractuelle implicite selon laquelle la municipalité ne modifierait pas le zonage avant l’expiration d’un délai raisonnable?

1. Introduction

La clause implicite dont l’existence est alléguée

30 En définitive, l’appelante fait valoir que la ville de Victoria est liée par une clause implicite selon laquelle elle maintiendra le zonage pendant un certain nombre d’années et payera des dommages‑intérêts si elle le modifie. Il incombait à l’appelante de démontrer qu’une telle clause serait légale et conforme à la législation régissant les municipalités et avec les considérations d’ordre public qui sous‑tendent les règles législatives. Elle devrait également établir que les parties ont vraiment souscrit à une telle clause implicite qui devrait, par conséquent, être considérée comme faisant partie de leur contrat. (M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619, au par. 27, où le juge Iacobucci cite l’arrêt Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711, à la p. 775, le juge Le Dain.) Décider qu’une telle clause est incluse est un exercice de pouvoir judiciaire particulièrement important dans le contexte d’une relation contractuelle avec des municipalités, en raison de la nature particulière de leurs pouvoirs et de leurs fonctions sociales.

31 En l’absence de preuve et vu le fardeau qui incombe à la partie qui allègue l’existence de la clause implicite, considérer qu’une telle clause fait partie du contrat conclu par les parties en l’espèce constituerait un exercice purement discrétionnaire de pouvoir judiciaire, qui ne reposerait sur aucune preuve. En réalité, la Ville n’a jamais reconnu l’existence d’une telle clause, ni dans son mémoire, ni à l’audience devant notre Cour. Son avocat a constamment soutenu qu’une telle clause contreviendrait à la loi et à d’importantes considérations d’ordre public.

32 Cette prétendue clause aurait des conséquences d’une grande portée. Comme l’a expliqué l’appelante, elle constituerait un engagement clair de la Ville de s’abstenir d’exercer, pendant une période indéterminée, certains des pouvoirs de réglementation les plus importants qu’elle détient en matière de zonage et de construction. Pour appliquer la prétendue clause, l’appelante doit démontrer qu’un tel pouvoir existe et que cette clause n’est ni illégale ni contraire aux principes fondamentaux de l’ordre public. La partie qui allègue l’existence d’une telle clause doit, en plus de prouver qu’elle existe, démontrer qu’elle n’est ni ultra vires ni illégale.

2. La nature des administrations municipales

33 Les administrations municipales forment des institutions démocratiques. Elles permettent aux membres d’une collectivité de s’organiser pour vivre ensemble. Cependant, même dans ce contexte, nul ne peut contester la proposition selon laquelle les administrations municipales sont des créatures du législateur — une administration municipale ne possède que les pouvoirs que lui confère une mesure législative provinciale:

Créature de la loi, une municipalité ne possède que les pouvoirs que lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement de pouvoirs ainsi délégués . . .

(J. Hétu, Y. Duplessis et D. Pakenham, Droit municipal: Principes généraux et contentieux (1998), à la p. 13; Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, à la p. 346)

Ce principe est bien établi et notre Cour l’a de nouveau confirmé à l’unanimité dans son arrêt Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 409, 2000 CSC 45, au par. 33. (Voir généralement Hétu, Duplessis et Pakenham, op. cit., aux pp. 8 à 13.)

34 Vu que la mesure législative provinciale circonscrit les pouvoirs de la Ville, c’est à elle que nous devons faire appel pour répondre à la question fondamentale de savoir si la Ville pouvait établir la clause contractuelle dont la PNI allègue l’existence, et être liée par celle‑ci. C’est seulement si la Ville jouissait de cette capacité en vertu de la mesure législative provinciale pertinente que pourrait se poser la question de savoir si l’ensemble de contrats interdépendants étudiés a engendré une telle obligation contractuelle. Se pose alors la question du contenu de la mesure législative provinciale pertinente en vigueur au cours de la période visée.

35 J’aborde l’analyse de la mesure législative applicable aux administrations municipales en Colombie‑Britannique, en gardant à l’esprit les propos que tenait récemment le juge Major dans Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13: «Une abondante jurisprudence en matière d’interprétation des lois en général et des lois sur les municipalités en particulier favorise une interprétation large, fondée sur l’objet visé» (par. 18). Le juge Major a également cité le commentaire suivant tiré des motifs du juge Iacobucci dans l’arrêt R. c. Greenbaum, [1993] 1 R.C.S. 674, à la p. 688: «lorsqu’il doit déterminer si une municipalité a été habilitée à adopter un certain règlement, le tribunal devrait examiner l’objet et le texte de la mesure législative provinciale habilitante» (Nanaimo, au par. 19). Ces mots ne signifient pas que la compétence des municipalités doit être interprétée d’une manière illimitée. En fait, l’arrêt Greenbaum, précité, de notre Cour indique que les aspects téléologiques de l’interprétation ne s’appliquent qu’à l’étendue des pouvoirs expressément conférés. Les municipalités ne possèdent que les pouvoirs qui leur sont expressément conférés, les pouvoirs qui découlent nécessairement des pouvoirs expressément conférés ou encore les pouvoirs qui sont essentiels à la réalisation des fins municipales (R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650, à la p. 668, confirmé dans Nanaimo, précité, au par. 17).

36 Par conséquent, en interprétant les pouvoirs municipaux, nous devrions tenir compte du texte et du contexte de la mesure législative en cause. Un examen attentif du texte de la mesure législative, de son historique législatif, de l’interprétation que lui ont donnée les tribunaux, ainsi que des objectifs et raisons de principe qui la sous‑tendent démontre que la Ville ne pouvait ni inclure une stipulation contractuelle comme celle dont l’existence est alléguée en l’espèce, ni être liée par celle‑ci. Si une telle clause était implicite dans les contrats dont nous sommes saisis en l’espèce, elle serait ultra vires et contraire à l’ordre public établi.

3. Le texte législatif

37 Pour démontrer que la Ville pouvait souscrire au type de clause dont la PNI allègue l’existence, il incombe à la PNI de trouver un fondement textuel à cette capacité. La capacité générale en matière de zonage est conférée par les art. 963 et 972 de la Municipal Act. La PNI tente de trouver une disposition qui lie la Ville dans le par. 980(5) de la Municipal Act et l’art. 215 de la Land Title Act, de même que dans les arguments concernant l’existence d’un pouvoir implicite qui engendrerait cette capacité.

38 L’article 963 de la Municipal Act confère le pouvoir de zoner par règlement. Cela implique que la municipalité peut modifier son zonage de la même manière. En outre, le par. 972(1) de la même loi prévoit qu’aucune indemnité n’est payable à quiconque pour la diminution de la valeur d’un bien‑fonds résultant d’une modification de zonage. On trouve au par. 972(2) une exception très particulière à cette dernière règle. Peu importe que l’art. 972 empêche ou non expressément un recours comme celui dont il est question en l’espèce, cet article et l’art. 963, pris ensemble, démontrent clairement l’économie de la Loi. Le zonage représente un pouvoir de réglementation. À première vue, la Loi n’accorde aucun droit de limiter l’exercice futur de ce pouvoir de réglementation. Le législateur a considéré de manière générale que les municipalités ne devraient verser aucune indemnité pour la façon dont elles exercent ce pouvoir de réglementation. Au départ, ces principes militent tous contre la thèse de la PNI.

39 La PNI soutient évidemment qu’elle peut trouver la capacité qu’elle cherche dans l’art. 215 de la Land Title Act ou le par. 980(5) de la Municipal Act. En particulier, elle commence par citer le par. 215(3) de la Land Title Act, qui prévoit que [traduction] «[l]orsqu’un acte contient un engagement qui peut être enregistré en vertu du présent article, celui-ci lie le bénéficiaire de l’engagement et ses ayants droit, même s’il n’a pas signé l’acte ni souscrit à une autre forme d’aliénation» (je souligne). Compte tenu alors de l’engagement enregistré de la BCEC, la PNI semble tenter de soutenir que la Ville était tenue de maintenir en vigueur le zonage qui permettrait à la BCEC, ou à son successeur la PNI, de réaliser ses projets. Cependant, il s’agit là d’un argument qui mène, en fin de compte, à un résultat absurde. En l’avançant, la PNI affirme que, parce que son prédécesseur a pris un engagement en faveur de la Ville de manière à s’assujettir aux pouvoirs de réglementation de cette dernière, la Ville est liée par cet engagement. Autrement dit, une personne est liée par la promesse qui lui a été faite. On peut se demander si cet article pourrait comporter une erreur, particulièrement là où, à la fin du par. 215(1), on décrit, par contre, comment l’engagement est [traduction] «opposable à [son] auteur». En fait, la Colombie‑Britannique a, par la suite, corrigé les termes du par. 215(3) invoqués par la PNI en les remplaçant, en 1989, par [traduction] «lie son auteur»: Land Title Amendment Act, 1989, S.B.C. 1989, ch. 69, art. 22.

40 Même si l’interprétation restrictive de certaines lois peut rendre la tâche plus ardue les erreurs typographiques qui figurent dans des textes législatifs ne devraient pas normalement nous obliger à leur donner une interprétation absurde. Comme le fait remarquer Côté, op. cit., à la p. 494:

Il peut se glisser, au moment de la rédaction d’un texte législatif ou au moment de son impression, des erreurs matérielles qui ont pour effet de rendre le texte absurde soit en lui‑même, soit dans son rapport avec les autres dispositions et avec sa finalité. Dans ces cas, il est admis que l’on doive accorder plus de poids au but poursuivi par l’auteur qu’à la formulation, manifestement déficiente, du texte législatif.

Le paragraphe 215(3) visait clairement à prévoir qu’un engagement liait toujours son auteur même lorsque la personne à qui il bénéficiait ne l’avait pas signé. La correction apportée à ce paragraphe confirme cette interprétation. Je suis d’avis de l’interpréter raisonnablement en conformité avec son objet véritable. Par conséquent, il n’est d’aucune utilité à la thèse de la PNI.

41 La PNI a également tenté d’invoquer le par. 980(5) de la Municipal Act. Tel qu’il existait en 1987, cet article prévoyait qu’une fois délivré un permis d’aménagement liait la municipalité et pouvait même empêcher une modification de zonage. Malheureusement pour elle, la PNI ne détenait aucun permis d’aménagement pour les lots 3 et 4. Elle avait obtenu un tel permis pour les travaux qu’elle avait déjà effectués et se préparait à en demander un autre pour les lots 3 et 4, lorsque le conseil municipal a suivi la volonté démocratique des citoyens en modifiant le zonage de ces lots. La PNI prétend que la Ville était liée par son zonage antérieur, indépendamment des règles établies par la Loi qui prévoient la délivrance de permis d’aménagement liant la municipalité et autorisant le promoteur immobilier à entreprendre les travaux de construction dans un délai de deux ans (par. 702AA(5) introduit par S.B.C. 1977, ch. 57, par. 13(2), devenu l’art. 717 de la Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290, abrogé et incorporé dans l’art. 976 et le par. 980(6) de la Municipal Act par S.B.C. 1985, ch. 79, art. 4 et 8). Cependant, le fait même que législateur ait mis sur pied ce système révèle qu’il s’agit bien de celui qu’il avait en tête, et non pas d’une légère variante de ce dernier. La PNI ne peut pas nous demander de changer les règles du système de permis d’aménagement afin de les adapter à son projet. Cet argument ne saurait s’appliquer lui non plus en l’espèce.

42 Au cours des plaidoiries, on a débattu la question de savoir si, comme on le faisait valoir, la Ville pouvait détenir un pouvoir implicite de souscrire à une clause implicite. La question de l’existence d’un pouvoir implicite de souscrire à une clause implicite commence à solliciter considérablement l’imagination, mais elle touche au coeur de la manière dont nous allons interpréter la mesure législative en cause. Je suis convaincu que le texte n’étaye aucun argument que la Ville pouvait être empêchée de modifier son zonage. La magie n’étant pas l’affaire de notre Cour, la meilleure façon de répondre à la question de savoir si nous devrions conclure à l’existence d’un pouvoir implicite consiste à examiner le contexte de la mesure législative. Je commence par une appréciation de la règle de l’ultra vires.

43 L’appelante se fonde, en outre, sur un pouvoir implicite conféré plus particulièrement par l’art. 19 de la Municipal Act, qui accorde aux corporations municipales le pouvoir de conclure des contrats pour l’obtention de biens et de services. Elle invoque aussi l’art. 287 qui confère des pouvoirs accessoires aux municipalités. L’appelante tente donc d’invoquer un pouvoir implicite pour valider une clause implicite du contrat.

44 Les pouvoirs d’une municipalité doivent recevoir une interprétation téléologique large mais aussi raisonnable, comme notre Cour l’a affirmé dans l’arrêt Nanaimo, précité, au par. 20, le juge Major. Considérer qu’un pouvoir implicite existe relativement à l’exercice des pouvoirs délégués de réglementation des municipalités fait intervenir d’autres considérations d’ordre public que les contrats commerciaux conclus au jour le jour dans l’exercice normal des pouvoirs de la municipalité. On peut aussi se fonder sur l’historique du régime législatif à cet égard pour évaluer le bien‑fondé, sur le plan juridique, de cette tentative de soutenir qu’il existe un pouvoir implicite de souscrire à la clause implicite dont l’existence est alléguée.

4. La règle de l’ultra vires

L’historique législatif: l’absence de pouvoir explicite

45 Comme l’a déjà affirmé le juge Rand, [traduction] «[i]l ne fait aucun doute que nous pouvons examiner l’historique d’une mesure législative pour en déterminer le sens actuel» (City of Vancouver c. B.C. Telephone Co., [1951] R.C.S. 3, à la p. 8). L’examen des textes législatifs en vigueur avant et après les événements en cause dans le présent pourvoi fournit au moins un contexte à des fins de comparaison et est même susceptible de clarifier le sens du cadre législatif, tel qui existait au moment pertinent. Je compte donc examiner brièvement le système de contrats d’utilisation du sol qui existait dans les années 70, de même que la loi subséquente de 1993 qui permet l’échange d’un zonage contre des améliorations.

46 De 1971 à 1978, la Colombie‑Britannique a disposé d’un système de contrats d’utilisation du sol, et semble avoir été la seule au Canada à avoir eu recours à un système complet de cette nature: voir I. M. Rogers, Canadian Law of Planning and Zoning (feuilles mobiles), au par. 5.116. Ce système permettait essentiellement d’habiliter les municipalités à s’engager par contrat à adopter un zonage particulier. Comme on l’a expliqué dans une affaire, [traduction] «[l]e processus contractuel d’utilisation du sol prévoyait que des conseils municipaux subséquents pourraient adopter un point de vue différent de leurs prédécesseurs à l’égard de certaines questions. Le contrat d’utilisation du sol visait à apporter la certitude tant aux promoteurs immobiliers qu’aux municipalités.» (Martin Corp. c. West Vancouver (District) (1993), 85 B.C.L.R. (2d) 305 (C.S.), au par. 27). En conséquence, un contrat d’utilisation du sol ne pouvait être ni résilié ni modifié par un règlement subséquent (ibid.). L’article 702A de la Municipal Act de l’époque prévoyait donc le zonage par contrat, selon certaines conceptions de la politique à adopter relativement aux administrations municipales.

47 Cependant, l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique a décidé d’abroger ce système: Municipal Amendment Act, 1977, S.B.C. 1977, ch. 57, par. 13(1) (promulgué le 15 novembre 1978 par le B.C. Reg. 259/78). Elle l’a remplacé par le système plus limité des permis d’aménagement, décrit plus haut dans les présents motifs: par. 13(2). Ce système, encore en vigueur au moment qui nous intéresse en l’espèce, permettait également aux municipalités de demander que certains travaux particuliers soient effectués sur des routes avant la délivrance d’un permis de lotissement ou de construction (Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290, par. 989(4)), mais il interdisait les négociations générales visant des améliorations. Le choix délibéré du législateur d’abroger le système de contrats d’utilisation du sol démontre que l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique avait aboli le zonage contractuel et écarté toute idée de restriction du zonage par contrat avant les événements survenus en l’espèce.

48 Après l’abrogation des systèmes d’aménagement du sol, le par. 982(2) de la Municipal Act se lisait ainsi:

[traduction]

982. . . .

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), le contrat d’utilisation du sol qui est conclu et qui est enregistré dans un bureau d’enregistrement foncier peut être modifié

a) au moyen d’un règlement [. . .], ou

b) au moyen d’un permis de modification d’aménagement délivré en vertu de l’article 974, ou d’un permis d’aménagement délivré en vertu de l’article 976.

Cette disposition est une simple clause de droits acquis. Elle protégeait les contrats existants que des municipalités avaient déjà conclus validement. Elle n’était pas censée donner aux municipalités le pouvoir de conclure à l’avenir de tels contrats avec des promoteurs immobiliers, du fait que l’abrogation avait justement pour objet et pour effet de leur refuser de tels pouvoirs.

49 Depuis 1993, la Colombie‑Britannique autorise les municipalités à demander des améliorations en échange d’un zonage. Avec l’entrée en vigueur de la Municipal Affairs, Recreation and Housing Statutes Amendment Act, 1993, S.B.C. 1993, ch. 58, art. 4, le pouvoir de zoner conféré par l’art. 963 de la Municipal Act est remplacé de manière à permettre à un conseil municipal d’imposer les conditions auxquelles un propriétaire aura droit à un zonage de plus haute densité (voir le par. 963.1(2) de la loi modifiée). Le point de vue fondamental en droit canadien est que les municipalités ne peuvent pas zoner en échange d’améliorations sans que la loi leur accorde un certain pouvoir de le faire: Re Walmar Investments Ltd. and City of North Bay, [1970] 1 O.R. 109 (C.A.), motifs additionnels à [1970] 3 O.R. 492 (C.A.). Le système mis en place après 1993 confère un tel pouvoir légal explicite. À titre comparatif, il démontre ainsi que le système antérieur à 1993 n’accordait tout simplement pas le pouvoir légal explicite qui était requis.

50 Le régime législatif qui existait au moment où la PNI a effectué ses transactions ne comportait aucun système de contrats d’utilisation du sol ni aucun zonage contractuel, et il n’autorisait pas l’échange d’améliorations contre un zonage. Si on la compare avec les systèmes qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi, il est d’autant plus clair que, sous le régime de la loi qui était en vigueur à l’époque pertinente, les clauses implicites comme celle dont la PNI allègue l’existence restaient illégales.

Pouvoirs implicites

51 L’historique du régime législatif peut aussi être pertinent d’une autre manière quant à la présente affaire, en ce sens qu’il fournit un motif additionnel de ne pas tenter de conclure à l’existence d’un pouvoir implicite de prendre des engagements à long terme en matière de zonage, qui équivaudrait aux pouvoirs dont la Ville pourrait être investie à l’égard de certaines ententes commerciales à long terme. En fait, on peut soutenir qu’une municipalité, en tant que personne morale, possède un pouvoir implicite de lier des conseils subséquents par un contrat signé dans l’exercice de pouvoirs normaux en matière de droits de propriété ou d’activités commerciales: I. M. Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations (2e éd. (feuilles mobiles)), vol. 2, au par. 199.4; Lawrason c. Town of Dundas (1920), 18 O.W.N. 22. Cependant, la forme de législation relative aux administrations municipales en Colombie‑Britannique milite contre l’application de cet argument à la présente situation.

52 Avant 1998, les types d’engagements à long terme que les municipalités pouvaient prendre, et leurs modalités, étaient énumérés de façon assez précise. En effet, la Municipal Act qui était alors en vigueur prescrivait des délais pour les contrats de fourniture de matériaux, d’équipement et de services. La Loi exigeait même que les contrats d’une durée de plus de cinq ans soient approuvés par les électeurs municipaux (Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290, art. 290 et 321). En 1993, l’art. 23 de la Local Elections Reform Act, 1993, S.B.C. 1993, ch. 54, a modifié la forme mais non le fond de l’art. 321 de la Municipal Act. La Loi réglementait aussi strictement des matières comme le prêt à court terme (par. 344(1)) et la location de biens (art. 322). Même si les municipalités pouvaient prendre des engagements à long terme liés à leurs pouvoirs en matière de droits de propriété et d’activités commerciales, ces engagements étaient assujettis au contrôle strict de la Loi.

53 Une loi sur les administrations municipales pouvait simplement permettre aux municipalités de conclure tout contrat qui servirait leurs fins en matière de droits de propriété et d’activités commerciales. Il semblerait que l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique a, par la suite, choisi d’appliquer de telles conditions législatives. En 1998, la province a adopté la Local Government Statutes Amendment Act, 1998, S.B.C. 1998, ch. 34, dont le préambule expliquait que la philosophie de la nouvelle loi était axée sur la [traduction] «reconnaissa[nce] de l’administration locale comme étant un ordre de gouvernement indépendant, responsable et comptable». Les modifications que comportait cette loi éliminaient toutes les restrictions explicites relatives aux engagements à long terme des municipalités. Elles leur conféraient plutôt une compétence plus générale en tant que personnes morales (voir l’art. 176 de la nouvelle Municipal Act, R.S.B.C. 1996, ch. 323). Un tel régime législatif est clairement possible puisqu’il semble en exister un actuellement, mais cela ne contribue qu’à accentuer le fait qu’avant 1998, au moment qui nous intéresse, un tel régime n’existait pas en Colombie‑Britannique. La province assujettissait à un système de contrôles stricts les engagements à long terme en matière de droits de propriété et d’activités commerciales. Ce système ne mentionnait même pas les engagements à long terme au sujet de l’exercice du pouvoir de réglementation, étant donné que ces pouvoirs n’étaient pas prévus.

54 De plus, il existe une autre réponse de poids à l’argument que les municipalités possèdent le pouvoir implicite de consentir à des clauses comme celle dont l’existence est alléguée. Cette réponse est que le pouvoir implicite de permettre que des contrats entravent l’exercice futur du pouvoir discrétionnaire de la municipalité de réglementer le zonage suscite d’autres préoccupations d’ordre public. Nous le constaterons clairement lorsque nous aurons examiné une partie de la jurisprudence pertinente en la matière.

5. La jurisprudence pertinente

55 Comme le démontrent clairement la jurisprudence et la doctrine, une restriction du pouvoir de réglementation d’une municipalité représente une question sérieuse. Comme Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations, op. cit., l’affirme au par. 199.4, [traduction] «[à] moins d’être expressément autorisées à le faire, les autorités locales n’ont pas le pouvoir de conclure un contrat ayant pour effet de restreindre ou de retirer les pouvoirs de réglementation des conseils subséquents en ce qui concerne toute matière touchant le public en général.» Rogers ajoute que cela ne signifie pas qu’un conseil qui agit dans l’exercice de ses fonctions en matière de droits de propriété ou d’activités commerciales ne peut pas conclure des contrats. Cependant, cela signifie qu’un conseil ne peut pas en quelque sorte renoncer à ses pouvoirs de réglementation: cf. Birkdale District Electric Supply Co. c. Corporation of Southport, [1926] A.C. 355 (H.L.), aux pp. 364, 371 et 372.

56 On trouve dans la jurisprudence canadienne des passages qui reflètent de façon éloquente ce principe:

[traduction] Nos conseils municipaux sont de véritables organismes législatifs dans les limites de leur compétence, au même titre que le Parlement ou l’assemblée législative, et tout contrat qui entraverait l’exercice régulier du pouvoir discrétionnaire et du jugement d’un membre d’un tel conseil doit également être frappé de nullité comme étant contraire à l’ordre public.

(Town of Eastview c. Roman Catholic Episcopal Corporation of Ottawa (1918), 44 O.L.R. 284 (C.S., Div. app.), aux pp. 297 et 298)

[traduction] [L]es municipalités doivent être libres de modifier leurs règlements lorsque cela se révèle nécessaire. Elles ne peuvent pas conclure avec une tierce partie un contrat dans lequel elles s’engagent et engagent leurs conseils subséquents à maintenir le statu quo.

(Capital Regional District c. District of Saanich (1980), 115 D.L.R. (3d) 596 (C.S.C.‑B.), à la p. 605)

[traduction] [U]ne municipalité ne saurait renoncer d’avance à l’exercice de ses pouvoirs de réglementation.

(Re Galt‑Canadian Woodworking Machinery Ltd. and City of Cambridge (1982), 135 D.L.R. (3d) 58 (C. div. Ont.), à la p. 63, conf. par (1983), 146 D.L.R. (3d) 768 (C.A. Ont.))

Les pouvoirs de réglementation municipaux font partie intégrante d’un mode de régie auquel les municipalités ne peuvent pas renoncer. Les conseils municipaux ne sauraient entraver le pouvoir discrétionnaire des conseils subséquents de s’engager dans le processus de réglementation sans subir des influences indues.

57 Cela implique que, en l’absence d’une mesure législative provinciale mettant en oeuvre une politique officielle différente, les municipalités n’ont pas le droit de vendre un type de zonage: D. P. Jones et A. S. de Villars, Principles of Administrative Law (3e éd. 1999), à la p. 181; Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité; Ingledew’s Ltd. c. City of Vancouver, précité. Elles ne peuvent pas consentir à modifier un zonage ou à le maintenir en échange d’une contrepartie particulière.

58 À ce propos, on notera que le jugement de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique Kendrick c. Nelson (City) (1997), 31 B.C.L.R. (3d) 134, n’étaye pas l’affirmation que l’art. 19 de la Municipal Act habilite une municipalité à conclure avec un promoteur immobilier des contrats à long terme concernant l’exercice de ses pouvoirs en matière de zonage. Dans cette affaire, les requérants avaient fait valoir qu’un contrat conclu avec le promoteur immobilier contrevenait à l’art. 292 de la Loi à l’égard de la cession de biens‑fonds en échange d’une contrepartie symbolique et les contrats de construction et de services municipaux. Aucun argument n’avait porté sur les engagements en matière de zonage et la Cour suprême n’était donc pas tenue d’examiner cette question. Le raisonnement qui sous‑tendait le jugement était que le contrat n’obligeait pas la ville à aider le promoteur immobilier au sens de l’art. 292. De plus, le contrat en litige avait été exécuté en 1995. Depuis 1993, la province de la Colombie‑Britannique permet aux municipalités de solliciter des améliorations en échange d’un zonage. Donc, même si la question avait été litigieuse, la ville de Nelson n’aurait pas été tenue de se fonder sur l’art. 19 pour conclure un contrat concernant l’échange d’un zonage contre des améliorations.

6. Illégalité et ordre public

Les règles interdisant l’entrave

59 La PNI tente bien sûr d’établir une distinction entre sa prétention et un simple argument que la Ville s’est engagée par contrat à adopter un certain zonage. La PNI essaie de faire valoir que la clause implicite veut que la Ville maintienne un certain zonage, à défaut de quoi elle devra verser une indemnité ou des dommages‑intérêts. Certaines décisions semblent avoir établi une distinction entre l’entrave indirecte (telle qu’une entente d’indemnisation) et l’entrave directe: voir Attorney-General for New Brunswick c. Saint John, [1948] 3 D.L.R. 693 (C.S.N.‑B., Div. app.), à la p. 707; Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité, à la p. 715, et Re Galt‑Canadian (C. div. Ont.), précité, à la p. 64. Cependant, une telle distinction ne saurait être acceptée parce qu’elle est probablement dépourvue de fondement juridique et qu’elle n’aide pas à rationaliser la jurisprudence.

60 En premier lieu, cette distinction est probablement dépourvue de fondement juridique parce qu’il n’est pas certain qu’elle reflète même un principe tiré de la jurisprudence citée à son appui. La formulation de différentes parties des deux dernières décisions amène à conclure tout à fait le contraire: Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité, à la p. 713; Re Galt‑Canadian (C. div. Ont.), précité, à la p. 63. Dans l’affaire Saint John, précité, où la ratio decidendi n’est pas tout à fait claire, la cour a permis à une ville de conclure avec une société un contrat de six ans pour la prestation de services de transport par autobus, aux termes duquel cette société aurait droit à une indemnité en cas de résiliation prématurée du contrat par la ville. Cependant, la cour n’a pris sa décision qu’après avoir donné au contrat une interprétation selon laquelle il n’était pas illégal et n’obligeait pas la municipalité à adopter des règlements particuliers: pp. 705 et 706. Le contrat en cause dans cette affaire pouvait être qualifié de commercial. En outre, il était pertinent que la ville soit une corporation de common law plutôt qu’une corporation municipale créée par la loi, et qu’elle ne soit donc pas assujettie aux mêmes règles de l’ultra vires qui peuvent s’appliquer dans un cas comme la présente affaire: p. 708. De plus, malgré l’absence apparente d’autres développements dans ce dossier, l’autorisation spéciale d’en appeler du résultat de cette affaire devant la Cour suprême du Canada a été accordée: Attorney‑General for New Brunswick c. Saint John, [1948] 3 D.L.R. 851. Par conséquent, le fondement juridique de la supposée distinction est douteux vu que deux des décisions citées à son appui étayent également la conclusion contraire et que la dernière décision n’appuie clairement pas l’établissement d’une telle distinction.

61 L’arrêt de notre Cour Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, a également été cité à l’appui de l’argument selon lequel il existe un pouvoir municipal implicite de conclure des contrats d’aménagement à long terme qui comportent l’exercice de pouvoirs en matière de zonage. Il n’était pas question, dans l’affaire Wells, d’un contrat régissant l’exercice de pouvoirs de réglementation municipaux. Le contrat contesté demeurait un contrat d’affaire portant sur l’engagement de hauts fonctionnaires.

62 En deuxième lieu, la supposée distinction entre l’entrave directe et l’entrave indirecte est également inutile en raison de son incompatibilité avec d’autres précédents et, qui plus est, avec les principes qui sous‑tendent ce domaine du droit. D’autres décisions (et, comme nous l’avons vu, même différentes parties de ces mêmes décisions) ont eu recours à une formulation qui rendrait même illégale une entrave indirecte: voir, par exemple, Walker c. Mayor of St. John (1872), 14 N.B.R. 143 (C.S.), aux pp. 147 et 148, et Town of Eastview, précité, aux pp. 297 et 298. Cette formulation plus générale s’inspire des motifs d’interdiction des entraves à un pouvoir discrétionnaire, qui comprennent la protection du processus de réglementation municipal contre toute influence indue et contre toute charge. L’entrave directe ou indirecte aurait le même effet à l’égard de l’exercice des pouvoirs municipaux.

63 La jurisprudence étaye généralement le point de vue selon lequel cette formulation plus générale est appropriée et devrait s’appliquer à la distinction entre l’entrave directe et l’entrave indirecte que certains ont tenté d’établir. Dans l’arrêt Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité (cité à l’appui du recours à la distinction, à la p. 715), la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a examiné comment certains conseillers susceptibles de juger un règlement peu judicieux pourraient néanmoins voter en faveur de son adoption, afin de ne pas [traduction] «exposer la Ville à un recours en dommages‑intérêts en le rejetant» (p. 713), et a ainsi reconnu, du moins d’un point de vue factuel, les problèmes que pose l’autorisation de l’entrave au moyen d’une exigence d’indemnisation. Dans l’arrêt Re Galt‑Canadian, précité, la Cour d’appel de l’Ontario a analysé une situation dans laquelle un conseil municipal pourrait engager sa responsabilité contractuelle s’il omettait d’adopter une certaine ligne de conduite en matière de réglementation. La Cour d’appel a statué, à la p. 768, que cette situation était inacceptable. Pour reprendre les propos éloquents du tribunal d’instance inférieure dans cette affaire, [traduction] «[l]es municipalités sont investies de pouvoirs de réglementation dans l’intérêt public, et elles doivent toujours être en mesure de les exercer lorsqu’il est dans l’intérêt public qu’elles le fassent» (Re Galt‑Canadian (C. div. Ont.), précité, à la p. 63). Compte tenu de ce principe, une entente d’indemnisation pour une décision en matière de réglementation comme celle dont il est question en l’espèce n’est pas plus acceptable qu’une restriction catégorique du pouvoir de réglementation.

64 Malgré toutes les tentatives de la PNI de transformer son dossier en demande d’indemnité, il n’en demeure pas moins qu’elle exige une indemnité précisément parce que la Ville a exercé ses pouvoirs de réglementation d’une certaine manière. La décision d’une municipalité d’exercer ses pouvoirs de réglementation pour modifier le zonage d’un bien‑fonds en vue d’assurer que le zonage de son territoire continue de refléter le choix le plus judicieux qu’elle puisse faire est une décision légitime qui fait vraiment partie de son pouvoir de réglementation: voir Wall and Redekop Corp. c. City of Vancouver (1974), 16 N.R. 436 (C.A.C.-B.), conf. par (1976), 16 N.R. 435 (C.S.C.). En fait, il faut se rappeler que le nouveau règlement de zonage n’a jamais été qualifié d’illégal. L’obligation d’indemniser pour une décision de ce genre en matière de réglementation assujettirait nécessairement cette décision à des considérations autres que l’examen objectif du meilleur intérêt de la collectivité.

65 Les contrats qu’une municipalité conclut dans l’exercice de ses fonctions en matière de droits de propriété ou d’activités commerciales pourraient bien avoir une incidence sur les ressources dont elle dispose et entraver ainsi l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de réglementation (ou créer d’autres types d’obstacle, comme dans Dowty Boulton Paul Ltd. c. Wolverhampton Corp., [1971] 2 All E.R. 277 (Ch. D.)). Cependant, ils ne font tout simplement pas intervenir le même type de considération externe dans le processus de réglementation. La distinction que perçoit la PNI entre l’entrave directe et indirecte n’est tout simplement pas utile. La distinction entre les pouvoirs de réglementation, les pouvoirs décisionnels et les pouvoirs en matière d’activités commerciales ou de droits de propriété, qui est acceptée dans d’autres arrêts de notre Cour (par exemple, Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, à la p. 273; Nanaimo, précité, aux par. 28 et 31), est la seule qui devrait s’appliquer (William Cory & Son Ltd. c. London Corp., [1951] 2 K.B. 476 (C.A.), à la p. 486). Une municipalité peut conclure des contrats relatifs à des droits de propriété et à des activités commerciales, mais elle ne peut pas souscrire à des conditions qui entravent son pouvoir de réglementation, à moins qu’une mesure législative n’énonce une politique officielle l’autorisant à le faire.

66 En conséquence, je suis d’avis que la clause implicite dont l’existence est alléguée aurait constitué une entrave illicite aux pouvoirs de réglementation discrétionnaires de la municipalité. La jurisprudence établie et les principes qui la sous‑tendent étayent mon rejet de l’argument de la PNI et renforcent considérablement la conclusion qui découlait déjà de la Loi elle‑même. L’illégalité même d’une telle clause et son incompatibilité avec l’ordre public militent d’autant plus contre la possibilité de la considérer comme étant incluse dans un contrat conclu à l’intérieur d’un cadre législatif clair. Il convient d’ajouter en l’espèce que l’avocat de la Ville n’a jamais admis l’existence d’une telle clause implicite. Il a plutôt confirmé que les contrats conclus avec la PNI étaient légaux si on leur donnait l’interprétation juridique que leur prêtait la ville de Victoria. Dans la dernière partie de mes motifs, je vais expliquer brièvement en quoi ce résultat est rationnel du point de vue de l’ordre public.

Considérations d’ordre public

67 Je tiens à ajouter quelques mots au sujet des considérations d’ordre public étant donné que la discussion en l’espèce a largement porté sur des questions d’ordre public. Pour certains, il peut paraître sévère d’affirmer que la PNI ne peut pas poursuivre la Ville pour le motif qu’elle a dérogé à une prétendue entente et retiré sa contrepartie après que la PNI eut effectué des améliorations coûteuses. En fait, certains feraient valoir à juste titre qu’il existe des motifs d’ordre public de permettre aux municipalités de bénéficier d’une capacité plus complète de contracter qui les habiliterait à se lier envers des promoteurs immobiliers à long terme et avec plus de certitude. Cette capacité contribuerait probablement à réduire les primes de risque que les promoteurs immobiliers pourraient par ailleurs exiger. Cependant, ces considérations ne sont pas concluantes et ne devraient en aucun cas modifier le résultat.

68 Premièrement, le résultat n’est pas aussi draconien qu’il pourrait le sembler au départ car les gens du milieu savent qu’on ne traite pas avec une administration municipale comme on le ferait avec une simple société privée. Par exemple, aucune règle de gestion interne ne soustrait une personne qui traite avec une municipalité à l’obligation d’assurer que le contrat a été conclu selon la procédure régulière, ce qui est tout à fait différent dans le cas d’une société privée: Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations, op. cit., au par. 199.1. Le dossier montre qu’à titre de promoteur immobilier expérimenté la PNI était consciente des risques particuliers que le fait de traiter avec une municipalité comportait sur les plans juridique et politique. Les promoteurs immobiliers choisissent de prendre ces risques.

69 De plus, les municipalités sont liées par leurs contrats commerciaux. Elles ne sont pas libres de les rompre à leur gré. Elles devront verser une indemnité à l’autre partie sauf s’il existe une disposition législative interdisant explicitement toute forme d’indemnité ou de dommages‑intérêts. Par contre, comme l’indique l’analyse faite plus haut des règles qui interdisent l’entrave directe et l’entrave indirecte au pouvoir des municipalités, les contrats qui concernent l’exercice de pouvoirs de réglementation font intervenir d’autres règles juridiques et considérations d’ordre public.

70 Deuxièmement, il n’est pas loisible aux municipalités de rompre des ententes non contractuelles par simple caprice. D’abord, la loi protège contre une municipalité qui agit de mauvaise foi. En outre, comme R. W. Macauley et R. G. Doumani l’expliquent dans Ontario Land Development: Legislation and Practice (feuilles mobiles), vol. 1, à la p. 4‑119, par. 18.8, [traduction] «une dose considérable de confiance entre le secteur public et le secteur privé d’une région» constitue un élément important des projets d’aménagement et de réaménagement (je souligne). Les municipalités qui traitent avec des promoteurs immobiliers, sans maintenir des rapports de bonne foi et de confiance mutuelle lorsqu’elles ne sont pas liées par un contrat, peuvent bien s’exposer à des conséquences non contractuelles en ce sens, notamment, que les promoteurs immobiliers ne seront disposés à traiter avec elles qu’au prix d’une hausse majeure des primes de risque.

71 Troisièmement, une considération d’ordre public très importante milite contre la possibilité de lier les municipalités d’une manière qui restreigne leurs pouvoirs de réglementation. Cette considération d’ordre public se retrouve dans toute la jurisprudence en la matière. Les administrations municipales sont des gouvernements qui exercent les pouvoirs qui leur sont conférés par le législateur provincial et elles doivent être en mesure d’administrer dans le meilleur intérêt de leurs résidants et en fonction de certaines conceptions de l’intérêt public. Afin d’aider à protéger cette valeur importante, notre Cour a adopté des règles comme celle qui veut que les ambiguïtés des lois relatives aux administrations municipales soient interprétées de manière à favoriser les citoyens et leur capacité de s’engager sur la voie de la démocratie partagée (Shell, précité, à la p. 277). Même si, pour chaque type de politique officielle, on peut avancer des arguments sur la question de savoir si les municipalités devraient pouvoir prendre des engagements en matière de zonage, la politique qui les empêche de se créer des obstacles futurs à leur recherche de l’intérêt public n’a rien d’irrationnel. Il ne fait aucun doute, dans mon esprit, que le législateur de la Colombie‑Britannique avait choisi d’adopter cette politique officielle à l’époque pertinente, après avoir soigneusement soupesé de nombreux intérêts et considérations opposés.

72 Comme je l’ai souligné précédemment dans les présents motifs, il n’existait alors aucun fondement légal autorisant la municipalité à contracter en matière de zonage. Il ressort de la structure et de l’économie de la mesure législative pertinente que le législateur ne voulait pas qu’une municipalité indemnise les propriétaires fonciers de l’incidence financière d’une modification de zonage. À d’autres époques, la Colombie‑Britannique avait autorisé les contrats concernant le zonage, mais elle avait explicitement abrogé cette mesure législative avant la période qui nous intéresse et n’a adopté une mesure similaire que plus tard.

73 En conséquence, je suis d’avis que le législateur a exprimé très clairement ses intentions et qu’il a délibérément et fermement établi une politique officielle totalement incompatible avec une clause implicite comme celle dont l’existence est alléguée. Ce n’est pas parce que l’on soutient que la politique officielle devrait être différente que les juges devraient commencer à récrire la loi. Outre notre rôle important de gardiens de la Constitution, notre métier consiste en règle générale à interpréter et à mettre en oeuvre la volonté clairement exprimée de l’assemblée législative élue démocratiquement, et à promouvoir de manière rationnelle nos régimes traditionnels de common law et de droit civil lorsque le législateur n’a pas indiqué le contraire.

74 Selon le droit établi, le pourvoi doit être rejeté. Le libellé de la mesure législative, son historique, la jurisprudence constante et l’ordre public établi étayent tous la conclusion que la municipalité n’avait pas la capacité de consentir à une clause implicite comme celle dont la PNI allègue l’existence. Peu importe que cette clause implicite ait pu être justifiée ou non pour des raisons d’efficacité commerciale, elle était ultra vires et contraire à l’ordre public établi par le législateur.

VII. Conclusion

75 En définitive, je suis d’avis de rejeter avec dépens tant le pourvoi principal que le pourvoi incident. Par conséquent, la conclusion de la Cour d’appel est confirmée et l’affaire est renvoyée en première instance pour être examinée relativement à tout argument éventuel d’enrichissement sans cause.

Version française des motifs des juges Major, Bastarache et Binnie rendus par

76 Le juge Bastarache (dissidents quant au pourvoi principal) — Il est reconnu que, lorsqu’une municipalité conclut un contrat dans un but légitime, ce contrat doit être respecté. Ce principe repose sur la maxime élémentaire que la Pacific National Investments Ltd. («PNI») a invoquée dans le présent pourvoi: chose promise, chose due. Je ne suis pas convaincu que la ville de Victoria («Ville») devrait pouvoir mettre fin impunément à un contrat qu’elle a conçu avec soin, qu’elle a conclu de façon réfléchie, dont elle a pleinement bénéficié et dont elle reconnaît la légalité. La PNI a dépensé plus de 2,5 millions de dollars pour l’amélioration des infrastructures, notamment en construisant une nouvelle digue et de nouvelles routes et en créant de nouveaux parcs pour la Ville en prévision des travaux d’aménagement commercial qui résulteraient de la cession de bien‑fonds et du zonage prévus dans le contrat. Il ne serait pas dans l’intérêt public de permettre à la Ville d’échapper à ses engagements. Je n’estime pas non plus que consentir une indemnité pour inexécution de contrat équivaut à une entrave au pouvoir de zonage municipal, qui préjudicie à l’intérêt du public dans l’administration locale.

77 Afin d’échapper à toute responsabilité, la Ville fait valoir que le contrat est ultra vires, ce qui va à l’encontre de la tendance moderne voulant que les pouvoirs municipaux soient interprétés de façon large et généreuse pour favoriser l’intérêt public. De plus, cette entente, qui a été expressément conçue pour répondre aux besoins de la Ville et qui a été peaufinée sur une période de trois ans, n’est pas nulle pour des motifs d’ordre public, comme le prétend la Ville. La loi de la Colombie‑Britannique qui permet aux corporations municipales de s’engager par des contrats d’aménagement à long terme témoigne des solides raisons de principe d’accorder un tel pouvoir.

78 Je souscris à l’analyse du pourvoi incident que fait mon collègue le juge LeBel, mais je ne puis accepter sa conclusion relative au pourvoi principal, selon laquelle la PNI n’a pas droit à des dommages‑intérêts pour inexécution de contrat. Je vais donc examiner les questions suivantes:

1. Le contrat comportait-il une clause implicite selon laquelle la Ville verserait une indemnité si elle ne maintenait pas le zonage pendant une période raisonnable?

2. La clause implicite est‑elle ultra vires?

3. Est‑il contraire à l’ordre public d’appliquer la clause implicite?

Analyse

Première question: Le contrat comportait-il une clause implicite selon laquelle la Ville verserait une indemnité si elle ne maintenait pas le zonage pendant une période raisonnable?

79 La PNI prétend que l’accord‑cadre appelé «Songhees Master Agreement» (l’«accord‑cadre») comportait la clause implicite selon laquelle le zonage prévu dans ce contrat ne serait pas modifié pendant une période raisonnable. Elle ne prétend pas que le contrat empêchait à tout jamais la Ville de modifier le zonage, ou qu’en adoptant le règlement modifiant le zonage le conseil a agi de mauvaise foi. La position de la PNI est simple: elle ne fait que prétendre qu’en concluant un contrat conditionnel à une modification de zonage, la Ville a accepté d’adopter et de maintenir le zonage négocié et que, en raison du manquement à cette condition, elle a droit à des dommages‑intérêts pour inexécution de contrat. Je suis donc d’avis de qualifier la clause implicite, dont on cherche à faire reconnaître l’existence, d’une manière différente de celle de mon collègue (par. 32 de ses motifs). La clause implicite n’empêche pas la Ville de modifier le zonage pendant un certain temps: elle ne fait que reconnaître qu’en contrepartie de l’investissement initial de la PNI, une modification de zonage doit être compensée par une indemnité.

80 Récemment, notre cour réitérait le critère applicable à une clause ou condition implicite dans l’arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619. Dans l’affaire M.J.B., après que l’intimée eut accepté une soumission non conforme, l’auteur de la plus basse soumission conforme a soutenu avec succès que l’appel d’offres comportait la condition implicite que la plus basse soumission conforme serait acceptée. Au par. 29, le juge Iacobucci a dit:

. . . il est possible d’introduire dans un contrat des conditions implicites fondées sur l’intention présumée des parties lorsque cela est nécessaire pour donner au contrat l’efficacité commerciale ou que cela satisfait au critère de «l’observateur objectif». Il ne ressort pas clairement qu’on doive comprendre ces éléments comme deux critères distincts, mais c’est là une question que je n’ai pas à trancher en l’espèce. Ce qui importe dans l’une et l’autre des formulations, c’est l’accent mis sur l’intention des parties elles‑mêmes. Lorsqu’elle est appelée à se pencher effectivement sur des conditions implicites, la Cour doit se garder de chercher à déterminer l’intention de parties raisonnables. C’est pourquoi l’introduction de la condition implicite doit aller de pair avec un certain degré d’évidence et qu’en présence d’une preuve d’intention contraire de la part de l’une ou l’autre des parties, l’on ne peut conclure à l’existence d’une condition implicite sur ce fondement. Comme le note G. H. L. Fridman dans son ouvrage intitulé The Law of Contract in Canada (3e éd. 1994), à la p. 476:

[traduction] Lorsqu’il s’agit d’établir l’intention des parties, il faut porter attention aux conditions expresses du contrat afin de déterminer si la condition implicite proposée est nécessaire et si elle s’harmonise avec ce qui a clairement été convenu, ainsi qu’à la nature exacte de ce qui devrait, le cas échéant, être ainsi introduit. [Je souligne; soulignement dans l’original omis.]

Pour établir l’existence de la clause implicite, la PNI doit démontrer qu’il s’agit d’une clause dont les parties diraient, si on leur posait la question, qu’elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise. Elle doit également démontrer que la clause était nécessaire pour conférer l’efficacité commerciale à l’accord‑cadre. Je suis d’avis que ces deux conditions sont remplies.

81 Les tribunaux d’instance inférieure ont divergé d’avis sur la question de savoir s’il existait une clause implicite selon laquelle le zonage ne serait pas modifié. J’estime convaincant le raisonnement du juge de première instance selon lequel il était nécessaire de conclure à l’existence de cette clause implicite pour conférer l’efficacité commerciale au contrat:

[traduction] Je pense qu’il est nécessairement implicite, dans l’accord‑cadre, que le zonage sera maintenu pendant une période raisonnable pour les fins de l’aménagement. [. . .] La PNI payait pour avoir une possibilité d’aménagement qui dépendait du zonage et il était nécessaire que ce zonage soit maintenu pendant une période raisonnable pour que son investissement puisse lui rapporter quelque chose.

([1996] B.C.J. No. 2523 (QL), au par. 35)

Par contre, la Cour d’appel a affirmé que les raisons invoquées par le juge de première instance [traduction] «sont toutes [. . .] des raisons de conclure qu’il aurait été raisonnable et logique, du point de vue de la PNI, d’inclure une telle clause» ((1998), 58 B.C.L.R. (3d) 390, au par. 47). En toute déférence, je ne vois aucune erreur dans la conclusion du juge de première instance: la PNI a présumé que la clause était incluse, comme l’aurait fait l’observateur objectif, puisque le contrat n’aurait eu aucune efficacité commerciale sans elle. La position de la Cour d’appel est plutôt stricte (au par. 45):

[traduction] [I]l semble raisonnable de déduire que personne n’a soulevé la question de l’acceptation de la Ville de ne pas modifier le zonage parce qu’on tenait pour acquis qu’elle ne prendrait pas d’engagement de ce genre. La preuve ne permet sûrement pas de croire que, si la question avait été soulevée, la Ville aurait dit quelque chose du genre: «Naturellement, nous ne modifierons pas le zonage; nous n’avons pas la peine de le dire puisque c’est tellement évident.»

Je ne vois pas comment la Cour d’appel a pu juger que le zonage était une condition préalable valide et conclure, en même temps, que la municipalité pouvait l’annuler unilatéralement en toute impunité.

82 La conclusion du juge de première instance que l’accord‑cadre comportait la clause implicite selon laquelle le zonage ne serait pas modifié pendant une période raisonnable est étayée par une analyse du contrat lui‑même et par la preuve documentaire externe pertinente. Partant, en toute déférence pour mon collègue, cette conclusion n’est pas «un exercice purement discrétionnaire de pouvoir judiciaire», mais repose sur la preuve produite en l’espèce.

83 Au départ, il importe de reconnaître que les clauses expresses du contrat d’achat conclu par la PNI et la British Columbia Enterprise Corporation («BCEC»), aux termes duquel la PNI était subrogée dans les droits conférés à la BCEC par l’accord‑cadre, démontrent le caractère central et l’importance du zonage du point de vue de la PNI. Dans la toute première page de l’offre‑contrat d’achat, la clause 2.01 précise que l’obligation d’achat de la PNI est conditionnelle au zonage (de même qu’à l’inauguration du parc, à un contrat de services et à l’approbation officielle du lotissement):

[traduction] L’acceptation de l’offre énoncée aux présentes par l’acheteur la transforme en contrat obligatoire [. . .] d’achat des biens‑fonds selon les modalités prévues aux présentes, notamment les conditions préalables et la condition de l’acheteur contenue à l’article 5.

La condition de l’acheteur, prévue à la clause 5.01, confirme qu’il n’y a aucun contrat sans le zonage:

[traduction] La présente offre et, s’il est accepté, le présent contrat, sont assujettis aux conditions préalables que:

(a) le zonage des biens‑fonds ait été modifié conformément au plan de zonage, le 1er février 1988 au plus tard;

. . .

Ces conditions préalables ne peuvent pas être écartées unilatéralement par l’une ou l’autre des parties. Si, pour quelque raison que ce soit, l’une des conditions préalables n’est pas entièrement respectée le 1er février 1988 au plus tard, le dépôt initial doit être remboursé immédiatement à l’acheteur sans intérêt et sans retenue, et le présent contrat devient alors nul et les parties n’ont plus l’une envers l’autre aucune obligation en vertu de ce dernier.

84 Le contrat d’achat conclu par la BCEC et la PNI découlait de l’acceptation par la Ville que la BCEC vendrait à un tiers les droits d’aménagement des biens‑fonds de la phase II. L’article 13 de l’accord‑cadre, intitulé [traduction] «Cession ou vente par la B.C. Enterprise», atteste que la Ville comprenait que la BCEC vendrait éventuellement les droits d’aménagement du bien‑fonds:

[traduction]

13. La B.C. Enterprise convient que, si elle conclut un contrat de vente ou de cession de la totalité ou d’une partie des biens-fonds qui font ou feront l’objet de l’enregistrement d’un engagement de ne pas faire conformément au présent contrat, elle obligera l’acheteur aux termes de ce contrat à s’engager par contrat avec la Ville à respecter, à maintenir et à exécuter tous les engagements, conditions et obligations de la B.C. Enterprise prévues aux présentes, dans la mesure où ceux-ci s’appliquent aux biens-fonds vendus à cet acheteur par la B.C. Enterprise, et si une telle vente est réalisée, l’acheteur pourra se prévaloir de tous les droits, privilèges et avantages de la B.C. Enterprise énoncés aux présentes, dans la mesure où ils touchent les biens-fonds acquis par cet acheteur. [Je souligne.]

L’article 5 de l’accord‑cadre, qui s’intitule [traduction] «Approbation du plan de lotissement», prévoit expressément que la BCEC compte aménager les biens‑fonds par étapes, [traduction] «à la condition que le zonage soit modifié conformément à l’article 1» (je souligne). Pris ensemble, les articles 5, 11 et 13 de l’accord-cadre démontrent l’intention de la Ville de maintenir le zonage dans toute vente des biens-fonds de la phase II. Ce n’est guère étonnant vu que, comme le juge de première instance l’a conclu au par. 33, il ressort très clairement que le zonage était une condition préalable essentielle de l’accord-cadre:

[traduction] Dans l’accord-cadre, le zonage était considéré comme une condition préalable. Si la Ville n’adoptait pas le zonage prévu pour l’aménagement, l’accord-cadre devenait tout simplement inexécutoire. La Ville a adopté le zonage, les autres conditions préalables ont été remplies et l’accord-cadre liait donc les parties.

Ainsi, le texte même de l’accord-cadre appuie la conclusion du juge de première instance que la Ville comprenait que l’investissement de la PNI reposait sur la conviction que le zonage serait maintenu pendant une période raisonnable. Il serait contraire au bon sens commercial et à toutes les obligations d’équité de conclure que la condition préalable relative au zonage devait être remplie sans toutefois être protégée d’aucune façon contre la rétractation unilatérale.

85 La preuve autre que les clauses expresses du contrat appuie également l’existence d’une clause implicite. En particulier, la lettre dans laquelle la Ville explique l’accord‑cadre à la ville de Whistler illustre la perception qu’elle a de cet accord. La Ville a dit que l’accord‑cadre était

[traduction] conçu pour faciliter une modification de zonage inhabituelle d’un vaste secteur. [. . .] Le promoteur immobilier [. . .] souhaitait que le zonage d’un vaste secteur [. . .] soit modifié d’un seul coup et lotir en plusieurs étapes au cours d’une période de 10 ou 12 ans sans avoir à faire modifier le zonage du bien‑fonds chaque fois.

Dans cette lettre, la Ville a reconnu qu’il faudrait de 10 à 12 ans au promoteur immobilier pour terminer le projet, et que le zonage devait implicitement demeurer inchangé pendant cette période.

86 La Cour d’appel s’est fondée sur un protocole d’entente rédigé en 1986 par l’avocat de British Columbia Place, le prédécesseur de la BCEC qui a cédé les droits d’aménagement à la PNI. En toute déférence, peu de choses ressortent de l’extrait mentionné:

[traduction] Il faut se rappeler que la Ville a TOUJOURS le dernier mot car si [le promoteur immobilier] pren[d] une direction qu’elle juge inacceptable, elle peut toujours faire arrêter l’ensemble de l’aménagement en modifiant le zonage de tout le secteur.

La lettre laisse entendre que le pouvoir général de la Ville de modifier le zonage est limité au cas où l’aménagement ne se déroule pas comme prévu ou prend une autre direction, et elle reconnaît ainsi que la Ville doit respecter sa promesse de ne pas modifier le zonage pendant une période raisonnable. Cela est compatible avec le fait que les parties ont toujours compris que le contrat ne pouvait pas retirer à la Ville sa capacité d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’adopter un règlement modifiant le zonage. La question cruciale de l’effet d’une telle décision n’est pas pour autant clarifiée. Contrairement à ce qui a été dit, cet extrait ne précise pas que le promoteur immobilier initial a accepté le risque qu’une décision de modifier le zonage soit prise pour des raisons n’ayant rien à voir avec le caractère satisfaisant du déroulement de l’aménagement.

87 Toutes les circonstances de la présente affaire amènent à conclure à l’existence de la clause implicite dans le contrat. En fait, même l’avocat de la Ville a fait des concessions sur ce point au cours des plaidoiries. Lorsqu’on lui a posé la question, il a reconnu que, si la Ville n’avait pas maintenu le zonage pendant une période raisonnable, la PNI aurait pu tenter de faire annuler le règlement modifiant le zonage en vertu de la disposition relative à la mauvaise foi, Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290, art. 313 (ce que la PNI s’est abstenue de faire en l’espèce). La Ville a reconnu tout à fait à juste titre que si elle avait modifié le zonage sans accorder à la PNI un délai raisonnable pour terminer le projet (soit cinq ans, selon elle, ou du moins jusqu’à ce qu’un nouveau conseil soit élu), cela aurait pu démontrer de la mauvaise foi de sa part. Même si l’avocat n’a pas été jusqu’à admettre que l’argument de la mauvaise foi que la PNI pouvait invoquer serait fondé sur le fait que les parties tenaient pour acquis que le zonage serait maintenu pendant une période raisonnable, c’est ce qu’il faut déduire de sa position. La conclusion du juge de première instance que la PNI n’a pas tardé à exercer ses droits et a agi avec une promptitude raisonnable est inattaquable.

88 En résumé, il est évident que les parties n’ont pas souscrit à une simple clause empêchant la Ville de modifier le zonage puisqu’il est reconnu qu’elles connaissaient la règle qui interdit de lier les futurs conseils. Les parties ont plutôt pris soin de structurer le contrat de façon à ce qu’il constitue [traduction] «un moyen innovateur de réaliser [leurs] objectifs divergents [. . .] en rattachant des obligations à chaque composante», comme l’a affirmé le juge de première instance (au par. 26). La clause implicite doit être présente pour conférer l’efficacité commerciale au contrat. Compte tenu de la condition préalable du contrat, un observateur objectif serait nécessairement d’avis que la Ville croyait qu’elle devrait verser une indemnité si elle procédait à une modification de zonage avant l’écoulement d’un délai raisonnable. L’autre possibilité attribue aux parties l’intention de donner à la Ville, pourvu qu’elle agisse au nom de l’«intérêt public», le pouvoir de modifier le zonage unilatéralement et impunément dès que l’acheteur aurait payé le prix du bien‑fonds, et de le priver essentiellement du bénéfice du contrat. Cela ne pouvait être l’intention des parties, et notre Cour ne doit pas donner son aval à ce genre d’immunité non fondée sur des principes.

Deuxième question: La clause implicite est‑elle ultra vires?

89 Il est reconnu que la Ville ne peut être tenue responsable de la violation d’une clause ultra vires. Une clause ultra vires peut se définir comme une clause à laquelle ont souscrit des organismes créés par une loi et qui outrepasse le pouvoir qui leur est conféré par cette loi. Comme l’explique I. M. Rogers, dans son ouvrage intitulé The Law of Canadian Municipal Corporations (2e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, au par. 63.34:

[traduction] [S]i la loi ne confère pas à la corporation [municipale] le pouvoir explicite ou implicite de réglementer la matière en cause, le règlement, la résolution ou tout autre acte outrepasse alors ses pouvoirs et est frappé de nullité.

90 Notre Cour a récemment confirmé de nouveau les sources du pouvoir municipal dans l’arrêt Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13, au par. 17, en reprenant la formulation de l’arrêt R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650, à la p. 668:

. . . en tant qu’organismes créés par la loi, les municipalités [traduction] «peuvent exercer seulement les pouvoirs qui leur sont conférés expressément par la loi, les pouvoirs qui découlent nécessairement ou vraiment du pouvoir explicite conféré dans la loi, et les pouvoirs indispensables qui sont essentiels et non pas seulement commodes pour réaliser les fins de l’organisme».

Dans l’arrêt Nanaimo, notre Cour a confirmé que, pour déterminer la portée du pouvoir municipal, il faut adopter une interprétation large, téléologique et raisonnable. Je fais remarquer que cela n’est pas nouveau. Dans Rogers, op. cit., au par. 63.34, il est dit que

[traduction] . . . la règle de l’ultra vires doit être appliquée raisonnablement, et tout ce qui peut être considéré comme accessoire à ce qui est permis par le législateur n’est pas ultra vires en l’absence d’une interdiction expresse. Par conséquent, la règle des pouvoirs implicites a, dans une certaine mesure, limité la portée de la règle de l’ultra vires.

Comme nous allons le constater ci-après, le pouvoir de la Ville de souscrire à la clause implicite de l’accord-cadre repose sur un fondement légal solide.

91 Notre Cour a appliqué la règle de l’ultra vires dans l’arrêt The King c. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co., [1930] R.C.S. 500, où l’intimée avait obtenu l’autorisation exclusive de vendre des timbres pendant une période de 20 ans. La Cour a confirmé la validité de la résiliation du contrat par le ministre des Postes, du fait que l’art. 77 de la Loi des Postes, S.R.C. 1927, ch. 161, prévoyait qu’«[a]ucun contrat n’est fait pour plus de quatre années» (p. 505). Le contrat contrevenait clairement à la Loi et a été jugé invalide étant donné que le ministre des Postes ne pouvait [traduction] «constitutionnellement et validement déléguer l’exécution de ses fonctions que dans la mesure où le législateur l’autorisait à le faire» (p. 506). En l’espèce, le contrat ne contrevient à aucune disposition de la loi de la Colombie‑Britannique, ce qui différencie aisément la présente affaire.

92 Cela nous amène à la question de savoir si, dans le présent pourvoi, la clause implicite est conforme au pouvoir de la Ville. Je suis d’avis que la Ville était autorisée à conclure l’accord‑cadre et à souscrire à la clause implicite, en vertu du pouvoir général que les municipalités possèdent en matière commerciale et contractuelle. Tout au moins, les parties acceptent que ce pouvoir permet à un conseil de lier les conseils qui le suivront par un contrat à long terme [traduction] «lorsque ce contrat est conclu dans l’exercice de ses pouvoirs en matière de droits de propriété ou d’activités commerciales» (Rogers, op. cit., vol. 2, au par. 199.4). Le pouvoir général de contracter a une portée très large (Rogers, op. cit., vol. 2, au par. 197.1):

[traduction] À l’exception des restrictions et des interdictions prévues par la loi, la règle générale veut que les corporations municipales, comme les sociétés privées, aient le pouvoir général de conclure des contrats en vue de réaliser leurs objets, mais lorsque la corporation est créée par la loi, ses pouvoirs contractuels sont limités et circonscrits par sa loi constitutive.

Il importe de souligner qu’en l’espèce aucune disposition législative ne soustrait expressément du pouvoir général de contracter l’échange de zonage contre des améliorations.

93 Je m’appuie également sur le fait qu’en Colombie‑Britannique les municipalités ont, en vertu du par. 19(1) de la Municipal Act, le pouvoir explicite [traduction] «de conclure des contrats pour l’obtention de biens et de services». Il s’agit d’un pouvoir municipal large et général qui doit être interprété libéralement: voir l’arrêt R. c. Greenbaum, [1993] 1 R.C.S. 674, et les motifs de mon collègue, au par. 35. De plus, considéré conjointement avec l’art. 287 de la Loi, l’art. 19 a pour effet de conférer aux municipalités tous les pouvoirs accessoires ou favorables à l’exercice du pouvoir général de conclure des contrats pour l’obtention de biens et de services. L’article 287 prévoit:

[traduction] En plus des pouvoirs qui lui sont expressément conférés, le conseil a le pouvoir d’accomplir les actes qui sont accessoires ou favorables à leur exercice.

94 Même si les tribunaux de la Colombie‑Britannique ont peu eu l’occasion d’interpréter le par. 19(1), il existe un précédent qui indique que ce paragraphe est le fondement légal du pouvoir des municipalités de conclure des contrats d’aménagement assortis d’engagements en matière de zonage. Dans l’affaire Kendrick c. Nelson (City) (1997), 31 B.C.L.R. (3d) 134 (C.S.), la ville de Nelson avait conclu avec un promoteur immobilier un contrat d’aménagement du secteur riverain pour la construction d’un hôtel et d’une marina. En plus d’accepter de construire une digue et un sentier à ses propres frais, la Ville s’était engagée [traduction] «à approuver la demande de permis d’aménagement, une fois remplies toutes les conditions du processus de délivrance d’un permis d’aménagement, ce qui [devrait] être fait dans les quatre semaines suivant la demande», et à «à adopter tout zonage nécessaire à l’aménagement» (par. 16). Le zonage en question était déjà en vigueur; la Ville s’engageait à le maintenir pendant la période nécessaire à la réalisation du plan d’aménagement. Un groupe de citoyens a contesté le pouvoir de la Ville de conclure le contrat en faisant valoir qu’il contrevenait à l’art. 292 qui interdisait à la Ville d’aider un promoteur immobilier. Après avoir décrit le contrat comme étant [traduction] «un exercice complexe d’attribution de responsabilités assorti d’une démarche coordonnée quant à l’aménagement de l’ensemble du secteur riverain» (par. 64), le juge McEwan a reconnu que la [traduction] «municipalité a[vait] exercé le pouvoir de contracter que lui conf[érait] l’art. 19 afin de réaliser des objectifs nettement conformes à l’ordre public» (par. 65).

95 Même si le régime législatif avait manifestement changé en 1995, la décision Nelson, précitée, étaye le point de vue selon lequel l’art. 19 autorise les municipalités à conclure des contrats d’aménagement dans lesquels elles prennent des engagements en matière de zonage. À l’instar de l’accord‑cadre, le contrat en cause dans Nelson représentait [traduction] «une tentative de faciliter l’aménagement d’un secteur riverain qui comport[ait] des ouvrages publics et une entreprise privée qu’il était dans l’intérêt public de promouvoir dans le cadre d’un plan d’ensemble destiné à rehausser la viabilité et la diversité économiques de la ville» (par. 55). Lorsque de tels contrats d’aménagement n’empêchent pas la Ville de modifier le zonage, ils ne sont pas ultra vires. L’accord‑cadre, qui ne fait que prévoir le versement d’une indemnité dans le cas d’une modification de zonage, est visé par cette règle.

96 Compte tenu de ce qui précède, je ne puis souscrire à la position de la Ville à ce sujet. La Ville admet à juste titre que l’accord‑cadre était licite et elle convient que son objet relevait de sa compétence. Elle reconnaît, en outre, qu’avant 1978 et après 1993 la Municipal Act conférait clairement ce pouvoir. Toutefois, se fondant sur [traduction] «l’historique législatif des dispositions relatives au zonage en Colombie-Britannique», elle soutient que, pendant la période pertinente, elle n’avait pas le pouvoir de souscrire à la clause implicite selon laquelle le zonage serait maintenu. Plus précisément, contrairement à la tendance actuelle que l’on constate en droit municipal, elle prétend qu’il y a lieu d’interpréter strictement son pouvoir général de contracter, compte tenu exclusivement du fait qu’au moment où l’accord-cadre a été négocié les municipalités n’étaient pas autorisées expressément à conclure des contrats d’utilisation du sol.

97 En ce qui concerne le point de vue contraire, cet argument ne mène pas la Ville très loin. L’examen des débats ayant entouré l’adoption de la Municipal Amendment Act, 1977, S.B.C. 1977, ch. 57, démontre que l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique n’avait pas l’intention de retirer aux municipalités le pouvoir de conclure des contrats de planification à long terme lorsqu’elle a abrogé les dispositions relatives aux contrats d’utilisation du sol. La modification a été adoptée parce que le gouvernement s’opposait non pas à ce que les municipalités disposent d’un mécanisme de contrôle de l’aménagement à long terme, mais plutôt aux complexités des dispositions elles‑mêmes, qui avaient eu pour effet de transformer les contrats d’utilisation du sol en [traduction] «obstacle souvent déroutant et nuisible» (Debates of the Legislative Assembly of British Columbia, vol. 6, 8 août 1977, à la p. 4353). En réalité, les conseils abusaient des dispositions pour tirer des revenus en se servant notamment des contrats d’utilisation du sol pour arracher des concessions supplémentaires aux promoteurs immobiliers. L’abrogation du contrat d’utilisation du sol était motivée entièrement par le fait qu’il était utilisé d’une manière arbitraire qui n’avait pas été prévue, et comme solution de rechange au zonage.

98 Selon moi, l’historique du pouvoir de zonage en Colombie‑Britannique confirme qu’en 1987 la Ville avait le pouvoir de s’engager à ne pas modifier le zonage pendant une période raisonnable. En 1987, la disposition fondamentale en matière de zonage était l’art. 963 de la Municipal Act (maintenant R.S.B.C. 1996, ch. 323, art. 903), qui habilitait les municipalités à adopter des règlements de zonage. Cette disposition se lisait ainsi:

[traduction]

963. (1) Une administration municipale peut, par règlement:

a) diviser en zones la totalité ou une partie de la municipalité ou du district régional, selon le cas, nommer chacune d’elles et les délimiter au moyen d’une carte ou d’une description légale;

b) limiter l’étendue verticale d’une zone et établir d’autres zones au‑dessus ou au‑dessous de celle‑ci;

c) régir à l’intérieur des zones:

(i) l’utilisation du sol, des immeubles et des ouvrages,

(ii) la densité de l’utilisation du sol, des immeubles et des ouvrages,

(iii) le choix de l’emplacement, la taille et les dimensions:

(A) des immeubles et ouvrages,

(B) des usages qui peuvent être faits du sol;

d) régir la forme, les dimensions et la superficie, y compris l’établissement des tailles minimale et maximale, de toutes les parcelles qui peuvent être créées par lotissement, sauf que:

(i) la réglementation peut varier d’un secteur à l’autre,

(ii) les limites de ces secteurs peuvent être différentes de celles des zones créées en vertu de l’alinéa a).

(2) La réglementation en vertu du paragraphe (1) peut, selon ce qui est prévu par le règlement, varier selon:

a) les zones;

b) les usages à l’intérieur d’une zone;

c) les normes des travaux effectués et des services fournis;

d) les circonstances du choix de l’emplacement.

(3) Le pouvoir de réglementation prévu au paragraphe (1) comprend le pouvoir d’interdire toute utilisation dans une zone donnée. [Je souligne.]

99 Il est évident que la municipalité avait notamment le pouvoir explicite de créer des zones et de réglementer l’utilisation du sol à l’intérieur de ces zones. Comme l’a fait remarquer mon collègue, elle n’avait pas le pouvoir, auparavant conféré par l’art. 702A de la Municipal Act, R.S.B.C. 1960, ch. 255 (mod. S.B.C. 1971, ch. 38, art. 52), de conclure des contrats d’utilisation du sol qui maintiendraient le zonage [traduction] «nonobstant tout règlement de la municipalité». La partie pertinente de l’art. 702A se lisait ainsi:

[traduction]

702A. . . .

(3) À la demande du propriétaire d’un bien‑fonds situé dans le secteur devant être aménagé, ou de son mandataire, le conseil peut, par règlement, nonobstant tout règlement de la municipalité ou les articles 712 et 713, conclure un contrat d’utilisation du sol établissant les modalités de l’utilisation et de l’aménagement du bien‑fonds qui peuvent faire l’objet d’un commun accord, après quoi l’utilisation et l’aménagement du bien‑fonds doivent être conformes au contrat d’utilisation du sol, nonobstant tout règlement de la municipalité ou les articles 712 et 713.

(4) Un contrat conclu en vertu du paragraphe (3) a la force et l’effet d’un engagement de ne pas faire relativement au bien‑fonds et la municipalité doit le faire enregistrer au bureau d’enregistrement foncier. [Je souligne.]

Je ne puis souscrire à l’opinion de mon collègue que l’absence de l’art. 702A en 1987 montre que la Ville ne pouvait pas accepter de maintenir le zonage négocié dans un contrat licite. L’article 702A visait d’abord et avant tout à forcer la Ville à respecter les contrats d’utilisation du sol en conférant effectivement au promoteur immobilier le droit acquis de procéder à des travaux d’aménagement (y compris ceux qui n’avaient pas encore débuté au moment de la modification du zonage), lequel droit était exécutoire en nature. Il importe de souligner que l’absence de la disposition ne démontre pas que la Ville ne pouvait pas respecter une autre forme de contrat licite; cela est révélateur étant donné que la PNI ne demande pas l’exécution en nature. Même si la Ville n’était plus forcée de permettre la réalisation de projets d’aménagement, l’abrogation de l’art. 702A ne signifiait pas qu’elle était désormais habilitée à exercer sans conséquence le pouvoir discrétionnaire de modifier le zonage en contravention d’un contrat licite; voir Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199.

100 En abrogeant l’art. 702A, le gouvernement de la Colombie‑Britannique n’a pas empêché la Ville de conclure des contrats d’aménagement à long terme; il a simplement éliminé le droit des municipalités de conclure des contrats dans lesquels l’exécution en nature serait garantie (par. 13(3) de la Municipal Amendment Act, 1977). L’abrogation n’a pas mis fin aux contrats d’utilisation du sol existants; voir Re Cressey Development Corp. and Township of Richmond (1982), 132 D.L.R. (3d) 166 (C.A.C.‑B.), et l’art. 982 de la Municipal Act qui, en créant un processus de modification des contrats d’utilisation du sol, reconnaissait que les contrats déjà existants en la matière demeureraient exécutoires:

[traduction]

982. . . .

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), le contrat d’utilisation du sol qui est conclu et qui est enregistré dans un bureau d’enregistrement foncier peut être modifié

a) au moyen d’un règlement [. . .], ou

b) au moyen d’un permis de modification d’aménagement délivré en vertu de l’article 974, ou d’un permis d’aménagement délivré en vertu de l’article 976.

101 Il faut reconnaître que l’abrogation du système de contrats d’utilisation du sol n’a pas éliminé le pouvoir des municipalités de se lier en matière de zonage. Lorsque l’art. 702A a été abrogé par l’art. 13 de la Municipal Amendment Act, 1977, il a été remplacé par l’art. 702AA qui a créé un nouveau système de permis d’aménagement. Le système de permis n’empêchait pas légalement la municipalité de modifier le zonage, comme dans le cas du système de contrats d’utilisation du sol. Le paragraphe 980(5) avait cependant un effet similaire:

[traduction] Une administration locale peut délivrer plus d’un permis pour un secteur, et les biens‑fonds de ce secteur doivent être aménagés strictement en conformité avec le ou les permis délivrés, lesquels lient également l’administration locale.

102 Cette disposition prévoyait que, dès sa délivrance, un permis «li[ait] [. . .] l’administration locale». Malgré l’affirmation contraire de mon collègue, j’estime que cela confirme le pouvoir de la Ville de «limiter l’exercice futur de ce pouvoir de réglementation» (par. 38). De plus, le par. 702AA(8) confirme le caractère obligatoire du permis: [traduction] «Si un permis d’aménagement est délivré, le bien‑fonds doit être aménagé strictement en conformité avec les modalités du permis».

103 Comme l’a déclaré le ministre des Affaires municipales au cours de la deuxième lecture de la Municipal Amendment Act, 1977 lorsque le gouvernement a abrogé les contrats d’utilisation du sol et établi les permis d’aménagement, il ne voulait pas retirer aux municipalités le pouvoir de contrôler certains types exceptionnels d’aménagement (Debates of the Legislative Assembly of British Columbia, op. cit., à la p. 4354):

[traduction] Le permis d’aménagement constitue beaucoup plus qu’une réaction contre le contrat d’utilisation du sol. Son établissement mettra en oeuvre plusieurs réformes importantes. Premièrement, il définit et confirme le droit de la municipalité de contrôler les aspects qualitatifs de l’aménagement exceptionnel. . .

Les remarques du Ministre confirment que le principe qui sous‑tend l’abrogation des contrats d’utilisation du sol et leur remplacement par des permis d’aménagement était d’assurer que les promoteurs immobiliers bénéficieraient d’un traitement plus facile et plus rapide de la part des conseils qui avaient auparavant abusé du contrat d’utilisation du sol. Contrairement à ce que mon collègue affirme, l’intention n’était pas de retirer aux municipalités le pouvoir de contrôler leurs besoins de planification au moyen de contrats. Le fait qu’aucun permis d’aménagement n’a été délivré en l’espèce ne prouve rien quant à l’étendue du pouvoir de la municipalité de conclure des contrats en matière de zonage pendant la période pertinente. Par conséquent, ce fait n’influe aucunement sur le pouvoir de la Ville de conclure l’accord‑cadre.

104 En résumé, le pouvoir municipal général de contracter en vue de réaliser des objectifs municipaux est un fondement solide du pouvoir de la Ville de consentir aux engagements en matière de zonage contenus dans l’accord‑cadre. Comme on le précise dans Rogers, op. cit., vol. 2, au par. 197.1:

[traduction] Aucun principe de droit n’habilite une cour à empêcher un conseil de conclure tout contrat qu’il juge bon de conclure à l’égard d’une matière qui relève de sa compétence (Independent Cdn. Business Assn. c. Vancouver (1988), 24 B.C.L.R. (2d) 96 (C.A.)).

Le paragraphe 19(1) et l’art. 963 (interprétés conjointement avec l’art. 287) établissent que l’objet de la clause implicite de l’accord-cadre relevait de la compétence de la Ville. Le pouvoir explicite de conclure des contrats pour l’obtention de biens et de services, conjugué au pouvoir municipal de zonage, conférait à la Ville le pouvoir de conclure un contrat assorti d’une clause selon laquelle le zonage serait maintenu temporairement; voir Kendrick, précité. Même si l’autorisation ne découlait pas directement de ces dispositions, ce pouvoir ressortait nécessairement ou à juste titre de façon implicite des pouvoirs explicites susmentionnés. Enfin, ce qui est peut-être le plus révélateur, il y a le fait que, dans sa plaidoirie, la Ville a reconnu que l’accord-cadre était licite même si elle était incapable de relever une disposition législative qui l’habilitait expressément à conclure ce genre de contrat. Outre le fait qu’il soit illogique d’affirmer que seule la clause implicite est ultra vires, j’estime que le fondement légal de ce pouvoir est celui que je viens de décrire et qu’il doit être interprété comme s’appliquant à l’engagement de la Ville de maintenir le zonage. Bien que cela règle la question de l’ultra vires, trois autres points méritent d’être commentés.

105 Premièrement, la Ville indique que le par. 972(1) de la Municipal Act, qui prévoit qu’aucune indemnité n’est payable pour la diminution de la valeur d’un bien‑fonds résultant d’une modification de zonage, étaye son point de vue selon lequel il n’existe aucun recours pour inexécution de contrat en l’espèce. Je crois que l’objet et l’effet du par. 972(1) n’ont absolument rien à voir avec la question dont nous sommes saisis. Le paragraphe 972(1) se lit ainsi:

[traduction]

972. (1) Aucune indemnité n’est payable à quiconque pour la diminution de la valeur d’un bien‑fonds, ou pour toute perte ou tous dommages résultant de l’adoption d’un plan communautaire officiel, d’un règlement relatif à l’utilisation de terres rurales, d’un règlement pris en vertu de la présente division ou de la délivrance d’un permis en vertu de la division (5).

Le régime législatif démontre que le par. 972(1) accorde simplement à la Ville l’immunité relativement aux décisions de modifier le zonage; il n’empêche pas l’indemnisation pour la modification de zonage en violation d’un contrat. Ce paragraphe a été introduit en 1985 par la Municipal Amendment Act, 1985, S.B.C. 1985, ch. 79, art. 8, en même temps que le par. 980(5) qui établissait que les permis d’aménagement liaient la Ville. Si le par. 972(1) s’appliquait à toute décision de modifier le zonage, le par. 980(5) serait inutile étant donné que la première disposition écarterait tout recours dans les cas où la Ville n’aurait pas respecté un permis qui la liait. Il est clair que la seule façon d’interpréter ces dispositions ensemble en tant que parties du même régime est de comprendre que le par. 972(1) permet aux municipalités de prendre impunément des décisions de routine en matière de zonage et que les autres dispositions, qui traduisent la politique législative de permettre à une municipalité de se lier, continuent d’avoir un sens. En l’espèce, la PNI ne réclame pas une indemnité seulement «parce que la Ville a exercé ses pouvoirs de réglementation d’une certaine manière» (le juge LeBel, au par. 64). Elle intente une poursuite parce que la Ville a décidé de le faire en violation d’un contrat.

106 Deuxièmement, mon collègue affirme que, selon les dispositions particulières qui, à l’époque pertinente, restreignaient le pouvoir des municipalités de conclure des contrats d’une durée supérieure à cinq ans, la province envisageait un régime dans lequel les contrats à long terme feraient l’objet d’un contrôle serré. De mon côté, je crois que limiter la durée des contrats dans certains cas indique qu’aucune restriction n’était prévue en général. Selon moi, ces dispositions ne justifient pas une interprétation restrictive des pouvoirs de la Ville et ont peu d’importance dans le présent pourvoi. La Ville reconnaît le caractère licite du contrat d’aménagement à long terme qui est en cause en l’espèce, à savoir l’accord‑cadre.

107 Troisièmement, je juge nécessaire de commenter la façon dont la Cour d’appel a abordé la question de l’ultra vires. La Cour d’appel a préféré ne pas se fonder sur la règle de l’ultra vires en statuant en faveur de la Ville, mais elle a dit douter [traduction] «[qu’]une corporation municipale ait le pouvoir de s’engager expressément par contrat à ne pas modifier le zonage» (par. 41). Pour en arriver à ce point de vue, elle s’est fondée sur l’affirmation suivante du juge Sopinka dans l’arrêt Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, aux pp. 276 et 277:

La plupart du temps, comme c’est le cas en l’espèce, le problème se pose souvent relativement à l’exercice d’un pouvoir non expressément conféré mais dont on dit qu’il découle implicitement d’une attribution générale de compétence. C’est dans ces cas que les objets de la loi habilitante revêtent une grande importance. La façon de procéder en pareils cas est énoncée par Rogers dans l’extrait suivant de The Law of Canadian Municipal Corporations, op. cit., par. 64.1, à la p. 387, auquel je souscris:

[traduction] Devant un problème d’interprétation d’une résolution ou d’un règlement adopté par une municipalité, les tribunaux doivent s’efforcer en premier lieu de donner une interprétation qui harmonise les pouvoirs que l’on cherche à exercer avec les objets de la municipalité. La disposition en cause devrait s’interpréter en fonction de l’objet de la municipalité: fournir des services à un groupe de personnes, dans une localité, en vue d’en améliorer la santé, le bien‑être, la sécurité et le bon gouvernement.

Tout doute ou toute ambiguïté doit profiter au citoyen, particulièrement lorsque le pouvoir que l’on prétend avoir sort de l’«ordinaire». Voir Rogers, op. cit., par. 64.1, et Re Taylor and the City of Winnipeg (1896), 11 Man. R. 420, le juge en chef Taylor.

108 Pour commencer, la Cour d’appel n’a pas tenu compte de la dernière directive selon laquelle tout doute doit profiter au citoyen. Qui plus est, je ne partage pas l’évaluation de la Cour d’appel selon laquelle l’importance de l’arrêt Shell dans le présent pourvoi vient du fait [traduction] «que les juges majoritaires ont adopté une façon stricte d’aborder la définition des pouvoirs qui ne sont pas expressément conférés mais que l’on prétend implicites en raison d’une attribution générale de compétence» (par. 34). La conclusion des juges majoritaires dans l’arrêt Shell découlait de leur conclusion principale (à la p. 280) que les

résolutions ont pour objet d’exercer une influence à l’extérieur des limites de la ville et ne comportent aucun bénéfice précis pour ses citoyens. Il s’agit d’un objet qui n’est autorisé ni expressément ni implicitement par la Charte de Vancouver et qui n’est pas lié à la réalisation de l’intention et de l’objet de cette charte.

Il est très clair que la conclusion principale de l’arrêt Shell était que la municipalité n’avait pas agi à une fin municipale, et non pas qu’il y avait lieu d’interpréter restrictivement les pouvoirs implicites d’une municipalité. L’arrêt Shell ne fait que confirmer qu’une municipalité doit agir à une fin appropriée et que si elle ne le fait pas, ses actes sont ultra vires. En l’espèce, le pouvoir (de conclure un contrat d’aménagement à long terme) que l’on cherchait à exercer est compatible avec les fins de la municipalité.

109 La position de la Cour d’appel relativement à la question de l’ultra vires était fondée en grande partie sur sa conclusion qu’il est [traduction] «fort douteux que la Ville ait le pouvoir de s’engager par contrat à faire ce que le droit établi lui interdit de faire». En toute déférence, la prémisse et, par conséquent, la conclusion sont erronées: le contrat prévoyant le maintien du zonage n’est pas interdit par le droit établi. En vertu de ce contrat, la Ville conservait, au besoin, le pouvoir de modifier le zonage, mais elle continuait d’engager sa responsabilité civile si elle ne respectait pas ses obligations contractuelles. Ce qui suit explique que l’engagement de la Ville en matière de zonage n’est pas contraire à l’ordre public.

Troisième question: Est‑il contraire à l’ordre public d’appliquer la clause implicite?

110 La dernière question à trancher dans le présent pourvoi est de savoir si la clause implicite en cause contrevient à la règle bien établie et acceptée par les deux parties selon laquelle le conseil municipal n’a pas le pouvoir d’entraver l’exercice du pouvoir de réglementation d’un futur conseil. Je suis d’avis que la clause implicite ne contrevient pas à cette règle et n’est pas frappée de nullité pour des raisons d’ordre public.

111 Je conviens qu’une limitation du pouvoir de réglementation d’une municipalité n’est pas quelque chose de négligeable, mais il reste que l’accord‑cadre ne restreint pas le pouvoir de la Ville de modifier le zonage. Il ne s’agit pas d’un cas où la municipalité a renoncé à ses pouvoirs de réglementation. Par conséquent, l’affirmation de mon collègue, selon laquelle les municipalités «ne peuvent pas consentir à modifier un zonage ou à le maintenir en échange d’une contrepartie particulière» (par. 57) ne tient pas compte de l’existence du contrat qui est au cœur du présent litige. Au sujet de la première question, la Ville admet que l’accord-cadre, qui était conditionnel à la modification du zonage, était licite. La dernière question est justement celle qui doit être tranchée dans le présent pourvoi.

112 En concluant que la clause implicite limitait le pouvoir discrétionnaire du conseil de modifier le zonage et qu’elle était donc contraire à l’ordre public, la Cour d’appel a invoqué l’arrêt Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, [1955] 2 D.L.R. 709 (C.A.C.‑B.), et la décision Ingledew’s Ltd. c. City of Vancouver (1967), 61 D.L.R. (2d) 41 (C.S.C.‑B.), à l’appui de son opinion selon laquelle exiger que le conseil tienne compte de l’obligation de payer des dommages‑intérêts entrave le pouvoir discrétionnaire de réglementation. Je ne puis être d’accord avec cette proposition et je n’estime pas que cette jurisprudence l’appuie solidement.

113 Dans l’arrêt Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité, la ville de Vancouver avait conclu un contrat en vue de modifier le zonage d’un bien‑fonds situé sur son territoire en le faisant passer d’une zone d’immeubles d’habitation de trois étages à une zone d’immeubles de six étages affectés à l’industrie légère. La ville avait pris l’engagement absolu de modifier le zonage du bien‑fonds (une fois que ses droits auraient dûment été enregistrés en vertu de la Land Registry Act, R.S.B.C. 1948, ch. 171) en contrepartie d’une promesse des propriétaires de ne rien construire sur la partie la plus au nord du bien‑fonds et d’y effectuer un aménagement paysager. La Ville a fait une demande d’enregistrement de ces charges grevant le bien‑fonds, mais le registrateur a refusé parce qu’il était d’avis qu’il n’y avait aucun droit enregistrable. La Cour d’appel, à la majorité, a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’analyser les objections du registrateur étant donné sa conclusion que l’accord était invalide à première vue. Le problème que posait le contrat était que la ville avait entravé son pouvoir discrétionnaire de réglementation en acceptant d’adopter un règlement (à la p. 712):

[traduction] Compte tenu de ces observations, j’examine maintenant la question de l’invalidité du contrat. Elle est due au fait que, par la clause 11 du contrat, la ville s’est engagée sans réserve ni exception à adopter le règlement qui réaliserait la modification de zonage projetée dès que les droits conférés à la ville par le contrat seraient dûment enregistrés. Ce faisant, la ville s’est engagée et, par le fait même, a engagé le conseil (par l’intermédiaire duquel elle doit agir) à ne pas tenir compte des objections à son adoption même si la loi accordait aux opposants le droit de faire examiner et trancher leurs objections au fond lors de la présentation du règlement en audience. Le contrat portait atteinte au pouvoir discrétionnaire conféré au conseil par la Town Planning Act pour la protection des droits opposés des propriétaires fonciers touchés par le projet de règlement modificatif et des droits de l’ensemble de la collectivité.

114 Le contrat en cause dans l’affaire Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District obligeait la ville à agir d’une manière contraire à ses obligations légales (en sens qu’il était impossible d’effectuer une évaluation neutre de l’intérêt public au moyen d’audiences publiques) et grevait donc le processus de réglementation. Cela différencie cet arrêt (et les décisions qui l’ont suivi, dont Ingledew’s, précitée) du présent pourvoi où la Ville s’est engagée non pas à adopter un règlement, mais uniquement à respecter ses engagements contractuels. Il y a une distinction valide entre, d’une part, s’engager irrévocablement à adopter un règlement de zonage et, d’autre part, accepter de verser une indemnité si jamais le règlement de base qui constitue une condition préalable du contrat est abrogé. Cette dernière promesse est moins restrictive, n’est pas contraire à l’intérêt public et ne grève pas le processus de réglementation. Il n’y a aucun risque que le conseil soit placé dans la situation délicate où il devra obligatoirement adopter un règlement particulier après avoir tenu des audiences publiques pour la forme. En l’espèce, la Ville n’a fait qu’accepter que l’adoption d’un règlement soit une condition préalable du contrat. Elle n’a jamais eu l’obligation d’adopter le règlement.

115 Selon moi, il y a une distinction entre empêcher le conseil d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réglementation et l’obliger à tenir compte de ses obligations contractuelles avant d’exercer ce pouvoir. La jurisprudence confirme l’existence de cette distinction. Récemment, dans l’arrêt Wells, précité, notre Cour reconnaissait, au par. 43, l’existence d’une distinction semblable

entre le droit de l’intimé d’occuper un poste comme commissaire et son droit aux avantages financiers qui découlent du fait d’avoir accepté d’exercer de telles fonctions. Bien que la législature soit libre de priver un poste de pouvoir et de responsabilité, en ce faisant, elle ne prive pas l’intimé de l’indemnité découlant du contrat, sauf si elle le prévoit expressément dans la loi.

116 Les décisions qui, selon mon collègue, appuient le point de vue selon lequel une entrave indirecte est illégale (Town of Eastview c. Roman Catholic Episcopal Corporation of Ottawa (1918), 44 O.L.R. 284 (C.S., Div. app.), et Walker c. Mayor of St. John (1872), 14 N.B.R. 143 (C.S.)) sont faciles à distinguer. Dans Eastview, le conseil municipal s’était engagé [traduction] «à approuver et à permettre à tout jamais que les terrains servent de cimetière» et à [traduction] «ne jamais tenter d’y empêcher ou d’y interdire l’enterrement des morts» (p. 288). Cet engagement permanent et absolu est manifestement très différent de la promesse temporaire et raisonnable de la Ville d’indemniser la PNI si elle modifiait le zonage sans donner à cette dernière un délai raisonnable pour réaliser son projet d’aménagement. Un raisonnement similaire peut s’appliquer à l’affaire Walker.

117 L’arrêt de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, Division d’appel, Attorney-General for New Brunswick c. Saint John, [1948] 3 D.L.R. 693, fait ressortir la différence importante entre l’entrave indirecte et l’entrave directe au pouvoir d’un conseil municipal. Je ne puis convenir avec mon collègue que le raisonnement de cet arrêt n’est pas clair. Dans l’affaire Saint John, la ville avait accordé à la New Brunswick Power Co. le droit d’exploiter un service d’autobus dans la ville pendant une période de six ans. Le contrat prévoyait que si, au cours des six premières années, le conseil municipal accordait à une autre société un permis d’exploiter un service d’autobus ou forçait la Power Co. à mettre fin à ses activités, la ville indemniserait cette dernière de la perte en capital résultant de l’achat initial des autobus. On a fait valoir que la ville avait entravé son pouvoir discrétionnaire d’accorder un permis à une autre entité du fait que sa responsabilité envers la Power Co. serait engagée aux termes du contrat. À la page 707, le juge Harrison a conclu que l’indemnisation de la Power Co. n’était pas ultra vires:

[traduction] Il est donc impossible de s’opposer à cette clause du contrat pour le motif qu’elle crée un obstacle juridique à l’exécution des obligations légales de la ville. Ce n’est qu’une question de saine gestion commerciale, et étant donné que la ville demandait à la Power Company d’acheter des autobus et d’engager de grandes dépenses à cette fin, le contrat qui prévoyait l’indemnisation de la société si la ville prenait l’initiative de mettre fin à ce service ne paraît pas déraisonnable.

Le même raisonnement a été adopté dans First City Development Corp. c. Durham (Regional Municipality) (1989), 41 M.P.L.R. 241 (H.C. Ont.), à la p. 270, et est compatible avec la jurisprudence anglaise sur la question; voir Stourcliffe Estates Co. c. Bournemouth Corp., [1908‑10] All E.R. 785 (C.A.); Dowty Boulton Paul Ltd. c. Wolverhampton Corp., [1971] 2 All E.R. 277 (Ch. D.).

118 Ce raisonnement doit être appliqué en l’espèce. La clause implicite est non pas un [traduction] «obstacle juridique à l’exécution [. . .] [d’]obligations légales», mais une «question de saine gestion commerciale» (Saint John, précité, à la p. 707). La Ville a demandé à la PNI d’être partie à un contrat complexe d’aménagement à long terme qui était dans l’intérêt public. Le promoteur immobilier a dû engager une grande dépense en capital au départ. Comme dans l’affaire Saint John, le [traduction] «contrat qui prévoyait l’indemnisation de la société si la ville prenait l’initiative [d’y] mettre fin [. . .] ne paraît pas déraisonnable» (p. 707). En différenciant l’arrêt Saint John, la Cour d’appel, dans l’arrêt Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, a reconnu qu’une clause contractuelle permettant le versement de dommages‑intérêts en cas de changement de politique de la part de la Ville n’est pas nulle en soi pour des raisons d’ordre public. L’arrêt Saint John reconnaît que la Ville doit respecter les droits acquis et ses obligations contractuelles. Selon moi, la répudiation de la contrepartie du contrat ne saurait être justifiée par des raisons d’ordre public.

119 La conclusion que la clause implicite n’est pas contraire à l’ordre public est conforme à la façon moderne d’aborder la responsabilité de l’État pour inexécution de contrat, que notre Cour a récemment énoncée dans l’arrêt Wells, précité. Je ne saurais convenir avec mon collègue que la situation en l’espèce peut être distinguée de celle qui existait dans l’affaire Wells, du fait que l’accord-cadre n’est pas un contrat commercial semblable à celui dont il était question dans cette affaire. La création artificielle de catégories de contrats commerciaux est injustifiée et impraticable. Dans l’arrêt Wells, notre Cour a reconnu que le gouvernement ne pouvait pas se dégager aisément de sa responsabilité pour inexécution de contrat. Ainsi, Wells, qui avait été commissaire au sein de la Public Utilities Board jusqu’à ce qu’il perde son emploi à la suite d’une restructuration gouvernementale, avait droit à des dommages‑intérêts pour inexécution de contrat. Notre conclusion que le gouvernement de Terre‑Neuve avait le pouvoir de restructurer la commission ne signifiait pas que la législature pouvait agir impunément. Nous avons plutôt dit que, pour éviter les conséquences juridiques de l’inexécution d’un contrat, le gouvernement devait utiliser dans la loi des termes clairs et explicites pour éteindre des droits antérieurement conférés à une personne. La loi adoptée n’avait pas retiré à Wells le droit de réclamer des dommages‑intérêts pour l’inexécution en cause, de sorte qu’il avait droit à une indemnité. Cela est compatible avec les conditions que la municipalité doit remplir pour supprimer des droits acquis; voir Rogers, op. cit., vol. 1, au par. 83.23.

120 L’arrêt Wells relève d’importantes questions d’ordre public qui sont essentielles à l’analyse de la responsabilité de la Ville en l’espèce. Au paragraphe 46, notre Cour a reconnu que, dans «un pays régi par la primauté du droit, nous présumons que le gouvernement respectera ses obligations, à moins qu’il n’exerce expressément son pouvoir de ne pas le faire». Ce raisonnement s’applique également en l’espèce. La Ville a prétendu qu’en adoptant le règlement modifiant le zonage et en tenant les audiences publiques nécessaires à cet égard, elle avait «exerc[é] expressément son pouvoir» de ne pas respecter son obligation. Cet argument comporte la même lacune que celle qui ressort de l’arrêt Wells: même si le gouvernement peut agir d’une manière donnée, il n’échappe pas à toute responsabilité financière pour les conséquences de son manquement. Le paragraphe 35 de l’arrêt Wells illustre le parallèle direct qui existe avec le présent pourvoi:

Même si la Couronne et l’intimé savaient tous les deux qu’une intervention législative pouvait modifier ou éliminer la Commission [tout comme la Ville et la PNI savaient que la Ville pouvait modifier le zonage], rien n’indique que cela était considéré comme compromettant la sécurité financière de l’intimé.

121 L’arrêt récent Wells appuie fortement la position de la PNI. Il y a lieu d’appliquer, en l’espèce, les importantes considérations d’ordre public que le juge Major a exposées de façon éloquente au par. 46 de l’arrêt Wells:

Faute d’une intention expresse et claire d’abroger des droits et des obligations — droits de la plus haute importance pour l’individu — ces droits demeurent en vigueur. Prétendre le contraire signifierait que le gouvernement n’est lié que par son caprice, non par sa parole. Au Canada, cela est inacceptable et ne concorde pas avec la façon dont on envisage la relation entre l’État et ses citoyens.

122 Contrairement à l’affirmation de mon collègue, une multitude de considérations d’ordre public font clairement ressortir qu’une municipalité devrait être tenue responsable des dommages qui résultent lorsque son conseil agit contrairement aux clauses d’un contrat conclu par un conseil antérieur. En l’espèce, la question est de savoir si la Ville a contrevenu à une clause implicite d’un contrat d’aménagement, mais cette question s’applique également à tous les contrats conclus par la Ville. La plupart des décisions du conseil ont des conséquences financières qui, pourrait‑on prétendre, entravent indirectement le pouvoir des futurs conseils.

123 Il est évident qu’exiger qu’un conseil municipal tienne compte de ses obligations contractuelles n’est pas contraire à l’ordre public, mais favorise l’intérêt public. Les contrats conclus par une municipalité devraient servir à freiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réglementation. Les conseils sont libres d’adopter les règlements qu’ils veulent, mais ils ne sauraient faire fi des obligations contractuelles qui leur incombent (Wells, précité). Une telle entrave indirecte n’expose pas le processus municipal de réglementation à une influence ou à une charge indue. De plus, la politique officielle d’une société se reflète dans ses lois (S. M. Waddams, The Law of Contracts (3e éd. 1993), au par. 554); par conséquent, lorsqu’une municipalité conclut un contrat intra vires, la cour doit agir avec prudence avant d’en invalider une clause pour des raisons d’ordre public. La portée de la règle doit être restreinte étant donné qu’après tout [traduction] «la plupart des fonctions gouvernementales sont exercées en vertu de pouvoirs conférés par la loi». De plus, [traduction] «[l]’État ne bénéficie pas moins que les particuliers du principe selon lequel les engagements contractuels doivent être fiables» (P. W. Hogg, Liability of the Crown (2e éd. 1989), à la p. 171). Si les municipalités ne sont pas tenues de respecter leurs obligations contractuelles, leur crédibilité amoindrie les forcera à payer un prix plus élevé pour tout ce qu’elles obtiennent par contrat.

124 Mon collègue prétend que la décision d’un conseil de modifier le zonage ne doit pas dépendre de «considérations autres que l’examen objectif du meilleur intérêt de la collectivité» (par. 64). Selon moi, lorsque la Ville a conclu un contrat et reçu une contrepartie, la «collectivité» inclut le titulaire de ce contrat. On ne peut pas faire fi des droits acquis de cette personne. On ne peut pas sincèrement prétendre que ce contrat a été violé dans l’intérêt public, puisque, comme on l’a souligné à l’audience, il sera toujours dans l’intérêt de la collectivité d’obtenir quelque chose, en l’espèce des installations de 2,5 millions de dollars, sans contrepartie. À l’instar du professeur Hogg, j’estime qu’il appartient au trésor public de supporter le coût d’un changement de politique officielle. Rien ne justifie l’existence d’un droit public particulier en matière de contrats (Hogg, op. cit., aux pp. 171 et 172).

125 Contrairement à ce qu’affirme mon collègue au par. 68 de ses motifs, je n’estime pas qu’il est dans l’intérêt public de faire du risque de résiliation unilatérale des contrats sans compensation l’un des «risques particuliers [. . .] sur les plans juridique et politique» que les promoteurs immobiliers doivent assumer lorsqu’ils traitent avec des municipalités. En outre, je ne suis pas convaincu que le fait de tenir compte de la [traduction] «confiance entre le secteur public et le secteur privé» restreigne l’exercice de ce pouvoir par les municipalités. Il ne fait aucun doute que les faits de la présente affaire démontrent le contraire; voir également la décision First City, précitée.

126 En résumé, il convient de permettre aux municipalités de conclure des contrats complexes d’aménagement à long terme, dans lesquels elles promettent à des promoteurs immobiliers que le zonage existant sera maintenu pendant une période suffisante pour permettre l’aménagement. Le pouvoir de contracter avec des promoteurs immobiliers et de fournir des garanties exécutoires en contrepartie d’infrastructures et d’améliorations est indispensable au fonctionnement et à la croissance des municipalités. Cela a été reconnu dans la décision First City, précitée, où le juge Craig a décidé qu’un contrat conclu entre Durham et un promoteur n’était pas contraire à l’ordre public étant donné, notamment, que [traduction] «[l]a région avait décidé que, pour des raisons de saine planification et pour sa propre protection financière, cela était conforme à l’intérêt public» (p. 270).

127 Je tiens à faire remarquer en passant que la règle selon laquelle l’État ne peut pas conclure un contrat susceptible d’entraver les futurs conseils a été critiquée dans la doctrine. En la qualifiant comme étant [traduction] «d’une imprécision insoutenable», Hogg souligne, à la p. 171, que cette règle fournit injustement à l’État un moyen de se libérer d’un bon nombre des obligations contractuelles qui semblent lui incomber directement: [traduction] «Vu qu’il n’y a aucune inexécution de contrat, la partie privée contractante n’a pas droit à des dommages‑intérêts. Cela semble extrêmement injuste pour l’entrepreneur privé qui se voit forcé d’assumer le coût d’un changement de politique officielle qui devrait être assumé par l’[organisme public].» En l’espèce, il n’y a aucune entrave directe au pouvoir de réglementation de la municipalité et il n’y aucune raison de craindre que l’obligation de verser des dommages‑intérêts n’ait une incidence négative sur l’intérêt du public dans le maintien de l’indépendance de toutes les administrations municipales sur le plan de la réglementation.

128 Enfin, l’examen de la multitude de décisions des tribunaux d’instance inférieure invoquées en l’espèce, qui sont fondées sur leur contexte factuel et législatif particulier, n’étaye aucunement la position de la Ville. Comme le juge Smith, dissident, l’a souligné dans l’arrêt Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité, à la p. 710, les [traduction] «décisions anciennes doivent être appliquées avec prudence [. . .] des objections, souvent techniques, ne doivent pas être soulevées à l’encontre de mesures raisonnables prises pour l’aménagement de la Ville». De toute manière, plusieurs de ces décisions appuient la position de la PNI. Dans Lawrason c. Town of Dundas (1920), 18 O.W.N. 22, la cour a conclu que [traduction] «la proposition selon laquelle, au cours d’une année, le conseil municipal n’est pas lié par le contrat qu’il a lui‑même conclu au cours d’une année antérieure n’a de qualité que celle d’être novatrice» (p. 23). En outre, dans Muskoka Mall Ltd. c. Town of Huntsville (1977), 3 M.P.L.R. 279 (H.C. Ont.), il a été conclu que la municipalité était liée par un contrat d’aménagement et qu’elle ne pouvait pas le répudier en abrogeant le règlement de zonage qui permettait l’aménagement. Une municipalité doit respecter les droits acquis en vertu d’un contrat validement conclu avec elle, surtout si l’autre partie contractante a modifié sa position sur la foi du contrat. De plus, la décision Re Galt‑Canadian Woodworking Machinery Ltd. and City of Cambridge (1982), 135 D.L.R. (3d) 58 (C. div. Ont.), conf. par (1983), 146 D.L.R. (3d) 768 (C.A. Ont.), appuie l’opinion que l’entrave indirecte au pouvoir de réglementation discrétionnaire, qui résulte de la possibilité de devoir verser des dommages‑intérêts, est permise. Dans la mesure où la décision initiale de conclure le contrat est valide, comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a rien d’illégal ou de contraire à l’ordre public.

129 À la lumière de l’analyse qui précède, je conclus que la clause implicite ne va pas à l’encontre de l’ordre public.

Dispositif

130 Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la clause implicite n’est ni ultra vires ni contraire à l’ordre public. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi principal avec dépens et de renvoyer l’affaire au juge de première instance pour qu’il décide du montant de dommages‑intérêts à accorder en raison de l’inexécution du contrat. Comme je l’ai déjà indiqué dans les présents motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi incident.

Pourvoi principal rejeté avec dépens, les juges Major, Bastarache et Binnie sont dissidents. Pourvoi incident rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante/intimée au pourvoi incident: Cox, Taylor, Victoria.

Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident: Staples McDannold Stewart, Victoria.


Synthèse
Référence neutre : 2000 CSC 64 ?
Date de la décision : 14/12/2000
Sens de l'arrêt : Le pourvoi principal et le pourvoi incident sont rejetés

Analyses

Droit municipal - Zonage - Aménagement de terrains - Promoteur immobilier poursuivant une municipalité pour inexécution de contrat à la suite de la modification du zonage de certains lots - La municipalité est‑elle tenue de verser des dommages‑intérêts en vertu d’une clause contractuelle implicite selon laquelle elle ne modifiera pas le zonage avant l’expiration d’un délai raisonnable? - La clause implicite est‑elle ultra vires et contraire à l’ordre public? - La clause implicite constitue‑t‑elle une entrave illicite aux pouvoirs de réglementation discrétionnaires de la municipalité?.

Titres de propriété - Lotissement - Cession du droit de propriété à l’État - Mesure législative concernant les titres fonciers établissant, dans certaines circonstances, une présomption de cession du droit de propriété à l’État et d’extinction de la propriété en fief simple - Plans d’eau faisant partie du secteur loti figurant dans le plan de lotissement - La mesure législative concernant les titres fonciers s’applique‑elle à tout terrain loti ou uniquement aux biens‑fonds contigus? - Land Title Act, R.S.B.C. 1979, ch. 219, art. 108(2).

En 1987, la ville intimée et la BCEC, une société d’État, ont conclu un accord‑cadre visant le réaménagement de certains terrains situés autour du port de la Ville. Aux termes de cet accord‑cadre, la BCEC aménagerait la «phase I» et vendrait le secteur de la «phase II». L’accord‑cadre a été approuvé par le conseil municipal et a été enregistré à titre d’engagement de ne pas faire en vertu de l’art. 215 de la Land Title Act. Le promoteur immobilier appelant («PNI») a conclu avec la BCEC un contrat d’achat du secteur de la phase II, qui ne serait exécutoire que si la Ville approuvait le lotissement des terrains et adoptait le zonage nécessaire, ce qu’elle a fait. En 1988, la PNI a déposé le plan de lotissement. Elle a aménagé et vendu trois lots, mais lorsque les plans de la PNI concernant l’aménagement des deux plans d’eau devinrent connus, on s’est opposé à la transformation de la façade portuaire. Ces plans comprenaient la construction d’immeubles de trois étages, de restaurants et d’autres établissements commerciaux. Le conseil municipal a décidé de modifier le zonage des plans d’eau afin d’interdire la construction d’un autre ensemble résidentiel et de limiter la hauteur des immeubles. La PNI a intenté une action pour inexécution de contrat et a soutenu que cette modification de zonage contrevenait aux obligations implicites qui incombaient à la Ville aux termes de l’accord‑cadre, et ainsi aux droits que la PNI possédait, à titre de successeur de la BCEC, en vertu du même accord. Subsidiairement, elle a demandé la restitution pour enrichissement sans cause à l’égard des parcs et des autres installations qu’elle avait aménagés et dont la Ville bénéficierait. Le juge de première instance a conclu à la responsabilité de la Ville pour inexécution de contrat. La Cour d’appel a infirmé ce jugement et renvoyé l’affaire à procès sur la question résiduelle de la restitution pour enrichissement sans cause.

Arrêt (les juges Major, Bastarache et Binnie sont dissidents quant au pourvoi principal): Le pourvoi principal et le pourvoi incident sont rejetés.

(1) Pourvoi incident

L’argument de la Ville selon lequel la PNI ne possédait pas les plans d’eau doit être rejeté. Le paragraphe 108(2) de la Land Title Act n’a pas eu pour effet d’attribuer ces lots à la province au moment où la PNI a déposé son plan de lotissement au bureau d’enregistrement foncier. Étant donné son effet clairement spoliateur, le par. 108(2) doit être interprété strictement. Il vise non pas les lots résultant d’un lotissement, mais plutôt les autres secteurs qui constituent le reste du bien‑fonds visé par le droit de propriété. Suivant cette interprétation, les plans d’eau ne sont pas visés par le par. 108(2) étant donné qu’ils font partie du secteur loti figurant dans le plan de lotissement et qu’ils ne sont aucunement résiduels.

(2) Pourvoi principal

Les juges Gonthier, Iacobucci, Arbour et LeBel: Selon la mesure législative provinciale en cause, la Ville ne pouvait pas établir une clause implicite (ni être liée par une telle clause) selon laquelle elle maintiendrait le zonage pendant un certain nombre d’années et payerait des dommages‑intérêts si elle le modifiait. L’article 963 de la Municipal Act confère le pouvoir de zoner par règlement. À première vue, la Loi n’accorde aucun droit de limiter l’exercice futur de ce pouvoir de réglementation et le législateur a considéré, de manière générale, que les municipalités ne devraient verser aucune indemnité pour la façon dont elles exercent ce pouvoir de réglementation. Au départ, ces principes militent tous contre la thèse de la PNI. La PNI ne peut pas non plus trouver la capacité qu’elle cherche dans l’art. 215 de la Land Title Act ou le par. 980(5) de la Municipal Act. En vertu du par. 215(3), même si l’engagement de la BCEC en faveur de la Ville était enregistré, la Ville n’était pas tenue de maintenir en vigueur le zonage qui permettrait à la BCEC, ou à son successeur la PNI, de réaliser ses projets. Le paragraphe 215(3) visait clairement à prévoir qu’un engagement liait toujours son auteur même lorsque la personne à qui il bénéficiait ne l’avait pas signé. Le paragraphe 980(5), qui prévoyait qu’une fois délivré un permis d’aménagement liait la municipalité et pouvait même empêcher une modification de zonage, ne s’applique pas en l’espèce étant donné que la PNI ne détenait aucun permis d’aménagement pour les plans d’eau. Enfin, si on fait une comparaison avec les régimes législatifs qui l’ont précédée et ceux qui l’ont suivie en Colombie‑Britannique, il est clair que, sous le régime de la loi qui était applicable au moment des événements survenus en l’espèce, les clauses implicites comme celle dont la PNI allègue l’existence restaient illégales. La Colombie‑Britannique a aboli le système de contrats d’utilisation du sol qui habilitait les municipalités à s’engager par contrat à adopter un zonage particulier en 1978, et ce n’est qu’en 1993 que les municipalités de la Colombie‑Britannique ont été autorisées à demander des améliorations en échange d’un zonage. De même, avant 1998, même si les municipalités pouvaient prendre des engagements à long terme liés aux pouvoirs en matière de droits de propriété et d’activités commerciales que leur conférait la Municipal Act, ces engagements étaient assujettis au contrôle strict de la Loi.

De plus, même si une municipalité peut conclure des contrats relatifs à des droits de propriété et à des activités commerciales, elle ne peut pas souscrire à des conditions qui entravent son pouvoir de réglementation, à moins qu’une mesure législative n’énonce une politique officielle l’autorisant à le faire. À ce propos, l’art. 19 de la Municipal Act n’habilite pas une municipalité à conclure avec un promoteur immobilier des contrats à long terme concernant l’exercice de ses pouvoirs en matière de zonage. La distinction entre l’entrave indirecte et l’entrave directe ne saurait être acceptée parce qu’elle est probablement dépourvue de fondement juridique. La supposée distinction n’aide pas non plus à rationaliser la jurisprudence et, qui plus est, elle est incompatible avec les principes qui sous‑tendent ce domaine du droit. En l’espèce, la clause implicite dont l’existence est alléguée aurait constitué une entrave illicite aux pouvoirs de réglementation discrétionnaires de la municipalité.

Le libellé de la mesure législative, son historique, la jurisprudence constante et la politique officielle qui empêche de lier les municipalités d’une manière qui restreigne leurs pouvoirs de réglementation étayent tous la conclusion que la Ville n’avait aucun pouvoir implicite ou exprès de consentir à une clause implicite comme celle dont la PNI allègue l’existence. Peu importe que cette clause implicite ait pu être justifiée ou non pour des raisons d’efficacité commerciale, elle était ultra vires et contraire à l’ordre public établi par le législateur.

Les juges Major, Bastarache et Binnie (dissidents): À la suite d’une analyse de l’accord‑cadre et compte tenu de la preuve documentaire externe pertinente et de toutes les circonstances de la présente affaire, on peut conclure que le contrat comportait la clause implicite selon laquelle le zonage ne serait pas modifié pendant une période raisonnable. Le zonage était une condition préalable essentielle de l’accord‑cadre. La clause implicite n’empêche pas la Ville de modifier le zonage pendant un certain temps: elle ne fait que reconnaître qu’en contrepartie de l’investissement initial de la PNI, une modification de zonage doit être compensée par une indemnité. Il serait contraire au bon sens commercial et à toutes les obligations d’équité de conclure que la condition préalable relative au zonage devait être remplie sans toutefois être protégée d’aucune façon contre la rétractation unilatérale. Même si les parties n’ont pas souscrit à une simple clause empêchant la Ville de modifier le zonage puisqu’il est reconnu qu’elles connaissaient la règle qui interdit de lier les futurs conseils, elles ont pris soin de structurer le contrat de façon à ce qu’il constitue un moyen innovateur de réaliser leurs objectifs divergents en rattachant des obligations à chaque composante. La clause implicite doit être présente pour conférer l’efficacité commerciale au contrat. Compte tenu de la condition préalable du contrat, un observateur objectif serait nécessairement d’avis que la Ville croyait qu’elle devrait verser une indemnité si elle procédait à une modification de zonage avant l’écoulement d’un délai raisonnable.

Même si une municipalité ne peut pas être tenue responsable de la violation d’une clause ultra vires, en l’espèce, la clause implicite de l’accord‑cadre selon laquelle le zonage ne sera pas modifié pendant une période raisonnable est conforme au pouvoir de la Ville. Le pouvoir municipal général de contracter en vue de réaliser des objectifs municipaux est un fondement solide du pouvoir de la Ville de consentir aux engagements en matière de zonage contenus dans l’accord‑cadre. Le paragraphe 19(1) et l’art. 963 (interprétés conjointement avec l’art. 287) de la Municipal Act établissent que l’objet de la clause implicite de l’accord‑cadre relevait de la compétence de la Ville. Le pouvoir explicite de conclure des contrats pour l’obtention de biens et de services, conjugué au pouvoir municipal de zonage, conférait à la Ville le pouvoir de conclure un contrat assorti d’une clause selon laquelle le zonage serait maintenu temporairement. Même si l’autorisation ne découlait pas directement de ces dispositions, ce pouvoir ressortait nécessairement ou à juste titre de façon implicite des pouvoirs explicites susmentionnés. Fait important, la Ville a reconnu que l’accord‑cadre était licite même si elle était incapable de relever une disposition législative qui l’habilitait expressément à conclure ce genre de contrat. Enfin, l’historique du pouvoir de zonage en Colombie‑Britannique confirme qu’en 1987 la Ville avait le pouvoir de s’engager à ne pas modifier le zonage pendant une période raisonnable. L’abrogation, en 1978, de l’art. 702A de la Municipal Act ne signifiait pas que la Ville était désormais habilitée à exercer sans conséquence le pouvoir discrétionnaire de modifier le zonage en contravention d’un contrat licite. L’abrogation de l’art. 702A a éliminé le droit des municipalités de conclure des contrats dans lesquels l’exécution en nature serait garantie, mais elle ne les a pas empêchées de conclure des contrats d’aménagement à long terme.

La clause implicite de l’accord‑cadre ne va pas à l’encontre de l’ordre public. Cette clause ne contrevient pas à la règle bien établie selon laquelle un conseil municipal n’a pas le pouvoir d’entraver l’exercice du pouvoir de réglementation d’un futur conseil, étant donné que l’accord‑cadre ne restreint pas le pouvoir de la Ville de modifier le zonage. Il faut faire la distinction entre empêcher un conseil d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réglementation et l’obliger à tenir compte de ses obligations contractuelles avant d’exercer ce pouvoir. Exiger qu’un conseil municipal tienne compte de ses obligations contractuelles n’est pas contraire à l’ordre public, mais favorise l’intérêt public. Les conseils sont libres d’adopter les règlements qu’ils veulent, mais ils ne sauraient faire fi des obligations contractuelles qui leur incombent. Une telle entrave indirecte n’expose pas le processus municipal de réglementation à une influence ou à une charge indue. Il convient de permettre aux municipalités de conclure des contrats complexes d’aménagement à long terme, dans lesquels elles promettent à des promoteurs immobiliers que le zonage existant sera maintenu pendant une période suffisante pour permettre l’aménagement. En l’espèce, il n’y a aucune entrave directe au pouvoir de réglementation de la municipalité et il n’y aucune raison de craindre que l’obligation de verser des dommages‑intérêts ait une incidence négative sur l’intérêt du public dans le maintien de l’indépendance de toutes les administrations municipales sur le plan de la réglementation.

Somme toute, lorsqu’une municipalité conclut un contrat dans un but légitime, ce contrat doit être respecté. La Ville ne devrait pas pouvoir mettre fin impunément à un contrat qu’elle a conçu avec soin, qu’elle a conclu de façon réfléchie, dont elle a pleinement bénéficié et dont elle reconnaît la légalité. En l’espèce, la PNI a dépensé plus de 2,5 millions de dollars pour l’amélioration des infrastructures en prévision des travaux d’aménagement commercial qui résulteraient de la cession de biens‑fonds et du zonage prévus dans le contrat. Il ne serait pas dans l’intérêt public de permettre à la Ville d’échapper à ses engagements. La PNI a droit à des dommages‑intérêts pour inexécution de contrat. Consentir une indemnité pour inexécution de contrat n’équivaut pas à une entrave au pouvoir de zonage municipal, qui préjudicie à l’intérêt du public dans l’administration locale.


Parties
Demandeurs : Pacific National Investments Ltd.
Défendeurs : Victoria (Ville)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge LeBel
Distinction d’avec l’arrêt: Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199
arrêts mentionnés: Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, [1955] 2 D.L.R. 709
Ingledew’s Ltd. c. City of Vancouver (1967), 61 D.L.R. (2d) 41
Leiriao c. Val‑Bélair (Ville), [1991] 3 R.C.S. 349
Banque Hongkong du Canada c. Wheeler Holdings Ltd., [1993] 1 R.C.S. 167
M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619
Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711
Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326
Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 409, 2000 CSC 45
Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13
R. c. Greenbaum, [1993] 1 R.C.S. 674
R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650
City of Vancouver c. B.C. Telephone Co., [1951] R.C.S. 3
Martin Corp. c. West Vancouver (District) (1993), 85 B.C.L.R. (2d) 305
Re Walmar Investments Ltd. and City of North Bay, [1970] 1 O.R. 109
Lawrason c. Town of Dundas (1920), 18 O.W.N. 22
Birkdale District Electric Supply Co. c. Corporation of Southport, [1926] A.C. 355
Town of Eastview c. Roman Catholic Episcopal Corporation of Ottawa (1918), 44 O.L.R. 284
Capital Regional District c. District of Saanich (1980), 115 D.L.R. (3d) 596
Re Galt‑Canadian Woodworking Machinery Ltd. and City of Cambridge (1982), 135 D.L.R. (3d) 58, conf. par (1983), 146 D.L.R. (3d) 768
Kendrick c. Nelson (City) (1997), 31 B.C.L.R. (3d) 134
Attorney‑General for New Brunswick c. Saint John, [1948] 3 D.L.R. 693, autorisation de pourvoi accordée, [1948] 3 D.L.R. 851
Walker c. Mayor of St. John (1872), 14 N.B.R. 143
Wall and Redekop Corp. c. City of Vancouver (1974), 16 N.R. 436, conf. par (1976), 16 N.R. 435
Dowty Boulton Paul Ltd. c. Wolverhampton Corp., [1971] 2 All E.R. 277
Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231
William Cory & Son Ltd. c. London Corp., [1951] 2 K.B. 476.
Citée par le juge Bastarache (dissident quant au pourvoi principal)
M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619
Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, 2000 CSC 13
R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650
The King c. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co., [1930] R.C.S. 500
R. c. Greenbaum, [1993] 1 R.C.S. 674
Kendrick c. Nelson (City) (1997), 31 B.C.L.R. (3d) 134
Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199
Re Cressey Development Corp. and Township of Richmond (1982), 132 D.L.R. (3d) 166
Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231
Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, [1955] 2 D.L.R. 709
Ingledew’s Ltd. c. City of Vancouver (1967), 61 D.L.R. (2d) 41
Town of Eastview c. Roman Catholic Episcopal Corporation of Ottawa (1918), 44 O.L.R. 284
Walker c. Mayor of St. John (1872), 14 N.B.R. 143
Attorney‑General for New Brunswick c. Saint John, [1948] 3 D.L.R. 693
First City Development Corp. c. Durham (Regional Municipality) (1989), 41 M.P.L.R. 241
Stourcliffe Estates Co. c. Bournemouth Corp., [1908‑10] All E.R. 785
Dowty Boulton Paul Ltd. c. Wolverhampton Corp., [1971] 2 All E.R. 277
Lawrason c. Town of Dundas (1920), 18 O.W.N. 22
Muskoka Mall Ltd. c. Town of Huntsville (1977), 3 M.P.L.R. 279
Re Galt‑Canadian Woodworking Machinery Ltd. and City of Cambridge (1982), 135 D.L.R. (3d) 58, conf. par (1983), 146 D.L.R. (3d) 768.
Lois et règlements cités
Act to Amend the Municipal Act, S.B.C. 1971, ch. 38, art. 52.
Land Title Act, R.S.B.C. 1979, ch. 219, art. 23(1) [mod. 1982, ch. 60, art. 3], 108(2) [idem, art. 25a)], 215 [idem, art. 58
mod. 1989, ch. 69, art. 22].
Land Title Act, R.S.B.C. 1996, ch. 250, art. 108(2).
Local Elections Reform Act, 1993, S.B.C. 1993, ch. 54, art. 23.
Local Government Statutes Amendment Act, 1998, S.B.C. 1998, ch. 34, préambule.
Municipal Act, R.S.B.C. 1960, ch. 255, art. 702A [aj. 1968, ch. 33, art. 166
1970, ch. 29, art. 21
abr. & rempl. 1971, ch. 38, art. 52
mod. 1972, ch. 36, art. 28
mod. 1972 (2e sess.), ch. 9, art. 1
abr. 1977, ch. 57, art. 13(1)], 702AA [aj. idem, art. 13(2)].
Municipal Act, R.S.B.C. 1979, ch. 290, art. 19, 287, 290 [mod. 1993, ch. 41, art. 32], 292, 313, 321 [abr. & rempl. 1993, ch. 54, art. 23], 322 [mod. 1980, ch. 50, art. 63
mod. 1982, ch. 76, art. 28
mod. 1987, ch. 38, art. 4], 344(1), 717 [abr. 1985, ch. 79, art. 4], 963 [aj. idem, art. 8
mod. 1987, ch. 14, art. 27], 963.1(2) [aj. 1993, ch. 58, art. 4
mod. 1994, ch. 43, art. 71], 972 [aj. 1985, ch. 79, art. 8], 976 [idem], 980(5) [idem], (6) [idem], 982 [idem], 989(4) [aj. 1987, ch. 14, art. 45e)].
Municipal Act, R.S.B.C. 1996, ch. 323, art. 176, 903.
Municipal Affairs, Recreation and Housing Statutes Amendment Act, 1993, S.B.C. 1993, ch. 58, art. 4.
Municipal Amendment Act, 1977, S.B.C. 1977, ch. 57, art. 13.
Municipal Amendment Act, 1985, S.B.C. 1985, ch. 79, art. 4, 8.
Doctrine citée
Colombie‑Britannique. Debates of the Legislative Assembly, vol. 6, 2nd Sess., 31st Parl., pp. 4353 et 4354.
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal, Qué.: Thémis, 1999.
Hétu, Jean, Yvon Duplessis et Dennis Pakenham. Droit municipal: Principes généraux et contentieux. Montréal: Hébert Denault, 1998.
Hogg, Peter W. Liability of the Crown, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1989.
Jones, David Phillip, and Anne S. de Villars. Principles of Administrative Law, 3rd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1999.
Macaulay, Robert W., and Robert G. Doumani. Ontario Land Development: Legislation and Practice, vol. 1. Scarborough, Ont.: Carswell, 1995 (loose‑leaf updated 1999, release 3).
Rogers, Ian MacFee. Canadian Law of Planning and Zoning. Toronto: Carswell, 1973 (loose‑leaf updated 2000, release 3).
Rogers, Ian MacFee. The Law of Canadian Municipal Corporations, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1971 (loose‑leaf updated 2000, release 3).
Waddams, S. M. The Law of Contracts, 3rd ed. Toronto: Canada Law Book, 1993.

Proposition de citation de la décision: Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville), 2000 CSC 64 (14 décembre 2000)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2000-12-14;2000.csc.64 ?
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